Transcription Transcription des fichiers de la notice - Les Femmes dans l'histoire du CNRS Comité pour l'histoire du CNRS 2004-03 chargé d'édition/chercheur Mission pour la place des femmes au CNRS Valérie Burgos, Comité pour l'histoire du CNRS & Projet EMAN (UMR Thalim, CNRS-Sorbonne Nouvelle-ENS) PARIS
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2004-03 Fiche : Comité pour l'histoire du CNRS ; projet EMAN Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR).
L'ensemble de la publication sera bientôt disponible dans la bibliothèque numérique<br /> <br /> Avec les contributions de <br /> Bernard Larrouturou<br /> Girolamo Ramunni<br /> Ilana Löwy<br /> Martine Sonnet<br /> Jean-François Picard<br /> Emmanuelle Cospen-Gharibian<br /> Geneviève Faye<br /> Ilse Costas<br /> Londa Schiebinger<br /> Margaret Rossiter<br /> Catherine Nave<br /> Français L'ensemble de la publication sera bientôt disponible dans la bibliothèque numérique<br /> <br /> Avec les contributions de <br /> Bernard Larrouturou<br /> Girolamo Ramunni<br /> Ilana Löwy<br /> Martine Sonnet<br /> Jean-François Picard<br /> Emmanuelle Cospen-Gharibian<br /> Geneviève Faye<br /> Ilse Costas<br /> Londa Schiebinger<br /> Margaret Rossiter<br /> Catherine Nave<br />

Quel rôle les femmes scientifiques ont-elles pu tenir au sein du CNRS depuis octobre 1939, juste après le déclenchement de la guerre en Europe ? Il faut se rendre à l'évidence, l'histoire des sciences en général et celle du CNRS en particulier sont écrites au masculin ! Dans le but de valoriser la place des femmes dans les sciences, la Mission pour la place des femmes au CNRS a souhaité interroger les historiens et les historiennes. Des questions surgissent : les femmes étaient- elles nombreuses, le sont-elles davantage à notre époque et si leur nombre s'est accru, à quoi cela tient-il ? Dans quelles disciplines sont-elles plus nombreuses et pourquoi ? Exercent-elles des fonctions de responsabilité ? Peut-on comparer la situation de la France avec celle de ses voisins européens ou celle des États-Unis ? Il est temps, 65 ans plus tard, de faire le bilan...

uel role les femmes scientifiques ont-elles

pu tenir au sein du CNRS depuis octobre

1939, juste aprés le déclenchement de laguerre en Europe ?

Il faut se rendre a l'évidence, l'histoire dessciences en général et celle du CNRS enparticulier sont écrites au masculin !

Dans le but de valoriser la place des femmesdans les sciences, la Mission pour la placedes femmes au CNRS a souhaité interroger leshistoriens et les historiennes.

Des questions surgissent : les femmes étaient-elles nombreuses, le sont-elles davantage a notreépoque et si leur nombre s'est accru, 4 quoi celatient-il ? Dans quelles disciplines sont-elles plusnombreuses et pourquoi ? Exercent-elles desfonctions de responsabilité ? Peut-on comparer lasituation de la France avec celle de ses voisinseuropéens ou celle des Etats-Unis ? Il est temps,65 ans plus tard, de faire le bilan...

MISSION POUR LA PLACE DES FEMMES AU CNRS

COMITE POUR L'HISTOIRE DU CNRS

CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE3, RUE MICHEL-ANGE 75794 PARIS CEDEX 16 * TEL 01 44 96 40 00» TELECOPIE 01 44 96 53 90

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MISSION POUR LA PLACE DES FEMMES AU CNRS

COMITE POUR LHISTOIRE DU CNRS

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duCNRS

Oe CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Les femmes dans Vhistoire du CNRS

© CNRS photothéque C. Lebedinsky

es la premiére heure de la parité en

politique, le CNRS s’était donné une

priorité : promouvoir la place desfemmes dans les sciences. L’étude qui seconcrétise a travers le présent ouvrage avait deslors été inscrite au plan d’action de la Missionpour la place des femmes au CNRS.

ll était temps de faire un bilan et d’interroger les historiennes et leshistoriens sur le rdle que les femmes scientifiques ont tenu au seindu CNRS, depuis sa création en 1939. C’est donc tout naturellementau Comité pour I’histoire du CNRS que cette étude a été confiée. Parle biais de chiffres et de statistiques, une premiére tentative deréflexion et d’analyse a été lancée sur ce theme. Le peu de visibilitédes femmes dans les instances décisionnelles du CNRS, refletdéformé de leur réelle présence au sein de notre établissement, et‘apparition des femmes dans des domaines jusque-la plus ou moinsreservés aux hommes, s’averent étre les points cruciaux relevés danscet ouvrage.

Les causes, tres diverses, de ce que l’on peut bien appeler unecertaine injustice sont analysées ici avec rigueur. Sous des anglesdifférents, que ce soit par le biais des gender’s studies, par la Socio-logie, OU grace a une mise en perspective historique, cesapproches tentent d’expliquer comment les femmes s’adaptent a unmonde qui n’avait, a l’origine, pas été con¢u pour elles. La juxtapo-sition d’autres points de vue, comme l'histoire des minorités, apermis une nouvelle appréhension du sujet.

Le 6 mars 2003, Claudie Haigneré, ministre déléguée a la Rechercheet aux Nouvelles Technologies, Nicole Ameline, ministre déléguée ala Parité et a l’Egalité professionnelle et Genevidve Berger, directricegénérale du CNRS, se sont engagées pour améliorer la place desfemmes dans les sciences, en signant, au siege du CNRS, unaccord-cadre de coopération. Dés ma prise de fonction a la directiondu CNRS, j'ai pris connaissance des termes de cet accord, dont j’aiintention de promouvoir les principes et de poursuivre les stratégiesd'action. Le principe d'égalité des femmes et des hommes dans lesrecrutements et dans les carriéres scientifiques répond a uneexigence démocratique, et je suis convaincu qu’il constitue unfacteur clé du développement du CNRS, qui trouvera son accom-plissement dans le savoir partagé des femmes et des hommes qui ytravaillent. Cet ouvrage en est déja une démonstration.

Je tiens a remercier le Comité pour I’histoire du CNRS ainsi quel'ensemble des auteures et auteurs de cet ouvrage pour la qualité deleur travail. C’est une excellente contribution a la valorisation de laplace des femmes dans les sciences.

Bernard LarrouturouDirecteur général du CNRS

—_

Women in the History of the CNRS

s soon as the goal of gender parity wasmandated for French politics andgovernment the CNRS set its own

: priority of expanding the role of women in the. i sciences. The present work reveals the results of astudy whose findings were promptly incorporatedinto the CNRS action plan for its Mission to Promote the Role of Women.

© CNRS photothéque C. Lebedinsky

The time was ripe for taking stock of the role of women in the CNRSand for consulting historians on the subject of women in the CNRSsince its founding in 1939. The Committee for the History of theCNRS was naturally entrusted with the task of such a study, whichdraws on the available statistics and other data to establish ananalytic starting point for reflections on this theme. Two fundamentalpoints emerge from this analysis: the paucity of women at thedecision-making level of the CNRS masks the strong presence ofwomen in its laboratories; and women are appearing in scientificfields once thought to be the reserve of male scientists.

This study also takes a rigorous and detailed look at the diversecauses of the inarguably unjust situation of women in science.Treating the subject from several standpoints — gender studies,sociology, historical perspective — it endeavours to explain how womenhave adapted to a world which was not originally constructed withtheir participation in mind. By drawing parallels with similarquestions, such as the history of ethnic minorities, the study shedsnew light on the subject of the role of women in science.

On March 6, 2003, the Minister of Research and New TechnologiesClaudie Haigneré, the Minister for Gender Parity and Equal JobOpportunity Nicole Ameline, and the Director General of the CNRSGenevieve Berger signed a framework agreement committing themto cooperate to improve the role of women in science. At the moment| took up duties at the head of the CNRS | made a point of becomingfamiliar with this agreement, and | intend fully to promote itsobjectives and to place them at the center of plans for strategicaction. The principle of equality between men and women forscientific recruiting and in scientific careers is a democraticimperative, and moreover | am convinced that it constitutes a keyfactor in the development of the CNRS. The present work embodiesthe CNRS ideal of men and women sharing knowledge.

A special word of gratitude is due to the Committee for the History ofthe CNRS as well as to the authors of this excellent study for thequality of their labors. The result is an admirable contribution to theadvancement of women in science.

Bernard LarrouturouDirector General of the CNRS

= (2 id

SOMMMAaALTe

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Editorialpar Bernard Larrouturou

Avant-propos : Les femmes en questionspar Girolamo Ramunni

Pourquoi si lentement ?Les obstacles a l'égalité des sexes dans la recherche scientifiquepar Ilana Lowy

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?par Martine Sonnet

Les femmes dans les Laboratoires de biologiepar Jean-Francois Picard

Les historiennes au CNRSpar Emmanuelle Cospen-Gharibian et Geneviéve Faye

Femmes universitaires en Allemagnepar Ilse Costas et Londa Schiebinger

Comparaisons américaines.De la ségrégation a la “libération”. Et apres ?par Margaret Rossiter

Femmes et responsabilités au CNRS : réflexions surdes récits de parcours “improbables”par Catherine Nave

es femmesen questions

ome Womenin Science

Girolamo Ramunni

oT

Pourquoi un orga-nisme de recherche commele CNRS s’interroge-t-il surla place des femmes dansson histoire ? La réponse,

© CNRS - V. Durand

LC STeOE DCM ateruate eval

Why would a publicresearch organisation likethe CNRS take a searchinglook at the role of women in

est docteur en scien-ces a l'université deRome et docteur en

en apparence, pourraitsembler tautologique, maisen réalité, cest un sujetbien plus vaste qui est pro-posé ici et qui concerne laplace des femmes dans nossociétés. En d’autres ter-mes, cest une maniére derépondre 4 une demandeémanant de la société. Lessciences sociales sont ainsiappelées & mener leursinvestigations, a4 collaborer

philosophie a l’uni-versité de Paris I. Il est actuellementprofesseur Whistoire des sciences et destechniques 4 l’université Lumiére -Lyon II et rédacteur en chef de LaRevue pourlhistoire du CNRS.

Girolamo Ramunni has a PhD in science

from the University of Rome and one inphilosophy from the University of Paris |.He is currently professor of the history ofscience and technology at the University

of Lyons II as well as editor-in-chief of

its own history? The answermay seem too simple, butthe investigation by theCNRS into its own history isnothing more or less than itsversion of a vast research bycontemporary society intothe place and role of women.In other words, it is as aresponse to social demandthat social scientists work

entre elles pour compren-dre comment on en estarrivé a cette situation. En bref, uneenquéte multidisciplinaire qui projetteraitune analyse de la situation actuelle surune histoire dont les périodes peuvent étrevariables, s’'avére nécessaire, prolongeantainsi son questionnement tout en compa-rant les sociétés, ce qui permettrait enméme temps de proposer une réflexionphilosophique sur le sujet. Si cet ouvrageest essentiellement consacré a la situationdes femmes au sein du CNRS, il ne fautpas non plus oublier que ce sujet ne selimite pas a la période contemporainemais que, depuis des siécles et certainementdepuis la révolution scientifique, il a

La Revue pour I’histoire du CNRS.

together to elaborate amultidisciplinarygation of the part played by women inthe development of modern science. Infact, any analysis of the contemporarystate of affairs must begin historically,extending its questions back intothe past, comparing societies, anddeveloping a philosophical reflection onthe subject. If the present work is for themost part dedicated to women in theCNRS, it must be underlined that sucha role is not only a contemporaryphenomenon but takes its roots severalcenturies ago and certainly since thescientific revolution.

investi-

toujours existé.

Avant-propos

Au début de la science moderne

“Je veux nous venger, toutestant que nous sommes, de cette indigneclasse ou nous rangent les hommes,de borner nos talents a des futilitéset nous fermer la porte aux sublimesclartés” déclare fermement Philamintedans Les Femmes savantes (11 mars1672). Son programme : prouver “quede science aussi les femmes sontmeublées ; qu’on peut faire comme euxdes doctes assemblées...” A Yironie deMoliére, qui met en scéne les débatssavants de ces femmes désireusesde créer leurs propres cercles a 1|’imi-tation de ceux des hommes, répondFontenelle dans ses Entretiens sur lapluralité des mondes (1686). Le futursecrétaire perpétuel de Académie dessciences de Paris décrit par quelsarguments il a réussi a attirer la mar-quise de G. dans “le party de la philo-sophie” pour en faire la messagéred’une conception inédite du monde etd’une nouvelle sagesse. “Sur tout sielle pouvoit avoir dans sa conversationles mémes agremens, je suis persuadéque tout le monde courroit auprés dela sagesse.”

Isaac Newton n’a pas encorefait paraitre son Philosophiae natu-ralis principia mathematica (1687) quedéja, la question de la place des fem-mes dans la science est posée. Moliéreet Fontenelle exposent deux points devue, deux maniéres de voir la place dela femme pendant la période que nous

When modern science began

“| want to take revenge for all ofus, just as we are, closeted away bymen, constraining our talents to uselessoccupations, shut away from the sublimerealms of the mind.” So Philamente declaresher programme in Les Femmes savantes(11 March 1672). She sets out to prove that“women have science in them as well asmen; we, like them, can produce learnedassemblies...” In response to Moliére’s ironyin thus arranging scenes of learned debateamong women who seek to imitate maleproceedings, Fontenelle (in his Entretiens1686)

describes how he drew the Marquise de G.

sur la pluralité des mondes —

into a life of philosophy. The future PerpetualSecretary of the Academy of Sciences ofParis saw his student as the messenger of anew conception of the world and a newwisdom. “/f she could demonstrate the samerefinement in her conversation, | amconvinced that all the world would be

running after wisdom”.

Isaac Newton had yet to publish hisPhilosophiae naturalis principia mathematica(1687) and already the question of the role ofwomen in science had been posted. Moliéreand Fontenelle depict two points of view ortwo ways of seeing women’s place in theperiod we have since come to call the

scientific revolution. Women are by no

Avant-propos

appelons aujourd’hui la révolutionscientifique. Les femmes ne sont pasdu tout absentes de Vhistoire dessciences. Sans prétendre vouloir don-ner une liste exhaustive, il suffit derappeler simplement que Descartess’entretenait avec Christine, reinede Suéde, qu’Emilie de Breteuil,marquise du Chatelet, traduisaitNewton ou que Mme Lepaute collabo-rait avec Clairaut pour effectuerdes calculs, premier exemple de cesfemmes “calculatrices” dans les labo-ratoires scientifiques, bien avantVinformatique. On peut rappeler lessalons du XVIII¢ siécle ou la présenced’une dame, la fée électricité, repré-sentée dans toutes les gravures delépoque, symbolisait les expériencesdélectrostatique, amusement dessalons et objet d’interminables discus-sions sur la nature de lélectricité.On connait aussi Marie-GaétaneAgnesi nommée professeur de mathé-matiques a l’université de Bolognepar le pape Benoit XIV au milieu duXVIII siécle.

La place des femmes, qui sont,certes, présentes dés le XVII® siécledans l’histoire des sciences, a-t-ellecependant évolué au fil du temps ?Francois le Lionnais a confié aMarie-Louise Dubreil-Jacotin, deluniversité de Poitiers, un chapitreconsacré aux “Figures de mathémati-ciennes” in Les Grands Courants de la

pensée mathématique, paru en 1948,

means absent from the history of science; arapid non-exhaustive recollection of thishistory could not fail to point out Descartesdiscussing with Christine, the Queen ofSweden, or Emilie de Breteuil, the Marquisedu Chatelet, translating Newton, or Mme.Lepaute working with Clairaut on calculations(an early example of “calculating” women inscientific laboratories). Mention could bemade as well of a particular femininepresence in all the salons of the 18" century:the fairy of electricity symbolising theimmensely popular and widely discussedexperiments in electrostatics. And even arapid tour is not complete without mentionof Marie-Gaétane Agnesi, named by PopeBenoit XIV professor of Mathematics at theUniversity of Bologna in the middle of the

XVIII century.

lf women clearly enjoyed somevisibility in science as early as the 17"century, how then has their role developedover time? Francois le Lionnais invited Marie-Louise Dubreil-Jacotin of the university ofPoitiers to contribute a chapter to his“Principal Developments in MathematicalThought” (published in 1948 as part of thecollection “The Scientific Humanism ofTomorrow”), a chapter devoted to “WomenMathematicians”. This contribution, and thefact of it having been solicited, can be taken

as a response to the conclusions reached

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Avant-propos

dans la collection “LHumanismescientifique de demain”. On peutinterpréter cette contribution commeune réaction a la conclusion qui sem-ble se dégager des Etudes sur les fem-mes de science et sur les mathémati-ciennes (1927) de Maurice d’Ocagne,ingénieur des Ponts et Chaussées,figure-clé dans le systeéme de forma-tion des grandes écoles parisiennes deVentre-deux-guerres. Celui-ci paraitdonner, en guise de conclusion a sonenquéte historique, l’idée que la femmeserait “généralement dépourvue d’espritinventif et de génie créateur”. S’agit-ild’une opinion personnelle ou bien d’unjugement généralement admis dans lemilieu des ingénieurs des grands corpsde YEtat ? Difficile de répondre auregard de la situation actuelle desrecherches historiques dans ce domaine.Pour Marie-Louise Dubreil-Jacotin, uneconclusion s’impose : “Le dévelop-pement de lVenseignement féminin, lebouleversement des préjugés, les modi-fications profondes du genre de vie etdu role assigné a la femme dansces derniéres années entraineront sansdoute une révision de la place tenuepar elle dans la science. On verra alorsdans quelle mesure elle pourra, aVégal de Vvhomme, sortir du réle d’excel-lente éléve ou de collaboratrice parfaite,et rejoindre ceux de nos savants...” LeCNRS a-t-il réussi depuis la fin de laguerre a réaliser ce voeu de parité ?

in A Study of Women in Science andWomen Mathematicians (1927) by Mauriced’Ocagne (engineer in the elite Ponts etChaussées corps of the French State andprominent figure in the development of theParisian grandes écoles between the twowars) who writes at the end of his study that“women in general are devoid of an inventivemind and uninhabited by a creative muse”.Was this strictly a personal opinion or was ita generally held notion in engineering circlesamong the elite State grands corps? Thecurrent progress in historical researchof the period does not yet allow an answer.For Marie-Louise Dubreil-Jacotin, one

conclusion is inevitable: “The growth of

female schooling, the combat againstprejudice and preconceptions, the profoundchanges in ways of life, and the role assignedto women in recent years all will undoubtedlybring about a rethinking of the place ofwomen in science. Time will tell to whatextent women escape the role of excellentstudent and impeachable assistant to join —as men’s equal — the ranks of the learned.Has the CNRS succeeded since the end of

WW II in making this vision a reality?

A general assessment

Martine Sonnet has studied thehistory of the CNRS from its origins in 1939.

This history reveals a female presence among

Avant-propos

Un bilan d’ensemble

Martine Sonnet parcourt l’his-toire du CNRS depuis 1939. On ydécouvre ainsi que, dés son origine,la présence des chercheuses, mémesi elle est minoritaire, n’est pas négli-geable. Des femmes nées au XIX®siécle étaient présentes a la naissancede cette institution. Il n’y a apparem-ment pas d’ostracisme, mais des dif-ficultés pour étre présentes en masseet de maniére paritaire. MartineSonnet brosse le profil type de cesfemmes engagées dans les travaux derecherche : elles sont essentiellementcélibataires, condition qui était,comme en Allemagne 4a partir de1848, une des conditions nécessairespour sengager dans ce type de car-riére. Ne peut-on pas faire un paral-léle avec le célibat des professeurs deCambridge et d’Oxford, célibat fustigéet pris pour cible par les eugénistesbritanniques ? On voit immédiatementla nécessité de mener une enquéteapprofondie et comparée, au moinsentre pays européens.

En ce qui concerne le CNRS, ilest clair que son organisation pourraitexpliquer la diversité des situationsévoquées ici. Les professeurs, quidirigent toute leur vie le laboratoirequils ont souvent créé, sont, par leurattitude, a Vorigine des différencesconcernant la présence des femmesdans leur groupe de recherche. Deméme, comme lindique lenquéte

researchers which although that of a minorityis not negligible. Women born in the 19"century were present at the birth of theCNRS, but if they were not subject toostracism they clearly suffered from being sofew. Martine Sonnet paints a typical profileof women at that time who were dedicated toscientific research. They were for the mostpart single, a condition which, as in Germanystarting from 1948, was a pre-requisite forwomen bent on this career. It is tempting todraw a parallel between this requirement andthe celibacy of professors at Cambridge andOxford, which drew such ire from Britisheugenists. In any case, one immediateconclusion is the need for much closer andcomparative study, at least among European

countries.

As for the CNRS, its diverse forms oforganisation explain in large part thediversity in the situations women face. Whenprofessors are lifelong heads of laboratoriesthat they themselves founded, their differentattitudes alone can account for differencesin the presence or not of women on theirresearch teams. By the same token, no realhuman resource policy can be discerned, aswas pointed out already by the survey carriedout in 1967 of researchers in the naturalsciences by the DGRST. The facts revealedby this study are similar to those discovered

by other surveys in other countries. Some

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Avant-propos

relative aux chercheurs en sciencesexactes et naturelles, publiée en 1967 etcommandée par la Délégation Généralea la Recherche Scientifique et Technique(DGRST), il n’existe pas de réelle poli-tique de ressources humaines. Les cons-tantes qui se dégagent de cette étudepeuvent se retrouver dans des enquétessimilaires menées dans d’autres pays.Certaines disciplines sembleraient plusféminisées que d’autres et les obstaclespour faire carriére se révéleraient dif-férents en fonction de la filiére choisie.Un changement se serait amorcé auxalentours des années 1970 lorsqu’on acommencé 4 distinguer chercheurs etchercheuses et a briser le pouvoirdu “neutre”.

Pourtant, si l’on regarde lespourcentages, au-dela des fluctuationsinsignifiantes, la proportion resteétonnamment constante. Faut-il yvoir une conséquence de la pyramidedes Ages ou bien le résultat de causesstructurelles de la société francaisequi expliquerait le faible nombre decandidates aux concours d’entrée, ouencore des contraintes propres aVinstitution ? Lenquéte mérite d’étreaffinée. Il existe probablement unphénoméne d’inertie qui se fait sentira tous les niveaux de la carriére. Siles chercheuses sont en nombreinférieur par rapport aux chercheurs,doit-on s’étonner de trouver cetteméme différence dans la compositiondu Comité national, dans les distinc-

disciplines are more open to women thanothers and the obstacles to female scientificcareers differ according to the track chosen.A change can nonetheless be observedin the 1970’s when a

between

taking placedistinction chercheurs andchercheuses began to be made, and the

myth of the neuter scientist began to fade.

That being said, the percentage of

women scientists remained remarkablyconstant. Should this be interpreted as aconsequence of the age pyramid, or ratheras the result of structural elements inFrench society affecting the number offemale candidates for competitive entryexamination, or rather still as stemmingfrom institutional constraints? The questionis worthy of further research. There is likelya kind of institutional inertia which makesthe gender discrepancy felt at all levels. Ifit thenfewer still rise toCNRS _ National

Committee, to positions of leadership, and

fewer scientists are women, issurprising when

membership on the

to scientific honors? A survey by CatherineNave of women in positions of responsibility,of women, that is, who have cleared all thebarriers, opens the way to a possible answerby making clear a few key points of analysis:the articulation between professional andnon-professional life, since research takesup so much of one’s time; the recognition of

scientific talent within the institution; and

Avant-propos

tions, comme dans les postes 4 respon-sabilités ? Catherine Nave apporteun début de réponse aprés avoir inter-rogé des femmes ayant exercé desresponsabilités, c’est-a-dire ayant franchitous les obstacles. Elle met en évidencedes points clés qui sont : l’articulationentre sphéres professionnelles et nonprofessionnelles, car la rechercheprend beaucoup de temps ; la recon-naissance des compétences au sein deVinstitution ; existence de comporte-ments ordinaires de misogynie.

Reste a définir s'il s’agit d’in-dications qui seraient confirmées parune étude distinguant la province dela région parisienne ou en donnantla parole a celles qui ont réussi, maisaussi 4 celles qui n’ont pas réussi.Les questions que pose CatherineNave doivent aussi étre soulevées ausujet de ladministration. Pour unorganisme de recherche, la place deVadministration est capitale. MartineSonnet rappelle l’importante fémini-sation de l’administration du CNRS,avec les éléments d’ambiguité quecela comporte aussi quant auxréelles responsabilités exercées.Létude sur de grandes périodes faitepar Martine Sonnet est trés détaillée,mais demanderait a étre affinée afinde mettre en évidence les différenceset les évolutions dans le temps et parrapport aux facteurs relevant de lasociété en général. Deux questions seposent. Peut-on parler d’une spécifi-

the ineluctable existence of garden-variety

misogyny.

It remains to be determined whetherthe best way to confirm her findings is by adetailed study of one region, say the Parisregion, or by listening at length to womenwho have succeeded as well as those whohave not reached the level to which they haveaspired. The questions Nave raises oughtalso to be raised concerning the CNRS’administration since for a public researchorganisation the administration plays a vitalrole. Sonnet underlines the feminisation ofthe CNRS administration, including a certainambiguity over the real level of responsibilityexercised by the positions concerned. Herstudy which distinguishes the major periodsof the CNRS’ history is finely detailed, butnonetheless calls for further refinements inorder to bring out differences and changesover time and as a function of relevant socialfactors in general. Two questions arise: Isthere a specificity to the CNRS in the contextof French society overall? Is the case of theCNRS uniquely different when compared toother equivalent organisations in other

countries?

Studies of the situation of women inscience are particularly abundant in the US.In her contribution, Margaret Rossiter hasdelivered a rapid overview of the question

since 1939. The period between the two

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Avant-propos

cité du CNRS au sein de la sociétéfrancaise ? La situation au CNRSest-elle différente de celle des autrespays et des organismes étrangerséquivalents ?

Les études sur la situationaux Etats-Unis sont particuliére-ment nombreuses. Margaret Rossiterbrosse, dans sa contribution, unrapide état de la question depuis1939. Lentre-deux-guerres semble,comme on pouvait s’y attendre, unmoment de transition important,avec l’élimination de barriéres qui,jusque-la, semblaient aller de soi.La parité pourtant n’est pas acquiseune fois pour toutes. Elle n’est pasirréversible et les batailles légales, apartir du début des années 1970, sontla pour le prouver : dune part, lanécessité de faire appel aux modes defonctionnement de la société améri-caine et, d’autre part, la difficulté detraduire dans les faits ce qui sembleétre accepté dans les principes.Doit-on considérer la nominationde chercheuses a la téte d’organismesde recherche comme le signe d’untournant, d’un changement irréver-sible ? Lavenir nous le prouverasans doute.

Ilse Costas et Londa Schiebingertracent une histoire rapide de laprésence de femmes dans les insti-tutions de recherche et les uni-versités allemandes. Globalement,elles décrivent une situation qui

Wars, as one might guess, looms importantlyas a transition period during which barriershitherto thought of as natural began todisappear. Gender parity, for all of that, didnot become the rule but rather proves to bereversible and conditional. This can be seenin the legal battles which began in the early1970's;

principle into

the difficulties of translatingpractice clashed withfunctional habits of American society.Should the nomination of women at the headof major research organisations be taken as asign of permanent change? Only the future

will tell.

Ilse Costas and Londa Schiebingertell with broad strokes the story of womenTheydescribe a situation overall where women’s

in German research universities.acquisitions are behind those in othercountries, with women underrepresented in

science.

As of 1848,

requesting entrance to the University in order

women _— beganto study education or receive training asnurses and social workers. Despite slightchange in the right direction subsequently,accentuated by a bright spot during theWeimar Republic, the arrival of the Nazis in

power made things quickly worse again.

in 1970

fueled by the rapid expansion of university

Change only occurred

teaching staff and the creation of new

Avant-propos

est en retrait par rapport a la ten-dance qui semble s’imposer dansd’autres pays, car les femmes sontmoins représentées. Leur expli-cation est intéressante, car leurrecherche est établie sur la longuedurée. A partir de 1848, les femmesont demandé a étre accueillies 4l'Université pour suivre des cours surla pédagogie ou se former pourdevenir infirmiéres ou assistantessociales. Malgré les lentes évolutionset une petite embellie a l'époque de larépublique de Weimar, le pouvoir nazine fait qu'aggraver la situation.

Le réel changement se mani-feste en 1970, facilité par l’expan-sion de postes universitaires et parla création de nouvelles universités.Les auteures posent alors unequestion essentielle sans unchangement de fond, conceptuel, passimple du tout a réaliser, il n’y aurajamais de modification de la placedes femmes a l'Université.

D’ot importance des étudesféministes financées par la DeutscheForschungsgemeinschaft. De fait, lesinstitutions de recherche sont ainsiinterpellées, pour provoquer, par destravaux de recherche, un change-ment dans nos “présupposés” sur lerole et la place des femmes dans larecherche. Changement sur le longterme, mais changement que l’onespére stable.

universities. The authors at this pointlay out a fundamental problem: if there isno change in underlying conceptions — whichis not at all easy to bring about — there willbe no significant shift in the status of womenin German universities. This is why thefeminist studies financed by the DeutscheForschungsgemeinschaft are so important.Research institutions are also being calledupon to undertake research projects likely toprovoke changes in existing presuppositionsconcerning the place of women in science.This type of change is by nature long incoming about, but presumably lasts once

it occurs.Women at the CNRS and scientific disciplines

Picard, in hislook at the

Jean-Francoiscontribution, takes a closepresence of women in the laboratories of thedepartment of life sciences (SDV). Thisdepartment is characterised by a drop in thepresence of women among its researchers.The percentage of women is stable for thecategory of engineers, technical, andadministrative staff (ITA) but has dropped11% for scientific staff. The explanationstypically proffered for this type of decreasedo not hold

phenomenon is recent and goes counter to

in this case since the

the predominant wisdom of the moment. Theauthor relies to a large extent on experiential

insights and reports the viewpoints of women

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Avant-propos

Des disciplines au CNRS

Jean-Francois Picard, quant 4lui, étudie plus précisément la pré-sence des femmes dans les laboratoi-res de biologie. Le département SDV'se caractérise par une baisse de leurprésence. Le pourcentage est stableet élevé pour les ITA’ mais en baissede 11 points pour le corps des cher-cheurs. Comment interpréter cela ?Les raisons que l’on donne habituel-lement ne satisfont que partiellementcar la baisse est récente et irait donc acontre-courant du discours dominant.Lauteur donne une place importanteau vécu et rapporte le point devue des chercheuses. I] est toujoursintéressant de voir comment celles-ciévoquent cette question. On trouve,dans les raisons invoquées, des justi-fications que l’on peut qualifier de“classiques”. Dans ce cas, on fait appelaux causes habituelles généralementadmises et l’on s’en sert pour expliquerce qui se passe dans d’autres discipli-nes ou dans d’autres milieux socio-professionnels, ce qui ne veut pas direpour autant qu’elles n’aient pas uneréelle importance. Globalement, il s’a-git de constater les différences concer-nant la place des femmes dans lasociété en évoquant leurs responsa-bilités dans la famille et les difficultéscréées par une communauté organiséepour faciliter la carriére des hommes.Parfois, des arguments portant sur lanature contrastée de la femme, dans

1. SDV : Sciences de la vie.2. ITA : Ingénieurs, Techniciens et Administratifs.

researchers. It is instructive to see how thelatter respond to this issue. Among theexplanations given are justifications of a sortthat could be called “classical”, wherebyconventional reasons are trotted out andused to explain what is also going on in otherdisciplines and other professions, which isnot to say that they are invalid. The generalidea is that family responsibilities weighmore heavily on women at the same time thatthe scientific community is constructed withmale careers in mind. At times argumentsbased on differences between male andfemale are considered as discriminatory. Onepoint which emerges from this study, andmerits further investigation, is if the drop inwomen researchers in life sciences is not due— as Ethel Moustacchi wonders — to the factthat she and her peers represent a “previousgeneration of researchers”. In this telling,changes in research practice has leveled thespecificities of biological research and madeit more and more like other disciplines, witha consequent effect on the makeup of thescientific corps. It is interesting to note thata similar shift appears to be taking placewithin the ITA staff of mathematics,which likely has something to do withdevelopments in computer science. But hereagain a deeper more detailed look must betaken. In any case it seems that thepercentage of women among ITA workers is

holding steady in the life sciences. At the

Avant-propos

une science dominée par les hommes,sont considérés comme discriminatoires.Un point ressort de cette étude etmériterait une investigation plus fine.Pour expliquer la baisse du pourcen-tage de chercheuses en SDV, EthelMoustacchi se demande si elle et sescollégues ne représentent pas “uneancienne génération de chercheuses”.Il y aurait alors une évolution, unchangement dans la pratique de larecherche qui ferait que les spécificitésde la biologie seraient éliminées et quesa pratique se rapprocherait toujoursplus des autres champs de la recher-che, avec une influence importante surla composition du corps des cher-cheurs. Il est intéressant de noterqu’une évolution analogue se dessineau sein des ITA pour les sciencesmathématiques, ce qui serait proba-blement 4 mettre en relation avec lechangement qui s’est produit en infor-matique — mais encore une fois, il fau-drait faire une étude plus approfondie.Il apparait donc que le nombre des ITAreste stable. On constate aussi qu’enSHS’ augmentation est de 5 points.Doit-on convenir avec EmmanuelleCospen-Gharibian et Geneviéve Fayequ’en ce qui concerne histoire, cecomportement 4 contre-courant seraitla conséquence des caractéres parti-culiers de la recherche en SHS ou, par-fois, la distinction entre chercheuses etITA peut ne pas exister dans la pra-tique de la recherche, a tel point quedes carriéres importantes peuvent étre

3. SHS : Sciences de I’homme et de la société.

same time it is to be noted that femaleITA numbers in the Social Sciences (SHS)are up 5%. One explanation proposed byEmmanuelle Cospen-Gharibian et GenevieveFaye is that this counter-trend stems fromspecific characteristics of SHS research, adepartment where at times any distinctionbetween researcher and ITA disappears inpractice. ITA personnel in SHS can aspire tosignificant careers. The comparison of thesetwo career tracks within the SHS Departmentbrings new meaning to the term “makinga place for oneself” in the scientificcommunity. The kind of fine distinctionswhich historical analysis is forced to makewhen investigating this bundle of phenomenaserves as an intriguing reminder of thedifficulties and even dangers of seeking togeneralise the results of a particular survey,albeit a painstaking one, to cover the wholeof the question of the place of women in

science.

Studies of women in science

Since the study of women in scienceis — as all those writing on the CNRS agree —still in its infancy, the time is right for anexamination of the state of this work, whichis what Ilana Lowy has produced. She rightlyidentifies the academic context of suchresearch as being the field of “women’s

studies” or “gender studies” that arose more

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Avant-propos

faites tout en restant ITA ? Les deuxparcours professionnels qu’elles nousprésentent montrent bien ce que signi-fie, au jour le jour, “se faire une place”dans la communauté scientifique.Un aspect qui reste particuliérementintéressant A étudier est le résultatmis en valeur par la finesse deYanalyse sur les différences au seinméme de histoire, ce qui tend 4 prou-ver la difficulté, et le danger aussi,de vouloir généraliser les résultatsd’une enquéte, méme minutieuse, alensemble de la question sur la placedes femmes dans la recherche.

Les études sur les femmes

Si, comme le reconnaissenttous les auteurs des études concernantle CNRS, on en est aux balbutiementsd’une recherche qui devrait étre déve-loppée, il est indispensable de s’inter-roger sur l’état d’avancement des étu-des portant sur la place des chercheu-ses dans le monde de la recherche.C’est ce que fait Ilana Lowy. Ellerappelle justement que ces études,qui ont été appelées d’abord womenstudies et plus récemment genderstudies, ont commencé depuis aumoins trente ans et qu’aujourd’hui,dans les universités américaines,des cours sont dispensés sur laquestion “Femmes et science”. D’otimportance d’élaborer des instru-ments de travail, comme le volumi-neux dictionnaire biographique qui

than three decades ago, mainly at USuniversities where today students can enrollin courses on “Women in Science”. Growthas an academic subject necessitates thedevelopment of research tools like thevoluminous biographical dictionary coveringthe careers of more than 2,500 women inscience, a vital addition and completion ofthe Dictionary of Scientific Biography. Thirtyyears in the history of women is not easy tosummarise, and Ldéwy limits herself todiscussing the institutional place of womenin science, leaving aside such hot — andhotly debated — topics as whether genderdifference makes for different ways of doing

science.

Results from the surveys aresometimes surprising, and there are noautomatic mechanisms ensuring that genderparity will inevitably come to pass in science,or in society. That men and women sharehousehold tasks, for example, does not leadineluctably to parity in the scientificlaboratory. While Sweden can be cited asproof of this, in Turkey as in a number ofdeveloping nations, women seem to havemore power in science than in daily life. Doobservations such as these justify theconclusion that in societies where thescientific revolution took place a long timeago scientific institutions have arisenwhich adapt only with difficulty to the

inclusion of women? Such a hypothesis finds

1. Charles C. Gillispie, Dictionary of Scientific Biography, C.Scribner’s sons, N.Y., 1970.

The Biographical Dictionary of Women in Science, edited by Marilyn Ogilvie and John Harvey, New York and London, 2000 ; CrossingBoundaries, Building Bridges, edited by Annie Canel, Ruth Oldenziel, Karin Zachmann, Amsterdam, 2000 and also the History of Womenin the Sciences, a collection of articles which first appeared in /sis and published by Sally Gregory, Chicago, 1999.

Avant-propos

retrace la carriére de prés de 2 500femmes de sciences, qui s’avére crucialet qui compléte les biographies déjaparues dans le Dictionary of ScientificBiography’. Il n’est pas aisé de résu-mer plus de trente ans de l’histoire desfemmes. Des études s’appuient surVaxiome qu'il existerait une différenceradicale entre hommes et femmesdans la maniére de conduire le travailde recherche. La science serait-ellemarquée par le genre de ceux qui lapratiquent ? Cet axiome a été, et estencore, vivement contesté et il n’estpas discuté ici par Ilana Léwy quitraite essentiellement des raisonssociales qui expliqueraient la place desfemmes dans linstitution scientifique.

Les résultats des enquétespeuvent sembler étonnants : pas deprésence d’automatismes qui assure-raient la parité dans la société et dansle monde de la recherche. II ne suffitpas, par exemple, qu’il y ait paritédans la vie de tous les jours, commedans les travaux a la maison, pourquil y ait parité dans les emploisscientifiques, comme c’est le cas enSuéde, alors méme qu’en Turquie,comme dans les pays en voie de déve-loppement, on confére une place quisemble plus importante a la femme.Doit-on en conclure que 1a ow la révo-lution scientifique s’est implantéedepuis longtemps les institutions sesont constituées de maniére a rendreplus difficile le travail des femmes ?

confirmation in the important role womenplay in the institutions that Lowy qualifies as“parallel” (ones which allow for another wayof organising the work of scientific research).Following Jonathan Cole and_ HarrietZuckerman, Lowy explains these differencesin terms of social factors. Taking up the oft-commented fact that women publish lessthan men, and setting aside the explanationsbased on women’s social roles, Cole andZuckerman rework the classical explanationoffered by their mentor, Robert Merton, oneof the founders of the sociology of science.This explanation draws on what it sees as theprotestant foundation of modern science,and the accompanying quickness to interpretlack of results or financial gain as failure. Inthis view there exists within modern societiesa kind of fossil radiation of results-mindedness which takes its toll on evenscientific institutions and their supposedinsulation from all but the loftiestintellectual considerations when it comes tothe advancement not just of science but ofscientific careers. Differences in fundingallocations appear as a subtle form ofdiscrimination and confirm what MargaretRossiter calls the “Mathilde” effect, or thefemale version of the “Matthew effect”whereby, in the words of the author of theGospel of Matthew, “to those who have,much will be given” (it has often been

observed that scientists who benefit from

4. Charles C. Gillispie, Dictionary of Scientific Biography, C. Scribner's sons, N.Y., 1970.

The Biographical Dictionary of Women in Science, sous la direction de Marilyn Ogilvie et John Harvey, New York et Londres, 2000 ; CrossingBoundaries, Building Bridges, sous la direction de Annie Canel, Ruth Oldenziel, Karin Zachmann, Amsterdam, 2000 ou bien encore Historyof Women in the Sciences, recueil d’articles déja parus dans /sis et publiés par Sally Gregory, Chicago, 1999.

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Avant-propos

Cela semblerait confirmé par la placeimportante occupée par les femmesdans des institutions quTlana Lowyqualifie de “paralléles” parce qu’ellespermettent une autre organisationdu travail de recherche. CommeJonathan Cole et Harriet Zuckerman,Ilana Léwy explique ces différencespar des facteurs d’ordre social. Aprésavoir constaté que les chercheusespubliaient moins et aprés avoir écartéles causes communément admises liéesau réle que tiennent les femmes au seinde la société, Jonathan Cole et HarrietZuckerman reprennent |’explicationclassique de leur professeur, RobertMerton, l'un des fondateurs de lasociologie de la science : l’origineprotestante de la_ science. Celaexplique la raison invoquée : l’absencede succés professionnel et financiersanctionne plus durement les hommesque les femmes. I] y aurait donc uneexplication sur la longue durée, unelame de fond permanente dans nossociétés, affectant les institutionsscientifiques ou, théoriquement, seulesles qualités intellectuelles devraientjouer dans lévaluation, a l’entrée etpendant tout le déroulement de lacarriére. La différence dans I’octroi descrédits et des ressources sembleraitgénérer des discriminations subtiles etconfirmer cet état de fait selon lequel,comme le dit Margaret Rossiter, “l’effetMathilde serait ce qui a la science engénéral est l’effet Mathieu”. Il estintéressant de constater que dans ce

5. Par effet Mathieu, on indique le constat que les scientifiques qui on

a certain renown garner more grants andcontracts). It is also interesting to notethat in these types of studies referencesare frequent to the conclusions of classicalscience studies on the origin and theorganisation of the scientific endeavor, as ifto confirm indirectly that it is indeed the veryway that research has been organised that is

hindering the drive toward parity.

Ilana Léwy relays Evelyn Fox Keller’scriticism of the common use of genderneutral terms to designate the roles of bothmen and women. For Keller this amounts toan assumption that the values governing allprofessional function are the masculinevalues of aggressiveness, competition andrigid hierarchies. She asks whether the useof the neuter is not yet another way toconform the life of the scientific communityto these values. Do such terms make up partof the prejudice which if unspoken isnonetheless evident in the behavior of manymale scientists? Efforts to explain the placeof women in science without taking intoaccount this career-long accumulation of“handicaps” they face, beginning withscientific training, will be in vain. Anotherquestion arises from these considerations:are there some professions, includingscientific professions, which are so codifiedthat they end up shaping their membersbehavior to fit the norm? There is of course

no overarching answer to this question,

une renommée certaine regoivent plus de subventions et de contrats.

Le nom est emprunté a la conclusion d’une parabole de |’Evangile selon Saint Mathieu ou il est dit que l’on donnera encore a ceux qui ont

déja beaucoup.

Avant-propos

type d’études on se sert de conclusionsd’études classiques sur la science,sur son origine et sur son mode defonctionnement, pour expliquer laplace qu’occupent les chercheusesdans la communauté scientifique,maniére détournée pour affirmerque cest lorganisation méme de larecherche qui produit la non-parité.

Ilana Lowy rapporte l’opiniond’Evelyn Fox Keller qui critique laposition souvent affichée de l’emploi duneutre pour la désignation de lafonction de lun ou l’autre sexe. En réa-lité, cette position ne serait-elle pas lereflet d'une assimilation aux valeursmasculines d’agressivité, de compéti-tivité et de hiérarchie rigides ? N’est-cepas une maniére de vouloir ramener aces valeurs la vie de la cité scientifique ?Peut-on affirmer que cela ferait partiedes préjugés non avoués mais tenacesdans le comportement des chercheurs ?Vouloir expliquer la situation des fem-mes dans la recherche est une tachevaine si l’on ne prend pas en comptecette accumulation d’effets “handi-capants” qui accompagnent la vie d’unejeune fille depuis sa formation. Ce quipose une question complémentaire : yaurait-il des professions, y compris cellede chercheur, qui seraient si norma-lisées qu’elles provoqueraient deschangements dans le comportement ?Une question a laquelle on ne peut pasrépondre de maniére générale, maisuniquement par une analyse attentive

but asking it suggests the importance ofattentive analysis that is sensitive tosociocultural factors existing in a country oreven a particular region. In sum, non-paritybegins in grade school and can be found at

every step up the ladder.

What to do ?

One conclusion emerges clearly fromthese contributions to the study of women inthe CNRS: simply describing the situation inwhich women researchers find themselves

will not suffice. There are steps to be taken.

lf the article on the case of Germanyis correct in taking the long view for a betterunderstanding of the causes of the currentsituation, then the research programmeneeded is one which will bring historians,sociologists, anthropologists as well asphilosophers to work together. In short, therole and place of women in the history of theCNRS _ will

pluridisciplinary effort. Once this is carried

only be written through a

out it will likely be possible to identify theblockages to change. In the same way it willbe useful to trace the apparent inversion ofthe tendency to greater numbers of womenresearchers in the field of biology in order toidentify the factors responsible for putting atrisk a situation assumed to be a safely

acquired inheritance from past struggles.

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Avant-propos

qui puisse aussi laisser la place auxparamétres socioculturels de chaquepays, voire de régions particuliéres.Pour résumer, la non-parité commen-cerait a entrée a l’école et se retrouveraita tous les échelons.

Que faire ?

Les contributions sur les fem-mes dans l’histoire du CNRS montrentde toute évidence que la description dela situation ne suffit pas. Il faut allerau-dela.

Si, comme l’indique l’article surAllemagne, lanalyse sur la longuedurée permettra de mieux comprendreles causes de la situation actuelle,il faudra développer des recherchesassociant des historiens et des socio-logues, des anthropologues comme desphilosophes. Bref, la place des femmesdans histoire du CNRS ne pourra étretraitée que par une recherche multi-disciplinaire. I] sera probablementpossible, en fin de course, de mesurerquelles difficultés s’opposent au chan-gement. De méme, s'il se produit uneinversion de tendance dans le départe-ment de biologie, il serait intéressantde la suivre et de comprendre com-ment, au “déterminisme” du change-ment d’une pratique qui s’ impose pourdes causes multiples, se conjuguentd’autres éléments qui semblent mettreen difficulté certaines situations consi-dérées jusque-la comme des acquis,

And what exactly is this inheritance? Is it atradition specific to the CNRS or can thesame tendencies be found in other research

organisations?

Another important work to be done isto produce biographies of women in science,but true biographical works and _ nothagiographies that limit themselves torehashing well-known verities and repeatingconventional wisdom. It is also important tomake better known the contributions ofwomen to science. Is it not high time, forexample, to publish the complete works offirst-rate minds like Sophie Germain (1776-1831), awarded the grand prize of theAcademy of Sciences of Paris in 1816 andauthor of CEuvres philosophiques? \|n herperson she represents all of the importantquestions being asked about the role ofwomen in science; self-taught (is thatpossible today and has degree-gettingbecome an obstacle for some?), and writingunder a pseudonym (would things have gonedifferently if science had been aware fromthe beginning of the female contribution?),Sophie Germain attracted the attention ofLagrange, who became her mentor, andlater collaborated — and correspondedvoluminously — with Legendre. Mention canalso be made of Lady Lovelace, whose namenow adorns a

widespread computer

application, and of her dialogue with

Babbage on the subject of calculating

Avant-propos

mais qui pourraient se révéler simple-ment des héritages du passé. Pourquoialors un tel héritage ? S’agit-il d’unesituation propre au CNRS ou retrouve-t-on le méme changement dans d’au-tres organismes de recherche ?

Il faudrait probablementécrire des biographies sur les femmesde sciences : des biographies et non deshagiographies qui se bornent 4 lareprise de lieux communs et qui neferaient que reproduire le discoursdominant. Il faudrait aussi faireconnaitre les contributions des fem-mes a la science. Un exemple : lemoment ne serait-il pas venu depublier les ceuvres complétes de per-sonnalités de premier plan, telleSophie Germain (1776-1831), grandprix de VAcadémie des sciences deParis (1816), dont il serait utile derééditer les Ciuures philosophiques ?On a la un personnage emblématiquedes questions que l’on se pose sur lerapport des femmes a la science.Autodidacte — est-il possible de l’étreencore aujourd’hui et les diplémesont-ils introduit un obstacle de plus ? -,Sophie Germain simpose sous unpseudonyme masculin — [histoireaurait-elle été différente si l’on avaitconnu dés le début son appartenance ausexe féminin ? — et retient l’attention deLagrange qui devient son mentor, puiscollabore avec Legendre, avec lequelelle a entretenu une correspondancevolumineuse. Mais on peut aussi citer

machines. In addition to these maincharacters, attention should be paid as wellto women who were auxiliaries to scientificresearch such as technical personnel orwomen calculators or those who may have

had some effect on science administration.

Any study of the CNRS must alsodistinguish between what is proper to theCNRS and what is also true for women inthe greater social context. In recent history,for instance, scientific organisation hasincreasingly resembled industrial productionsystems — in 1978 references were made to“the CNRS Group” — and it will be necessaryto determine what is due to the division oflabor typical of such systems and what isspecific to the situation of women in one oranother of these divisions. This is critical toany attempt to explain the differencesbetween disciplines, such as the relativeabundance of women scientists in SDVcompared to the Physical and MathematicalSciences Department (SPM). What are thecausal factors? What is the structure of aresearch career? And what are the sources ofthe many types of obstacles to women in

research organisations?

Studying the role and place ofwomen in the CNRS historically is not aneutral task. At the heart of the matter liequestions such as how the competitive

entry process is judged, and how promotion

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Avant-propos

Lady Lovelace, dont le nom est associéa un célébre logiciel et qui a dialoguéavec Babbage sur les machines 4 calcu-ler mécaniques. A cété de ces person-nalités, il faudrait faire une place a cesnombreuses auxiliaires de la recher-che, comme les femmes calculatrices oule personnel technique des laboratoireset étudier le réle joué par celles-ci dansVadministration de la science.

Reste a faire le tri entre ce quiest propre au CNRS, ce qui l’est a l’or-ganisation de la science et ce qui n’estque le reflet de la situation des fem-mes dans la société. Ainsi, pour reve-nir a nos jours, si l’organisation scien-tifique se rapproche toujours plus dusystéme industriel de production — neparlait-on pas de “Groupe CNRS” en1978 ? — il faudra faire la part entrece qui est la division du travail, proprea ces organisations, et ce qui est laconséquence du fait que l’on est unefemme dans lune des catégoriescréées par la division des taches. Celaest extrémement important si l’onveut saisir les différences entre disci-plines qui font qu'il y a plus de cher-cheuses en SDV qu’en SPM®. Quellesont les parts de responsabilités ? Lastructure des carriéres ? Et quellessont les causes des obstacles de toutesnatures s’opposant a la présence des fem-mes dans les structures de recherche ?

Etudier la place des femmesdans histoire du CNRS n’est pas neutre.Au coeur de cette problématique se

6. SPM : Sciences physiques et mathématiques

takes place. Simply put, is the scarcity ofin the CNRS reducible to the

scarcity of candidates? Or is there in

women

addition a bias in the selection process?The answers to these questions wouldreveal a great deal about the CNRS as itfaces the task of gender parity. If scarcity ofcandidates is the cause, research in thisarea must turn to what a scientificorganisation can do to work for change insociety. The science-society relationshipbecomes paramount. If however the causeis in the selection process, the institution’smodi operandi must change. But change inwhat ways? And will all this undercut theself-image of the CNRS according to which— and in contrast with the University — itsessence lies in its evaluative function? Inall likelihood both hypotheses will prove tobe valid in part. The most important aspectof all of this is that the needed studies arecarried out. It will be interesting to observewhat changes occur in, say, ten years time.Women’s place in the history of the CNRSwill then be important, but for other

reasons.

Avant-propos

situe la question de l’évaluation auxconcours d’entrée, tout comme cellede la promotion. Pour étre clair : lanon-parité, telle qu’on la constate,serait-elle la conséquence du nombremoins important de femmes qui seprésentent aux concours et aux promo-tions ou proviendrait-elle d’un sys-téme d’évaluation biaisé ? On voit bienles conséquences sur la vie de linsti-tution selon la réponse que I|’on appor-tera. Si la premiére hypothése serévéle la cause principale, que doitfaire un organisme de recherche pourprovoquer le changement dans lasociété ? Quelles recherches souteniret comment valoriser les travaux effec-tués ? Le rapport recherche-société estalors la question essentielle. Si c’estPévaluation, alors c’est le mode defonctionnement de Jinstitution quidevra étre révisé. Quels seraient leschangements a y apporter ? N’en vien-drait-on pas a remettre en cause l’unedes images du CNRS qui, par rapporta l'Université, se définit comme I’orga-nisme en mesure d’évaluer ? On peutsans doute parier que les deux hypo-théses se révéleront partiellement cor-rectes et importantes. I] ne reste qu’asouhaiter, au vu des enjeux, que cesétudes se développent et il sera inté-ressant de constater les changementsinduits, dans dix ans par exemple. Laplace des femmes dans histoire duCNRS serait alors importante, maispour de toutes autres raisons...

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Illustres anciennes ou éminentes contemporaines,

quelques femmes “modeéles”...

Catherine Bréchignac Geneviéve Berger

Pour les légendes des photos, se reporter de la page 151 a 153.

Pourquoi si lentement ?Les obstacles a l’égalité

des sexes dans la rechercheSCLENLIFIQUE par tana Lavy

Ilana Loéwy est directrice de recherche 4 VTINSERM’. Elle estaffectée au CERMES, Centre de recherche médecine, sciences,santé et société (INSERM/CNRS/EHESS?’). Depuis 1998, elle est’ chargée de cours a ’/EHESS en histoire des sciences biologiques etmédicales, genre et biomédecine.

Son dernier ouvrage, écrit avec Jean-Paul Gaudilliére, Heredityand Infection : The History of Disease Transmission (Londres,Routledge), a été publié en 2001.

[” Léwy se fonde sur des travaux de gender studies trés développésdans les pays anglo-saxons et sur des ouvrages récents pour faire appa-raftre les paradoxes d’une société qui se dit égalitaire, mais qui, dans lesfaits, ne permet pas aux femmes de s’impliquer autant que les hommes dansla recherche scientifique. La femme, depuis les années 1960-1970, peutdevenir un sujet d’étude a part entiére dans certains domaines scientifiques,mais il n’en demeure pas moins qu’en dépit du changement institutionnelqui tend a promouvoir les chercheuses, les mentalités ne changent quetrés lentement. Ilana Léwy tend a démontrer la difficulté rencontrée parles femmes pour s’extraire de la gangue sociale dans laquelle une société,encore fondée sur un partage des taches peu équitable, les maintient et crée

des obstacles au déroulement de leur carriére.

1. INSERM : Institut national de la santé et de la recherche médicale.2. EHESS : Ecole des hautes études en sciences sociales.

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Les femmes dans histoire du CNRS

des femmes de la recherche

scientifique est intitulé : Le cer-veau a-il un sexe 2 (The mind has no sex ?Le cerveau n’a pas de sexe 2). Le titre faitallusion au fait que, pendant trés long-temps, la science a postulé que le cerveaua bel et bien un sexe : masculin. Une idéesemblable se profile derriére le titre dunouvrage francais sur un sujet sembla-ble : Le sexe du savoir‘. De tels titres sou-lignent le contraste entre l’impartialitésupposée des sciences et la longue his-toire de la discrimination envers les fem-mes. Pendant longtemps, la recherchescientifique fut percue comme undomaine exclusivement masculin. Laréalité est plus complexe. De nombreu-ses femmes ont participé au développe-ment des connaissances scientifiques —fidéles collaboratrices, techniciennes effi-caces, épouses, soeurs ou filles dévouées,ou méme chercheuses 4 part entiére —mais leur contribution fut occultée ouminimalisée par la suite. De ce fait et jus-qu’a récemment, l’image publique deschercheurs scientifiques fut celle dunindividu de sexe masculin car “le savant”nétait jamais une savante. Le mouve-ment des femmes et leur entrée massivedans certaines disciplines scientifiquesont modifié cette vision. Notre sociétéreconnait aujourd’hui, en théorie dumoins, que les hommes et les femmes ontune aptitude identique 4 maitriser desconnaissances nouvelles, a développerune pensée abstraite, a élaborer leshypothéses et 4 les vérifier, a faire desexpériences, 4 publier des articles dansdes revues savantes et 4 transmettreleur savoir A des collégues et des étu-

10) n livre sur histoire de l’exclusion

diants. En pratique cependant, la recher-che scientifique n’est — toujours — pas undomaine ot régne la parité parfaite entreles hommes et les femmes. Le sexe de lapersonne qui fait des expériences ou quiécrit un projet de recherche aurait-il plusd’importance que la couleur de ses yeux ?

Beaucoup de travaux sur les femmesdans la recherche scientifique ont paruen langue anglaise. Depuis une trentained’années les études féminines (womenstudies), puis les études de genre (genderstudies) sont intégrées dans le curricu-lum universitaire des pays de langueanglaise. Les étudiants de premier cycleont souvent des cours obligatoires surce sujet et ceux qui se destinent 4 descarriéres scientifiques ou médicalesrecoivent des enseignements ciblés surle sujet “genre et science”. Linstitution-nalisation des études de genre se traduiten paralléle par l’existence de filiéres doc-torales, de sources de financement et pardes débouchés professionnels. Elle aencouragé des recherches centrées sur laplace du “genre” — cest-a-dire la percep-tion sociale et culturelle du masculin etdu féminin — dans le développement dessciences et des techniques. En outre, desorganisations professionnelles et des fon-dations ont stimulé le développement desrecherches sur les raisons du faible nom-bre des femmes dans certains domainesde la recherche scientifique. Historiens,sociologues, anthropologues, philosophesmais aussi des chercheurs en sciencesexpérimentales se sont intéressés auxcauses et aux conséquences de la longueexclusion des femmes de la recherchescientifique.

3. Londa Schiebinger, The Mind has no Sex? Women and the Origins of Modern Science, Cambridge, Mass., Harvard

University Press, 1989.4. Michelle Le Doeuff, Le sexe du savoir, Paris, Aubier, 1998.

Pourquoi si lentement ?Les obstacles a l’égalité des sexes dans la recherche scientifique

Vu létendue du sujet, mon texte sefocalise sur un seul aspect du sujet“femmes et science” : la place desfemmes dans la recherche scientifiquecontemporaine.

En 1999, Vhistorienne nord-améri-caine des sciences, Londa Schiebinger,a tenté de dresser le bilan de l’impor-tance du féminisme dans le dévelop-pement récent des sciences. Premierconstat : la situation des femmesdans la recherche scientifique esttrés différente selon le pays et la disci-pline. La compa-raison internationalerévéle des résul-tats parfois sur-prenants. Ainsi, enSuéde, un paysou le partage destaches domestiquesest relativementbien implanté etqui a une infras- |tructure efficace deprise en charge desenfants en bas ge,la proportion des chercheuses et des uni-versitaires de haut niveau est faible eten 1996, seulement 6 % des chairesuniversitaires ont été occupées par desfemmes. En revanche, la proportiondes chercheuses est relativementélevée dans certains pays en voie dedéveloppement, tels que la Chine oula Turquie®. Des sociologues et desanthropologues ont tenté d’expliquerces différences par les modalités de laconstruction des identités sexuées. EnSuéde, une plus grande égalité dans le

partage des taches matérielles a l’inté-rieur du couple, ne s’est pas traduitepar un changement paralléle de cons-truction des identités des hommes etdes femmes. Les femmes continuent 4porter la responsabilité principalepour le bien-étre de leurs proches.Cette responsabilité est percue commeun élément central et non négociablede Videntité féminine. Les femmescadres supérieures ne se sentent pasplus libres de négliger leurs devoirsémotionnels et affectifs envers leurfamille que des femmes ouvriéres. Undipléme d’enseigne-ment supérieur nedonne pas le droitdétre une “mau-vaise mére”, une“fille négligente” ouune “épouse indif-férente”. En consé-quence, les femmessuédoises consa-crent une partieimportante de leursactivités a la “repro-duction des hommes en tant qu’étressociaux”. Cette asymétrie d’investisse-ment affectif donne un avantageimportant au développement des car-riéres masculines puisque que leshommes bénéficient du concours desfemmes sans obligation de réciprocité’.

Les femmes, dans des sociétés non occi-dentales, peuvent plus facilement aban-donner le réle féminin traditionnel.La perception du sexe/genre commeun élément ancré dans la structuredu moi profond, que lanthropologue

5. Londa Schiebinger, Has Feminism Changed Science? Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1999, pp. 33-53.6. Anna G. Jonasdottir, Why Women Are Oppressed, Philadelphia, Temple University Press, 1994.

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Les femmes dans histoire du CNRS

Igor Kopytoff propose, est une inventionoccidentale relativement récente, liée alaffaiblissement de la tradition commeélément régulateur fondamental desrelations sociales. Des sociétés ordon-nées par une idéologie centrée sur lesdroits de lindividu ne peuvent plusconcevoir un réle social comme un élé-ment de base de la stabilité sociale.La source de cette stabilité est doncdéplacée vers des éléments percuscomme quasi immuables, comme labiologie, Phérédité ou la psyché. Enrevanche, dans des cultures fondées surlattachement aux structures collec-tives et a la tradition, le genre n’est paspercu comme une partie de lidentitéprofonde d’une personne, mais tientavant tout un role social. Les culturesafricaines ou asiatiques accordent uneplace trés importante aux occupationsdes individus et établissent une hiérar-chie des occupations et des taches. Unefemme qui fait de la recherche et qui,de ce fait, accéde 4 un statut élevé etrare, peut donc étre percue avant toutcomme une “scientifique”. Son rélesocial dominant peut affaiblir son atta-chement au role de “femme”, attitudeinconcevable dans des sociétés occiden-tales dans lesquelles le sexe/genre estconsidéré comme une identité socialeimmuable, indépendante des variablesque sont la profession ou le statutsocial’.

Dans les pays industrialisés, la ten-dance générale entre 1960 et 2000 futaugmentation importante du nombredes femmes chercheuses. Cependant,certaines disciplines scientifiques sont

restées trés majoritairement masculi-nes. C’est le cas de la science mathéma-tique, de la physique, ou des sciencespour l’ingénieur. Les sciences de la vieet la recherche biomédicale se sont for-tement féminisées. En régle générale,d’aprés Londa Schiebinger, l’augmenta-tion du nombre des chercheuses n’a paseu de conséquences visibles sur lessujets étudiés par les chercheurs. Ellecite pourtant plusieurs cas de change-ment dans le choix des recherchesconcernant une discipline particuliéreet qui s'intéresse de plus prés au sexeféminin. C’est le cas de la primatologiequi a découvert les structures socialesdes singes femelles ; de l’archéologie quiacommencé a s’intéresser sérieusementau réle des femmes dans les sociétésarchaiques ; de la biologie du développe-ment qui s’est intéressée aux influencesmaternelles sur l’évolution de l’ceuf fer-tilisé ; et de la médecine. Liabandonrécent du modéle selon lequel le “corpshumain universel” est toujours mascu-lin et l’introduction de obligation detester tous les médicaments nouveauxsur les hommes et sur les femmes, reflé-tent aussi une attention plus grande 4la spécificité des femmes*. Pour LondaSchiebinger, les changements récentsdans certaines disciplines scientifiquess’expliquent principalement par l’entréemassive des femmes dans un champdisciplinaire donné. Des chercheusesont contribué a la diffusion des idéesinspirées du féminisme dans certainesdisciplines scientifiques. Evelyn FoxKeller propose une vision légérementdifférente. Le moteur principal du chan-gement, écrit-elle, n’est pas la présence

7. Igor Kopytoff, “Women’s roles and existential identities”, dans Peggy Reves Sunday & Ruth Gallaher-Goodenough, Beyond theSecond Sex: New Directions in the Anthropology of Gender, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1990, pp. 77-99.

8. L'exclusion des femmes des essais thérapeutiques fut légitime a cause de leur “instabilité” : les femmes ne sont-elles pas soumisesa des fluctuations hormonales ? Par ailleurs, une femme qui participe a un essai thérapeutique peut étre enceinte a son insu, et lefoetus peut souffrir des effets teratogénes potentiels de la substance testée. Leur inclusion obligatoire fut justifiée par les différences

importantes entre la physiologie masculine et féminine :inefficaces ou, au contraire, dangereuses pour les femmes.

des doses des médicaments efficaces pour les hommes peuvent étre

Pourquoi si lentement ?Les obstacles 4 ’égalité des sexes dans la recherche scientifique

physique des femmes chercheures —puisque les chercheurs des deux sexespartagent les mémes valeurs — mais lechangement global des attitudes enversdes femmes dans la société, introduitpar le mouvement des femmes’.

Malgré des acquis indéniables, les car-riéres féminines dans la science conti-nuent d’avoir du retard sur celles deleurs collegues masculins”. En paral-léle, on assiste 4 une surreprésenta-tion des femmes dans des domaineset des institutions, percus comme mar-ginaux ou alternatifs". Une telle surre-présentation peut étre percue commele résultat de l’exclusion des femmesdes centres du pouvoir scientifique.Elle est, pourtant, souvent présentéepar les intéressées elles-mémescomme un choix délibéré de faire dela science autrement. Des femmesqui travaillent dans des institutions“paralléles” vantent les avantages dela recherche, socialement utile et rela-tivement libre des contraintes de lacompétitivité. En outre, ces lieux alter-natifs ont la réputation d’étre moinshiérarchiques et plus ouverts auxfemmes. Des observations directes deces sites révélent une réalité pluscomplexe. Les femmes y bénéficientd’avantages réels dans leurs relationsavec leurs collégues et de possibilitésd’autoréalisation. En contrepartie, lessalaires sont nettement plus bas, ellesont une moindre sécurité de l’emploi etun statut marginal, a l’intérieur de lacommunauté scientifique. Ce dernierrend plus difficile le passage a des insti-tutions de recherche plus traditionnelles :

la décision de travailler dans un cir-cuit scientifique paralléle peut ainsidéboucher sur une voie de garage. Enoutre, méme les lieux de travail alter-natifs ne sont pas toujours dépourvusde pratiques discriminatoires. Cesinstitutions sont souvent dirigées pardes hommes. Le discours sur l’objectifpartagé peut masquer une exigenceimplicite d’une éthique de travail“masculine” et une impatience devantles demandes spécifiques des femmesqui peuvent, par exemple, demanderdes horaires plus souples”. Méme lecircuit paralléle de la science accordesouvent une place plus importanteaux chercheurs masculins. Cette ten-dance est encore plus prononcée dansla science “officielle”.

Le mouvement féministe a inspiré,dans les années 1970 et 1980, une sériede travaux sur le faible nombre desfemmes dans la recherche scientifiqueet sur les difficultés spécifiques decelles qui ont choisi d’exercer le métierde chercheure. En 1979, le sociologueJonathan Cole, un éléve de RobertMerton, publia un livre qui affirme quelécart entre les carriéres féminines etmasculines dans la science repose surune raison trés simple : la moindre qua-lité de la production scientifique fémi-nine. En s’appuyant sur les investiga-tions scientométriques, trés en vogue acette époque, Jonathan Cole a trouvéque les femmes publiaient moins et queleurs travaux étaient moins cités queceux des hommes. Loin de refléter unpréjugé anti-féminin de la science, la posi-tion inférieure des femmes démontre,

9. Evelyn Fox Keller, dans Angela Creager, Elisabeth Lunbeck et Londa Schiebinger (eds.), Feminism in the Twentieth Century Science,Technology and Medicine, Chicago et Londres, The University of Chicago Press, 2001.

10. Londa Schiebinger, Has Feminism Changed Science?, op.cit. pp. 44-51.

11. Des institutions de ce type sont rares en France, pays dans lequel la recherche scientifique reléve, dans sa quasi-totalité, dusecteur public. Elles sont plus fréequentes aux Etats-Unis ou en Allemagne.

12. Margaret A. Esienhardt et Elisabeth Finkel, Womens’ Science: Learning and Succeeding from the Margins, Chicago, The University

of Chicago Press, 1998.

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selon Jonathan Cole, que la scienceest juste — son livre s'intitule FairScience —, que le lien entre le mérite etlavancement des carriéres scienti-fiques, postulé par Robert Merton, fonc-tionne trés bien”. Le livre de JonathanCole, en réaction aux accusations dediscrimination sexiste, ne soutient pas,il est vrai, que les femmes sont intrin-séquement moins compétentes pourfaire de la recherche que leurs collé-gues masculins. Jonathan Cole attri-bue la différence entre les carriéresmasculines et féminines sur le choixque font les deux sexes. Selon lui, lesfemmes préférent, en régle générale,investir plus de temps dans leur vieprivée.

En 1992, Jonathan Cole et sa collégueHarriet Zukerman ont proposé un pointde vue trés différent. Les investigationsplus récentes confirment qu’en moyenneles femmes publient en effet moins sou-vent que les hommes. Ce fait ne reflétepourtant pas, expliquent Jonathan Coleet Harriet Zukerman, les difficultés liéesa la nécessité de concilier les obliga-tions professionnelles et familiales. Lapersistance de la division inégale destaches domestiques et éducatives n’in-fluence pas les trajectoires des cher-cheuses. Ni la maternité, ni le mariage,ni méme le nombre des enfants et leurAge ne modifient les performances pro-fessionnelles des femmes scientifiques.Harriet Zukerman et Jonathan Cole ontméme découvert que les chercheusesméres de famille publient légérementplus que celles dégagées des obligationsfamiliales“. La différence majeure que

lon constate n’est pas entre les femmesqui ont des charges familiales et cellesdépourvues de telles charges, mais entreles chercheurs du sexe masculin et dusexe féminin. Comment l’expliquer ?

Si on laisse de coté ’hypothése qu’en finde compte le cerveau a un sexe, que leshommes ont une aptitude innée plusgrande pour la recherche, il faut chercherVexplication des différences entre leschercheurs, hommes et femmes, dans lastructure de la recherche scientifique etdans le fonctionnement de la société engénéral. Jonathan Cole et RobertFiorentine discutent ainsi l’effet poten-tiel des pressions différentes exercéessur les hommes et les femmes. Notreculture sanctionne plus sévérementabsence de succés professionnel etfinancier des hommes. D’ot leur persé-vérance plus grande face aux obstacles etune attention plus élevée aux critéresexternes du succés. Les femmes sontmoins soumises a ce type de pressions.Elles peuvent plus facilement choisir lafamille ou la vie privée comme un champd’investissement principal ou, alterna-tivement, comme un lieu paralléle devalidation de leur réussite. De ce fait,une étude focalisée sur les femmes dansla recherche scientifique est nécessai-rement biaisée puisqu’elle rend invi-sibles celles qui ont abandonné la pour-suite d’une carriére scientifique. Lamoindre importance de la réussite for-melle pour les femmes peut les inciter 4choisir des stratégies de recherche diffé-rentes de celles adoptées par les hommeset attribuer une moindre importance 4la quantité de leurs publications”.

13. Jonathan Cole, Fair Science: Women in the Scientific Community, New York, Free Press, 1979.

14. Jonathan Cole et Harriet Zukerman, “Marriage, motherhood and performance in Science”, dans Jonathan Cole, Harriet Zukermanet John T. Bauer, The Outer Circle: Women in the Scientific Community, New Haven, Yale University Press, 1992, pp. 157-170.Traduction francaise, Jonathan Cole et Harriet Zukerman, “Les femmes et la recherche scientifique”, Pour la Science, avril 1994,pp. 40-48 (avec un commentaire de Claude Zaidman sur la situation frangaise).

15. Stephan Cole et Robert Fiorentine, “Discrimination against women in science. The confusion of outcome with process”, in Cole,Zukerman et Bauer, The Outer Circle: Women in the Scientific Community, op. cit. pp. 205-226.

Pourquoi si lentement ?Les obstacles a l’égalité des sexes dans la recherche scientifique

Autre raison évoquée par les sociologuespour expliquer le fait que les femmespublient moins : la persistance des attitu-des discriminatoires. Des recherchesrécentes indiquent que ces attitudes n’ontpas disparu. Elles ont seulement changéde nature. La discrimination ouverte, fré-quente dans les années 1950 et 1960, futremplacée par des mécanismes plus sub-tils et souvent involontaires®. Mary FrankFox a comparé l’accés aux ressources deshommes et des femmes qui travaillentdans le méme département, sur des sujetsproches. Elle a constaté des différencesimportantes dans Ilattribution des res-sources. Les hommes ont plus de chancesdobtenir des finan-cements et un sou-tien institutionnelprincipalement gracea leur meilleureinsertion dans des

réseaux informelsqui gérent ces res-sources, un plus

grand soutien de la |part de leurs supé-rieurs hiérarchiques,une socialisation quiles prépare mieux 4faire des demandes précises et leur permetdavoir une plus grande confiance dansleur capacité A obtenir ce quils consi-dérent comme un dt. En outre, les fem-mes, percues comme moins aptes auxtaches de commandement, accédent plusrarement et plus lentement aux postes dedirection de la recherche. Or, ces postespermettent 4 ceux qui les occupent designer toutes les publications d’un groupeou d’un laboratoire. Ils augmentent de ce

fait d'une maniére considérable le nombredes articles dont ils sont co-auteurs etainsi, leur rang dans l’index des citationsscientifiques”.

Dans un article sur un phénoméneque Robert Merton a baptisé “leffetMathieu”, celui-ci soutient qu’une quan-tité disproportionnée de ressourcesdisponibles, ainsi que la visibilité publiqueet la reconnaissance par le milieu, vaaux scientifiques qui ont déja acquisla notoriété dans un domaine donné(une variante du proverbe “on ne prétequ’aux riches”*). Lhistorienne dessciences Margaret Rossiter reprendcet argument, pourindiquer que lesfemmes sont sou-vent victimes d’unprocessus inverse,quelle a nommé“Veffet Mathilde”.Moins bien inséréesdans les réseaux,confrontées a4 desattentes moindresde la part de leurs\supérieurs hiérar-chiques et de leurs

collégues, la valeur de leurs contribu-

tions pourrait étre minimalisée. Ce quiagit sur leur accés aux ressources et surle déroulement de leur carriére”’. Unecontribution faite par un homme,explique Margaret Rossiter, est percuedune maniére non _ problématiquecomme Il’expression de son talent et deses capacités. La contribution d’unefemme recoit souvent des qualificatifssupplémentaires.

16. Mary J. Gallant et Jay E. Cross, “Wayward puritans in the ivory tower: Collective aspects of gender discrimination in academia”,

The Sociological Quaterly, 1993, 34(2), pp. 237-256.

17. Mary Frank Fox, “Gender, environmental milieu and productivity in Science”, in Cole, Zukerman et Bauer, The Outer Circle: Women

in the Scientific Community, op. cit., pp. 188-204.

18. Robert K. Merton, “The Matthew effect in Science”, Science, 1968,159, pp. 56-63.19. Margaret Rossiter, “The Matthew {Mathilda} effect in Science”, Social Studies of Science, 1993, 23, pp. 326-341.

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Pour paraphraser l’écrivaine féministeJoanna Russ :

“elle ne l’a pas fait,

elle l’a fait, mais elle n’aurait pasdit le faire,

elle le fait, mais vous voyez bien cequelle a fait,

elle l’a fait, mais une fois seulement,

elle la fait, mais ce n’est pas vrai-ment de la science, et elle n’est pasun vrai chercheur,

elle l’a fait, mais elle avait de l'aide,

elle V'a fait, mais elle est une anomalie,elle l’a fait, MAIS...” ”°

La perception différentielle du travailfourni par les hommes et les femmes aété étudiée plus récemment par la socio-psychologue Virginia Valin”. Son livrePourquoi si lentement, part du constatqu’a partir des années 1970, la paritéhommes / femmes au niveau de l’entréedans la profession fut établie dans denombreux domaines de recherche, tellesles sciences humaines et sociales ou lessciences de la vie. La conséquencelogique aurait di étre lélargissementgraduel d’une telle parité a tous leséchelons de la carriére universitaire ouscientifique”. Trente ans plus tard, ons’apercoit qu’il n’en est rien. Les sommetsde la hiérarchie professionnelle reflétenttoujours une forte prédominance mascu-line. Les femmes sont surreprésentées aubas de l’échelle et dans les postes sansstabilité d’emploi”. D’ot la question

pourquoi si lentement ?”. Les recher-ches de Virginia Valin confirment qu’a

la fin des années 1990, le sexe de la per-sonne qui accomplit un travail donné,continue a4 influencer la maniére donton évalue son travail”. Les “schémasdu genre”, c’est-a-dire les attentes —souvent inconscientes — qu’un hommeou une femme se comporte d’une maniéreprédéterminée, colorent d'une maniérepermanente notre facon de juger lesactions des individus. Ladhésion, aussisincére soit-elle, aux principes de l’éga-lité et A l’ethos de lobjectivité scienti-fique ne suffit point 4 éliminer le biaisintroduit dans les milieux de la recher-che par des perceptions distinctes desperformances masculines et féminines.Par ailleurs, la plupart des chercheursaspirent sincérement 4 une évaluationobjective des performances de leurscollegues et adhérent pleinement auprincipe de légalité des sexes. De cefait, le biais induit inconsciemment les“schémas du genre” qui s’expriment leplus souvent par des différences subti-les et quasi imperceptibles de Ilat-titude. On ne relévera pas, par exem-ple, une suggestion proposée par unefemme, ou encore, aura-t-on tendance apercevoir le travail d’un homme plutétcomme “brillant” et celui d’une femmeplutét comme “appliqué”. Ces petitesdifférences d’attitude peuvent avoirdes effets cumulatifs importants sur laperception de leurs collégues con-cernant les contributions des cher-cheuses, mais aussi sur l'image qu’ellesse forment de leurs capacités propres.A la longue, elles peuvent stimuler latendance des femmes a s’autolimiter eta renoncer a certaines aspirations.

20. Le poéme de Russ parle des ceuvres littéraires produites par des femmes. Joanna Russ, How to suppress Womens’ Writing, Austin, Texas, University of Texas Press, 1983.

21. Viriginia Valin, Why So Slow: The Advancement of Women, Cambridge, Mass., MIT Press, 1998.

22. Aux Etats-Unis, une telle approche est nommeée “pipeline” - une distribution des avantages aussi automatique que celle de l’eau dans les tuyaux.

23. Selon certains la situation des chercheuses s’est dégradée entre 1970 et 1990. Joan Mason, “The invisible obstacle race”, Nature, 13/9/1992, 353, pp. 205-206.24. Hilary Rose décrit une situation semblable en Grande-Bretagne. H. Rose, “Gender art work in the production system of science”, dans Hilary Rose, Love, Power

and Knowledge, London, Polity Press, 1994, pp. 97-114.

25. Le réle des perceptions stéréotypes des hommes et des femmes dans |’évaluation de la qualité du travail fourni fut discuté e.g. par Barbara Reskin et Heidi |.Harmann (eds.), Women’s Work, Men’s Work: Sex Segregation on the Job, Washington D.C, National Academy Press, 1986; Richard Ashmore et Frances K. del Boca,“Gender stereotypes”, dans R.D. Ashmore and Frances K. del Boca, (eds), The Social Psychology of Male-Female Relationships, New York, Academic Press, 1986.

Pourquoi si lentement ?Les obstacles 4 ’égalité des sexes dans la recherche scientifique

La culture de la science, d’aprés la bio-physicienne et historienne des sciencesEvelyn Fox Keller, est dominée par desattitudes qu’on pourrait décrire commemasculines et méme “macho” : la valorisa-tion de l’agressivité, de la compétitivité,des hiérarchies rigides. Les femmes, quitentent de devenir chercheuses, acceptentcette culture comme la seule possible.Elles ont intériorisé lidée que pour deve-nir une scientifique 4 part entiére, il leurfaut se transformer en “un des gars” (oneof the boys) et adopter pleinement la sous-culture du milieu scientifique, y comprisdans ses aspects misogynes”. Une femmequi aspirerait 4 une carriére scientifique,notamment dans des disciplines commela physique théorique ou les sciences pourYingénieur dominées par une forte culturemasculine, devrait donc fournir un effortsupplémentaire d’assimilation et d’auto-transformation”. Cependant, un tel pro-cessus implique la suppression d’une par-tie de son identité profonde. I] a un coiitpsychique considérable. Le membre d’ungroupe opprimé, qui tente d’assimiler uneculture dominante et hostile (par exem-ple, un Noir américain qui essaye de s’in-tégrer pleinement dans la société blan-che), doit faire un effort supplémentairepour se débarrasser d'une part impor-tante de son identité d’origine. I] doit doncse faire violence a lui-méme, un processusdautomutilation qui laisse souvent descicatrices handicapantes. Pour cette rai-son, une femme qui tente de faire son che-min dans une culture scientifique mascu-line et essaie d’atteindre le méme niveaude performances que les hommes de sonmilieu, doit posséder au départ un “sur-plus” de capacités”.

On peut, en suivant Mary Frank Fox etVirginia Valin, élargir la métaphore des“cicatrices handicapantes” a la totalité dela trajectoire des femmes scientifiques.Les difficultés des chercheuses ne sontpas limitées au début de carriére. De nom-breuses femmes continuent 4 accumulerdes (petits) désavantages tout le long deleur trajectoire : attentes légérementdiminuées des parents et des enseignants,un peu moins d’encouragements de la partdes collégues et des supérieurs hiérar-chiques, une maniére subtilement diffé-rente d’évaluer le travail accompli, unavancement plus lent. Elles doivent, enparalléle, faire face a des difficultés plusgrandes pour concilier travail, vie de cou-ple et responsabilités familiales. Toutesles femmes ne rencontrent pas l’ensemblede ces obstacles. Certaines, particuliére-ment chanceuses, ne se heurtent 4 aucun.D’autres femmes sont suffisamment moti-vées pour surmonter toutes les difficultésou arrivent méme 4 se servir de certainscontretemps comme tremplin pour avan-cer. D’ot les carriéres impressionnantesde certaines chercheuses. En moyenne,cependant, les femmes rencontrent plusde difficultés dans leur carriére scienti-fique que les hommes. Liaccumulation gra-duelle des cicatrices, aussi petites soient-elles, peut produire des effets importantsen bout de parcours. II n’est pas nécessairede chercher des incidents majeurs et desévénements dramatiques pour expliquer“pourquoi si lentement ?”. Lusure duquotidien peut amplement suffire.

Dans des professions mixtes qui cultiventune idéologie d’avancement grace aumeérite (les professions libérales, les cadres

26. L'autobiographie de Fay Ajzenberg-Selove, A Matter of Choices: Memoirs of Female Physicist, (New Brunswick, Rutgers University

Press, 1994) illustre cette attitude.

27. Voir a ce sujet Sharon Traveek, Beantimes and Lifetimes: The World of High Energy Physicists, Cambridge, Mass., Harvard University

Press, 1988.

28. Evelyn Fox Keller, “The Wo/Man scientists: Issues of sex and gender in the pursuit of Science”, dans Cole, Zukerman et Bauer (eds.),The Outer Circle: Women in the Scientific Community, op. cit., pp. 227-236.

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et certaines professions techniques), tou-tes les femmes qui tentent une percée pro-fessionnelle se heurtent 4 de nombreuxobstacles. La question “pourquoi si lente-ment ?” est également valable pour leshauts fonctionnaires ou pour les cadresdentreprise. La science est cependantpercue comme une activité unique ou uneprofession parmi d’autres. De ce fait, lessociologues de la science ont eu tendancea se focaliser, quasi exclusivement, sur leséléments spécifiques a la science commela structure normative de la recherche, lescodes qui organisent la collaboration et lacompétition, importance centrale accor-dée 4 la nouveauté ou le réle de la circu-lation des résultats. En conséquence, lesétudes sur les femmes dans la recherchescientifique accordent une grande placeaux tentatives qui examinent les liensentre performances individuelles (mesu-rées par le nombre des publicationsou lindex des citations scientifiques)et les récompenses attribuées pources performances. Une telle vision,daprés le sociologue William Bielby, tenda gommer le fait que la recherche scienti-fique contemporaine est avant tout uneentreprise. Or, il est bien connu que lesfemmes rencontrent de grandes difficul-tés pour arriver au sommet de la hiérar-chie des grandes entreprises publiqueset privées. Si on veut véritablementcomprendre les raisons des difficultésdes chercheuses, il serait souhaitable,dit William Bielby, de s’intéresser un peumoins a la singularité de la recherchescientifique et un peu plus aux carac-téristiques partagées par les grandsorganismes de la recherche et d’autresgrandes entreprises. I] serait intéressant

d’étudier l’offre et la demande sur le mar-ché du travail universitaire, la division dutravail dans les laboratoires, importanceaccordée a la perception des aptitudesdes individus au commandement et auxtaches de gestion ainsi que les restrictionsimposées par l’environnement économiqueet social”.

Dans de nombreuses professions, le sexed’un individu définit, dans une grandemesure, la nature des taches accompliespar cet individu. Contrairement aux idéesrecues, la ségrégation du marché du tra-vail selon le sexe a peu changé au coursdu XX° siécle. entrée massive des fem-mes sur le marché du travail a partirdes années 1960 n’a pas modifié cetteségrégation : les femmes continuent d’étreemployées dans des métiers et des profes-sions (santé, éducation, services) 4 fortedominante féminine®. Certaines se re-trouvent cependant dans des professions“mixtes”, dans lesquelles le sexe de la per-sonne ne devrait pas, en principe dumoins, avoir d’effets sur ’évaluation de laperformance professionnelle. Néanmoins,le genre continue a peser sur les trajectoi-res individuelles. Les difficultés des fem-mes dans ces professions “mixtes” sontsouvent liées, selon les sociologues et lesanthropologues, aux rapports quotidiensentre les hommes et les femmes qui tra-vaillent ensemble. D’ot lintérét desrecherches qui étudient les micro-méca-nismes du pouvoir et le réle de la féminitéet de masculinité, la “production dugenre” (doing gender) dans un lieu detravail donné.

De nombreuses études sur le travailféminin ont été consacrées aux modalités,

29. William T. Bielby, “Gender, environmental milieu and productivity”, in Cole, Zukerman et Bauer, The Outer Circle: Women in the

Scientific Community, op. cit., pp.171-187.

30. Les trajectoires professionnelles masculines et féminines peuvent ainsi rester relativement séparées. Barbara F. Reskin andPatricia A. Ross, Job Queues, Gender Queues: Explaining Women’s Inroads into Male Occupations, Philadelphia, Temple University

Press, 1990.

Pourquoi si lentement ?Les obstacles 4 ’égalité des sexes dans la recherche scientifique

souvent subtiles, de Tintroduction des“schémas du genre” dans des lieux de tra-vail ordonnés par l’idéologie fondée sur lareconnaissance du mérite, notammentdans le cas des professions libérales. Cesrecherches illustrent la contradiction fré-quente entre la perception d’un individucomme “femme” et comme “professionnelcompétent”. Des chercheuses nord-améri-caines ont étudié des firmes d’avocats etmis en évidence la tension entre des traitssupposés féminins et ceux qui sont valori-sés chez un avocat de haut niveau.Lagressivité, le goat de la bagarre sontpercus comme des avantages chezhomme. Ces mémes traits risquent fortdétre critiqués chez une femme. En paral-léle, les hommes avocats supportent plusdifficilement un échec professionnel sileur adversaire est une femme et ressen-tent davantage les succés féminins. Unetelle application des “schémas du genre”,couplée avec le fait que la majorité descabinets d’avocats importants sont dirigéspar des hommes, rend plus difficile la col-laboration harmonieuse entre associésdes deux sexes. Les femmes qui aspirent aune carriére au sein d’un cabinet d’avo-cats adoptent souvent des stratégies pro-fessionnelles qui minimalisent le conflitentre leur identité d“avocat” et celle de“femme”, par exemple, la spécialisationdans les taches de médiation et de conci-liation ou lacceptation de positions inter-médiaires 4 moindre visibilité. Ces straté-gies professionnelles peuvent aider lesavocates a trouver un modus vivendiconvenable avec leurs collegues mascu-lins et peuvent rendre plus agréablesleurs conditions de travail. Cela permetaux femmes de trouver des “niches”, dans

lesquelles elles peuvent développer leurstalents professionnels. En méme temps,Yacceptation implicite de la reproductiondes “schémas du genre” a l’intérieur descabinets d’avocats contribue activement 4la reproduction d’un systéme qui subor-

donne les femmes aux hommes”.

Des recherches sur les chirurgiennes etsur les femmes agentes boursiéres ontabouti 4 des conclusions semblables. Dansces métiers aussi, des traits supposés“féminins” ne s’accordent pas bien avec lesqualités considérées nécessaires pourarriver au sommet de la profession. De cefait, de nombreuses femmes sont soumisesen permanence a des pressions contra-dictoires : adopter un comportement percucomme masculin et rester fidéles 4 leursqualités féminines. Ces pressions sontrarement verbalisées explicitement, maiselles influencent le comportement quoti-dien sur le lieu de travail. Les femmessont plus souvent critiquées ou ignoréesque leurs collégues masculins. Elles sontaussi occasionnellement soumises au har-célement sexuel “en douceur”. Leurs collé-gues masculins leur font des remarquesqui les renvoient 4 leur sexualité. Cesremarques sont souvent déguisées en bla-gues supposées inoffensives”. Certainesfemmes cadres réussissent 4 percerprofessionnellement grace a l’adoptiond'un style dominant, cest-a-dire mas-culin, sur leur lieu de travail. D’autres,plus nombreuses, tentent de développerdes stratégies qui ont pour but de mini-maliser les tensions entre identité sexuéeet identité professionnelle. Une femmepeut ainsi devenir l’aide et la protégéed’un homme puissant, se spécialiser dans

31. Cynthia Fuchs Epstein, Deceptive Distinctions: Sex, Gender and Social Order, New Haven, Yale University Press, 1988; JenniferPierce, Gender Trials: Emotional Lives in a Contemporary Law Firm, Berkeley, University of California Press, 1995; Mona Harrington,Women Lawers: Rewriting the Rules, New York, Plenum Books, 1995.

32. Joan Cassell, The Woman in the Surgeon’s Body, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1998. Linda McDowell, Capital

Culture: Gender at Work in the City, Oxford, Blackwell, 1997.

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un domaine percgu comme peu compétitif,relativement marginal ou plus “féminin”,ou encore travailler avec d’autres femmesdans une filiére protégée a l’intérieur de laprofession. De telles stratégies peuventconduire A un succés professionnel. Enmoyenne cependant, les carriéres desfemmes continuent 4 avancer moins viteque celles de leurs collegues masculins etplus de femmes que d’hommes préférentmodifier leurs choix professionnels 4 mi-parcours”.

Les chercheuses sont des professionnelleset des cadres mais elles ne sont pas quecela. Les chercheurs, bien plus que lesfonctionnaires, les cadres d’entreprise oules professions libérales, mettent l’accentsur limportance du talent, de loriginalitéet sur la créativité dans leur travail. Enoutre, la science se réclame de valeursspécifiques : la rationalité, Pobjectivité, larecherche de l’exactitude et de la préci-sion, esprit critique et le sens de la com-munauté. Ces valeurs sont mises au ser-vice d’un but partagé : une meilleure com-préhension des phénoménes naturels™.La majorité des chercheurs sont cons-cients du fait qu’une telle image de lascience ne correspond pas toujours a laréalité, mais cette vision idéalisée estessentielle pour le bon fonctionnement dela recherche scientifique. Les chercheursdes deux sexes adhérent aux mémesidéaux et aux mémes valeurs et partagentsouvent une perception trés positive deleur profession. Cette perception est ren-forcée par la conviction, également parta-gée par de trés nombreux chercheurs desdeux sexes, que, de nos jours, la discrimi-nation a l’encontre des chercheuses

appartient A un passé révolu. Des casisolés de discrimination existent certes,et certains chercheurs masculins ontconservé des attitudes antédiluviennes.Ils sont cependant rares. La contradictionentre les identités “femme” et “chercheur”,déclare Evelyn Fox Keller, n’existe plus”.

La question “pourquoi si lentement ?” vadans le méme sens. Elle présuppose l’exis-tence d’un processus a direction uniquequi méne inexorablement a une égalitétotale entre chercheurs hommes et fem-mes. Légalité n’est pas encore acquisemais de nombreuses personnes considé-rent que les récents changements sontirréversibles et que les développementsfuturs continueront d’étre faconnés pardes pressions égalitaires. Lhistoire du XX°siécle peut nous inviter 4 une plus grandeprudence. Elle rend moins certaine lanotion de “sens unique de histoire”, meten évidence linstabilité de certainsacquis, tels la démocratie ou les droits deVYhomme, et indique qu’un retour enarriére reste toujours du domaine du pos-sible. Les études sur les femmes dans larecherche scientifique peuvent étre luesdans cette optique. Au-dela des indica-tions spécifiques sur les difficultés rencon-trées par les femmes, ces études rendentbien visible l'ampleur des obstaclesconcernant une véritable parité entre lessexes dans la recherche. Elles mettent enévidence la fragilité relative du statut deschercheuses, leur dépendance a l’égarddes facteurs conjecturaux, comme lasituation économique ou politique, et lesincertitudes qui pésent sur l’avenir.

33. Sarah Hardesty et Nehama Jacobs, Success and Betrayal: The Crisis of Women in Corporate America, New York, Simon andSchuster, 1986; Judy Waitzman, Managing as a Man: Men and Women in Corporate Management, Cambridge, Polity Press, 1998.34. Sur l’ethos de la science, cf. Robert Merton, The Sociology of Science, Chicago, The University of Chicago Press, 1973, et plusrécemment, Lorraine Daston, “Objectivity and the escape from perspective”, Social Studies of Science, 1992, 22, pp. 597-618.

35. Interview avec Evelyn Fox Keller, Mouvements, 2002, 17.

Combien de femmes

au CNRS depuis1939 ? ar mertine Sonne

Martine Sonnet est Docteure en histoire (EHESS, 1983). Elle apublié sa thése portant sur l’éducation des filles au temps desLumiéres (Paris, Cerf, 1987). Chercheuse au service d’histoire dePéducation de VINRP (Institut national de la recherche pédago-gique) de 1981 4 1989, elle est, depuis 1995, ingénieure de recherchea lTTHMC (Institut d’histoire moderne et contemporaine) et respon-sable de la Bibliographie annuelle de Vhistoire de France (Paris,CNRS” EDITIONS). Elle est ’'auteure de nombreux articles et a collaboré 4 desouvrages collectifs sur lhistoire des femmes et de la famille. Martine Sonnetest membre, entre autres, de l’Association pour le développement de lhistoire desfemmes et du genre (Mnemosyne).

G race a une étude statistique percutante, Martine Sonnet dresse,toutes catégories confondues et dans une perspective historique,un tableau précis de |’évolution de la présence des femmes au CNRS.Ses analyses permettent de confirmer la présence marquée des femmesdans certains domaines de recherche comme les sciences de la vie oules sciences humaines, mais constate aussi une réelle évolution dansdes secteurs jusque-la traditionnellement masculins. Leur faible présenceau sein du Comité national de la recherche scientifique, les rares médaillesqui leur sont attribuées peuvent permettre d’engager une réflexion sur la

visibilité des chercheuses au CNRS.

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Les femmes dans histoire du CNRS

enter de dénombrer les femmesfh passées par le CNRS depuis

1939 conduit 4 des rencontresétonnantes Madeleine Colani etJeanne Duportal, doyennes incontes-tables du personnel féminin du CNRS,sont nées toutes les deux sous lesecond Empire en 1866 ! Les carriéresde ces deux chercheuses remarquablessont emblématiques, d’une part deVancienneté de la présence fémininedans la recherche et, d’autre part, de lavariété des activités auxquelles se livrentles scientifiques du deuxiéme sexeMadeleine Colani arpente |’Indochineet en gratte le sol, en quéte de tracesgéologiques et préhistoriques ; JeanneDuportal, quant a elle, explore lesfonds d’estampes des bibliothéquesparisiennes et rédige les fiches des-criptives des gravures a sujets histo-riques. La Caisse, puis le Centre natio-nal de la recherche scientifique rému-nérent lune et l’autre, bien au-delade l’Age qui pourrait sembler celuid’une retraite raisonnable : 75 ans pas-sés pour la géologue et préhistorienne,80 ans passés pour l’iconographe.

Les femmes sont évidemment présen-tes dés les prémices de la Caisse, en1930, puis au Centre national de larecherche scientifique en 1939". II suffitde rappeler le soutien de Marie Curie auxdémarches du prix Nobel de physique1926, Jean Perrin, initiateur de laCaisse nationale des sciences dés 1930,puis du coup de pouce de Léon Blumdécidant en méme temps, en juin 1936,d’introduire des femmes au gouverne-ment et de créer un sous-secrétariat

d’Etat a la Recherche. Léon Blum faitd’une pierre deux coups : il confie lejeune sous-secrétariat d’Etat a IreneJoliot-Curie, qui vient d’obtenir avecson époux, Frédéric Joliot, le prix Nobelde physique en 1935. La fille de Pierreet Marie Curie ne fait que passer, du5 juin au 28 septembre 1936, et plutéta contre-coeur, dans la fonction minis-térielle (Jean Perrin lui succéde), maisVimage est forte et la présence desfemmes dans la recherche est affirméeau plus haut niveau en ces temps degenése de l’institution’.

Frédéric Joliot et Irene Joliot-Curie. © Palais de la Découverte

Si les femmes sont 1a, combien sont-elles ? Tenter de les compter, selon lespériodes considérées, conduit 4 mobiliserune documentation particuliérementvariée et éparpillée, plus ou moinssoucieuse de différenciation sexuelleselon les périodes considérées. Signe des

1. Jean-Frangois Picard, avec la collaboration de Gérard Darmon et Elisabeth Pradoura, La République des savants : la recherche

francaise et le CNRS, Paris, Flammarion, 1990, 339 p.

2. Lhistoire du CNRS est loin d’étre une histoire d’hommes, méme si l’index des noms de l’ouvrage de Jean-Francois Picard, op. cit.,

ne compte que 16 noms féminins sur 523, soit 3,06 %.

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?

temps, c’est au début des années 1970seulement que les services centraux duCNRS produisent des statistiques surle personnel incluant la distinctionhommes/femmes : lesprit féministepost-soixante-huitard est passé parla. Les pyramides des Ages établiesentre 1972 et 1977 par le Bureau dutableau de bord et des statistiques’,dépendant de la Direction de l’infor-matique et de la gestion, nourriront lapremiére étude critique sur la ques-tion’. Dans les années 1980, la préoc-cupation statistique sexuée régresse,pour renaitre en 1990 avec le Bilansocial annuel, véritable radiographiedes effectifs présents au 31 décembre.

En faisant fléche de tout bois documen-taire et archivistique’ pour la période1939-1970, puis en recourant aux sta-tistiques plus aisément accessiblespour les trente derniéres années, il estpossible d’observer la présence globaledes femmes au CNRS depuis sa créa-tion, en privilégiant cing temps oupoints forts : la premiére générationféminine du CNRS mérite au moinsune esquisse de portrait collectif ; pourcelles qui lui ont succédé, aprés 1945 etsurtout de 1970 a nos jours, la doubleapproche par statuts (chercheuses,ingénieures, administratives et techni-ciennes) et par disciplines (selon lesdépartements scientifiques) sera choi-sie, croisée avec celle des responsabili-tés assumées. Deux gros plans, l’un surla présence féminine au sein du Comiténational de la recherche scientifiqueet Pautre sur la part des distinctions— Médailles d’Or, d’Argent et de Bronze

pour les chercheurs et le Cristal pourles ITA —- attribuées 4 des femmesdepuis leur création, compléteront letableau’.

Premiéres générations

Madeleine Colani et Jeanne Duportal,pour pittoresques qu’elles soient, ne sontpas exceptionnelles : les dossiers de car-riére conservés dans le fonds des archivesdu CNRS a Gif-sur-Yvette recélent 69dossiers concernant des chercheusesnées avant 1900 soit 69 dossiers pour unepopulation sans doute un peu plus impor-tante. La cohorte des “grandes anciennes”,premiéres bénéficiaires des subsidesdispensés par la Caisse nationale de larecherche scientifique, croise celle des tra-vailleuses concernées par le recensementdu personnel scientifique et universitaire,en vue de la mobilisation scientifique quia lieu a partir d’octobre 1938. Les scienti-fiques et universitaires — hors scienceshumaines — remplissent alors des fichesindividuelles’, avec état-civil, cursuset fonctions, ainsi que la situationmilitaire pour les hommes, pour une éven-tuelle affectation dans l’un des 140 labo-ratoires mobilisés et planifiés par leCNRS. Prés de 4 000 fiches disponibles,contribuent 4 donner un état des lieux deYemploi scientifique et universitaire, fémi-nin et masculin, entre 1938 et 1939.

Les “grandes anciennes”

Du cété des “grandes anciennes”, nées auXIX? siécle, sans explorer systématique-ment les dossiers de carriére — ce quiconduirait au-dela des limites de cetteétude —, quelques traits démographiqueset professionnels sont 4 souligner.Parmi les 69 chercheuses identifiées, 4 sont

3. Que Sylvie Hochet, alors chef de ce bureau, trouve ici ’expression de mes remerciements pour avoir bien voulu m’apporter son témoignage.

4, Josette Cachelou, “Les femmes chercheurs au CNRS”, Le Courrier du CNRS, avril 1979, n°32, pp. 30-36. Il est tout a fait remarquable que Le Courrier du CNRS publie cetteétude sous la forme d’une “libre opinion”, rubrique inexistante dans l'histoire de la revue a l'exception de ce seul article, et précise encore - en chapeau - que “l’auteur nousdonne ici son opinion personnelle”. Il est vrai que la conclusion est pessimiste : “Malgré leur importance numérique, malgré leur culture universitaire, malgré leur travail qui exigeun esprit de réflexion, elles (les femmes) sont rares aux postes de décision, et la situation des femmes-chercheurs est en régression”.

5. Que les archivistes du CNRS, Michelle Sabourin a Gif-sur-Yvette et Louis Cosnier a Paris, soient ici remerciés pour leur accueil, leur disponibilité et leur collaboration précieux.6. Une étude sur les femmes au CNRS avait été réalisée dans la foulée des travaux suscités par le cinquantenaire de I’établissement en 1989 : Anne-Marie Bataillon, Raymonde

Blanchard, Sylvie Hochet, Marie-Paule Peyre, Nicole Pouey, Aline Roy : “Présence des femmes au CNRS”, L’'Homme et la Société, 1991, n°1-2, pp. 169-176.7. Les fiches sont conservées : A.N. Fontainebleau, fonds CNRS, F19-800284, articles 24 a 27.

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Les femmes dans histoire du CNRS

nées entre 1866 et 1879, 15 entre 1880 et1889, 50 entre 1890 et 1899 : elles sontdonc massivement trentenaires quandla Caisse nationale est susceptible derétribuer leurs travaux. Pour ces cher-cheuses de premiére génération, scienceet mariage ne font pas bon ménage : 25sur 69 seulement convolent en justesnoces. Le fort taux de célibat observé —63,8 % — rejoint logiquement celuiobservé chez les professeures — 68 % en1923, 63 % en 1938° — et plus généra-lement chez les femmes plus dipléméesque la moyenne. Pour les chercheuses duCNRS, le phénoméne, certes atténuédans ses proportions, sera encore relevédans une enquéte syndicale publiée en1981 : 18% de célibataires, mais 35 %parmi les femmes maitres de recherche,quand la moyenne féminine nationalesétablit 4 10 %°.

Si parmi les 69 chercheuses nées avant1900, seule Iréne Joliot-Curie a leshonneurs du Dictionary of ScientificBiography” — Jeanne Duportal en 1929 etMadeleine Colani en 1937 seront faiteschevaliéres de la Légion d’honneur — 48(soit 69,6 %) sont auteures de publicationsrépertoriées au catalogue de la Biblio-théque nationale de France" : leur acti-vité a donc été productive et de notoriétépublique. Leurs ceuvres repérables comp-tent des théses, des ouvrages et des tirésa part d’articles de revues. Seuls les arti-cles ayant fait l’objet de tirés a part étantenregistrés au catalogue de la BnF, laproduction réelle des doyennes de larecherche est sans doute plus fournie.Les 21 théses ont été soutenues a desAges allant de 27 ans (en science poli-

tique et économique) a 52 ans (en scien-ces naturelles) ; ’a€ge moyen de soute-nance, relativement élevé, s’établit a36 ans et 10 mois et la moitié des impé-trantes ont entre 35 et 40 ans.

Les 50 “grandes anciennes” dont l’appar-tenance disciplinaire est connue incarnentdéja la féminisation accentuée, toujours demise, des deux secteurs des sciences de lavie et des sciences humaines : 26 (la moi-tié) se consacrent aux sciences de la vie(biologie principalement), 11 aux scienceshumaines (dans toute la gamme), 9 a laphysique/chimie, 4 aux sciences de la terreet de univers (géologie).

Des femmes mobilisables

Avec Tenquéte sur le personnel scienti-fique et universitaire de 1938-1939, unedeuxiéme catégorie de population fémi-nine se dessine, regroupée non plus sur uncritére de dates de naissance (avant 1900)et de fonction (chercheuse), mais sur le faitd’avoir été rétribuée par le CNRS en untemps T, soit ’année universitaire 1938-1939. Le groupe s’élargit aux aides-tech-niques (ancétres des ITA, a lexclusion despures administratives) sans inclurecependant les représentantes des scienceshumaines. Les fiches personnelles per-mettant de faire connaissance d’une part,et ’enquéte sur les laboratoires” permet-tant d’en apprendre un peu plus sur lesconditions de travail d’autre part, facili-tent l'étude de cette population.

Le comptage et l’étude des fiches demobilisation scientifique, exhaustif pourles femmes recensées au titre du CNRSet partiel’ pour les autres femmes (uni-versitaires) et pour les hommes, permet

8. Marléne Cacouault, “Dipléme et célibat : les femmes professeurs de lycée entre les deux guerres”, Madame ou Mademoiselle ? Itinéraires de lasolitude féminine, XVIll°-XX° siécle, textes rassemblés par Arlette Farge et Christiane Klapisch-Zuber, Paris, Artaud-Montalba, 1984, pp. 177-203.9. Syndicat national des chercheurs scientifiques, Commission femmes dans la recherche, La recherche des femmes (enquéte, réflexions sur les

femmes chercheurs du CNRS), Paris, SNCS (Fen), 1981, pp. 49-50.

10. Dictionary of Scientific Biography, editor in chief Charles Coulston Gillispie, New York, Charles Scribner's Sons, 1981, 16 vol.

11. Identifiables en interrogeant la base informatisée BN-OPALE PUS.

12. Mobilisation scientifique. Enquéte sur les laboratoires parisiens. A.N. Fontainebleau, fonds CNRS, F19-800284, article 8.13. Les 1 659 dossiers, sur 4 000 environ au total, concernant la tranche alphabétique D-L ont été intégralement comptés pour y mesurer la partdes femmes appartenant a d’autres institutions que le CNRS et des hommes, CNRS et autres.

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?

destimer la répartition par sexe et parappartenance institutionnelle du _ per-sonnel scientifique en France en 1938-1939. Selon cette enquéte, — avec 94femmes CNRS — la part féminine dansle personnel scientifique du Centre s’é-tablit A 25,6 % dés cette période. Si l’onrapproche ce taux a celui des 30,3 % dechercheuses dénombrées en 2000", ilapparait incontestable que la situationde départ, relativement favorable, n’apas engendré de dynamique de fémini-sation massive, comme Il’enseignementsecondaire, par exemple”, en a connue.La progression de l’accés des femmes auxdiploémes de l’enseignement supérieur, etdonc la constitution d’un vivier de recru-tement, n’est pas méme reflétée dansces chiffres. Cette stagnation régressive,que d’autres données _ préciseront,mérite d’étre soulignée dés maintenant.

En 1938-1939 — femmes et hommesconfondus — le CNRS ne compterait, d’aprésles fiches conservées, que pour 9,2 %"* de lapopulation scientifique susceptible demobilisation. Il abrite 16,9 % des femmes,mais seulement 7,9 % des hommes recen-sés : la distorsion du simple au doublerévéle la séduction beaucoup plus forte dessirénes — et des salaires — de l'Universitéauprés d’eux, quand leurs collégues fémini-nes se débrouillent avec les boursesoctroyées par le CNRS et les aléas d’un sys-téme proche du mécénat’. Lintroductiondu salariat, avec des rémunérations assi-milées a celles de ’enseignement supérieur,pour les chercheurs du CNRS, n’intervien-dra qu’en 1945”. Le statut précis connu de83 des 94 femmes les répartit en 42 bour-siéres (soit la moitié de leffectif), 21 aides-14, Bilan social 2000, p. 18.

techniques (le quart), 14 chargées derecherche et 6 de statuts différents. Deuxfemmes se distinguent par leurs titres :Nine Choucroun”, maitre de recherche enbiologie, et Renée Canavaggia, chef detravaux en astrophysique ; toutes les deuxdeviendront directrices de recherche.

Profils

Les Ages connus de 79 femmes CNRS sur94 ouvrent un trés large éventail : néesentre 1866 et 1920, elles ont de 19 a 73ans, avec un 4ge moyen de 36 ans, maisplus de la moitié ont entre 24 et 34 ans(41 sur 79, soit 51,9 %). Cette population,un peu 4gée pour un organisme naissant,ou l’effet ancienneté ne pése donc pas surlage moyen, est cependant beaucoupplus jeune que celle présente aujourd’huidans l’organisme. En 2000, les femmes(chercheuses et ITA) ont 46 ans et 4 moisen moyenne et la tranche des 25/34 ansne réunit plus que 15,4 % du personnelféminin”. Lage moyen global de 36 ansen 1938-1939 se décline selon les statuts :les chargées de recherche, les plusinstallées dans le métier, ont 41 ans et11 mois en moyenne (pour une pyramidede 28 a 73 ans) ; les boursiéres ont32 ans en moyenne (de 19 a 47 ans), lesaides-techniques ont 27 ans et 6 mois enmoyenne (de 19 a 53 ans). Les 6 femmesaux statuts rares ont 43 ans en moyenne(de 25 a 61 ans).

La femme “type” travaillant auCNRS en 1938-1939 serait donc uneboursiére de 32 ans, célibataire,puisque le célibat reste le lot commundes scientifiques mobilisables dudeuxiéme sexe : 49 femmes sur 76,

15. Marlane Cacouault, “Professeur du secondaire : une profession féminine ? Eléments pour une approche socio-historique”, Genéses, 1999, n°36, pp. 92-115.

16. Toujours d’aprés |’étude de 1 659 dossiers.

17. Quelques rémunérations sont mentionnées dans l’enquéte sur les laboratoires, notamment pour du personne! récemment affecté : les aides-techniquessemblent recevoir de 1 000 a 1 500 F par mois (brut) selon les travaux (les femmes de service 800 F), les chargées de recherche 2 200 F. Le montant de labourse est annuel, de l’ordre de 24 000 F. Une enquéte plus systématique est a mener sur ces conditions financiéres.

18. Ministére de Education nationale, CNRS, Séance pléniére du Comité national de la recherche scientifique, 2 juin 1948. Archives du CNRS, Gif-sur-Yvette, fonds

documentaire, article 22.

19. Les souvenirs de Gabrielle Mineur, secrétaire de Jean Perrin, peignent Nine Choucroun en “grande égérie” du trés proche entourage féminin de Jean Perrin.“Gabrielle Mineur, secrétaire de Jean Perrin”, propos recueillis par Jean-Francois Picard, Cahiers pour I’histoire du CNRS, 1989, n°2, pp. 35-42.20. Bilan social 2000, p. 26. En 2000, les hommes (chercheurs et ITA) ont en moyenne 46 ans et 7 mois, soit sensiblement le méme age que leurs collegues femmes.

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dont le sort matrimonial en 1938-1939est connu (soit 64,5 %), le partagent. Cetaux varie évidemment avec |’Age, de90 % pour les moins de 25 ans a 55 %pour les plus de 35, en passant par65,8 % pour les 24-34 ans, soit la moitiéde notre population. Les mariagessont plus rares et tardifs ici que pourlYensemble des générations fémininescontemporainesqui convolent alorsentre 23 et 24ans”. Les 23épouses (30,3 %)n’ont pas — ou pasencore — d’enfants |pour la moitiéd’entre elles (11),8 sont méres d’unseul enfant, 2 enont 2 et 2 en ont3”, Le personnelféminin du CNRSne compte alors que 17,1 % de méresde famille (12 épouses et une divorcéeavec un enfant). La faible natalitéobservée dans le milieu sera encoreévoquée dans l’enquéte syndicale de1981”. Pour étre exhaustif concernantYétat-civil, il reste 4 mentionner la pré-sence de trois divorcées, d’une veuve, dedeux pupilles de la nation (une boursiéreet une aide-technique) et dune (autre)orpheline (aide-technique). Enfin, parmiles quelques personnels de service ren-contrés, non comptabilisés ici, la présencedune “fille-mére” est spécifiée.

Les 73 lieux de naissance déclarés attes-tent un recrutement bien ouvert sur laprovince et hors de ’hexagone : 32 femmes(soit 44 %) sont natives des régions pour

26 Parisiennes et trés proches banlieu-sardes (35,6 %) ; 9 sont nées a l’étranger(Russie — 3 —, Egypte — 2 —, Roumanie,Gréce, Pologne et Etats-Unis) et 5en France d°Outre-Mer (Algérie — 2 -,Guyane, Martinique et Indochine). Le cos-mopolitisme de linstitution, dés sa créa-tion, est déja globalement connu et seconfirme pour ce qui concerne la populationféminine. Lexigencede la nationalité| francaise pour accé-der aux carriéresuniversitairesconduit les scienti-fiques étrangers,fraichement arrivésdans le pays, a setourner, au moinsle temps d’une éven-Lituelle naturalisa-

tion, vers les bour-

ses de la Caisse puis celles du CNRS.

Dans le petit monde des femmes aides-techniques, les origines géographiques seresserrent sur la capitale (9 sur 16, avec 4provinciales, 2 étrangéres et une native deYOutre-Mer). Pour ces fonctions, acces-sibles sans obligation de passer par lesbancs des facultés, un recrutement “devoisinage” et donc parisien, est plus aisé.

Cursus et disciplines

Plus de la moitié des femmes chercheu-ses en 1938-1939 sont docteures (33théses pour 62, soit 53,2 %). La consul-tation du catalogue de la Bibliothequenationale de France permet de retrou-ver les dates de 27 de ces théses, et d’endéduire l’A4ge de soutenance : 31 ans et4 mois en moyenne, soit 5 ans et demi

21. Pierre Guillaume et Jean-Pierre Poussou, Démographie historique, Paris, Armand Colin, 1970, p. 299.

22. La fiche de l'une des deux méres de trois enfants, boursiére de 42 ans, précise que ses enfants ont de 18 mois a3 ans, ce qui témoigne d’un mariagetardif et vraisemblablement d’une naissance gémellaire. Nul doute que cette physicienne ait connu quelques difficultés a concilier ses charges familialeset la recherche. L’autre mére de trois enfants est une aide technique de 53 ans, sans autre précision.

23. Syndicat national des chercheurs scientifiques, Commission femmes dans la Recherche, op. cit., pp. 58-59.

24. Jean-Francois Picard, op. cit., p. 168.

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?

plus t6t que dans la cohorte née avant1900. Les conditions matérielles du tra-vail scientifique féminin se sont amé-liorées dans les années 1930, grace auxfinancements accordés par la Caisse derecherche, aides dont les “grandesanciennes” n’ont pas ou ont moinsbénéficié. Certaines des chercheuses de1938-1939 sont boursiéres depuis plusde 5 ans, ce qui leur a permis de menera bien leur doctorat. La moitié deschercheuses (14 sur 27) ont soutenuleur doctorat 4 30 ans au plus tard, lesautres soutiendront entre 31 et 37 ans(une seule encore plus tard a 47 ans).Les plus jeunes thésardes s’adonnentmajoritairement aux sciences naturel-les — en moyenne, leurs 10 théses sontsoutenues 4 29 ans et 11 mois — tandisque les théses en sciences physiques(incluant la chimie) sont présentéesplus tardivement : les 13 théses decette discipline sont soutenues 4 32 anset 4 mois en moyenne. La seule docto-rante en mathématiques recoit sondipl6me a 29 ans, la pharmacienne 428, les deux médecins a4 32 et 37 ans

(pour cette derniére, une thése ensciences naturelles avait précédé celleprésentée en médecine). Les chercheu-ses non encore docteures, sont titulairesau moins de certificats de licence, delicences complétes ou de diplémesd’études supérieures.

Du cété des aides-techniques, les 15 cur-sus connus sont trés ouverts puisque silon rencontre une titulaire de thése (ensciences physiques) et une master of artde la Syracuse University, on croiseaussi des jeunes femmes munies de leurseul brevet supérieur ou élémentaire,voire d’un niveau d’études secondairesnon sanctionné par un dipléme, si légersoit-il. La plupart, 11 sur 15, ont cepen-dant au minimum le baccalauréat, com-plété par une licence — dans un tiers descas — et au moins des certificats pour lesautres. Une seule femme s’est arrétéeau baccalauréat.

Le tableau 1 répartit les 77 femmesCNRS dont les affectations en 1938-1939 sont connues, selon leurs disci-plines, en distinguant les chercheusesde statuts divers d’une part, les aides-techniques d’autre part.

Tableau 1 : répartition par disciplines du personnel fémininscientifique mobilisable en 1938-1939

chimie

sciences dela vie (avecpsychologie)

aides-techn. 12

sciencesPy enyesy Co pbCecyet mathémat.

sciences dela terre et(Cem Mbat Ate es)

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Les femmes dans histoire du CNRS

Comme les chercheuses nées avant 1900,celles de la “deuxiéme génération” seconsacrent pour moitié aux sciences de lavie ; la féminisation accentuée de ce sec-teur, toujours de mise en 2000”, est doncposée, dés la création de lorganisme. Lessciences de Phomme n’étant pas représen-tées dans la population considérée, la chi-mie leur ravit la deuxiéme place dans lecoeur du personnel féminin, avant lessciences de la terre et de l’univers et enfinles moins aimées, physique et mathéma-tiques. Le rapport aides-techniques/cher-cheuses quasi paritaire en sciences de laterre, reste relativement élevé en sciencesde la vie, alors qu'il baisse en chimie et enphysique.

Sans analyser l'ensemble des productionsscientifiques signées par les 62 chercheu-ses de 1938-1939, la présence de 42 d’en-tre elles (les deux-tiers) au catalogue de laBibliothéque nationale de France est amentionner. Parmi elles, 14 n’ont d’autrespublications que leurs théses, les 28 au-tres publient en outre ouvrages et/ou arti-cles, seules ou en collaboration. Parmi cesderniéres, les 7 auteures les plus fécondestotalisent chacune plus de 10 références.Quant aux deux “championnes”, ellesont déja été rencontrées : la doyenneMadeleine Colani qui sillustre avec 21notices de travaux publiés entre 1914 et1940, et Renée Canavaggia, chef de tra-vaux en astrophysique en 1938-1939,future directrice de recherche qui enréunit 37, entre 1936 et 1977.

Dans les laboratoires

Toujours dans le cadre de l’organisationde la mobilisation scientifique, uneenquéte sur les laboratoires, destinée 4 en

mesurer les moyens humains et maté-riels, est menée”. Cet état des lieux four-nit quelques éléments supplémentairespour restituer la mixité du travail scienti-fique en 1938-1939. La composition deslaboratoires se précise et les chercheuses,rétribuées par le CNRS, sy retrouvent“en situation” avec d’autres, qui, elles, sontpayées par divers organismes scientifiquesou universitaires et au méme titre queleurs collegues masculins.

Pour sen tenir aux établissements pari-siens visités, s'il est fréquent de ne pasrencontrer de femmes dans les petitslaboratoires comptant au plus 5 membres,4 gros centres de recherche sont dans leméme cas. A la faculté des sciences, leshautes températures (6 chercheurs et 17techniciens), la mécanique physique etexpérimentale (6 chercheurs et 8 techni-ciens) et la mécanique des fluides (17hommes en tout) comme 4a Bellevue,Vélectroaimant et les basses températures(8 chercheurs et 4 techniciens) sont desbastions masculins. Inversement, etlogiquement — car ressortissant cette foisaux sciences de la vie — la seule directricede laboratoire, Gabrielle Randoin, régnantsur le contréle biologique des produitsvitaminés, dirige un quasi-bastion fémi-nin : 3 chercheuses sur 4, 13 techni-ciennes sur 17. Le laboratoire d’astrophy-sique dirigé par Henri Mineur se distin-gue également en alignant 10 noms fémi-nins sur 12 : Renée Canavaggia, chef detravaux, a sous ses ordres 5 calculatrices,3 mesureuses et une secrétaire.

Certains laboratoires ont une forte fémi-nisation, mais a caractére plutdt tech-nique. Ainsi, a l'Institut Henri Poincaré,

25. Le département SDV atteint les taux de féminisation les plus élevés, du cété des chercheuses comme des ITA en 2000 : 39 % de chercheuses et 69 %d'ITA femmes. A lui seul il mobilise plus du quart (28,3 %) de l'ensemble du personnel féminin du CNRS. Bilan social 2000, p. 63.26. Mobilisation scientifique. Enquéte sur les laboratoires parisiens. A.N. Fontainebleau, fonds CNRS, F19-800284, article 8.

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?

trois unités tournent avec une partimportante (la moitié au moins) de tech-niciennes : 9 calculatrices et une assis-tante sur un effectif total de 14 membresau laboratoire de calculs ; 2 calculatrices,2 collaboratrices, 2 assistantes et une des-sinatrice sur 14 personnes au total danscelui de physique théorique ; 5 calcula-trices et une assistante au laboratoire debalistique sur 13 personnes en tout.

Les gros laboratoires de chimie sont éga-lement bien féminisés, mais cette fois, defagon plus équilibrée entre personnelsscientifique et technique. A la faculté dessciences, l'Institut de chimie compte 8chercheuses sur 22 et 10 techniciennessur 26 et le laboratoire, dirigé par le pro-fesseur Job, compte 5 chercheuses dansson équipe scientifique de 11 membres.Enfin, le trés gros laboratoire de chimiephysique n’atteint lui qu’un quart de per-sonnel féminin avec 7 chercheuses sur 34et 5 techniciennes sur 14.

Ce trop rapide apercu sur la présenceréelle des femmes au sein des laboratoi-res, visant 4 rendre plus concret le “25 %”d’ensemble, montre que cette présenceféminine dépend 4a la fois de la disciplineet de la nature des travaux a effectuer. Lessituations sont en réalité extrémementdiversifiées : de exclusion totale a la priseen charge totale (dans ’exemple du labo-ratoire Randoin), en passant par une forteparticipation, mais seulement technique,comme dans certains laboratoires, celui del'Institut Poincaré par exemple.

Le plan de mobilisation, qui résulte dePétat des lieux dressé en 1938-19397",mais dont la défaite de juin 1940

contrecarre l’application, placera sous laresponsabilité et la coordination duCNRS 140 laboratoires, répartis en 18groupes (6 a Paris, les autres en province)et confiera 4 laboratoires parisiens A desfemmes : l'Institut du radium a IréneJoliot-Curie (en co-direction avec AndréDebierne) ; la chimie organique, 4 lafaculté des sciences, 4 Pauline Ramart-Lucas (née en 1880, alors professeur 4la faculté) ; le laboratoire du travail de laSNCF* a Dagmare Weinberg (qui enétait directrice adjointe auparavant) etenfin le laboratoire de physiologie de lanutrition et d’enquéte sur l’alimentation,important en temps de guerre, 4 GabrielleRandoin, déjé mentionnée. Ces quatreattributions reflétent bien la présenceféminine originelle au sein du CNRS :on y trouve une “grande ancienne” pres-tigieuse, pour le département de la chi-mie et des sciences de la vie, ot: les femmesqui font souvent “tourner la boutique”sont représentées et enfin la présencedune psychologue préfigurant la place queprendront les femmes dans les scienceshumaines.

Bien présentes, mais peu visibles,1945-1970

Des laprés-guerre et jusqu’a la fin desannées 1960, les femmes sont évidemmentla, mais nul ne songe 4a les compter :aucune statistique, aucune étude sexuéesur le personnel du CNRS nest lancée.Lheure n’est encore ni aux ressourceshumaines ni 4 leur management ; rapportsde conjonctures et autres bilans évoquent“les chercheurs” ou “les collaborateurstechniques” sans plus de curiosité sur leuridentité. Lépluchage systématique des

27. Mobilisation scientifique. Schémas d’organisation des laboratoires du Centre a la date du 1* juin 1940. Archives du CNRS, Gif-sur-Yvette, fonds

documentaire, article 32.

28. Ce laboratoire comprend 30 femmes parmi ses 33 personnels techniques, faisant passer des tests de biométrie et les dépouillant.

47

48

Les femmes dans histoire du CNRS

dossiers de carriére ou des fichiers de paye,a la poursuite des femmes, serait uneentreprise titanesque. On se contenteradonc, pour cette période, d’évoquer les trésrares chiffres connus, en les resituant parrapport aux effectifs globaux de l’établisse-ment et l’on relévera surtout les traces dela présence féminine sur les organigram-mes, ou apparaissent au moins celles quiont des responsabilités, que ce soit dans ledomaine de la recherche ou dans l’'admi-nistration. Les directrices de laboratoiredune part, les femmes chefs de bureaudans les services centraux au siége duCNRS d’autre part, sont les plus visibles.

Croissance

Le “rapport sur la gestion du CNRS de1944 a 1948”, présenté par son directeurgénéral Georges Teissier lors de la séancepléniére du Comité national de la recher-che scientifique du 2 juin 1948” retraceYévolution des effectifs au sortir de laguerre :

- en 1943-1944 : 600 chercheurset 480 collaborateurs techniques ;

- en 1944-1945 : 800 chercheurset 556 collaborateurs techniques ;

- en 1945-1946 : 1 100 chercheurset 679 collaborateurs techniques ;

- en 1946-1947 : 1 370 chercheurset 715 collaborateurs techniques ;

- au 1* octobre 1947 : 1 500 chercheurs ;

- au 30 avril 1948 : 1 384 chercheurset 680 collaborateurs techniques.

La seule mesure disponible pour véri-fier la place des femmes dans cesannées de reconstruction concerne les

chercheuses : en 1946, elles représen-tent 30 % des chercheurs — soit environ400 — daprés le dépouillement desversements de cotisations sociales®.Du cété des collaborateurs techniques,les femmes sont sans doute relative-ment encore plus nombreuses, maisaucun calcul n’a été fait. Dix ans plustard, les effectifs globaux du CNRS*atteignent prés de 6 000 personnes :

- au 1* octobre 1956 : 2 840 chercheurs,1 150 contractuels au service deslaboratoires, 1 310 collaborateurstechniques ;

- au 1" octobre 1957 : 2 990 chercheurs,1 300 contractuels au service deslaboratoires, 1 435 collaborateurstechniques.

Le rapport de conjoncture 1956-1957souligne que l’octroi de primes a certescontribué 4 améliorer la situation maté-rielle des personnels, mais que celle-ci“reste néanmoins trés inférieure a celledes secteurs semi-publics ou privés, sanscomporter pour cela les avantages d’unecarriére de fonctionnaire en ce quiconcerne la stabilité et le régime desretraites” et en appelle 4 un sérieux coupde pouce des pouvoirs publics. Il inter-viendra en 1959, avec les nouveaux sta-tuts conférés au CNRS, afin d’éviter V’hé-morragie. Sachant que, du cété des cher-cheurs, la présence féminine culmine 435 % en 1960” et qu’elle s’est donc main-tenue, en progressant encore dans lesannées 1950, il devient évident que lesort matériel peu enviable des agents duCNRS, notamment face 4 celui des uni-versitaires, du moins jusqu’en 1959,

29. Ministére de |’Education nationale, CNRS, Séance pléniére du Comité national de la recherche scientifique, 2 juin 1948. Archives du CNRS,

Gif-sur-Yvette, fonds documentaire, article 22.

30. Anne-Marie Bataillon, Raymonde Blanchard, Sylvie Hochet, Marie-Paule Peyre, Nicole Pouey, Aline Roy, op. cit., p. 169.31. Rapports de conjoncture 1956-1957 et 1957-1958. Archives du CNRS, Gif-sur-Yvette, fonds documentaire, article 22.32. Anne-Marie Bataillon, Raymonde Blanchard, Sylvie Hochet, Marie-Paule Peyre, Nicole Pouey, Aline Roy, op. cit., p. 169.

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?

explique en grande partie la présenceprécoce et relativement marquée des fem-mes parmi ses personnels de recherche.

Entre 1956 et 1965, les effectifs du CNRSdoublent : en 1965, 4 875 chercheurs,6 832 ITA (ingénieurs, techniciens, admi-nistratifs) et 593 “autres” personnels sontprésents, soit 12 300 personnes. La crois-sance reste de mise jusqu’a la fin de ladécennie : en 1970 les 16 641 agents serépartissent en 6 397 chercheurs, 9 705ITA et 539 “autres”*. Parmi les cher-cheurs, les femmes se maintiennent, maisne progressent plus : elles sont 34 % en1967* (sur 5 527, soit 1 879 chercheuses)et en 1968, toutes catégories confondues(chercheurs et ITA), le personnel duCNRS compte 45% de femmes”, soit6 970 agents sur 15 489.

Une enquéte sur les “Caractéristiquessocio-professionnelles des chercheurs dusecteur public en sciences exactes etnaturelles” publiée en 1967 et portantsur la population scientifique du milieudes années 1960, esquisse quelquestraits propres aux chercheuses relevantde ces disciplines, au CNRS et ailleurs(autres établissements de rechercheet enseignement supérieur). Dans lacohorte de 11 095 chercheurs observée,les femmes ne comptent que pour 20 % —cest dire qu’elles sont nettement moinsnombreuses ailleurs qu’au CNRS ot ellesatteignent alors 34% des chercheurs,toutes disciplines confondues -, mais39 % des “enquétées” se rattachent auCNRS. Les chercheuses sont un peu plusjeunes que leurs collegues masculins —72 % Wentre elles ont moins de 40 ans ;68 % parmi eux seulement — et, sans

surprise, sadonnent majoritairement 4la biologie et a la chimie. A ’Université,les chercheuses ont été 49% a étudierla biologie ; 25 % la chimie ; 16 % la phy-sique ; 6% les sciences de la terre etenfin 4 % seulement les mathématiques.Létude des diplémes obtenus révéle queles femmes “monopolisent” 48 % des doc-torats de 3° cycle et 26 % des doctoratsd’Etat en biologie soutenus par les cher-cheurs de l’enquéte.

Directrices de laboratoires

Linfime participation féminine au“Colloque national sur la recherche etYenseignement scientifique” tenu a luni-versité de Caen du 1* au 3 novembre1956, premier événement médiatique dugenre et qui marque la naissance d’un“lobby” scientifique”, montre que les fem-mes ne sont pas partie prenante quand ils’agit de tracer, avec les politiques et lesindustriels — et devant la presse —, unnouveau cadre pour la recherche et l’en-seignement supérieur. Trois noms fémi-nins seulement figurent dans la liste des127 participants*® : Madame Choucroun,directrice de recherche au CNRS, MadameGregh, du Conseil supérieur de la recher-che scientifique et Mademoiselle Moreau,administratrice civile. La quasi-absencedes femmes au moment-clé de 1956surprend un peu, quand on songe qu’enseptembre 1944, Iréne Joliot-Curie etPauline Ramart-Lucas (chimiste) parti-cipaient aux réunions visant a élaborerun projet de réorganisation de la recher-che scientifique®. Mais en 1956, ces gran-des figures des débuts du CNRS ontquitté la scéne : Iréne Joliot-Curie meurtcette année-la et Pauline Ramart-Lucas

33. Les effectifs détaillés par catégories de 1965 a 1972 sont fournis par Gérard Druesne, Le Centre national de la recherche scientifique, Paris, Masson, 1975, p. 299.

34, Josette Cachelou, op. cit., p. 30.

35. Anne-Marie Bataillon, Raymonde Blanchard, Sylvie Hochet, Marie-Paule Peyre, Nicole Pouey, Aline Roy, op. cit., p. 169.36. Madame de Castelnau (chargée de mission a la DGRST) “Caractéristiques socio-professionnelles des chercheurs du secteur public en Sciences exactes et naturelles”,

Le Progrés scientifique, avril 1967, n°107, pp. 27-42.37. Jean-Frangois Picard, op. cit, pp. 150-152.

38. Les actes et les “12 résolutions” du colloque sont publiés dans la jeune revue que vient de lancer Pierre Mendés France, Les Cahiers de la République, 1957, numéro spécial.

39. A.N. Fontainebleau, fonds CNRS, F19-800284, article 55.

49

50

Les femmes dans histoire du CNRS

rvest plus depuis 1953. Qu’en est-il alors dela place des femmes au niveau des direc-tions et sous-directions de laboratoires ? Letableau 2 retrace, de 1959 4 1970, d’aprésles organigrammes, leur présence dans cesfonctions.

Alors que 30 a 35 % des chercheurs sontdes chercheuses, le nombre de femmes,parmi les directeurs et sous-directeurs delaboratoire, ne progresse que de 4 a 6 %.Autant dire qu’elle est infime et dispro-portionnée par rapport a leur présence

dans la recherche. Seule — mince — conso-lation : avec une direction conquise en1970 en mathématiques (calcul électro-nique), les femmes se sont montrées aumoins une fois dans tous les groupes dedisciplines relevant des sciences exacteset naturelles ; en revanche, toutes lessciences humaines, notamment la géo-graphie, l’histoire et la sociologie ne leuront toujours pas accordé leur confianceen 1970 : aucune chercheuse n’a encoreeu la responsabilité de la direction ou dela sous-direction d’un _laboratoire’.

Tableau 2 : les femmes directrices et sous-directricesde laboratoire en 1959, 1965, 1968 et 1970

Années | Effectif

et sous-dir | sous-dir | sous-dir

1959 126 5 41965 170 7 411968 181 10 5,51970 174 11 6,3

Femmes | % femmes | Détails des directions et

sous-directions féminines

Chimie nucléaire : Mlle Perey. Physiologiede la nutrition : Mme Randouin. Physiologieet biochimie cellulaire : Mlle Le Breton.IRHT* : Mlle Vielliard. Recherchesjuridiques comparatives : Mlle Marx.

Mlles Perey, Le Breton et Marx : cf. 1959.Géologie du quaternaire : Mlle Alimen.Chimie biologique : Mme Polonski. Verres :Mme Winter-Klein. Ultracentrifugation :Mme Filitti-Wurmser.

Mlle Alimen, Mme Winter-Klein, Mlle Perey,Mmes Polonski et Filitti-Wurmser,

Mlle Marx : cf. 1965. Echanges thermiques :Mme Anthony. Chimie physique :

Mlle Josien. Nutrition : Mlle Terroine.IRHT : Mlle Brayer.

Mmes Anthony et Winter-Klein, Miles Pereyet Josien, Mme Polonski, Mlle Terroine,Mme Filitti-Wurmser, Mlle Brayer :

cf, 1968. Calcul électronique : Mme Connes.Basses énergies : Mme Magnac-Valette.Cytologie : Mme Lefort-Tran.

* TRHT : Institut de recherche et d’histoire des textes

40. L'Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT) a direction ou sous-direction féminine releve alors du groupe linguistique et philologie et non de

histoire.

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?

Sachant que, dans ces mémes années1959 a 1970, la part des femmes auComité national” — ot les universitaireset chercheurs d’autres établissementssont partie prenante — évolue un peuplus favorablement de 3,9% a 11,8%(et qu’en 1970 elles y sont représentéesdans toutes les sections de scienceshumaines), force est de constater la réti-cence des scientifiques — plus accentuéeau CNRS quilleurs ? — 4a laisser leschercheuses prendre les rénes.

Chefs de bureau

et autres administratives

Pendant la Seconde Guerre mondialeet juste aprés”, les femmes occupentdes responsabilités administratives auCNRS. En 1949, sur les cing bureauxcomposant les services administratifset techniques, deux sont dirigés par desfemmes : Suzanne Potet, agent supé-rieur de 1*° classe, régne sur |’adminis-tration du personnel (services centrauxet laboratoires) et Lucienne Plin, admi-nistratrice civile de 3° classe, sur lescommissions consultatives, les cher-cheurs et les subventions. LuciennePlin restera 32 ans dans des fonctionsdécisives, notamment pour le fonction-nement du Comité national®. Elle araconté ses débuts : jeune professeurede sciences naturelles nommée aVersailles pendant l’Occupation, maisredoutant de ne pouvoir s’y rendre enraison des difficultés de transport, ellese présente A un emploi de rédacteurvacant au ministére de l’Educationnationale. Elle lVobtient et devientrédactrice puis administratrice civile.Rencontrant par hasard au ministére,

un jour de 1946, son ancien professeurGeorges Teissier, devenu directeur duCNRS, celui-ci la recrute, du jour aulendemain, pour compléter son équipeadministrative, trop juridique 4a songott. Lucienne Plin souligne que lespremiers agents des services centrauxdu CNRS, dépourvus de statut, sontpour la plupart des fonctionnairesdétachés de leur administration d’ori-gine. Lorganigramme de 1949 place4 femmes aux postes de sous-chefdes 5 bureaux des services centraux —celles-ci sont administratrices civiles de3° classe, ou agentes supérieures de 3° ou2° classe — et comporte un dernier nomféminin, celui de l’assistante sociale atta-chée au bureau dirigé par Mlle Potet :Paulette Devaux, qui figurera sur lesorganigrammes jusqu’au début desannées 1970. Au total, en 1949, sur les 20postes d’encadrement des services admi-nistratifs, 7 sont occupés par des femmes ;le contréle financier et létat-major delagence comptable restent en revancheexclusivement masculins.

Dix ans plus tard, en 1959, les femmesont conquis 3 des 5 bureaux. Aux cétésde Mme Bohner, administratrice civile,en charge du budget et des personnelsdes services centraux et de LuciennePlin, Geneviéve Niéva, administratricecivile également, dirige le bureau dumatériel et des achats a l’étranger.Geneviéve Niéva“ a relaté elle aussises débuts : toute jeune “gamine de20 ans” en 1944, cherchant 4 gagner savie pour pouvoir, contre lavis de sesparents, épouser un étudiant en méde-cine, elle se fait embaucher par hasard

41. Cf infra p.

42. Sur cette période, les souvenirs de Gabrielle Mineur sont particuliérement intéressants. “Gabrielle Mineur, secrétaire de Jean Perrin”, op. cit.

43. Sur son rdle au Secrétariat du Comité, cf. infra p.

44. Entretiens avec Genevieve Niéva de Jean-Frangois Picard et Elisabeth Pradoura, 1986-1987. Achives du CNRS, Paris.

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Les femmes dans histoire du CNRS

au CNRS, ot elle fera une longue car-riére, qui s’'achévera comme secrétairegénérale du Comité national au milieudes années 1980. Autre nom de “grandeadministrative” relevé sur l’organi-gramme de 1959, celui de JacquelinePeyroutet, alors chef du secrétariat dela Direction, entrée au CNRS en 1939,d’aprés les souvenirs de Lucienne Plin,et présente a la Direction généralejusqu’au milieu des années 1980.

Dans les années 1960, les organi-grammes se compliquent et lesbureaux, regroupés en 4 divisions, semultiplient. En 1961, Lucienne Plin estot <<

division (person-nels scientifiqueset techniques) etYon compte 3 fem-mes chefs de bu-reau (budget, rela-tions extérieures,matériel) et unesous-chef, pour 13bureaux. En 1965,pas de changementpour les divisions et

chefs, mais sur 15bureaux, et 4 sous- © Photothéque CNRS

chefs. En 1968, Lucienne Plin (person-nels scientifiques et techniques) etGenevieve Niéva (adjointe aux pro-grammes et moyens) figurent parmiles 5 directions de divisions ; quantaux bureaux, au nombre de 20 désor-mais, ils comptent 11 femmes — chefsou sous-chefs — sur un état-major de 28membres. La division dirigée parLucienne Plin s’affiche comme la plusféminisée : les deux bureaux en charge

. Comité de direction du CNRS le 22 juin 1967 : de gauche a droite,toujours 3 femmes Jacqueline Peyroutet, Georges Jobert, Fernand Gallais, Claude Lasry,

directeur administratif et financier, Pierre Jacquinot, directeur général,Pierre Monbeig, Hubert Curien, Claude Lévi et Pierre Bauchet.

du personnel sont confiés 4 des chefs etsous-chefs femmes ; celle de GeneviéveNiéva en revanche ne l’est pas du tout :ses 4 chefs de bureau sont des hommes.Lagence comptable et le contréle finan-cier demeurent, pour leur part, auxmains exclusives des hommes. En 1970enfin, 13 femmes figurent parmi les 34chefs et sous-chefs de bureau ; la divi-sion des personnels et le départementde l’administration générale demeurantles plus féminisés au niveau de leursresponsables.

Lépluchage des organigrammes permetd’observer que les femmes occupentjusqu’en 1970entre le quart etle tiers des respon-sabilités adminis-tratives “inter-médiaires” et quequelques femmesremarquables,dans la placedepuis longtempset formées “sur letas”, ont la hautemain sur des sec-teurs clés. Quantau “petit person-nel”, invisible sur les organigrammes,comment le chiffrer ? Une liste télé-phonique du Siége, annexée a l’organi-gramme de 1970, compte 122 nomsféminins sur 182, soit 67% : si lonconsidére que toutes les dactylos nedisposent pas d’un téléphone, uneestimation situant 4 90 % la fémini-sation du personnel administratifpour la période“ semble cohérente.

45. Anne-Marie Bataillon, Raymonde Blanchard, Sylvie Hochet, Marie-Paule Peyre, Nicole Pouey, Aline Roy, op. cit., p. 170.

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?

Sachant qu’en 1970 le personnel admi-nistratif global du Centre compte 1 108agents“, cest environ un millier d’ad-ministratives que l’on y dénombreraitaux cotés d’environ 2 170 chercheuses,de 3 500 techniciennes (estimées a 50 %des 7 058 techniciens dénombrés“) etde 600 ingénieurs*. Combien de fem-mes au CNRS en 1970 ? Environ 7 270,soit 43,7 % du personnel.

Des femmes, des fonctions, des gradeset des disciplines, 1971-2000

Depuis 1971, des statistiques, mention-nant l’appartenance sexuelle du _per-sonnel du CNRS, permettent de situer,avec plus de finesse que pour les annéesantérieures, la place des femmes auCNRS et peuvent éventuellement encaractériser l’évolution — ou la non évolu-tion ? — entre les années 1970 et 1990.

Combien sont-elles en tout ?

Le tableau 3 retrace l’évolution de laprésence féminine parmi les agents duCNRS entre 1971 et 2000”.

499

En 1971, comme en 2000, la “sur-paritéde mise chez les ITA garantit le fort taux

de présence féminine au CNRS (plus de40 %) mais, logiquement, le trés léger reculde lavantage féminin parmi les ITA aucours de ces trois décennies s’est traduitpar une baisse de la féminisation globalede Vétablissement. I] faut évidemmentattendre que le soupcon de reprise observéentre 1995 et 2000 se consolide pour pou-voir parler d'une éventuelle inversion detendance. Dans le repli global, les cher-cheuses tirent leur — fréle — épingle du jeu:elles sont relativement plus nombreusesen 2000 qu’en 1971, mais demeurent endeca de leurs fastes années 1960 otla barre du tiers de femmes parmi leschercheurs était franchie.

Pour s’en tenir aux seules années 1990pour lesquelles les comparaisons sontaisées, le CNRS rvaffiche pas le taux decroissance féminine relevé du cété desemplois de l’enseignement supérieurentre 1992 et 2001 ot la progression deseffectifs féminins est supérieure 4 celledes effectifs globaux, ni celui observé, enpartant de plus bas, dans la recherche enentreprise ot: depuis 1992 le taux de crois-sance de l’emploi des femmes est le triplede celui des hommes®”. Au CNRS, en 2000,

Tableau 3 : féminisation des effectifs du CNRS entre 1971 et 2000

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Effectif | Femmes | % femmes | Chercheuses | % femmes BOVEKoel parmiles | ITA total | parmi leschercheurs ITA

1971 17594 7885 44,8 2 027 30,1 5 735 53,81977 20097 8960 44,6 2 196 29,3 6 764 53,71985 24208 10663 44 2 942 29,8 7 721 53,91990 25342 10704 42,4 3 252 30 7 452 53,81995 25958 10926 42,1 3 498 30,1 7 428 51,82000 25003 10565 42,2 3 462 30,3 7103 52,2

46. Gérard Druesne, op. cit. p. 299.

47. En conjuguant les chiffres des deux études citées ci-dessus.

48. En appliquant le taux de féminisation de 39 %, constaté en 1971, a cette catégorie. Pyramide des ages au 31 décembre 1971. CNRS, Service d’informatique,études et travaux statistiques, n°72-11.

49. Effectifs payés au 31 décembre de l'année considérée. Sources : “Pyramides des ages” 1971 et 1977, chiffres fournis par la Direction des ressources humainespour 1985, Bilan social 1990, 1995 et 2000.

50. Les femmes dans la recherche francaise. Livre blanc, Paris, ministére de la Recherche, 2002, p. 10 et 14. On peut aussi consulter le livre de H. Delavault, NoriaBoukhozbza, Claudine Hermann, avec la collaboration de Corinne Konrad : Les enseignantes chercheuses a |’Université : demain la parité ?, L-Harmattan, 2002.

54

Les femmes dans histoire du CNRS

les recrutements externes n’ont encorebénéficié aux femmes que pour 32,6 % desemplois de chercheurs et 47,8 % de ceuxdITA : pas de quoi induire une dynamiqueféminine remarquable.

Les chercheuses

La répartition par grades de la populationdes chercheuses du CNRS au cours dudernier tiers du XX° siécle trace une pyra-mide assez implacable : plus on montedans la hiérarchie des emplois, moins lesfemmes sont nombreuses (tableau 4).

De facon constante, le — relatif — grosbataillon des chercheuses (un tiers au moins)se situe chez les chargés de recherche : lesfemmes sont 1a en proportion plus forte queparmi l'ensemble des chercheurs. Mais,conséquence logique et perverse de cet“avantage”, les femmes sont nettementsous-représentées parmi les directeursde recherche au fur et 4 mesure que !’onséléve dans la hiérarchie du grade et ce,

de plus en plus nettement. Le bilan desannées 1990 n’incite guére a l’optimisme.Si l’on ne peut que se réjouir de voir la poi-gnée des directrices de recherche “declasse exceptionnelle” sétoffer, la régres-sion des directrices de 1* classe et la sta-gnation de celles de 2° classe inquiétent.Ces chiffres accusent une absence de pro-motion féminine allant de pair avec le can-tonnement des femmes aux grades dechargées de recherche auxquels elles sonttrés majoritairement recrutées. La partdes femmes dans les promotions internes(par concours ou au choix) demeure cons-tamment inférieure a la présence féminineparmi les chercheurs : les 25,9 % d’heu-reuses promues en 2000, pour 30,3 %de chercheuses, en témoignent encore.Le tableau 5 ventile les chercheuses pardépartements scientifiques entre 1977 et2000, en pourcentages par rapport aleffectif total des chercheurs de chaquedépartement”.

Tableau 4 : répartition des chercheuses par grades, en pourcentages,

1971-2000Années | % femmes WO Caine WB COTE) %femmes | % femmesparmi les parmi les parmi les parmi les parmi lesdirecteurs maitresde | chargésde | attachés de | stagiaires dede recherche | recherche Peer ater Ke 1X2 recherche | recherche1971 10,2 26,7 35,7 29,7 23,71977 13,3 25,3 36,5 24,6a Cd1985 13,9 248 32,3 32,2a5,9 16,1 2291995 7,9 15,3 23,5 46 32000 8,3 129 23,3 37s (334.8

51. SPM = Sciences physiques et mathématiques ; PNC = Physique nucléaire et corpusculaire ; SPI = Sciences pour Iingénieur ; SDU = Sciences de I’univers ;SC = Sciences chimiques ; SDV = Sciences de la vie ; SHS = Sciences de I’homme et de la société ; STIC = Sciences et technologies de l'information et dela communication

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?

Tableau 5 : pourcentages de femmes parmi les chercheursde chaque département scientifique, de 1977 a 2000

meee ee :

rappel %ae eCBey Ti etc)chercheurs23,8 45,2 33,9 29,326,6 426 35,4 29,826,9 41,3 38 30,127,9 40,6 38,6 30,129,2 39 40,9 17,1 30,3

1977 13

1985 18,3 13,3 HE 25,41991 18,8 16 15,8 25,21995 19,1 16 16,5 26,32000 17,7 17,7 18,4 25,4De 1977 a 2000, la progression la plus

spectaculaire apparait dans les sciencespour l’ingénieur : la féminisation relative y adoublé. Les chercheuses se sont égalementimposées, mais dans une moindre mesureen physique nucléaire et corpusculaire eten chimie. En sciences de l’homme et de lasociété, elles ont accentué encore leur forteprésence au point de devancer l’autre sec-teur traditionnellement féminin, celui dessciences de la vie, ot: elles sont en replirégulier. La stabilité est de mise en scien-ces physiques et mathématiques, commeen sciences de l’univers. On constate avecsatisfaction que l’amplitude des écarts deféminisation relative entre les secteurssest resserrée, passant de 9,1 % / 45,2 %en 1977 417,1 %/ 40,9 % en 2000, mais onnote avec regret qu’un département surdeux n’atteint toujours pas le quart dechercheuses.

Les enseignements du tableau 5, concer-nant les années 1991-2000, sont a rappro-cher des statistiques portant sur les thé-ses soutenues par des femmes : celles-ciont progressé, toutes disciplines confon-

dues, de 32 % des théses en 1992 4 40 %en 1999”. La croissance la plus remarqua-ble, celle des soutenances féminines ensciences de l’univers (d’un peu plus de 20 %a prés de 40 %) ne s’est pas encore reflétéeau niveau des chercheuses ; il est sansdoute trop tét. Le tassement des doctoratsen chimie, depuis 1996, n’est, lui non plus,pas encore sensible ; en revanche, le “pla-fonnement” autour de 50% des soute-nances féminines en sciences de la vie vade pair avec le repli amorcé du cété deschercheuses. Quant aux théses en scien-ces de l'homme, elles continuent 4 croitre,comme la part des chercheuses dans cesdisciplines. Les théses en mathématiques,physique et sciences pour lingénieur sontrelativement stables, autour de 20 %.

La trés petite place des femmes parmi lesdirecteurs et sous-directeurs de laboratoire,laissée A 6,8 % en 1970, a-t-elle progressénotablement entre 1971 et nos jours ? En1977, le pourcentage de formations dirigéespar une femme stagne toujours a 7,2 %(87 sur 1 200) avant de “grimper” 4 12,5 %en 1987. Cependant, cest surtout grace

52. Les femmes dans la recherche francaise. Livre blanc, op. cit., pp. 28-29.53. Calcul de Josette Cachelou, op. cit. p. 33

54. Calcul de Anne-Marie Bataillon, Raymonde Blanchard, Sylvie Hochet, Marie-Paule Peyre, Nicole Pouey, Aline Roy, op. cit., p. 174.

55

56

Les femmes dans histoire du CNRS

a des partages de direction avec uneco-directrice ou a des créations de pos-tes de sous-directeurs. En 1994, 14,5 %seulement des responsables ou co-res-ponsables des 372 laboratoires propressont des femmes ; le seuil des 10 %nest franchi qu’en sciences de la vie(14,5 %), sciences physiques et mathé-matiques (16,7 %) et sciences dePhomme et de la société (24,1 %). Parrapport au nombre de chercheuses(40,6 % en 1995), les sciences de lavie se montrent alors particuliére-ment avares de responsabilités a leurconfier. En 2002 enfin, pour un totalde 1 128 unités de recherche (propres,mixtes ou associées), 123 femmesseulement assurent des directions,soit 10,9 % ; les 10 % ne sont atteintsqu’en sciences de la vie (12,7 %) eten sciences de homme et de la société(16,5 %). Comme en 1994, aucunechercheuse ne dirige en physiquenucléaire et corpusculaire. Le pour-centage des laboratoires confiés a4des directions féminines et qui resteobstinément et ridiculement bas — delordre du tiers par rapport 4 ce que

laisserait espérer la présence des fem-mes dans la recherche — met en évi-dence combien la féminisation duCNRS reste fragile et partielle.

Ingénieures, techniciennes

et administratives

Le tableau 6 restitue la présence fémi-nine parmi les catégories de person-nels ITA de 1971 a 2000 et le tableau 7récapitule, pour la méme période,la répartition de l’emploi féminin auCNRS entre chercheuses, ingénieures,techniciennes et administratives. Laconjugaison des deux tableaux permetune vision a peu prés réaliste de l’em-ploi féminin au CNRS. Méme si denombreuses pondérations seraient 4apporter, en termes de transfertsd’emplois entre catégories (technicienset ingénieurs notamment) lors de latitularisation au début des années1980 ou dans le cadre de la revalori-sation des basses catégories de la fonc-tion publique.

Du tableau 6, prenant en compte lesseules ITA, une impression de relativestabilité se dégage a propos de la part

Tableau 6 : les femmes parmi les personnels ITA, 1971-2000

1971 10 655 5 735 53,81977 12604 6 764 53,71985 14 320 7721 53,91990 13 840 7 452 53,81995 14 334 7 428 51,82000 13 594 7 103 52,2

% femmes | %femmes | % femmesparmiles | parmi les parmi lesingénieurs | techniciens | administratifs

39,2 50,8 92

37 50,2 91,1

42,9 49,8 93,2

42,9 52,6 93,2

41,5 54,8 93,6

42,1 64 93,9

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?

des femmes chez les ingénieurs (autourde 40 %) comme, sans surprise, chez lesadministratifs (plus de 90 %). C’est seu-lement chez les techniciens que la fémi-nisation s’est accrue. Sans entrer dansle fastidieux détail des grades propres achaque corps, il faut néanmoins garderconscience que chez les ITA, commechez les chercheuses, les pyramides hié-rarchiques sont défavorables aux fem-mes. Si 42 % de femmes chez les ingé-nieurs peut étre, un peu rapidement,jugé un “bon taux” pour un emploi decatégorie A de la fonction publique, ilfaut le nuancer en soulignant qu’en2000, les femmes ne représentent que10,4 % des ingénieurs de recherche“hors classe” (contre 16,5 % en 1990),23 % des IR1 et 31,9 % des IR2 (respec-tivement 23,7 % et 35,4 % en 1990). C’estdonc chez les ingénieurs d’étude que laforte présence féminine est sensible, deYordre de 50 %, avec, a4 la clé, un effet“d’embouteillage” de carriére.

Sil y a 80 ans, le CNRS rémunérait, danssa population féminine, une chercheusepour trois ITA, ce rapport est passé a une

pour deux en 2000 (tableau 7). Sur centfemmes employées, l’équilibre tientquasiment aujourd’hui entre un tiersde chercheuses, un tiers d’ingénieureset un tiers de techniciennes ; la part desadministratives se réduisant commepeau de chagrin, sous le double effet dePévolution de la bureautique et desrevalorisations de carriére. Il estremarquable que plus les emploisadministratifs régressent, plus ceux-cideviennent un monopole féminin(tableaux 6 et 7). En trente ans, si lesfemmes se sont dirigées vers la recher-che, lingénierie et la technique, leshommes quant 4 eux ne partagent tou-jours pas les taches administratives lesplus modestes.

Les pourcentages de femmes ITA pardépartements scientifiques ne figurentau Bilan social que depuis 1998 ;aucune évolution remarquable n’étantsensible entre 1998 et 2000, le tableau 8fournit les seuls chiffres 2000, en rap-pelant le pourcentage des chercheureset en calculant le taux de féminisationglobale du département.

Tableau 7 : ventilation, par catégories, de l’emploi féminin au CNRS, 1971-2000

Anneées | Total femmes aan oe fe SeMK: Mey Ke) MK: nbre

1971 7 885* 2027 25,7 38904 495 1161 14,71977 8960 2196 24,5 939 105 4117 459 1708 19,11985 10663 2942 27,6 2482 22,8 3190 299 2099 19,71990 10704 38252 304 2997 28 2495 233 1960 1831995 10926 38498 32 32738 29,9 2672 244 1483 13,62000 10565 3462 32,8 3344 31,6 3316 313 443 4,2

* y compris 123 femmes “autres catégories”, non ventilables

57

58

Les femmes dans histoire du CNRS

Tableau 8 : présence relative des femmes ITA par départementsscientifiques en 2000, rappel des pourcentages de chercheuses

et féminisation globale

Départements

Sciences physiques et mathématiquesPhysique nucléaire et corpusculaireSciences pour l’ingénieur

Sciences de l’univers

Sciences chimiques

Sciences de la vie

Sciences de ’homme et de la société

Sciences et technologies del'information et de la communication

%defemmes | %defemmes | % total deparmi les ITA | parmi les femmes danschercheurs le département35,1 17,7 25,127,5 17,7 25,332,2 18,4 25,739,4 25,4 33,949,9 29,2 38,269 39 52,971,3 40,9 54,438,3 17,1 2865,6 65,6

Moyens communs et INIST*

*INIST : Institut de l'information scientifique et technique

Grace aux personnels ITA, aucun dépar-tement scientifique du CNRS ne compte,en 2000, moins d’une femme sur 4 agents,méme si les moins féminisés au niveaudes chercheurs (SPM, PNC, SPI) restentglobalement les plus masculins ITAcompris. Inversement, les femmes ITAaffluent 1a ot: les chercheuses sont déja lesplus nombreuses (SHS et SDV). Entre cesdeux extrémes, et mis a part le cas parti-culier des “moyens communs”, sur les-quels pése la lourde sur-représentationféminine administrative, les femmes tien-nent la moitié des postes d'ITA en scienceschimiques, et prés de 40 % en SDU et enSTIC. Globalement, la présence fémininevarie du quart des effectifs dans les scien-ces exactes les plus “dures” aux deux tiersdans la branche administrative ; la parité—en nombre mais non en hiérarchie, on l’a

vu — ne sest établie qu’en sciences de lavie et en sciences de l’>homme.

Combien de femmes au Comiténational ?

Depuis le premier Comité nationalfonctionnant, un peu expérimentale-ment, dés 1945-1946, avant méme quele décret du 11 juin 1949 en préciselorganisation”, des femmes siégent au“parlement” de la science, constitué ades fins d’évaluation, de recrutementet de promotion des chercheurs, d’af-fectation de moyens aux laboratoireset plus généralement d’orientationde la recherche. En 1945, elles sont 5,certaines déja évoquées comme IréneJoliot-Curie (physique) ou PaulineRamart-Lucas (chimie), auxquelles sejoignent, du cété de la biologie, MllesLebreton (directrice d’études a l’ EPHE)

55. Une étude précise du fonctionnement et de |’évolution jusqu’au début des années 1970 du Comité est incluse dans Gérard Druesne, op. cit, pp. 67-94.

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?

et Cousin (professeur 4 la faculté dessciences de Paris), ainsi que MlleCauchois (optique). Cooptations 4 l’ori-gine, puis nominations et électionspuisant de plus en plus largement auvivier du personnel universitaire etscientifique® ont réguliérement renou-velé, tous les 4 ans depuis 1953”, l’ins-tance organisée en sections par gran-des spécialités. Parti de 31 sections de12 membres nommés en 1949 (872membres au total), le Comité compte,en 1999, 840 membres, répartis en 40sections de 21 chacune, 14 élus et 7nommés. La place des femmes danslinstance a progressé réguliérement,sauf régression passagére en 1987,bénéficiant de la mise en place de laprocédure électorale pour composer ceparlement scientifique.

A propos du Comité et des femmes, leréle prépondérant de Lucienne Plindoit étre souligné. Arrivée aux servicescentraux en juillet 1946, elle travaillenotamment au secrétariat du Comité.Administratrice civile de 3° classe audépart, puis chef du 4° bureau desServices techniques en charge des per-sonnels scientifiques et techniques,gravissant tous les échelons de la car-riére, jusqu’au hors classe, LuciennePlin, ’'une des “grandes administrati-ves” incontournables de V’histoire duCNRS, tire un certain nombre de ficel-les d’une instance que sa longévitédans la fonction lui permet de connai-tre parfaitement, jusqu’au début desannées 1970. Ses souvenirs, recueillisen 1986*, la montrent régnant avecautorité sur la préparation des recru-

tements de chercheurs, pratiquant descoupes sombres dans les demandes decrédits d’équipements ou de publica-tions présentées par les sections duComité et menant 4 la baguette leurprésident.

Il est intéressant de retracer la pro-gression de la place des femmes auComité national, en nombre et pardisciplines, en statuts et en responsa-bilités particuliéres au sein du Comitéquand la documentation le permet.

Evolution de la présence des femmesau Comité national, de 1949 a 1999

Le tableau 9 (page suivante) fournit, pourchaque année du Comité, le nombre demembres total, celui des femmes, lepourcentage que ces derniéres représen-tent et la liste des groupes de sections ousections sans femmes et/ou n’en compre-nant qu'une a partir de 1983.

La féminisation du Comité nationals’apparente a une longue et lente mar-che : quarante ans ont été nécessairespour que le quart (28,1 %) de partici-pantes soit dépassé. Ce quart enfinfranchi en 1999 renvoie a un autre: les24,9 % de femmes, toujours en 1999,parmi les chercheurs, toutes apparte-nances confondues (recherche publiqueCNRS, autres organismes, universitéset recherche en entreprise)®. La proxi-mité des deux taux est parfaitementcohérente puisque les membres duComité national viennent précisémentde ce monde-la, de méme que leursélecteurs, pour la part majoritaire,élue. 56 % seulement du collége électo-ral est composé des agents CNRS

56. Jean-Christophe Bourquin, “Le Comité national de la recherche scientifique : sociologie et histoire, 1950-1967”, Cahiers pour I’histoire du CNRS, 1989, n°3,

pp. 127-159.57. 6 ans renouvelables par moitié tous les 3 ans avant 1953.

58. Entretien avec Lucienne Plin le 1° juillet 1986, propos recueillis par Jean-Francois Picard. Achives du CNRS, Paris.

59. Hors direction du CNRS, membres de droit.60. Les femmes dans la recherche francaise. Livre blanc, op. cit., p. 7.

59

60

Les femmes dans histoire du CNRS

Tableau 9 : part des femmes au Comité national du CNRS de 1949 a 1999

Années | Total des | Nombre|%des | Groupes ou sections sans femmesde Bente]

du Comité | femmes

1949 372 11 2,9 6 groupes sur 13 : Biologie, Médecine,Anthropologie/préhistoire/ethnographie,Géographie, Sociologie et psychologie sociale,

Philosophie

1956 465 19 41 5 groupes sur 13 : Médecine, Géographie, Sociologieet psychologie sociale, Histoire, Philosophie

1959 640 25 3,9 16 sections sur 32 : Mathématiques pures,

Mécanique générale et physique, Astronomie,Optique, Electricité, Chimie minérale, organique,biologique, Biologie cellulaire, Pathologieexpérimentale, Géographie, Linguistique,Langues et civilisations classiques, Scienceséconomiques, Philosophie

1966 748 54 7,2 9sections sur 34 : Mathématiques, Electronique,Optique, Physique des solides, Biologie cellulaire,Physiologie, Sociologie et démographie, Sciencesjuridiques et politiques, Langues et civilisations classiques

1970 936 111 11,8 3:sections sur 36 : Electronique, Physiquedes solides, Géologie et paléontologie

1976 1064 158 14,8 2sections sur 41 : Physique de la matiérecondensée, Minéralogie

1983 1125 222 19,7 1 section sur 45 : Génie mécanique — 2 4 1 seulefemme : Physique corpusculaire, Génie thermique

1987 968 151 15,6 2 sections sur 44 : Physique corpusculaire, Génie des

procédés et systémes réactifs, thermique — 5 4 1 seulefemme : Informatique, automatique, Biologie desinteractions cellulaires, Psychophysiologie etpsychologie, Sciences économiques, Sciences politiques

1991 840 196 23,3 1 section sur 40 a 1 seule femme : Des particulesaux noyaux1995 840 185 22 1 section sur 40 sans femme : Planéte Terre :

structure — 3 4 1 seule femme : Electronique,Mécanique, Energie et mécanique des fluides

1999 840 236 28,1 2 sections 4 1 seule femme : Atomes et molécules,optiques, lasers, Electronique

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?

(inscrits d’office) et 56 % également desmembres du Comité appartiennent auCNRS“. Si, en 1999, la féminisation duComité est un peu plus forte (2 points)que celle de la recherche dans sonensemble, c’est peut-étre en raison de larelativement faible place de la recher-che en entreprise, au niveau du collégeélectoral et des membres du Comité. En1999, la recherche industrielle n’est fémi-nine que pour 19,1 % de son personnel,contre 29,9 % pour la recherche publique.Le Comité se situe entre les deux, mais,logiquement, s’'apparente 4 la situationdu secteur public. Un demi-siécle de pro-gression, pour atteindre un taux seule-ment cohérent avec la population con-cernée, on ne peut pas dire que leComité se soit aisément ouvert auxfemmes et ce d’autant moins que I’as-semblée constituée en 1987 enclenchepour un temps la marche arriére, parle nombre réduit de femmes qui lacompose et par une représentation plusrestreinte dans les diverses disciplines.

Le Comité mis en place en 1991 marqued'une pierre blanche son histoire et celledes femmes. C’est la premiére assem-blée ne comptant aucune section mascu-line 4 100 %. Mise a part année 1999,date 4 laquelle ce méme phénoméne sereproduit, cest entre 1966 et 1970,quand le nombre de femmes au Comitédouble, que la généralisation “disci-plinaire” de leur présence accomplitson pas décisif. Passé ce cap, les bastionsmasculins tendent a se resserrer surla physique nucléaire et corpusculaire,les sciences physiques et mathéma-tiques et les sciences pour l’ingénieur :

trois départements ot: les chercheusesrestent rares, encore aujourd’hui. Letournant 1966-1970 refléte évidemmentle coup d’accélérateur soixante-huitard,et il est intéressant de mesurer la pré-sence féminine sur la liste des “cher-cheurs invités a participer a titre consul-tatif aux travaux des sections du Comiténational, session automne 1968” : ellessont 13 sur 55 (23,6 %) a étre envoyéespour assister, certes sans voix au chapi-tre, aux travaux d’une assemblée danslaquelle elles ne comptaient que pour7,2 %. I est tout aussi remarquable quesur les 9 sections qui n’en comptaientaucune, deux seulement “se rattrapent” :la physique des solides et les langueset civilisations classiques. Si, danscertaines disciplines “dures”, les candi-dates pouvaient effectivement manquer(électronique par exemple), ce n’étaitsans doute pas le cas en sociologie etdémographie ou en sciences juridiqueset politiques ; les raisons de cette absenceseraient 4 creuser. Inversement, lesétudes linguistiques et la littératurefrancaise qui figuraient déja parmi les 4sections les plus féminisées (avec 4 fem-mes sur 22 membres) choisissent deuxinvitées supplémentaires. Les 2 autressections les plus mixtes (4 femmeségalement en chimie biologique et enanthropologie, préhistoire, ethnologie)n’en “rajoutent pas”.

Logiquement, au renouvellement de 1971,les études linguistiques et la littératurefrancaise prennent la téte de louverture :la section compte 8 femmes sur 26 mem-bres, presque le tiers. Seules les sciences deVYhomme et de la société se retrouvent dans

61. Chiffres pour le Comité national mis en place en 1995. “Comité national : un nouveau profil”, Le Journal du CNRS, novembre 1995, pp. 4-5.

61

Les femmes dans histoire du CNRS

le peloton de téte, les 3 sections réunissant7 femmes y ressortent : “Anthropologie,préhistoire, ethnologie”, “Linguistiquegénérale”, “Antiquités nationales et his-toire médiévale”. En 1976, les scienceshumaines monopolisent encore 5 des 6sections dont le quart des membres sontdes femmes ; les sciences de la vie, avec labiologie animale, s'imposent enfin (alorsqu’elles comptent 45,2 % de chercheuses,contre 33,9 % en sciences de homme)dans cette avant-garde — elles ont enoutre 5 autres sections comprenant 6 fem-mes. Dans les années 1980, les scienceshumaines restent les championnes de laféminisation du Comité, suivies des scien-ces de la vie ; inversion par rapport aupourcentage de chercheuses, entre cesdeux départements ot elles sont toujoursles plus nombreuses, reste de mise. Dansles années 1990, ces deux départementssont au coude a coude, parmi les sectionsqui atteignent un tiers de membres fémi-nins et sont rejointes par quelques-unes,issues des sciences physiques et mathé-matiques.

Comment arrivent-elles au Comité ?Et qu’y font-elles ?

Préciser comment les femmes arrivent auComité, par élection ou nomination etéventuellement quelles responsabilités

spécifiques en son sein leur sont confiées,nuance l'image de leur seule présence ouappartenance selon les disciplines.

La réforme du Comité national en 1959,introduit Vélection de la moitié de sesmembres : dans chaque section, 10 sontélus, 5 nommeés par le Premier ministre, 5par le ministre de /Education nationale.Dés 1962, l’égalité élusnommés n’a pluscours, les élus prenant définitivement lamajorité des siéges, de 12 sur 20 par sec-tion en 1962, a 14 sur 21 depuis 1991.Autre réforme, fruit de 1968 et décisivepour ouvrir le Comité au deuxiéme sexe,celle de 1970, ajoutant aux colléges A,“classes supérieures” du monde cher-cheur, universitaire et académique (7,puis 6 siéges) ; B, “classes moyennes” de larecherche et de l'Université (6, puis 5 sié-ges) ; un collége électoral C composé desITA, catégories de personnels ow ellessont majoritaires, mais qui n’élit que 3représentants. La situation des femmesprésentes au Comité dans les différentscolléges en 1987, 1995 et 1999, et pourmémoire en 1967, mesure de lentes évo-lutions (tableau 10).

En 1999, le pourcentage des femmesélues rejoint le pourcentage des cher-cheuses, mais en grande partie grace

62 Tableau 10: part des femmes dans les différents colléges du Comité national

ny ny ny %totalF | %F nombre % F aucoll.A | coll.B | coll.C | élues nommées | Femmes CN | CN4,6 16,5 9,5 4,4 54 7,2

1967

1987 9,4 20 42 18,5 11,4 151 15,61995 16,2 32 41,7 27,3 11,4 185 221999 §=17,5 31,5 41,7 29,3 25,7 236 28,1

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?

a leur forte présence au collége C, celuides ITA. Si le pourcentage de femmesélues au Comité national devait refléterleur place globale au CNRS, c’est alors40 % quil faudrait atteindre®. La créa-tion du college C a certes permis unafflux féminin au Comité, mais il a enméme temps “cantonné” en partie leurprésence. Les évolutions aux niveauxdes colléges A et B sont simplementinéluctables et tendent 4a se rapprocherdes taux de féminisation des gradesconcernés. Parmi les nominations, unrattrapage trés récent s’est produit ; avecle soupcon de progression des femmes aucollége A, il constitue le seul mouvementsensible entre 1995 et 1999.

Chaque section du Comité met en placeun bureau, comprenant un président,un secrétaire et 3 autres membres ;compter les femmes dans ces “micro-instances” fournit un indice supplémen-taire sur leur participation au Comité.De 1970 a 1999, les femmes n’ont pré-sidé que 10,1% des sections du Comité,score bien inférieur a leur présencemoyenne. Aucune tendance évolutive nese dessine : le taux oscille entre 4,4 % en1987 et 22,5 % en 1991 — année faste ace niveau —, mais il n’est que de 15 % en1999, aprés étre tombé a5 % en 1995 !La féminisation ne s’est pas mise enmarche dans cette fonction. Les deuxdépartements ot les femmes sont lemieux implantées de facon globale sontévidemment ceux qui les laissent le plusvolontiers présider : 12 sur 29 présiden-ces féminines en SHS, 7 sur 29 en SDV,4 en chimie, 1 4 2 dans les autres dépar-tements. La situation au niveau des

secrétariats de bureaux est un peu plusfavorable, ce qui ne surprend pas étantdonné la figure traditionnellement fémi-nine attachée a la fonction : 27,7 % enmoyenne leur sont confiés®, sans mou-vement notable. Les secrétariats venti-lent mieux, entre les différents départe-ments scientifiques, les responsabilitésdes femmes au Comité. Hors présidenceet secrétariats, les bureaux de sectionsont féminisés 4 15 % seulement en1995 et 1999, soit encore beaucoupmoins que le Comité qui ne l’est déja pasbeaucoup.

De facon générale, Vorigine collégialedes femmes accédant au Comité, commela composition des bureaux, confortentlimpression que celui-ci ne s’est ouvertaux femmes que “par la petite porte”.

Des femmes distinguées ?

Depuis 1954, le CNRS honore chaqueannée des chercheurs, en leur décernantdes médailles (or, argent et bronze) et,depuis 1992 seulement, des ITA, en leurattribuant un “cristal”.

La Médaille d’Or (une, ou trés rare-ment, deux par an) couronne I|’ceuvrede personnalités exceptionnelles, ayantcontribué par leurs travaux au rayon-nement international de la recherchefrancaise. Du cété des femmes, lescomptes sont vite faits et la causeentendue : dans la liste des 53 nomsqui vont du mathématicien Emile Borel,en 1954, a lanthropologue MauriceGodelier en 2001, deux noms fémininsseulement se sont glissés (3,8 %). En1975, Christiane Desroches-Noblecourtest la premiére ainsi distinguée. Les

62. 42,2 % au Bilan social 1999.63. Calcul sur les années 1977, 1987, 1991, 1995 et 1999.64. 8,9 % en 1977 et 11,1 % en 1987.

63

64

Les femmes dans histoire du CNRS

travaux et la renommée, jusqu’auprésd’un large public®, de la conservatricedes Antiquités égyptiennes du Louvre,responsable d’une équipe de rechercheassociée au CNRS et membre, dés1950, du Comité national lui valent cethonneur. La date de remise de cettemédaille n’est pas anodine, puisqueVannée 1975 a été proclamée parPONU “année de la femme” et que lapremiére secrétaire d’Etat a la Con-dition féminine, Francoise Giroud,vient de prendre ses fonctions. S’il estremarquable qu’en 1975, pour la pre-miére fois, la Médaille d’?Or du CNRSsoit attribuée a une femme, il est toutaussi remarquable que, pour la pre-miére fois... deux soient décernées,lautre l’étant au physicien RaymondCastaing®, un peu comme si l’audace dela récompense féminine devait, d’une cer-taine maniére, subir un ré-équilibrage™.Il faut attendre onze ans pour voir serenouveler l’événement d’une Médailled’Or féminine : en 1986, l’embryolo-giste Nicole Le Douarin, directricede recherche depuis 1976 et membrede VAcadémie des sciences depuis1982, est distinguée a son tour. Encoreune fois avec les Médailles d’Or deChristiane Desroches-Noblecourt et deNicole Le Douarin, ce sont les sciencesde ’homme, puis celles de la vie, quireconnaissent les premiéres |’existencedes femmes dans la recherche. A quile tour ?

Les Médailles d’Argent (une quinzainepar promotion depuis les années 1970,neuf a lorigine dans les années 1950)distinguent la qualité et l’originalité

du travail de chercheurs reconnus parla communauté scientifique francaiseet internationale. La procédure dechoix des heureux élus commence pardes débats dans les sections du Comiténational, proposant chacune un nomau Conseil du département dont ellereléve ; cette instance examine les pro-positions et choisit le (ou les, suivantles départements) nom a soumettre auComité de direction du CNRS ; appuyésur ces pré-choix successifs, le direc-teur général prend la décision finaled’attribution. Les Médailles de Bronze— une trentaine par an dans les années1970, puis une quarantaine a partir dumilieu des années 1980, soit 4 peu présune par section du Comité — récompen-sent de jeunes chercheurs s’étant dis-tingués par de premiers travaux leurconférant rapidement la réputation despécialistes dans leurs domaines. Pourles Médailles de Bronze, les candida-tures sont examinées, discutées etfinalement départagées au niveau dessections du Comité. Les Conseilsde département entérinent alorsces choix.

De 1955 a 2001, les chercheuses n’ontobtenu que 13,2 % du total des Médaillesd’Argent attribuées (77 sur 584) et, de1971 4 2000, 20,4 % de celles de bronze(233 sur 1 141), maigre moisson®. Or,argent et bronze additionnés, le scoreatteint n’est que de 17,5 %. De l’or aubronze, la part concédée aux femmescroit de fagon inversement proportion-nelle au prestige de la récompense.Les tableaux 11 et 12 précisent, pourYargent et pour le bronze, les pourcentages

65. Christiane Desroches-Noblecourt figure au Who’s who depuis 10 ans (édition de 1965) quand elle obtient sa Médaille d’Or. Nicole Le Douarin, Médaille d’Or

en 1986, n’y fera elle son entrée qu’aprés I’événement, dans |’édition 1987-1988.

66. Depuis, deux Médailles d’Or par an n’ont été attribuées qu’en 1978, 1981, 1984, 1987 et 2002.67. On notera aussi, qu’en 1987, un an aprés Nicole Le Douarin, deux hommes |’obtiennent.68. Malgré les recherches effectuées, le sexe de 21 médaillés (4 argent et 17 bronze), sur le total de 1 778, n’a pu étre déterminé. Ils sont arbitrairement comptés

comme hommes.

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?

Tableau 11 : pourcentages de Médailles d’Argent attribuéesaux femmes et pourcentages de chercheuses par départementsscientifiques de 1971 a 2000

PNC SDU N10) SDV 4 heyyméd |F | %F

1971

a 150 16 1061980 18 13 9,1 25 23,8 45,2 33,9 méd f1981 9,5 0 0 5,2 14,8 20 20,6

a 160 20 1251990 18,3 13,3 12,5 25,4 26,6 42,6 35,4 méd f1991 5 0 10 21 9,1 19,4 22,6

a 158 23 146

2000 19,1 16 16,5 26,3 27,9 40,6 38,6 méd f

tot 68 4 23 0 56 2 55 5 73 6 88 18 105 24 468 59 126dept md f md f md f md f md f md f md f méd f%mf 5,9 3,6 9,1 8,2 20,4 22,8

En gras : pour comparaison, % de femmes parmi les chercheurs du département en 1977, 1985 et 1995

Tableau 12 : pourcentages de Médailles de Bronze attribuées auxfemmes par départements scientifiques de 1971 a 2000

PNC SDU N10) SDV 4 heyyméd | F | %F

1971 15a 338 60 17,71980 18 13 9,1 25 23,8 45,2 33,9

1981 12,5 11,1 9,1 14,3 23,3 25,3 26

a 415 86 19,51990 18,3 13,3 12,5 25,4 26,6 42,6 35,41991 88 20 9,7 20,5 27,1 26,6 28,4a 388 87 22,42000 19,1 16 16,5 26,3 27,9 40,6 38,6tot 187 10 48 6 103 9 121 20 174 34 237 71 326 83 114 233 20,4dept md f md f md f md f md f md f md f%omft 7,3 13,9 8,7 16,5 19,5 30 25,4

En gras : pour comparaison, % de femmes parmi les chercheurs du département en 1977, 1985 et 1995

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Les femmes dans histoire du CNRS

de médailles obtenues par les femmes,dans chaque département scientifique,par tranches de 10 ans entre 1971 et2000”, et rappellent le pourcentage dechercheuses correspondant. Méme si lesstatistiques sur les médailles portentsur de trés petits effectifs, les pourcen-tages ont été calculés aux fins de rendreles comparaisons plus aisées.

Que ce soit pour l’argent ou pour lebronze, la part des distinctions confé-rées aux femmes progresse certes, maistrés lentement : 2 points de mieux pourVargent entre les années 1970 et 1990,5 pour le bronze et sans atteindre letaux qui serait cohérent avec la pré-sence globale des chercheuses (30,3 %en 2000). Du cété de l’argent, la moitiéméme de cette part “légitime” n’estpas encore atteinte. Du cété du bronze8 points sont encore a gagner.

SHS et SDV sont les départementsou les médailles et les femmes sont lesplus nombreuses, les SHS légérementmoins féminisées que les SDV (respec-tivement 38,6 % et 40,6 % de cher-cheuses en 1995) prennent néanmoinsVPavantage, au niveau des Médaillesd’Argent, sur ensemble de la période.Pour le bronze, les SDV reprennent ledessus. Une clé de ces classements dif-férents entre SHS et SDV pour l’argentet le bronze se trouve sans doute danslAge moyen des chercheuses : le vivierde femmes susceptibles de distinctionest plus 4gé en SHS qu’en SDV. Largentest une médaille de jeune quinqua-génaire, alors que le bronze s’obtient endébut de trentaine”, les “jeunes” cher-cheuses se rencontrent plus facilement

en SDV qu’en SHS. Chimie et SDU sesituent au milieu du tableau, pourargent comme pour le bronze. Aucours de la derniére décennie ces deuxdépartements ont attribué une partrelativement importante de leursMédailles de Bronze 4 des femmes : letaux de médailles féminines se rappro-che (et l’atteint presque pour la chimie)du taux de chercheuses dans ces dépar-tements. Il sera intéressant de voir,dans quelques années, si les Médaillesd’Argent suivront. Les trois départe-ments les plus masculins ferment logi-quement la marche : SPM, PNC et SPIn’accordent pratiquement pas deMédailles d’Argent au deuxiéme sexe(et méme pas du tout en PNC), mais,encore un effet générationnel, fontmieux avec le bronze, en particulierPNC qui atteint, et dépasse méme en1991-2000 la part “légitime” eu égard ala faible féminisation du département.La encore, il faudra voir si les Médaillesd’Argent suivront.

Les personnels ITA bénéficient de leurpropre récompense : le Cristal. Les pro-positions d’attribution faites par lesdirecteurs d’unités sont transmisesaux directeurs de départements qui lessoumettent a leur tour aux sections duComité national. Le classement desITA finalement retenus par chaquedépartement, est présenté au Comitéde direction du CNRS pour le choixfinal. Créé en 1992, le Cristal est tropneuf pour que l’on puisse déceler unetendance évolutive dans le sexe de sesrécipiendaires. Néanmoins, étant donnéla forte féminisation des personnels

69. En 2001 : 2 Médailles d’Argent féminines sur 16, une en sciences de l'univers et une en sciences de Ihomme ; 12 Médailles de Bronze féminines sur 40 (dont 4 en

SHS et 3 en SDV).

70. Pour les médailles décernées en 2001 : 49 ans et 10 mois en moyenne pour les Médailles d’Argent (mais les 3 recompensés en SHS ont juste franchi la cinquantainequand les 4 de SDV ont 47 ans et 3 mois en moyenne). Pour le bronze, la moyenne est de 33 ans pour les hommes et de 34 ans pour les femmes, mais les 10 médaillés

de SHS ont 36 ans en moyenne, hommes et femmes confondus.

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?

concernés (de 51,4 % en 1992 a 52,2 %en 2000”) la part des femmes “cristalli-sées” devrait logiquement étre sensi-blement plus forte que celle des cher-cheuses médaillées. Or, depuis 1992,les femmes n’ont obtenu que 31 des 136Cristal décernés”, soit 22,7 %, c’est-a-dire moins de la moitié de leur “espé-rance mathématique” eu égard a leurprésence. La raison de cette apparenteanomalie est trés simple : les ingé-nieurs de recherche” “confisquent” présde 60 % des Cristal (58,1 % cété fémininet 59,5 % coté masculin) et il se trouveque, dans la population des ITA, c’estprécisément parmi les ingénieurs derecherche que les femmes sont lesmoins nombreuses. En 2000, il n’y aque 9,6% d’ingénieurs de rechercheparmi les femmes ITA, mais 27,4 %chez les hommes : les femmes partentdans la course au Cristal avec un han-dicap certain. Les ingénieurs d’étudesconstituent le deuxiéme groupe bénéfi-ciaire des Cristal, 25,8 % des femmes“cristallisées” et 16,4 % des hommes.Le jeu est cette fois un peu moins fran-chement inégal, mais encore légére-ment défavorable pour elles puisque,en 2000, 23,7 % des femmes ITA sontingénieurs d’études, pour 27,3 % deshommes. Une fois retirés les Cristaldécernés aux ingénieurs et assistantsingénieurs”, il ne reste qu’une partcongrue aux personnels de catégoriestechniques et purement administrati-ves”. En considérant les fonctions desheureux “cristallisés”, hommes et fem-mes confondus, et la répartition parsexe du personnel dans ces fonctions,on aboutit au curieux paradoxe que

chez les ITA ot le personnel fémininest majoritaire, une femme a finale-ment trois fois moins de chance qu’unhomme d’obtenir un Cristal”!

Quant aux départements d’apparte-nance des ITA distingués, ce sont, pourles femmes, les Moyens communs quiviennent en téte (8 Cristal), suivis,sans surprise, des SDV (6) et des SHS(4). Pour les hommes, la répartition estbeaucoup plus homogéne entre tous lesdépartements scientifiques et les Moyenscommuns viennent en dernier. Dans lemonde des ITA, le Cristal masculinrécompense “l’accompagnement de lascience”, selon la formule consacrée,alors que le Cristal féminin récompen-serait plutét sa gestion.

De lOr, attendu jusqu’en 1975, au Cristal,reconnaissant enfin en 1992 les caté-gories de personnel ot les femmes sontles plus nombreuses — mais qui bénéfi-cie proportionnellement beaucoup plusaux hommes -, l’étude des distinctionsconférées aux femmes par le CNRSlaisse ’amére impression que celles-cin’ont pas eu leur part.

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Nicole Le Douarin a regu la Médaille d’Or du CNRSen 1986, pour ses recherches en embryologie.

71. Chiffres du Bilan social 1992 et 2000.

72. 15 par an de 1992 a 2000, 16 en 2001.

73, Et ingénieurs principaux en physique nucléaire.

74. Une femme récompensée depuis 1992 (5 hommes depuis 1994).

75. Une attachée principale d’administration de la recherche et deux attachées d’administration de la recherche recompensées depuis 1992 ; un technicien depuis 1994.76. Calcul sur la moyenne des effectifs et des Cristal attrioués entre 1995 et 2000 : une femme a 0,052 % de chance d’en obtenir un, un homme 0,159 %.

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Les femmes dansles laboratoires debiolog 1e par Jean-Francois Picard

Jean-Francois Picard est historien, ingénieur de recherche auCNRS. I] est auteur d’une histoire du CNRS (La République dessavants, le CNRS et la recherche francaise, Paris, Flammarion,1990). Il a aussi publié de nombreux articles sur lhistoire despolitiques scientifiques en France et 4 l’étranger.

D ans cet article, Jean-Francois Picard tente de mieux cerner la placedes femmes au CNRS et plus généralement dans le monde de larecherche, en proposant, dans un premier temps, une lecture statistiqueminutieuse de leur présence au sein des différents laboratoires.

Engageant sa réflexion en utilisant des approches sociologiques récenteset en analysant les difficultés propres aux minorités, l’auteur proposed’observer les capacités d’adaptation et les moyens mis en qceuvre par les

femmes pour travailler dans la recherche.

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Choisissant de laisser la parole a celles qui vivent quotidiennement cesdifficultés et qui analysent les raisons pour lesquelles, contraintes ou pas,elles tendent a privilégier certains domaines de recherches, Jean-Francois

Picard aborde les multiples causes qui provoquent les débats actuels.

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Les femmes dans histoire du CNRS

urgie aux Etats-Unis il y a unquart de siécle pour faciliterVintégration des minoritésethniques dans une société démocra-

tique, l’Affirmative Action a concernéaussi la condition féminine.

En France, ce type de politique volon-tariste a démarré par l’instaurationd’une parité entre les sexes dans lemonde politique, économique ainsique dans la communauté scientifique.La nomination de femmes 4 despostes de haute responsabilité —Catherine Bréchignac et GeneviéveBerger 4 la direction du CNRS,Jacqueline Godet au département dessciences de la vie, Dominique Meyeret Ketty Schwartz a celle dePINSERM... — marquait le soucides pouvoirs publics de promouvoirYentrée des femmes aux postespolitiques dans le domaine de larecherche scientifique.

Plus récemment, le ministére de laRecherche organisait une missionad hoc, tout en suscitant la publica-tion d'un Livre blanc sur les femmesdans la recherche francaise’. L'étatdes lieux, dressé a4 cette occasion,soulignait des différences significa-tives entre les divers secteurs scien-tifiques, en montrant que les sciencesde la vie (SDV) représentaient ledomaine le plus féminisé, suivies parles secteurs des sciences humaineset sociales, de la chimie, des mathé-matiques, des sciences de l'univers,de la physique et enfin des sciencespour l'ingénieur. Le Livre blanc

montrait ainsi l’importance du tauxde féminisation des SDV, un ensem-ble de disciplines s'étendant de labiologie moléculaire a l'écologie. I]montrait aussi l’importance de laféminisation des grands établis-sements publics de recherche (EPST),confirmant que les plus concernéssont ceux qui se consacrent a larecherche biologique, médicale ou ala santé publique. Ainsi, le taux deféminisation de l'Institut nationald'études démographiques (INED)s'‘éléve aujourd'hui a 58 % et place cetorganisme au premier rang, devantl'Institut national de la santé et de larecherche médicale (INSERM), avec50% de chercheuses, devancantl'Institut Pasteur (48 %). Quant auCNRS, avec 30 % de femmes au seinde ses laboratoires de recherche, ildevance l’Université dont le tauxde féminisation n’est que de 28 %.

Ces chiffres nous rappellent cepen-dant que le CNRS eut un réle pion-nier en matiére de féminisation de larecherche francaise. Alors que lepourcentage de femmes universi-taires n'excédait pas 6 % au lendemainde la Seconde Guerre mondiale, cetorganisme scientifique, dont les effec-tifs atteignaient a peine le vingtiémede ce qu'ils sont aujourd'hui, compor-tait déja un tiers de femmes’.

Le tableau ci-contre reprend les tauxde féminisation des cinq grandsdépartements du CNRS et leurévolution au cours du dernier quartde siécle (1974-2000).

1. Ministére de la Recherche. Les Femmes dans la recherche francaise, Livre blanc, Paris, 2002, 31 p.2. A.-M. Bataillon, R. Blanchard, S. Hochet, M.-P. Peyre, N. Pouey, A. Roy, Femmes et sociétés, Présence des femmes au CNRS in

L’Homme et la Société, VHarmattan, n°99/100, 1991. 1.2.

Les femmes dans les laboratoires de biologie

Tableau 1 : pourcentages de personnel féminin au CNRS par département

scientifique de 1974 a 2000°

es

% femmes chercheurs en 1974

et aujourd’hui 39% femmes ITA en 1974 70et aujourd’hui 71% total de femmes en 1974 60et aujourd’hui 53

Ce tableau révéle que la parité hom-mes-femmes fut acquise pour les bio-logistes du CNRS dés les années1970. Mais ces chiffres révélent aussiune régression notable puisque,aujourd’hui, ce département ne compteplus que 39 % de chercheuses. Baissed'autant plus significative que, dansle méme temps, les autres départe-ments du CNRS ont connu une évo-lution inverse, avec une progressionde 5 points en sciences humaines etsociales, de 3 points en chimie, de 2 enphysique et de 3 en mathématiques.En chiffres bruts, cela signifie qu'entenant compte de la croissance glo-bale des effectifs du département dessciences de la vie (2 500 chercheursen 1974, 3 000 aujourd'hui), le nom-bre de chercheuses en SDV est restéstable au cours des vingt-cing dernié-res années (1 200). On reviendra plusloin sur ce curieux phénoméne, maisen notant déja que ce départementqui a longtemps détenu la premiéreplace en matiére de féminisation a

40 29 17 1770 50 25 5571 50 27 3553 35 20 3555 38 25 25

aujourd’hui régressé, au moins envaleur relative, passant au secondrang derriére celui des scienceshumaines et sociales (cf. la derniéreligne du tableau ci-dessus). Une autrecaractéristique mieux connue est ladécroissance du taux de féminisationobservé au fur et 4 mesure qu'on s'é-léve dans la hiérarchie du corps deschercheurs. Dans les SDV, en dix ans,de 1990 a 2000, le taux de chargées derecherche de deuxiéme classe (CR2)est passé de 33 a 34 % (1 point enplus) et de 35 a 37 % pour les CR1(soit un gain de 2 points). En revan-che, il est resté stable pour les direc-trices de recherche de deuxiémeclasse (23 % de femmes DR2) et il aperdu 3 points pour les DR1 (de 16 413 % de femmes). Stagnation d'autantplus curieuse que la présence fémi-nine au sein des instances d'éva-luation de la recherche a cra de 19 a24 % au cours de la méme période.

3. Sources : Le Monde, 25 septembre 1974, “Le Centre national de la recherche scientifique”, J.-L. Lavallard, et CNRS, Bilan social

1990, 2000, aimablement communiqués par G. Faye.

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Les femmes dans histoire du CNRS

Qu'en est-il de l' INSERM ? Globalement,les effectifs de cet organisme se rap-prochent de ceux du département SDVdu CNRS. Ainsi, en 1998, l'INSERMcomptait 1978 chercheurs, dont lamoitié de femmes et 2 700 ITA, dontles deux tiers étaient des femmes.La parité y est donc une réalité soli-dement ancrée, mais avec les mémesdistorsions que celles rencontréesau CNRS, a savoir une décroissance dela présence féminine au fur eta mesure qu’on s‘éléve dans la hiérar-chie. L'INSERM comptait 57 % dechargées de recherche en 1998 contre50 % dix ans plus t6t, mais seulement35% de directrices de recherche(1998) contre présde 40 % aupara-vant. Si lon com-pare le taux deféminisation dansles commissionsscientifiques ot lesfemmes sont lesplus représentées,on reléve que l'im-munologie (CSS 3)assurait la promo-tion de 23 chargéesde recherche (CR)en 1996 pour 20 candidats de sexemasculin, alors que cette commis-sion ne comptait que 7 femmes sur25 directeurs d'unité. De méme, lacommission “Dermatologie, néphro-logie, pneumologie” (CSS 8), avec15 femmes promues CR pour 14hommes, ne comptait que 4 femmesdirectrices d'unité sur 28, la commis-sion “Maladies transmissibles” (CSS

10), 28 candidates CR pour 17 hommes.Pourtant il y avait bien des femmes a ladirection parmi les 19 unités de recher-che concernées. Pour autant, ledécompte du nombre de lauréates duprix Nobel confirme bien la remarqua-ble féminisation des sciences de la vieconstaté depuis la Seconde Guerremondiale. Alors que les départementsde physique et de chimie ne comptenta eux deux qu’une lauréate chacun(Maria Goeppert-Mayer pour la chimieen 1963 et Dorothy Crowfoot Hodgkinen 1964 pour ses travaux de biochimie),on ne reléve pas moins de 6 lauréatesen médecine et physiologie : GertyTheresa Cori en enzymologie (1947),Rosalyn Yalow (1977)et Rita Levi-Montalcini(1986) en hormo-nologie, la pharma-cologue Gertrude B.Elion (1988), enfin les| généticiennes BarbaraMcClintock (1983) etChristiane Niisslein-Volhard (1995). Au vudu partage des rélesdéterminés dans lasociété moderne —évidemment nonspécifique a la recherche scientifique —on peut s’interroger sur l'importance decette présence féminine dans cetensemble de disciplines. Pour tenter d'yvoir clair, nous avons donc interrogéquelques chercheuses : Betty Felenbok(Institut de génétique et de micro-biologie, université Paris-Sud), SylvieGisselbrecht (directrice de l'UR 363INSERM), Suzy Mouchet (ancienne

Les femmes dans les laboratoires de biologie

responsable du département de l'infor-mation scientifique et de la communica-tion a l'INSERM), Ethel Moustacchi(directrice de recherche de classe excep-tionnelle a l'Institut Curie), AnnieSainsard (Centre de génétique molécu-laire, CNRS), Jacqueline Verdiére (maitrede conférences a l'université Paris-Sud)dont on trouvera le témoignage* pourexpliquer le phénoméne qui nous inté-resse. Nos témoins (désolé ! il n’existepas de féminin pour ce substantif)ont avancé deux types d’explications apriori antinomiques : la premiére, qu'onqualifiera d’endogéne, consiste a justi-fier l'lmportance de cette féminisationpar l’intérét spécifique que les femmesporteraient aux sciences du vivant ; laseconde explication, exogéne, justifie cephénoméne moins par l'attrait des cher-cheuses pour la biologie que par ledéclassement de ces disciplines dans lahiérarchie des sciences naturelles telleque proposée par le philosophe AugusteComte il y a deux siécles : des mathé-matiques, de la physique et de la chimiejusqu’a la biologie.

Avocate de l'explication endogéne,Cest-a-dire d’une idiosyncrasie parti-culiére des chercheuses pour les scien-ces du vivant, Ethel Moustacchi seplace du point de vue de l'anthropolo-gue pour décrire leur attirance pources disciplines puisqu’elle en voit l'ori-gine dans Vhistoire de ’humanité,dans la répartition des fonctions etdes taches directement issues de diffé-rences entre les sexes qui aurait per-duré jusqu'a aujourd'hui. Aux tempspréhistoriques, dit Ethel Moustacchi,

pour nourrir la tribu, ’homme chas-sait tandis que la femme pratiquait lacueillette. I] s'agissait d'une activitévitale pour le groupe puisqu’il fallaitnourrir sa progéniture. Il était doncimportant de distinguer les plantestoxiques des plantes comestibles, d'otune relation particuliére des femmesavec la nature. L'allusion a l'instinctmaternel est claire et conduit sa col-légue Jacqueline Verdiére 4 évoquerle rdéle d'une “imprégnation hormo-nale” a l'origine d’un comportementqualifié “de protection”. Il s’inscriraitdavantage dans une sorte de patri-moine biologique de la féminité quedans les comportements prédateursdu male. Cette propension a l'altérité,aux soins, ménerait donc les cher-cheuses d'aujourd'hui vers des acti-vités comme la médecine ou la phar-macie. On note enfin que lorsqu'ellesparlent de leurs motivations person-nelles, les chercheuses interrogéesévoquent le souci de “percer les mys-teres de la vie”. Evidemment, l'hypo-thése fondée sur l’idée d'une “natureféminine” est récusée, — parfois avecvéhémence ! — , par les tenantesde l’explication exogéne. Pour celles-ci,ce serait le poids de la société quiexpliquerait l'importante proportionde femmes dans les sciences de la vie.Ainsi, selon Betty Felenbok, “le vraiprobléme est que la société, dans sonensemble, est régie par un systémede valeurs masculin. Or, dans ledomaine scientifique, les femmes sedéterminent d'abord par rapport 4la possibilité d’entrer ou non dans

4 - Ces entretiens sont publiés p. 81 a 97.

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Les femmes dans histoire du CNRS

telle ou telle discipline.” Que ce soit enbiologie ou ailleurs, on se trouverait enface d’activités spécifiquement fémini-nes, parce que considérées commesocialement inférieures par rapport ad'autres, comme les mathématiques oula physique. Annie Sainsard, qui par-tage le point de vue de sa collégue, enpercoit Yorigine dans l'éducation desenfants et précise que “trés tt, onoriente les petites filles plutét vers labiologie que vers les maths. Si l’onprend l’exemple des jeux que l’on donneaux enfants, c’est la poupée pour lesfilles et ’informatique pour les garcons,ce qui est tout de méme plus proched'une activité scientifique”.

De fait, le role de l’enseignement appa-rait peu contestable dans l’orientationdes filles vers la biologie. Dans lesannées 1960, le généticien PhilippeLHéritier (l'un des pionniers de la disci-pline en France) qui détenait la chairede biologie a la faculté d’Orsay (Paris-Sud) en témoignait : “A l'ouverture dela faculté d'Orsay, j’ai pris la chaire debiologie générale ot je suis resté pen-dant une dizaine d'années. Comme lafac d'Orsay recrutait surtout dansl'Ouest parisien, je donnais mes coursdevant un parterre de quelque 150jeunes filles en fleurs. Les garcons,eux, s’orientaient plutét vers les gran-des écoles. C'est comme cela que j'ai purecruter pas mal de jeunes personnespour les laboratoires du CNRS a Gif-sur-Yvette’.” Pour expliquer ce tropisme,les sociologues se sont penchés surles caractéristiques du systéme éducatif

francais et dans leur célébre livreAllez les filles !°, Christian Baudelot etBernard Establet évoquent une loi nonécrite de la compétition scolaire : lasélection par les mathématiques quidonnerait lavantage aux garcons.Lanalyse a été poussée plus loin parMichéle Ferrand qui s’est intéresséeau cursus des normaliennes et despolytechniciennes. Depuis AugusteComte, on sait le prestige reconnu auxmathématiques et le peu de reconnais-sance accordée 4a la biologie dans lesreprésentations de la science et doncdans le choix d'un cursus universitaire.Mais lun des paradoxes de l'enquéte,réalisée auprés des normaliennes,aboutit A expliquer le choix des fillespour les sciences de la vie plutét quepour les mathématiques par unelogique de “gotit personnel”. Dans uncursus universitaire, le gotit des filless'opposerait 4 la recherche de |’excel-lence, c’est-A-dire de la rentabilitésociale et économique, privilégiée parles garcons. C'est donc leur attirancepour la biologie qui conduirait les fillesayant la possibilité de suivre unemaths spé M' a choisir une spé-biomoins valorisée socialement. Lesnormaliennes avancent deux sériesd’arguments pour justifier ce typede choix, notamment ceux liés a4 laplus grande polyvalence des enseigne-ments dispensés dans cette filiére,confirmé ensuite par un godt affirmépour la biologie en tant que discipline.Moins exclusivement centrée surles mathématiques et la physique,cette formation leur apparaitrait plus

5. Voir : http://picardp1 .ivry.cnrs.fr/~jfpicard/LHeritier.html.6. C. Baudelot, R. Establet, Allez les filles !, Paris, Seuil, 1992.

Les femmes dans les laboratoires de biologie

diversifiée, plus équilibrée, voire seulecapable de leur donner une formationscientifique compléte. Les conclusionsde l'enquéte n’en sont pas moins inté-ressantes. “Quand on compare les stra-tégies des filles par rapport a celles desgarcons, écrit Michéle Ferrand’, il sedégage une vision des études, puis dela carriére, davantage marquée par le“plaisir” que par l|'“ambition”, plusexactement ot l'ambition au fémininprend un autre sens : se réaliser, fairece que l'on aime, éviter “l'obsession-nalité de la réussite a tout prix”. Dela méme maniére,dans la recher-che, on noteraque l'attrait desfemmes pour lesSDV _ est plusévident derriérela paillasse qu’ala direction deslaboratoires. C'estle cas de SylvieGisselbrecht, unefemme médecindevenue directrice de l’unité 363INSERM (oncologie cellulaire et molé-culaire), lorsqu’elle évoque le début desa carriére : “J’ai longtemps refusé deprendre la direction d'un laboratoire.La raison en est que je voulais maintenirun rapport ludique avec la recherche,c'est-a-dire travailler sur les sujets quim'intéressaient, avec les gens qui meplaisaient. D’autre part, je n’avais pasenvie de devenir chef. En fait, je vou-lais éviter un décalage entre ma faconde vivre et mes rapports avec les autres,

au quotidien...” Si, comme cela sembleplausible, on élargit ce type de compor-tement 4 la communauté des femmes desciences, on peut expliquer la baisse dutaux de féminisation, signalé plus haut,dans les échelons supérieurs de la hié-rarchie. C’est ce que souligne SylvieGisselbrecht : “Le probléme est qu'au furet A mesure que l'on monte, il y a de plusen plus de taches administratives, d'otdes contraintes qui ne sont pas simplespour les femmes dont les charges defamille sont importantes... Si l’on ajoutea cela que la somme des responsabilitésadministrativesd'un directeur de| laboratoire tenda l'éloigner de lapaillasse, on com-prend certainesdes difficultés ren-contrées par lesfemmes a prendredes responsabili-tés managériales”.éme son de clo-che au CNRS ouBetty Felenbok explique son horreurdes rivalités de pouvoir et des jeux decompétition : “Je me suis toujours ditque ce qui était important était lafonction que joccupais dans le labo,pas le salaire. Par exemple, j’aidemandé a passer directrice de recher-che trés tardivement. J'animais ungroupe de chercheurs, ce qui me sem-blait plus important que le titre quelon me reconnaissait. La commissiondont je dépendais m'a d'ailleurs fait lereproche de ne pas avoir demandé de

7. M. Ferrand, F. Imbert, C. Marry, “Femmes et sciences. Une équation improbable ? L'exemple des normaliennes scientifiques et despolytechniciennes”, Formation-Emploi, juillet 1996, n° 55. Cf. aussi O. Kellermann, M. Maillard, “62 % des normaliennes scientifiquesfont de la biologie ! Rassurons-nous, 54 % des normaliens scientifiques continuent a faire des mathématiques !”, Bulletin des amisde I'ENS, n° 201, 1996.

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promotion plus tét !”. Les chercheusesseraient donc plus motivées par leurcuriosité scientifique, c’est-a-dire lejeu de la recherche, que par des soucisde carriére, cest-a-dire la quéte dupouvoir, mais évidemment, avec lesconséquences que cela implique en ter-mes de reconnaissance sociale, de salaireet de promotion. Une situation qu'EthelMoustacchi illustre en évoquant la figureemblématique de Barbara McClintock,une généticienne américaine, réputéepour son manque d'ambition carriéristeet admirée, au contraire, pour sa “mys-tique de la connaissance®”.

Ce type de comportement n'est évi-demment pas sans conséquence sur lamaniére dont les chercheuses percoi-vent leur place au sein de la commu-nauté scientifique.

Celles que nous avons interrogéessemblent osciller entre le syndromedes “damné(e)s de la terre” et celui du“synécée”. Evoquant le premier, EthelMoustacchi souligne que les femmessont longtemps restées victimes d’uncomplexe de colonisé, tel que décritdans le livre de Franz Fanon : le dis-crédit de soi et la haine de lopprimépour lui-méme. “Trés longtemps, lesfemmes ont fait leur le regard que leshommes portaient sur elles. Non, je nesuis pas digne de passer directrice derecherche...” Elle évoque cette “hon-teuse” misogynie féminine qui poussecertaines professeures ou directricesde laboratoire 4 recruter de préférencedes garcons. A l’inverse, d'autres respon-sables ont privilégié un recrutement

féminin. Selon Sylvie Gisselbrecht, lesfemmes qui font de la recherche et quise sont heurtées dans le quotidien aucomportement de directeurs machis-tes, préférent intégrer des laboratoiresdirigés par des femmes. “Il y a beau-coup plus de chercheuses que de cher-cheurs dans [mon] laboratoire, dit-elle,ce qui veut dire qu’a égalité de qualitédes travaux, jaurais tendance a faireattention 4 ce que les femmes nesoient pas discriminées au momentdu recrutement. Je me souviens d’uneannée ot il y avait extrémement peude postes ouverts a YINSERM. A lalecture de la liste des nouveaux recru-tés, javais constaté que sur sept ouhuit commissions scientifiques spécia-lisées, toutes (sauf une) n’avaientnommé que des hommes. Les femmesn’apparaissaient que sous la barre desintégrables !”

On peut aussi s'interroger sur lesspécificités féminines dans l'activitédes laboratoires. Nous n'insisteronspas sur l'importance de la populationféminine dans le corps des ITA duCNRS ou de l'INSERM, sinon pourrappeler les qualités de manipulation,de méticulosité et les capacités d'obser-vation indispensables a la recherchebiologique, si souvent vantées chezles laborantines par les chercheurs quiutilisent leurs travaux. On pense auximages de diffraction de la macromo-lécule d'acide désoxyribonucléiqueobtenues par Rosalynd Franklin etqui permirent a Francis Crick et aJim Watson d'élaborer le modéle de ladouble hélice d'ADN — découverte

8. H. Green, In memoriam B. McClintock, 1992 : “Science is not a career, and when it is made into one, it risks becoming falsified. Asa scientist, Barbara was a prototypic non-careerist. This was not because she restrained a natural impulse to do otherwise, butbecause she could not imagine science as a vehicle for personal advancement. Her accomplishments in science depended on herrespect for the way things were and not on her need to discover something. Some have spoken of Barbara's way of understandingas that of a mystic and | think there are grounds for this view" (http://www.nobel.se/medicine/articles/green/index.html).

Les femmes dans les laboratoires de biologie

Tableau 2 : évolution du pourcentage de femmes chercheurs dépendant

des sections de SDV au CNRS

Sections du Comité natinal

20 Structures des biomolécules

aE 2000

30 37

22 Thérapeutiques et médicaments 32 34

24 Bio cellulaires, virus 44 42

26 Fonctions du vivant et régulation 40 40

28 Bio du développement, reproduction 49 42

30 Diversité biologique, écosystemes 34 29

récompensée par un Nobel dont cer-tain(e)s ont pu dire qu’elle fut injuste-ment évincée. II est clair que leurs qua-lités spécifiques ont conduit les femmesa s'imposer dans certains domaines desSDV comme, par exemple, leur capacitéd'observation qui les prédisposent a4faire d'excellentes cytologistes.

Il semblerait aussi que leurs qualitésde persévérance font que les femmesbiologistes n'orientent pas systémati-quement leurs recherches sur lessujets les plus compétitifs, au moinsen termes de reconnaissance institu-

tionnelle. Elles hésitent moins que leshommes a prendre des risques dans lechoix d’un sujet d'étude, selon BettyFelenbok qui travaillait il y a quelquesannées sur le développement d’uneamibe (dictyostelium), un sujet derecherche particuliérement stimulantsur le plan intellectuel, malheureuse-ment plus décevant sur celui des résul-tats, précise-t-elle. De fait, les cher-cheuses semblent moins rechigner queles chercheurs A suivre des voies par-fois latérales aux grandes tendancesscientifiques du moment. “L'attention

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a l'anomalie, au détail, 4 la singularitéest décisive dans la découverte [et sontle pendant d’une] originalité [qui] vade pair avec la marginalité” disentdes pasteuriennes’. Mais on peut don-ner des exemples de chercheusesqui ont su marier leur capacité d'ana-lyse et leur ténacité pour faire aboutirdes programmes de recherche concusen dehors des sentiers battus. On évo-quera encore Barbara McClintock etson choix de travailler sur le mais, unmodéle peu adapté a la génétiqueexpérimentale qui ne l'empécha pasde découvrir les transposons” (génesmobiles). De méme, on pense aux phé-noménes de Vhérédité structuraledes paramécies — une génétique “anor-male” parce que sans ADN, mais quiannonce les prions — mise en évidencepar Janine Beisson dans son labora-toire du CNRS.

Si l'on reconnait aux chercheuses desqualités particuliéres d'expérimen-tatrices, peut-on dire, comme certainsde leurs collegues masculins, qu’ellesseraient moins douées pour la réflexionthéorique ? La question posée auxchercheuses provoque un clivage entrecelles qui évoquent le “fonctionnementdifférent du cerveau des hommes etdes femmes” (Jacqueline Verdiére) etd’autres qui estiment que la capacitéplus ou moins grande d'un espritscientifique pour la_ théorisationrésulte d'une construction sociale.Ainsi, pour Betty Felenbok, l’abstrac-tion est valorisée parce qu’elle est unevaleur mise en avant par les hommes :“Ce sont eux qui investissent ce

champ, alors que le concret serait plu-tot Vaffaire des femmes parce quemoins noble que la précédente. [...] Detoute facon, je ne pense pas que cettedistinction soit due a la structure ducerveau, dont toutes les études actuel-les montrent la malléabilité. Quandune fonction se perd a un niveau — onle voit avec les hémiplégies ou les bles-sés de guerre par exemple —, une autrepartie prend le relais. Done pourquoine pas imaginer que cette plasticitépuisse permettre aux femmes d’attein-dre les niveaux d’abstraction des hom-mes ?”. Reste que les chercheuses sem-blent souvent plus soucieuses queleurs collegues masculins des appli-cations de la recherche. Elles sesituent “davantage dans le concret”dit Jacqueline Verdiére, tandis que pourEthel Moustacchi, “il ne fait guére dedoute que les femmes biologistes trou-vent souvent leur motivation dans lesapplications de la recherche, en matiérede santé par exemple” et elle citel'exemple de Marie Curie, chimiste etphysicienne, qui se préoccupa des appli-cations médicales de la radioactivité.

L'étroitesse de la relation entre larecherche biologique et la recherchemédicale semble d’ailleurs plus évidenteaux chercheuses qu'aux chercheurs(deux des biologistes interviewées a lafaculté d'Orsay semblent avoir envi-sagé de faire médecine) ce qui lesconduit 4 évoquer leur relation avec larecherche médicale. Dans leur livre,Christian Baudelot et BernardEstablet soulignaient que l’accés desfemmes a la médecine a transformé la

9. Entretien avec Francois Gaill, Trajectoires, Le sexe des sciences, Autrement, n° 6, oct. 1992.10. E. Fox Keller, L'intuition du vivant. La vie et I'ceuvre de Barbara McClintock, Paris, Tierce, 1983.

Les femmes dans les laboratoires de biologie

profession, mais selon certaines spéci-ficités. Elles se sont tournées vers lamédecine hospitaliére salariée, voirevers la médecine spécialisée, au prixd'efforts scolaires supplémentaires, cequi les a conduites 4 développer des for-mes de médecine savante et intégrée.L'expérience de Sylvie Gisselbrechtmontre méme que, par un singulierparadoxe, la misogynie traditionnelledu corps médical, contre laquelle elleseurent a lutter, a poussé des cliniciennesvers la recherche biologique. “Nomméeinterne en 1967, raconte cette cher-cheuse, je suis allée voir MonsieurJean Bernard a l'hépital Saint-Louispour lui demander une place dans sonservice. I] m’a trés clairement exposéson point de vue : comme femme, jepourrais faire de la recherche, maispas de la clinique. Il avait ajouté qu'ilne nommerait jamais une femme agré-gée, parce qu’étant chargée de famille,elle ne pouvait avoir la disponibiliténécessaire pour soigner des patientsdans un service aussi lourd que lesien.” Finalement, Sylvie Gisselbrechtquittera l'hdpital Saint-Louis pouréchapper aux pesanteurs de la cliniqueet pour participer a installation de larecherche médicale 4 ’hépital Cochin.

Qu'en est-il aujourd’hui de la discus-sion sur la place des femmes dans larecherche ? En réalité, cette questionsemble tourner autour d'une revendi-cation sociale pour la mise en placedun dispositif réglementaire censéassurer la parité hommes-femmesdans la recherche. C'est-a-dire de l'éta-blissement d'une égalité arithmétique

entre les sexesaussi bien dansYactivité des labo-ratoires que dansles instances demanagement scien-tifique. Ayant deman-dé a nos intervie-wées ce qu’'elles pen-saient de ce volonta-risme inspiré d’uneAffirmative Actiona l’américaine, onpeut constater qu'aucune ne manifesteun franc enthousiasme vis-a-vis d’unepolitique qui semble davantage moti-vée par des mobiles sociaux, que véri-tablement scientifiques. Au vrai, tan-dis que certaines chercheuses y voientun pis-aller, d'autres se disent hostilesa une réglementation qui entérine uneinégalité de fait entre sexes, mémes'il s'agit de la réduire. D’autres, plusmilitantes pour la cause féminine, serésignent a ce qu'elles appellent uneforme de “ségrégation positive”. Parexemple, Betty Felenbok admet que“la loi sur la parité a probablement étéutile pour donner un élan, le coup depouce nécessaire, pour permettre auxfemmes d'accéder a plus de responsa-bilités dans notre société”. Si AnnieSainsard reconnait qu'aujourd'hui le 79clivage entre sexes n’est plus de misedans les commissions du CNRS, elleestime “... qu'il n'est pas sGr que leschercheuses demandent, encore aujour-d'‘hui, tout ce a quoi elles ont droit”. APINSERM, Sylvie Gisselbrecht parled’une “mesure illusoire”, mais qui a aumoins le mérite de susciter une discussion

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Les femmes dans histoire du CNRS

sur un sujet dont on ne parlait guérejusqu’ici. En revanche, Ethel Moustacchiaffirme son hostilité de principe 4 cequ'elle qualifie de “mauvaises manié-res faites aux chercheuses”, ce dontelle s'explique : “Je ne veux pas nierune discrimination malheureusementbien réelle entre les sexes, particulié-rement avérée dans les promotionsaux échelons élevés de la hiérarchie(cf. supra). Mais la parité me paraitune facon relativement facile et humi-liante de répondre a un probléme qu'ilest nécessaire d'attaquer sous tous sesangles : l'éducation, la législation dutravail, les aides sociales, voire uneévolution des mentalités qui verraitl'acceptation par les hommes d'unealternance dans les charges de la viefamiliale ! En fait, je suis convaincueque la parité ne peut résoudre aucundes problémes auxquels sont confron-tées les chercheuses au quotidien etqu'elles partagent évidemment avecles autres femmes des classes moyen-nes. N'oublions pas que les salaires nepermettent pas, par exemple, d'avoirune aide sérieuse A domicile. A cela, ilfaut ajouter le stress lié a leur métierscientifique, les manip’ qui ne se ter-minent pas a l'heure de sortie de lagarderie, les déplacements pour lescongrés, les stages a l'étranger, etc.”

Il reste enfin que la revendicationparitariste est peut-étre dépasséeaujourd'hui, remarquent les généti-ciennes. Ethel Moustacchi se demandesi elle et ses consceurs sont bien repré-sentatives de la recherche telle qu'ellefonctionne aujourd’hui, non seulement

dans les SDV, mais aussi dans les au-tres disciplines. “Peut-étre représen-tons-nous une ancienne génération dechercheuses ?” note Jacqueline Verdiérequi ajoute : “On a parfois le sentimentque les choses ont changé avec la géné-ration suivante, que les jeunes sontplus combatives que nous ne ’étions.”Les mentalités ne sont d'ailleurs pasles seules a avoir évolué. Les sciencesde la vie elles-mémes, c'est-a-dire lecontenu et les méthodes de la recher-che, ont connu une profonde mutationdans la période récente. Peut-étreméme faut-il voir dans ces change-ments l'origine du curieux phénoménesignalé plus haut, a savoir la baisserelative du taux de féminisation dansles sciences du vivant. Rappelonsqu’au CNRS la parité atteinte dans lesannées 1970 s'est effacée devant unenouvelle répartition de 4 femmes pour6 hommes, les SDV ayant perdu 10points alors que le taux de féminisationcroissait de 3 4 5 points dans les autresdisciplines (cf. tableau 1). Evoquant cephénoméne, Annie Sainsard rappellequ'aujourd'‘hui on ne parle plus de cyto-logie, mais d'imagerie cellulaire, c'est-a-dire de grands programmes mobili-sateurs de type “Imabio”, avec tout cequ'ils impliquent en moyens matérielset humains, mais aussi — et la coinci-dence n'est probablement pas le faitd’un hasard — en termes de “re-mascu-linisation” de la recherche.

La bio-informatique se substituantaux centrifugeuses et aux super-microscopes, les modéles mathéma-tiques prennent le pas sur les sciences

Les femmes dans les laboratoires de biologie

d'observation et si les sciences de lavie représentent le front principaldans l'avancée des connaissances,elles sont devenues le champ d’enjeuxde pouvoir exacerbés. On voit s’yinstaller un esprit de compétition quiétouffe parfois la curiosité scienti-fique, pour ne pas dire cette mystiquede la connaissance évoquée plus hauta propos de Barbara McClintock.

Peut-étre faut-il voir la l'une desraisons de la perte relative de l'idio-syncrasie des chercheuses pour cesdisciplines ou, a l’inverse, |’explicationde la féminisation toujours croissantedes autres domaines de la recherche.

Entretien avec:

SylvieGisselbrecht,directrice del'UR INSERM363 (Oncologiecellulaire etmoléculaire)

H6pital Cochin, le 5 février 2002

Pourquoi avez-vous “fait”médecine ? ...

Quoique mon pére ait été médecin, jevoulais faire les Beaux-Arts ou lesArts déco, mais mes parents n'ont pasvoulu et j’ai donc fait médecine finale-ment un peu par hasard. A l’époque owjai commencé mes études, la médecineétait un monde d’hommes ow les fem-mes étaient secrétaires ou infirmiéres.J’ai passé linternat en 1967, mais j’aigardé un trés mauvais souvenir de cesannées et tout particuliérement destraditionnelles salles de garde. Bienstr, il y avait déja quelques femmesinternes, surtout en pédiatrie, engynécologie et en anesthésie, mais j'aid’abord envisagé de faire de la neuro-psychiatrie et j’ai passé quelque tempsdans un service de la Salpétriére. Or,je me suis rapidement rendue compte

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Les femmes dans histoire du CNRS

qu’en fait de clinique, il y régnait uncynisme épouvantable, pire que dansles autres spécialités.

...puis de la recherche ?

Au cours de mes études, j’avais surtoutété attirée par les disciplines les plusscientifiques, et notamment par l’héma-tologie, et cela d’abord pour une raisonscientifique. Comme les cellules du sangétaient d’accés plus facile que les autrescellules qui constituent un organisme,I'hématologie a permis le développe-ment de l'immunologie. Mais il y a uneautre raison. J’avais eu au lycée unecamarade leucémique et cela m/avaitmarquée. Comme médecin, je voulaisfaire quelque chose pour les personnesatteintes de cette maladie. A l'époque ouj'ai passé les concours, l’internat de bio-logie n’existait pas, mais il y avait despostes dans des services de biologie etc'est ainsi que j'ai fait la premiére moitiéde mon internat en clinique et laseconde moitié en biologie. Nomméeinterne en 1967, je suis allée voirMonsieur Jean Bernard avec qui j’ai euun entretien trés cordial. Il m’a claire-ment exposé son point de vue : commefemme, je pourrais faire de la recherche,mais pas de la clinique ! I avait ajoutéqu'il ne nommerait jamais une femmeagrégée dans son service. Il estimaitqu’une femme avec une vie de familledevait s’occuper de ses enfants et nepourrait pas avoir la disponibilité néces-saire pour soigner des patients dans unservice aussi lourd que le sien. Il m’adonc conseillé de faire un stage de

recherche chez Jean Dausset. J'ai passédeux semestres 4 Saint-Louis chez JeanDausset qui m’a alors proposé d’allerfaire un post-doc aux Etats-Unis. Il m'a-vait dit qu'a mon retour, je pourraisprendre la direction du laboratoire otYon m/avait accueillie. Mais commentpouvais-je accepter ? La directrice dulabo en question était une amie 4 moi !C'est ainsi que Francois Kourilsky m’aproposé de faire partie du futur labora-toire qu'il allait monter avec Jean-PaulLévy a l'hépital Cochin. Tous deuxétaient d’ailleurs en train de quitterSaint-Louis, justement pour échapperaux pesanteurs de la clinique.

Sur quoi portaient vos recher-ches auprés de Jean-Paul Lévy ?

Je faisais de ’immunologie, mais il avaitbesoin d’un virologue. Quand je lui ai ditque je m’intéressais au contréle géné-tique de la réponse immunitaire, il m’ademandé de faire un séminaire biblio-graphique. J'étais trés contente carjadore lire. I] m’a donc proposé de docu-menter le contréle génétique de laréponse des souris aux virus leucémo-genes murins, pour voir si je voulais res-ter en immunologie ou si je souhaitaisfaire de la rétrovirologie. Nous avionsenvisagé mon post-doc aux Etats-Uniscomme un stage de formation techniquecar nous ne savions pas comment fonc-tionnaient les rétrovirus. A mon retour,Jean-Paul Lévy m’a demandé de monterun laboratoire de virologie, ce qui a étéun peu difficile car, si j'avais appris lestechniques (je savais reproduire ce que

Les femmes dans les laboratoires de biologie

javais fait aux Etats-Unis), je n’avaispas encore compris comment développerun projet de recherche destiné a aborderun probléme important. Pendant deuxans, pour ne pas entrer en compétitionavec des équipes plus importantes, jeme suis donc définie en négatif parrapport aux recherches qui pouvaientse développer dans les grands labora-toires américains. J’ai donc choisi dessujets marginaux. Puis, au bout de troisans, jai décidé de me lancer et j'aicommencé a travailler dans un groupeinformel : Friend. Charlotte Friendavait découvert un rétrovirus provo-quant des leucémies chez la souris.Pour tenter de comprendre la physiopa-thologie de cette maladie, nous avionseu lidée de faire travailler ensembledes chercheurs provenant d’horizonsdifférents. Il a fonctionné trés active-ment pendant quatre ou cing ans endehors de la direction scientifique detout chef de laboratoire.

Jean-Paul Lévy racontequ'il vous avait proposé ladirection d’un laboratoire,mais que vous étiez réticente.Pourquoi ?

Jai fini par accepter cette responsa-bilité, mais il est vrai que j’ai résisté.Quand il a voulu couper en deux sonunité qui grossissait, il m’a proposé,comme a d’autres, de diriger l’autremoitié. J’ai refusé et je lui ai conseillé defaire venir Pierre Tambourin. J'étaisréticente 4 prendre la direction d'uneéquipe. La raison en était que je voulais

maintenir un rapport ludique avec larecherche : d’une part, travailler sur lessujets qui m'intéressaient avec les gensqui me plaisaient et, d’autre part, je n’a-vais pas envie de devenir “chef”. Je vou-lais éviter un décalage entre ma faconde vivre et mes rapports avec les autres,au quotidien. Je n’ai jamais aimé lesrapports d'autorité ot il faut trancher,arbitrer, etc.

Devenue directrice de VUR363 (Oncologie cellulaireet moléculaire), il sembleque vous ayez privilégié lerecrutement féminin.

La aussi, l'explication est simple.Les femmes qui font de la rechercheet qui se sont heurtées dans le quoti-dien au comportement de directeursmachistes préférent intégrer deslaboratoires dirigés par des femmes.De fait, il y a beaucoup plus de cher-cheurs femmes dans ce laboratoire, cequi signifie que je suis attentive a ceque les femmes, a travaux de qualitéégale, ne soient pas désavantagéespar rapport aux hommes au momentdu recrutement.

Je me souviens d’une année ow il yavait extrémement peu de postesouverts a YINSERM. A la lecture dulisting des entrants, j’ai constaté quesur sept ou huit commissions scienti-fiques spécialisées, toutes (sauf une)n’avaient nommé que des hommes.Les femmes n’apparaissaient que sousla barre des intégrables.

J’étais tellement scandalisée que j’avaisécrit aux divers présidents !

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Pourtant, a l'INSERM, lesfemmes sont aussi nombreu-ses que les hommes...

C'est vrai, mais si on s'attache a laproportion de femmes selon les dif-férents échelons de la hiérarchie, onconstate que plus on monte, plus laproportion de la population fémininebaisse.

Le probléme est qu'au fur et 4 mesureque l'on gravit les échelons, il y a deplus en plus de taches administra-tives. Contraintes qui sont loin d’étresimples pour les femmes dont la chargede travail familial est déja considéra-ble (pour les méres divorcées parexemple).

Ainsi, beaucoup de femmes ont desenfants aprés leur thése. Elles sontensuite recrutées 4 ’INSERM, maiselles peuvent rencontrer des diffi-cultés 4 la quarantaine, au moment dupassage CR1-DR2, surtout si leurscharges de famille ont retardé leurcarriére scientifique.

x

Il faut ajouter a cela les responsabi-lités administratives quand on devientdirecteur d'un labo et l’on comprendmieux la difficulté pour les femmesde passer directrices de recherche.C'est le genre de probléme dont lessyndicats s'étaient occupés il y a unevingtaine d'années.

Nous avions d'ailleurs publié uneenquéte sur le sujet : “La recherchedes femmes. Enquéte, réflexions surles femmes chercheurs au CNRS’,Paris, SNCS, 1981.

Entretien avec :

Jacqueline Verdiére(université Paris-Sud)

Betty Felenbok(université Paris-Sud)

© Gamma - R. Benali

Ey

dp Ethel Moustacchi(CNRS, Institut Curie)

oFAnnie Sainsard(CGM CNRS, professeura Vuniversité Paris-Sud),

Ce débat organisé grace a l’aide deJanine Beisson (CGM CNRS) a eu lieua la faculté des sciences d’Orsay, le 11mars 2002.

Les femmes dans les laboratoires de biologie

D’aprés une enquéte réali-sée par l’Observatoire dessciences et des techniques(Express du 28 février2001), la répartition deschercheuses dans la recher-che francaise est la sui-vante : sciences de la vie,40 % ; sciences humaines etsociales, 37 % ; chimie, 27 % ;médecine, 25 % ; mathé-matiques, 20 % ; sciences deVunivers, 19% ; sciencespour Vingénieur, 17 %. Selonvous, comment expliquer laproportion remarquable deschercheuses dans les sciencesde la vie ?

Annie Sainsard - Pourquoi les fem-mes vont-elles d'abord vers la biologie ?Je pense que la raison est d’ordresocial et il faut évoquer ici le réle jouépar l’éducation. On oriente les petitesfilles plutét vers la biologie que versles maths. Avant, on les orientaitdavantage vers les lettres que vers lessciences. De méme, prenez l’exempledes jeux : c’est la poupée pour les fillesalors que pour les garcons c’est l’infor-matique, donc ce qui est plus proche dela science.

Jacqueline Verdiére - Je suis d’ac-cord. Le fait qu’on oriente les petitesfilles plutét vers la biologie que versles mathématiques, aprés les avoirorientées pendant trés longtempsvers le francais, provient de l’édu-cation. La société invente des bar-rages. Je peux vous donner un exem-ple anecdotique et caricatural. J’ai un

frére beaucoup plus jeune que moi.Quand il était petit, on lui lisaitdes encyclopédies pour enfants alorsqu’au méme 4ge, on me lisait descontes de fées. Maintenant, monfrére est mathématicien et moi j’ai faitde la biologie.

Mais cela n’explique paspourquoi vous avez fait dela biologie.

J. V. - Peut étre étais-je un peu naive.Je pensais que jallais accéder auxsecrets de la vie. Ce n’était pas dumysticisme, mais je pensais qu’onallait enfin comprendre pourquoi onfonctionnait de telle ou telle facon,pourquoi on réagissait de telle ou tellemaniére. Je trouvais l’évolution dessciences de la vie tout a fait fascinante.La chimie rejoignait la biologie quidevenait moléculaire.

Ce serait donc l'éducationqui conduirait les filles versles sciences de la vie ?

J. V. - Nous avons une hiérarchie desvaleurs qui fait que certaines sciences,parce qu’elles sont en général entre lesmains des hommes, sont plus valori-sées que d’autres et c’est 1a que l’effetsociétal devient évident.

Ethel Moustacchi - Je me demandesi le fait que les femmes soient si nom-breuses en biologie ne vient pas aussid’un certain aspect compassionnel liéa la maternité. Les femmes ont, plus

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Les femmes dans histoire du CNRS

que les hommes, un tropisme de pro-tection. D’une facon générale, l’espécehumaine a besoin de protéger sespetits plus longtemps que les autresespéces. Cela expliquerait peut-étrecet intérét particulier des femmespour les sciences de la vie.

Vous voulez dire qu’au-deladu poids de la société, ilexisterait un déterminismebiologique pour expliquerVorientation des chercheusesvers les SDV ?

E. M. - Non, pas de déterminisme bio-logique. Je parle plutét d’un point devue anthropologique. Il y a eu, dansPhistoire de ’humanité, une réparti-tion des fonctions et des taches quirésultait des différences entre lessexes. Lhomme partait a la chasse, lafemme cueillait. En tant que biolo-giste, je me rattache 4 ces femmes quise consacraient 4 la cueillette. Je croisque dans la répartition des taches,dans ce qui revient aux femmes, il y aun intérét pour la nature qui nousentoure. Aux débuts de l’humanité,cétait vital puisqu’il fallait manger,distinguer les plantes toxiques desbonnes, élever les petits, etc. Brefpour résumer trés grossiérement, ceciexplique peut-étre pourquoi les fem-mes se sont moins consacrées a I’as-tronomie — encore que certaines |’ontfait —, qu’aux sciences de la vie. Jecrois que cette détermination (notezbien que je ne dis pas “déterminisme”)anthropologique nous conduit de

maniére particuliére vers la médecineou la biologie.

J. V. - Peut-étre peut-on parler d’im-prégnation hormonale. Je pense quecest ce qu’Ethel voulait dire en par-lant de l’instinct de protection particu-liégrement développé chez les femmes.Cela étant, le fait de dire que les fem-mes sont différentes des hommes nesignifie pas qu’elles sont inférieures.

Betty Felenbok - Je ne suis pas d’ac-cord. Le vrai probléme réside dans lefait que la société dans son ensembleest régie par un systéme de valeursmasculin. Dans le domaine scienti-fique, nous (les femmes) nous déter-minons par rapport a la possibilitéd’entrer ou non dans la hiérarchie desdifférentes disciplines. Je pense que,pour nous, que ce soit en biologie oudans d’autres activités, nous noustrouvons en face d’activités spécifi-quement “féminines” (je mets exprésdes guillemets) parce que considéréescomme inférieures. Si on quitte ledomaine scientifique, pour regarder lamagistrature par exemple, on constateaujourd’hui une féminisation de cetteprofession parce qu’elle s’est trouvéepoussée hors du systéme de valeursmasculin, notamment du fait de ladévalorisation des salaires.

E. M. - Je ne vois pas en quoi, ni pour-quoi, la biologie serait plus dévalori-sante que d'autres disciplines dans unsystéme de valeurs masculin. Apréstout, si la biologie compte 40 % dechercheuses, 60 % des biologistes sontdes hommes.

Les femmes dans les laboratoires de biologie

Pourquoi étes-vous devenuesbiologistes ?

B. EF. - Jhésitais entre devenir profes-seur de gymnastique ou biologiste.J’étais trés sportive étant jeune. Maisjai réalisé assez t6t qu’a 50 ans, il neserait peut-étre pas facile d’assumer lefait d’étre prof de gym. Le sport, c’estdu court terme. Pour le long terme,intellectuellement, j’étais attirée parla biologie. J’ai donc fait ma terminaleen sciences ex, puis le SPCN (premiéreannée de fac). Je ne me suis jamaisposé la question de la physique ou desmaths car j’étais attirée par la bio-logie. A cette époque il y a eu pas mald’articles dans les journaux sur labiologie moléculaire. Ainsi que le disaitJacqueline, c’était une science quisemblait bouger davantage que laphysique.

A. S. - En ce qui me concerne, le choixd’une discipline ne se posait pas ences termes. C’était déja bien beau queje devienne biologiste ! Je suis issued’un milieu social trés défavorisé ot leprobléme du féminisme ne se posait pas.Le probleme majeur de mes parentsétait que leur fille fasse des études,ce dont je leur sais gré. Mais ilsn’étaient pas 4 méme de dire de leurfille qu’elle ferait plutét des maths quede la biologie. Pour moi, il s’agissaitde sortir d’un milieu social difficile etje n’avais guére l’opportunité de melivrer 4 des réflexions théoriques.Celles-ci sont venues plus tard. Enfait, je pense que je me suis orientée

vers la biologie parce que je n’étais pascapable de faire des mathématiques.Je n’étais pas suffisamment bonne enmaths. A priori, je ne vois pas pour-quoi les filles seraient moins fortesen maths que les garcons, mais jeconstate que tel était mon cas, cesttout.

Au cours de votre carriére,avez-vous constaté des diffé-rences entre les motivationsdes chercheuses et celles deschercheurs ?

B. F. - Oui. Dans ma carriére, je mesuis toujours dit que ce qui étaitimportant, c’était la fonction que j’oc-cupais, pas le salaire. Par exemple,jai demandé 4 passer “directrice derecherche” trés tardivement. J’occupaisune fonction d’animatrice au sein d’ungroupe de chercheurs, mais ca mesemblait plus important que le titreque l’on me reconnaissait. I] me suf-fisait d’étre reconnue dans mon insti-tut comme dirigeant un groupe derecherche. J’ai toujours eu horreur desrivalités de pouvoir et, d’une facongénérale, des jeux de compétition.

J. V. - Il semble que les chercheusessoient moins motivées par l’esprit decompétition que les chercheurs. Maisil est vrai que les mentalités évoluent.Aujourd’hui, on voit une nouvellegénération de femmes qui montrentdavantage d’esprit de compétition detype “masculin”.

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Les femmes dans histoire du CNRS

E. M. - C’est vrai. Nous sommes restéeslongtemps les victimes du complexe ducolonisé tel que le décrit Franz Fanon(Les Damnés de la terre), c’est-a-dire lediscrédit de soi, la haine de lopprimépour lui-méme. Je crois que les fem-mes ont fait trés longtemps leur, leregard que les hommes portaient surelles : “Non, je ne suis pas digne depasser DR1 !”

C’est dur de le reconnaitre, maisjai beaucoup d’exemples de cher-cheuses de ma génération qui, lorsquedes jeunes se présentaient pourfaire un DEA, préféraient prendre ungarcon plutét qu’une fille. Prendre ungarcon était plus valorisant pour l’u-nité, pour l’équipe. En plus, avec lesfilles, il y avait les congés maternité,donc on pensait qu’elles_ travail-leraient moins.

J. V. - ...Et la question de la place desfemmes dans les sciences de la vie doitétre complétée par une autre (quiconcerne d’ailleurs aussi les autressciences), & savoir que la proportiondes femmes diminue de la mémemaniére et au fur et 4 mesure qu’ongravit les échelons de la hiérarchie. Jeme demande d’ailleurs si nous som-mes bien représentatives de la “biolo-gie au féminin” aujourd'hui...

E. M. - Peut-étre représentons-nousune ancienne génération de cher-cheuses. Les choses ont changé, lesquadragénaires d’aujourd’hui sontbeaucoup plus combatives et ont lesdents plus longues que nous...

Pensez-vous que les femmespaGtissent toujours d’unmanque de reconnaissanceinstitutionnelle ?

B. F. - Il faut que les femmes s’affir-ment davantage, mais le problémenest pas spécifique a la biologie nia notre université. Dans mon cas, leprobléme ne venait pas des responsa-bilités que j’assurais déja, mais de lareconnaissance de ces responsabilités.Je dirigeais un groupe de jeuneschercheurs dont quelques-uns (unes)passaient leur thése avec moi et celame convenait trés bien.

J’ai pris conscience de ce probléme dereconnaissance tardivement et pascomplétement puisque je n’ai pas faitde demande pour passer DR1 — ce quela commission dont je dépends m’adailleurs reproché. A l’époque ow j'aipensé que mon dossier était mir, j’aiorganisé un gros congrés et je n’étaispas disponible pour rédiger ce dossier.Je pense qu'un homme aurait faitpasser son dossier de DR1 avant lecongrés qui était une tache collective.Ca, je ne l’ai analysé qu’aprés. Je vaisétre 4 la retraite l'année prochaine etcest la commission qui a demandépour moi l’éméritat car elle a estiméque mon sujet devait étre prolongé.

Je me dis, rétrospectivement, quejaurais vraiment dt insister pourpasser DR1, mais je ne Il’ai pas fait.J’ai sacrifié ma fin de carriére aufait que je trouvais plus importantd’organiser ce congrés européen desfilamenteux.

Les femmes dans les laboratoires de biologie

Tout de méme cet esprit decompétition, vous le retrou-vez en matiére de publica-tions scientifiques.

B. F. - Tout a fait. Lorsqu’il s’agit depublier, je sors mes griffes, je mebagarre.

Mais n’est-ce pas en contra-diction avec ce comporte-ment féminin que vousdécriviez auparavant ?

B. F.- Effectivement, il y a unecontradiction et pour l’expliquer, lepoids du social redevient important.Bon, je reproduis 1a le modeéle social dela femme qui est moins compétitive,moins bagarreuse que les hommes,mais en réalité je suis assez bagar-reuse et je l’ai prouvé.

Par exemple ?

B. F. - Par exemple, lorsque nous avonsgagné sur la question de la gestion desmarchés pour la recherche publique,qui avait été bloquée par une régle-mentation absurde. Une pétition avaitété lancée en 1999 par Pierre Chambon,Alain Prochiantz et d’autres grandsnoms, mais elle n’avait abouti qu’é unalourdissement du systéme des mar-chés qui était devenu pratiquementingérable pour les biologistes. Chaqueunité devait pratiquement consacrerun plein temps pour passer les com-mandes de matériel. Je me suis lancéedans la bataille. Pierre Chambon m’a

félicitée pour mon courage, mais il aprédit que je ne réussirais pas, quepersonne ne me prendrait au sérieuxau ministére, etc. J’ai lancé unepétition qui a recueilli plus de 5 000signatures, en vain. J’ai alors décidéde me consacrer entiérement a ce pro-bléme, quitte a laisser ma rechercheen plan. Ca m’a cotité trois mois depaillasse, mais j'ai fini par gagner.J’ai rencontré tous les groupes par-lementaires, j’ai été en contact avecle cabinet de Lionel Jospin, avec celuide Roger-Gérard Schwartzenberg, avecdes sénateurs qui ont contacté LaurentFabius et ainsi de suite, jusqu’a cequ’on réussisse 4 débloquer la situa-tion. En fait, jétais surtout motivéepar l’absurdité du systéme. Quand j’aidécidé de m’y atteler, j'ai pris connais-sance du dossier technique et politiquedans ses moindres détails et fina-lement j’étais devenue la seule inter-locutrice compétente...

Ce qui m’a le plus amusée dans cetteaffaire, c’est d’avoir imaginé unestratégie pour débloquer une situationkafkaienne.

Cette histoire prouve en toutcas que ce n’est plus unhandicap d’étre une femmepour diriger la recherche...

E. M. - Je pense que c’est devenu neu-tre. Mais cela reste difficile au niveaudes promotions a des échelons trésélevés comme directeur de classeexceptionnelle, voire DR1.

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Les femmes dans histoire du CNRS

B. F. - Mais est-ce que c’est gagné ? Leprobléme n’est pas spécifique a la bio-logie ni 4 nos structures de recherche.A cet égard, lorsque la loi sur la paritéa été élaborée, j’ai d’abord manifestéquelques réticences sur cette discrimi-nation positive. Maintenant je pensequ’elle est importante et nécessairepour donner un élan, un coup de pouceindispensable pour que les femmesaccédent 4 plus de responsabilités atous les niveaux de notre société.

A. S. - Il semble que, dans les commis-sions du CNRS, on soit désormais recude la méme manieére, qu’on soit hommeou femme. Mais je me demande si cer-tains comportements féminins n’expli-quent pas cette situation. CommeBetty vient de le dire, je constate queles chercheuses ne demandent pastoujours ce a quoi elles ont droit.

J. V. - J’ai de nombreux exemples defemmes qui se sont comportées autre-ment. Ce qui est étrange, c’est quelorsque les femmes sont bagarreuses,elles peuvent étre pires que les hom-mes. Elles sont conscientes d’avoir unhandicap et elles adoptent des com-portements — je dirais “typiquementmasculins” — avec une énergie quipeut devenir redoutable.

A Vinverse, les femmes peu-vent aussi user de comporte-ments typiquement féminins,la séduction par exemple...

J. V. - ... qui joue dans les deux sens.Jacques Monod, par exemple, était un

charmeur. Son cours, que j’ai suivi 4 lafac, n’a pas été pour rien dans monchoix de faire de la biologie.

B. F. - C’est vrai que Monod était unséducteur, moi aussi j’ai un grand sou-venir de son cours. Indiscutablement,il a eu un role important pour amenerdes chercheuses vers la biologie.

A. S. - Mais il y a autant de mandarinscharmeurs en physique ! On peutautant étre séduite par un beau physi-cien que par un biologiste ! Cela n’ex-plique rien.

B. F. - Ce que je voulais dire c’est queje mintéressais aux mécanismes duvivant en tant que tels et que c’est laraison pour laquelle j’ai fait de la bio-chimie. Peut-étre que j’aurais faitautre chose si j’'avais été un homme.

Y a-t-il une maniére fémininede porter un regard sur lascience ?

E. M. - On ne regarde pas la nature dela méme maniére a |’époque de Buffonou de Barbara McClintock.

B. F. - Il me semble qu’une femmenorientera pas systématiquement sarecherche sur les sujets les plus com-pétitifs. Je veux dire que les femmesprendront peut-étre plus de risquesdans le choix d’un sujet de recherche.Ceux que j’ai choisis étaient peut-étredes sujets plus 4 risques et moins ren-tables en termes de compétition. Jetravaille actuellement sur un champi-gnon filamenteux. La raison en est que

Les femmes dans les laboratoires de biologie

ces sujets de recherche me semblaientpouvoir permettre une analyse un peuglobale des mécanismes de la différen-ciation cellulaire. C’était trés ambi-tieux et trés risqué et je dois d'ailleursreconnaitre que nous nous sommes unpeu “cassé la gueule” (nous étions ungroupe de 5 chercheuses). Cela n’a pasdébouché sur les hypothéses que nousavions émises au départ. Peut-étreque si j’avais été un homme, je ne meserais probablement pas lancée danscette étude.

A. S. - Certes, la génétique que nousavons faite a Gif étudiait des phéno-ménes un peu marginaux, je diraisau moins par rapport aux grandes ten-dances de la génétique chromosomique(la sénescence des champignons, parexemple). En méme temps, je ne vois larien de spécifiquement féminin. JanineBeisson avait été l'éléve de GeorgesRizet et ce groupe comportait Bernet,Bégueret — dont les études ont débou-ché sur le prion de podospora — et desgens qui se sont attelés a des problémesdont le déterminisme ne répondait pasaux concepts classiques. Mais il n'y a laaucune spécificité féminine et plutéttoutes les caractéristiques d'une écolede génétique.

Pensez-vous que certainesdisciplines attirent plusparticuliérement les cher-cheuses ?

B. F. - C’est clair. La cytologie parexemple qui représente le cas typiqued’une science d’observation.

E. M. - C’est vrai que les femmes sontattirées par les sciences d’observation,la taxinomie... Prenez les écrits deBarbara McClintock : “Je suis dans lacellule et j’observe...”.

A. S. - Il est vrai que la cytologie alongtemps été dominée par les fem-mes. Mais aujourd’hui on ne parle plusde cytologie mais d’imagerie (cellu-laire) et on assiste 4 un retour en forcedes hommes dans le secteur.

Pensez-vous que les femmessoient moins portées que leshommes vers la réflexionthéorique ?

B. F. - La, on revient a la question :pourquoi les femmes font-elles plus debiologie que de maths ? Ce qui revienta se questionner sur le poids du socialdans l’activité scientifique. Les orien-tations dans la recherche dépendentdes choix sociétaux qui sont eux-mémesd’origine typiquement masculine. Or,dans notre société occidentale, lavaleur de l’abstraction est beaucoupplus prisée, plus noble, que les valeursd’observation.

J. V. - Betty a raison, mais peut-étrepeut-on ajouter que la structure ducerveau est différente selon les sexes.Je ne suis pas convaincue que le cer-veau d’un homme et celui d’une femmefonctionnent de la méme facon.

A. S. - C’est le paradoxe de l’ceuf etde la poule ! Le social est-il le produitdu biologique ou linverse ? Je croisque personne ne conteste le fait que le

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cerveau de homme et celui de lafemme soient différents, mais je neme risquerais pas a en conclure pourautant que les hommes sont plusdoués pour l’abstraction que les fem-mes, au moins tant qu’on ne me l’aurapas démontré !

B. F. - On ne peut pas savoir si l’ab-straction est valorisée, parce quelleest une valeur mise en avant par leshommes et que, par conséquent, cesont eux qui investissent ce champ,alors que la réalité — le réel — seraitplutét laffaire des femmes. De toutefacon, je ne pense pas que cette dis-tinction soit due 4 la structure du cer-veau dont toutes les études actuellesmontrent la malléabilité. Quand unefonction se perd a un niveau (on le voitavec les hémiplégiques ou les blessésde guerre par exemple), une autrepartie du cerveau prend le relais.Donc pourquoi ne pas imaginer quecette plasticité puisse permettreaux femmes d’atteindre les niveauxd’abstraction des hommes ?

Les chercheuses sont-ellesplus soucieuses que _ leschercheurs des applicationsde leurs recherches ?

E. M. - La aussi, il faut lire le livre deBarbara McClintock sur les transpo-sons, ces genes mobiles qui expliquentla résistance des bactéries aux anti-biotiques. De méme, le cas de MarieCurie est exemplaire. Elle était chimisteet physicienne, mais dés le début deses découvertes, elle s’est préoccupée

de procéder aux applications médicales,pour tenter de savoir si cela allaitservir a l’amélioration de la santéhumaine. I] en a été de méme pourIréne Joliot, sa fille. Toutes deux, phy-siciennes et chimistes, se sont posé laquestion de lutilité de leurs travaux.Marie Curie, dés 1920, a fondé l’hépi-tal Curie pour trouver comment trai-ter des cancers par les radiations.Ne peut-on pas dire que l’intérét desfemmes pour la biologie découle d’unecertaine propension a soigner ? Voyezleur intérét pour les métiers de lasanté, de médecin, d’infirmiére... C’estla mére qui protége ses petits...

A. S. - Je dirais tout de méme que lespetits ne le restent pas trés long-temps... Et on peut se demander sicette fonction maternelle n’est paselle-méme déterminée par la société.Cela dit, si on raisonne en termesdutilité de la recherche, je pense queles femmes sont plus soucieuses desapplications que les hommes.

J. V. - Je le pense aussi, mais je medemande si cela résulte d’une démar-che consciente.

A. S. - Elle lest, en tout cas, lorsqu’onest amené a réfléchir sur la meilleuremaniére de justifier des demandes decrédits !

[Rires et approbation générale]

J. V. - C'est vrai, on constate que ladifférence entre chercheurs et cher-cheuses inscrit la place des femmesdans le concret.

Les femmes dans les laboratoires de biologie

B. F. - De plus, les femmes sont, jedirais “naturellement”, plus altruistesque les hommes.

A ce propos, certaines d’entrevous n’ont-elles pas songé afaire de la médecine ?

B. F. - Cela m’a traversé l’esprit, mais,curieusement, aprés que je fus entréeau CNRS. Au début, mes travauxde recherche ne marchaient pas trésbien. En plus, je travaillais avec unmachiste (Pr. Roger Acher, Paris 6,dir. de PUA CNRS 515, Structure,fonction et évolution des protéines),un type pas possible qui était monpatron de thése. Je me demandais :es-tu faite pour la recherche ? Bref, cane “gazait” pas et l’idée m’est venue :pourquoi ne pas faire médecine ? Aumoins je serais utile 4 quelque chose.Jétais allée assez loin puisque jem’étais renseignée sur les équivalences.

J. V. - Ma mére était médecin et moi jevoulais étre psychiatre. Mais elle m’ena dissuadée prétextant que j’étais tropparesseuse pour préparer l’internat etenvisager une spécialité. Je seraisdevenue généraliste, j’aurais passémon temps a soigner des angines et jeme serais ennuyée 4 mourir.

E. M. - Je crois que chez beaucoup defemmes qui ont fait de la biologie, il ya eu, Aun moment ou a un autre, uneréflexion, un désir d’étre médecin...Mais mille raisons ont pu les en dis-suader, comme la longueur des études,la nécessité de gagner sa vie et la

difficulté de se faire une place dans lemilieu médical, surtout 4 l’époque.

A. S. - On voit aussi le cas inversecomme celui d’Yvonne Capdeville quiétait médecin et qui a complétementarrété la pratique pour faire de larecherche. Ce qui prouve qu’on peutaussi venir 4 la biologie par lamédecine.

Entretien avec :

Suzy Mouchet,départementinformationscientifique et

— communicationm: de l'INSERM

© Photothéque INSERM - M. Depardieu

Au Kremlin-Bicétre, le 25 avril 2002

Vous avez fait pharmacie, jecrois ?

Lorientation des femmes, comme celledes hommes d’ailleurs, est souvent lerésultat d’un processus complexe etaléatoire. Je n’ai pas échappé a la régle.Je vais tenter de me souvenir de cequi m’a déterminée, a la fin des annéescinquante, alors que je terminais mesétudes secondaires 4 Marseille. Je sais

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Les femmes dans histoire du CNRS

que, ardente lectrice de tout ce qui metombait entre les mains, je m’étais forgéema vision de la vie et je voulais faire dela philo. Il n’y avait pas de fac de lettresa Marseille, mais a Aix-en-Provence.Les circonstances familiales (notam-ment une grand-mére qui m’avait éle-vée et qui ne voulait pas que je prennetrop de liberté, comme de circulertous les jours entre Aix et Marseille !)ont fait que j’ai un peu tatonné.Finalement, je me suis inscrite enSPCN (Sciences physiques, chimiqueset naturelles) et a la fac de pharmacie.Il m’apparaissait que la pharmacieallait me donner une culture scienti-fique de base. J’avais, en outre, plusenvie de faire de la chimie que de laphysique. Pour moi, la physique étaitquelque chose de lourd, de mécaniquequi ne laissait pas beaucoup de place aVimagination. Un peu comme linfor-matique aujourd’hui si vous voulez,une boite noire. A Vinverse, la chimiemintéressait, surtout la chimie orga-nique : comprendre l’agencement desmolécules dans l’espace, ces associa-tions d’éléments qui en forment d’au-tres plus complexes. Intellectuellement,cela me fascinait. Peut-étre cette idéed’assemblages, de cuisine en quelquesorte, est-elle quelque chose de fémininparce que proche de la vie. La chimieorganique est une approche du vivant,méme si on commence par le méthaneet le benzéne ! La biologie, la chimieorganique sont les fondements de lavie. Peut-étre peut-on dire que lessciences de la vie, en ce sens, sontplus liées au féminin. La naissance,Pévolution... Le mystére de la vie.

C’est peut-étre ce qui explique le faitqu’on trouvait autant de femmes enfac de pharmacie (outre le fait quecelles-ci étaient nombreuses a étrefilles de pharmaciens d’officine !).

...ef pourquoi pas médecine ?

J’avais impression que la médecineexigeait un engagement total vers unepratique un peu fermée, soigner lesmalades, dans un milieu clos. Je n’é-tais pas issue d’une famille de méde-cins. Je pensais que la pharmacie mepermettrait d’acquérir une culturescientifique tout en me laissant le loi-sir de continuer a me cultiver en phi-losophie, en littérature, en peinture,en cinéma... A l’époque, j’étais pas-sionnée de cinéma et engagée politi-quement ! La pharmacie m’est doncapparue comme plus généraliste quela médecine. J’ai eu quelques amiesqui ont choisi cette voie. Mais au débutdes années soixante, le milieu médicalétait encore trés fermé aux femmes.Elles se spécialisaient plutét, dansleur environnement, vers la dermato-logie et la pédiatrie. En tout cas, je n’aiconnu aucune femme de mon entou-rage qui ait fait médecine avec l’idéede faire de la recherche. Je n’en parle-rais méme pas pour ce qui concerne lapharmacie. A mon époque et selon mescritéres, la recherche concernait laphysique, la chimie, les mathéma-tiques et la fac de sciences, mais stire-ment pas la fac de médecine ou depharmacie. Je ne connaissais mémepas l’expression “sciences de la vie”.

Les femmes dans les laboratoires de biologie

A votre avis, pourquoi lesfemmes se dirigent-elles versla recherche ?

Sil existe des mobiles spécifiquementféminins pour faire de la recherche, jene les connais pas.

Certaines chercheuses par-lent du plaisir de la recher-che.

Mais ce plaisir existe aussi chez leshommes.

Certaines chercheuses par-lent de différences entre lessexes au niveau des mobiles,par exemple un esprit decompétition moindre chezles femmes que chez leshommes.

Je suis dubitative la-dessus. Les rela-tions entre individus, que l’on parlede recherche scientifique ou d’autresactivités, sont par essence fondéessur des rapports de force. C’est un jeude rivalités, de compétition. Le rap-port de force, finalement, c’est larecherche de la survie ou de la vie. Jepense que hommes et femmes sont aégalité sur ce point dans leurs moti-vations. En revanche, la pratique dela recherche et la compétitivité dumonde de la recherche comportentdes contraintes qu’une femme peutavoir plus de mal a gérer qu’unhomme.

Des chercheuses_ (SylvieGisselbrecht par exemple)disent privilégier la satis-faction de leur curiositéintellectuelle et fuir les riva-lités de pouvoir au sein de lacommunauté scientifique.

Cela, je le comprends parfaitement.Je suppose que Mme Gisselbrechtoppose ici l’activité scientifique qui lapassionne a |’exercice d’une fonction dedirection plus administrative, commela direction d’un laboratoire par exem-ple. C’est en fait un autre métier, celuid’un manager (de PME), trés prenant,qui laisse évidemment moins de tempspour faire de la recherche... Cela peutétre un nouveau et beau métier pourun chercheur confirmé et nombreuxsont ceux qui réussissent trés bien, ycompris les femmes.

Les chercheuses sont-ellesportées davantage vers unereconnaissance institution-nelle ou vers une reconnais-sance intellectuelle ?

Je ne dissocie pas ces deux types dereconnaissance.

Qu’est-ce qui explique ladisparité hommes-femmesselon que lV’on monte dans lahiérarchie ?

Grimper dans la hiérarchie, c’est exercerprogressivement des fonctions de plus enplus importantes en termes de manage-

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ment et d“exercice du pouvoir’. Celaexige de plus en plus de disponibilité etde capacité de gestion de son temps. Laencore, la disparité s’explique par lescontraintes inhérentes a la vie de femme.C’est elle qui fait et éléve les enfants. Ilfaut gérer cela. Les femmes ont dé énor-mément se battre pour faire admettreque, dans ce champ, elles étaient aussi“bonnes” que les hommes. Cette disparitéest pour moi destinée a disparaitre, dansPunivers de la recherche en tout cas.

On remarque aussi le faitque dans le monde de larecherche, certaines fem-mes expriment une curieusemisogynie vis-a-vis de leursconsceurs.

Les femmes qui parviennent aux sommetsde la hiérarchie ont souvent une placesociale a conforter et a préserver.Jajouterais que cette place fut souventchérement acquise. C’est peut-étre 4ce niveau qu’on trouve parfois cette condes-cendance misogyne des femmes qui ontréussi vis-a-vis de leurs consceurs montéesmoins haut. Au fond, les femmes arrivéesexpriment peut-étre ainsi une incertitudesur elles-mémes, une forme dauto-incré-dulité devant leur propre ascension.

Existe-t-il des taches parti-culiérement féminisées dansla recherche ?

Je crois la féminisation beaucoup plusimportante dans l’administration de larecherche que dans la recherche. Voyezle cas des “métiers plus féminins”,

comme Il’édition ou la communicationdans les EPST, par exemple, ow lesfemmes sont en plus grand nombre.

La baisse en proportion dunombre de femmes a VINSERMserait-elle liée a Vaugmenta-

tifique en biologie ?

Laugmentation de la compétitivité enrecherche dans le département de biolo-gie a certainement augmenté les diffi-cultés, pour certaines femmes, d’étredans la “course”, difficultés toujoursliées & leur “métier de mére”, aux choixquelles doivent faire et a organisationque cela nécessite pour elles.

Y a-t-il un comportementféminin spécifique dans larecherche ? Certaines par-lent @instinct maternel, deprotection ... ?

Je ne sais pas si l’instinct maternel agrand-chose 4a voir avec la pratique dela recherche. En revanche, je crois queles femmes ont un caractére plus“social” que les hommes, leur capacitéd’écoute est plus développée. Elles sontégalement peut-étre plus appliquées.

Certaines femmes directricesWunité privilégient le recru-tement féminin, le syndromedu gynécée en quelque sorte.Qu’en pensez-vous ?

J’ai toujours été attentive et j’airecherché un équilibre entre le nombre

Les femmes dans les laboratoires de biologie

dhommes et de femmes, ce qui, pourmoi, est un facteur d’enrichissementpour une équipe. Mais j’étais dans ununivers trés féminisé, d’abord |’édition,puis la communication. Je n’ai doncpas vraiment réussi.

N’avez-vous jamais subi lamisogynie de la commu-nauté médicale ?

Bien sar, il faut se rappeler le poids dumandarinat médical 4 INSERM, aumoins jusqu’a la “révolution” de 1970qui a vu la prise de pouvoir des cher-cheurs. Je peux donner un exemplede misogynie mandarinale. Quand jetravaillais chez Flammarion Médecine,Jean Hamburger était le président ducomité scientifique de cette maisond’édition réputée. I] y avait également,dans ce Comité, Jean-Francois Bach(immunologie), Jean-Pierre Griinfeld(néphrologie), Pierre Kamoun (biochi-mie) ... tous des neckériens. La direc-trice, Josette Novarina, et moi-mémeassistions aux réunions de ce Comité.Lorsque Jean Hamburger prenait laparole, pour parler de nous, il disait“Elles...”. En revanche, quand ilparlait des autres, il disait “le profes-seur Bach, le professeur Griinfeld, leprofesseur Kamoun...”. Nous étions“Elles”. Cela m’avait sidérée, d’autantque Jean Hamburger était un hommeextrémement attentif et courtois.Dans les années 1970, il était difficilepour une femme d’étre reconnue dansses compétences par les grands man-darins, méme éclairés. J’en ai connubeaucoup chez Flammarion. Quand

jai travaillé ensuite avec les cher-cheurs de PINSERM, j’ai découvertune mentalité différente et n’ai pasressenti de discrimination.

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Les historiennes au CNRS

par Emmanuelle Cospen-Gharibian et Geneviéve Faye

Emmanuelle Cospen-Gharibian a suivi des études d’histoireen France et en Angleterre. Aprés avoir passé un DESS enAffaires internationales, elle est partie travailler 4 New Yorkpour History Channel. Elle prépare actuellement une thése, quiporte sur la question du pétrole et des politiques pétroliéres dansla seconde moitié du XX° siécle.

Geneviéve Faye, ingénieure au CNRS, est affectée 4 PIHMC(Institut d’histoire moderne et contemporaine). Chargée de la réédi-tion 2000 du Répertoire des historiens pour la période moderne etcontemporaine (Paris, CNRS EDITIONS), elle est aussi spécialistehistoire culturelle au XIX° siécle. Ses recherches actuelles portentsur l’histoire des directeurs de théatres parisiens au XIX’ siécle. Elleest aussi membre du Groupe d’histoire des femmes de lTHMC, dontles recherches sont axées autour du theme “Femme et histoire”.

S i les femmes dans les sections d’histoire du CNRS sont diversementprésentes, elles s’avérent assez nombreuses dans certains domaines enraison de leur formation initiale. Emmanuelle Cospen-Gharibian et Genevieve Fayeexaminent avec minutie les statistiques indiquant la présence des femmes ausein des divers laboratoires de recherche en SHS. Soulevant les questionsessentielles de la représentation féminine au sein du Comité national de larecherche scientifique, elles mettent en évidence la disparité réelle entre lenombre des chercheuses et leur représentativité au sein de cette instance.Les témoignages recueillis et les biographies d’historiennes mettent en lumiére

les causes de cette récurrence féminine a rester majoritairement dans l’ombre.

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Les femmes dans histoire du CNRS

ans son discours du 7 mars 2001,

Roger-Gérard Schwartzenberg,

alors ministre de la Recherche,énoncait clairement sa volonté depasser d’une “science masculine” 4 une“science unisexe” : “[on] ne peut laisserpersister une répartition trés inégaledes sexes dans les disciplines scienti-fiques... Ensemble, faisons que lascience fasse toute leur place auxfemmes, pour qu’elles contribuent a4dessiner le devenir du XXI° siécle.”Ce discours montre a l’évidence que sile gouvernement s’exprimait ainsi,c’était en réponse a un constat patent :la recherche scientifique reste undomaine 4 dominante masculine, danslequel les femmes n’ont pas encoretrouvé la place qui leur revient. Onpense immédiatement aux sciences“dures”, mathématiques, sciences phy-siques... Mais qu’en est-il des scienceshumaines et, en particulier, de ’his-toire ?

Les sciences humaines, traditionnel-lement, attirent plus les jeunes filles. Ainsique le notait Alain Chenu pour la socio-logie, les filles sont “plus libres que lesgarcons, semble-t-il, de faire passer legout intrinséque pour le contenu d’une for-mation avant la maximisation de l’espé-rance de gain sur le marché du travail”’.Autrement dit, les femmes orienteraientplus librement leurs études en fonctiondun choix purement intellectuel, plutétqu’en vue d’une carriére plus rémunéra-trice. Cette tendance se confirmerait-t-elleau CNRS ? Dans son ensemble, le secteurdes sciences de homme et de la société duCNRS a une forte proportion de femmes.

Des statistiques de 1974 avangaient lechiffre de 35% de chercheuses, dans ledomaine des sciences de l'homme et de lasociété’, et de 37,6 % en 2001°. Dans larecherche historique, précisément, lesfemmes représentent 43 % des chercheursen 2000*.

Avant toute chose, il importe de définirla population visée : les historiennes duCNRS. A premiére vue, la définition sem-ble évidente. I] s’agit des chercheuses(chargées ou directrices de recherche)répertoriées dans les sections 32 et 33 duComité national de la recherche scienti-fique, 4 savoir “Mondes anciens et médié-vaux” et “Formation du monde moderne”,qui regroupent la majorité des historiens.Bien évidemment, ces classements quelquepeu rigides biaisent les statistiques enéloignant, par exemple, certaines histo-riennes de l’économie, de la littérature oudu droit, rattachées 4 d’autres sections duComité national. De plus, l’imbricationtrés forte entre l'Université et le CNRS,particuliérement marquée en histoire,rend délicat le repérage des historiennes“purement” CNRS. Les jeunes chercheu-ses, en particulier, sont trés souvent endétachement pour quelques années, letemps de terminer leur thése, avant deretrouver un poste dans l’enseignement’.

Par ailleurs, les laboratoires d’histoirecomptent, dans leur personnel, bon nom-bre d'ingénieurs parmi lesquels les fem-mes sont largement majoritaires. Doit-onles considérer comme des auxiliaires de larecherche ou comme des historiennes 4part entiére ? La question ne se pose paspour les sciences “dures” dans lesquellesles ingénieurs ont une formation et des

1. Alain Chenu, “Une institution sans intention : la sociologie en France depuis |’aprés-guerre”, in Actes de la Recherche en sciences

sociales, 2002, pp.46-49.

2. Jean-Louis Lavallard, Dossier spécial sur le Centre national de la recherche scientifique, Le Monde daté du 25 septembre 19743. “La place des femmes dans la recherche publique francaise”, L’Express daté du 4 janvier 2001.

4. Statistiques tirées du Bilan social du CNRS.

5. Si l'on se référe a la base de données du Répertoire des historiens pour la période moderne et contemporaine, les jeuneshistoriennes (moins de 35 ans) sont quasiment toutes ATER ou AMN, détachées au CNRS pour une durée déterminée.

Les historiennes au CNRS

activités radicalement différentes de cellesdes chercheurs. En histoire, par contre, lafrontiére est plus ténue et les critéres dedifférenciation montrent tous leurs limi-tes si ’on tient compte du niveau d’étuderequis et des publications. Les indicateursqui déterminent celles que l’on peut quali-fier sans ambiguité d’historiennes sont,plus que les statuts par trop réducteurs,les pratiques du métier : collecte etdépouillement de sources, publicationsscientifiques. Les ingénieures qui ont cetype d’activités doivent donc étre inclusesdans la catégorie des historiennes. Notonscependant que le CNRS a longtempsrefusé les publications scientifiques desingénieurs a titre individuel,’ mais lasituation a changé depuis quelquesannées. Les historiennes du CNRS consti-tuent donc un groupe hétérogéne et diffi-cile a cerner car de statuts variés. Pourque notre approche gagne en validité, ilfaudrait y inclure non seulement les cher-

cheuses, mais aussi les ingénieures, lesuniversitaires en détachement, certainesconservatrices de musées ou de biblio-théques, rattachées administrativementau CNRS, et qui, pour un temps plus oumoins long, travaillent dans une unité derecherche en histoire. Une étude exhaus-tive serait donc complexe et nous nouscontenterons ici de dégager, 4 partir desstatistiques disponibles, quelques carac-téristiques professionnelles de Vhisto-rienne du CNRS : la place des femmesdans les laboratoires d’histoire, les signesextérieurs de reconnaissance des histo-riennes par leurs pairs et, enfin, les choixhistoriographiques féminins.

La place des femmes

dans les unités de recherche

La section 32 du Comité national,“Mondes anciens et médiévaux”, est net-tement plus féminisée que la section 33,“Formation du monde moderne”, comme

Graphe 1 : répartition par sexe des sections 32 et 33 du Comité national(Source : Bilan social du CNRS)

180160140120100806040200

1991Ml Section 32 du CN HommesMB Section 33 du CN Hommes

1995

2000M9) Section 32 du CN FemmesMS Section 33 du CN Femmes

6. Louis Holtz, dans son article sur “Les premiéres années de |’Institut de recherches et d’histoire des textes” rappelle a cepropos que “les instances supérieures du CNRS voyaient d’un mauvais ceil des livres ou articles signés par des ingénieurs, cardans les laboratoires scientifiques seuls les chercheurs avaient le droit de signer le résultat des expériences qu’ils dirigeaient”.cf. La Revue pour I’histoire du CNRS, n°2, CNRS EDITIONS, Paris, mai 2000, p.22.

102

Les femmes dans histoire du CNRS

on peut le voir sur le graphe 1 : cette cons-tatation confirme celle d’Olivier Dumoulinqui, en étudiant les sujets des théses sou-tenues par les historiennes, notait que laproportion de femmes diminue si l’on s‘é-loigne chronologiquement de lhistoireancienne. En histoire grecque et romaine,les historiennes sont presque aussi nom-breuses que les hommes ; leur proportionbaisse chez les médiévistes, et cette ten-dance s’accentue en histoire modernepour se confirmer en histoire contempo-raine. Traditionnellement — par héritageculturel ou plus simplement par godt clai-rement revendiqué — , les jeunes filles setournent plus volontiers vers les études“classiques” et continuent, semble-t-il, 4étudier au lycée le latin et le grec, ce quiles améne, lorsqu’elles choisissent des étu-des d’histoire, 4 se spécialiser dans lesdomaines oti ces savoirs se révélent fortutiles : Thistoire ancienne et médiévale.Rappelons également la trés forte tradi-tion féminine de l’Ecole nationale desChartes, vers laquelle les jeunes filles sesont tournées trés tét. La figure embléma-tique de Jeanne Vielliard, chartiste, spécia-liste des manuscrits latins, qui dirigeal'Institut de recherche et d’histoire des tex-tes (IRHT) entre 1940 et 1964, illustre aYévidence ce type de parcours’.

La répartition par grade des chercheursrévéle une réelle distorsion entre l’évolutionde carriére des hommes et des femmes (gra-phe 2). Plus les grades sont élevés, plus leshommes y sont largement majoritaires, cedéséquilibre étant particuliérement accen-tué dans la section 33 ot 62 % des historienssont directeurs de recherche, contre seule-ment 26% des historiennes. Ces chiffres

sont éloquents : dans cette section, unhomme a trois fois plus de chance d’accéderau grade de DR qu’une femme. Par contre,les femmes forment le gros du pelotondes chargés de recherche (CR1 et CR2),grades les moins élevés dans la hiérarchie deschercheurs. Comment expliquer ce phéno-méne ? Plusieurs raisons peuvent étre invo-quées : les femmes n’auraient pas la mémestratégie de carriére que les hommes, cemoindre investissement étant en partie di aleurs occupations extra-professionnelles.Maleré lévolution de la société, les femmesconnaissent souvent un ralentissement decarriére du fait des maternités, les occupa-tions familiales restant encore largement 4leur charge, ce qui retarde souvent leur sou-tenance de thése ou ralentit le rythme deleurs publications. Tous ces éléments sont

x

donc autant dentraves 4 une évolution

Graphe 2: répartitionpar grade et par sexe deschercheures des sections 32 et 33du Comité national en 2000

300250200150100

50

Femmes

Hommes

7. Voir a ce sujet le portrait de Jeanne Vielliard a la suite de cet article.

Les historiennes au CNRS

rapide de carriére. La plus grande disponi-bilité des hommes, leur implication plusforte dans le monde du travail leur per-met, au contraire, d’avoir une ascensionprofessionnelle plus rapide et d’atteindreles grades les plus élevés du cursus. Deplus, les instances d’évaluation des cher-cheurs sont nettement masculinisées etpeut-étre sont-elles, de ce fait, tentéesdaccorder plus volontiers des promotionsaux hommes qu’aux femmes. Les dossiersde carriére montrent en effet qu’a niveauégal, les femmes attendent plus long-temps une promotion que leurs colléguesmasculins.

La population des ingénieures dans les uni-tés de recherche en histoire est difficile 4cerner. Elles ne sont pas rattachées aux sec-tions du Comité national. On ne peut donc

Graphe 3 : répartition pargrade et par sexe des ingénieursCNRS en 2000 (BAP xX)

400350300250200150100

50

Ingénieursd'études

Ingénieursde recherche

pas les intégrer dans les mémes classe-ments chronologiques et thématiques queles chercheuses. Comment les répertorier ?Le CNRS a opté pour un descriptif globaldes Branches d’activités professionnelles(ou BAP) des ingénieurs qui détermine latypologie de leurs travaux. Ainsi, trés gros-siérement, il est possible de considérer queles historiennes sont rattachées 4 la BAP X(récemment rebaptisée BAP D) “Analyse desources anciennes”. Rappelons cependantque les bilans sociaux du CNRS qui ana-lysent ces données, ne font intervenir l'indi-cateur “femme” que depuis 1991, ce quirend les statistiques plus anciennes inuti-lisables pour notre propos.

Lobservation des statuts des ingénieursconfirme, 14 encore, que la répartition parsexe est défavorable aux femmes, alorsqurelles représentent l’écrasante majorité decette catégorie de personnel (graphe 3). Lesingénieures sont, comme leurs collégueschercheuses, sur-représentées dans les gra-des les moins élevés (IE2). Actuellement,prés de 70 % dentre elles sont ingénieuresd’études. Bien que le pourcentage des fem-mes ingénieures de recherche augmenteréguliérement depuis 10 ans, lobservationchiffrée de la population des historiennesconfirme qu’une division sexuelle du travailsubsiste néanmoins : les femmes sont majo-ritaires dans les postes d’auxiliaires de larecherche, plus spécialisées dans des tra-vaux Warchivistes® ou de documentalistes,tandis que la recherche a un niveau supé-rieur, autrement dit le “vrai” travail Qhisto-rien, reste largement dominé par les hom-mes. Lévolution des carriéres démontre, parailleurs, un certain enfermement des fem-mes dans leur statut premier : le passage du

8. Voir a ce sujet l’article d’Olivier Dumoulin “Archives au féminin, histoire au masculin : les historiennes professionnelles en France,1920-1965”, in L’histoire sans les femmes est-elle possible ? sous la dir. d’A.-M. Sohn et F. Thélamon, Paris, Perrin, 1998, pp. 343-356.

103

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Les femmes dans histoire du CNRS

statut dingénieur a celui de chercheur, plusprestigieux, et qui offre de meilleures pers-pectives de carriére existe, mais reste excep-tionnel.

Par discrétion ou par manque d’ambition,les historiennes ne jouent apparemmentpas le jeu du carriérisme. C’est un deséléments qui expliquerait leur trés faiblereprésentation dans les instances dedécision de la recherche (Comité national,direction de laboratoires. ..).

La reconnaissance deshistoriennes par leurs pairs

Les historiennes au Comité nationalLe Comité national de la recherchescientifique, dont les membres sont soitnommés, soit élus par leurs pairs, a descompétences essentiellement scienti-fiques (évaluation des travaux des cher-cheurs et des équipes de recherche,orientations des recherches), maisaussi financiéres (répartition des créditsaccordés). Les membres des commis-sions exercent donc un pouvoir impor-tant, qui joue en méme temps sur les

carriéres des chercheurs, leurs promo-tions, mais aussi sur la poursuite de leurstravaux, en leur accordant ou non lesmoyens de poursuivre leurs recherches.

La présence des historiennes au Comiténational a été, dans les premiéres annéesdu CNRS, fort discréte. ChristianeDesroches-Noblecourt a longtemps été laseule femme membre de cette instance,alors que les femmes représentaientdéja, dans les premiéres années qui ontsuivi la création du CNRS, prés de 30 %des chercheurs.

En 1960, les trois femmes qui siégentdans les sections 26 “Antiquités natio-nales et histoire médiévale” et 27“Histoire moderne et contemporaine”sont Mesdemoiselles Pernoux (archiviste)et Vielliard (directrice de l'Institut derecherche et dhistoire des textes), etMadame Portemer (conservatrice 4 laBibliothéque nationale). I] s’agit 1a, et ilne semble pas que ce soit le fait duhasard, de trois historiennes dont les tra-vaux sont fortement orientés vers les tra-vaux d’archives ou de conservation desdocuments. En 1967, aucune femme n’est

La présence des historiennes au Comité national?

A Coyniloyay

de membres

1950 351960 401967 441971 521983 7151992 421995 402000 40

Correa) %de femmes de femmes1 3

3 8

3 7

10 20

20 27

15 36

14 35

7 18

9. Tableau réalisé a partir des documents des archives du Comité national.

Les historiennes au CNRS

représentée dans la catégorie A (qui necompte que des professeurs d’universitéet des directeurs d’études 4 ?EPHE). En1992, la présidente de la section 32 duComité national est une femme : MireilleCorbier” (antiquisante, spécialiste d’épi-graphie romaine). On retrouve donc 1aune des constantes de notre observation :cest bien en histoire ancienne que lesfemmes sont le mieux représentées, a lafois quantitativement et qualitative-ment.

A partir des années 1970, la représen-tation féminine s’accroit significativementdans les sections dhistoire du Comiténational (avec environ 20 % de femmes),pour atteindre 36 % en 1992. Cependant,le Comité qui siége actuellement necompte plus que 18% de femmes, pour-centage qui sexplique en partie par ladémission de deux historiennes, ce qui faitbaisser le taux de la représentation fémi-nine ; et pour la premiére fois, cest dans lasection 33 “Formation du monde moderne”que l’on trouve le plus de femmes, ces der-niéres n’étant plus que 3 dans la section 32“Mondes anciens et médiévaux”. Dans cesconditions, l'instauration de la parité dansdes instances d’évaluation profession-nelle ne serait-elle pas souhaitable ? I]semble, paradoxalement, que cette propo-sition ne suscite pas lapprobation géné-rale des historiennes. Les femmes esti-ment souvent qu'une telle politique lesmettrait dans une situation d’assistées etles assimilerait aux minorités qui y ontrecours pour faire reconnaitre leurs droits.On le voit, la parité est un principe difficilea faire admettre : l’exemple du monde poli-tique est, a cet égard, trés illustratif et

pourtant, le processus, une fois amorcé,portera sans doute ses fruits.

Les historiennes directrices

de laboratoire

Si la représentation féminine des histo-riennes a relativement progressé auComité national, leur présence dansles instances dirigeantes des unitésde recherche reste marginale. Actuel-lement”, sur les 80 laboratoires de la sec-tion 32, on ne compte que 14 femmesdirectrices ; dans la section 33, 5 unités derecherche seulement sur 72 sont dirigéespar une femme”. On peut expliquer celapar la réticence de certaines femmes &exercer une quelconque autorité, refus quis’explique en partie par l’esprit individua-liste trés répandu dans le métier. De plus,certaines historiennes estiment encorepréférable de travailler sous l’autoritéd'un homme, signe que les mentalités, ycompris chez les femmes, ne suivent pasforcément l’évolution de la société. La fai-ble représentation des femmes dans lesgrades les plus élevés de la profession s’ac-compagne donc d’une sous-représentationdans les instances de direction des unitésde recherche. Avec une proportion d’hom-mes et de femmes presque équivalente(surtout si l’on inclut les ingénieures), laparité dans les postes de direction et depouvoir est, la encore, loin d’étre atteinte.

Les historiennes médaillées

Les médailles dor, d’argent et de bronzeattribuées par le CNRS récompensent untravail scientifique d’exception. A ce jour,seule une historienne a recu la Médailled’Or, qui est la plus haute distinctionhonorifique accordée au CNRS : l’égypto-

10. On se reportera aux propos recueillis par E. Cospen-Gharibian a la suite de cet article.

11. Source Labintel 2002

12. La moitié d’entre elles sont professeures d’Université, l’une est conservatrice de musée.

105

106

Les femmes dans histoire du CNRS

logue Christiane Desroches-Noblecourt,en 1975. Notons a ce sujet, que cetteannée-la, fait sans précédent, uneseconde Médaille d’Or est venue récom-penser les travaux du_ physicienRaymond Castaing, le CNRS n/accor-dant, somme toute, qu’une demi-distinc-tion a la premiére femme qui accéde aun tel niveau. Par la suite, d’autresMédailles d’Or ont ainsi été doublées,mais il s’agissait la d’une “premiére” assezsignificative. Sans vouloir attacher plusd’importance a cesrécompenses qu’ellesn’en ont, il s'agit toutde méme d’un indicede reconnaissancede la communautéscientifique qu’on nesaurait totalementnégliger. Entre 1955et 1996, 23 histo-riennes ont recu laMédaille d’Argent

on le rapproche du nombre total deMédailles d’Argent accordées pendant laméme période (plus de 500). La majoritédentre elles sont, soit orientalistes, soitspécialistes histoire ancienne, secteursdans lesquelles les femmes sont nom-breuses.

Les choix historiographiquesféminins

Les historiennes s’investissent-ellesdans les mémes recherches que leurs

confréres ? Existe-il des champs derecherche spécifiques aux femmes ou,

» Légyptologue Christiane Desroches-Noblecourt partage en 1975 lachiffre médiocre si Médaille d’Or avec Raymond Castaing. © CNRS Studio OROP

au contraire, des sujets délaissés parelles ? Une étude des themes derecherches des historiennes, fondéesur les données des trois éditions suc-cessives du Répertoire des historienspour la période moderne et contempo-raine®, montre que leurs tendanceshistoriographiques les orientent majo-ritairement vers l’histoire sociale etVhistoire de la civilisation, laissant 4leurs collégues masculins l’histoirepolitique et économique.

La défiance des fem-mes a légard de lavie politique, qui resteanimée et dirigée parles hommes, est évi-dente : rares sont leshistoriennes qui s’a-venturent dans cettethématique. On cons-tate une désaffectionégale pour histoiremilitaire (armée, marine)et pour histoire économique, autre “bas-tion” de la recherche masculine. Lhistoirefinanciére et Vhistoire de la vie des entre-prises demeurent encore, elles aussi, uneaffaire d’hommes. Les choix thématiquesdes historiennes seraient-ils liés 4 leurdegré d’implication dans la réalitésociale ? I] semble que ce ne soit vraiqu’en partie : de jeunes chercheuses s’a-venturent de plus en plus vers des domai-nes novateurs, comme celui de lhistoiredes techniques et de l'innovation, peut-étre parce que la concurrence y est moinsrude et leur ouvre des perspectives dereconnaissance scientifique plus rapides.

13. Répertoire des historiens francais pour la période moderne et contemporaine, CNRS EDITIONS, Paris,1982, 1991 et 2000.

Les historiennes au CNRS

Plus classiquement, les chercheusessorientent vers une histoire danslaquelle elles se reconnaissent 4 dou-ble titre, a la fois sur le plan profes-sionnel et personnel : Vhistoire desfemmes et du genre, bien str, pour-tant moins développée en Francequ’outre-Atlantique™, ainsi que lhis-toire de la famille, du quotidien, deVintime, sujets bien souvent dévalo-risés par la communauté scientifique.Enfin, comme si elles restaient pri-sonniéres des stéréotypes de l’éduca-tion traditionnelle qui inclut l’appren-tissage des arts pour les jeunes filles(musique, danse), les historiennes setournent massivement vers V/histoirede la peinture, de la musique, de I’ar-chitecture, du théatre et de la danse.Rappelons qu’une épreuve dhistoirede lart figurait au programme dePagrégation féminine ; les étudiantesbénéficiaient donc d’une formationspécifique qui a sans doute influencéleurs orientations historiographiques.Les recherches des historiennes reflé-tent, dans une certaine mesure, laplace de la femme dans la société.Pourtant, ces choix perdurent, alorsméme que le statut de la femme évo-lue, ce qui indiquerait que l’image col-lective que les femmes ont d’elles-mémes reste trés imprégnée des réfé-rences traditionnelles. Le poids deléducation et du passé influenceraitdonc les choix intellectuels des histo-riennes d’aujourd’hui.

Si, par rapport a l’Université, leCNRS a fait figure de pionnier enmatiére d’emploi féminin, et si, en

particulier, le département des scien-ces de ’homme et de la société estcelui dans lequel on compte actuelle-ment le plus de femmes, la place deshistoriennes dans la recherche resteambigué. En valeur absolue, la paritéhommes-femmes est globalementatteinte. Mais que signifie une paritépurement quantitative ? Les femmessont nombreuses mais peu présentesdans les instances d’évaluation et dedécision et continuent 4 former le grosdes troupes en qualité d’exécutantes.Souvent cantonnées, malgré elles,dans des travaux d’archives ou dedocumentation dans lesquels leursqualités de patience et de minutie —qualités réputées spécifiquement“féminines” — se révélent précieuses,elles n’atteignent qu’exceptionnelle-ment les sommets de la carriére et dela notoriété. Il semble par ailleursque, par manque de disponibilité, liéprécisément a la condition féminine,les femmes soient souvent réticentesa exercer des fonctions de direction oude représentation. Les travaux derecherche demandent un investisse-ment personnel dans le long terme quine laisse que peu de loisirs pour d’au-tres engagements. Les propos des his-toriennes qui occupent des postes dedirection sont explicites : selon elles,le “vivier” de femmes brillantes quidevraient avoir a coeur de s’impliquerdans lanimation et la direction desunités de recherche, est largementpourvu. Mais pour que la situation évo-lue, il faudrait que les attitudes chan-gent, que les historiennes s'impliquentplus avant dans la vie de institution

14. Rebecca Rogers, “Enseignement de I’histoire des femmes et rapports sociaux de sexe, France-Etats-Unis”, in Lhistoire sans lesfemmes est-elle possible ? sous la dir. d’A.-M. Sohn et F. Thélamon, Paris, Perrin, 1998, pp. 325-333.

107

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Les femmes dans histoire du CNRS

et que le CNRS leur offre, a égalitéavec leurs confréres, des postes deresponsabilité.

Quelques portraits d’historiennes”

Jeanne Vielliard” a fait figure depionniére tout au long de sa vie etde sa longue carriére au CNRS.Cependant, malgré limportance deson oeuvre, son nom, ses travaux et sesréalisations sont peu ou mal connus.

Jeanne Vielliard recoit la Légion d’honneur des mains de M. Georges Jamati,administrateur qui suivait les destinées de |’IRHT auprés de la Direction duCNRS. © IRHT

Elle est née a Paris le 26 mai 1894.Aprés trois années passées a |’Ecolenormale catholique, elle est recue aEcole nationale des Chartes en 1920.Dés lors, elle se distingue : “major” dela promotion 1924 aprés avoir soutenuune thése sur “Le latin des diplémesroyaux et chartes privées de l’époquemérovingienne”, elle est la premiérefemme a intégrer l’Ecole francaisede Rome. Elle est également, en 1927,lune des rares femmes admises a’Ecole des hautes études hispaniques(Casa de Velazquez). Aprés sept anspassés aux Archives nationales, cette

ancienne Farnésienne” obtient, le1* juillet 1937, le poste de secrétairegénérale d’un tout nouvel Institut créépar Félix Grat sous les auspices dela Caisse nationale de la recherchescientifique : l'Institut de recherche et@histoire des textes (IRHT).

Des Vorigine, Félix Grat, archivistepaléographe, associe 4 son projetJeanne Vielliard, ancienne condisciplede l’Ecole nationale des Chartes et del’Ecole francaise de Rome, qui partageavec lui le méme objectif : “EtudierVhistoire de la transmission écrite dela pensée humaine’. Trois idéesessentielles, définies par Félix Grat,établissent les missions de l'Institutde recherche et d’histoire des textes :“Faire un relevé exhaustif des manus-crits, les photographier, mettre l’en-semble de ce matériel a la dispositionde tous les chercheurs””.

Outre ses voyages et recherches sur lestextes anciens”, Jeanne Vielliard, prendtotalement la charge de lorganisation desservices de ce tout jeune Institut. Elle pré-cisera : “La tache est immense mais réali-sable ; il importe de l’entreprendre et dela mener avec méthode”. Des principesde travail sont mis au point : rechercherdans les bibliothéques d’Europe lesmanuscrits anciens et en établir unrecensement systématique. Les premié-res collaboratrices rejoignent bientétl'Institut : ainsi Marie-Thérése Boucrel,future épouse du Professeur André Vernet,sa sceur Marie-Magdeleine Boucrel, puisElisabeth Pellegrin, dépouillent pays parpays les catalogues parus.

15. Nous aurions aimé interroger de jeunes chercheuses nouvellement recrutées par le CNRS. Force nous a été de constater que, ennous référant a la base de données informatisée du Répertoire des historiens pour la période moderne et contemporaine, les jeunesfemmes concernées étaient toutes soit AMN, soit ATER, détachées pour une durée déterminée au CNRS pour y achever leur these, et

ne faisaient donc pas réellement partie de institution.

16. Tous nos remerciements a Louis Cosnier, responsable des archives du CNRS, et Louis Holtz, directeur de recherche honoraire auCNRS, directeur de l’IRHT de 1986 a 1997, pour leur aide et leur gentillesse.

17. Le palais Farnése de Rome est aujourd’hui le siége de l'ambassade de France et de I’Ecole francaise de Rome.

18. Rapport sur l’activité scientifique, mars 1938, dossier de carriére de Jeanne Vielliard, 1937-1974, G910024DPC.

19. L. Holtz, “Les premiéres années de |’Institut de recherche et d’histoire des textes”, ‘La Revue pour histoire du CNRS, n° 2, CNRS

EDITIONS, Paris, mai 2000, p. 10.

Les historiennes au CNRS

Félix Grat meurt prématurément le13 mai 1940. La direction de l'Institutincombe alors a Jeanne Vielliard, sa plusproche collaboratrice. Elle devient ainsi“la premiére femme a diriger un labora-toire au CNRS””. Néanmoins, elle seheurte 4 de multiples difficultés dansla gestion de sa carriére au CNRS. Au1* juillet 1937, elle obtient le grade demaitre de recherche et occupe officiel-lement les fonctions de secrétaire géné-rale de PIRHT: Le 8 mai 1946, elle estnommée directrice de recherche etcependant, pour des raisons obscures”,seul le traitement et non le titre de direc-teur de recherche lui est alors accordé.Une lettre du 23 janvier 1947, adresséeau directeur adjoint du CNRS, donnetoute la mesure de sa déception : “Commedirecteur de recherche, jaurais enfin lesentiment que le Centre reconnait lesefforts constants par lesquels je me suisdépensée sans compter a son servicependant 10 années”. Entre-temps, lasituation empire et, en décembre 1946,son grade de maitre de recherche 1°classe lui est retiré ; il ne lui sera accordéa nouveau qu’en 1948. Dés lors, chaqueannée, sans relache, elle demande I’ap-plication de sa nomination de directeurde recherche, mais n’obtiendra le gradequ’en 1955, aprés huit années d’efforts etde bataille administrative.

Quant A son titre de directeur del'Institut, elle est également obligée dele réclamer. Elle précise a plusieursreprises la nature du travail qu'elleeffectue et qui justifie largement unetelle promotion : “Direction entiére de

20. Parmi les notes et mélanges, citons un de ses plus célébres ouvrages : Le Guide du pélerin de Saint-Jacques de Compostelle, texte latin

l'Institut de recherche et d’histoire destextes : chef des travaux de la sectionlatine, je contréle les autres sections, jerégle les acquisitions de la bibliothéqueet les prises de vue photographiques,jorganise les campagnes de missions,joriente les dépouillements bibliogra-phiques”™. Le titre de directeur lui seraattribué peu de temps aprés cetteultime sollicitation, en 1951. Un hommeaurait-il rencontré les mémes difficultés ?La question mérite d’étre posée.

Avant-gardiste, Jeanne Vielliard n’hé-site pas 4 féminiser des termes qui jus-qualors n’étaient utilisés qu’au mascu-lin. Elle se présente en effet, dés 1938,comme “archiviste détachée pour rem-plir les fonctions de secrétaire générale”et bon nombre des lettres qui luiétaient adressées commencent par“Mademoiselle Jeanne Vielliard, secré-taire générale de ’IRHT”. De méme,contrairement aux usages du temps,dés 1951, elle signe tous ses courriersadministratifs “Jeanne Vielliard, direc-trice de l'Institut de recherche et d’his-toire des textes».

Jusqu’a l’Age de sa retraite officielle, le1* octobre 1964, son activité débordantea porté ses fruits : plus de quatre-vingtspersonnes travaillent désormais ausein de l'Institut. De plus, alors que lesrecherches de PIRHT s’étaient, dans unpremier temps, limitées aux manus-crits des auteurs latins de l’Antiquitéclassique, les champs d’études ont étépeu a peu élargis aux auteurs latins duMoyen Age, aux textes en langue romane,

du XIl° siécle, édité et traduit en francais d’aprés les manuscrits de Compostelle et de Ripoll. Macon, 1938, 5° édition, 1978, In-8°, XIX-152 p.21. Rapport sur l’activité scientifique, mars 1938, dossier de carriére de Jeanne Vielliard, op. cit.

22. L. Holtz, “Les premiéres années de |’Institut ...”, op. cit., p.13.

23. “Ce sont des objections purement formelles qui empéchent ma nomination de directeur de recherche au Centre national de la recherchescientifique. (...)”, lettre du 23 janvier 1947, adressée au directeur adjoint du CNRS, dossier de carriére de Jeanne Vielliard, op. cit.24. Fiche signalétique, 1951, dossier de carriére de Jeanne Vielliard, op. cit.

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Les femmes dans histoire du CNRS

aux auteurs grecs classiques et byzan-tins, arabes et hébreux.

A partir de la fin des années 1950, JeanneVielliard confirme une nouvelle orienta-tion donnée 4 cet Institut qui, a lorigine,relevait essentiellement de la philologieen créant une section de codicologie : lemanuscrit lui-méme, cest-a-dire le sup-port matériel du texte, devenait objet d’é-tude. “Nous avons reconnu bien vite quetexte et manuscrit ne pouvaient pas étredissociés et que pour arriver a connaitrepleinement l’état du texte, il fallait connai-tre A fond le manuscrit””. Ainsi, pourchaque manuscrit, une description en pré-cise, par exemple, les dimensions, les grou-pements par cahier, tous les renseigne-ments sur la datation et la localisation, lesnotes personnelles des scribes ou des lec-teurs, les mentions relatives au prix dulivre ou du parchemin, au salaire desouvriers, aux enluminures ou aux reliu-res. Les techniques de description misesau point participeront 4 une meilleureconnaissance des fonds manuscrits et lenom de Jeanne Vielliard sera désormaisassocié aux prémices de lhistoire du livre.

“Les 27 années de sa vie que JeanneVielliard a données a cette maison, ne seconfondent-elles pas avec lhistoire, nesont-elles pas Vhistoire de institutionelle-eméme ?” sinterroge avec justesseJean Glénisson, son successeur a la direc-tion de PIRHT”. Elle accédera d’ailleurs,en reconnaissance des services quelle arendus a la science frangaise, au grade dechevalier de la Légion d’honneur au titrede la recherche scientifique. Toutefois, sondévouement a l’institution a quelque peu

entravé ses travaux de recherche person-nels ; le nombre relativement limité deses publications en témoigne. Pourtant,Jeanne Vielliard a su donner, par la qua-lité de son travail, un rayonnement inter-national 4 l'Institut de recherche et @his-toire des textes et susciter un profondrespect a tous ceux qui ont partagé sa vieprofessionnelle. Son parcours hors ducommun mériterait a lavenir de plusamples recherches pour faire sortir deYombre cette personnalité généreuse.

Entretien avec :

Madeleine FoisilAprés une expé-rience de douzeans dans l’ensei-gnement secondaire,Madeleine Foisil

entre au CNRS en1960. Elle parti-cipe, pendant plusde 30 ans, a la viede la recherche ausein du ire des civilisations d'Europemoderne, aujourd’hui Centre RolandMousnier, du nom de son fondateur.

Douée dun solide esprit d’induction, elle seconsacre tout particuliérement a létudedes textes. Durant toute sa carriére, jusqu’ason départ en retraite en 1995, elle met sesqualités d’historienne au service des pluséminents chercheurs en histoire modernetels que Roland Mousnier, son directeur dethése, Victor-Lucien Tapié et PierreChaunu. Depuis 1995, son travail derecherche et de publication n’a pas cessé”.

25. J. Vielliard, “L’IRHT et la codicologie” dans Archives, bibliothéques et musées de Belgique, t.XXX, n°2, 1959, Bruxelles, pp. 211-216.A la demande du savant belge F. Masai, ami de longue date, Jeanne Vielliard accepte de collaborer a la revue Scriptorium, publication

essentielle dans le domaine de la codicologie.26. J. Glénisson, “Jeanne Vielliard (1894-1979)”,

dans BEC, 1982, pp. 363-372.

Les historiennes au CNRS

Le cours de DEA, dont elle a la charge apartir de 1980 a luniversité Paris IV, apour objet la critique de la publicationde textes : elle s‘attache en particulier adémontrer “la nécessité de restituer letemps, de le repenser et ainsi, d’appro-cher les choses de maniére véritable”.

Vous avez été ingénieurede recherche toute votrecarriére. Pourquoi ?

Jai intégré le CNRS dans les années1960 comme ingénieure de recherche etje le suis restée. C’est un choix. Etre ingé-nieure de recherche supposait une colla-boration stimulante avec le professeur,les étudiants ainsi que les collégues dulaboratoire. I] existe, en effet, une dyna-mique insufflée par de grands patrons etpar le laboratoire, fondée d’une part, surle choix de grands thémes de recherche,et d’autre part, sur le séminaire derecherche. C’est un apprentissage per-manent du travail. J’ai eu, par exemple,la charge immédiate des étudiants dePierre Chaunu pour assurer la réalisa-tion des travaux qui avaient été décidés.

Par ailleurs, la publication de ma théseainsi que d’autres ouvrages”, m’a ap-porté l’indispensable reconnaissance demon travail personnel. Le maitre donnedes initiatives, cest A vous ensuite dedécider de la meilleure maniére d’effec-tuer votre travail. J’avais, par exemple,vu a4 la section des manuscrits de laBibliothéque nationale les six volumesdu Journal d’Heroard. Pierre Chaunum’a immédiatement engagée a en publierintégralement une édition critique”.

Pourriez-vous décrire le tra-vail que vous avez eu aeffectuer sur ces volumes ?

Cette publication considérable a étéun travail d’équipe. Les démarcheseffectuées ont été les suivantes : l’éta-blissement du texte, les annotations, lamise en tableau de données répétitiveset quantitatives, les études internespar théme, avec des mémoires demaitrise d’étudiants et, finalement,lintroduction critique dont je me suisentiérement chargée.

Par ailleurs, Fayard, l’éditeur, avaitobtenu la participation de PierreChaunu et de moi-méme 4a |’émission“Apostrophes” de Bernard Pivot, en1989. C’était, en effet, trés importantde faire connaitre l’ouvrage. Ce futune expérience trés intéressante : ona pu s’y exprimer de maniére trésnaturelle et trés libre.

Quelle était la place deschercheuses a votre entréeau CNRS ?

Des femmes étaient évidemment pré-sentes dans le laboratoire. Cependant,les postes de responsabilité étaientplutét occupés par des hommes. Lemeilleur exemple est celui des assis-tants des professeurs qui accédaienteux-mémes au professorat : ce n’étaitque des hommes. Mais il faut bien tenircompte de l’époque : on est en 1960 et lasociété fonctionne alors comme cela. Unbon historien tente de se remettre dansVesprit du temps !

27. Derniére publication : P. Chaunu, M. Foisil, F. de Noirfontaine, Le basculement religieux de Paris, Fayard, Paris, 2000.28. M. Foisil, La révolte des Nu-pieds, PUF, Paris, 1970 et Le sire de Gouberville, Paris, Aubier-Montaigne 1981, Champs-Flammarion 1986,

réimpression 2001.

29. M. Foisil, Le Journal de Jean Heroard, médecin de Louis Xill, préface de P. Chaunu, 2 volumes, Paris, Fayard, 1989.

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Les femmes dans histoire du CNRS

Quel était donc “Vespritdu temps” ?

Il y avait des femmes chercheures,mais pas de femmes directrices. Je necrois pas qu'il faille y voir le résultatdun choix délibéré. Il faut soulignerque travailler avec des hommes decette qualité était formidable. RolandMousnier était un maitre exigeantaussi bien avec les femmes qu’avec leshommes. I] avait de grands sujets derecherche, reconnaissait le méritede ses collaborateurs et soutenaitleur carriére. De méme, Victor-LucienTapié savait stimuler la curiosité detous, en particulier sur lEuropecentrale. Néanmoins, je ne crois pasquils aient jamais envisagé de meproposer comme assistante du direc-teur. Larrivée de Pierre Chaunumarque le commencement d’une nou-velle période enthousiasmante. Sonéquipe est devenue plus féminine. [1]faisait preuve d’une liberté extraordi-naire par rapport 4 ses prédécesseursen sinspirant de lévolution de lasociété a partir des années 1970. Sonséminaire reste inoubliable pour laformation des esprits.

Vous-méme, préfériez-voustravailler avec un directeurhomme ?

Oui, trés sincérement. Je n’aid’ailleurs pas eu de position dans lecombat féministe, sans doute en rai-son de l’éducation que j’ai recue.Les femmes de ma génération commemoi-méme, acceptions la relation de

tutelle qui existait. Des femmes peu-vent, bien évidemment, étre despatrons remarquables, des avocatescélébres ou de grands chercheurs. Deplus, une société entiérement dirigéepar les hommes manquerait fonciére-ment d’équilibre.

Cependant, un probléme fondamentalse pose : la femme est avant toutmére. I] y a des moments dans la vieou le rdéle de mére dépasse le rolesocial. Prenons un exemple histo-rique : la guerre de 1914. Imaginonsqu'il y ait eu égalité entre les hommeset les femmes devant la mobilisationgénérale. C’est impensable. Les hom-mes dont le réle est de protéger, dedéfendre, sont partis et se sont sacri-fiés pour leur patrie. Les femmes sontrestées a l’arriére et ont joué un réleprimordial : élever les enfants, garderla ferme, l’entreprise. Elles paraissentprivilégiées, mais elles ont eu un réleindispensable et trés dur. Il fautentrer dans ces mentalités, dans cessensibilités, si ’on veut comprendrecorrectement Vhistoire. Aujourd’hui,notre société a évolué. De nombreuxpostes permettent aux femmes deconcilier leur vie de famille et leur vieprofessionnelle.

Avez-vous été témoin d’évolu-tions concernant la place desfemmes au CNRS pendantvotre carriére ? Sous quellesformes sont-elles apparues ?

D’abord, par les travaux qui y ont étéréalisés. I] est remarquable de constater

Les historiennes au CNRS

la place qu’a pu prendre, dans lessujets de recherche, la question desfemmes, de leur réle, de leur placedans histoire. Cette initiative a été ala fois masculine et féminine. Je cite,par exemple, Jean-Pierre Bardet etMichéle Perrot, mais aussi MonaOzouf et bien d’autres...

Les femmes au CNRS ont aussi peu apeu accédé a des postes de responsa-bilité. Certes, il y en avait quelques-unesa mon entrée au CNRS, mais j’ai cons-taté un changement a partir de 1970 :les femmes ont pu aspirer 4 plus dechoses qu’auparavant. Cependant, etceci est capital en histoire, restonsprudents et gardons-nous de tout juge-ment de valeur : ni mes collégues,ni moi-méme, 4 |’époque, ne nous plai-gnions de notre situation.

Selon vous, la_ situationdes historiennes différe-t-elle entre le CNRS etVUniversité ?

Non, il y avait trés peu de femmesprofesseurs en titre a l'Université. Leféminisme amusait certains. LeCNRS a peut-étre évolué un peu plusvite que l’Université : les grandeschaires d’histoire de la Sorbonne ontété, jusqu’a trés récemment, tenuesmajoritairement par des hommes.Aujourd@’hui, grace aussi 4 la multi-plication des postes et des universi-tés, la féminisation de l’enseignementsupérieur se fait, ce qui est uneévolution naturelle et heureuse.

Que pensez-vous de l’instau-ration du principe de paritéentre homme et femme ?

Je suis ouvertement contre le faitde créer un principe de parité. I] fautraisonner sur la valeur. Que lesmeilleurs gagnent en fonction de leurscompétences.

Entretien avec :Mireille Corbier

Ancienne éléve deU’Ecole normalesupérieure et ancienmembre de l’Ecolefrancaise de Rome,Mireille Corbier,59 ans, est actuel-lement directricede recherche ; elle

S\.by dirige depuis 1995rt le laboratoire‘TAnnée épigraphique” (USR 710 duCNRS). Elue a plusieurs reprises auComité national de la recherche scienti-fique, elle a assuré la présidence de lasection 32 — Mondes anciens et médié-vaux — entre 1991 et 1995. En 1995, elleest élue présidente du Conseil de dépar-tement SHS et, a ce titre, membre duConseil scientifique du CNRS en 1997 ;en 1999, elle est nommée membre duConseil supérieur de la recherche et dela technologie sur proposition duCNRS.

Ses recherches, regroupées sous linti-tulé “Anthropologie et économie dumonde romain”, s’orientent autour dequatre thémes principaux :

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Les femmes dans histoire du CNRS

- Etat, la monnaie, la fiscalité,l’économie romaine *,

- la famille et la parenté *",

- le statut de l’écrit dans la sociétéromaine *,

- Vhistoire de l’alimentation et lesrelations liées a la “nourriture”.

Les trois derniers axes de recherche sesituent sur les terrains classiques deconvergence entre histoire et anthropo-logie. Convaincue de la nécessité d’uneapproche comparatiste, cette historiennepratique une histoire largement ouverteaux questions et aux méthodes des autressciences humaines.

En quoi consiste le travail dedirectrice de laboratoire ?

Cest un trés gros travail dimpulsion,d’animation et de coordination de larecherche. Je suis directrice de ce labora-toire parce que je dirige, depuis février1992, DL’ Année épigraphique™, publicationannuelle, 4 la rédaction de laquelle sontassociés une trentaine de francais et unevingtaine d’étrangers. La préparation decet instrument de travail, considéré dansle monde entier comme un ouvrage deréférence par les spécialistes, est le pre-mier programme de mon équipe. Mais jecoordonne également l'un des program-mes de recherche de l’unité : pendant plu-sieurs années, j'ai eu la responsabilité duprogramme intitulé “Famille et parenté :amitié, patronage et _ sociabilités”.J'ai maintenant celle du programme“Mémoire et communication. Langages,scénographie et rituels du pouvoir”.

Considérez-vous qu’il y ait deschamps de recherche dans lesdisciplines historiques plusou moins difficiles d’accésaux femmes ?

Je pense que histoire fait partie desdisciplines ouvertes indifféremment auxfemmes comme aux hommes. II n’y a pasde théme spécifiquement féminin, mémesi les femmes ont joué un réle moteurdans le développement des recherchessur “histoire des femmes” et, pluslargement, sur le “genre”. S’il subsistedes formes dinégalité d’accés auxcarriéres de recherche entre garcons etfilles, elles sont plut6t 4 rechercher dansYorientation des filles vers les scienceshumaines et sociales : on ne les encou-rage pas suffisamment, dés la petiteenfance, a choisir les sciences exactes.Pour les sciences humaines et sociales,le probleme n’est pas celui de l’accés,mais celui du déroulement ultérieur deleur carriére.

Selon vous, les femmesintellectuelles, en Europeet en France, ont-elles difaire un choix entre leurcarriére et leur famille ?

En Allemagne, dans ma _ génération,mes collégues, professeurs d’université,étaient essentiellement des hommes. EnAngleterre, les femmes intellectuelles quiont fait carriére dans le monde scientifiqueétaient plus ou moins poussées au célibat.En revanche, en France, il paraissait touta fait normal de tenter de concilier activitéde recherche et vie de famille. Cependant,

30. Laerarium Saturni et l’aerarium militare. Administration et prosopographie sénatoriale, Rome, 1974 (Coll. EFR, n° 24) ;nombreux articles ; chapitres de la Cambridge Ancient History, vol. XIl.

31. Sous la dir. de Mireille Corbier, Adoption et Fosterage, Paris, De Boccard, 1999. Nombreux articles.

32. Mémoire et communication. Usages publics, usages privés de I’écriture exposée dans la Rome ancienne, Paris, CNRS EDITIONS,

Collection Communication, a paraitre.

33. Sous la dir. de Mireille Corbier, L’-Année épigraphique, 1991 a 1999, PUF.

Les historiennes au CNRS

dans un certain nombre de couples otmari et femme avaient débuté ensemble,beaucoup de femmes ont accepté de sacri-fier leur carriére ; elles ont consacré plusde temps a leur activité de mére de famille.Et, tandis que le mari devenait professeura l'Université, la femme restait maitre deconférences ou devenait professeur plustard que lui. Pour ma part, je crois avoirréussi a mener de front ma vie profession-nelle et familiale : lors de mes fréquentsdéplacements, ma fille m’accompagnaitpartout. Mais il est certain qu'il faut plusde volonté quand on est une femme.

Autre sujet quill ne faudrait pas occulter :récemment, un groupe de doctorants amis en lumiére, en publiant le texte d’unepétition, les différentes formes du harcé-lement sexuel. J’aurais volontiers signéce document car |Université francaisesefforce de cacher, en les niant ou en lesminimisant, des comportements qui, fortheureusement, ne sont pas majoritaires,mais dont certains collégues refusent dereconnaitre la réalité.

Pensez-vous que les femmeschercheuses ont une situa-tion moins favorable queleurs collégues masculins ?

La France est certainement un pays ot lesfemmes ont eu, et ont toujours, une placereconnue dans la vie universitaire au senslarge et dans la recherche en particulier.Elles ont accés depuis longtemps aux étu-des supérieures, aux Ecoles normalessupérieures, aux agrégations, en fait a toutun systéme d’enseignement qui, par lebiais, notamment, des concours nationaux

avec épreuves écrites anonymes, les met Aégalité avec les hommes.

La pierre d’achoppement réside danslexercice des responsabilités. Je n’aiconnu, en tant que femme, que des pro-blémes mineurs dans ma carriére de cher-cheuse, mais lorsqu’en 1991 j’ai été élueprésidente de ma section au Comité natio-nal, le seul autre candidat était unhomme, et la direction scientifique avaitclairement pris position en sa faveur.Quelques personnes se sont méme lan-cées dans une campagne téléphoniquecontre ma candidature, en recommandantde ne pas voter pour cette femme “ambi-tieuse et dangereuse” (sic). J’ai, malgrétout, été élue avec les 2/3 des voix desmembres de la Commission. II faut préci-ser queen 1991, nous étions seulement 9présidentes de section au Comité nationalsur un total de 42 sections. N’oublions pas,cependant, que la situation était encoreplus difficile pour les femmes de la géné-ration qui a précédé la mienne.

Et aujourd’hui, constatez-vous une évolution concer-nant l’accession des femmesaux instances de décision,orientation et d’évaluation ?

Je crains que la situation ne perdure :quand on entre dans une nouvelleinstance, on constate que plus elle sesitue 4 un niveau élevé, moins les fem-mes y sont nombreuses. Ainsi, alorsquil y avait autant de femmes qued’hommes qui menaient des travauxde recherche relevant de la section 32,lorsque le ministére a dt choisir, il y a

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Les femmes dans histoire du CNRS

deux ans, sept personnalités scien-tifiques pour siéger a la nouvelleCommission, sept hommes ont éténommeés ! La ségrégation existe donctoujours 4 ce niveau. Lidée qu'il est“naturel” que les hommes occupent lespostes de responsabilité persiste, aussibien chez les hommes que chez ungrand nombre de femmes d’ailleurs,qui préférent travailler sous l’autoritéd’un homme.

Je suis, cependant, contre les femmes“alibi” 4 qui l’on attribue un poste pourrespecter des quotas, alors qu'il y enatant qui ont toutes les compétencesrequises pour exercer des responsa-bilités de haut niveau. Je ne suis doncpas pour une parité systématiqueselon les sujets de recherche consi-dérés, la répartition par sexe peutjouer en faveur des hommes ou desfemmes. La seule revendication légi-time, 4 mon sens, est qu’a un niveaude compétence égal, le partage desresponsabilités soit rigoureusementégal.

Quelles_ seraient, selonvous, les solutions a adopterafin @instaurer de réelschangements ?

La solution serait, d’une part, que lesorganisations syndicales proposentplus de femmes sur les listes pré-sentées aux élections et, d’autre part,qu'il y ait une évolution des mentalitésdans les instances dirigeantes deVinstitution comme au ministére. Lesorganisations syndicales sont loin de

jouer leur réle en faveur de l’égalité :en 2001, la mienne m’a tout sim-plement éliminée — au profit dunhomme — de la liste des candidats auConseil scientifique du CNRS, en meproposant, comme lot de consolation,une place au Conseil d’administration,sur laquelle finalement un homme aété nommé... Il faut que le ministéreaille puiser, dans le vivier des femmes,des représentantes du monde scienti-fique pour qu’elles se retrouvent enfin,dans les instances supérieures, 4égalité avec leurs confréres.

Mais il faut aussi que les femmeselles-mémes se défendent contre tou-tes les pratiques discriminatoiresdont elles sont l’objet. C’est ce que j’aichoisi pour ma part de faire depuis uncertain temps, en protestant publi-quement chaque fois que mon exclu-sion s’expliquait 4 l’évidence par desconsidérations de “genre” et non decompétence. Ce 4 quoi les responsa-bles masculins auxquels je m’opposerépondent en me faisant une réputa-tion “d’agressivité” qui me fait sourireet me donne envie de les plaindre. IIest toujours plus facile de margina-liser son adversaire que de répondrea ses arguments : des scientifiquesdevraient savoir maitriser cette ten-dance, peu compatible avec les exi-gences de leur métier. En tant quefemmes, nous sommes placées a ceniveau dans une situation de combat,pour faire reconnaitre et respecter nosdroits a l’exercice égal des responsa-bilités. J’en assume sans hésiter lesconséquences.

Les historiennes au CNRS

Vous avez été présidentede la section 32 puis prési-dente du Conseil de dépar-tement SHS et membredu Conseil scientifique duCNRS. Comment avez-vousvécu ces expériences ?

J'ai, pendant dix ans, exercé ces respon-sabilités avec beaucoup de plaisir.Siéger dans ces diverses instances étaitabsolument passionnant parce qu’on yvoit la recherche en gestation. C’est,

de plus, une activité gratifiante : onparticipe au recrutement des jeuneschercheurs, on évalue les projets derecherche, les travaux en cours... Onprend ainsi pleinement part a la vie deVinstitution et 4 l’évolution de l’ensem-ble de la recherche. On est invité a sor-tir de sa propre sphére, méme si celle-ciest loin d’étre resserrée. J’ai eu trésjeune, et j'ai toujours, la chance detravailler dans un large réseau inter-national de collaborations et d’amitiés.

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Femmes universitairesen Allemagne’

par Ilse Costas et Londa Schiebinger

Ilse Costas est maitre-assistante en sociologie 4 l’université deGottingen ot elle co-dirige le programme de recherche sur lesGender Studies. Elle a publié diverses études en allemand sur laplace des femmes dans la recherche.

Londa Schiebinger est professeure en histoire des sciences aPennsylvania State University. Elle y co-dirige le programme derecherche sur la science, la médecine et la technologie. Elle anotamment publié : The Mind Has No Sex ? Women in the Originsof Modern Science (1989) ; Nature’s Body : Gender in the Making ofModern Science (1993) ; Has Feminism Changed Science ? (1999).

és le XVIII° siécle, une Allemande obtient son doctorat, maisles Allemandes ne sont admises dans |’Université qu’au tout débutdu XX° siécle. Aujourd’hui, les étudiantes sont presque aussi nombreusesque les étudiants. Pourtant, elles accédent plus difficilement aux emplois

de professeur. Leur situation s’est nettement améliorée en médecine,

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dans les sciences économiques et sociales, dans les disciplines juridiques.Tout compte fait, les Allemandes sont moins bien loties que les autresEuropéennes de !’Quest. Elles comptent sur Il’harmonisation des régles

communautaires pour améliorer leur condition.

1. En raison de la difficulté a établir des comparaisons, les statistiques portant sur la période allant de 1945 a 1988 concernentuniquement |’Allemagne de |’Ouest. La politique d’égalité entre les sexes pratiquée dans |’ancienne République démocratiqued’Allemagne accordait aux femmes un plus grand réle au sein des universités qu’en Allemagne de |’Ouest (Stein 1994). Aprésla réunification en 1989, les universités de |’Est furent réorganisées de facon a les aligner sur les pratiques suivies a |’Ouest etpeu des avancées réalisées par les femmes furent préservées.

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Les femmes dans histoire du CNRS

’*Allemagne fut l'un des rarespays A accorder un doctorat a

une femme au cours du XVIII°siécle. Dorothea von Schldézer, filledu célébre historien de Gottingen, recutun dipléme de doctorat pour son travailen minéralogie en 1787 (Schiebinger,1989). LiItalie et Allemagne étaientles seuls pays qui, au XVIII° siécle,décernaient des diplémes_ univer-sitaires aux femmes. A l’époque, lefait est remarquable puisque, ni enFrance, ni en Angleterre, les femmesnobtiennent cette distinction, ce quis’explique par le fait que les femmesnont pas accés a l'Université. Alorsqu’au milieu du XIX siécle, les collegeset les universités aux Etats-Unis lesacceptent, (exception faite des établis-sements a vocation élitiste commeHarvard ou Cambridge qui ne s’ou-vriront que trés tardivement), contrai-rement a la France et a la Grande-Bretagne les universités allemandesn’acceptent les femmes qu’entre 1900et 1908.

Actuellement, en Allemagne, oncompte 348 universités et établis-sements d’enseignement supérieur,financés et administrés par les Etatsfédéraux (les Landers), et 1,8 millionétudiants, dont 46,1 % sont des fem-mes (1° semestre 2000-2001, voirtableau 1). Le pourcentage des diplé-mes de premier niveau attribuésaux femmes est de 44,8 %, ce qui estlégérement inférieur 4 lAustralie, a?Amérique du Nord et a la plupartdes autres pays européens, ow lesfemmes qui obtiennent ces mémes

diplémes représentent un peu plusde 50 %?.

Tableau 1 : pourcentages desfemmes recevant un dipléme, 2000

Niveau du diplome % de femmes

Etudiantes 46,1Premier dipléme 44,8Doctorat 34,3Habilitation 18,4

source : SBD 2002a

Jusqu’a une période encore récente,pour devenir professeur en Allemagne,un étudiant devait faire une thése,puis obtenir son habilitation équi-valant A une seconde thése. Géné-ralement, l’étudiant détenteur d’undoctorat obtenait un poste d’assistantnon-titulaire (C1) et ce, pour six ans,période pendant laquelle il, ou elle,préparait l’habilitation.

Apres quoi, lassistant était alorsqualifié pour devenir enseignant a4Véchelon C2 ou C8 avec titularisation,grades lui assurant un salaire fixe.Le grade de professeur des universi-tés ou de directeur de départementcorrespond a l’échelon C4. En 2002,les femmes représentaient 18,4 %des personnes qualifiées et habilitéesa occuper un poste de titulaire. EnAllemagne, comme ailleurs, plus ons’éléve dans la hiérarchie, plus lavisibilité des femmes diminue (voirtableau 2).

2. Il faut préciser cependant que ce premier niveau de dipl6me décerné par les universités allemandes correspond plusprécisément au master’s degree anglo-américain qu’au bachelor’s degree.

Femmes universitaires en Allemagne

Tableau 2 : pourcentages desenseignantes en universitésselon le rang, 2000

10,5

Tous enseignants (C2-C4)

source : SBD 2002a

Alors que les femmes représentent 30,4 %des enseignants vacataires dans les éta-blissements universitaires en 2000-2001,elles ne constituent que 10,5 % des pro-fesseurs titulaires. Les femmes sont prati-quement “absentes” 4 l’échelon supérieur,ne représentant que 6,5 % au niveau C4.Comparé aux autres pays, l’Allemagne setrouve, avec les Pays-Bas, au bas de laliste pour l’attribution aux femmes de pos-tes de niveau élevé dans les universités.

La présence des femmes aux niveauxsupérieurs de la hiérarchie est encoreplus faible dans les quatre instituts derecherche financés par l’Etat, institutsd’ailleurs prestigieux, ot: les chercheursse spécialisent dans la recherchefondamentale et plus particuliérementdans les sciences naturelles et l’ingé-nierie (voir tableau 3).

Dans les quatre grands organismesde recherche, les hommes occupentune proportion étonnamment élevée,97,4 % du total des postes a l’échelon C4(Centre de Excellence, 2001). La pré-sence féminine a4 ces postes hautementattractifs est inférieure de 60 % 4 celleque l’on trouve dans les établissementsuniversitaires. Le nombre de femmesoccupant ces fonctions, comparé a desinstitutions identiques dans le reste deEurope, est également inférieur 4 50 %(Osborn et al., 2000, 16). Cette disparité,

Tableau 3 : présence des femmes dans les instituts de recherche

Organismede recherche

Inst. Wilhelm GottfriedLeibniz

Scientifiques occupant unposte de haut rang en 1999 | C4 en 1999

Total | Femmes | % Femmes

Hermann von Helmhotz-

Gemeinschaft deutscherForschungszentren

source : BLK 2000, tableau 8.1

121

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Les femmes dans histoire du CNRS

Vinégalité des chances devant le recru-tement, et les disparités politiques dansles territoires expliquent que les cher-cheuses allemandes peuvent se sentirlésées. Il apparait clairement aussique la présence des femmes varie demaniére importante selon les domainesscientifiques (1998-1999, voir tableau 4).

Si lon regarde la ségrégation, par disci-pline, qui s’est opérée au cours des 25 der-niéres années, on constate qu’en droit,médecine, économie et sciences sociales,la proportion des femmes a presque dou-blé entre 1975 et 1999. En mathéma-tiques et en sciences naturelles, elle estrestée constante (32,9 et 34,3 %), alorsméme qu’augmentait le nombre absoludes étudiantes dans ces domaines,comme dans d’autres d’ailleurs. Dansles sciences de l’ingénieur, le pourcentagedes femmes a presque doublé, mais restetoujours trés bas.

Dans les humanités (philologie, histoire, lit-térature et arts), les femmes atteignirent la

parité en 1975 et elles dominent a présent.Presque la moitié de tous les étudiantsdans les matiéres de culture généraleobtiennent un dipléme d’enseignant delycée’.

Si nous analysons ces chiffres de plusprés, nous observons quhommes etfemmes tendent 4 se regrouper sur dessujets spécifiques*. Les femmes repré-sentent 84,8 % des effectifs en philologiedes langues romanes, 76,7 % en philolo-gie de la langue anglaise et 77,1 % enphilologie de lallemand. Toutefois, ellesne représentent que 44,8% des étu-diants en histoire, domaine traditionnel-lement masculin concentré sur la guerre,la diplomatie, les grands hommes et lesgrandes actions. Lhistoire est une disci-pline, parmi les matiéres générales, ot: laprésence des femmes est moins impor-tante que dans certaines matiéres scienti-fiques (en biologie, par exemple).

Les femmes sont davantage présentesdans les sciences de la vie, représentant

Tableau 4: pourcentages d’étudiantes par domaine 1975-76 et 1998-99

Disciplines

Philosophie, Histoire, HumanitésDroit, Economie, Sc. socialesMathématiques, Sc. naturellesMédecine

Ingénierie

Autres

TOTALsource : SBD 2001

% d’étudiantes 1975-76

% d’étudiantes 1998-99

55,6 65,527,2 43,432,9 34,327,7 49,8

7 1947,3 57,233,7 44,5

3. Dans cette profession, nous observons un phénoméne bien connu : la baisse du prestige dans toute profession simultanémenta sa féminisation, phénoméne communément observe au cours des 25 derniéres années (Die Allensbacher Berufsprestige-Skala,

2001, 3).

4. Les chiffres qui suivent représentent les pourcentages de femmes parmi |’ensemble des dipl6més en 1999 (SBD 1999).

Femmes universitaires en Allemagne

56 % des effectifs en biologie, ainsi qu’enmathématiques, ow elles sont 42 % ; enrevanche, elles sont trés minoritairesdans les sciences physiques, comme enchimie (29,6 %), en physique et enastronomie (11 %). Dans les sciences deYingénierie, la présence des femmes serépartit comme suit : 10,8 % dans I’in-génierie mécanique (la plus importantedes sous-disciplines), 3,4 % en ingénie-rie électrique (qui comprend l’informa-tique), mais en revanche 49,7 %, soitpresque la moitié, en architecture.

On pourrait s’attendre 4 ce qu’unelarge proportion d’étudiantes dans unematiére entraine une proportion élevéed’enseignantes dans celle-ci. Le tableau5 montre qu'il n’en est rien. Bien queles pourcentages en humanités, philolo-gie, histoire, culture générale, fassentétat d’une majorité de 65,5 % d’étudian-tes, il apparait que seulement 10,4 %dentre elles deviennent professeuresdans ces matiéres.

Le fait qu'une femme obtienne un doctoratne veut pas dire quelle atteindra forcé-ment l’échelon C4. Le pourcentage élevéde femmes possédant un doctorat en

médecine (42,9 %) a donné seulement 3,8 %de femmes professeures de rang C4(Farber, 1995). Ce nombre extrémementmodeste d’enseignantes C4 en médecine(58 postes sur un total de 1 528) résultedune pratique d’exclusion propre au sys-téme. Cela s’avére vrai y compris en obsté-trique et en gynécologie ! C’est seulementen lan 2000 que, pour la toute premiérefois, une femme a été nommeée a un postede rang C4 en gynécologie a l’universitétechnique de Munich.

Comme ces tableaux l’indiquent, les fem-mes universitaires en Allemagne sont lesvictimes “d’inclusion par exclusion”, uneségrégation par rang et discipline (Costas,1997 et 2000). Il est surprenant de cons-tater que la ségrégation par discipline estun phénoméne qui a augmenté (plutétque diminué) depuis les années 1930.Avant 1930, les étudiantes se dirigeaientvers les sciences naturelles et les mathé-matiques, 4 des taux supérieurs 4 celuide leur présence globale au sein de lapopulation étudiante. A luniversité deGottingen, dans les années 1920 parexemple, les femmes constituaient de 12a 14 % des effectifs en mathématiques et

Tableau 5 : pourcentages de femmes, 1998-1999.

Philosophie, Histoire,et autres humanités

Disciplines

Etudiantes 65,5Dipl6me de Doctorat 41,7Habilitation 28,5Professeurs C4 10,4

Médecine Mathématiques Ingénierie

Sc. nat.49,8 34,3 1942,9 27,1 8,39,6 13,5 03,8 3,4 2,4

source : BLK 2000, tableaux 1.5, 1.6, 2.3, 3.3 ; SBD 2001 ; SBD 1998, 1999.

123

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Les femmes dans histoire du CNRS

en sciences, alors qu’elles représentaientseulement 8 4 10 % de la totalité des effec-tifs (Costas et al., 2000). Aujourd’hui, lesfemmes représentent 34,8 % des effectifs enmathématiques et en sciences naturellesdans les universités allemandes, mais46,1 % du total de la population étudiante’.

Les causes des inégalités

Comment expliquer le fait que la situa-tion des femmes en Allemagne soit pireque dans les autres pays occidentaux ?En réalité, les raisons sont structurelleset il faut remonter aux XVIII° et XIX°siécles pour les expliquer (Schiebinger,1989). Linterdiction, aprés la Révolutionde 1848, de toute activité politique pourles femmes eut pour effet de favoriser unmouvement féminin, encore timide, quirevendiquait l’accés aux universités,mais limité aux seules disciplines per-cues comme “féminines” (aide sociale,soins hospitaliers et éducation - Lange,1928). Le féminisme de la différencedans l’Allemagne de Guillaume II ensei-gnait que les hommes et les femmes pos-sédaient des capacités intellectuellesdifférentes qui prédisposaient chacundes sexes Aa vivre dans une sphéresociale distincte. La majorité des fémi-nistes de l’époque acceptaient l’idée queles femmes mariées devaient rester chezelles, et que les femmes fonctionnairesde YEtat devaient rester célibataires.La notion que les méres de familleappartenaient au monde régi par la for-mule Kinder, Kiiche, Kirche continuaita dominer la société allemande. Enréalité, ’ordre social régissait la vie deshommes et des femmes pendant tout le

XX° siécle dans l’Allemagne de l’Ouest.De fait, encore aujourd’hui, les femmesuniversitaires allemandes ont toujoursmoins d’enfants que leurs homologuesdes autres pays. La situation se trouveconfortée par un systéme public inadé-quat : le manque de créches et de gar-deries, des horaires irréguliers pour lesenfants scolarisés nécessitant souventla présence d’une aide a la maison.

Au XIX’ siécle, le systéme universitaireallemand faisait l’envie du mondeentier (Karpen, 1994, 290). Les jeunesAméricains désirant faire carriére dansles sciences naturelles venaient sou-vent faire leurs études en Allemagne.Pourtant, les femmes ne pouvaient pasentrer 4 l'Université car elles étaientexclues des établissements secondairespublics et, par conséquent, ne pou-vaient passer l’examen national delAbitur, qui donnait accés a l'éducationsupérieure et, par la suite, aux profes-sions de chercheuses ou de profes-seures. L-Allemagne n’avait pas de sys-témes paralléles d’éducation supé-rieure comparables aux établissementsd’élite privés acceptant les femmeset que l’on connaissait a la fin du siécleaux Etats-Unis (Smith, Wellesley,Spelman, par exemple) ou en Angleterre(Girton et Newnham), établissementsqui formérent de nombreuses femmesscientifiques (Rossiter, 1982).

Méme lorsque les universités alleman-des s’ouvrirent aux femmes au début duXX° siécle, de nombreux professeursrefusérent de les accepter dans leurscours. Ce n’est qu’aprés la révolution de1918 que les universités leur furent

5. Jusqu’aux années 1930, par exemple, la majorité des doctorats et des Habilitationen conférés aux femmes dans lesuniversités de Gédttingen et de Berlin |’étaient en mathématiques et sciences naturelles (Vogt, 1977).

Femmes universitaires en Allemagne

enfin ouvertes. Un petit nombre d’ensei-gnantes réussit a obtenir des postesdans les universités. En 1933, une seulefemme avait atteint l’échelon profession-nel C4. Elle avait été nommée dans ledépartement de pédagogie par le gou-vernement de gauche de l’Etat deThuringe et, comme beaucoup de fem-mes, de Juifs, de communistes et d’au-tres opposants, elle fut renvoyée une foisque les Nazis se furent emparés du pou-voir en 1933 (Wobbe, 1994). On noteraen passant, que les membres du partinational _ socialisteréduisirent les choixde carriéres pour lesfemmes aux secteursde Taide sociale, dessoins hospitaliers etde léducation - ceux-la Fymémes que le mou-vement des femmes, ases débuts, avait dé-finis comme “féminins”.La situation des fem-mes ne saméliora pasréellement aprés la'®

Les enseignants universitaires allemandsjouissent d’un statut social particuliére-ment privilégié. Les études supérieuressont considérées, en général, avec respectpar la société. Elles donnent lieu a uneconcurrence effrénée et leur accés estdonc scrupuleusement limité & quelquesgroupes de Télite sociale (Ringer, 1969).Ceci, de méme que des salaires fixes, quisont relativement élevés, continue de ren-dre Venseignement supérieur attractifpour les hommes. La forte professionna-lisation, qui s'est effectuée relativementt6t, a permis a cetétat de fait de perdu-rer dans la formationdes enseignants. Celase confirme dans lesmodalités de recrute-ment de la professionmais aussi du travailen général et des ser-vices annexes. Les as-sociations profession-nelles établirent despratiques d’exclusionvis-a-vis des femmesdésireuses d’entre dans

Seconde Guerre mondiale. Il y eutméme de nouvelles tentatives pourles exclure des universités. Pendantles années 1950, plus d’un tiers desenseignants universitaires continué-rent de croire que les femmes étaientintellectuellement incapables d’étu-dier les matiéres scientifiques (Anger,1960). Le pourcentage des ensei-gnantes universitaires en Allemagnede l’Ouest était le plus bas au monde,3,29 %, avec seulement trois femmesde rang C4 (Lorenz, 1953).

la carriére académique, comme dans touteautre profession (Costas, 2000 ; Reskinand Roos, 1990).

En réaction aux mouvements étudiantsdes années 1970, le systéme universitaireallemand se développa de facon trésimportante ; de nouvelles universitésfurent ouvertes et des postes furent créés.Le nombre des étudiantes n’a cesséd’augmenter depuis cette époque, et unedeuxiéme vague de féminisme, cette foisplus marquée, a mis l’accent sur les

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Les femmes dans histoire du CNRS

questions de légalité des droits et surYaccés aux professions. Durant cettepériode de contestation et du fait que lesfemmes étaient nouvelles dans le sys-téme, parce que seul un petit nombredentre elles était habilité, on continua anommer des hommes aux postes de pro-fesseurs des universités. Etant donné letaux de renouvellement trés lent despostes universitaires en Allemagne, ungrand nombre de professeurs, nomméspendant les années 1970, sont encore enposte aujourd’hui. Cependant, ces cohor-tes prendront bientét leur retraite, libé-rant environ 50 % des postes dans lesuniversités allemandes, postes qu’il fau-dra pourvoir au cours des dix années avenir. Laugmentation du nombre despostes vacants (A condition que ces der-niers ne soient pas éliminés par desrestrictions budgétaires) a commencéa donner des résultats positifs pourles femmes. Les nouvelles politiquesde discrimination positive ont égalementamélioré la situation des enseignantesuniversitaires. Depuis 1985, le pourcen-tage des femmes habilitées a augmentéde 100 % ; en 1998, prés de 300 femmesont achevé leur habilitation. Depuis lors,la présence féminine parmi les profes-seurs (a tous les échelons) a doublé, pas-sant de 5,1 % 4 10,5 %, soit un total de3 986 enseignantes. Le pourcentage desfemmes ayant atteint léchelon C4 apratiquement triplé, passant de 2,3 % en1985 4 6,5 % aujourdhui. Autrement dit,on compte actuellement 895 femmes 4Yéchelon C4 (BLK 2000 ; SBC 2002b).

Des inégalités 4 surmonter

LAllemagne est actuellement en pleineréforme de son systéme universitaire.Lun des changements fondamentaux,susceptible de faciliter l’'accés aux uni-versités pour les femmes, est la sup-pression de l’habilitation. En effet, l’agemoyen était de quarante ans environau moment de passer cette secondethése (BSD 2001). Par le passé, aucunedisposition ne concernait les femmesqui étaient en Age d’avoir des enfants etqui étaient désireuses d’en avoir (BLK2000). La suppression de cet obstaclepermettra 4 un plus grand nombred’entre elles d’accéder au grade deprofesseur.

En plus des réformes portant sur l’ensem-ble du systéme universitaire, le gouverne-ment allemand a commencé, en 1990, amettre en place des programmes visantprécisément a encourager la participationdes femmes. Ceux-ci comprennent desbourses spéciales et des postes d’assistantréservés A des femmes, dans le but d’aug-menter leur nombre sur les listes de qua-lification et permettant de postuler 4 despostes de professeurs titulaires. En 1998,par exemple, ces programmes ont permisa 13 000 universitaires de recevoir un sou-tien financier (BLK 2000). Le gouverne-ment a aussi prévu que les universitéspuissent créer des postes de commissaires(Frauenbeauftragte) pour contréler lespratiques de discrimination positiveconcernant Tlemploi dans les établisse-ments. Une loi fédérale exige 4 présentque les départements mettent en ceuvre,au cours des prochaines années, un planprévoyant soit un nombre, soit un quota

Femmes universitaires en Allemagne

de postes pour les femmes a chaqueniveau d’enseignement. Lobjectif fixé estque 20 % des postes de professeurs revien-nent a des femmes d'ici 4 année 2005. Laprésence des commissaires dans les uni-versités a rendu tous les intervenantsplus conscients des politiques et des pra-tiques favorisant légalité par rapport ausexe. Parce que les critéres de qualifica-tion et de pratique ne sont pas toujoursappliqués de facon impartiale et quilsfavorisent les hommes, leur pouvoir est enréalité limité. De plus, depuis 1998, laFondation nationale pour la Science,Deutsche Forschungsgemeinschaft, afinancé une vingtaine de nouveaux grou-pes de recherche sur les gender studiesdans différentes universités. Le dévelop-pement de la recherche sur les spécificitéspropres a chacun des sexes, genderresearch, est la condition essentielle pourpermettre aux femmes datteindre unesituation d’égalité, dans le monde acadé-mique. Sans structures conceptuellessophistiquées, les réformes ne seront sansdoute pas efficaces. Comprendre les spéci-ficités nécessite une recherche, un travailsuivi et une formation, comme pour toutautre secteur de activité intellectuelle.

Les administrateurs, les enseignantsen activité et ceux qui les suivront,cest-a-dire les étudiants de toutes lesuniversités, tous doivent étre 4 mémed’assimiler les spécificités fondamen-tales des uns et des autres. Ils doiventaussi comprendre que l’application deces spécificités est essentielle et passepar la capacité 4 promouvoir l’égalitépour les femmes (Schiebinger, 1999 ;Creager et al., 2001).

En Allemagne, les réformes ont été facili-tées par le vote des articles 2 et 3 dutraité d’ Amsterdam. Prescrivant l’égalitédes sexes dans tous les aspects de la viepublique et ce, dans tous les pays deUnion européenne, cette nouvelle légis-lation a aussi permis de créer l’unitéFemmes et Sciences, qui finance trésactivement des programmes favorisantVéquité entre hommes et femmes dansles projets de recherche de l’UE. II fau-dra, en Allemagne, plus de réformesnovatrices pour atteindre les objectifsd’égalité en ce qui concerne les femmesuniversitaires. Malheureusement, les der-niéres réformes concernant la législationsur les universités, au lieu de donner uneplus grande souplesse, définissent denouvelles limites d’Age et de temps dansles contrats d’emploi. Ces obstacles vontdésavantager en particulier les ensei-gnantes, une bonne proportion d’entreelles ayant suivi des parcours de carriérenon traditionnels. Au cours des prochai-nes années, la nouvelle réorganisationdes universités allemandes et plus parti-culiérement les modalités de recrute-ment seront essentielles pour l’avenirdes femmes universitaires.

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Comparaisons américaines, |De la ségrégation ala “libération”. Kt aprés ?

par Margaret Rossiter

Margaret Rossiter est professeure d’histoire des sciences 4 l’université Cornell.Elle a notamment publié Justus Liebig and the Americans : The Emergence ofAgricultural Science, 1840-1870 (1975) ; Women Scientists in America : Strugglesand Strategies to 1940 (1982) ; Women Scientists in America : Before AffirmativeAction, 1940-1972 (1995).

L es Américaines ont rencontré, jusqu’a une date récente, de grandesdifficultés a entrer dans le domaine de la recherche scientifique.Certes, a la veille de la Seconde Guerre mondiale, on notait déja des exem-ples de réussite. Mais c’est surtout grace a la discrimination positiveet aux actions judiciaires qui lui ont donné sa pleine application que les

femmes ont pu, a partir des années 1970, occuper des emplois importants

129

dans I’Université. Des questions ne sont toujours pas résolues : le niveau

des salaires, la nature des responsabilités.

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Les femmes dans histoire du CNRS

12 remiers développements

En 1939, a l’époque ot! le CNRSfut créé en France, un certain nombrede carriéres s’offraient aux femmesscientifiques aux Etats-Unis. Cependant,la ségrégation régnait dans un certainnombre de domaines. De fait, les cur-sus et par conséquent les carriéres,savéraient différents selon que lonétait homme ou femme. En 1939, cettesituation ne provoquait pas de contes-tation, car la possibilité d’entrer dansles carriéres scientifiques, méme limi-tée, était le fruit des efforts de nom-breuses militantes, pionniéres du sié-cle précédent’. Pendant les années1930, les femmes se souciaient davan-tage d’échanger des renseignements etdes conseils sur la maniére de trouverune place au sein d’un systéme derecrutement complexe. Dans _ lesannées suivantes, et 4 partir de 1939,de nombreux établissements d’ensei-gnement supérieur proposaient auxfemmes une formation mais seulementjusqu’a la licence et pas partout. Eneffet, certains et parmi les plus pres-tigieux leur étaient fermés. C’était lecas de Princeton, Caltech (CaliforniaInstitute of Technology), Amherst,Williams, les académies militaires etnavales, ainsi que la plupart des univer-sités appartenant 4 l’Ordre des Jésuites.Toutefois, il existait quelques centai-nes d’institutions accueillant exclusi-vement les femmes, dont un grandnombre était placé sous la tutelle dereligieuses catholiques. La plupart desuniversités d’Etat étaient mixtes : dans

le Sud, les universités accueillaientétudiants et étudiantes dans des éta-blissements séparés. C’était le cas du“Mary Washington College”, dépen-dant de l’université de Virginie et du“Florida State College for Women”(université de Floride). La ségrégationportait aussi, au niveau des étudesdoctorales, sur les réglements inté-rieurs particuliers et ce, dans un grandnombre d’établissements. Certainsn’acceptaient pas du tout les femmes ;d’autres les acceptaient, mais dansquelques-uns de leurs départementsseulement. Une grande victoire avaitété gagnée dans les années 1890 avecPouverture de la nouvelle université deChicago qui était mixte. Ceci avaitpoussé d’autres établissements, commePuniversité de Yale, 4 s’ouvrir aux fem-mes. Pour les dirigeants de Yale, cettenouvelle politique était “juste”, en parti-culier parce qu’il était A peu prés cer-tain que les femmes détentrices d’undoctorat trouveraient des emplois, soitdans les établissements féminins, soitauprés du gouvernement fédéral. Lesdirecteurs de l’université de Yalecependant se refusaient encore a leurproposer des postes au sein de leurséquipes.

Le monde du travail était, lui aussi,divisé selon le sexe. Les femmes trou-vaient des emplois dans l’enseignementet dans des institutions du gouverne-ment, aux échelons inférieurs, ainsi quedans des domaines réputés “féminins”,comme la psychologie de l’enfant etsurtout “les sciences ménagéres”, Home

1. Margaret Rossiter, Women Scientists in America: Struggles and Strategies to 1940 (1982).

Comparaisons américaines. De la ségrégation 4 la “libération”. Et aprés ?

Economics. Cette derniére spécialité,qui était considérée comme englobanttoutes les questions relatives au foyeret a la famille, devint bient6t un vérita-ble “empire”, jouissant d’un finance-ment considérable provenant du gou-vernement fédéral et des Etats. C’étaitaussi la seule spécialité grace 4 laquelleune femme pouvait espérer devenirdoyenne ou directrice d’une brancheadministrative dans l'une des grandesuniversités. Au cours des années 1920et 1930, d’autres secteurs scientifiquesfurent intégrés au domaine féminin : labactériologie, étudiée dans les départe-ments de la santé publique ou les sta-tistiques, toutes spécialités confondues.La statistique, pratiquée dans lesbureaux et développée comme scienceappliquée, était destinée a servir denombreuses agences gouvernementales.

Les emplois fédéraux étaient placéssous le double contréle de la Com-mission pour le Fonctionnariat, CivilService Commission, et du Congrés. En1919, en réponse a l’action de plusieursgroupes de pression féminins, cettecommission accorda aux femmes |’accésaux examens d’entrée, pour tous typesde postes. Décision importante qui per-mettait d’éviter les incohérences queYon connaissait jusqu’alors, puisque lesfemmes, avant cette mesure, pouvaientrencontrer des obstacles relevant de cesinégalités. En effet, les chercheusespouvaient avoir accés aux emplois trai-tant des maladies végétales et humai-nes, mais ne pouvaient pas faire derecherches sur les maladies animales.Méme au département fédéral a

Agriculture, US. Department ofAgriculture, USDA, qui comprenaitle Bureau des sciences ménagéres,Bureau of Home Economics, dirigé parune diplémée de Yale, Louise Stanley, etqui employait de loin le plus grandnombre de femmes scientifiques augouvernement fédéral, les femmespar exemple pouvaient travailler surles maladies de la pomme de terre,mais pas sur celles du tabac. Au coursdes années 1920, d’autres agencesgouvernementales souvrirent aux fem-mes : la US. Geological Survey, le US.Public Health Service et le Smithsonian,organisme assez proche du CNRS,placée sous l’égide du gouvernementfédéral. Pendant les années 1930, lesfemmes trouvérent aussi des emploisdans les nouveaux National Institutes ofHealth, le National Bureau of Standards,le Children’s Bureau, le Bureau of IndianAffairs et le Fish and Wildlife Service ouRachel Carson se distingua en tant queJunior Aquatic Biologist aprés avoirobtenu sa maitrise.

Dans ces divers services, les possibilitésde promotion offertes aux femmesétaient souvent restreintes. Ainsi, pourUS. Geological Survey, le travail sur leterrain était obligatoire pour prétendrea une promotion, travail interdit auxfemmes. Ces derniéres se cantonnaientdonc a la recherche bibliographique ettravaillaient en bibliothéque, présen-tant un grand nombre d’ouvrages quiservaient ultérieurement A tous ceuxqui étaient sur le terrain. Ces femmesdevenaient trés rarement directrices.Pendant la dépression des années 1930,

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Les femmes dans histoire du CNRS

beaucoup furent bien heureuses deconserver leur emploi, en dépit du faitque leur salaire fut diminué et que lesfemmes mariées 4 des fonctionnaires,conformément a la loi Economic Act de1932, furent licenciées. A époque, unemploi dans la fonction publique avec descompensations sociales et un plan deretraite était considéré comme un bonemploi.

Il serait intéressant de retracer, en détail,le parcours de ces femmes. Elles furentnombreuses a servir avec zéle et dévoue-ment. Certaines d’entre elles recrutérentd’ autres femmes, créant ainsi des chainesd’entraide au sein de ces services.

La Seconde Guerre mondiale

La Seconde Guerre mondiale apporta uncertain nombre de changements, maisceux-ci ne durérent pas. Lurgence dubesoin, en personnel technique, permit 4plusieurs femmes de se distinguerbrillamment dans des spécialités commeYocéanographie (Mary Sears), la météoro-logie (Florence Van Straten) et les mathé-matiques appliquées (Mina Rees). Deméme, parce que beaucoup d’hommes ser-vaient sous les drapeaux, d’autres fem-mes, telle que Cynthia Westcott, spécia-liste en pathologie des plantes, furentnommées a des postes auxquels se succé-dérent d’autres femmes. Cynthia Westcotttravailla sur une maladie qui affectait lesazalées qui poussaient dans le districtdun membre influent du Congress, ce quilui valut une certaine renommée’. Entre1942 et 1946, le nombre total des femmesscientifiques effectivement employéespassa de 2 412 4 7 746. Ce dernier chiffre

peut, en partie, sexpliquer par le faitque les postes étaient plus efficacementcomptabilisés, et aussi parce qu’a partirde 1946, on commenca 4 proposer unéventail d’emplois plus large. Par ailleurs,le nombre des femmes scientifiques figu-rant sur la liste du National Roster passade 5 323 en décembre 1941 4 13 408 en

décembre 1945.Laprés-guerre

1945-1970 fut une étrange périodedurant laquelle, aux Etats-Unis, denombreuses portes furent intention-nellement fermées aux femmes, ce quine déclencha que trés peu de protesta-tions. Les premiéres années, la sociétéaméricaine revendiqua un “retour aufoyer”, ce qui obligea les femmes a4quitter les postes qu’elles avaientoccupés pendant la guerre, soit au gou-vernement, soit dans l’enseignement,pour laisser la place aux hommes quivenaient d’étre démobilisés. Une foissorties du systéme, elles le restérentpour longtemps, malgré le fait qu’a-prés 1950, les institutions gouverne-mentales et celles de l’enseignementconnurent une forte expansion en rai-son, d’une part, de la guerre froide et,d’autre part, de la nécessité d’instruireet de former la masse des baby boo-mers. Les femmes scientifiques etingénieures furent néanmoins excluesdes listes de recrutements, bien que legouvernement fédéral ait lancé, a l’é-poque, des appels répétés en faveur dela formation de scientifiques et d’ingé-nieurs, afin de satisfaire en urgenceaux besoins nationaux. Ceci eut pour

2. Margaret Rossiter, Women Scientists in America: Before Affirmative Action, 1940-1972 (1995); on pourra aussi consulterKatharine Broome Williams, Improbable Warriors: Women Scientists and the U.S. Navy in World War II (2002); Cynthia Westcott,

Plant Doctoring is Fun (1957).

Comparaisons américaines. De la ségrégation a la “libération”. Et aprés ?

effet de permettre aux femmes derecevoir des formations dans la plu-part des disciplines scientifiques,mais pas dans tous les domaines(des réserves persistérent, en effet,dans quelques activités comme |’océa-nographie, la sylviculture et lingé-nierie). Cependant, les dirigeants,dans les domaines de |’éducation etde Vindustrie, se refusaient toujoursa engager des femmes. Les agencesgouvernementales, en pleine expan-sion, furent bien obligées d’en em-baucher quelques-unes. Cela s’ex-plique par unsalaire moindreet une perspec-tive de carriérebeaucoup moinsprestigieuse quecelle proposéepar les universi-tés ou les indus-tries, qui préfé-raient privilé-gier les hommespouvant pour-suivre ainsi une carriére scientifiqueplus intéressante’.

A la fin des années 1960, une cer-taine frustration se manifesta, en par-tie stimulée par le mouvement pourles droits civiques naissant. Elletrouva sa pleine expression dans lemouvement pour la libération de lafemme, si vigoureux qu’il permit a cer-taines lois d’étre promulguées. En1972, la nouvelle législation promet-tait ’élimination de la discriminationdue au sexe et a la race, dans les

domaines de l’éducation et de l’em-ploi. Elle fut rapidement mise en ap-plication dans les écoles de médecine,le service de la santé publique ayantdécrété que tout établissement rece-vant des subventions fédérales (ce quirevenait 4 dire presque toutes) per-drait les fonds qui lui étaient attri-bués au prorata du nombre de ses élé-ves, sil s’avérait qu il pratiquait uneforme quelconque de discriminationdue au sexe ou 4a la race. Toutefois,dans d’autres secteurs, les autoritésfédérales n’exercérent qu’un contréleminime quant a lamise en applicationde cette mesure etles femmes se tour-nérent vers les coursde justice pour expri-mer leur mécon-tentement. En fait,les femmes, pendantla décennie 1970,furent occupées parles procés qu ellesintentaient contreleurs employeurs. Pratiquement toutesles agences gouvernementales et tousles établissements d’enseignementétaient en procés. Certaines causesfurent combattues pendant des années.Certaines affaires avaient pour originedes griefs individuels retenus contreadministration, d’autres résultaientd’actions collectives entreprises par desgroupes de pression importants, récla-mant des changements fondamentaux.Parmi les affaires les plus célébres, ilfaut citer les procés de l’anthropologueLouise Lamphere, de l’université Brown,

3. Margaret W. Rossiter, ibid.; Katharine Broome Williams, ibid.; Cynthia Westcott, ibid.

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Les femmes dans histoire du CNRS

et celui de la chimiste ShymalaRajendar de l’université du Minnesota.Ces deux affaires connurent une cer-taine célébrité et celui de Rajendar futextrémement cofiteux (2 millions dedollars furent déboursés pour rému-nérer l’avocat chargé de défendre l’uni-versité). Lun des derniers procésconcernait mon propre établissement,Puniversité Cornell, ot le groupeCornell Eleven, réunit des femmesrecrutées pendant les années 1970dans des emplois de rang inférieur etqui ne parvenaient pas a obtenir leurtitularisation. Elles entamérent leuraction en justice en 1980 et obtinrentune compensation financiére en 1984.

Depuis 1972, des changements majeursse sont produits, au moins en ce quiconcerne les échelons inférieurs. Detrés nombreuses femmes ont pu alorsse former dans toutes les disciplinesscientifiques et dans l’ingénierie, bienque les pourcentages varient demaniére importante selon la spécialité.Les secteurs qui étaient les plus fémi-nisés en 1970 le sont encore aujour-@hui : de 15 % dans les années 1970, laprésence des femmes se _ stabiliseactuellement aux environs de 40 %. Lesdomaines de recherche ot la présencedes femmes était peu visible en 1970,cest le cas pour l’ingénierie et la phy-sique, ont encore les taux les plus bas.Mais entre les deux, comme dans lessciences de la terre et de l’agriculture,on a pu enregistrer des transforma-tions importantes. I] n’est plus rare derencontrer des femmes employées dansces secteurs : celles qui étaient entrées

dans les secteurs de recherche commela géologie ou l'industrie du pétrole a lafin des années 1970, sont restées jus-qu’au milieu de la décennie suivante etpendant le choc pétrolier. Depuis lors,avec les fusions et les licenciements, uncertain nombre d’entre elles ont étécontraintes de proposer leurs servicesau titre de consultantes indépendantes.

Presque toutes les femmes scienti-fiques sont sous-payées. Les statis-tiques salariales les plus poussées sesont concentrées essentiellement surles chimistes (en partie parce que leComité des femmes de la Sociétéaméricaine pour la chimie, longtempsprésidée par la défunte Nina Roscher,a encouragé et aidé cet effort). Dansce secteur, les différences de salairesentre les hommes et les femmesaugmentent avec les années de ser-vice, et les femmes plus Agées, cellesqui étaient déja employées au momentou commencait le mouvement pour lalibération de la femme, n’ont jamaisrattrapé leur retard. Les seules excep-tions se rencontrérent pendant untemps parmi les femmes ingénieuresnouvellement engagées, lorsque lesemployeurs — le plus souvent desentreprises ayant obtenu des marchéspublics fédéraux — se trouvaient dansVobligation d’engager des femmes aux-quelles ils devaient accepter de verserun salaire de départ plus important etdonc hors normes. Mais cet avantagefut de courte durée et s’estompa pro-gressivement au fur et A mesure qu’unplus grand nombre devenaient cadres.

Comparaisons américaines. De la ségrégation a la “libération”. Et aprés ?

En fait, au cours des années 1980, ons’est apercu que des pourcentagesextrémement élevés de femmes ingé-nieures et spécialistes en géosciencesabandonnaient leurs postes scienti-fiques et techniques, en dépit desavancées réalisées dans ces secteursnon traditionnels alors méme qu’elless’étaient Aprement battues pour lesconquérir. Certaines sociétés mirentalors en place de nouveaux program-mes en ressources humaines pouraider leur personnel dans les démé-nagements, la garde des enfants, larecherche d’un emploi pour le conjointet pour favoriser la mise en place deprogrammes de formation et de conseilaux responsables, pour tout ce quitouchait aux relations interraciales.

Bien que le total des femmes scienti-fiques effectivement employées aitgrandement augmenté et atteigneaujourd’hui un taux jusqu’a présentinégalé, et, bien que l’éventail des sec-teurs ot elles sont présentes n/’aitjamais été aussi large, il apparaitcependant que peu d’entre elles par-viennent encore aux échelons supé-rieurs. Le plafond de verre, expressiondatant de 1986, montre qu’une ségré-gation hiérarchique persiste a la foisdans les universités, ot. relativementpeu de femmes parviennent au gradede professeur, et dans les agences gou-vernementales quelque peu fémini-sées, comme l'Institut national de laSanté, ot la plupart d’entre elles nedépassent pas l’indice GS 14 (GS :General Schedule, échelle de promo-tion allant de 0 a 22, ndt).

Encore récemment, il aurait été vraide dire que le gouvernement a accueillidavantage de femmes scientifiques etbien plus que ne l’ont fait les établis-sements d’enseignement. Les présidentsRichard Nixon, Jimmy Carter, GeorgeBush et Bill Clinton ont tous désignédes femmes pour diriger l’ancienneCommission a l’énergie atomique, ledépartement du Commerce, |’énormedépartement de la Santé et desServices humains, le département aEnergie, les Instituts nationaux de laSanté, et actuellement la Fondationnationale pour la Science.

Mais au cours des deux derniéresannées, des universités ont fait encoremieux. Luniversité de Princeton, quin’a admis les étudiantes qu’en 1969, aélu 4 sa présidence la premiére femme,Shirley Tighman, spécialiste en biolo-gie moléculaire ; au printemps 2002,Puniversité de lTllinois a élu chan-celiére la psychologue Nancy Cantoret Puniversité du Michigan a choisi labiochimiste Mary Sue Coleman commeprésidente. Il reste a savoir si ces fem-mes auront la possibilité de réaliserd’autres changements et de dépasserune politique de pure forme, pour ainsibriser le plafond de verre. D’ancienséléves de Princeton ont déja émis descritiques quant 4 la nomination parTighman d’une femme provost et dedeux doyennes.

Conclusion

Il ressort de tout ce qui précéde que lesfemmes scientifiques américaines ont sutirer parti des nombreuses opportunités

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Les femmes dans histoire du CNRS

que leur ont offertes leurs prédécesseurs,des hommes et des femmes, au coursdes deux derniers siécles, depuis lespionniers de la cause qui ont crééles universités jusqu’aux leaders dumouvement pour la libération de lafemme du début des années 1970. Aucours des trente derniéres années, lenombre des femmes diplémées n’ajamais été aussi élevé. Ce sont desfemmes qui s’engagent dans des sec-teurs professionnels trés variés, y com-pris en médecine, secteurs qui leurétaient auparavant fermés. En raisonde la pression exercée par le gouver-nement en faveur de la discriminationpositive dans le secteur de l’emploi,elles ont pu s’introduire dans les éche-lons inférieurs des professions. Peud’entre elles sont allées trés loin ; les

rangs intermédiaires se sont gonflésconsidérablement, alors que des insti-tutions fusionnaient et se réorganisaient.Les femmes sont prises au piége d’unmouvement perpétuel, un peu 4a lamaniére de Zénon et de son paradoxe :elles avancent le long d’une chaine quine cesse de s’allonger, évoluant d’unesituation de niveau moyen a uneautre, et n’atteignant presque jamaisles sommets. Lorsque 1’on disposera dedonnées plus précises pour analyserplus particuliérement ce phénoméne,étude qui, pour le moment, se limiteau recensement du nombre de diplémesattribués aux femmes, alors la colére,levier nécessaire pour provoquer laprochaine vague de libération de lafemme, pourra se mettre a gronder.

Femmes et responsabilitésau CNRS : réflexions

sur des récits de parcours“TMprObables” par catherine Nave

Catherine Nave a suivi des études de sociologie et d’économie 4V'université de Nanterre et a été éléve a l’Ecole normale supé-rieure de Cachan. Auteure d’un mémoire de DEA sur la réduc-tion du temps de travail dans un service d’ingénieurs d’EDF, elleest, depuis 2000, professeure agrégée de sciences économiques etsociales dans un lycée de Noisy-le-Sec, en région parisienne.

L e plafond de verre : terme qui en dit long sur I’impossibilité desfemmes de sciences a passer dans les sphéres supérieures de lastructure décisionnelle. Le choix s’avére difficile entre vie de famille etrecherche. Catherine Nave fait part des hésitations des chercheuses quitémoignent des difficultés et des incohérences du systéme mis en place.

Faut-il accepter la discrimination positive et les quotas, remettant ainsi

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en cause les compétences ? Et si les blocages se manifestaient demaniére plus sournoise, et si la structure méme du CNRS empéchaittoute progression des femmes dans cette vénérable institution ? Telles

sont les questions essentielles posées par Catherine Nave.

* Merci a celles qui ont bien voulu me rencontrer et a celles qui m’ont aidée : Déborah Bensoussan, Helena Hirata, Catherine Marry,Frangoise Pujol et Daniéle Senotier.

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Les femmes dans histoire du CNRS

n 1997, pour la premiere fois,0 une femme est nommée au

CNRS au poste de directricegénérale Catherine Bréchignac.Genevieve Berger lui succédera en2000. Ce constat laisse penser que lesfemmes peuvent accéder a des postes aresponsabilité au CNRS. Or, affirmercela n’est ni évident, ni anodin.

En effet, les structures sexuées de lasociété francaise et, en son sein, dela recherche font peu de place 4 I’as-cension professionnelle des femmes.Nous ne résumerons pas ici la littéra-ture sociologique concernant la placedes femmes, mais quelques rappelsstatistiques permettront de situernotre propos.

En France, en 1999, il y avait 178 000chercheurs dont 25 % de femmes, cetaux de féminisation grimpant a 30 %dans la recherche publique’.

Le CNRS compte 25 003 agents dont42,25 % de femmes, répartis dans deuxcorps : 11 409 chercheurs dont 30,34 %de femmes, et 13 594 ITA dont 52,6 %de femmes’. Mais le taux de féminisa-tion varie selon les disciplines (la partdes femmes est plus importante enSHS et en SDV que dans les autresdépartements). Plus on grimpe dansléchelle des grades, moins on trouvede femmes. Plusieurs recherches (mili-tantes ou non) ont montré que les fem-mes accédaient plus tard (en considé-rant l’Age, mais aussi l’ancienneté) eten moins grand nombre que les hom-mes aux grades les plus élevés*. Enfin,elles sont rares 4 accéder a des postes

a responsabilité, que ce soit dans l’ad-ministration, la direction ou l’évalua-tion de la recherche. Sur 18 déléga-tions régionales, 6 sont dirigées pardes femmes. Au sein des 8 directionsscientifiques, 1 seule était dirigée parune femme au moment de l’enquéte’.Sur 31. directeurs scientifiquesadjoints, 6 étaient des femmes. Seuls10,6 % des laboratoires sont dirigéspar des femmes. Actuellement, auComité national, 14,6 % des sectionssont présidées par des femmes alorsqu’a peine plus d’un quart des mem-bres sont des femmes.

Qui sont ces femmes qui occupent despostes 4 responsabilité, qui ont fait ces“carriéres improbables” (selonCatherine Marry, 1991 et 1999*) ? Quisont-elles, ces femmes qui ont franchile plafond de verre, ce dont témoignentles quelques données qui précédent,pour se retrouver dans des universtraditionnellement masculins ? Quisont-elles, ces femmes qui ont “trans-gressé les frontiéres de leur réle socialde sexe prescrit”> ?

Leur présence a des postes de pouvoir,si elle témoigne du fait que de telsparcours sont possibles, ne doit pasfaire oublier que “la situation defemme en situation de pouvoirdemeure une transgression”. Les étu-des sur ces femmes aux parcoursimprobables dans plusieurs domaines,tendent a4 souligner une sursélection ’,mais aussi les conflits de réles *qui peuvent se produire entre vieprofessionnelle et vie familiale (nousentendons ici la vie familiale au sens

Ministére de la Recherche, 2002.CNRS, Bilan social 2000.

Cette enquéte a eu lieu de mai a aotit 2002.

Erika Apfelbaum (1995).

Heléne-Yvonne Meynaud (1995).

Voir notamment les trois auteures citées précédemment.Anne-Marie Devreux (1984).Se reporter a la bibliographie page 148.

FONOO A OM

Anne-Marie Daune-Richard (2000, 2001), Marie-Claude Hurtig (2002) mais aussi Christine Bernard (1997).

Femmes et responsabilités au CNRS : réflexions sur des récits de parcours “improbables”

large : vie amoureuse, vie conjugale,relations aux parents et aux enfants).La possibilité de faire carriére estalors, en partie, fonction de la capacitéa résoudre ce conflit, capacité qui nedépend pas seulement des individusmais aussi des structures socialesdans lesquelles ils/elles évoluent.

Comment, dans ce cadre, ces femmesont-elles fait ces carriéres ? Commentles vivent-elles ? Nous essaierons derendre compte de la maniére dontquelques-unes nous ont parlé de leurcarriére et de nos interrogations surces entretiens, interrogations infor-mées par la sociologie du travail croi-sée avec la sociologie de la famille’, etnotamment du travail des femmes etdu travail des cadres.

Caractéristiquesdes femmes rencontrées

Pour réaliser cette enquéte, nousavons rencontré 9 femmes qui exer-cent ou ont exercé des responsabilitésfortes au CNRS ”. Elles sont direc-trices de services administratifs, direc-trices scientifiques ou directricesscientifiques adjointes, déléguéesrégionales, directrices d’institut, secré-taires générales d’instance d’évalua-tion, présidentes de section du Comiténational.

La plupart sont nées dans les années1940 et 1950 et, parmi ces femmes,seules deux n’ont pas eu d’enfants.Elles sont issues de milieux sociauxdifférents : celles qui font partie ducorps des chercheurs sont issues defamilles d’enseignants, voire de profes-

seurs des universités ou de cher-cheurs. Elles viennent aussi des clas-ses moyennes ou intellectuelles supé-rieures et, pour la plupart, leur méretravaillait et a fait des études. Pources femmes, la socialisation familialepeut avoir joué un réle important dansleur carriére : elles connaissaient letravail scientifique et ont bénéficiéd’un double soutien parental et d’uneéducation égalitaire, selon le sexe, cequi peut contribuer a atténuer le cotitde la transgression que comporte habi-tuellement une carriére comme la leur.

“Jétais ’ainée, mais mes parentssont tous les deux scientifiques (...)Premiérement, je voyais des fem-mes qui travaillaient et deuxiéme-ment, c’étaient plutét des carriéresscientifiques .”"

Celles qui appartiennent au corps desITA sont plus souvent originaires demilieux plus populaires dans lesquelsle travail et les études pour les fem-mes n’étaient pas toujours une évi-dence. Ces femmes occupant des pos-tes administratifs a responsabilité ontaussi la caractéristique d’avoir été oud’avoir eu l’opportunité de faire de larecherche et elles ont souvent hésitéentre les deux carriéres.

Il semble qu’elles aient toutes étédisponibles pour une carriére : ellesavaient dans l’esprit que cela devaitétre possible pour une femme et qu’el-les en avaient sans doute les ressour-ces. Or, nous le verrons, cette disponi-bilité d’esprit est importante.

9. Pierre Tripier (1997).

10. Nous les avons rencontrées sur leur lieu de travail actuel pour des entretiens qui ont duré entre une heure et une heure trente, parfois un peu plus.Lentretien portait essentiellement sur leur carriére au CNRS, méme s’il a aussi été question de leurs études, et nous avions le souci de les amener aarticuler leur vie professionnelle et leur vie extra-professionnelle, notamment a travers la question de l’articulation des différents temps sociaux (voirAnnette Langevin (1987, 1994) et Catherine Nave (2001) en ce qui concerne les enjeux de I’articulation des temps sociaux pour analyser des carriéres).11. Nous avons inséré quelques extraits de nos entretiens ; cependant, il nous est impossible de préciser les fonctions ou d’autres caractéristiquesdes personnes citées. En effet, ces femmes a responsabilité au CNRS sont peu nombreuses et donner des précisions pourrait permettre uneidentification pour certaines d’entre elles, ce qui contreviendrait a l'anonymat requis par notre démarche.

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Les femmes dans histoire du CNRS

Les ressorts de la carriére

En effet, dans leurs récits évoquant leurcarriére ’ et pour en expliquer les gran-des étapes, elles commencent en disantqu’on leur a demandé si elles le vou-laient et si cela les intéressait. Cettelogique de l’appel de quelqu’un d’autre,de la réponse 4 une proposition alorsqu’elles n’avaient rien demandé est sys-tématique. La seule qui raconte avoirpostulé spontanément une fois, raconteaussi que c’est le poste, la mobilité quilui ont été refusés. Ainsi font-elles descarriéres “a l’aveuglette” : il n’y a pas destratégie, pas de plan de carriére établia priori. Elles racontent avoir saisi desopportunités qui leur étaient proposéespar leur entourage professionnel. A cetégard, leur propos est similaire 4 ceuxdes pionniéres en politique, tel que ledécrit Erika Apfelbaum (1995).

A la question : “Et qu’est-ce qui vousavait amenée a vous présenter pourle mandat précédent, pourquoi vousaviez voulu...” La réponse : “Parcequ’on m’a demandé... eh bien... c’étaittrés curieux, et c’est toujours arrivécomme ¢a. La premiere fois, en 85,on m’a demandé de m’inscrire sur laliste électorale d’un syndicat dont jen’étais pas adhérente d’ailleurs et...jai dit : “Si ca ne vous géne pas, moica ne me pose pas de probléme”,jai été élue ; ca a été la méme chosela derniére fois... et puis 1a, j’aiété nommée, donc on m’a justedemandé... si j’accepterais d’étresur une liste, d’étre présentée,ensuite j'ai été retenue... donc jen’ai jamais rien demandé.”

Cette absence de stratégie peut trouverune confirmation dans le fait que, parmiles chercheuses, la volonté et l’exercicede cette volonté de retourner a larecherche, quel qu’ait été leur niveau deresponsabilité, sont forts.

Reste a expliquer cette bienveillancequi les a menées a des postes a forteresponsabilité.

Il ne faut pas négliger le fait que ces fem-mes ont souvent réalisé des parcours ditsd’excellence, aussi bien pendant leurs étu-des que tout au long de leur vie profes-sionnelle. Elles sont nombreuses a racon-ter avoir fait feu de tout bois et le discourssur la nécessité d’étre une “battante” estrécurrent. Il faut aussi se souvenir de nosremarques sur leur socialisation qui leura permis d’accepter des propositions.

Le poids des propositions et des rencon-tres au cours de leurs récits ne pouvaitque nous faire penser a l’hypothése dumentor. En d’autres termes, ces femmesont-elles fait carriére grace a l’interven-tion d’une personne qui les a aidées,poussées et suivies dans leur carriére ?Cette hypothése de limportance d’unmentor, plus que du réseau de relationsprofessionnelles, est souvent avancéepour analyser les carriéres profession-nelles des femmes *. La présence d’untel mentor n’est pas toujours visibledans tous les entretiens. Seules deuxfemmes racontent les étapes de leur car-riére en mettant au centre l’interventiond’une personne qui les guide, les pousseou les recrute. Dans les deux cas, cesont des hommes qui jouent ce réle etce, assez tot et pendant longtemps au

12. Notre réflexion porte sur des représentations et des récits et non pas sur des pratiques et une observation extérieure de

leur carriére : nous partons de ce qu’elles racontent.

13. Pour une définition du mentoring voir : Angela Febbraro, lan Lubek et alii (1996) ; ils ne limitent pas ce phénoméne aanalyse de la carriére féminine et pour notre part, cette influence n’est pas éclatante dans les entretiens.

Femmes et responsabilités au CNRS : réflexions sur des récits de parcours “improbables”

cours de la carriére. Cette influence peutimpliquer une mobilité géographiqueimportante, mais surtout, une mobilitéprofessionnelle rapide : interventionnest pas permanente mais lorsqu’ellesurvient, les effets sont rapides. Ainsi,dans ces deux récits, c’est le conseil et/ouYappel de ce mentor qui déclenchent unchangement de poste comme le fait deprésenter un concours, le plus souventpour accéder a davantage de responsabi-lité et de reconnaissance statutaire.Linfluence porte aussi sur la maniéred’exercer son métier et de lui donnersens. Ainsi, dans ces récits, le mentortient une place centrale et parfois, aumoment de raconter un changement deposte, ces femmes ne commencent paspar parler d’elles, mais de lui : le ressortest 14, au moins en partie.

Cependant, elles reconnaissent souventque cela ne suffit pas : entre la reconnais-sance spontanée des qualités et le men-tor, la vie au travail fournit d’autres voiespour faire carriére. Ainsi, dans les autresentretiens, si les évolutions de carriérepeuvent et sont souvent associées par cesfemmes A des rencontres avec des per-sonnes qui marquent leur parcours, cenest plus une personne en particulier quiest au coeur de la dynamique de leur car-riére. Dans ce cas de figure, on se rappro-che plutét du réle des réseaux profes-sionnels : il faut connaitre et étre connudans un milieu pour y faire carriére.Cependant, construire ce réseau n’est paschose facile, notamment parce que le plussouvent, il se construit en marge du tra-vail prescrit : cest dans le cadre de laconvivialité entre pairs ou dans des acti-

vités, certes professionnelles, mais qui nesont pas au coeur du métier. Or cela sup-pose souvent d’allonger les heures de pré-sence sur les lieux de travail.

“On peut étre trés brillante cher-cheuse pour accéder aux responsabi-lités, mais au fond, 14 ot: les hommesprennent plus le pouvoir, je dirais quecest presque en dehors des heuresstrictement de travail. C’est le fait depouvoir trainer tard le soir, donc onse rencontre entre hommes, etc. Lefait d’aller 4 beaucoup de réunions,alors que les femmes, elles, font bienleur travail, mais tout ce qui estde temps libre, c’est la famille etles enfants. Au fond, c’est cet espacela que les hommes investissent etcest la ot ils se font connaitre, etc. etcest comme ¢a qu’on accéde auxresponsabilités.”

En ce sens, cela favorise les hommes “ :compte tenu de l’assignation prioritaireet encore dominante dans notre sociétédu travail domestique et parental auxfemmes, il est plus difficile pour unefemme de participer 4 ces a-cétés dutravail dans lesquels se forgent lesréseaux qui permettent de faire carriére :réunions tardives pour construire desprojets de développement industriel parexemple, réunions tét le matin, notam-ment aux heures ot il faut accompagnerles enfants 4 l’école, sorties au restaurantpour faire le bilan d’un projet, d'unerecherche ou d’un colloque... La présencea ces moments témoigne non seulementdune disponibilité qui fait que l’on paraitcapable d’assumer des responsabilitéssouvent chronophages, mais elle permet

14. Voir notamment Jacqueline Feldman (1992) et Catherine Nave (2001).

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Les femmes dans histoire du CNRS

aussi d’étre connu en dehors de sonbureau, de son laboratoire et de sontravail de recherche qui s’effectueparfois en solitaire.

Une carriére en “neutralisant”la famille ?

Pour comprendre la carriére de cesfemmes, on doit donc se situer auxconfins de la vie professionnelle et de lavie extra-professionnelle, 4 l’articulationde différents temps et espaces sociaux.

Annette Langevin (1987 et 1994) a sou-

ligné, depuis long-temps, les enjeux decette synchronisa-tion et notammentles enjeux sexués.En effet, cest auxfemmes que, sociale-ment, il revient d’as-surer cette synchro-nisation lorsqu’ellesont fondé unefamille, notammentparce que le travail domestique leur estprioritairement assigné. Or, cette charge,si elle est mentale“, imprime aussi unecontrainte forte sur la forme et lecontenu des différents temps sociaux.Ainsi, nous avions constaté que le tempsde travail professionnel des ingénieuresayant un compagnon et/ou des enfantsnétait pas équivalent a celui de leurscollegues masculins avec la méme con-figuration familiale. I] était plus durpour les ingénieures d’avoir des horairesimportants et, notamment, de pour-suivre leur activité professionnelle surleur lieu de travail au-dela de 17 ou 18

heures du fait de l’obligation (due a l’or-ganisation du travail domestique etparental) d’aller chercher les enfants alécole et de trouver encore quelquescommerces ouverts pour assurer l’appro-visionnement du domicile. A linverse,les hommes étaient plus libres de pour-suivre leur travail le soir, d’accepter desréunions tardives, dans la mesure ouleur participation éventuelle au travailparental ou domestique se limitait aumatin et donc démarrait leur journéede travail.

Du fait des réflexionsqui précédent, cesfemmes apparaissentcomme une “bizar-rerie” sociologique.Comment font-elles,comment ont-ellesfait pour travaillerautant ? Et ce, touten ayant pour laplupart des enfants ?

a Dans le _ discours,mais aussi dans la pratique (car dans cedomaine, nous avons pu recueillirquelques récits de pratiques plusdétaillés), elles “neutralisent” la familleou du moins ses effets sur la sphéreprofessionnelle. En employant le verbeneutraliser, nous pourrions laisser pen-ser qu’elles appliquent des stratégiesdans le but de pouvoir faire carriére.Mais ce n’est pas cela que nous enten-dons. Ici, il s’agit de constater que lesfemmes que nous avons rencontréessont parmi celles qui ont pu limiter l’ef-fet de la sphére familiale sur la sphéreprofessionnelle. On retrouve ici certai-

15. Monique Haicault (1984).

Femmes et responsabilités au CNRS : réflexions sur des récits de parcours “improbables”

nes réflexions menées par JacquelineLaufer 4 propos des femmes cadres(1982), certaines reprenant presque motpour mot l’expression de “féminité neu-tralisée” : pour faire carriére, elles ontperdu un des attributs de la féminitéquest lassignation du travail domes-tique et parental aux femmes. Lune denos interlocutrices (présidente de sec-tion au Comité national) évoque ainsises collegues femmes ayant des respon-sabilités :“Si elle est 14, de toute maniére, cestquelle a neutralisé sa... la variablesexe. Je dirais, pour arriver a ¢a, il fautque, elle aussi, elle ait... elle ait faitquelque chose en amont qui faitquelle n’ait pas par exemple accepté...euh... peut-étre que ¢a fait une sélec-tion aussi des personnalités, c’est-a-dire les femmes qui ne se sentent pastiraillées entre des exigences, mafamille d’un cété et le travail deYautre, dés qu’on nest plus tiraillée,finalement vous n’avez plus un compor-tement féminin, dune certaine maniére ;cest pas pour dire que les femmes quiviennent sont plus masculines”.

Par certains aspects, ces entretiens de fem-mes cadres dirigeantes, ressemblaient anos entretiens avec les hommes ingé-nieurs, cadres dirigeants ou non, rencon-trés 4 EDF : si nous ne posons pas la ques-tion du hors travail, de la famille, celle-cipeut ne pas intervenir dans le cours d’unentretien unique et assez court qui porte enpartie sur le travail professionnel, sedéroule sur le lieu de travail et, qui plus est,a la demande de Institution pour laquelleelles travaillent. Lorsque ce théme est

abordé, elles développent peu et revien-nent, rapidement et d’elles-mémes, 4 desaspects plus strictement professionnels.

En termes de pratique racontée, cetteneutralisation se manifeste de plu-sieurs maniéres qui ne sont pas exclu-sives les unes des autres et peuvent sesuccéder ou s’articuler au cours de la vieprofessionnelle et familiale.

Certaines parviennent 4 des postes aresponsabilité 4 un moment ot leurfamille ne contraint pas leur temps : ellesn’ont pas d’enfant et leur compagnon ouconjoint n’a pas d’exigence temporelle,notamment parce qu'il partage avec ellesle fait de travailler beaucoup. Elles tra-vaillent et donc résident la semaine loinde leur famille (elles racontent leur vie decélibataire pendant la semaine de travailet se permettent ainsi de rester parfoistrés tard au bureau). Dans le cas ot ellesont des enfants, ceux-ci sont désormaisgrands et dans ce cas, ils n’ont pas besoindu méme type de présence et requiérentaussi moins de temps’*. Mais dans tousles cas et surtout dés lors qu’il y a desenfants, et notamment des enfants enbas Age, elles externalisent fortement letravail domestique et éventuellementparental. Elles ont recours assez massi-vement aux services d’une femme deménage, prennent souvent leur repas endehors de leur domicile, afin de réduire letemps de course, de préparation et devaisselle..., et lorsqu’il y a des enfants,plusieurs ont eu recours, non pas aubaby-sitting, mais 4 Pembauche d’unepersonne qui s’occupe des enfants et dudomicile, pour des durées assez longueschaque jour et extensibles en soirée. Ce

16. Certaines ont ainsi affirmé que pour faire carriére, le mieux est d’avoir ses enfants tdt. lls deviennent plus autonomesrelativement tot dans la vie professionnelle de leur mére, ce qui libére cette derniére pour son déroulement de carriére. Cephénomeéne - les femmes entament leur ascension professionnelle quand les enfants sont plus autonomes - explique, pourune part, et ce, depuis longtemps, le retard de carriére des femmes cadres par rapport a leurs collegues masculins.

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Les femmes dans histoire du CNRS

systeme de garde d’enfant étendu, quisuppose des ressources financiéres et/ourelationnelles importantes, leur permetune souplesse dans leur temps de travailet les libére d’une grande partie du tra-vail domestique et parental ne conser-vant que le temps de jeu et de discussionavec leurs enfants. La mise en place d’untel systéme intervient souvent trés tétaprés la naissance et permet éventuel-lement de revenir au travail peu detemps aprés l’'accouchement.

Ce n’est pas tellement la fréquence deces récits de pratique qui surprend maislabsence totale de sentiment de culpabi-lité qui s’impose pourtant si souventsocialement ou l’inexistence de momentsde tensions avec le compagnon (toujoursformidable et exceptionnel, qui accepteleur organisation domestique et leurcarriére et qui participe aux travauxdomestiques et parentaux restants) ouavec les enfants. Deux femmes seule-ment font part de remarques de la partdu milieu familial ou amical, mais ellesrefusent de l’endosser. Pour l'une d’entreelles, il lui apparait clairement, comme ason entourage, que c’est bien 1a l’originede son divorce. Pour tenter de compren-dre cela, on peut avancer deux hypothé-ses. Ce refus de la culpabilité, malgré lestentatives pour la leur imposer, peut,dans un premier temps, étre assimilé aune stratégie de défense, au sens donnépar Christophe Dejours (1998) : c’est leseul discours sur larticulation destemps sociaux qui permette de tenir surle long terme. Mais, dans un secondtemps, on peut aussi penser qu’effecti-vement, le projet familial est soumis

avec conviction a la carriére, et qu’ellesy parviennent grace a leur socialisation,et qu’effectivement leur mari apporteun soutien qui, méme limité, est plusimportant que la moyenne sociale etapparait donc comme formidable. Deuxressources qui atténueraient le conflitde réles.

Le discours conforme

Nous venons de nous interroger sur unpremier type de discours conforme quenous avons constaté et qui porte sur lafamille et larticulation entre sphéresprofessionnelles et non professionnellespour ces femmes qui travaillent beau-coup. Mais nous avons rencontré uneautre forme de discours conforme quiporte sur la reconnaissance des compé-tences et la place des femmes au sein deinstitution.

Ainsi, la plupart des femmes rencon-trées, et notamment celles qui appar-tiennent au corps des chercheurs, nientlexistence de différences entre hom-mes et femmes dans l’institution : lescompétences des femmes sont aussireconnues que celles des hommes, lesexe ne faisant aucune différence dansla maniére d’exercer son _ travail.Certes, il y a moins de femmes qued’hommes qui accédent aux grades lesplus élevés, mais cela s’explique par lechoix d’un engagement moindre et parun manque de confiance en elles quifont qu’elles n’osent pas et ne vont pasde l’avant ; elles doutent trop de leurscapacités et n’acceptent pas toujoursles propositions qui leur sont faites.Ici, absence de femmes aux postes a

Femmes et responsabilités au CNRS : réflexions sur des récits de parcours “improbables”

responsabilité est essentiellement dueau comportement des femmes en tantquindividus et cela ne signifie pasqu'il y a une inégalité de chances, selonle sexe, dans l’organisation. Dans lecadre de ce discours basé sur le mérite,beaucoup refusent la féminisation desnoms de métiers, insistant sur le faitque, dans le cadre professionnel, ce quicompte, c’est la fonction que l’on exerceet non le sexe de la personne quioccupe le poste.

“Je ne ferais aucune différence entreles hommes et les femmes... pour lesgens qui occupent des positions équi-valentes, ils font le méme travail.J’crois que... c’est... le sexe n’a abso-lument aucune incidence sur lamaniére de faire puisque, en fait,nous sommes formatés avec notreactivité professionnelle, c’est-a-direque les gens sont interchangeables,homme, femme, quel que soit lage,Cest-a-dire qu’a un moment donné,les gens sont interchangeables.”

Elles sont tout aussi réservées quant aune politique de discrimination positiveou d’instauration de quotas : il faut lais-ser le temps au temps.

Cependant, deux chercheuses (dont uneest déléguée régionale) et les deux ITAparlent d’inégalité de chance et de trai-tement entre les hommes et les femmeset soulignent le poids des structuressociales (au sein du CNRS, mais aussien ce qui concerne les normes de sexeset les modalités de synchronisationdes temps sociaux) constituant ainsi dessources de blocages en défaveur des

femmes : moindre disponibilité tempo-relle — notamment aux moments otse construit le réseau professionnel effi-cace en termes de carriére — , moindreconfiance en elles.

Pour celles-ci, le plafond de verre estlié a ces déterminations sociales quipesent sur les femmes. Mais quelques-unes pensent qu'il résulte aussi d’uneévaluation inégalitaire du_ travailselon le sexe. I] s’agit non seulementde l’évaluation par les sections duComité national et des concours derecrutement, mais aussi de l’évalua-tion faite par ceux et celles — c’est-a-dire les femmes ayant ce type deresponsabilité contribuant a cette dis-crimination de fait — qui proposent desnoms pour les postes 4 responsabilité :ace stade, spontanément, personne nepense 4 une femme. I faut une incita-tion, ou une conscience particulié-rement éveillée sur cette question, etnotamment sur les mécanismes incons-cients qui laissent les femmes dansVoubli et qui agissent a notre insu. Carces témoignages critiques n’accusentpas linstitution de discriminationvolontaire, mais refusent de ne fairereposer que sur les individus le main-tien du plafond de verre.

On ne pense pas aux femmes parcequ’elles sont moins souvent présentesdans des réseaux professionnelsimportants, mais aussi parce qu’onanticipe une disponibilité moindre quecelle des hommes. Sur ce dernierpoint, le poids des représentationsconcernant la famille et le réle sociale-ment prescrit aux femmes demeure

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important. Pour celles qui adoptentcette lecture, il convient de sensibilisertous les acteurs pour que les femmess’autocensurent moins et pour queplus de portes leur soient ouvertes.

Lautre dimension de ce discoursconforme, relatif 4 la place des hommeset des femmes au CNRS, porte surlexistence d’un comportement de miso-gynie ordinaire, au sens ow PhilippeBataille parle de racisme ordinaire.

Pour celles qui adhérent au discoursconforme, ces comportements sont rares

elles entendent “Bonsoir messieurs”, onne les salue pas ou bien on s’adresse 4elles comme si elles étaient la secrétairede l'un des hommes ou la préposée aucafé. La séance de présentation se dou-ble alors d’une séance d’étonnement.C’est ce que décrivent les deux délé-guées régionales rencontrées :

“C’est des comportements extraordi-naires, des comportements ow quel-quun rentre dans la salle, il y a... il ya 20 messieurs et moi, c’est “Bonjourmessieurs”, cest les mains serrées deshommes et puis,

et elles n’en sontpas la cible. Toutau plus regrettent-elles l’attitude deprévention adop-tée par des collé-gues masculinssinquiétant sou-vent de leurs capa-cités a assumerleur tache.

ih

Les plus critiquessont aussi celles qui racontent avoir étécibles ou témoins de comportementsmisogynes. Les récits les plus fréquentsont trait au déroulement des réunionset aux rencontres avec des hommesavec lesquels elles ne travaillent pas auquotidien. Ces comportements semblentd’autant plus marqués que les femmesoccupent des fonctions administratives.Lors de réunions, dont elles sont desparticipantes importantes, notammentlorsqu’en tant que déléguées régionales,elles représentent le CNRS auprés desuniversités ou des conseils régionaux,

Cest-a-dire que jesuis identifiée, camest arrivé vrai-ment, hein... et trésrécemment, c’est-a-dire que je suisidentifiée immé-diatement commela secrétaire, enfinjimagine la quan-: i tité négligeable qui

va prendre desnotes parce que je suis une femme et...ca cest... cest dailleurs assez violent,hein !”

“Lorsque, souvent on arrive a desréunions, on ne se connait pas, c’est-a-dire qu’on sait quil va y avoirMonsieur, enfin le responsable ou lereprésentant de tel et tel établisse-ment, mais on ne sait pas qui est qui.Et alors cest trés amusant, la plu-part du temps, lorsque les gens arri-vent, les hommes arrivent, ils ne medisent jamais bonjour, ils pensent queje suis une secrétaire, ou la dame qui

Femmes et responsabilités au CNRS : réflexions sur des récits de parcours “improbables”

doit apporter le café et quand quel-qu'un dit “Ben tiens ! je te présenteMadame B” [elle-mémel, alors 1a, ilsont lair “Ah ! excusez moi, je vousavais pas vue”, ils m’ont marché des-sus avant, mais 1a, ils se rendenteffectivement compte que je suis 1a etdu coup ils font attention 4 moi de parma fonction.”

Bref, autant de comportements quitendent a mettre en évidence qu'ils’agit d’un univers masculin et que laprésence d’une femme y est surpre-nante. Dans ce cadre, nous avons eudeux récits d“avances” : au coursdune réunion, un interlocuteur exté-rieur au CNRS proposait un rendez-vous en téte a téte au restaurant ou aucafé a issue de la réunion par le biaisd’un petit mot. Ces comportementssont mal vécus dans la mesure ov ilss’apparentent 4 une stigmatisation lesrenvoyant a leur appartenance de sexeet a une déstabilisation de la sépara-tion entre la sphére publique et pro-fessionnelle et la sphére privée. C’estaussi le refus de les accepter dans lerole que leur fonction officielle annonce.

Cet article n’apporte pas de réponsesdéfinitives : en effet, il résulte d’uneenquéte modeste qui ressembleraitdavantage A une pré-enquéte permet-tant de préciser des questionnements.Ces réflexions et des questionnementssont a l'état de pistes. Pour les explorervéritablement et pouvoir analyserplus avant la carriére des femmes et leplafond de verre au CNRS, il convientde faire des enquétes plus vastes.

En effet, outre le fait que nous avonsrencontré peu de personnes, nous n’a-vons rencontré que des femmes, et desfemmes qui ont réussi a faire carriére.Il serait enrichissant de pouvoirrencontrer, pour comparer les discours,et éventuellement les pratiques dansle cadre d’une enquéte, non seulementpar entretiens, mais véritablement deterrain, des femmes qui ne font pascarriére et des hommes qui font ou nefont pas carriére.

Il nous semble aussi qu'il ne faudrait passeulement se limiter 4 /’Ile-de-France.Nous avons certes rencontré une per-sonne qui travaille en province, mais celane suffit pas. Cette variété géographiqueest essentielle au moins 4 deux titres :diverses enquétes montrent qu’en ce quiconcerne la recherche (au CNRS ou dansles universités) la région parisienne estplus accueillante pour les femmes. Parailleurs, compte tenu de l’enjeu de la syn-chronisation des temps sociaux, il seraitpertinent de s’‘interroger sur les différen-ces de temps de transport, d’infrastruc-tures commerciales, de restauration etde garde d’enfants.

Il faudrait travailler sur les diversessources possibles du plafond de verre etsur les inégalités hommes/femmessocialisation, synchronisation des tempssociaux, mais aussi le fonctionnementméme de linstitution CNRS. Un tel pro-jet suppose une enquéte de terrainapprofondie qui méle observations sur leterrain et entretiens longs et répétés,s’apparentant a des récits de vie.

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Légendes des photos

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1 - Gabrielle-Emilie Le Tonnelier de Breteuil, Marquise du Chatelet - Lomont (1706-1749),amie de Voltaire dont il disait “C’était un grand homme dont la seule faute était d’étre une4|)5]|6 femme”. Dés |’€ge de quinze ans, elle étudie la philosophie et se passionne pour la= physique. Elle traduit et commente les Principes mathématiques de Newton. Par ses7 || 8 travaux, elle est l’égale des savants de son temps.

© D comme Découvreuses - source Chateau de Breteuil

2 - Marie-Sophie Germain (1776-1831) est probablement la premiére femme mathématicienne. Brillanteautodidacte, c’est a l’Age de 13 ans qu’elle découvre le monde des mathématiciens par la lecture de lavie d’Archiméde. C’est sous un pseudonyme masculin qu’elle correspondra avec les grandsmathématiciens de son temps. Connue pour sa théorie des nombres premiers, elle regoit le grand prixde |’Académie des sciences de Paris en 1816.

© D comme Découvreuses

3 - Marie Curie avec sa fille Irene en 1922 dans le laboratoire Curie, a |’Institut du radium qu’elle créa en1914. Marie Curie, née le 7 novembre 1867 a Varsovie recevra deux fois le prix Nobel, celui de physiqueen 1903 et celui de chimie en 1911. Irene Joliot-Curie recevra le Nobel de chimie en 1935.

© DR

4 - Rosalind Franklin, biologiste britannique (1920-1958). Elle participe avec James Watson, FrancisCrick et Maurice Wilkins a la découverte de la structure hélicoidale de l'ADN. En 1962, quatre ans apréssa mort, ils regurent le prix Nobel de physiologie ou médecine. Dans leurs discours, ils ne firent quasimentaucune référence a Rosalind Franklin.

© D comme Découvreuses

5 et 6 - Rita Levi-Montalcini, neurologue italo-américaine, prix Nobel de physiologie ou médecineen 1986. Le 17 octobre 2001, elle honore de sa présence le CNRS, dans le cadre de la cérémonieorganisée pour le baptéme de |’auditorium Marie Curie, a l’occasion du Centenaire des prix Nobel.A 92 ans, elle participe, avec la seconde fille de Marie Curie, Eve, agée de 97 ans, a un débat avecPierre-Gilles de Gennes.

Christiane Nusslein-Volhard, biologiste allemande née en 1942 recoit le prix Nobel de physiologie oumédecine en 1995. Elle compte parmi les 10 femmes qui ont recu cette distinction - dans les matiéresscientifiques - contre 470 hommes, depuis la création du prix. Elle a accepté, avec Rita Levi-Montalcinid’apporter son témoignage de “femme modeéle” dans un film réalisé pour la Mission pour la place desfemmes au CNRS.

© CNRS Images / media 2001

7 et 8 - Catherine Bréchignac a été la premiére femme a diriger le CNRS, premier organisme frangais derecherche. Cette physicienne restera a la téte de l’organisme de 1997 a 2000.

Une autre femme lui succédera, la biologiste Genevieve Berger, jusqu’en 2003. C’est CatherineBréchignac qui a créé le Comité pour I’histoire du CNRS. C’est sous l’impulsion de Genevieve Berger, enjuillet 2001, que sera créée la Mission pour la place des femmes au CNRS.

© Catherine Bréchignac - CNRS photothéque/R.Lamoureux

© Genevieve Berger - CNRS /N. Tiget

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P. 27 - Colonne de réfrigération a boule.

UPR 9021 - Immunochimie des peptides et virus - Strasbourg© CNRS Photothéque - L. Médard

P. 29 - Mise en place d’une colonne de chromatographie sur un collecteur de fractions en vue d’une

purification de protéine.URA 1139 - Régulation de |’expression génétique chez les microorganismes — Paris© CNRS Photothéque - L. Médard

P. 33 - Test catalytique travaillant sous pression. Installation d’un réacteur a lit fixe. La réaction étudiée est

la réaction de Fischer-Tropsch qui permet de synthétiser une grande diversité de produits (alcanes,oléfines, alcools) par passage d’un mélange gazeux (CO+H2) sur un catalyseur.

ESA 8010 - Laboratoire de catalyse hétérogéne et homogeéne - Villeneuve d’Ascq

© CNRS Photothéque - R. Lamoureux

P. 39 - Séchage des plantes. Laboratoire d’extraction.

UPR 2301 - Institut de chimie des substances naturelles (ICSN) - Gif-sur-Yvette© CNRS Photothéque - P. Plailly

P. 44 - Interférométrie atomique. Partie supérieure de |’interférométre. Zone de piégeage. En mauve, la

compensation du champ terrestre, a droite, la caméra refroidie. Au centre, on distingue les bobinesdu champ quadripolaire.

UPR 3321 - Laboratoire Aimé Cotton - Orsay

© CNRS Photothéque - C. Delhaye

P. 69 - Animalerie. Préparation pour |’injection sous-cutanée de cellules tumorales dans des souris.

URA 147 - Pharmacologie moléculaire — Villejuif© CNRS Photothéque - P. Latron

P. 72 - Analyse de biopsies musculaires au Laboratoire de morphologie (FR INSERM, IRCAM et CNRS).

FR 16 - Institut fédératif de recherche sur le handicap (IFRH) - Paris© CNRS Photothéque - R. Lamoureux

P. 75 - Verrerie dans un laboratoire de chimie organique.

UPR 5301 - Centre de recherches sur les macromolécules végétales (CERMAV) - Grenoble© CNRS Photothéque - R. Lamoureux

P. 79 - Systeme d’extraction par évaporation (“évaporateur rotatif type Rtavapor Duchi”).

UPR 9021 - Immunochimie des peptides et virus - Strasbourg© CNRS Photothéque - L. Médard

P. 99 - Peintures du III° siécle aprés JC. Restauration en cours dans un tombeau de Jordanie. Injection.

URA 375 - Mosaiques, peintures, stucs : informatique en archéologie - Paris© CNRS Photothéque - A. Barbet

P. 117 - Analyse d’un modéle de glycosyltransférase.UPR 5301 - Centre de recherches sur les macromolécules végétales (CERMAV) - Grenoble© CNRS Photothéque - R. Lamoureux

P. 119 - Karnak, restauration des blocs en granit noir de la porte de la chapelle Rouge.UPR 1002 - Mission permanente a Karnak© CNRS Photothéque - A. Chene

P. 125 - Laser de puissance Luli. Chambre d’interaction.UMR 100 - Laboratoire pour I’utilisation des lasers intenses (Luli) - Palaiseau© CNRS Photothéque - D. Wallon

P. 129 - Chimie des solides a |’Institut des matériaux de Nantes. Batteries au lithium.UMR 6502 - Institut des matériaux de Nantes (IMN) - Nantes© CNRS Photothéque - L. Médard

P. 133 - Imagerie acoustique de cibles enfouies dans des sédiments marins (étude expérimentale en modéleréduit)UPR 7051 - Laboratoire de mécanique et d’acoustique (LMA) - Marseille© CNRS Photothéque - L. Médard

P. 136 - Travaux de laboratoire, collage d’ossements en provenance de charniers de Provence (peste desXVI° et XVIII° siécles), dans le cadre d’études paléomicrobiologiques.UMR 6578 - Adaptabilité humaine : biologie et culture - Marseille© CNRS Photothéque - C. Delhaye

P. 137 - Systeme temps réel de reconnaissance et d’interprétation de gestes de la langue des signesfrangaise. Les gestes sont captés par un gant numérique, reconnus automatiquement en utilisantune méthode basée sur un apprentissage et interprétés a l’aide de régles syntaxiques basées surune représentation de l’espace. Groupe IMM (Groupe Interaction et Multi-Modalités), projet ARGo :analyse et reconnaissance des gestes sémiotiques.

UPR 3251 - Laboratoire d’informatique pour la mécanique et les sciences pour l’ingénieur (Limsi) - Orsay© CNRS Photothéque - L. Médard

P. 142 - Montage des filaments sur le barillet du spectrométre de masse.URA 1758 - Géochimie et cosmochimie - Paris© CNRS Photothéque - L. Médard

P. 146 - Simulation de contréle aérien pour conception des postes du futur.URA 1775 - Laboratoire d’automatique et de mécanique industrielles et humaines (LAMIH) - Valenciennes© CNRS Photothéque - L. Médard

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A tLECOUVrEUSES

Exposition6 mars - 4 avril 2003

m

chel-Ange, A fue Michel- aay ce Paria 16

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© Aspect-crédits photos Université Paris Sud - Fondation Nobel

Affiche de l'exposition D comme Découvreuses,créée pour la premiére fois au Panthéon en mars 2002.On reconnait Marie Curie et sa fille Iréne. C'est dans le cadre de cette exposition,présentée au siége du CNRS, Campus Michel-Ange 4 Paris,a l'occasion de la Célébration internationale de la femme, qu'a été signé le 6 mars 2003l'accord-cadre sur la parité dans les sciences.

Le 6 mars 2003, au CNRS, signatured'un accord-cadre sur la parité dans les sciences

© Nicole Tiget, CNRS

le cadre de lexposition D comme Découvreuses, hommage aux femmes qui ont marqué

Tunivers scientifique, Claudie Haigneré, ministre déléguée a la Recherche et aux NouvellesTechnologies, Nicole Ameline, ministre déléguée a la Parité et 4 Kgalité professionnelle, et GenevieveBerger, directrice générale du CNRS, ont signé un accord-cadre pour promouvoir l’égalitéprofessionnelle entre les hommes et les femmes dans les carriéres scientifiques.

ST\f la veille de la célébration de la journée internationale de la femme, au siége du CNRS, dans

Dés 2001, le CNRS s’est donné une priorité : promouvoir la place des femmes dans les sciences. Encréant une structure opérationnelle, la Mission pour la place des femmes, la directrice générale a sudonner a lorganisme les moyens de sa politique.

Le CNRS est le premier EPST a mettre en place un plan daction pour un meilleur équilibre entre lesfemmes et les hommes dans la recherche.

Le chemin est long qui conduit a la parité ; trois femmes s’y sont engagées, conscientes que l’égalitérépond 4 une exigence démocratique et constitue un des facteurs du développement économique etsocial.

La signature de cet accord est la concrétisation des efforts engagés dans le domaine par les trois par-tenaires. Le temps fort en sera la création d’un réseau de correspondants parité - recherche dans lesrégions qui animera et fera vivre ces engagements, pour une meilleure égalité des chances entre lesfemmes et les hommes, pour une mixité équilibrée en sciences et en technologies.

Texte publié dans le Bulletin officiel du CNRS, n°5, mai 2003.

De gauche a droite : Nicole Ameline, ministre déléguée a la Parité et a |’Egalité professionnelle, Claudie Haigneré, ministre délé-guée a la Recherche et aux Nouvelles Technologies et Geneviéve Berger, directrice générale du CNRS, signent l’accord-cadre.

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Les femmes dans histoire du CNRS

tiennent a remercier tout particuliérement les auteur-e-s des études rassemblées

dans cet ouvrage : Ilana Léwy, Martine Sonnet, Jean-Francois Picard, EmmanuelleCospen-Gharibian, Geneviéve Faye, Ilse Costas, Londa Schiebinger, Margaret Rossiter etCatherine Nave.

UL Mission pour la place des femmes au CNRS et le Comité pour l’histoire du CNRS

Nos remerciements vont également 4 Sylvie Gisselbrecht, Jacqueline Verdiére, Betty Felenbok,Ethel Moustacchi, Annie Sainsard, Suzy Mouchet, Madeleine Foisil et Mireille Corbier, qui ontaccepté d’apporter leur témoignage dans le cadre des entretiens, ainsi qu’A Claudine Herzlichet Michelle Perrot pour leur expertise.

Enfin, nous exprimons notre gratitude tout particuliérement 4 Laurence Chavinier, VirginieDurand, Claire Giraud, Anne Piton, Laure Marry, Lydia Scher-Zembitska, ainsi qu’a toutescelles et ceux qui ont apporté leur contribution a la réalisation de cette publication.

Le lancement officiel du livre Les femmes dans l'histoire du CNRSa eu lieu le 9 mars 2004, au siége du CNRS, Campus Michel-Ange a Parisdans le cadre de la Célébration internationale de la femme.

Directeur de la publicationBernard Larrouturou, Directeur général du CNRS

Coordination scientifiqueAndré KaspiGirolamo Ramunni

Directrice de la rédactionGeneviéve Hatet-Najar

Coordination éditoriale

Caroline Guérin

Edition

Mission pour la place des femmes au CNRS

Conception graphiqueLa Selva Editions - Max Art Director

Mission pour la place des femmes au CNRS

Directrice : Geneviéve Hatet-NajarAssistante : Masha Albertini

CNRS, 3 rue Michel-Ange

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Comité pour l'histoire du CNRS

Président : André KaspiConseiller scientifique : Girolamo RamunniChargée de la communication : Caroline Guérin

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75009 Paris

Tél. : 01 55 07 83 20/15 - Fax : 01 55 07 83 13caroline.guerin@enrs-dir.frwww.cnrs.fr/ComiHistoCNRS/index.html

’admission des femmes a Végalité parfaiteserait la marque la plus sire de la civilisationet elle doublerait les forces intellectuelles du

genre humain.

Stendhal-1817

Dès la première heure de la parité en politique, le CNRS s’était donné une priorité  :  promouvoir  la  place des femmes dans les sciences. L’étude qui se concrétise à travers le présent ouvrage avait dès lors été inscrite au plan d’action de la Mission pour la place des femmes au CNRS.

 Il était temps de faire un bilan et d’interroger les historiennes et les historiens sur le rôle que les femmes scientifiques ont tenu au sein du CNRS, depuis sa création en 1939. C’est donc tout naturellement au Comité pour l’histoire du CNRS que cette étude a été confiée. Par le biais de chiffres et de statistiques, une première tentative de réflexion et d’analyse a été lancée sur ce thème. Le peu de visibilité des femmes dans les instances décisionnelles du CNRS, reflet déformé de leur réelle présence au sein de notre établissement, et l’apparition des femmes dans des domaines jusque-là plus ou moins réservés aux hommes, s’avèrent être les points cruciaux relevés dans cet ouvrage.

Les causes, très diverses, de ce que l’on peut bien appeler une certaine injustice sont analysées ici avec rigueur. Sous des angles différents, que ce soit par le biais des gender’s studies , par la sociologie,  ou  grâce  à  une  mise  en  perspective  historique,  ces approches tentent d’expliquer comment les femmes s’adaptent à un monde qui n’avait, à l’origine, pas été conçu pour elles. La juxtaposition d’autres points de vue, comme l’histoire des minorités, a permis une nouvelle appréhension du sujet.

Le 6 mars 2003, Claudie Haigneré, ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles Technologies, Nicole Ameline, ministre déléguée à la Parité et à l’Égalité professionnelle et Geneviève Berger, directrice générale du CNRS, se sont engagées pour améliorer la place des femmes dans les sciences, en signant, au siège du CNRS, un accord-cadre de coopération. Dès ma prise de fonction à la direction du CNRS, j'ai pris connaissance des termes de cet accord, dont j’ai l’intention de promouvoir les principes et de poursuivre les stratégies d’action. Le principe d'égalité des femmes et des hommes dans les recrutements et dans les carrières scientifiques répond à une exigence démocratique, et je suis convaincu qu’il constitue un facteur clé du développement du CNRS, qui trouvera son accom- plissement dans le savoir partagé des femmes et des hommes qui y travaillent. Cet ouvrage en est déjà une démonstration.

 

Je tiens à remercier le Comité pour l’histoire du CNRS ainsi que l’ensemble des auteures et auteurs de cet ouvrage pour la qualité de leur travail. C’est une excellente contribution à la valorisation de la place des femmes dans les sciences.

 

 

 

Bernard Larrouturou                           

Directeur général du CNRS

As soon as the goal of gender parity was mandated for French politics and government the CNRS set its own priority of expanding the role of women in the sciences. The present work reveals the results of a study whose findings were promptly incorporated into the CNRS action plan for its Mission to Promote the Role of Women. The time was ripe for taking stock of the role of women in the CNRS and for consulting historians on the subject of women in the CNRS since its founding in 1939. The Committee for the History of the CNRS was naturally entrusted with the task of such a study, which draws on the available statistics and other data to establish an analytic starting point for reflections on this theme. Two fundamental points emerge from this analysis: the paucity of women at the decision-making level of the CNRS masks the strong presence of women in its laboratories; and women are appearing in scientific fields once thought to be the reserve of male scientists. This study also takes a rigorous and detailed look at the diverse causes of the inarguably unjust situation of women in science. Treating the subject from several standpoints – gender studies, sociology, historical perspective – it endeavours to explain how women have adapted to a world which was not originally constructed with their participation in mind. By drawing parallels with similar questions, such as the history of ethnic minorities, the study sheds new light on the subject of the role of women in science.

On March 6, 2003, the Minister of Research and New Technologies Claudie Haigneré, the Minister for Gender Parity and Equal Job Opportunity Nicole Ameline, and the Director General of the CNRS Geneviève Berger signed a framework agreement committing them to cooperate to improve the role of women in science. At the moment I took up duties at the head of the CNRS I made a point of becoming familiar with this agreement, and I intend fully to promote its objectives and to place them at the center of plans for strategic action. The principle of equality between men and women for scientific recruiting and in scientific careers is a democratic imperative, and moreover I am convinced that it constitutes a key factor in the development of the CNRS. The present work embodies the CNRS ideal of men and women sharing knowledge. A special word of gratitude is due to the Committee for the History of the CNRS as well as to the authors of this excellent study for the quality of their labors. The result is an admirable contribution to the advancement of women in science.


Bernard Larrouturou

Director General of the CNRS

Éditorial par Bernard Larrouturou

Avant-propos : Les femmes en questions par Girolamo Ramunni

Les femmes en questions

Pourquoi un organisme de recherche comme le CNRS s’interroge-t-il sur la place des femmes dans son histoire ? La réponse, en apparence, pourrait sembler tautologique, mais en réalité, c’est un sujet bien plus vaste qui est proposé ici et qui concerne la place des femmes dans nos sociétés. En d’autres termes, c’est une manière de répondre à une demande émanant de la société. Les sciences sociales sont ainsi appelées à mener leurs investigations, à collaborer entre elles pour comprendre comment on en est arrivé à cette situation. En bref, une enquête multidisciplinaire qui projetterait une analyse de la situation actuelle sur une histoire dont les périodes peuvent être variables, s’avère nécessaire, prolongeant ainsi son questionnement tout en comparant les sociétés, ce qui permettrait en même temps de proposer une réflexion philosophique sur le sujet. Si cet ouvrage est essentiellement consacré à la situation des femmes au sein du CNRS, il ne faut pas non plus oublier que ce sujet ne se limite pas à la période contemporaine mais que, depuis des siècles et certainement depuis la révolution scientifique, il a toujours existé.

Some Women in Science

Why would a public research organisation like the CNRS take a searching look at the role of women in its own history? The answer may seem too simple, but the investigation by the CNRS into its own history is nothing more or less than its version of a vast research by contemporary society into the place and role of women. In other words, it is as a response to social demand that social scientists work together to elaborate a multidisciplinary investigation of the part played by women in the development of modern science. In fact, any analysis of the contemporary state of affairs must begin historically, extending its questions back into the past, comparing societies, and developing a philosophical reflection on the subject. If the present work is for the most part dedicated to women in the CNRS, it must be underlined that such a role is not only a contemporary phenomenon but takes its roots several centuries ago and certainly since the scientific revolution.

Girolamo Ramunni est docteur en sciences à l’université de Rome et docteur en
philosophie à l’université

de Paris I. Il est actuellement

professeur d’histoire des sciences et des

techniques à l’université Lumière -

Lyon II et rédacteur en chef de La

Revue pourl’histoire du CNRS.


Girolamo Ramunni has a PhD in science

from the University of Rome and one in

philosophy from the University of Paris I.

He is currently professor of the history of

science and technology at the University

of Lyons II as well as editor-in-chief of

La Revue pour l’histoire du CNRS.

Au début de la science moderne

Je veux nous venger, toutes tant que nous sommes, de cette indigne classe où nous rangent les hommes, de borner nos talents à des futilités et nous fermer la porte aux sublimes clartés” déclare fermement Philaminte dans Les Femmes savantes (11 mars 1672). Son programme : prouver “que de science aussi les femmes sont meublées ; qu’on peut faire comme eux des doctes assemblées…” À l’ironie de Molière, qui met en scène les débats savants de ces femmes désireuses de créer leurs propres cercles à l’imitation de ceux des hommes, répond Fontenelle dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes (1686). Le futur secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences de Paris décrit par quels arguments il a réussi à attirer la marquise de G. dans “le party de la philosophie” pour en faire la messagère d’une conception inédite du monde et d’une nouvelle sagesse. “Sur tout si elle pouvoit avoir dans sa conversation les mêmes agremens, je suis persuadé que tout le monde courroit auprès de la sagesse.” Isaac Newton n’a pas encore fait paraître son Philosophiae naturalis principia mathematica (1687) que déjà, la question de la place des femmes dans la science est posée. Molière et Fontenelle exposent deux points de vue, deux manières de voir la place de la femme pendant la période que nous

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When modern science began

“I want to take revenge for all of us, just as we are, closeted away by men, constraining our talents to useless occupations, shut away from the sublime realms of the mind.” So Philamente declares her programme in Les Femmes savantes (11 March 1672). She sets out to prove that “women have science in them as well as men; we, like them, can produce learned assemblies...” In response to Molière’s irony in thus arranging scenes of learned debate among women who seek to imitate male proceedings, Fontenelle (in his Entretiens sur la pluralité des mondes – 1686) describes how he drew the Marquise de G. into a life of philosophy. The future Perpetual Secretary of the Academy of Sciences of Paris saw his student as the messenger of a new conception of the world and a new wisdom. “If she could demonstrate the same refinement in her conversation, I am convinced that all the world would be running after wisdom”. Isaac Newton had yet to publish his Philosophiae naturalis principia mathematica (1687) and already the question of the role of women in science had been posted. Molière and Fontenelle depict two points of view or two ways of seeing women’s place in the period we have since come to call the scientific revolution. Women are by no

appelons aujourd’hui la révolution scientifique. Les femmes ne sont pas du tout absentes de l’histoire des sciences. Sans prétendre vouloir donner une liste exhaustive, il suffit de rappeler simplement que Descartes s’entretenait avec Christine, reine de Suède, qu’Émilie de Breteuil, marquise du Châtelet, traduisait Newton ou que Mme Lepaute collaborait avec Clairaut pour effectuer des calculs, premier exemple de ces femmes “calculatrices” dans les laboratoires scientifiques, bien avant l’informatique. On peut rappeler les salons du XVIIIe siècle où la présence d’une dame, la fée électricité, représentée dans toutes les gravures de l’époque, symbolisait les expériences d’électrostatique, amusement des salons et objet d’interminables discussions sur la nature de l’électricité. On connaît aussi Marie-Gaëtane Agnesi nommée professeur de mathématiques à l’université de Bologne par le pape Benoît XIV au milieu du XVIIIe siècle. La place des femmes, qui sont, certes, présentes dès le XVIIe siècle dans l’histoire des sciences, a-t-elle cependant évolué au fil du temps ? François le Lionnais a confié à Marie-Louise Dubreil-Jacotin, de l’université de Poitiers, un chapitre consacré aux “Figures de mathématiciennes” in Les Grands Courants de la pensée mathématique, paru en 1948,

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means absent from the history of science; a rapid non-exhaustive recollection of this history could not fail to point out Descartes discussing with Christine, the Queen of Sweden, or Emilie de Breteuil, the Marquise du Châtelet, translating Newton, or Mme. Lepaute working with Clairaut on calculations (an early example of “calculating” women in scientific laboratories). Mention could be made as well of a particular feminine presence in all the salons of the 18th century: the fairy of electricity symbolising the immensely popular and widely discussed experiments in electrostatics. And even a rapid tour is not complete without mention of Marie-Gaëtane Agnesi, named by Pope Benoit XIV professor of Mathematics at the University of Bologna in the middle of the XVIII century. If women clearly enjoyed some visibility in science as early as the 17th century, how then has their role developed over time? François le Lionnais invited Marie- Louise Dubreil-Jacotin of the university of Poitiers to contribute a chapter to his “Principal Developments in Mathematical Thought” (published in 1948 as part of the collection “The Scientific Humanism of Tomorrow”), a chapter devoted to “Women Mathematicians”. This contribution, and the fact of it having been solicited, can be taken as a response to the conclusions reached

Pourquoi si lentement ? Les obstacles à l’égalité des sexes dans la recherche scientifique par Ilana Löwy

Ilana Löwy est directrice de recherche à l’INSERM1. Elle est affectée au CERMES, Centre de recherche médecine, sciences, santé et société (INSERM/CNRS/EHESS2). Depuis 1998, elle est chargée de cours à l’EHESS en histoire des sciences biologiques et médicales, genre et biomédecine. Son dernier ouvrage, écrit avec Jean-Paul Gaudillière, Heredity and Infection : The History of Disease Transmission (Londres, Routledge), a été publié en 2001.

Ilana Löwy se fonde sur des travaux de gender studies très développés dans les pays anglo-saxons et sur des ouvrages récents pour faire apparaître les paradoxes d’une société qui se dit égalitaire, mais qui, dans les faits, ne permet pas aux femmes de s’impliquer autant que les hommes dans la recherche scientifique. La femme, depuis les années 1960-1970, peut devenir un sujet d’étude à part entière dans certains domaines scientifiques, mais il n’en demeure pas moins qu’en dépit du changement institutionnel qui tend à promouvoir les chercheuses, les mentalités ne changent que très lentement. Ilana Löwy tend à démontrer la difficulté rencontrée par les femmes pour s’extraire de la gangue sociale dans laquelle une société, encore fondée sur un partage des tâches peu équitable, les maintient et crée des obstacles au déroulement de leur carrière.

un livre sur l’histoire de l’exclusion des femmes de la recherche scientifique est intitulé : Le cerveau a-il un sexe ? (The mind has no sex ? Le cerveau n’a pas de sexe ?). Le titre fait allusion au fait que, pendant très longtemps, la science a postulé que le cerveau a bel et bien un sexe : masculin. Une idée semblable se profile derrière le titre d’un ouvrage français sur un sujet semblable : Le sexe du savoir. De tels titres soulignent le contraste entre l’impartialité supposée des sciences et la longue histoire de la discrimination envers les femmes. Pendant longtemps, la recherche scientifique fut perçue comme un domaine exclusivement masculin. La réalité est plus complexe. De nombreuses femmes ont participé au développement des connaissances scientifiques – fidèles collaboratrices, techniciennes efficaces, épouses, soeurs ou filles dévouées, ou même chercheuses à part entière – mais leur contribution fut occultée ou minimalisée par la suite. De ce fait et jusqu’à récemment, l’image publique des chercheurs scientifiques fut celle d’un individu de sexe masculin car “le savant” n’était jamais une savante. Le mouvement des femmes et leur entrée massive dans certaines disciplines scientifiques ont modifié cette vision. Notre société reconnaît aujourd’hui, en théorie du moins, que les hommes et les femmes ont une aptitude identique à maîtriser des connaissances nouvelles, à développer une pensée abstraite, à élaborer les hypothèses et à les vérifier, à faire des expériences, à publier des articles dans des revues savantes et à transmettre leur savoir à des collègues et des étudiants. En pratique cependant, la recherche scientifique n’est – toujours – pas un domaine où règne la parité parfaite entre les hommes et les femmes. Le sexe de la personne qui fait des expériences ou qui écrit un projet de recherche aurait-il plus d’importance que la couleur de ses yeux ? Beaucoup de travaux sur les femmes dans la recherche scientifique ont paru en langue anglaise. Depuis une trentaine d’années les études féminines (women studies), puis les études de genre (gender studies) sont intégrées dans le curriculum universitaire des pays de langue anglaise. Les étudiants de premier cycle ont souvent des cours obligatoires sur ce sujet et ceux qui se destinent à des carrières scientifiques ou médicales reçoivent des enseignements ciblés sur le sujet “genre et science”. L’institutionnalisation des études de genre se traduit en parallèle par l’existence de filières doctorales, de sources de financement et par des débouchés professionnels. Elle a encouragé des recherches centrées sur la place du “genre” – c’est-à-dire la perception sociale et culturelle du masculin et du féminin – dans le développement des sciences et des techniques. En outre, des organisations professionnelles et des fondations ont stimulé le développement des recherches sur les raisons du faible nombre des femmes dans certains domaines de la recherche scientifique. Historiens, sociologues, anthropologues, philosophes mais aussi des chercheurs en sciences expérimentales se sont intéressés aux causes et aux conséquences de la longue exclusion des femmes de la recherche scientifique.

Vu l’étendue du sujet, mon texte se focalise sur un seul aspect du sujet “femmes et science” : la place des femmes dans la recherche scientifique contemporaine. En 1999, l’historienne nord-américaine des sciences, Londa Schiebinger, a tenté de dresser le bilan de l’importance du féminisme dans le développement récent des sciences. Premier constat : la situation des femmes dans la recherche scientifique est très différente selon le pays et la discipline. La comparaison internationale révèle des résultats parfois surprenants. Ainsi, en Suède, un pays où le partage des tâches domestiques est relativement bien implanté et qui a une infrastructure efficace de prise en charge des enfants en bas âge, la proportion des chercheuses et des universitaires de haut niveau est faible et en 1996, seulement 6 % des chaires universitaires ont été occupées par des femmes. En revanche, la proportion des chercheuses est relativement élevée dans certains pays en voie de développement, tels que la Chine ou la Turquie. Des sociologues et des anthropologues ont tenté d’expliquer ces différences par les modalités de la construction des identités sexuées. En Suède, une plus grande égalité dans le partage des tâches matérielles à l’intérieur du couple, ne s’est pas traduite par un changement parallèle de construction des identités des hommes et des femmes. Les femmes continuent à porter la responsabilité principale pour le bien-être de leurs proches. Cette responsabilité est perçue comme un élément central et non négociable de l’identité féminine. Les femmes cadres supérieures ne se sentent pas plus libres de négliger leurs devoirs émotionnels et affectifs envers leur famille que des femmes ouvrières. Un diplôme d’enseignement supérieur ne donne pas le droit d’être une “mauvaise mère”, une “fille négligente” ou une “épouse indifférente”. En conséquence, les femmes suédoises consacrent une partie importante de leurs activités à la “reproduction des hommes en tant qu’êtres sociaux”. Cette asymétrie d’investissement affectif donne un avantage important au développement des carrières masculines puisque que les hommes bénéficient du concours des femmes sans obligation de réciprocité. Les femmes, dans des sociétés non occidentales, peuvent plus facilement abandonner le rôle féminin traditionnel. La perception du sexe/genre comme un élément ancré dans la structure du moi profond, que l’anthropologue

Igor Kopytoff propose, est une invention occidentale relativement récente, liée à l’affaiblissement de la tradition comme élément régulateur fondamental des relations sociales. Des sociétés ordonnées par une idéologie centrée sur les droits de l’individu ne peuvent plus concevoir un rôle social comme un élément de base de la stabilité sociale. La source de cette stabilité est donc déplacée vers des éléments perçus comme quasi immuables, comme la biologie, l’hérédité ou la psyché. En revanche, dans des cultures fondées sur l’attachement aux structures collectives et à la tradition, le genre n’est pas perçu comme une partie de l’identité profonde d’une personne, mais tient avant tout un rôle social. Les cultures africaines ou asiatiques accordent une place très importante aux occupations des individus et établissent une hiérarchie des occupations et des tâches. Une femme qui fait de la recherche et qui, de ce fait, accède à un statut élevé et rare, peut donc être perçue avant tout comme une “scientifique”. Son rôle social dominant peut affaiblir son attachement au rôle de “femme”, attitude inconcevable dans des sociétés occidentales dans lesquelles le sexe/genre est considéré comme une identité sociale immuable, indépendante des variables que sont la profession ou le statut social. Dans les pays industrialisés, la tendance générale entre 1960 et 2000 fut l’augmentation importante du nombre des femmes chercheuses. Cependant, certaines disciplines scientifiques sont restées très majoritairement masculines. C’est le cas de la science mathématique, de la physique, ou des sciences pour l’ingénieur. Les sciences de la vie et la recherche biomédicale se sont fortement féminisées. En règle générale, d’après Londa Schiebinger, l’augmentation du nombre des chercheuses n’a pas eu de conséquences visibles sur les sujets étudiés par les chercheurs. Elle cite pourtant plusieurs cas de changement dans le choix des recherches concernant une discipline particulière et qui s’intéresse de plus près au sexe féminin. C’est le cas de la primatologie qui a découvert les structures sociales des singes femelles ; de l’archéologie qui a commencé à s’intéresser sérieusement au rôle des femmes dans les sociétés archaïques ; de la biologie du développement qui s’est intéressée aux influences maternelles sur l’évolution de l’oeuf fertilisé ; et de la médecine. L’abandon récent du modèle selon lequel le “corps humain universel” est toujours masculin et l’introduction de l’obligation de tester tous les médicaments nouveaux sur les hommes et sur les femmes, reflètent aussi une attention plus grande à la spécificité des femmes. Pour Londa Schiebinger, les changements récents dans certaines disciplines scientifiques s’expliquent principalement par l’entrée massive des femmes dans un champ disciplinaire donné. Des chercheuses ont contribué à la diffusion des idées inspirées du féminisme dans certaines disciplines scientifiques. Evelyn Fox Keller propose une vision légèrement différente. Le moteur principal du changement, écrit-elle, n’est pas la présence

physique des femmes chercheures – puisque les chercheurs des deux sexes partagent les mêmes valeurs – mais le changement global des attitudes envers des femmes dans la société, introduit par le mouvement des femmes. Malgré des acquis indéniables, les carrières féminines dans la science continuent d’avoir du retard sur celles de leurs collègues masculins. En parallèle, on assiste à une surreprésentation des femmes dans des domaines et des institutions, perçus comme marginaux ou alternatifs. Une telle surreprésentation peut être perçue comme le résultat de l’exclusion des femmes des centres du pouvoir scientifique. Elle est, pourtant, souvent présentée par les intéressées elles-mêmes comme un choix délibéré de faire de la science autrement. Des femmes qui travaillent dans des institutions “parallèles” vantent les avantages de la recherche, socialement utile et relativement libre des contraintes de la compétitivité. En outre, ces lieux alternatifs ont la réputation d’être moins hiérarchiques et plus ouverts aux femmes. Des observations directes de ces sites révèlent une réalité plus complexe. Les femmes y bénéficient d’avantages réels dans leurs relations avec leurs collègues et de possibilités d’autoréalisation. En contrepartie, les salaires sont nettement plus bas, elles ont une moindre sécurité de l’emploi et un statut marginal, à l’intérieur de la communauté scientifique. Ce dernier rend plus difficile le passage à des institutions de recherche plus traditionnelles : la décision de travailler dans un circuit scientifique parallèle peut ainsi déboucher sur une voie de garage. En outre, même les lieux de travail alternatifs ne sont pas toujours dépourvus de pratiques discriminatoires. Ces institutions sont souvent dirigées par des hommes. Le discours sur l’objectif partagé peut masquer une exigence implicite d’une éthique de travail “masculine” et une impatience devant les demandes spécifiques des femmes qui peuvent, par exemple, demander des horaires plus souples. Même le circuit parallèle de la science accorde souvent une place plus importante aux chercheurs masculins. Cette tendance est encore plus prononcée dans la science “officielle”. Le mouvement féministe a inspiré, dans les années 1970 et 1980, une série de travaux sur le faible nombre des femmes dans la recherche scientifique et sur les difficultés spécifiques de celles qui ont choisi d’exercer le métier de chercheure. En 1979, le sociologue Jonathan Cole, un élève de Robert Merton, publia un livre qui affirme que l’écart entre les carrières féminines et masculines dans la science repose sur une raison très simple : la moindre qualité de la production scientifique féminine. En s’appuyant sur les investigations scientométriques, très en vogue à cette époque, Jonathan Cole a trouvé que les femmes publiaient moins et que leurs travaux étaient moins cités que ceux des hommes. Loin de refléter un préjugé anti-féminin de la science, la position inférieure des femmes démontre,

selon Jonathan Cole, que la science est juste – son livre s’intitule Fair Science –, que le lien entre le mérite et l’avancement des carrières scientifiques, postulé par Robert Merton, fonctionne très bien. Le livre de Jonathan Cole, en réaction aux accusations de discrimination sexiste, ne soutient pas, il est vrai, que les femmes sont intrinsèquement moins compétentes pour faire de la recherche que leurs collègues masculins. Jonathan Cole attribue la différence entre les carrières masculines et féminines sur le choix que font les deux sexes. Selon lui, les femmes préfèrent, en règle générale, investir plus de temps dans leur vie privée. En 1992, Jonathan Cole et sa collègue Harriet Zukerman ont proposé un point de vue très différent. Les investigations plus récentes confirment qu’en moyenne les femmes publient en effet moins souvent que les hommes. Ce fait ne reflète pourtant pas, expliquent Jonathan Cole et Harriet Zukerman, les difficultés liées à la nécessité de concilier les obligations professionnelles et familiales. La persistance de la division inégale des tâches domestiques et éducatives n’influence pas les trajectoires des chercheuses. Ni la maternité, ni le mariage, ni même le nombre des enfants et leur âge ne modifient les performances professionnelles des femmes scientifiques. Harriet Zukerman et Jonathan Cole ont même découvert que les chercheuses mères de famille publient légèrement plus que celles dégagées des obligations familiales. La différence majeure que l’on constate n’est pas entre les femmes qui ont des charges familiales et celles dépourvues de telles charges,mais entre les chercheurs du sexe masculin et du sexe féminin. Comment l’expliquer ? Si on laisse de coté l’hypothèse qu’en fin de compte le cerveau a un sexe, que les hommes ont une aptitude innée plus grande pour la recherche, il faut chercher l’explication des différences entre les chercheurs, hommes et femmes, dans la structure de la recherche scientifique et dans le fonctionnement de la société en général. Jonathan Cole et Robert Fiorentine discutent ainsi l’effet potentiel des pressions différentes exercées sur les hommes et les femmes. Notre culture sanctionne plus sévèrement l’absence de succès professionnel et financier des hommes. D’où leur persévérance plus grande face aux obstacles et une attention plus élevée aux critères externes du succès. Les femmes sont moins soumises à ce type de pressions. Elles peuvent plus facilement choisir la famille ou la vie privée comme un champ d’investissement principal ou, alternativement, comme un lieu parallèle de validation de leur réussite. De ce fait, une étude focalisée sur les femmes dans la recherche scientifique est nécessairement biaisée puisqu’elle rend invisibles celles qui ont abandonné la poursuite d’une carrière scientifique. La moindre importance de la réussite formelle pour les femmes peut les inciter à choisir des stratégies de recherche différentes de celles adoptées par les hommes et attribuer une moindre importance à la quantité de leurs publications.

Autre raison évoquée par les sociologues pour expliquer le fait que les femmes publient moins : la persistance des attitudes discriminatoires. Des recherches récentes indiquent que ces attitudes n’ont pas disparu. Elles ont seulement changé de nature. La discrimination ouverte, fréquente dans les années 1950 et 1960, fut remplacée par des mécanismes plus subtils et souvent involontaires. Mary Frank Fox a comparé l’accès aux ressources des hommes et des femmes qui travaillent dans le même département, sur des sujets proches. Elle a constaté des différences importantes dans l’attribution des ressources. Les hommes ont plus de chances d’obtenir des financements et un soutien institutionnel principalement grâce à leur meilleure insertion dans des réseaux informels qui gèrent ces ressources, un plus grand soutien de la part de leurs supérieurs hiérarchiques, une socialisation qui les prépare mieux à faire des demandes précises et leur permet d’avoir une plus grande confiance dans leur capacité à obtenir ce qu’ils considèrent comme un dû. En outre, les femmes, perçues comme moins aptes aux tâches de commandement, accèdent plus rarement et plus lentement aux postes de direction de la recherche. Or, ces postes permettent à ceux qui les occupent de signer toutes les publications d’un groupe ou d’un laboratoire. Ils augmentent de ce fait d’une manière considérable le nombre des articles dont ils sont co-auteurs et ainsi, leur rang dans l’index des citations scientifiques. Dans un article sur un phénomène que Robert Merton a baptisé “l’effet Mathieu”, celui-ci soutient qu’une quantité disproportionnée de ressources disponibles, ainsi que la visibilité publique et la reconnaissance par le milieu, va aux scientifiques qui ont déjà acquis la notoriété dans un domaine donné (une variante du proverbe “on ne prête qu’aux riches”). L’historienne des sciences Margaret Rossiter reprend cet argument, pour indiquer que les femmes sont souvent victimes d’un processus inverse, qu’elle a nommé “l’effet Mathilde”. Moins bien insérées dans les réseaux, confrontées à des attentes moindres de la part de leurs supérieurs hiérarchiques et de leurs collègues, la valeur de leurs contributions pourrait être minimalisée. Ce qui agit sur leur accès aux ressources et sur le déroulement de leur carrière. Une contribution faite par un homme, explique Margaret Rossiter, est perçue d’une manière non problématique comme l’expression de son talent et de ses capacités. La contribution d’une femme reçoit souvent des qualificatifs supplémentaires.

Pour paraphraser l’écrivaine féministe Joanna Russ : “elle ne l’a pas fait, elle l’a fait, mais elle n’aurait pas dû le faire, elle le fait, mais vous voyez bien ce qu’elle a fait, elle l’a fait, mais une fois seulement, elle l’a fait, mais ce n’est pas vraiment de la science, et elle n’est pas un vrai chercheur, elle l’a fait, mais elle avait de l’aide, elle l’a fait, mais elle est une anomalie, elle l’a fait, MAIS…” 

La perception différentielle du travail fourni par les hommes et les femmes a été étudiée plus récemment par la sociopsychologue Virginia Valin. Son livre Pourquoi si lentement, part du constat qu’à partir des années 1970, la parité hommes / femmes au niveau de l’entrée dans la profession fut établie dans de nombreux domaines de recherche, telles les sciences humaines et sociales ou les sciences de la vie. La conséquence logique aurait dû être l’élargissement graduel d’une telle parité à tous les échelons de la carrière universitaire ou scientifique. Trente ans plus tard, on s’aperçoit qu’il n’en est rien. Les sommets de la hiérarchie professionnelle reflètent toujours une forte prédominance masculine. Les femmes sont surreprésentées au bas de l’échelle et dans les postes sans stabilité d’emploi. D’où la question : pourquoi si lentement ?. Les recherches de Virginia Valin confirment qu’à la fin des années 1990, le sexe de la personne qui accomplit un travail donné, continue à influencer la manière dont on évalue son travail. Les “schémas du genre”, c’est-à-dire les attentes – souvent inconscientes – qu’un homme ou une femme se comporte d’une manière prédéterminée, colorent d’une manière permanente notre façon de juger les actions des individus. L’adhésion, aussi sincère soit-elle, aux principes de l’égalité et à l’ethos de l’objectivité scientifique ne suffit point à éliminer le biais introduit dans les milieux de la recherche par des perceptions distinctes des performances masculines et féminines. Par ailleurs, la plupart des chercheurs aspirent sincèrement à une évaluation objective des performances de leurs collègues et adhèrent pleinement au principe de l’égalité des sexes. De ce fait, le biais induit inconsciemment les “schémas du genre” qui s’expriment le plus souvent par des différences subtiles et quasi imperceptibles de l’attitude. On ne relèvera pas, par exemple, une suggestion proposée par une femme, ou encore, aura-t-on tendance à percevoir le travail d’un homme plutôt comme “brillant” et celui d’une femme plutôt comme “appliqué”. Ces petites différences d’attitude peuvent avoir des effets cumulatifs importants sur la perception de leurs collègues concernant les contributions des chercheuses, mais aussi sur l’image qu’elles se forment de leurs capacités propres. À la longue, elles peuvent stimuler la tendance des femmes à s’autolimiter et à renoncer à certaines aspirations.

La culture de la science, d’après la biophysicienne et historienne des sciences Evelyn Fox Keller, est dominée par des attitudes qu’on pourrait décrire comme masculines et même “macho” : la valorisation de l’agressivité, de la compétitivité, des hiérarchies rigides. Les femmes, qui tentent de devenir chercheuses, acceptent cette culture comme la seule possible. Elles ont intériorisé l’idée que pour devenir une scientifique à part entière, il leur faut se transformer en “un des gars” (one of the boys) et adopter pleinement la sousculture du milieu scientifique, y compris dans ses aspects misogynes. Une femme qui aspirerait à une carrière scientifique, notamment dans des disciplines comme la physique théorique ou les sciences pour l’ingénieur dominées par une forte culture masculine, devrait donc fournir un effort supplémentaire d’assimilation et d’autotransformation. Cependant, un tel processus implique la suppression d’une partie de son identité profonde. Il a un coût psychique considérable. Le membre d’un groupe opprimé, qui tente d’assimiler une culture dominante et hostile (par exemple, un Noir américain qui essaye de s’intégrer pleinement dans la société blanche), doit faire un effort supplémentaire pour se débarrasser d’une part importante de son identité d’origine. Il doit donc se faire violence à lui-même, un processus d’automutilation qui laisse souvent des cicatrices handicapantes. Pour cette raison, une femme qui tente de faire son chemin dans une culture scientifique masculine et essaie d’atteindre le même niveau de performances que les hommes de son milieu, doit posséder au départ un “surplus” de capacités. On peut, en suivant Mary Frank Fox et Virginia Valin, élargir la métaphore des “cicatrices handicapantes” à la totalité de la trajectoire des femmes scientifiques. Les difficultés des chercheuses ne sont pas limitées au début de carrière.De nombreuses femmes continuent à accumuler des (petits) désavantages tout le long de leur trajectoire : attentes légèrement diminuées des parents et des enseignants, un peu moins d’encouragements de la part des collègues et des supérieurs hiérarchiques, une manière subtilement différente d’évaluer le travail accompli, un avancement plus lent. Elles doivent, en parallèle, faire face à des difficultés plus grandes pour concilier travail, vie de couple et responsabilités familiales. Toutes les femmes ne rencontrent pas l’ensemble de ces obstacles. Certaines, particulièrement chanceuses, ne se heurtent à aucun. D’autres femmes sont suffisamment motivées pour surmonter toutes les difficultés ou arrivent même à se servir de certains contretemps comme tremplin pour avancer. D’où les carrières impressionnantes de certaines chercheuses. En moyenne, cependant, les femmes rencontrent plus de difficultés dans leur carrière scientifique que les hommes.L’accumulation graduelle des cicatrices, aussi petites soientelles, peut produire des effets importants en bout de parcours. Il n’est pas nécessaire de chercher des incidents majeurs et des événements dramatiques pour expliquer “pourquoi si lentement ?”. L’usure du quotidien peut amplement suffire. Dans des professions mixtes qui cultivent une idéologie d’avancement grâce au mérite (les professions libérales, les cadres

et certaines professions techniques), toutes les femmes qui tentent une percée professionnelle se heurtent à de nombreux obstacles. La question “pourquoi si lentement ?” est également valable pour les hauts fonctionnaires ou pour les cadres d’entreprise. La science est cependant perçue comme une activité unique ou une profession parmi d’autres. De ce fait, les sociologues de la science ont eu tendance à se focaliser, quasi exclusivement, sur les éléments spécifiques à la science comme la structure normative de la recherche, les codes qui organisent la collaboration et la compétition, l’importance centrale accordée à la nouveauté ou le rôle de la circulation des résultats. En conséquence, les études sur les femmes dans la recherche scientifique accordent une grande place aux tentatives qui examinent les liens entre performances individuelles (mesurées par le nombre des publications ou l’index des citations scientifiques) et les récompenses attribuées pour ces performances. Une telle vision, d’après le sociologue William Bielby, tend à gommer le fait que la recherche scientifique contemporaine est avant tout une entreprise. Or, il est bien connu que les femmes rencontrent de grandes difficultés pour arriver au sommet de la hiérarchie des grandes entreprises publiques et privées. Si on veut véritablement comprendre les raisons des difficultés des chercheuses, il serait souhaitable, dit William Bielby, de s’intéresser un peu moins à la singularité de la recherche scientifique et un peu plus aux caractéristiques partagées par les grands organismes de la recherche et d’autres grandes entreprises. Il serait intéressant d’étudier l’offre et la demande sur le marché du travail universitaire, la division du travail dans les laboratoires, l’importance accordée à la perception des aptitudes des individus au commandement et aux tâches de gestion ainsi que les restrictions imposées par l’environnement économique et social29. Dans de nombreuses professions, le sexe d’un individu définit, dans une grande mesure, la nature des tâches accomplies par cet individu. Contrairement aux idées reçues, la ségrégation du marché du travail selon le sexe a peu changé au cours du XXe siècle. L’entrée massive des femmes sur le marché du travail à partir des années 1960 n’a pas modifié cette ségrégation : les femmes continuent d’être employées dans des métiers et des professions (santé, éducation, services) à forte dominante féminine30. Certaines se retrouvent cependant dans des professions “mixtes”, dans lesquelles le sexe de la personne ne devrait pas, en principe du moins, avoir d’effets sur l’évaluation de la performance professionnelle. Néanmoins, le genre continue à peser sur les trajectoires individuelles. Les difficultés des femmes dans ces professions “mixtes” sont souvent liées, selon les sociologues et les anthropologues, aux rapports quotidiens entre les hommes et les femmes qui travaillent ensemble. D’où l’intérêt des recherches qui étudient les micro-mécanismes du pouvoir et le rôle de la féminité et de masculinité, la “production du genre” (doing gender) dans un lieu de travail donné. De nombreuses études sur le travail féminin ont été consacrées aux modalités,

souvent subtiles, de l’introduction des “schémas du genre” dans des lieux de travail ordonnés par l’idéologie fondée sur la reconnaissance du mérite, notamment dans le cas des professions libérales. Ces recherches illustrent la contradiction fréquente entre la perception d’un individu comme “femme” et comme “professionnel compétent”. Des chercheuses nord-américaines ont étudié des firmes d’avocats et mis en évidence la tension entre des traits supposés féminins et ceux qui sont valorisés chez un avocat de haut niveau. L’agressivité, le goût de la bagarre sont perçus comme des avantages chez l’homme. Ces mêmes traits risquent fort d’être critiqués chez une femme. En parallèle, les hommes avocats supportent plus difficilement un échec professionnel si leur adversaire est une femme et ressentent davantage les succès féminins. Une telle application des “schémas du genre”, couplée avec le fait que la majorité des cabinets d’avocats importants sont dirigés par des hommes, rend plus difficile la collaboration harmonieuse entre associés des deux sexes. Les femmes qui aspirent à une carrière au sein d’un cabinet d’avocats adoptent souvent des stratégies professionnelles qui minimalisent le conflit entre leur identité d’“avocat” et celle de “femme”, par exemple, la spécialisation dans les tâches de médiation et de conciliation ou l’acceptation de positions intermédiaires à moindre visibilité. Ces stratégies professionnelles peuvent aider les avocates à trouver un modus vivendi convenable avec leurs collègues masculins et peuvent rendre plus agréables leurs conditions de travail. Cela permet aux femmes de trouver des “niches”, dans lesquelles elles peuvent développer leurs talents professionnels. En même temps, l’acceptation implicite de la reproduction des “schémas du genre” à l’intérieur des cabinets d’avocats contribue activement à la reproduction d’un système qui subordonne les femmes aux hommes31. Des recherches sur les chirurgiennes et sur les femmes agentes boursières ont abouti à des conclusions semblables.Dans ces métiers aussi, des traits supposés “féminins” ne s’accordent pas bien avec les qualités considérées nécessaires pour arriver au sommet de la profession. De ce fait, de nombreuses femmes sont soumises en permanence à des pressions contradictoires : adopter un comportement perçu comme masculin et rester fidèles à leurs qualités féminines. Ces pressions sont rarement verbalisées explicitement, mais elles influencent le comportement quotidien sur le lieu de travail. Les femmes sont plus souvent critiquées ou ignorées que leurs collègues masculins. Elles sont aussi occasionnellement soumises au harcèlement sexuel “en douceur”. Leurs collègues masculins leur font des remarques qui les renvoient à leur sexualité. Ces remarques sont souvent déguisées en blagues supposées inoffensives32. Certaines femmes cadres réussissent à percer professionnellement grâce à l’adoption d’un style dominant, c’est-à-dire masculin, sur leur lieu de travail. D’autres, plus nombreuses, tentent de développer des stratégies qui ont pour but de minimaliser les tensions entre identité sexuée et identité professionnelle. Une femme peut ainsi devenir l’aide et la protégée d’un homme puissant, se spécialiser dans

un domaine perçu comme peu compétitif, relativement marginal ou plus “féminin”, ou encore travailler avec d’autres femmes dans une filière protégée à l’intérieur de la profession. De telles stratégies peuvent conduire à un succès professionnel. En moyenne cependant, les carrières des femmes continuent à avancer moins vite que celles de leurs collègues masculins et plus de femmes que d’hommes préfèrent modifier leurs choix professionnels à miparcours. Les chercheuses sont des professionnelles et des cadres mais elles ne sont pas que cela. Les chercheurs, bien plus que les fonctionnaires, les cadres d’entreprise ou les professions libérales, mettent l’accent sur l’importance du talent, de l’originalité et sur la créativité dans leur travail. En outre, la science se réclame de valeurs spécifiques : la rationalité, l’objectivité, la recherche de l’exactitude et de la précision, l’esprit critique et le sens de la communauté. Ces valeurs sont mises au service d’un but partagé : une meilleure compréhension des phénomènes naturels. La majorité des chercheurs sont conscients du fait qu’une telle image de la science ne correspond pas toujours à la réalité, mais cette vision idéalisée est essentielle pour le bon fonctionnement de la recherche scientifique. Les chercheurs des deux sexes adhèrent aux mêmes idéaux et aux mêmes valeurs et partagent souvent une perception très positive de leur profession. Cette perception est renforcée par la conviction, également partagée par de très nombreux chercheurs des deux sexes, que, de nos jours, la discrimination à l’encontre des chercheuses appartient à un passé révolu. Des cas isolés de discrimination existent certes, et certains chercheurs masculins ont conservé des attitudes antédiluviennes. Ils sont cependant rares. La contradiction entre les identités “femme” et “chercheur”, déclare Evelyn Fox Keller, n’existe plus. La question “pourquoi si lentement ?” va dans le même sens. Elle présuppose l’existence d’un processus à direction unique qui mène inexorablement à une égalité totale entre chercheurs hommes et femmes. L’égalité n’est pas encore acquise mais de nombreuses personnes considèrent que les récents changements sont irréversibles et que les développements futurs continueront d’être façonnés par des pressions égalitaires.L’histoire du XXe siècle peut nous inviter à une plus grande prudence. Elle rend moins certaine la notion de “sens unique de l’histoire”, met en évidence l’instabilité de certains acquis, tels la démocratie ou les droits de l’homme, et indique qu’un retour en arrière reste toujours du domaine du possible. Les études sur les femmes dans la recherche scientifique peuvent être lues dans cette optique. Au-delà des indications spécifiques sur les difficultés rencontrées par les femmes, ces études rendent bien visible l’ampleur des obstacles concernant une véritable parité entre les sexes dans la recherche. Elles mettent en évidence la fragilité relative du statut des chercheuses, leur dépendance à l’égard des facteurs conjecturaux, comme la situation économique ou politique, et les incertitudes qui pèsent sur l’avenir.

Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ? par Martine Sonnet

Martine Sonnet est Docteure en histoire (EHESS, 1983). Elle a publié sa thèse portant sur l’éducation des filles au temps des Lumières (Paris, Cerf, 1987). Chercheuse au service d’histoire de l’éducation de l’INRP (Institut national de la recherche pédagogique) de 1981 à 1989, elle est, depuis 1995, ingénieure de recherche à l’IHMC (Institut d’histoire moderne et contemporaine) et responsable de la Bibliographie annuelle de l’histoire de France (Paris, CNRS ÉDITIONS). Elle est l’auteure de nombreux articles et a collaboré à des ouvrages collectifs sur l’histoire des femmes et de la famille. Martine Sonnet est membre, entre autres, de l’Association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre (Mnemosyne).

Grâce à une étude statistique percutante, Martine Sonnet dresse,
toutes catégories confondues et dans une perspective historique,

un tableau précis de l’évolution de la présence des femmes au CNRS.

Ses analyses permettent de confirmer la présence marquée des femmes

dans certains domaines de recherche comme les sciences de la vie ou

les sciences humaines, mais constate aussi une réelle évolution dans

des secteurs jusque-là traditionnellement masculins. Leur faible présence

au sein du Comité national de la recherche scientifique, les rares médailles

qui leur sont attribuées peuvent permettre d’engager une réflexion sur la

visibilité des chercheuses au CNRS.

Tenter de dénombrer les femmes passées par le CNRS depuis 1939 conduit à des rencontres étonnantes : Madeleine Colani et Jeanne Duportal, doyennes incontestables du personnel féminin du CNRS, sont nées toutes les deux sous le second Empire en 1866 ! Les carrières de ces deux chercheuses remarquables sont emblématiques, d’une part de l’ancienneté de la présence féminine dans la recherche et, d’autre part, de la variété des activités auxquelles se livrent les scientifiques du deuxième sexe : Madeleine Colani arpente l’Indochine et en gratte le sol, en quête de traces géologiques et préhistoriques ; Jeanne Duportal, quant à elle, explore les fonds d’estampes des bibliothèques parisiennes et rédige les fiches descriptives des gravures à sujets historiques. La Caisse, puis le Centre national de la recherche scientifique rémunèrent l’une et l’autre, bien au-delà de l’âge qui pourrait sembler celui d’une retraite raisonnable : 75 ans passés pour la géologue et préhistorienne, 80 ans passés pour l’iconographe. Les femmes sont évidemment présentes dès les prémices de la Caisse, en 1930, puis au Centre national de la recherche scientifique en 1939. Il suffit de rappeler le soutien de Marie Curie aux démarches du prix Nobel de physique 1926, Jean Perrin, initiateur de la Caisse nationale des sciences dès 1930, puis du coup de pouce de Léon Blum décidant en même temps, en juin 1936, d’introduire des femmes au gouvernement et de créer un sous-secrétariat d’État à la Recherche. Léon Blum fait d’une pierre deux coups : il confie le jeune sous-secrétariat d’État à Irène Joliot-Curie, qui vient d’obtenir avec son époux, Frédéric Joliot, le prix Nobel de physique en 1935. La fille de Pierre et Marie Curie ne fait que passer, du 5 juin au 28 septembre 1936, et plutôt à contre-coeur, dans la fonction ministérielle (Jean Perrin lui succède), mais l’image est forte et la présence des femmes dans la recherche est affirmée au plus haut niveau en ces temps de genèse de l’institution. Si les femmes sont là, combien sontelles ? Tenter de les compter, selon les périodes considérées, conduit à mobiliser une documentation particulièrement variée et éparpillée, plus ou moins soucieuse de différenciation sexuelle selon les périodes considérées. Signe des

temps, c’est au début des années 1970 seulement que les services centraux du CNRS produisent des statistiques sur le personnel incluant la distinction hommes/femmes : l’esprit féministe post-soixante-huitard est passé par là. Les pyramides des âges établies entre 1972 et 1977 par le Bureau du tableau de bord et des statistiques, dépendant de la Direction de l’informatique et de la gestion, nourriront la première étude critique sur la question. Dans les années 1980, la préoccupation statistique sexuée régresse, pour renaître en 1990 avec le Bilan social annuel, véritable radiographie des effectifs présents au 31 décembre. En faisant flèche de tout bois documentaire et archivistique pour la période 1939-1970, puis en recourant aux statistiques plus aisément accessibles pour les trente dernières années, il est possible d’observer la présence globale des femmes au CNRS depuis sa création, en privilégiant cinq temps ou points forts : la première génération féminine du CNRS mérite au moins une esquisse de portrait collectif ; pour celles qui lui ont succédé, après 1945 et surtout de 1970 à nos jours, la double approche par statuts (chercheuses, ingénieures, administratives et techniciennes) et par disciplines (selon les départements scientifiques) sera choisie, croisée avec celle des responsabilités assumées. Deux gros plans, l’un sur la présence féminine au sein du Comité national de la recherche scientifique et l’autre sur la part des distinctions – Médailles d’Or, d’Argent et de Bronze pour les chercheurs et le Cristal pour les ITA – attribuées à des femmes depuis leur création, complèteront le tableau.

Premières générations

Madeleine Colani et Jeanne Duportal, pour pittoresques qu’elles soient, ne sont pas exceptionnelles : les dossiers de carrière conservés dans le fonds des archives du CNRS à Gif-sur-Yvette recèlent 69 dossiers concernant des chercheuses nées avant 1900 soit 69 dossiers pour une population sans doute un peu plus importante. La cohorte des “grandes anciennes”, premières bénéficiaires des subsides dispensés par la Caisse nationale de la recherche scientifique, croise celle des travailleuses concernées par le recensement du personnel scientifique et universitaire, en vue de la mobilisation scientifique qui a lieu à partir d’octobre 1938. Les scientifiques et universitaires – hors sciences humaines – remplissent alors des fiches individuelles, avec état-civil, cursus et fonctions, ainsi que la situation militaire pour les hommes, pour une éventuelle affectation dans l’un des 140 laboratoires mobilisés et planifiés par le CNRS. Près de 4 000 fiches disponibles, contribuent à donner un état des lieux de l’emploi scientifique et universitaire, féminin et masculin, entre 1938 et 1939.

Les “grandes anciennes”

Du côté des “grandes anciennes”, nées au XIXe siècle, sans explorer systématiquement les dossiers de carrière – ce qui conduirait au-delà des limites de cette étude –, quelques traits démographiques et professionnels sont à souligner. Parmi les 69 chercheuses identifiées, 4 sont

nées entre 1866 et 1879, 15 entre 1880 et 1889, 50 entre 1890 et 1899 : elles sont donc massivement trentenaires quand la Caisse nationale est susceptible de rétribuer leurs travaux. Pour ces chercheuses de première génération, science et mariage ne font pas bon ménage : 25 sur 69 seulement convolent en justes noces. Le fort taux de célibat observé – 63,8 % – rejoint logiquement celui observé chez les professeures – 68 % en 1923, 63 % en 19388 – et plus généralement chez les femmes plus diplômées que la moyenne. Pour les chercheuses du CNRS, le phénomène, certes atténué dans ses proportions, sera encore relevé dans une enquête syndicale publiée en 1981 : 18 % de célibataires, mais 35 % parmi les femmes maîtres de recherche, quand la moyenne féminine nationale s’établit à 10 %9. Si parmi les 69 chercheuses nées avant 1900, seule Irène Joliot-Curie a les honneurs du Dictionary of Scientific Biography10 – Jeanne Duportal en 1929 et Madeleine Colani en 1937 seront faites chevalières de la Légion d’honneur – 48 (soit 69,6 %) sont auteures de publications répertoriées au catalogue de la Bibliothèque nationale de France11 : leur activité a donc été productive et de notoriété publique. Leurs oeuvres repérables comptent des thèses, des ouvrages et des tirés à part d’articles de revues. Seuls les articles ayant fait l’objet de tirés à part étant enregistrés au catalogue de la BnF, la production réelle des doyennes de la recherche est sans doute plus fournie. Les 21 thèses ont été soutenues à des âges allant de 27 ans (en science politique et économique) à 52 ans (en sciences naturelles) ; l’âge moyen de soutenance, relativement élevé, s’établit à 36 ans et 10 mois et la moitié des impétrantes ont entre 35 et 40 ans. Les 50 “grandes anciennes” dont l’appartenance disciplinaire est connue incarnent déjà la féminisation accentuée, toujours de mise, des deux secteurs des sciences de la vie et des sciences humaines : 26 (la moitié) se consacrent aux sciences de la vie (biologie principalement), 11 aux sciences humaines (dans toute la gamme), 9 à la physique/chimie, 4 aux sciences de la terre et de l’univers (géologie).

Des femmes mobilisables

Avec l’enquête sur le personnel scientifique et universitaire de 1938-1939, une deuxième catégorie de population féminine se dessine, regroupée non plus sur un critère de dates de naissance (avant 1900) et de fonction (chercheuse), mais sur le fait d’avoir été rétribuée par le CNRS en un temps T, soit l’année universitaire 1938- 1939. Le groupe s’élargit aux aides-techniques (ancêtres des ITA, à l’exclusion des pures administratives) sans inclure cependant les représentantes des sciences humaines. Les fiches personnelles permettant de faire connaissance d’une part, et l’enquête sur les laboratoires12 permettant d’en apprendre un peu plus sur les conditions de travail d’autre part, facilitent l’étude de cette population. Le comptage et l’étude des fiches de mobilisation scientifique, exhaustif pour les femmes recensées au titre du CNRS et partiel13 pour les autres femmes (universitaires) et pour les hommes, permet

d’estimer la répartition par sexe et par appartenance institutionnelle du personnel scientifique en France en 1938- 1939. Selon cette enquête, – avec 94 femmes CNRS – la part féminine dans le personnel scientifique du Centre s’établit à 25,6 % dès cette période. Si l’on rapproche ce taux à celui des 30,3 % de chercheuses dénombrées en 200014, il apparaît incontestable que la situation de départ, relativement favorable, n’a pas engendré de dynamique de féminisation massive, comme l’enseignement secondaire, par exemple15, en a connue. La progression de l’accès des femmes aux diplômes de l’enseignement supérieur, et donc la constitution d’un vivier de recrutement, n’est pas même reflétée dans ces chiffres. Cette stagnation régressive, que d’autres données préciseront, mérite d’être soulignée dès maintenant. En 1938-1939 – femmes et hommes confondus – le CNRS ne compterait,d’après les fiches conservées, que pour 9,2 %16 de la population scientifique susceptible de mobilisation. Il abrite 16,9 % des femmes, mais seulement 7,9 % des hommes recensés : la distorsion du simple au double révèle la séduction beaucoup plus forte des sirènes – et des salaires – de l’Université auprès d’eux, quand leurs collègues féminines se débrouillent avec les bourses octroyées par le CNRS et les aléas d’un système proche du mécénat17. L’introduction du salariat, avec des rémunérations assimilées à celles de l’enseignement supérieur, pour les chercheurs du CNRS, n’interviendra qu’en 194518. Le statut précis connu de 83 des 94 femmes les répartit en 42 boursières (soit la moitié de l’effectif), 21 aidestechniques (le quart), 14 chargées de recherche et 6 de statuts différents. Deux femmes se distinguent par leurs titres : Nine Choucroun19, maître de recherche en biologie, et Renée Canavaggia, chef de travaux en astrophysique ; toutes les deux deviendront directrices de recherche.

Profils

Les âges connus de 79 femmes CNRS sur 94 ouvrent un très large éventail : nées entre 1866 et 1920, elles ont de 19 à 73 ans, avec un âge moyen de 36 ans, mais plus de la moitié ont entre 24 et 34 ans (41 sur 79, soit 51,9 %). Cette population, un peu âgée pour un organisme naissant, où l’effet ancienneté ne pèse donc pas sur l’âge moyen, est cependant beaucoup plus jeune que celle présente aujourd’hui dans l’organisme. En 2000, les femmes (chercheuses et ITA) ont 46 ans et 4 mois en moyenne et la tranche des 25/34 ans ne réunit plus que 15,4 % du personnel féminin20. L’âge moyen global de 36 ans en 1938-1939 se décline selon les statuts : les chargées de recherche, les plus installées dans le métier, ont 41 ans et 11 mois en moyenne (pour une pyramide de 28 à 73 ans) ; les boursières ont 32 ans en moyenne (de 19 à 47 ans), les aides-techniques ont 27 ans et 6 mois en moyenne (de 19 à 53 ans). Les 6 femmes aux statuts rares ont 43 ans en moyenne (de 25 à 61 ans). La femme “type” travaillant au CNRS en 1938-1939 serait donc une boursière de 32 ans, célibataire, puisque le célibat reste le lot commun des scientifiques mobilisables du deuxième sexe : 49 femmes sur 76,

dont le sort matrimonial en 1938-1939 est connu (soit 64,5 %), le partagent. Ce taux varie évidemment avec l’âge, de 90 % pour les moins de 25 ans à 55 % pour les plus de 35, en passant par 65,8 % pour les 24-34 ans, soit la moitié de notre population. Les mariages sont plus rares et tardifs ici que pour l’ensemble des générations féminines contemporaines qui convolent alors entre 23 et 24 ans21. Les 23 épouses (30,3 %) n’ont pas – ou pas encore – d’enfants pour la moitié d’entre elles (11), 8 sont mères d’un seul enfant, 2 en ont 2 et 2 en ont 322. Le personnel féminin du CNRS ne compte alors que 17,1 % de mères de famille (12 épouses et une divorcée avec un enfant). La faible natalité observée dans le milieu sera encore évoquée dans l’enquête syndicale de 198123. Pour être exhaustif concernant l’état-civil, il reste à mentionner la présence de trois divorcées, d’une veuve, de deux pupilles de la nation (une boursière et une aide-technique) et d’une (autre) orpheline (aide-technique). Enfin, parmi les quelques personnels de service rencontrés, non comptabilisés ici, la présence d’une “fille-mère” est spécifiée. Les 73 lieux de naissance déclarés attestent un recrutement bien ouvert sur la province et hors de l’hexagone : 32 femmes (soit 44 %) sont natives des régions pour 26 Parisiennes et très proches banlieusardes (35,6 %) ; 9 sont nées à l’étranger (Russie – 3 –, Égypte – 2 –, Roumanie, Grèce, Pologne et États-Unis) et 5 en France d’Outre-Mer (Algérie – 2 –, Guyane, Martinique et Indochine). Le cosmopolitisme de l’institution, dès sa création, est déjà globalement connu et se confirme pour ce qui concerne la population féminine. L’exigence de la nationalité française pour accéder aux carrières u n i v e r s i t a i r e s conduit les scientifiques étrangers, fraîchement arrivés dans le pays, à se tourner, au moins le temps d’une éventuelle naturalisation, vers les bourses de la Caisse puis celles du CNRS24. Dans le petit monde des femmes aidestechniques, les origines géographiques se resserrent sur la capitale (9 sur 16, avec 4 provinciales, 2 étrangères et une native de l’Outre-Mer). Pour ces fonctions, accessibles sans obligation de passer par les bancs des facultés, un recrutement “de voisinage” et donc parisien, est plus aisé. Cursus et disciplines Plus de la moitié des femmes chercheuses en 1938-1939 sont docteures (33 thèses pour 62, soit 53,2 %). La consultation du catalogue de la Bibliothèque nationale de France permet de retrouver les dates de 27 de ces thèses, et d’en déduire l’âge de soutenance : 31 ans et 4 mois en moyenne, soit 5 ans et demi

plus tôt que dans la cohorte née avant 1900. Les conditions matérielles du travail scientifique féminin se sont améliorées dans les années 1930, grâce aux financements accordés par la Caisse de recherche, aides dont les “grandes anciennes” n’ont pas ou ont moins bénéficié. Certaines des chercheuses de 1938-1939 sont boursières depuis plus de 5 ans, ce qui leur a permis de mener à bien leur doctorat. La moitié des chercheuses (14 sur 27) ont soutenu leur doctorat à 30 ans au plus tard, les autres soutiendront entre 31 et 37 ans (une seule encore plus tard à 47 ans). Les plus jeunes thésardes s’adonnent majoritairement aux sciences naturelles – en moyenne, leurs 10 thèses sont soutenues à 29 ans et 11 mois – tandis que les thèses en sciences physiques (incluant la chimie) sont présentées plus tardivement : les 13 thèses de cette discipline sont soutenues à 32 ans et 4 mois en moyenne. La seule doctorante en mathématiques reçoit son diplôme à 29 ans, la pharmacienne à 28, les deux médecins à 32 et 37 ans (pour cette dernière, une thèse en sciences naturelles avait précédé celle présentée en médecine). Les chercheuses non encore docteures, sont titulaires au moins de certificats de licence, de licences complètes ou de diplômes d’études supérieures. Du côté des aides-techniques, les 15 cursus connus sont très ouverts puisque si l’on rencontre une titulaire de thèse (en sciences physiques) et une master of art de la Syracuse University, on croise aussi des jeunes femmes munies de leur seul brevet supérieur ou élémentaire, voire d’un niveau d’études secondaires non sanctionné par un diplôme, si léger soit-il. La plupart, 11 sur 15, ont cependant au minimum le baccalauréat, complété par une licence – dans un tiers des cas – et au moins des certificats pour les autres. Une seule femme s’est arrêtée au baccalauréat. Le tableau 1 répartit les 77 femmes CNRS dont les affectations en 1938- 1939 sont connues, selon leurs disciplines, en distinguant les chercheuses de statuts divers d’une part, les aidestechniques d’autre part.


Tableau 1 : répartition par disciplines du personnel féminin

scientifique mobilisable en 1938-1939

Comme les chercheuses nées avant 1900, celles de la “deuxième génération” se consacrent pour moitié aux sciences de la vie ; la féminisation accentuée de ce secteur, toujours de mise en 200025, est donc posée, dès la création de l’organisme. Les sciences de l’homme n’étant pas représentées dans la population considérée, la chimie leur ravit la deuxième place dans le coeur du personnel féminin, avant les sciences de la terre et de l’univers et enfin les moins aimées, physique et mathématiques. Le rapport aides-techniques/chercheuses quasi paritaire en sciences de la terre, reste relativement élevé en sciences de la vie, alors qu’il baisse en chimie et en physique. Sans analyser l’ensemble des productions scientifiques signées par les 62 chercheuses de 1938-1939, la présence de 42 d’entre elles (les deux-tiers) au catalogue de la Bibliothèque nationale de France est à mentionner. Parmi elles, 14 n’ont d’autres publications que leurs thèses, les 28 autres publient en outre ouvrages et/ou articles, seules ou en collaboration. Parmi ces dernières, les 7 auteures les plus fécondes totalisent chacune plus de 10 références. Quant aux deux “championnes”, elles ont déjà été rencontrées : la doyenne Madeleine Colani qui s’illustre avec 21 notices de travaux publiés entre 1914 et 1940, et Renée Canavaggia, chef de travaux en astrophysique en 1938-1939, future directrice de recherche qui en réunit 37, entre 1936 et 1977. Dans les laboratoires Toujours dans le cadre de l’organisation de la mobilisation scientifique, une enquête sur les laboratoires, destinée à en mesurer les moyens humains et matériels, est menée26. Cet état des lieux fournit quelques éléments supplémentaires pour restituer la mixité du travail scientifique en 1938-1939. La composition des laboratoires se précise et les chercheuses, rétribuées par le CNRS, s’y retrouvent “en situation” avec d’autres, qui, elles, sont payées par divers organismes scientifiques ou universitaires et au même titre que leurs collègues masculins. Pour s’en tenir aux établissements parisiens visités, s’il est fréquent de ne pas rencontrer de femmes dans les petits laboratoires comptant au plus 5 membres, 4 gros centres de recherche sont dans le même cas. À la faculté des sciences, les hautes températures (6 chercheurs et 17 techniciens), la mécanique physique et expérimentale (6 chercheurs et 8 techniciens) et la mécanique des fluides (17 hommes en tout) comme à Bellevue, l’électroaimant et les basses températures (8 chercheurs et 4 techniciens) sont des bastions masculins. Inversement, et logiquement – car ressortissant cette fois aux sciences de la vie – la seule directrice de laboratoire, Gabrielle Randoin, régnant sur le contrôle biologique des produits vitaminés, dirige un quasi-bastion féminin : 3 chercheuses sur 4, 13 techniciennes sur 17. Le laboratoire d’astrophysique dirigé par Henri Mineur se distingue également en alignant 10 noms féminins sur 12 : Renée Canavaggia, chef de travaux, a sous ses ordres 5 calculatrices, 3 mesureuses et une secrétaire. Certains laboratoires ont une forte féminisation, mais à caractère plutôt technique. Ainsi, à l’Institut Henri Poincaré,

trois unités tournent avec une part importante (la moitié au moins) de techniciennes : 9 calculatrices et une assistante sur un effectif total de 14 membres au laboratoire de calculs ; 2 calculatrices, 2 collaboratrices, 2 assistantes et une dessinatrice sur 14 personnes au total dans celui de physique théorique ; 5 calculatrices et une assistante au laboratoire de balistique sur 13 personnes en tout. Les gros laboratoires de chimie sont également bien féminisés, mais cette fois, de façon plus équilibrée entre personnels scientifique et technique. À la faculté des sciences, l’Institut de chimie compte 8 chercheuses sur 22 et 10 techniciennes sur 26 et le laboratoire, dirigé par le professeur Job, compte 5 chercheuses dans son équipe scientifique de 11 membres. Enfin, le très gros laboratoire de chimie physique n’atteint lui qu’un quart de personnel féminin avec 7 chercheuses sur 34 et 5 techniciennes sur 14. Ce trop rapide aperçu sur la présence réelle des femmes au sein des laboratoires, visant à rendre plus concret le “25 %” d’ensemble, montre que cette présence féminine dépend à la fois de la discipline et de la nature des travaux à effectuer.Les situations sont en réalité extrêmement diversifiées : de l’exclusion totale à la prise en charge totale (dans l’exemple du laboratoire Randoin), en passant par une forte participation, mais seulement technique, comme dans certains laboratoires, celui de l’Institut Poincaré par exemple. Le plan de mobilisation, qui résulte de l’état des lieux dressé en 1938-1939, mais dont la défaite de juin 1940 contrecarre l’application, placera sous la responsabilité et la coordination du CNRS 140 laboratoires, répartis en 18 groupes (6 à Paris, les autres en province) et confiera 4 laboratoires parisiens à des femmes : l’Institut du radium à Irène Joliot-Curie (en co-direction avec André Debierne) ; la chimie organique, à la faculté des sciences, à Pauline Ramart- Lucas (née en 1880, alors professeur à la faculté) ; le laboratoire du travail de la SNCF28 à Dagmare Weinberg (qui en était directrice adjointe auparavant) et enfin le laboratoire de physiologie de la nutrition et d’enquête sur l’alimentation, important en temps de guerre, à Gabrielle Randoin, déjà mentionnée. Ces quatre attributions reflètent bien la présence féminine originelle au sein du CNRS : on y trouve une “grande ancienne” prestigieuse, pour le département de la chimie et des sciences de la vie, où les femmes qui font souvent “tourner la boutique” sont représentées et enfin la présence d’une psychologue préfigurant la place que prendront les femmes dans les sciences humaines.

Bien présentes, mais peu visibles, 1945-1970

Dès l’après-guerre et jusqu’à la fin des années 1960, les femmes sont évidemment là, mais nul ne songe à les compter : aucune statistique, aucune étude sexuée sur le personnel du CNRS n’est lancée. L’heure n’est encore ni aux ressources humaines ni à leur management ; rapports de conjonctures et autres bilans évoquent “les chercheurs” ou “les collaborateurs techniques” sans plus de curiosité sur leur identité. L’épluchage systématique des

dossiers de carrière ou des fichiers de paye, à la poursuite des femmes, serait une entreprise titanesque. On se contentera donc, pour cette période, d’évoquer les très rares chiffres connus, en les resituant par rapport aux effectifs globaux de l’établissement et l’on relèvera surtout les traces de la présence féminine sur les organigrammes, où apparaissent au moins celles qui ont des responsabilités, que ce soit dans le domaine de la recherche ou dans l’administration. Les directrices de laboratoire d’une part, les femmes chefs de bureau dans les services centraux au siège du CNRS d’autre part, sont les plus visibles. Croissance Le “rapport sur la gestion du CNRS de 1944 à 1948”, présenté par son directeur général Georges Teissier lors de la séance plénière du Comité national de la recherche scientifique du 2 juin 194829 retrace l’évolution des effectifs au sortir de la guerre : - en 1943-1944 : 600 chercheurs et 480 collaborateurs techniques ; - en 1944-1945 : 800 chercheurs et 556 collaborateurs techniques ; - en 1945-1946 : 1 100 chercheurs et 679 collaborateurs techniques ; - en 1946-1947 : 1 370 chercheurs et 715 collaborateurs techniques ; - au 1er octobre 1947 : 1 500 chercheurs ; - au 30 avril 1948 : 1 384 chercheurs et 680 collaborateurs techniques. La seule mesure disponible pour vérifier la place des femmes dans ces années de reconstruction concerne les chercheuses : en 1946, elles représentent 30 % des chercheurs – soit environ 400 – d’après le dépouillement des versements de cotisations sociales30. Du côté des collaborateurs techniques, les femmes sont sans doute relativement encore plus nombreuses, mais aucun calcul n’a été fait. Dix ans plus tard, les effectifs globaux du CNRS31 atteignent près de 6 000 personnes : - au 1er octobre 1956 : 2 840 chercheurs, 1 150 contractuels au service des laboratoires, 1 310 collaborateurs techniques ; - au 1er octobre 1957 : 2 990 chercheurs, 1 300 contractuels au service des laboratoires, 1 435 collaborateurs techniques. Le rapport de conjoncture 1956-1957 souligne que l’octroi de primes a certes contribué à améliorer la situation matérielle des personnels, mais que celle-ci “reste néanmoins très inférieure à celle des secteurs semi-publics ou privés, sans comporter pour cela les avantages d’une carrière de fonctionnaire en ce qui concerne la stabilité et le régime des retraites” et en appelle à un sérieux coup de pouce des pouvoirs publics. Il interviendra en 1959, avec les nouveaux statuts conférés au CNRS, afin d’éviter l’hémorragie. Sachant que, du côté des chercheurs, la présence féminine culmine à 35 % en 196032 et qu’elle s’est donc maintenue, en progressant encore dans les années 1950, il devient évident que le sort matériel peu enviable des agents du CNRS, notamment face à celui des universitaires, du moins jusqu’en 1959,

explique en grande partie la présence précoce et relativement marquée des femmes parmi ses personnels de recherche. Entre 1956 et 1965, les effectifs du CNRS doublent : en 1965, 4 875 chercheurs, 6 832 ITA (ingénieurs, techniciens, administratifs) et 593 “autres” personnels sont présents, soit 12 300 personnes. La croissance reste de mise jusqu’à la fin de la décennie : en 1970 les 16 641 agents se répartissent en 6 397 chercheurs, 9 705 ITA et 539 “autres”33. Parmi les chercheurs, les femmes se maintiennent,mais ne progressent plus : elles sont 34 % en 196734 (sur 5 527, soit 1 879 chercheuses) et en 1968, toutes catégories confondues (chercheurs et ITA), le personnel du CNRS compte 45 % de femmes35, soit 6 970 agents sur 15 489. Une enquête sur les “Caractéristiques socio-professionnelles des chercheurs du secteur public en sciences exactes et naturelles” publiée en 1967 et portant sur la population scientifique du milieu des années 1960, esquisse quelques traits propres aux chercheuses relevant de ces disciplines, au CNRS et ailleurs (autres établissements de recherche et enseignement supérieur). Dans la cohorte de 11 095 chercheurs observée, les femmes ne comptent que pour 20 % – c’est dire qu’elles sont nettement moins nombreuses ailleurs qu’au CNRS où elles atteignent alors 34 % des chercheurs, toutes disciplines confondues –, mais 39 % des “enquêtées” se rattachent au CNRS. Les chercheuses sont un peu plus jeunes que leurs collègues masculins – 72 % d’entre elles ont moins de 40 ans ; 68 % parmi eux seulement – et, sans surprise, s’adonnent majoritairement à la biologie et à la chimie. À l’Université, les chercheuses ont été 49 % à étudier la biologie ; 25 % la chimie ; 16 % la physique ; 6 % les sciences de la terre et enfin 4 % seulement les mathématiques. L’étude des diplômes obtenus révèle que les femmes “monopolisent” 48 % des doctorats de 3e cycle et 26 % des doctorats d’État en biologie soutenus par les chercheurs de l’enquête.

Directrices de laboratoires

L’infime participation féminine au “Colloque national sur la recherche et l’enseignement scientifique” tenu à l’université de Caen du 1er au 3 novembre 1956, premier événement médiatique du genre et qui marque la naissance d’un “lobby” scientifique37, montre que les femmes ne sont pas partie prenante quand il s’agit de tracer, avec les politiques et les industriels – et devant la presse –, un nouveau cadre pour la recherche et l’enseignement supérieur. Trois noms féminins seulement figurent dans la liste des 127 participants38 : Madame Choucroun, directrice de recherche au CNRS,Madame Gregh, du Conseil supérieur de la recherche scientifique et Mademoiselle Moreau, administratrice civile. La quasi-absence des femmes au moment-clé de 1956 surprend un peu, quand on songe qu’en septembre 1944, Irène Joliot-Curie et Pauline Ramart-Lucas (chimiste) participaient aux réunions visant à élaborer un projet de réorganisation de la recherche scientifique39. Mais en 1956, ces grandes figures des débuts du CNRS ont quitté la scène : Irène Joliot-Curie meurt cette année-là et Pauline Ramart-Lucas

n’est plus depuis 1953. Qu’en est-il alors de la place des femmes au niveau des directions et sous-directions de laboratoires ? Le tableau 2 retrace, de 1959 à 1970, d’après les organigrammes, leur présence dans ces fonctions. Alors que 30 à 35 % des chercheurs sont des chercheuses, le nombre de femmes, parmi les directeurs et sous-directeurs de laboratoire, ne progresse que de 4 à 6 %. Autant dire qu’elle est infime et disproportionnée par rapport à leur présence dans la recherche. Seule – mince – consolation : avec une direction conquise en 1970 en mathématiques (calcul électronique), les femmes se sont montrées au moins une fois dans tous les groupes de disciplines relevant des sciences exactes et naturelles ; en revanche, toutes les sciences humaines, notamment la géographie, l’histoire et la sociologie ne leur ont toujours pas accordé leur confiance en 1970 : aucune chercheuse n’a encore eu la responsabilité de la direction ou de la sous-direction d’un laboratoire40

Tableau 2 : les femmes directrices et sous-directrices
de laboratoire en 1959, 1965, 1968 et 1970

Sachant que, dans ces mêmes années 1959 à 1970, la part des femmes au Comité national41 – où les universitaires et chercheurs d’autres établissements sont partie prenante – évolue un peu plus favorablement de 3,9 % à 11,8 % (et qu’en 1970 elles y sont représentées dans toutes les sections de sciences humaines), force est de constater la réticence des scientifiques – plus accentuée au CNRS qu’ailleurs ? – à laisser les chercheuses prendre les rênes. Chefs de bureau et autres administratives Pendant la Seconde Guerre mondiale et juste après42, les femmes occupent des responsabilités administratives au CNRS. En 1949, sur les cinq bureaux composant les services administratifs et techniques, deux sont dirigés par des femmes : Suzanne Potet, agent supérieur de 1ère classe, règne sur l’administration du personnel (services centraux et laboratoires) et Lucienne Plin, administratrice civile de 3e classe, sur les commissions consultatives, les chercheurs et les subventions. Lucienne Plin restera 32 ans dans des fonctions décisives, notamment pour le fonctionnement du Comité national43. Elle a raconté ses débuts : jeune professeure de sciences naturelles nommée à Versailles pendant l’Occupation, mais redoutant de ne pouvoir s’y rendre en raison des difficultés de transport, elle se présente à un emploi de rédacteur vacant au ministère de l’Éducation nationale. Elle l’obtient et devient rédactrice puis administratrice civile. Rencontrant par hasard au ministère, un jour de 1946, son ancien professeur Georges Teissier, devenu directeur du CNRS, celui-ci la recrute, du jour au lendemain, pour compléter son équipe administrative, trop juridique à son goût. Lucienne Plin souligne que les premiers agents des services centraux du CNRS, dépourvus de statut, sont pour la plupart des fonctionnaires détachés de leur administration d’origine. L’organigramme de 1949 place 4 femmes aux postes de sous-chef des 5 bureaux des services centraux – celles-ci sont administratrices civiles de 3e classe, ou agentes supérieures de 3e ou 2e classe – et comporte un dernier nom féminin, celui de l’assistante sociale attachée au bureau dirigé par Mlle Potet : Paulette Devaux, qui figurera sur les organigrammes jusqu’au début des années 1970. Au total, en 1949, sur les 20 postes d’encadrement des services administratifs, 7 sont occupés par des femmes ; le contrôle financier et l’état-major de l’agence comptable restent en revanche exclusivement masculins. Dix ans plus tard, en 1959, les femmes ont conquis 3 des 5 bureaux. Aux côtés de Mme Bohner, administratrice civile, en charge du budget et des personnels des services centraux et de Lucienne Plin, Geneviève Niéva, administratrice civile également, dirige le bureau du matériel et des achats à l’étranger. Geneviève Niéva44 a relaté elle aussi ses débuts : toute jeune “gamine de 20 ans” en 1944, cherchant à gagner sa vie pour pouvoir, contre l’avis de ses parents, épouser un étudiant en médecine, elle se fait embaucher par hasard

au CNRS, où elle fera une longue carrière, qui s’achèvera comme secrétaire générale du Comité national au milieu des années 1980. Autre nom de “grande administrative” relevé sur l’organigramme de 1959, celui de Jacqueline Peyroutet, alors chef du secrétariat de la Direction, entrée au CNRS en 1939, d’après les souvenirs de Lucienne Plin, et présente à la Direction générale jusqu’au milieu des années 1980. Dans les années 1960, les organigrammes se compliquent et les bureaux, regroupés en 4 divisions, se multiplient. En 1961, Lucienne Plin est la seule chef de division (personnels scientifiques et techniques) et l’on compte 3 femmes chefs de bureau (budget, relations extérieures, matériel) et une sous-chef, pour 13 bureaux. En 1965, pas de changement pour les divisions et toujours 3 femmes chefs, mais sur 15 bureaux, et 4 souschefs. En 1968, Lucienne Plin (personnels scientifiques et techniques) et Geneviève Niéva (adjointe aux programmes et moyens) figurent parmi les 5 directions de divisions ; quant aux bureaux, au nombre de 20 désormais, ils comptent 11 femmes – chefs ou sous-chefs – sur un état-major de 28 membres. La division dirigée par Lucienne Plin s’affiche comme la plus féminisée : les deux bureaux en charge du personnel sont confiés à des chefs et sous-chefs femmes ; celle de Geneviève Niéva en revanche ne l’est pas du tout : ses 4 chefs de bureau sont des hommes. L’agence comptable et le contrôle financier demeurent, pour leur part, aux mains exclusives des hommes. En 1970 enfin, 13 femmes figurent parmi les 34 chefs et sous-chefs de bureau ; la division des personnels et le département de l’administration générale demeurant les plus féminisés au niveau de leurs responsables. L’épluchage des organigrammes permet d’observer que les femmes occupent jusqu’en 1970 entre le quart et le tiers des responsabilités administratives “intermédiaires” et que quelques femmes remarquables, dans la place depuis longtemps et formées “sur le tas”, ont la haute main sur des secteurs clés. Quant au “petit personnel”, invisible sur les organigrammes, comment le chiffrer ? Une liste téléphonique du Siège, annexée à l’organigramme de 1970, compte 122 noms féminins sur 182, soit 67 % : si l’on considère que toutes les dactylos ne disposent pas d’un téléphone, une estimation situant à 90 % la féminisation du personnel administratif pour la période45 semble cohérente.

Sachant qu’en 1970 le personnel administratif global du Centre compte 1 108 agents46, c’est environ un millier d’administratives que l’on y dénombrerait aux côtés d’environ 2 170 chercheuses, de 3 500 techniciennes (estimées à 50 % des 7 058 techniciens dénombrés47) et de 600 ingénieurs48. Combien de femmes au CNRS en 1970 ? Environ 7 270, soit 43,7 % du personnel.

Des femmes, des fonctions, des grades et des disciplines, 1971-2000

Depuis 1971, des statistiques, mentionnant l’appartenance sexuelle du personnel du CNRS, permettent de situer, avec plus de finesse que pour les années antérieures, la place des femmes au CNRS et peuvent éventuellement en caractériser l’évolution – ou la non évolution ? – entre les années 1970 et 1990. Combien sont-elles en tout ? Le tableau 3 retrace l’évolution de la présence féminine parmi les agents du CNRS entre 1971 et 200049. En 1971, comme en 2000, la “sur-parité” de mise chez les ITA garantit le fort taux de présence féminine au CNRS (plus de 40 %) mais, logiquement, le très léger recul de l’avantage féminin parmi les ITA au cours de ces trois décennies s’est traduit par une baisse de la féminisation globale de l’établissement. Il faut évidemment attendre que le soupçon de reprise observé entre 1995 et 2000 se consolide pour pouvoir parler d’une éventuelle inversion de tendance. Dans le repli global, les chercheuses tirent leur – frêle – épingle du jeu : elles sont relativement plus nombreuses en 2000 qu’en 1971, mais demeurent en deçà de leurs fastes années 1960 où la barre du tiers de femmes parmi les chercheurs était franchie. Pour s’en tenir aux seules années 1990 pour lesquelles les comparaisons sont aisées, le CNRS n’affiche pas le taux de croissance féminine relevé du côté des emplois de l’enseignement supérieur entre 1992 et 2001 où la progression des effectifs féminins est supérieure à celle des effectifs globaux, ni celui observé, en partant de plus bas, dans la recherche en entreprise où depuis 1992 le taux de croissance de l’emploi des femmes est le triple de celui des hommes50. Au CNRS, en 2000

Tableau 3 : féminisation des effectifs du CNRS entre 1971 et 2000

les recrutements externes n’ont encore bénéficié aux femmes que pour 32,6 % des emplois de chercheurs et 47,8 % de ceux d’ITA: pas de quoi induire une dynamique féminine remarquable. Les chercheuses La répartition par grades de la population des chercheuses du CNRS au cours du dernier tiers du XXe siècle trace une pyramide assez implacable : plus on monte dans la hiérarchie des emplois, moins les femmes sont nombreuses (tableau 4). De façon constante, le – relatif – gros bataillon des chercheuses (un tiers au moins) se situe chez les chargés de recherche : les femmes sont là en proportion plus forte que parmi l’ensemble des chercheurs. Mais, conséquence logique et perverse de cet “avantage”, les femmes sont nettement sous-représentées parmi les directeurs de recherche au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie du grade et ce, de plus en plus nettement. Le bilan des années 1990 n’incite guère à l’optimisme. Si l’on ne peut que se réjouir de voir la poignée des directrices de recherche “de classe exceptionnelle” s’étoffer, la régression des directrices de 1ère classe et la stagnation de celles de 2e classe inquiètent. Ces chiffres accusent une absence de promotion féminine allant de pair avec le cantonnement des femmes aux grades de chargées de recherche auxquels elles sont très majoritairement recrutées. La part des femmes dans les promotions internes (par concours ou au choix) demeure constamment inférieure à la présence féminine parmi les chercheurs : les 25,9 % d’heureuses promues en 2000, pour 30,3 % de chercheuses, en témoignent encore. Le tableau 5 ventile les chercheuses par départements scientifiques entre 1977 et 2000, en pourcentages par rapport à l’effectif total des chercheurs de chaque département51.

Tableau 4 : répartition des chercheuses par grades, en pourcentages, 1971-2000
Tableau 5 : pourcentages de femmes parmi les chercheurs
de chaque département scientifique, de 1977 à 2000

De 1977 à 2000, la progression la plus
spectaculaire apparaît dans les sciences

pour l’ingénieur :la féminisation relative y a

doublé. Les chercheuses se sont également

imposées, mais dans une moindre mesure

en physique nucléaire et corpusculaire et

en chimie. En sciences de l’homme et de la

société, elles ont accentué encore leur forte

présence au point de devancer l’autre secteur

traditionnellement féminin, celui des

sciences de la vie, où elles sont en repli

régulier. La stabilité est de mise en sciences

physiques et mathématiques, comme

en sciences de l’univers. On constate avec

satisfaction que l’amplitude des écarts de

féminisation relative entre les secteurs

s’est resserrée, passant de 9,1 % / 45,2 %

en 1977 à 17,1 % / 40,9 % en 2000, mais on

note avec regret qu’un département sur

deux n’atteint toujours pas le quart de

chercheuses.

Les enseignements du tableau 5, concernant

les années 1991-2000, sont à rapprocher

des statistiques portant sur les thèses

soutenues par des femmes : celles-ci

ont progressé, toutes disciplines confondues,

de 32 % des thèses en 1992 à 40 %

en 199952. La croissance la plus remarquable,

celle des soutenances féminines en

sciences de l’univers (d’un peu plus de 20%

à près de 40 %) ne s’est pas encore reflétée

au niveau des chercheuses ; il est sans

doute trop tôt. Le tassement des doctorats

en chimie, depuis 1996, n’est, lui non plus,

pas encore sensible ; en revanche, le “plafonnement”

autour de 50 % des soutenances

féminines en sciences de la vie va

de pair avec le repli amorcé du côté des

chercheuses. Quant aux thèses en sciences

de l’homme, elles continuent à croître,

comme la part des chercheuses dans ces

disciplines. Les thèses en mathématiques,

physique et sciences pour l’ingénieur sont

relativement stables, autour de 20 %.

La très petite place des femmes parmi les

directeurs et sous-directeurs de laboratoire,

laissée à 6,8 % en 1970, a-t-elle progressé

notablement entre 1971 et nos jours ? En

1977, le pourcentage de formations dirigées

par une femme stagne toujours à 7,2 %

(87 sur 1 200)53 avant de “grimper” à 12,5 %

en 198754. Cependant, c’est surtout grâce

à des partages de direction avec une co-directrice ou à des créations de postes de sous-directeurs. En 1994, 14,5 % seulement des responsables ou co-responsables des 372 laboratoires propres sont des femmes ; le seuil des 10 % n’est franchi qu’en sciences de la vie (14,5 %), sciences physiques et mathématiques (16,7 %) et sciences de l’homme et de la société (24,1 %). Par rapport au nombre de chercheuses (40,6 % en 1995), les sciences de la vie se montrent alors particulièrement avares de responsabilités à leur confier. En 2002 enfin, pour un total de 1 128 unités de recherche (propres, mixtes ou associées), 123 femmes seulement assurent des directions, soit 10,9 % ; les 10 % ne sont atteints qu’en sciences de la vie (12,7 %) et en sciences de l’homme et de la société (16,5 %). Comme en 1994, aucune chercheuse ne dirige en physique nucléaire et corpusculaire. Le pourcentage des laboratoires confiés à des directions féminines et qui reste obstinément et ridiculement bas – de l’ordre du tiers par rapport à ce que laisserait espérer la présence des femmes dans la recherche – met en évidence combien la féminisation du CNRS reste fragile et partielle. Ingénieures, techniciennes et administratives Le tableau 6 restitue la présence féminine parmi les catégories de personnels ITA de 1971 à 2000 et le tableau 7 récapitule, pour la même période, la répartition de l’emploi féminin au CNRS entre chercheuses, ingénieures, techniciennes et administratives. La conjugaison des deux tableaux permet une vision à peu près réaliste de l’emploi féminin au CNRS. Même si de nombreuses pondérations seraient à apporter, en termes de transferts d’emplois entre catégories (techniciens et ingénieurs notamment) lors de la titularisation au début des années 1980 ou dans le cadre de la revalorisation des basses catégories de la fonction publique. Du tableau 6, prenant en compte les seules ITA, une impression de relative stabilité se dégage à propos de la part


Tableau 6 : les femmes parmi les personnels ITA, 1971-2000

des femmes chez les ingénieurs (autour de 40 %) comme, sans surprise, chez les administratifs (plus de 90 %). C’est seulement chez les techniciens que la féminisation s’est accrue. Sans entrer dans le fastidieux détail des grades propres à chaque corps, il faut néanmoins garder conscience que chez les ITA, comme chez les chercheuses, les pyramides hiérarchiques sont défavorables aux femmes. Si 42 % de femmes chez les ingénieurs peut être, un peu rapidement, jugé un “bon taux” pour un emploi de catégorie A de la fonction publique, il faut le nuancer en soulignant qu’en 2000, les femmes ne représentent que 10,4 % des ingénieurs de recherche “hors classe” (contre 16,5 % en 1990), 23 % des IR1 et 31,9 % des IR2 (respectivement 23,7 % et 35,4 % en 1990). C’est donc chez les ingénieurs d’étude que la forte présence féminine est sensible, de l’ordre de 50 %, avec, à la clé, un effet “d’embouteillage” de carrière. S’il y a 30 ans, le CNRS rémunérait, dans sa population féminine, une chercheuse pour trois ITA, ce rapport est passé à une pour deux en 2000 (tableau 7). Sur cent femmes employées, l’équilibre tient quasiment aujourd’hui entre un tiers de chercheuses, un tiers d’ingénieures et un tiers de techniciennes ; la part des administratives se réduisant comme peau de chagrin, sous le double effet de l’évolution de la bureautique et des revalorisations de carrière. Il est remarquable que plus les emplois administratifs régressent, plus ceux-ci deviennent un monopole féminin (tableaux 6 et 7). En trente ans, si les femmes se sont dirigées vers la recherche, l’ingénierie et la technique, les hommes quant à eux ne partagent toujours pas les tâches administratives les plus modestes. Les pourcentages de femmes ITA par départements scientifiques ne figurent au Bilan social que depuis 1998 ; aucune évolution remarquable n’étant sensible entre 1998 et 2000, le tableau 8 fournit les seuls chiffres 2000, en rappelant le pourcentage des chercheures et en calculant le taux de féminisation globale du département.

Tableau 7 : ventilation, par catégories, de l’emploi féminin au CNRS, 1971-2000
Tableau 8 : présence relative des femmes ITA par départements
scientifiques en 2000, rappel des pourcentages de chercheuses

et féminisation globale

Grâce aux personnels ITA, aucun département scientifique du CNRS ne compte, en 2000, moins d’une femme sur 4 agents, même si les moins féminisés au niveau des chercheurs (SPM, PNC, SPI) restent globalement les plus masculins ITA compris. Inversement, les femmes ITA affluent là où les chercheuses sont déjà les plus nombreuses (SHS et SDV). Entre ces deux extrêmes, et mis à part le cas particulier des “moyens communs”, sur lesquels pèse la lourde sur-représentation féminine administrative, les femmes tiennent la moitié des postes d’ITA en sciences chimiques, et près de 40 % en SDU et en STIC. Globalement, la présence féminine varie du quart des effectifs dans les sciences exactes les plus “dures” aux deux tiers dans la branche administrative ; la parité – en nombre mais non en hiérarchie, on l’a vu – ne s’est établie qu’en sciences de la vie et en sciences de l’homme. Combien de femmes au Comité national ? Depuis le premier Comité national fonctionnant, un peu expérimentalement, dès 1945-1946, avant même que le décret du 11 juin 1949 en précise l’organisation55, des femmes siègent au “parlement” de la science, constitué à des fins d’évaluation, de recrutement et de promotion des chercheurs, d’affectation de moyens aux laboratoires et plus généralement d’orientation de la recherche. En 1945, elles sont 5, certaines déjà évoquées comme Irène Joliot-Curie (physique) ou Pauline Ramart-Lucas (chimie), auxquelles se joignent, du côté de la biologie, Mlles Lebreton (directrice d’études à l’EPHE)

et Cousin (professeur à la faculté des sciences de Paris), ainsi que Mlle Cauchois (optique). Cooptations à l’origine, puis nominations et élections puisant de plus en plus largement au vivier du personnel universitaire et scientifique56 ont régulièrement renouvelé, tous les 4 ans depuis 195357, l’instance organisée en sections par grandes spécialités. Parti de 31 sections de 12 membres nommés en 1949 (372 membres au total), le Comité compte, en 1999, 840 membres, répartis en 40 sections de 21 chacune, 14 élus et 7 nommés. La place des femmes dans l’instance a progressé régulièrement, sauf régression passagère en 1987, bénéficiant de la mise en place de la procédure électorale pour composer ce parlement scientifique. À propos du Comité et des femmes, le rôle prépondérant de Lucienne Plin doit être souligné. Arrivée aux services centraux en juillet 1946, elle travaille notamment au secrétariat du Comité. Administratrice civile de 3e classe au départ, puis chef du 4e bureau des Services techniques en charge des personnels scientifiques et techniques, gravissant tous les échelons de la carrière, jusqu’au hors classe, Lucienne Plin, l’une des “grandes administratives” incontournables de l’histoire du CNRS, tire un certain nombre de ficelles d’une instance que sa longévité dans la fonction lui permet de connaître parfaitement, jusqu’au début des années 1970. Ses souvenirs, recueillis en 198658, la montrent régnant avec autorité sur la préparation des recrutements de chercheurs, pratiquant des coupes sombres dans les demandes de crédits d’équipements ou de publications présentées par les sections du Comité et menant à la baguette leur président. Il est intéressant de retracer la progression de la place des femmes au Comité national, en nombre et par disciplines, en statuts et en responsabilités particulières au sein du Comité quand la documentation le permet. Évolution de la présence des femmes au Comité national, de 1949 à 1999 Le tableau 9 (page suivante) fournit, pour chaque année du Comité, le nombre de membres total59, celui des femmes, le pourcentage que ces dernières représentent et la liste des groupes de sections ou sections sans femmes et/ou n’en comprenant qu’une à partir de 1983. La féminisation du Comité national s’apparente à une longue et lente marche : quarante ans ont été nécessaires pour que le quart (28,1 %) de participantes soit dépassé. Ce quart enfin franchi en 1999 renvoie à un autre : les 24,9 % de femmes, toujours en 1999, parmi les chercheurs, toutes appartenances confondues (recherche publique CNRS, autres organismes, universités et recherche en entreprise)60. La proximité des deux taux est parfaitement cohérente puisque les membres du Comité national viennent précisément de ce monde-là, de même que leurs électeurs, pour la part majoritaire, élue. 56 % seulement du collège électoral est composé des agents CNRS

Tableau 9 : part des femmes au Comité national du CNRS de 1949 à 1999

(inscrits d’office) et 56 % également des membres du Comité appartiennent au CNRS61. Si, en 1999, la féminisation du Comité est un peu plus forte (2 points) que celle de la recherche dans son ensemble, c’est peut-être en raison de la relativement faible place de la recherche en entreprise, au niveau du collège électoral et des membres du Comité. En 1999, la recherche industrielle n’est féminine que pour 19,1 % de son personnel, contre 29,9 % pour la recherche publique. Le Comité se situe entre les deux, mais, logiquement, s’apparente à la situation du secteur public. Un demi-siècle de progression, pour atteindre un taux seulement cohérent avec la population concernée, on ne peut pas dire que le Comité se soit aisément ouvert aux femmes et ce d’autant moins que l’assemblée constituée en 1987 enclenche pour un temps la marche arrière, par le nombre réduit de femmes qui la compose et par une représentation plus restreinte dans les diverses disciplines. Le Comité mis en place en 1991 marque d’une pierre blanche son histoire et celle des femmes. C’est la première assemblée ne comptant aucune section masculine à 100 %. Mise à part l’année 1999, date à laquelle ce même phénomène se reproduit, c’est entre 1966 et 1970, quand le nombre de femmes au Comité double, que la généralisation “disciplinaire” de leur présence accomplit son pas décisif. Passé ce cap, les bastions masculins tendent à se resserrer sur la physique nucléaire et corpusculaire, les sciences physiques et mathématiques et les sciences pour l’ingénieur : trois départements où les chercheuses restent rares, encore aujourd’hui. Le tournant 1966-1970 reflète évidemment le coup d’accélérateur soixante-huitard, et il est intéressant de mesurer la présence féminine sur la liste des “chercheurs invités à participer à titre consultatif aux travaux des sections du Comité national, session automne 1968” : elles sont 13 sur 55 (23,6 %) à être envoyées pour assister, certes sans voix au chapitre, aux travaux d’une assemblée dans laquelle elles ne comptaient que pour 7,2 %. Il est tout aussi remarquable que sur les 9 sections qui n’en comptaient aucune, deux seulement “se rattrapent” : la physique des solides et les langues et civilisations classiques. Si, dans certaines disciplines “dures”, les candidates pouvaient effectivement manquer (électronique par exemple), ce n’était sans doute pas le cas en sociologie et démographie ou en sciences juridiques et politiques ; les raisons de cette absence seraient à creuser. Inversement, les études linguistiques et la littérature française qui figuraient déjà parmi les 4 sections les plus féminisées (avec 4 femmes sur 22 membres) choisissent deux invitées supplémentaires. Les 2 autres sections les plus mixtes (4 femmes également en chimie biologique et en anthropologie, préhistoire, ethnologie) n’en “rajoutent pas”. Logiquement, au renouvellement de 1971, les études linguistiques et la littérature française prennent la tête de l’ouverture : la section compte 8 femmes sur 26 membres, presque le tiers. Seules les sciences de l’homme et de la société se retrouvent dans

le peloton de tête, les 3 sections réunissant 7 femmes y ressortent : “Anthropologie, préhistoire, ethnologie”, “Linguistique générale”, “Antiquités nationales et histoire médiévale”. En 1976, les sciences humaines monopolisent encore 5 des 6 sections dont le quart des membres sont des femmes ; les sciences de la vie, avec la biologie animale, s’imposent enfin (alors qu’elles comptent 45,2 % de chercheuses, contre 33,9 % en sciences de l’homme) dans cette avant-garde – elles ont en outre 5 autres sections comprenant 6 femmes. Dans les années 1980, les sciences humaines restent les championnes de la féminisation du Comité, suivies des sciences de la vie ; l’inversion par rapport au pourcentage de chercheuses, entre ces deux départements où elles sont toujours les plus nombreuses, reste de mise. Dans les années 1990, ces deux départements sont au coude à coude, parmi les sections qui atteignent un tiers de membres féminins et sont rejointes par quelques-unes, issues des sciences physiques et mathématiques. Comment arrivent-elles au Comité ? Et qu’y font-elles ? Préciser comment les femmes arrivent au Comité, par élection ou nomination et éventuellement quelles responsabilités spécifiques en son sein leur sont confiées, nuance l’image de leur seule présence ou appartenance selon les disciplines. La réforme du Comité national en 1959, introduit l’élection de la moitié de ses membres : dans chaque section, 10 sont élus, 5 nommés par le Premier ministre, 5 par le ministre de l’Éducation nationale. Dès 1962, l’égalité élus/nommés n’a plus cours, les élus prenant définitivement la majorité des sièges, de 12 sur 20 par section en 1962, à 14 sur 21 depuis 1991. Autre réforme, fruit de 1968 et décisive pour ouvrir le Comité au deuxième sexe, celle de 1970, ajoutant aux collèges A, “classes supérieures” du monde chercheur, universitaire et académique (7, puis 6 sièges) ;B, “classes moyennes” de la recherche et de l’Université (6, puis 5 sièges) ; un collège électoral C composé des ITA, catégories de personnels où elles sont majoritaires, mais qui n’élit que 3 représentants. La situation des femmes présentes au Comité dans les différents collèges en 1987, 1995 et 1999, et pour mémoire en 1967, mesure de lentes évolutions (tableau 10). En 1999, le pourcentage des femmes élues rejoint le pourcentage des chercheuses, mais en grande partie grâce

Tableau 10 : part des femmes dans les différents collèges du Comité national

à leur forte présence au collège C, celui des ITA. Si le pourcentage de femmes élues au Comité national devait refléter leur place globale au CNRS, c’est alors 40 % qu’il faudrait atteindre62. La création du collège C a certes permis un afflux féminin au Comité, mais il a en même temps “cantonné” en partie leur présence. Les évolutions aux niveaux des collèges A et B sont simplement inéluctables et tendent à se rapprocher des taux de féminisation des grades concernés. Parmi les nominations, un rattrapage très récent s’est produit ; avec le soupçon de progression des femmes au collège A, il constitue le seul mouvement sensible entre 1995 et 1999. Chaque section du Comité met en place un bureau, comprenant un président, un secrétaire et 3 autres membres ; compter les femmes dans ces “microinstances” fournit un indice supplémentaire sur leur participation au Comité. De 1970 à 1999, les femmes n’ont présidé que 10,1% des sections du Comité, score bien inférieur à leur présence moyenne. Aucune tendance évolutive ne se dessine : le taux oscille entre 4,4 % en 1987 et 22,5 % en 1991 – année faste à ce niveau –, mais il n’est que de 15 % en 1999, après être tombé à 5 % en 1995 ! La féminisation ne s’est pas mise en marche dans cette fonction. Les deux départements où les femmes sont le mieux implantées de façon globale sont évidemment ceux qui les laissent le plus volontiers présider : 12 sur 29 présidences féminines en SHS, 7 sur 29 en SDV, 4 en chimie, 1 à 2 dans les autres départements. La situation au niveau des secrétariats de bureaux est un peu plus favorable, ce qui ne surprend pas étant donné la figure traditionnellement féminine attachée à la fonction : 27,7 % en moyenne leur sont confiés63, sans mouvement notable. Les secrétariats ventilent mieux, entre les différents départements scientifiques, les responsabilités des femmes au Comité. Hors présidence et secrétariats, les bureaux de section sont féminisés à 15 % seulement en 1995 et 199964, soit encore beaucoup moins que le Comité qui ne l’est déjà pas beaucoup. De façon générale, l’origine collégiale des femmes accédant au Comité, comme la composition des bureaux, confortent l’impression que celui-ci ne s’est ouvert aux femmes que “par la petite porte”.

Des femmes distinguées ?

Depuis 1954, le CNRS honore chaque année des chercheurs, en leur décernant des médailles (or, argent et bronze) et, depuis 1992 seulement, des ITA, en leur attribuant un “cristal”. La Médaille d’Or (une, ou très rarement, deux par an) couronne l’oeuvre de personnalités exceptionnelles, ayant contribué par leurs travaux au rayonnement international de la recherche française. Du côté des femmes, les comptes sont vite faits et la cause entendue : dans la liste des 53 noms qui vont du mathématicien Émile Borel, en 1954, à l’anthropologue Maurice Godelier en 2001, deux noms féminins seulement se sont glissés (3,8 %). En 1975, Christiane Desroches-Noblecourt est la première ainsi distinguée. Les

travaux et la renommée, jusqu’auprès d’un large public65, de la conservatrice des Antiquités égyptiennes du Louvre, responsable d’une équipe de recherche associée au CNRS et membre, dès 1950, du Comité national lui valent cet honneur. La date de remise de cette médaille n’est pas anodine, puisque l’année 1975 a été proclamée par l’ONU “année de la femme” et que la première secrétaire d’État à la Condition féminine, Françoise Giroud, vient de prendre ses fonctions. S’il est remarquable qu’en 1975, pour la première fois, la Médaille d’Or du CNRS soit attribuée à une femme, il est tout aussi remarquable que, pour la première fois... deux soient décernées, l’autre l’étant au physicien Raymond Castaing66, un peu comme si l’audace de la récompense féminine devait, d’une certaine manière, subir un ré-équilibrage67. Il faut attendre onze ans pour voir se renouveler l’événement d’une Médaille d’Or féminine : en 1986, l’embryologiste Nicole Le Douarin, directrice de recherche depuis 1976 et membre de l’Académie des sciences depuis 1982, est distinguée à son tour. Encore une fois avec les Médailles d’Or de Christiane Desroches-Noblecourt et de Nicole Le Douarin, ce sont les sciences de l’homme, puis celles de la vie, qui reconnaissent les premières l’existence des femmes dans la recherche. À qui le tour ? Les Médailles d’Argent (une quinzaine par promotion depuis les années 1970, neuf à l’origine dans les années 1950) distinguent la qualité et l’originalité du travail de chercheurs reconnus par la communauté scientifique française et internationale. La procédure de choix des heureux élus commence par des débats dans les sections du Comité national, proposant chacune un nom au Conseil du département dont elle relève ; cette instance examine les propositions et choisit le (ou les, suivant les départements) nom à soumettre au Comité de direction du CNRS ; appuyé sur ces pré-choix successifs, le directeur général prend la décision finale d’attribution. Les Médailles de Bronze – une trentaine par an dans les années 1970, puis une quarantaine à partir du milieu des années 1980, soit à peu près une par section du Comité – récompensent de jeunes chercheurs s’étant distingués par de premiers travaux leur conférant rapidement la réputation de spécialistes dans leurs domaines. Pour les Médailles de Bronze, les candidatures sont examinées, discutées et finalement départagées au niveau des sections du Comité. Les Conseils de département entérinent alors ces choix. De 1955 à 2001, les chercheuses n’ont obtenu que 13,2 % du total des Médailles d’Argent attribuées (77 sur 584) et, de 1971 à 2000, 20,4 % de celles de bronze (233 sur 1 141), maigre moisson68. Or, argent et bronze additionnés, le score atteint n’est que de 17,5 %. De l’or au bronze, la part concédée aux femmes croît de façon inversement proportionnelle au prestige de la récompense. Les tableaux 11 et 12 précisent, pour l’argent et pour le bronze, les pourcentages

Tableau 11 : pourcentages de Médailles d’Argent attribuées aux femmes et pourcentages de chercheuses par départements scientifiques de 1971 à 2000

Tableau 12 : pourcentages de Médailles de Bronze attribuées aux femmes par départements scientifiques de 1971 à 2000

de médailles obtenues par les femmes, dans chaque département scientifique, par tranches de 10 ans entre 1971 et 200069, et rappellent le pourcentage de chercheuses correspondant.Même si les statistiques sur les médailles portent sur de très petits effectifs, les pourcentages ont été calculés aux fins de rendre les comparaisons plus aisées. Que ce soit pour l’argent ou pour le bronze, la part des distinctions conférées aux femmes progresse certes, mais très lentement : 2 points de mieux pour l’argent entre les années 1970 et 1990, 5 pour le bronze et sans atteindre le taux qui serait cohérent avec la présence globale des chercheuses (30,3 % en 2000). Du côté de l’argent, la moitié même de cette part “légitime” n’est pas encore atteinte. Du côté du bronze 8 points sont encore à gagner. SHS et SDV sont les départements où les médailles et les femmes sont les plus nombreuses, les SHS légèrement moins féminisées que les SDV (respectivement 38,6 % et 40,6 % de chercheuses en 1995) prennent néanmoins l’avantage, au niveau des Médailles d’Argent, sur l’ensemble de la période. Pour le bronze, les SDV reprennent le dessus. Une clé de ces classements différents entre SHS et SDV pour l’argent et le bronze se trouve sans doute dans l’âge moyen des chercheuses : le vivier de femmes susceptibles de distinction est plus âgé en SHS qu’en SDV. L’argent est une médaille de jeune quinquagénaire, alors que le bronze s’obtient en début de trentaine70, les “jeunes” chercheuses se rencontrent plus facilement en SDV qu’en SHS. Chimie et SDU se situent au milieu du tableau, pour l’argent comme pour le bronze. Au cours de la dernière décennie ces deux départements ont attribué une part relativement importante de leurs Médailles de Bronze à des femmes : le taux de médailles féminines se rapproche (et l’atteint presque pour la chimie) du taux de chercheuses dans ces départements. Il sera intéressant de voir, dans quelques années, si les Médailles d’Argent suivront. Les trois départements les plus masculins ferment logiquement la marche : SPM, PNC et SPI n’accordent pratiquement pas de Médailles d’Argent au deuxième sexe (et même pas du tout en PNC), mais, encore un effet générationnel, font mieux avec le bronze, en particulier PNC qui atteint, et dépasse même en 1991-2000 la part “légitime” eu égard à la faible féminisation du département. Là encore, il faudra voir si les Médailles d’Argent suivront. Les personnels ITA bénéficient de leur propre récompense : le Cristal. Les propositions d’attribution faites par les directeurs d’unités sont transmises aux directeurs de départements qui les soumettent à leur tour aux sections du Comité national. Le classement des ITA finalement retenus par chaque département, est présenté au Comité de direction du CNRS pour le choix final. Créé en 1992, le Cristal est trop neuf pour que l’on puisse déceler une tendance évolutive dans le sexe de ses récipiendaires. Néanmoins, étant donné la forte féminisation des personnels

concernés (de 51,4 % en 1992 à 52,2 % en 200071) la part des femmes “cristallisées” devrait logiquement être sensiblement plus forte que celle des chercheuses médaillées. Or, depuis 1992, les femmes n’ont obtenu que 31 des 136 Cristal décernés72, soit 22,7 %, c’est-àdire moins de la moitié de leur “espérance mathématique” eu égard à leur présence. La raison de cette apparente anomalie est très simple : les ingénieurs de recherche73 “confisquent” près de 60 % des Cristal (58,1 % côté féminin et 59,5 % côté masculin) et il se trouve que, dans la population des ITA, c’est précisément parmi les ingénieurs de recherche que les femmes sont les moins nombreuses. En 2000, il n’y a que 9,6 % d’ingénieurs de recherche parmi les femmes ITA, mais 27,4 % chez les hommes : les femmes partent dans la course au Cristal avec un handicap certain. Les ingénieurs d’études constituent le deuxième groupe bénéficiaire des Cristal, 25,8 % des femmes “cristallisées” et 16,4 % des hommes. Le jeu est cette fois un peu moins franchement inégal, mais encore légèrement défavorable pour elles puisque, en 2000, 23,7 % des femmes ITA sont ingénieurs d’études, pour 27,3 % des hommes. Une fois retirés les Cristal décernés aux ingénieurs et assistants ingénieurs74, il ne reste qu’une part congrue aux personnels de catégories techniques et purement administratives75. En considérant les fonctions des heureux “cristallisés”, hommes et femmes confondus, et la répartition par sexe du personnel dans ces fonctions, on aboutit au curieux paradoxe que chez les ITA où le personnel féminin est majoritaire, une femme a finalement trois fois moins de chance qu’un homme d’obtenir un Cristal76! Quant aux départements d’appartenance des ITA distingués, ce sont, pour les femmes, les Moyens communs qui viennent en tête (8 Cristal), suivis, sans surprise, des SDV (6) et des SHS (4). Pour les hommes, la répartition est beaucoup plus homogène entre tous les départements scientifiques et les Moyens communs viennent en dernier. Dans le monde des ITA, le Cristal masculin récompense “l’accompagnement de la science”, selon la formule consacrée, alors que le Cristal féminin récompenserait plutôt sa gestion. De l’Or, attendu jusqu’en 1975, au Cristal, reconnaissant enfin en 1992 les catégories de personnel où les femmes sont les plus nombreuses – mais qui bénéficie proportionnellement beaucoup plus aux hommes –, l’étude des distinctions conférées aux femmes par le CNRS laisse l’amère impression que celles-ci n’ont pas eu leur part

Les femmes dans les laboratoires de biologie par Jean-François Picard

Jean-François Picard est historien, ingénieur de recherche au CNRS. Il est l’auteur d’une histoire du CNRS (La République des savants, le CNRS et la recherche française, Paris, Flammarion, 1990). Il a aussi publié de nombreux articles sur l’histoire des politiques scientifiques en France et à l’étranger.

Dans cet article, Jean-François Picard tente de mieux cerner la place des femmes au CNRS et plus généralement dans le monde de la recherche, en proposant, dans un premier temps, une lecture statistique minutieuse de leur présence au sein des différents laboratoires. Engageant sa réflexion en utilisant des approches sociologiques récentes et en analysant les difficultés propres aux minorités, l’auteur propose d’observer les capacités d’adaptation et les moyens mis en oeuvre par les femmes pour travailler dans la recherche. Choisissant de laisser la parole à celles qui vivent quotidiennement ces difficultés et qui analysent les raisons pour lesquelles, contraintes ou pas, elles tendent à privilégier certains domaines de recherches, Jean-François Picard aborde les multiples causes qui provoquent les débats actuels.

Marry Catherine, “Femmes ingénieurs :
une irrésistible ascension ?”, Information

sur les Sciences Sociales, n°28, 1989.

Marry Catherine, “Les ingénieurs : une

profession plus masculine en Allemagne

qu’en France ?”, L’Orientation scolaire et

professionnelle, n°21-3, 1992.

Marry Catherine, Ingénieur au masculin,

ingénieur au féminin : contribution

à une analyse des qualifications supérieures,

Lasmas Iresco CNRS, 1991.

Marry Catherine, “L’excellence scolaire

des filles : une révolution respectueuse ?

Le cas des diplômées des grandes écoles

scientifiques et d’ingénieurs”, note pour

l’habilitation à diriger des recherches en

sociologie, Paris, université de Versailles

Saint-Quentin, février 2002.

Maruani Margaret (dir.), Les nouvelles

frontières de l’inégalité. Hommes et femmes

sur le marché du travail, Paris,

La Découverte, 1998.

Meynaud Hélène-Yvonne, “Femmes et

positions de pouvoir : le cas des entreprises

françaises aujourd’hui”, Cahiers du

Gedisst, n°14, 1995.

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la parité en sciences et technologie,

Livre blanc : les femmes dans la recherche

française, mars 2002, disponible sur

internet : http://www.recherche.gouv.fr/

recherche/parite/frf.htm.

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réduction du temps de travail”, DEA de

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Jean-Pierre Terrail, Paris, 2001.

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Paul Bouffartigue (dir.), Cadres, la

grande rupture, Paris, La Découverte,

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et famille : quatre mouvements pour un

quatuor ? Sociologie du travail et sociologie

de la famille”, Sociétés contemporaines,

n°25, 1997.

Légendes des photos

Page 26
1 - Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil, Marquise du Châtelet - Lomont (1706-1749),

amie de Voltaire dont il disait “C’était un grand homme dont la seule faute était d’être une

femme”. Dès l’âge de quinze ans, elle étudie la philosophie et se passionne pour la

physique. Elle traduit et commente les Principes mathématiques de Newton. Par ses

travaux, elle est l’égale des savants de son temps.

© D comme Découvreuses - source Château de Breteuil

2 - Marie-Sophie Germain (1776-1831) est probablement la première femme mathématicienne. Brillante

autodidacte, c’est à l’âge de 13 ans qu’elle découvre le monde des mathématiciens par la lecture de la

vie d’Archimède. C’est sous un pseudonyme masculin qu’elle correspondra avec les grands

mathématiciens de son temps. Connue pour sa théorie des nombres premiers, elle reçoit le grand prix

de l’Académie des sciences de Paris en 1816.

© D comme Découvreuses

3 - Marie Curie avec sa fille Irène en 1922 dans le laboratoire Curie, à l’Institut du radium qu’elle créa en

1914. Marie Curie, née le 7 novembre 1867 à Varsovie recevra deux fois le prix Nobel, celui de physique

en 1903 et celui de chimie en 1911. Irène Joliot-Curie recevra le Nobel de chimie en 1935.

© DR

4 - Rosalind Franklin, biologiste britannique (1920-1958). Elle participe avec James Watson, Francis

Crick et Maurice Wilkins à la découverte de la structure hélicoïdale de l’ADN. En 1962, quatre ans après

sa mort, ils reçurent le prix Nobel de physiologie ou médecine. Dans leurs discours, ils ne firent quasiment

aucune référence à Rosalind Franklin.

© D comme Découvreuses

5 et 6 - Rita Levi-Montalcini, neurologue italo-américaine, prix Nobel de physiologie ou médecine

en 1986. Le 17 octobre 2001, elle honore de sa présence le CNRS, dans le cadre de la cérémonie

organisée pour le baptême de l’auditorium Marie Curie, à l’occasion du Centenaire des prix Nobel.

À 92 ans, elle participe, avec la seconde fille de Marie Curie, Ève, âgée de 97 ans, à un débat avec

Pierre-Gilles de Gennes.

Christiane Nüsslein-Volhard, biologiste allemande née en 1942 reçoit le prix Nobel de physiologie ou

médecine en 1995. Elle compte parmi les 10 femmes qui ont reçu cette distinction - dans les matières

scientifiques - contre 470 hommes, depuis la création du prix. Elle a accepté, avec Rita Levi-Montalcini

d’apporter son témoignage de “femme modèle” dans un film réalisé pour la Mission pour la place des

femmes au CNRS.

© CNRS Images / media 2001

7 et 8 - Catherine Bréchignac a été la première femme à diriger le CNRS, premier organisme français de

recherche. Cette physicienne restera à la tête de l’organisme de 1997 à 2000.

Une autre femme lui succèdera, la biologiste Geneviève Berger, jusqu’en 2003. C’est Catherine

Bréchignac qui a créé le Comité pour l’histoire du CNRS. C’est sous l’impulsion de Geneviève Berger, en

juillet 2001, que sera créée la Mission pour la place des femmes au CNRS.

© Catherine Bréchignac - CNRS photothèque/R.Lamoureux

© Geneviève Berger - CNRS /N. Tiget

P. 27 - Colonne de réfrigération à boule. UPR 9021 – Immunochimie des peptides et virus – Strasbourg © CNRS Photothèque – L. Médard P. 29 - Mise en place d’une colonne de chromatographie sur un collecteur de fractions en vue d’une purification de protéine. URA 1139 – Régulation de l’expression génétique chez les microorganismes – Paris © CNRS Photothèque – L. Médard P. 33 - Test catalytique travaillant sous pression. Installation d’un réacteur à lit fixe. La réaction étudiée est la réaction de Fischer-Tropsch qui permet de synthétiser une grande diversité de produits (alcanes, oléfines, alcools) par passage d’un mélange gazeux (CO+H2) sur un catalyseur. ESA 8010 – Laboratoire de catalyse hétérogène et homogène – Villeneuve d’Ascq © CNRS Photothèque – R. Lamoureux P. 39 - Séchage des plantes. Laboratoire d’extraction. UPR 2301 – Institut de chimie des substances naturelles (ICSN) – Gif-sur-Yvette © CNRS Photothèque – P. Plailly P. 44 - Interférométrie atomique. Partie supérieure de l’interféromètre. Zone de piégeage. En mauve, la compensation du champ terrestre, à droite, la caméra refroidie. Au centre, on distingue les bobines du champ quadripolaire. UPR 3321 – Laboratoire Aimé Cotton – Orsay © CNRS Photothèque – C. Delhaye P. 69 - Animalerie. Préparation pour l’injection sous-cutanée de cellules tumorales dans des souris. URA 147 – Pharmacologie moléculaire – Villejuif © CNRS Photothèque – P. Latron P. 72 - Analyse de biopsies musculaires au Laboratoire de morphologie (FR INSERM, IRCAM et CNRS). FR 16 – Institut fédératif de recherche sur le handicap (IFRH) – Paris © CNRS Photothèque – R. Lamoureux P. 75 - Verrerie dans un laboratoire de chimie organique. UPR 5301 – Centre de recherches sur les macromolécules végétales (CERMAV) – Grenoble © CNRS Photothèque – R. Lamoureux P. 79 - Système d’extraction par évaporation (“évaporateur rotatif type Rtavapor Düchi”). UPR 9021 – Immunochimie des peptides et virus – Strasbourg © CNRS Photothèque – L. Médard P. 99 - Peintures du IIIe siècle après JC. Restauration en cours dans un tombeau de Jordanie. Injection. URA 375 – Mosaïques, peintures, stucs : informatique en archéologie – Paris © CNRS Photothèque – A. Barbet

P. 117 - Analyse d’un modèle de glycosyltransférase. UPR 5301 – Centre de recherches sur les macromolécules végétales (CERMAV) – Grenoble © CNRS Photothèque – R. Lamoureux P. 119 - Karnak, restauration des blocs en granit noir de la porte de la chapelle Rouge. UPR 1002 – Mission permanente à Karnak © CNRS Photothèque – A. Chene P. 125 - Laser de puissance Luli. Chambre d’interaction. UMR 100 – Laboratoire pour l’utilisation des lasers intenses (Luli) – Palaiseau © CNRS Photothèque – D. Wallon P. 129 - Chimie des solides à l’Institut des matériaux de Nantes. Batteries au lithium. UMR 6502 – Institut des matériaux de Nantes (IMN) – Nantes © CNRS Photothèque – L. Médard P. 133 - Imagerie acoustique de cibles enfouies dans des sédiments marins (étude expérimentale en modèle réduit) UPR 7051 – Laboratoire de mécanique et d’acoustique (LMA) – Marseille © CNRS Photothèque – L. Médard P. 136 - Travaux de laboratoire, collage d’ossements en provenance de charniers de Provence (peste des XVIe et XVIIIe siècles), dans le cadre d’études paléomicrobiologiques. UMR 6578 – Adaptabilité humaine : biologie et culture – Marseille © CNRS Photothèque – C. Delhaye P. 137 - Système temps réel de reconnaissance et d’interprétation de gestes de la langue des signes française. Les gestes sont captés par un gant numérique, reconnus automatiquement en utilisant une méthode basée sur un apprentissage et interprétés à l’aide de règles syntaxiques basées sur une représentation de l’espace. Groupe IMM (Groupe Interaction et Multi-Modalités), projet ARGo : analyse et reconnaissance des gestes sémiotiques. UPR 3251 – Laboratoire d’informatique pour la mécanique et les sciences pour l’ingénieur (Limsi) – Orsay © CNRS Photothèque – L. Médard P. 142 - Montage des filaments sur le barillet du spectromètre de masse. URA 1758 – Géochimie et cosmochimie – Paris © CNRS Photothèque – L. Médard P. 146 - Simulation de contrôle aérien pour conception des postes du futur. URA 1775 – Laboratoire d’automatique et de mécanique industrielles et humaines (LAMIH) – Valenciennes © CNRS Photothèque – L. Médard

Affiche de l'exposition D comme Découvreuses, créée pour la première fois au Panthéon en mars 2002. On reconnaît Marie Curie et sa fille Irène. C'est dans le cadre de cette exposition, présentée au siège du CNRS, Campus Michel-Ange à Paris, à l'occasion de la Célébration internationale de la femme, qu'a été signé le 6 mars 2003 l'accord-cadre sur la parité dans les sciences. Affiche de l'exposition D comme Découvreuses, créée pour la première fois au Panthéon en mars 2002. On reconnaît Marie Curie et sa fille Irène. C'est dans le cadre de cette exposition, présentée au siège du CNRS, Campus Michel-Ange à Paris, à l'occasion de la Célébration internationale de la femme, qu'a été signé le 6 mars 2003 l'accord-cadre sur la parité dans les sciences

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Le 6 mars 2003, au CNRS, signature d’un accord-cadre sur la parité dans les sciences

À la veille de la célébration de la journée internationale de la femme, au siège du CNRS, dans le cadre de l’exposition D comme Découvreuses, hommage aux femmes qui ont marqué l’univers scientifique, Claudie Haigneré, ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles Technologies, Nicole Ameline, ministre déléguée à la Parité et à l’Égalité professionnelle, et Geneviève Berger, directrice générale du CNRS, ont signé un accord-cadre pour promouvoir l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans les carrières scientifiques. Dès 2001, le CNRS s’est donné une priorité : promouvoir la place des femmes dans les sciences. En créant une structure opérationnelle, la Mission pour la place des femmes, la directrice générale a su donner à l’organisme les moyens de sa politique. Le CNRS est le premier EPST à mettre en place un plan d’action pour un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes dans la recherche. Le chemin est long qui conduit à la parité ; trois femmes s’y sont engagées, conscientes que l’égalité répond à une exigence démocratique et constitue un des facteurs du développement économique et social. La signature de cet accord est la concrétisation des efforts engagés dans le domaine par les trois partenaires. Le temps fort en sera la création d’un réseau de correspondants parité - recherche dans les régions qui animera et fera vivre ces engagements, pour une meilleure égalité des chances entre les femmes et les hommes, pour une mixité équilibrée en sciences et en technologies.

De gauche à droite : Nicole Ameline, ministre déléguée à la Parité et à l’Égalité professionnelle, Claudie Haigneré, ministre déléguée
à la Recherche et aux Nouvelles Technologies et Geneviève Berger, directrice générale du CNRS, signent l’accord-cadre.

La Mission pour la place des femmes au CNRS et le Comité pour l’histoire du CNRS tiennent à remercier tout particulièrement les auteur-e-s des études rassemblées dans cet ouvrage : Ilana Löwy, Martine Sonnet, Jean-François Picard, Emmanuelle Cospen-Gharibian, Geneviève Faye, Ilse Costas, Londa Schiebinger, Margaret Rossiter et Catherine Nave. Nos remerciements vont également à Sylvie Gisselbrecht, Jacqueline Verdière, Betty Felenbok, Ethel Moustacchi, Annie Sainsard, Suzy Mouchet, Madeleine Foisil et Mireille Corbier, qui ont accepté d’apporter leur témoignage dans le cadre des entretiens, ainsi qu’à Claudine Herzlich et Michelle Perrot pour leur expertise. Enfin, nous exprimons notre gratitude tout particulièrement à Laurence Chavinier, Virginie Durand, Claire Giraud, Anne Piton, Laure Marry, Lydia Scher-Zembitska, ainsi qu’à toutes celles et ceux qui ont apporté leur contribution à la réalisation de cette publication.

Le lancement officiel du livre Les femmes dans l’histoire du CNRS a eu lieu le 9 mars 2004, au siège du CNRS, Campus Michel-Ange à Paris dans le cadre de la Célébration internationale de la femme.

L’admission des femmes à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain Stendhal-1817