Val Richer, Samedi 5 oct. 1850
Votre trouble me désole. Je vous assure qu'il est excessif. Que peut dire cette femme ? Des choses désagréables ; rien de plus car il n’y a rien. En mettant donc les choses au pis, ce pourrait être un grand ennui, un vif déplaisir ; mais voilà tout. Je sais trop que des paroles ne remettent pas des nerfs ébranlés, pourtant vous avez l'esprit si juste et si ferme, quand vous oubliez vos nerfs, que ce qui est, ce qui est réellement ne peut pas ne pas finir par vous frapper et par vous calmer. Il n’y a vraiment pas, dans ceci de quoi être agitée comme je vous vois. J’ai bien quelque droit de vous le dire, car j'y suis intéressé aussi. Voyez la chose comme elle est dans sa juste mesure. elle ne vous empêchera plus de dormir. D'ailleurs j'ai la confiance qu'on réussira à prévenir le désagrément. Il importe peu qu’on fasse exactement ce que j'ai indiqué. Vos conseillers sont très intelligents ; ils trouveront ce qu’il y a de mieux à faire. Et plus j'y pense, plus je me persuade que cette femme ne veut, après tout, que ce qu’elle demande et qu’elle serait bien fâchée d’être refusée. C’est un acte de mendicité infâme. J’espère que vous m’apprendrez bientôt que tout est réglé et que vous êtes plus calme. Moi aussi, cela m'a empêché de dormir cette nuit, pour vous.
Je ne lis pas l'Opinion publique, mais j'ai vu dans l'Estafette la citation dont vous parle M. Molé. Je me suis bien rappelé le passage. Je crois qu'il est dans un de mes cours. J’y ai traité plusieurs fois cette question-là. Je reçois une lettre curieuse de M. Moulin. Plus curieuse que d'autres parce que ce qu'il me dit est en contradiction avec ce qu’on me dit d'ailleurs et avec ce que j'observe moi-même ici. " La lassitude et l'impatience du pays, me dit-il, sont extrêmes. Il veut en finir à tout prix. Il acceptera, il sollicitera, il exigera un mauvais expédient si on ne lui fait pas entrevoir comme prochaine une grande et définitive solution. Dans nos départements du centre, le socialisme a conservé presque toutes ses forces ; ce qu’il paraît en avoir perdu se retrouverait dans une crise d’élections générales. La loi électorale ne lui ferait obstacle que sous cette condition, difficile à réaliser, que toutes les fractions du parti modéré, Napoléoniens, Orléanistes, Légitimistes, Clergé, Républicains paisibles, s’il en est encore, seraient, comme aux élections du 13 mai 1849, parfaitement unies, et disciplinées.
Si l’on convoque jamais une Constituante, chaque parti arborant son drapeau, l'accord ne sera plus possible et le socialisme aura beau jeu. Aussi, dans nos départements, le parti modéré n’a qu’un vœu, qu’un cri. Pas de Constituante ! Plus d’élections par le suffrage universel, ou quasi-universel ! Que l’Assemblée législative en finisse comme elle voudra le mieux qu’elle pourra avec le président, ou le général Changarnier, ou tout autre, par la Monarchie, ou, si la Monarchie n’est pas encore possible, pas la république autrement constituée ! Voilà ce que j’entends dire, répéter depuis bientôt deux mois par nos anciens amis. Ce n’est pas seulement un désir véhément, c'est une idée fixe. Je n'ai pas été peu surpris de trouver cette disposition tout aussi vive, tout aussi manquée dans les légitimistes malgré leurs journaux et le mot d’ordre de leurs chefs, que dans les anciens conservateurs. Quant au Président il a sensiblement perdu dans les masses ; il gagne faute d'autres, dans la bourgeoisie propriétaire et il a conquis jusqu'à nouveau changement, la plus grande partie du monde officiel. Le pays que j'habite n’est pas si pressé, et verrait le mauvais oeil quiconque prendrait l’initiative d’une seconde nouvelle.
Montebello est-il à Paris ? Ou savez-vous quand il y revient ? Adieu, Adieu.
Je n’ai pas encore ouvert mes journaux. Je suis bien plus préoccupé de votre agitation que de celle de la Hesse. Je persiste à ne pas croire à la guerre. Adieu. G.