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Il y a longtemps que je n’ai tracé de réflexions ou de notes politiques. La loi de la Presse a été rejettée à la Chambre des Pairs. Les deux extrêmes se sont donné la main. Il ne me paroit pas que cela ait produit une crise.
La discussion de la loi du recrutement a été bien violente - On a rappellé M. Bignon [= Louis Pierre Edouard B., diplomate, dép. libéral Eure, adversaire de la loi contre les régicides de 1816, 1771-1841] entre autres, les étranges promotions de 1814 où le droit d’ancienneté porté à l’extrême ou a l’absurde avoit réveillé officiers généraux ceux qui s’étoient endormis capitaines. Il est certain que le roi se vétissant d’un uniforme pour bien faire (et il a bien fait) chacun a pris les épaulettes de son âge, bien plus que de son grade.
M. de Salabery [= Charles-Marie d’Irumberry de Salaberry, dép. ultra Loir-et-Cher, 1766-1847] invoquant Jupiter tonnant a dit qu’on vouloit séparer les soldats de Diesbach [= François-Philippe de D.-Steinburgg, 1682-1764, achète ce régiment en 1721] et ceux de Bayard. Il a oublié que la bataille avait été donnée à Marignan contre les Suisses ; et que Diesbach avait seulement emmené chez eux quelques-uns des Suisses les plus mécontents du défaut de paye. M. de Salabery s’est plaint de l’esprit des dernières réformes. Je me plains un (peu) de l’esprit dans lequel on les vante. Toutes ne sont pas fondées sur le défaut de mérite des individus mais il [illisible] aux regards d’une ligne d’opinion, comme [si] tous les officiers à demie solde étaient des factieux à l’égard d’une autre ligne.
M. de Causans [= Jacques de Vincens de Mauléon de C., dép. ultra Vaucluse, souhaite le retour au recrutement d’AR, 1751-1824] a parlé de l’assemblée consti(tuante), de la mort de Louis 16, de la conspiration menaçante. Voilà donc l’expérience dans certaines têtes. Certaines [cause] obstruent les [canaux] par lesquels elles passent. L’ordonnance du 5 septembre [1816 : fin de la Chambre introuvable] a été rappelée et inculpée. Camille Jordan [= dép. constitutionnel Ain, 1771-1821] a noblement répondu à M. de Salabery. Personne n’a répondu à M. de Causans. Il radote. Mais on se rappelle que toutes les insurrections commencent par le faîte. Nos Messieurs sont bien près de s’écrier : l’insurrection est le plus saint des devoirs.
M. de Vogüe [il ne peut s’agir que d’un descendant du comte de V. - branche cadette issue du comte Florimond Anicet Innocent de V. né en 1734 et mort en 1777 dont Louis-François, dép. Gard, 1769-1839 et son frère le « baron » Eugène Jacques, dép. Ardèche, 1777-1863] n’a pas craint de citer l’émigration comme recrutée sans conscription ! Il a cité la Vendée. Un élan passionné !
M. de Bonald [Louis Gabriel Ambroise de B., dép. Aveyron, 1754-1840] a esté plus imprudent non pour avoir parlé du [père éternel ?] mais pour avoir enseigné que nous étions républicains, que notre armée
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étoit républicaine au tems de nos triomphes, même sous l’usurpateur. Quand ces gens-là ont des lueurs d’éloquence, c’est comme les lueurs des torches [des f ?]. Mais l’opinion ne suit pas tout cela. Les bals ont fait plus de bien depuis deux mois que tout ce qu’on auroit pu inventer.
Je crains que les libéraux exagérés ne répandent des expressions dont les conséquences iroient bien au-delà de leur pensée. Ces mots de budget d’hommes, d’impôts d’hommes, ont été employés par eux. Ces excès de philosophie est bien dangereux. M. de Caumartin [sic pour Jacques-Etienne C., député libéral Côte d’Or, 1769-1825] a été jusqu’à élever cette difficulté que la Charte avait été donnée et non consentie. Voilà de vieux arguments, de vieux sophismes. M. Laîné [= Joseph-Henri-Joachim L., min. Intérieur, loi électorale du 5 fév. 1817, 1767-1835] a noblement répondu [non trouvé]. Et M. de Caumartin n’est point éloquent.
Il y a de bien beaux talents dans le ministère. MM. (Caze) [= Elie Decazes, min. Intérieur, 1780-1860] et Pasquier [= Etienne-Denis P., min. justice, 1767-1862], au sujet de la liberté de la Presse, ont été bien puissants à la Chambre des Pairs. M. de Caze me semble avoir écrasé sur place M. de Chateaub[riand] qui reprochait qu’on mit de la Poésie dans les affaires.
M. Camille Jordan a été bien beau contre M. de Salabery et le joug de liberté qu’on voudrait nous imposer. Il lui a semblé que comme au repas de Balthasar une main invisible tracerait notre porte sur la muraille [Daniel 5, « tes jours sont comptés »], si l’on refusoit de voter une armée nécessaire. Il a très bien repoussé ce ridicule système qui se figure tout le ministère marchant, le Roi à la tête, contre la légitimité. En un mot je ne sais si la loi de recrutement est bonne mais on l’a attaquée par des moyens bien dangereux.
Au vrai, je pense que le vote annuel n’est pas admissible car c’est un état d’être militaire. Il faut bien que ce soit un état. Ici trop d’abstraction dans les plans entraînerait au moment trop de positif dans les résultats. Je suis assez indifférente sur les détails, le principe du recrutement forcé, voilà l’essentiel du projet. Le reste cédera toujours (004r) aux circonstances. B.[ona]p.[arte] passoit son tems à désorganiser et réorganiser les corps ; et c’étoit un grand avantage pour l’armée qu’il commandoit que son général fut souverain.
La discussion a rompu tout espoir de conciliation entre les ultra et les ministériels. Je n’en suis pas fâchée. Les ultra ne sont rien et ne peuvent rien que gâter ce qu’ils touchent. La loi des élections est maint(enant) plus que consolidée. Mais je dirai aux ultra libéraux de prendre garde que les ramifications des institutions dans les moeurs sont ce qu’il y a de plus difficile. En France, on a trop d’esprit pour y arriver avec pédanterie, et même en Espagne la Constitution n’a cédé si aisément que parce qu’elle était un [rezeau] extérieur, en filigrane trop délié.
Le Roi s’est expliqué avec M. d’Ambrugeac [= sans doute Louis-Alexandre-Marie Valon de Boucheron d’A., dép. ultra Corrèze, rapporteur du projet de loi sur le recrutement, 1771-1844], que certains du pavillon Marsan appellent un homme tourné. Le Roi lui a dit : l’an dernier vous avez attaqué mes amis, les prenant pour mes ennemis, cela m’a fait de la peine.
L’opinion imprimée de M. de Fitz-James [= sans doute Édouard de F-J, PdF, ultra, 1776-1838] est folle mais elle contient des traits. Si elle est de lui je me reproche de ne l’avoir assez [appretié] quand je l’ai vu.