Val Richer, Mardi 6 Nov. 1849
8 heures
Je n'ai plus d’objection à l'Empire puisqu'il est en train de se faire. Il n'y a pour moi, qu’une question : mourrons-nous ou guérirons. nous ? Si nous devons mourir, peu m'importe le genre de mort, si nous devons guérir, je suis prêt à accepter tous les moyens de guérison. Le problème est bien indécis dans mon esprit ; le raisonnement me mène à la mort ; mon instinct est pour la guérison. Au fait, c’est une lâcheté de ma part de dire que je suis indécis ; je fais là comme tout le monde ; j'élude la responsabilité de mon avis. Je crois à la guérison. Mais j’ai peur qu'elle ne coûte bien cher. Je trouve que nous sommes encore bien peu préparés aux remèdes. Tout le monde a raison, puisque vous en êtes aussi. Je ne fixe point que ce serait assez. Et j’espère encore plus que vous n'en aurez pas besoin du tout. Je me fie un peu à ce qui me reste d’espérances, car le fond, sur lequel elles subsistent encore est bien noir. Il est impossible qu’on ne rappelle pas bientôt la flotte. Ce serait trop absurde mais on donnera l’air de la platitude à ce qui aurait pu être de la bonne politique. Le général d’Hautpoul est un homme sensé, intelligent et honnête. Ambitieux. Je ne sais s'il est de taille. Bon soldat. Bon administrateur militaire. Ferme avec les troupes. Le sera-t-il politiquement ? J'en doute un peu. Mais je trouve qu’en général on a tort de se montrer malveillant et dénigrant pour les nouveaux venus. On les blesse et on les affaiblit au détriment de la bonne politique. Il ne faut pas seulement dire qu’on attendra pour juger. Il faut attendre réellement et aider en attendant. Le Prince de la Moskowa serait déplorable aux affaires étrangères. Esprit sans suite, sans jugement, sans tact, sans prévoyance ne se doutant pas de la portée de ses actions et de ses paroles. Et cela avec un besoin de mouvement et une certaine faconde qui le jetteraient dans toutes sortes d'aventures. Je ne connais personne de plus propre, là, où amener la guerre. Non qu’il la voulût ; mais il serait chaque jour, à la veille de crier une de ces situations qui l'amènent. Ne vous étonnez pas, s’il arrive quelquefois que mes lettres soient en retard d'un jour. Par je ne sais quel arrangement que je ne comprends pas, la malle de Cherbourg à Paris passe à Lisieux, depuis deux jours, une heure plutôt qu’elle ne ferait. En sorte que le facteur qui emporte d’ici mes lettres pourra bien quelques fois n'être pas arrivé à Lisieux à temps pour le passage de la malle. C’est un ennui dont le directeur de la poste de Lisieux m'avertit en me disant qu’il fera de son mieux pour y porter remède. Adieu, adieu, adieu.
Onze heures
Voilà votre lettre. J'espère que celle-ci ne sera pas en retard. Adieu. Adieu. G.