Quel rôle les femmes scientifiques ont-elles pu tenir au sein du CNRS depuis octobre 1939, juste après le déclenchement de la guerre en Europe ? Il faut se rendre à l'évidence, l'histoire des sciences en général et celle du CNRS en particulier sont écrites au masculin ! Dans le but de valoriser la place des femmes dans les sciences, la Mission pour la place des femmes au CNRS a souhaité interroger les historiens et les historiennes. Des questions surgissent : les femmes étaient- elles nombreuses, le sont-elles davantage à notre époque et si leur nombre s'est accru, à quoi cela tient-il ? Dans quelles disciplines sont-elles plus nombreuses et pourquoi ? Exercent-elles des fonctions de responsabilité ? Peut-on comparer la situation de la France avec celle de ses voisins européens ou celle des États-Unis ? Il est temps, 65 ans plus tard, de faire le bilan...
uel role les femmes scientifiques ont-elles
pu tenir au sein du CNRS depuis octobre
1939, juste aprés le déclenchement de la
guerre en Europe ?
Il faut se rendre a l'évidence, l'histoire des
sciences en général et celle du CNRS en
particulier sont écrites au masculin !
Dans le but de valoriser la place des femmes
dans les sciences, la Mission pour la place
des femmes au CNRS a souhaité interroger les
historiens et les historiennes.
Des questions surgissent : les femmes étaient-
elles nombreuses, le sont-elles davantage a notre
époque et si leur nombre s'est accru, 4 quoi cela
tient-il ? Dans quelles disciplines sont-elles plus
nombreuses et pourquoi ? Exercent-elles des
fonctions de responsabilité ? Peut-on comparer la
situation de la France avec celle de ses voisins
européens ou celle des Etats-Unis ? Il est temps,
65 ans plus tard, de faire le bilan...
MISSION POUR LA PLACE DES FEMMES AU CNRS
COMITE POUR L'HISTOIRE DU CNRS
CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
3, RUE MICHEL-ANGE 75794 PARIS CEDEX 16 * TEL 01 44 96 40 00» TELECOPIE 01 44 96 53 90
i
Les
dans
Lhistoire
MISSION POUR LA PLACE DES FEMMES AU CNRS
COMITE POUR LHISTOIRE DU CNRS
Les
emlirnves
dans
Lhistoire
du
CNRS
Oe CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
Les femmes dans Vhistoire du CNRS
© CNRS photothéque C. Lebedinsky
es la premiére heure de la parité en
politique, le CNRS s’était donné une
priorité : promouvoir la place des
femmes dans les sciences. L’étude qui se
concrétise a travers le présent ouvrage avait des
lors été inscrite au plan d’action de la Mission
pour la place des femmes au CNRS.
ll était temps de faire un bilan et d’interroger les historiennes et les
historiens sur le rdle que les femmes scientifiques ont tenu au sein
du CNRS, depuis sa création en 1939. C’est donc tout naturellement
au Comité pour I’histoire du CNRS que cette étude a été confiée. Par
le biais de chiffres et de statistiques, une premiére tentative de
réflexion et d’analyse a été lancée sur ce theme. Le peu de visibilité
des femmes dans les instances décisionnelles du CNRS, reflet
déformé de leur réelle présence au sein de notre établissement, et
‘apparition des femmes dans des domaines jusque-la plus ou moins
reservés aux hommes, s’averent étre les points cruciaux relevés dans
cet ouvrage.
Les causes, tres diverses, de ce que l’on peut bien appeler une
certaine injustice sont analysées ici avec rigueur. Sous des angles
différents, que ce soit par le biais des gender’s studies, par la Socio-
logie, OU grace a une mise en perspective historique, ces
approches tentent d’expliquer comment les femmes s’adaptent a un
monde qui n’avait, a l’origine, pas été con¢u pour elles. La juxtapo-
sition d’autres points de vue, comme l'histoire des minorités, a
permis une nouvelle appréhension du sujet.
Le 6 mars 2003, Claudie Haigneré, ministre déléguée a la Recherche
et aux Nouvelles Technologies, Nicole Ameline, ministre déléguée a
la Parité et a l’Egalité professionnelle et Genevidve Berger, directrice
générale du CNRS, se sont engagées pour améliorer la place des
femmes dans les sciences, en signant, au siege du CNRS, un
accord-cadre de coopération. Dés ma prise de fonction a la direction
du CNRS, j'ai pris connaissance des termes de cet accord, dont j’ai
intention de promouvoir les principes et de poursuivre les stratégies
d'action. Le principe d'égalité des femmes et des hommes dans les
recrutements et dans les carriéres scientifiques répond a une
exigence démocratique, et je suis convaincu qu’il constitue un
facteur clé du développement du CNRS, qui trouvera son accom-
plissement dans le savoir partagé des femmes et des hommes qui y
travaillent. Cet ouvrage en est déja une démonstration.
Je tiens a remercier le Comité pour I’histoire du CNRS ainsi que
l'ensemble des auteures et auteurs de cet ouvrage pour la qualité de
leur travail. C’est une excellente contribution a la valorisation de la
place des femmes dans les sciences.
Bernard Larrouturou
Directeur général du CNRS
—_
Women in the History of the CNRS
s soon as the goal of gender parity was
mandated for French politics and
government the CNRS set its own
: priority of expanding the role of women in the
. i sciences. The present work reveals the results of a
study whose findings were promptly incorporated
into the CNRS action plan for its Mission to Promote the Role of Women.
© CNRS photothéque C. Lebedinsky
The time was ripe for taking stock of the role of women in the CNRS
and for consulting historians on the subject of women in the CNRS
since its founding in 1939. The Committee for the History of the
CNRS was naturally entrusted with the task of such a study, which
draws on the available statistics and other data to establish an
analytic starting point for reflections on this theme. Two fundamental
points emerge from this analysis: the paucity of women at the
decision-making level of the CNRS masks the strong presence of
women in its laboratories; and women are appearing in scientific
fields once thought to be the reserve of male scientists.
This study also takes a rigorous and detailed look at the diverse
causes of the inarguably unjust situation of women in science.
Treating the subject from several standpoints — gender studies,
sociology, historical perspective — it endeavours to explain how women
have adapted to a world which was not originally constructed with
their participation in mind. By drawing parallels with similar
questions, such as the history of ethnic minorities, the study sheds
new light on the subject of the role of women in science.
On March 6, 2003, the Minister of Research and New Technologies
Claudie Haigneré, the Minister for Gender Parity and Equal Job
Opportunity Nicole Ameline, and the Director General of the CNRS
Genevieve Berger signed a framework agreement committing them
to cooperate to improve the role of women in science. At the moment
| took up duties at the head of the CNRS | made a point of becoming
familiar with this agreement, and | intend fully to promote its
objectives and to place them at the center of plans for strategic
action. The principle of equality between men and women for
scientific recruiting and in scientific careers is a democratic
imperative, and moreover | am convinced that it constitutes a key
factor in the development of the CNRS. The present work embodies
the CNRS ideal of men and women sharing knowledge.
A special word of gratitude is due to the Committee for the History of
the CNRS as well as to the authors of this excellent study for the
quality of their labors. The result is an admirable contribution to the
advancement of women in science.
Bernard Larrouturou
Director General of the CNRS
= (2 id
SOMMMAaALTe
27
39
69
99
119
129
137
Editorial
par Bernard Larrouturou
Avant-propos : Les femmes en questions
par Girolamo Ramunni
Pourquoi si lentement ?
Les obstacles a l'égalité des sexes dans la recherche scientifique
par Ilana Lowy
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
par Martine Sonnet
Les femmes dans les Laboratoires de biologie
par Jean-Francois Picard
Les historiennes au CNRS
par Emmanuelle Cospen-Gharibian et Geneviéve Faye
Femmes universitaires en Allemagne
par Ilse Costas et Londa Schiebinger
Comparaisons américaines.
De la ségrégation a la “libération”. Et apres ?
par Margaret Rossiter
Femmes et responsabilités au CNRS : réflexions sur
des récits de parcours “improbables”
par Catherine Nave
es femmes
en questions
ome Women
in Science
Girolamo Ramunni
oT
Pourquoi un orga-
nisme de recherche comme
le CNRS s’interroge-t-il sur
la place des femmes dans
son histoire ? La réponse,
© CNRS - V. Durand
LC STeOE DCM ateruate eval
Why would a public
research organisation like
the CNRS take a searching
look at the role of women in
est docteur en scien-
ces a l'université de
Rome et docteur en
en apparence, pourrait
sembler tautologique, mais
en réalité, cest un sujet
bien plus vaste qui est pro-
posé ici et qui concerne la
place des femmes dans nos
sociétés. En d’autres ter-
mes, cest une maniére de
répondre 4 une demande
émanant de la société. Les
sciences sociales sont ainsi
appelées & mener leurs
investigations, a4 collaborer
philosophie a l’uni-
versité de Paris I. Il est actuellement
professeur Whistoire des sciences et des
techniques 4 l’université Lumiére -
Lyon II et rédacteur en chef de La
Revue pourlhistoire du CNRS.
Girolamo Ramunni has a PhD in science
from the University of Rome and one in
philosophy from the University of Paris |.
He is currently professor of the history of
science and technology at the University
of Lyons II as well as editor-in-chief of
its own history? The answer
may seem too simple, but
the investigation by the
CNRS into its own history is
nothing more or less than its
version of a vast research by
contemporary society into
the place and role of women.
In other words, it is as a
response to social demand
that social scientists work
entre elles pour compren-
dre comment on en est
arrivé a cette situation. En bref, une
enquéte multidisciplinaire qui projetterait
une analyse de la situation actuelle sur
une histoire dont les périodes peuvent étre
variables, s’'avére nécessaire, prolongeant
ainsi son questionnement tout en compa-
rant les sociétés, ce qui permettrait en
méme temps de proposer une réflexion
philosophique sur le sujet. Si cet ouvrage
est essentiellement consacré a la situation
des femmes au sein du CNRS, il ne faut
pas non plus oublier que ce sujet ne se
limite pas a la période contemporaine
mais que, depuis des siécles et certainement
depuis la révolution scientifique, il a
La Revue pour I’histoire du CNRS.
together to elaborate a
multidisciplinary
gation of the part played by women in
the development of modern science. In
fact, any analysis of the contemporary
state of affairs must begin historically,
extending its questions back into
the past, comparing societies, and
developing a philosophical reflection on
the subject. If the present work is for the
most part dedicated to women in the
CNRS, it must be underlined that such
a role is not only a contemporary
phenomenon but takes its roots several
centuries ago and certainly since the
scientific revolution.
investi-
toujours existé.
Avant-propos
Au début de la science moderne
“Je veux nous venger, toutes
tant que nous sommes, de cette indigne
classe ou nous rangent les hommes,
de borner nos talents a des futilités
et nous fermer la porte aux sublimes
clartés” déclare fermement Philaminte
dans Les Femmes savantes (11 mars
1672). Son programme : prouver “que
de science aussi les femmes sont
meublées ; qu’on peut faire comme eux
des doctes assemblées...” A Yironie de
Moliére, qui met en scéne les débats
savants de ces femmes désireuses
de créer leurs propres cercles a 1|’imi-
tation de ceux des hommes, répond
Fontenelle dans ses Entretiens sur la
pluralité des mondes (1686). Le futur
secrétaire perpétuel de Académie des
sciences de Paris décrit par quels
arguments il a réussi a attirer la mar-
quise de G. dans “le party de la philo-
sophie” pour en faire la messagére
d’une conception inédite du monde et
d’une nouvelle sagesse. “Sur tout si
elle pouvoit avoir dans sa conversation
les mémes agremens, je suis persuadé
que tout le monde courroit auprés de
la sagesse.”
Isaac Newton n’a pas encore
fait paraitre son Philosophiae natu-
ralis principia mathematica (1687) que
déja, la question de la place des fem-
mes dans la science est posée. Moliére
et Fontenelle exposent deux points de
vue, deux maniéres de voir la place de
la femme pendant la période que nous
When modern science began
“| want to take revenge for all of
us, just as we are, closeted away by
men, constraining our talents to useless
occupations, shut away from the sublime
realms of the mind.” So Philamente declares
her programme in Les Femmes savantes
(11 March 1672). She sets out to prove that
“women have science in them as well as
men; we, like them, can produce learned
assemblies...” In response to Moliére’s irony
in thus arranging scenes of learned debate
among women who seek to imitate male
proceedings, Fontenelle (in his Entretiens
1686)
describes how he drew the Marquise de G.
sur la pluralité des mondes —
into a life of philosophy. The future Perpetual
Secretary of the Academy of Sciences of
Paris saw his student as the messenger of a
new conception of the world and a new
wisdom. “/f she could demonstrate the same
refinement in her conversation, | am
convinced that all the world would be
running after wisdom”.
Isaac Newton had yet to publish his
Philosophiae naturalis principia mathematica
(1687) and already the question of the role of
women in science had been posted. Moliére
and Fontenelle depict two points of view or
two ways of seeing women’s place in the
period we have since come to call the
scientific revolution. Women are by no
Avant-propos
appelons aujourd’hui la révolution
scientifique. Les femmes ne sont pas
du tout absentes de Vhistoire des
sciences. Sans prétendre vouloir don-
ner une liste exhaustive, il suffit de
rappeler simplement que Descartes
s’entretenait avec Christine, reine
de Suéde, qu’Emilie de Breteuil,
marquise du Chatelet, traduisait
Newton ou que Mme Lepaute collabo-
rait avec Clairaut pour effectuer
des calculs, premier exemple de ces
femmes “calculatrices” dans les labo-
ratoires scientifiques, bien avant
Vinformatique. On peut rappeler les
salons du XVIII¢ siécle ou la présence
d’une dame, la fée électricité, repré-
sentée dans toutes les gravures de
lépoque, symbolisait les expériences
délectrostatique, amusement des
salons et objet d’interminables discus-
sions sur la nature de lélectricité.
On connait aussi Marie-Gaétane
Agnesi nommée professeur de mathé-
matiques a l’université de Bologne
par le pape Benoit XIV au milieu du
XVIII siécle.
La place des femmes, qui sont,
certes, présentes dés le XVII® siécle
dans l’histoire des sciences, a-t-elle
cependant évolué au fil du temps ?
Francois le Lionnais a confié a
Marie-Louise Dubreil-Jacotin, de
luniversité de Poitiers, un chapitre
consacré aux “Figures de mathémati-
ciennes” in Les Grands Courants de la
pensée mathématique, paru en 1948,
means absent from the history of science; a
rapid non-exhaustive recollection of this
history could not fail to point out Descartes
discussing with Christine, the Queen of
Sweden, or Emilie de Breteuil, the Marquise
du Chatelet, translating Newton, or Mme.
Lepaute working with Clairaut on calculations
(an early example of “calculating” women in
scientific laboratories). Mention could be
made as well of a particular feminine
presence in all the salons of the 18" century:
the fairy of electricity symbolising the
immensely popular and widely discussed
experiments in electrostatics. And even a
rapid tour is not complete without mention
of Marie-Gaétane Agnesi, named by Pope
Benoit XIV professor of Mathematics at the
University of Bologna in the middle of the
XVIII century.
lf women clearly enjoyed some
visibility in science as early as the 17"
century, how then has their role developed
over time? Francois le Lionnais invited Marie-
Louise Dubreil-Jacotin of the university of
Poitiers to contribute a chapter to his
“Principal Developments in Mathematical
Thought” (published in 1948 as part of the
collection “The Scientific Humanism of
Tomorrow”), a chapter devoted to “Women
Mathematicians”. This contribution, and the
fact of it having been solicited, can be taken
as a response to the conclusions reached
10
Avant-propos
dans la collection “LHumanisme
scientifique de demain”. On peut
interpréter cette contribution comme
une réaction a la conclusion qui sem-
ble se dégager des Etudes sur les fem-
mes de science et sur les mathémati-
ciennes (1927) de Maurice d’Ocagne,
ingénieur des Ponts et Chaussées,
figure-clé dans le systeéme de forma-
tion des grandes écoles parisiennes de
Ventre-deux-guerres. Celui-ci parait
donner, en guise de conclusion a son
enquéte historique, l’idée que la femme
serait “généralement dépourvue d’esprit
inventif et de génie créateur”. S’agit-il
d’une opinion personnelle ou bien d’un
jugement généralement admis dans le
milieu des ingénieurs des grands corps
de YEtat ? Difficile de répondre au
regard de la situation actuelle des
recherches historiques dans ce domaine.
Pour Marie-Louise Dubreil-Jacotin, une
conclusion s’impose : “Le dévelop-
pement de lVenseignement féminin, le
bouleversement des préjugés, les modi-
fications profondes du genre de vie et
du role assigné a la femme dans
ces derniéres années entraineront sans
doute une révision de la place tenue
par elle dans la science. On verra alors
dans quelle mesure elle pourra, a
Végal de Vvhomme, sortir du réle d’excel-
lente éléve ou de collaboratrice parfaite,
et rejoindre ceux de nos savants...” Le
CNRS a-t-il réussi depuis la fin de la
guerre a réaliser ce voeu de parité ?
in A Study of Women in Science and
Women Mathematicians (1927) by Maurice
d’Ocagne (engineer in the elite Ponts et
Chaussées corps of the French State and
prominent figure in the development of the
Parisian grandes écoles between the two
wars) who writes at the end of his study that
“women in general are devoid of an inventive
mind and uninhabited by a creative muse”.
Was this strictly a personal opinion or was it
a generally held notion in engineering circles
among the elite State grands corps? The
current progress in historical research
of the period does not yet allow an answer.
For Marie-Louise Dubreil-Jacotin, one
conclusion is inevitable: “The growth of
female schooling, the combat against
prejudice and preconceptions, the profound
changes in ways of life, and the role assigned
to women in recent years all will undoubtedly
bring about a rethinking of the place of
women in science. Time will tell to what
extent women escape the role of excellent
student and impeachable assistant to join —
as men’s equal — the ranks of the learned.
Has the CNRS succeeded since the end of
WW II in making this vision a reality?
A general assessment
Martine Sonnet has studied the
history of the CNRS from its origins in 1939.
This history reveals a female presence among
Avant-propos
Un bilan d’ensemble
Martine Sonnet parcourt l’his-
toire du CNRS depuis 1939. On y
découvre ainsi que, dés son origine,
la présence des chercheuses, méme
si elle est minoritaire, n’est pas négli-
geable. Des femmes nées au XIX®
siécle étaient présentes a la naissance
de cette institution. Il n’y a apparem-
ment pas d’ostracisme, mais des dif-
ficultés pour étre présentes en masse
et de maniére paritaire. Martine
Sonnet brosse le profil type de ces
femmes engagées dans les travaux de
recherche : elles sont essentiellement
célibataires, condition qui était,
comme en Allemagne 4a partir de
1848, une des conditions nécessaires
pour sengager dans ce type de car-
riére. Ne peut-on pas faire un paral-
léle avec le célibat des professeurs de
Cambridge et d’Oxford, célibat fustigé
et pris pour cible par les eugénistes
britanniques ? On voit immédiatement
la nécessité de mener une enquéte
approfondie et comparée, au moins
entre pays européens.
En ce qui concerne le CNRS, il
est clair que son organisation pourrait
expliquer la diversité des situations
évoquées ici. Les professeurs, qui
dirigent toute leur vie le laboratoire
quils ont souvent créé, sont, par leur
attitude, a Vorigine des différences
concernant la présence des femmes
dans leur groupe de recherche. De
méme, comme lindique lenquéte
researchers which although that of a minority
is not negligible. Women born in the 19"
century were present at the birth of the
CNRS, but if they were not subject to
ostracism they clearly suffered from being so
few. Martine Sonnet paints a typical profile
of women at that time who were dedicated to
scientific research. They were for the most
part single, a condition which, as in Germany
starting from 1948, was a pre-requisite for
women bent on this career. It is tempting to
draw a parallel between this requirement and
the celibacy of professors at Cambridge and
Oxford, which drew such ire from British
eugenists. In any case, one immediate
conclusion is the need for much closer and
comparative study, at least among European
countries.
As for the CNRS, its diverse forms of
organisation explain in large part the
diversity in the situations women face. When
professors are lifelong heads of laboratories
that they themselves founded, their different
attitudes alone can account for differences
in the presence or not of women on their
research teams. By the same token, no real
human resource policy can be discerned, as
was pointed out already by the survey carried
out in 1967 of researchers in the natural
sciences by the DGRST. The facts revealed
by this study are similar to those discovered
by other surveys in other countries. Some
11
12
Avant-propos
relative aux chercheurs en sciences
exactes et naturelles, publiée en 1967 et
commandée par la Délégation Générale
a la Recherche Scientifique et Technique
(DGRST), il n’existe pas de réelle poli-
tique de ressources humaines. Les cons-
tantes qui se dégagent de cette étude
peuvent se retrouver dans des enquétes
similaires menées dans d’autres pays.
Certaines disciplines sembleraient plus
féminisées que d’autres et les obstacles
pour faire carriére se révéleraient dif-
férents en fonction de la filiére choisie.
Un changement se serait amorcé aux
alentours des années 1970 lorsqu’on a
commencé 4 distinguer chercheurs et
chercheuses et a briser le pouvoir
du “neutre”.
Pourtant, si l’on regarde les
pourcentages, au-dela des fluctuations
insignifiantes, la proportion reste
étonnamment constante. Faut-il y
voir une conséquence de la pyramide
des Ages ou bien le résultat de causes
structurelles de la société francaise
qui expliquerait le faible nombre de
candidates aux concours d’entrée, ou
encore des contraintes propres a
Vinstitution ? Lenquéte mérite d’étre
affinée. Il existe probablement un
phénoméne d’inertie qui se fait sentir
a tous les niveaux de la carriére. Si
les chercheuses sont en nombre
inférieur par rapport aux chercheurs,
doit-on s’étonner de trouver cette
méme différence dans la composition
du Comité national, dans les distinc-
disciplines are more open to women than
others and the obstacles to female scientific
careers differ according to the track chosen.
A change can nonetheless be observed
in the 1970’s when a
between
taking place
distinction chercheurs and
chercheuses began to be made, and the
myth of the neuter scientist began to fade.
That being said, the percentage of
women scientists remained remarkably
constant. Should this be interpreted as a
consequence of the age pyramid, or rather
as the result of structural elements in
French society affecting the number of
female candidates for competitive entry
examination, or rather still as stemming
from institutional constraints? The question
is worthy of further research. There is likely
a kind of institutional inertia which makes
the gender discrepancy felt at all levels. If
it then
fewer still rise to
CNRS _ National
Committee, to positions of leadership, and
fewer scientists are women, is
surprising when
membership on the
to scientific honors? A survey by Catherine
Nave of women in positions of responsibility,
of women, that is, who have cleared all the
barriers, opens the way to a possible answer
by making clear a few key points of analysis:
the articulation between professional and
non-professional life, since research takes
up so much of one’s time; the recognition of
scientific talent within the institution; and
Avant-propos
tions, comme dans les postes 4 respon-
sabilités ? Catherine Nave apporte
un début de réponse aprés avoir inter-
rogé des femmes ayant exercé des
responsabilités, c’est-a-dire ayant franchi
tous les obstacles. Elle met en évidence
des points clés qui sont : l’articulation
entre sphéres professionnelles et non
professionnelles, car la recherche
prend beaucoup de temps ; la recon-
naissance des compétences au sein de
Vinstitution ; existence de comporte-
ments ordinaires de misogynie.
Reste a définir s'il s’agit d’in-
dications qui seraient confirmées par
une étude distinguant la province de
la région parisienne ou en donnant
la parole a celles qui ont réussi, mais
aussi 4 celles qui n’ont pas réussi.
Les questions que pose Catherine
Nave doivent aussi étre soulevées au
sujet de ladministration. Pour un
organisme de recherche, la place de
Vadministration est capitale. Martine
Sonnet rappelle l’importante fémini-
sation de l’administration du CNRS,
avec les éléments d’ambiguité que
cela comporte aussi quant aux
réelles responsabilités exercées.
Létude sur de grandes périodes faite
par Martine Sonnet est trés détaillée,
mais demanderait a étre affinée afin
de mettre en évidence les différences
et les évolutions dans le temps et par
rapport aux facteurs relevant de la
société en général. Deux questions se
posent. Peut-on parler d’une spécifi-
the ineluctable existence of garden-variety
misogyny.
It remains to be determined whether
the best way to confirm her findings is by a
detailed study of one region, say the Paris
region, or by listening at length to women
who have succeeded as well as those who
have not reached the level to which they have
aspired. The questions Nave raises ought
also to be raised concerning the CNRS’
administration since for a public research
organisation the administration plays a vital
role. Sonnet underlines the feminisation of
the CNRS administration, including a certain
ambiguity over the real level of responsibility
exercised by the positions concerned. Her
study which distinguishes the major periods
of the CNRS’ history is finely detailed, but
nonetheless calls for further refinements in
order to bring out differences and changes
over time and as a function of relevant social
factors in general. Two questions arise: Is
there a specificity to the CNRS in the context
of French society overall? Is the case of the
CNRS uniquely different when compared to
other equivalent organisations in other
countries?
Studies of the situation of women in
science are particularly abundant in the US.
In her contribution, Margaret Rossiter has
delivered a rapid overview of the question
since 1939. The period between the two
13
14
Avant-propos
cité du CNRS au sein de la société
francaise ? La situation au CNRS
est-elle différente de celle des autres
pays et des organismes étrangers
équivalents ?
Les études sur la situation
aux Etats-Unis sont particuliére-
ment nombreuses. Margaret Rossiter
brosse, dans sa contribution, un
rapide état de la question depuis
1939. Lentre-deux-guerres semble,
comme on pouvait s’y attendre, un
moment de transition important,
avec l’élimination de barriéres qui,
jusque-la, semblaient aller de soi.
La parité pourtant n’est pas acquise
une fois pour toutes. Elle n’est pas
irréversible et les batailles légales, a
partir du début des années 1970, sont
la pour le prouver : dune part, la
nécessité de faire appel aux modes de
fonctionnement de la société améri-
caine et, d’autre part, la difficulté de
traduire dans les faits ce qui semble
étre accepté dans les principes.
Doit-on considérer la nomination
de chercheuses a la téte d’organismes
de recherche comme le signe d’un
tournant, d’un changement irréver-
sible ? Lavenir nous le prouvera
sans doute.
Ilse Costas et Londa Schiebinger
tracent une histoire rapide de la
présence de femmes dans les insti-
tutions de recherche et les uni-
versités allemandes. Globalement,
elles décrivent une situation qui
Wars, as one might guess, looms importantly
as a transition period during which barriers
hitherto thought of as natural began to
disappear. Gender parity, for all of that, did
not become the rule but rather proves to be
reversible and conditional. This can be seen
in the legal battles which began in the early
1970's;
principle into
the difficulties of translating
practice clashed with
functional habits of American society.
Should the nomination of women at the head
of major research organisations be taken as a
sign of permanent change? Only the future
will tell.
Ilse Costas and Londa Schiebinger
tell with broad strokes the story of women
They
describe a situation overall where women’s
in German research universities.
acquisitions are behind those in other
countries, with women underrepresented in
science.
As of 1848,
requesting entrance to the University in order
women _— began
to study education or receive training as
nurses and social workers. Despite slight
change in the right direction subsequently,
accentuated by a bright spot during the
Weimar Republic, the arrival of the Nazis in
power made things quickly worse again.
in 1970
fueled by the rapid expansion of university
Change only occurred
teaching staff and the creation of new
Avant-propos
est en retrait par rapport a la ten-
dance qui semble s’imposer dans
d’autres pays, car les femmes sont
moins représentées. Leur expli-
cation est intéressante, car leur
recherche est établie sur la longue
durée. A partir de 1848, les femmes
ont demandé a étre accueillies 4
l'Université pour suivre des cours sur
la pédagogie ou se former pour
devenir infirmiéres ou assistantes
sociales. Malgré les lentes évolutions
et une petite embellie a l'époque de la
république de Weimar, le pouvoir nazi
ne fait qu'aggraver la situation.
Le réel changement se mani-
feste en 1970, facilité par l’expan-
sion de postes universitaires et par
la création de nouvelles universités.
Les auteures posent alors une
question essentielle sans un
changement de fond, conceptuel, pas
simple du tout a réaliser, il n’y aura
jamais de modification de la place
des femmes a l'Université.
D’ot importance des études
féministes financées par la Deutsche
Forschungsgemeinschaft. De fait, les
institutions de recherche sont ainsi
interpellées, pour provoquer, par des
travaux de recherche, un change-
ment dans nos “présupposés” sur le
role et la place des femmes dans la
recherche. Changement sur le long
terme, mais changement que l’on
espére stable.
universities. The authors at this point
lay out a fundamental problem: if there is
no change in underlying conceptions — which
is not at all easy to bring about — there will
be no significant shift in the status of women
in German universities. This is why the
feminist studies financed by the Deutsche
Forschungsgemeinschaft are so important.
Research institutions are also being called
upon to undertake research projects likely to
provoke changes in existing presuppositions
concerning the place of women in science.
This type of change is by nature long in
coming about, but presumably lasts once
it occurs.
Women at the CNRS and scientific disciplines
Picard, in his
look at the
Jean-Francois
contribution, takes a close
presence of women in the laboratories of the
department of life sciences (SDV). This
department is characterised by a drop in the
presence of women among its researchers.
The percentage of women is stable for the
category of engineers, technical, and
administrative staff (ITA) but has dropped
11% for scientific staff. The explanations
typically proffered for this type of decrease
do not hold
phenomenon is recent and goes counter to
in this case since the
the predominant wisdom of the moment. The
author relies to a large extent on experiential
insights and reports the viewpoints of women
15
16
Avant-propos
Des disciplines au CNRS
Jean-Francois Picard, quant 4
lui, étudie plus précisément la pré-
sence des femmes dans les laboratoi-
res de biologie. Le département SDV'
se caractérise par une baisse de leur
présence. Le pourcentage est stable
et élevé pour les ITA’ mais en baisse
de 11 points pour le corps des cher-
cheurs. Comment interpréter cela ?
Les raisons que l’on donne habituel-
lement ne satisfont que partiellement
car la baisse est récente et irait donc a
contre-courant du discours dominant.
Lauteur donne une place importante
au vécu et rapporte le point de
vue des chercheuses. I] est toujours
intéressant de voir comment celles-ci
évoquent cette question. On trouve,
dans les raisons invoquées, des justi-
fications que l’on peut qualifier de
“classiques”. Dans ce cas, on fait appel
aux causes habituelles généralement
admises et l’on s’en sert pour expliquer
ce qui se passe dans d’autres discipli-
nes ou dans d’autres milieux socio-
professionnels, ce qui ne veut pas dire
pour autant qu’elles n’aient pas une
réelle importance. Globalement, il s’a-
git de constater les différences concer-
nant la place des femmes dans la
société en évoquant leurs responsa-
bilités dans la famille et les difficultés
créées par une communauté organisée
pour faciliter la carriére des hommes.
Parfois, des arguments portant sur la
nature contrastée de la femme, dans
1. SDV : Sciences de la vie.
2. ITA : Ingénieurs, Techniciens et Administratifs.
researchers. It is instructive to see how the
latter respond to this issue. Among the
explanations given are justifications of a sort
that could be called “classical”, whereby
conventional reasons are trotted out and
used to explain what is also going on in other
disciplines and other professions, which is
not to say that they are invalid. The general
idea is that family responsibilities weigh
more heavily on women at the same time that
the scientific community is constructed with
male careers in mind. At times arguments
based on differences between male and
female are considered as discriminatory. One
point which emerges from this study, and
merits further investigation, is if the drop in
women researchers in life sciences is not due
— as Ethel Moustacchi wonders — to the fact
that she and her peers represent a “previous
generation of researchers”. In this telling,
changes in research practice has leveled the
specificities of biological research and made
it more and more like other disciplines, with
a consequent effect on the makeup of the
scientific corps. It is interesting to note that
a similar shift appears to be taking place
within the ITA staff of mathematics,
which likely has something to do with
developments in computer science. But here
again a deeper more detailed look must be
taken. In any case it seems that the
percentage of women among ITA workers is
holding steady in the life sciences. At the
Avant-propos
une science dominée par les hommes,
sont considérés comme discriminatoires.
Un point ressort de cette étude et
mériterait une investigation plus fine.
Pour expliquer la baisse du pourcen-
tage de chercheuses en SDV, Ethel
Moustacchi se demande si elle et ses
collégues ne représentent pas “une
ancienne génération de chercheuses”.
Il y aurait alors une évolution, un
changement dans la pratique de la
recherche qui ferait que les spécificités
de la biologie seraient éliminées et que
sa pratique se rapprocherait toujours
plus des autres champs de la recher-
che, avec une influence importante sur
la composition du corps des cher-
cheurs. Il est intéressant de noter
qu’une évolution analogue se dessine
au sein des ITA pour les sciences
mathématiques, ce qui serait proba-
blement 4 mettre en relation avec le
changement qui s’est produit en infor-
matique — mais encore une fois, il fau-
drait faire une étude plus approfondie.
Il apparait donc que le nombre des ITA
reste stable. On constate aussi qu’en
SHS’ augmentation est de 5 points.
Doit-on convenir avec Emmanuelle
Cospen-Gharibian et Geneviéve Faye
qu’en ce qui concerne histoire, ce
comportement 4 contre-courant serait
la conséquence des caractéres parti-
culiers de la recherche en SHS ou, par-
fois, la distinction entre chercheuses et
ITA peut ne pas exister dans la pra-
tique de la recherche, a tel point que
des carriéres importantes peuvent étre
3. SHS : Sciences de I’homme et de la société.
same time it is to be noted that female
ITA numbers in the Social Sciences (SHS)
are up 5%. One explanation proposed by
Emmanuelle Cospen-Gharibian et Genevieve
Faye is that this counter-trend stems from
specific characteristics of SHS research, a
department where at times any distinction
between researcher and ITA disappears in
practice. ITA personnel in SHS can aspire to
significant careers. The comparison of these
two career tracks within the SHS Department
brings new meaning to the term “making
a place for oneself” in the scientific
community. The kind of fine distinctions
which historical analysis is forced to make
when investigating this bundle of phenomena
serves as an intriguing reminder of the
difficulties and even dangers of seeking to
generalise the results of a particular survey,
albeit a painstaking one, to cover the whole
of the question of the place of women in
science.
Studies of women in science
Since the study of women in science
is — as all those writing on the CNRS agree —
still in its infancy, the time is right for an
examination of the state of this work, which
is what Ilana Lowy has produced. She rightly
identifies the academic context of such
research as being the field of “women’s
studies” or “gender studies” that arose more
17
18
Avant-propos
faites tout en restant ITA ? Les deux
parcours professionnels qu’elles nous
présentent montrent bien ce que signi-
fie, au jour le jour, “se faire une place”
dans la communauté scientifique.
Un aspect qui reste particuliérement
intéressant A étudier est le résultat
mis en valeur par la finesse de
Yanalyse sur les différences au sein
méme de histoire, ce qui tend 4 prou-
ver la difficulté, et le danger aussi,
de vouloir généraliser les résultats
d’une enquéte, méme minutieuse, a
lensemble de la question sur la place
des femmes dans la recherche.
Les études sur les femmes
Si, comme le reconnaissent
tous les auteurs des études concernant
le CNRS, on en est aux balbutiements
d’une recherche qui devrait étre déve-
loppée, il est indispensable de s’inter-
roger sur l’état d’avancement des étu-
des portant sur la place des chercheu-
ses dans le monde de la recherche.
C’est ce que fait Ilana Lowy. Elle
rappelle justement que ces études,
qui ont été appelées d’abord women
studies et plus récemment gender
studies, ont commencé depuis au
moins trente ans et qu’aujourd’hui,
dans les universités américaines,
des cours sont dispensés sur la
question “Femmes et science”. D’ot
importance d’élaborer des instru-
ments de travail, comme le volumi-
neux dictionnaire biographique qui
than three decades ago, mainly at US
universities where today students can enroll
in courses on “Women in Science”. Growth
as an academic subject necessitates the
development of research tools like the
voluminous biographical dictionary covering
the careers of more than 2,500 women in
science, a vital addition and completion of
the Dictionary of Scientific Biography. Thirty
years in the history of women is not easy to
summarise, and Ldéwy limits herself to
discussing the institutional place of women
in science, leaving aside such hot — and
hotly debated — topics as whether gender
difference makes for different ways of doing
science.
Results from the surveys are
sometimes surprising, and there are no
automatic mechanisms ensuring that gender
parity will inevitably come to pass in science,
or in society. That men and women share
household tasks, for example, does not lead
ineluctably to parity in the scientific
laboratory. While Sweden can be cited as
proof of this, in Turkey as in a number of
developing nations, women seem to have
more power in science than in daily life. Do
observations such as these justify the
conclusion that in societies where the
scientific revolution took place a long time
ago scientific institutions have arisen
which adapt only with difficulty to the
inclusion of women? Such a hypothesis finds
1. Charles C. Gillispie, Dictionary of Scientific Biography, C.Scribner’s sons, N.Y., 1970.
The Biographical Dictionary of Women in Science, edited by Marilyn Ogilvie and John Harvey, New York and London, 2000 ; Crossing
Boundaries, Building Bridges, edited by Annie Canel, Ruth Oldenziel, Karin Zachmann, Amsterdam, 2000 and also the History of Women
in the Sciences, a collection of articles which first appeared in /sis and published by Sally Gregory, Chicago, 1999.
Avant-propos
retrace la carriére de prés de 2 500
femmes de sciences, qui s’avére crucial
et qui compléte les biographies déja
parues dans le Dictionary of Scientific
Biography’. Il n’est pas aisé de résu-
mer plus de trente ans de l’histoire des
femmes. Des études s’appuient sur
Vaxiome qu'il existerait une différence
radicale entre hommes et femmes
dans la maniére de conduire le travail
de recherche. La science serait-elle
marquée par le genre de ceux qui la
pratiquent ? Cet axiome a été, et est
encore, vivement contesté et il n’est
pas discuté ici par Ilana Léwy qui
traite essentiellement des raisons
sociales qui expliqueraient la place des
femmes dans linstitution scientifique.
Les résultats des enquétes
peuvent sembler étonnants : pas de
présence d’automatismes qui assure-
raient la parité dans la société et dans
le monde de la recherche. II ne suffit
pas, par exemple, qu’il y ait parité
dans la vie de tous les jours, comme
dans les travaux a la maison, pour
quil y ait parité dans les emplois
scientifiques, comme c’est le cas en
Suéde, alors méme qu’en Turquie,
comme dans les pays en voie de déve-
loppement, on confére une place qui
semble plus importante a la femme.
Doit-on en conclure que 1a ow la révo-
lution scientifique s’est implantée
depuis longtemps les institutions se
sont constituées de maniére a rendre
plus difficile le travail des femmes ?
confirmation in the important role women
play in the institutions that Lowy qualifies as
“parallel” (ones which allow for another way
of organising the work of scientific research).
Following Jonathan Cole and_ Harriet
Zuckerman, Lowy explains these differences
in terms of social factors. Taking up the oft-
commented fact that women publish less
than men, and setting aside the explanations
based on women’s social roles, Cole and
Zuckerman rework the classical explanation
offered by their mentor, Robert Merton, one
of the founders of the sociology of science.
This explanation draws on what it sees as the
protestant foundation of modern science,
and the accompanying quickness to interpret
lack of results or financial gain as failure. In
this view there exists within modern societies
a kind of fossil radiation of results-
mindedness which takes its toll on even
scientific institutions and their supposed
insulation from all but the loftiest
intellectual considerations when it comes to
the advancement not just of science but of
scientific careers. Differences in funding
allocations appear as a subtle form of
discrimination and confirm what Margaret
Rossiter calls the “Mathilde” effect, or the
female version of the “Matthew effect”
whereby, in the words of the author of the
Gospel of Matthew, “to those who have,
much will be given” (it has often been
observed that scientists who benefit from
4. Charles C. Gillispie, Dictionary of Scientific Biography, C. Scribner's sons, N.Y., 1970.
The Biographical Dictionary of Women in Science, sous la direction de Marilyn Ogilvie et John Harvey, New York et Londres, 2000 ; Crossing
Boundaries, Building Bridges, sous la direction de Annie Canel, Ruth Oldenziel, Karin Zachmann, Amsterdam, 2000 ou bien encore History
of Women in the Sciences, recueil d’articles déja parus dans /sis et publiés par Sally Gregory, Chicago, 1999.
19
20
Avant-propos
Cela semblerait confirmé par la place
importante occupée par les femmes
dans des institutions quTlana Lowy
qualifie de “paralléles” parce qu’elles
permettent une autre organisation
du travail de recherche. Comme
Jonathan Cole et Harriet Zuckerman,
Ilana Léwy explique ces différences
par des facteurs d’ordre social. Aprés
avoir constaté que les chercheuses
publiaient moins et aprés avoir écarté
les causes communément admises liées
au réle que tiennent les femmes au sein
de la société, Jonathan Cole et Harriet
Zuckerman reprennent |’explication
classique de leur professeur, Robert
Merton, l'un des fondateurs de la
sociologie de la science : l’origine
protestante de la_ science. Cela
explique la raison invoquée : l’absence
de succés professionnel et financier
sanctionne plus durement les hommes
que les femmes. I] y aurait donc une
explication sur la longue durée, une
lame de fond permanente dans nos
sociétés, affectant les institutions
scientifiques ou, théoriquement, seules
les qualités intellectuelles devraient
jouer dans lévaluation, a l’entrée et
pendant tout le déroulement de la
carriére. La différence dans I’octroi des
crédits et des ressources semblerait
générer des discriminations subtiles et
confirmer cet état de fait selon lequel,
comme le dit Margaret Rossiter, “l’effet
Mathilde serait ce qui a la science en
général est l’effet Mathieu”. Il est
intéressant de constater que dans ce
5. Par effet Mathieu, on indique le constat que les scientifiques qui on
a certain renown garner more grants and
contracts). It is also interesting to note
that in these types of studies references
are frequent to the conclusions of classical
science studies on the origin and the
organisation of the scientific endeavor, as if
to confirm indirectly that it is indeed the very
way that research has been organised that is
hindering the drive toward parity.
Ilana Léwy relays Evelyn Fox Keller’s
criticism of the common use of gender
neutral terms to designate the roles of both
men and women. For Keller this amounts to
an assumption that the values governing all
professional function are the masculine
values of aggressiveness, competition and
rigid hierarchies. She asks whether the use
of the neuter is not yet another way to
conform the life of the scientific community
to these values. Do such terms make up part
of the prejudice which if unspoken is
nonetheless evident in the behavior of many
male scientists? Efforts to explain the place
of women in science without taking into
account this career-long accumulation of
“handicaps” they face, beginning with
scientific training, will be in vain. Another
question arises from these considerations:
are there some professions, including
scientific professions, which are so codified
that they end up shaping their members
behavior to fit the norm? There is of course
no overarching answer to this question,
une renommée certaine regoivent plus de subventions et de contrats.
Le nom est emprunté a la conclusion d’une parabole de |’Evangile selon Saint Mathieu ou il est dit que l’on donnera encore a ceux qui ont
déja beaucoup.
Avant-propos
type d’études on se sert de conclusions
d’études classiques sur la science,
sur son origine et sur son mode de
fonctionnement, pour expliquer la
place qu’occupent les chercheuses
dans la communauté scientifique,
maniére détournée pour affirmer
que cest lorganisation méme de la
recherche qui produit la non-parité.
Ilana Lowy rapporte l’opinion
d’Evelyn Fox Keller qui critique la
position souvent affichée de l’emploi du
neutre pour la désignation de la
fonction de lun ou l’autre sexe. En réa-
lité, cette position ne serait-elle pas le
reflet d'une assimilation aux valeurs
masculines d’agressivité, de compéti-
tivité et de hiérarchie rigides ? N’est-ce
pas une maniére de vouloir ramener a
ces valeurs la vie de la cité scientifique ?
Peut-on affirmer que cela ferait partie
des préjugés non avoués mais tenaces
dans le comportement des chercheurs ?
Vouloir expliquer la situation des fem-
mes dans la recherche est une tache
vaine si l’on ne prend pas en compte
cette accumulation d’effets “handi-
capants” qui accompagnent la vie d’une
jeune fille depuis sa formation. Ce qui
pose une question complémentaire : y
aurait-il des professions, y compris celle
de chercheur, qui seraient si norma-
lisées qu’elles provoqueraient des
changements dans le comportement ?
Une question a laquelle on ne peut pas
répondre de maniére générale, mais
uniquement par une analyse attentive
but asking it suggests the importance of
attentive analysis that is sensitive to
sociocultural factors existing in a country or
even a particular region. In sum, non-parity
begins in grade school and can be found at
every step up the ladder.
What to do ?
One conclusion emerges clearly from
these contributions to the study of women in
the CNRS: simply describing the situation in
which women researchers find themselves
will not suffice. There are steps to be taken.
lf the article on the case of Germany
is correct in taking the long view for a better
understanding of the causes of the current
situation, then the research programme
needed is one which will bring historians,
sociologists, anthropologists as well as
philosophers to work together. In short, the
role and place of women in the history of the
CNRS _ will
pluridisciplinary effort. Once this is carried
only be written through a
out it will likely be possible to identify the
blockages to change. In the same way it will
be useful to trace the apparent inversion of
the tendency to greater numbers of women
researchers in the field of biology in order to
identify the factors responsible for putting at
risk a situation assumed to be a safely
acquired inheritance from past struggles.
21
22
Avant-propos
qui puisse aussi laisser la place aux
paramétres socioculturels de chaque
pays, voire de régions particuliéres.
Pour résumer, la non-parité commen-
cerait a entrée a l’école et se retrouverait
a tous les échelons.
Que faire ?
Les contributions sur les fem-
mes dans l’histoire du CNRS montrent
de toute évidence que la description de
la situation ne suffit pas. Il faut aller
au-dela.
Si, comme l’indique l’article sur
Allemagne, lanalyse sur la longue
durée permettra de mieux comprendre
les causes de la situation actuelle,
il faudra développer des recherches
associant des historiens et des socio-
logues, des anthropologues comme des
philosophes. Bref, la place des femmes
dans histoire du CNRS ne pourra étre
traitée que par une recherche multi-
disciplinaire. I] sera probablement
possible, en fin de course, de mesurer
quelles difficultés s’opposent au chan-
gement. De méme, s'il se produit une
inversion de tendance dans le départe-
ment de biologie, il serait intéressant
de la suivre et de comprendre com-
ment, au “déterminisme” du change-
ment d’une pratique qui s’ impose pour
des causes multiples, se conjuguent
d’autres éléments qui semblent mettre
en difficulté certaines situations consi-
dérées jusque-la comme des acquis,
And what exactly is this inheritance? Is it a
tradition specific to the CNRS or can the
same tendencies be found in other research
organisations?
Another important work to be done is
to produce biographies of women in science,
but true biographical works and _ not
hagiographies that limit themselves to
rehashing well-known verities and repeating
conventional wisdom. It is also important to
make better known the contributions of
women to science. Is it not high time, for
example, to publish the complete works of
first-rate minds like Sophie Germain (1776-
1831), awarded the grand prize of the
Academy of Sciences of Paris in 1816 and
author of CEuvres philosophiques? \|n her
person she represents all of the important
questions being asked about the role of
women in science; self-taught (is that
possible today and has degree-getting
become an obstacle for some?), and writing
under a pseudonym (would things have gone
differently if science had been aware from
the beginning of the female contribution?),
Sophie Germain attracted the attention of
Lagrange, who became her mentor, and
later collaborated — and corresponded
voluminously — with Legendre. Mention can
also be made of Lady Lovelace, whose name
now adorns a
widespread computer
application, and of her dialogue with
Babbage on the subject of calculating
Avant-propos
mais qui pourraient se révéler simple-
ment des héritages du passé. Pourquoi
alors un tel héritage ? S’agit-il d’une
situation propre au CNRS ou retrouve-
t-on le méme changement dans d’au-
tres organismes de recherche ?
Il faudrait probablement
écrire des biographies sur les femmes
de sciences : des biographies et non des
hagiographies qui se bornent 4 la
reprise de lieux communs et qui ne
feraient que reproduire le discours
dominant. Il faudrait aussi faire
connaitre les contributions des fem-
mes a la science. Un exemple : le
moment ne serait-il pas venu de
publier les ceuvres complétes de per-
sonnalités de premier plan, telle
Sophie Germain (1776-1831), grand
prix de VAcadémie des sciences de
Paris (1816), dont il serait utile de
rééditer les Ciuures philosophiques ?
On a la un personnage emblématique
des questions que l’on se pose sur le
rapport des femmes a la science.
Autodidacte — est-il possible de l’étre
encore aujourd’hui et les diplémes
ont-ils introduit un obstacle de plus ? -,
Sophie Germain simpose sous un
pseudonyme masculin — [histoire
aurait-elle été différente si l’on avait
connu dés le début son appartenance au
sexe féminin ? — et retient l’attention de
Lagrange qui devient son mentor, puis
collabore avec Legendre, avec lequel
elle a entretenu une correspondance
volumineuse. Mais on peut aussi citer
machines. In addition to these main
characters, attention should be paid as well
to women who were auxiliaries to scientific
research such as technical personnel or
women calculators or those who may have
had some effect on science administration.
Any study of the CNRS must also
distinguish between what is proper to the
CNRS and what is also true for women in
the greater social context. In recent history,
for instance, scientific organisation has
increasingly resembled industrial production
systems — in 1978 references were made to
“the CNRS Group” — and it will be necessary
to determine what is due to the division of
labor typical of such systems and what is
specific to the situation of women in one or
another of these divisions. This is critical to
any attempt to explain the differences
between disciplines, such as the relative
abundance of women scientists in SDV
compared to the Physical and Mathematical
Sciences Department (SPM). What are the
causal factors? What is the structure of a
research career? And what are the sources of
the many types of obstacles to women in
research organisations?
Studying the role and place of
women in the CNRS historically is not a
neutral task. At the heart of the matter lie
questions such as how the competitive
entry process is judged, and how promotion
23
24
Avant-propos
Lady Lovelace, dont le nom est associé
a un célébre logiciel et qui a dialogué
avec Babbage sur les machines 4 calcu-
ler mécaniques. A cété de ces person-
nalités, il faudrait faire une place a ces
nombreuses auxiliaires de la recher-
che, comme les femmes calculatrices ou
le personnel technique des laboratoires
et étudier le réle joué par celles-ci dans
Vadministration de la science.
Reste a faire le tri entre ce qui
est propre au CNRS, ce qui l’est a l’or-
ganisation de la science et ce qui n’est
que le reflet de la situation des fem-
mes dans la société. Ainsi, pour reve-
nir a nos jours, si l’organisation scien-
tifique se rapproche toujours plus du
systéme industriel de production — ne
parlait-on pas de “Groupe CNRS” en
1978 ? — il faudra faire la part entre
ce qui est la division du travail, propre
a ces organisations, et ce qui est la
conséquence du fait que l’on est une
femme dans lune des catégories
créées par la division des taches. Cela
est extrémement important si l’on
veut saisir les différences entre disci-
plines qui font qu'il y a plus de cher-
cheuses en SDV qu’en SPM®. Quelle
sont les parts de responsabilités ? La
structure des carriéres ? Et quelles
sont les causes des obstacles de toutes
natures s’opposant a la présence des fem-
mes dans les structures de recherche ?
Etudier la place des femmes
dans histoire du CNRS n’est pas neutre.
Au coeur de cette problématique se
6. SPM : Sciences physiques et mathématiques
takes place. Simply put, is the scarcity of
in the CNRS reducible to the
scarcity of candidates? Or is there in
women
addition a bias in the selection process?
The answers to these questions would
reveal a great deal about the CNRS as it
faces the task of gender parity. If scarcity of
candidates is the cause, research in this
area must turn to what a scientific
organisation can do to work for change in
society. The science-society relationship
becomes paramount. If however the cause
is in the selection process, the institution’s
modi operandi must change. But change in
what ways? And will all this undercut the
self-image of the CNRS according to which
— and in contrast with the University — its
essence lies in its evaluative function? In
all likelihood both hypotheses will prove to
be valid in part. The most important aspect
of all of this is that the needed studies are
carried out. It will be interesting to observe
what changes occur in, say, ten years time.
Women’s place in the history of the CNRS
will then be important, but for other
reasons.
Avant-propos
situe la question de l’évaluation aux
concours d’entrée, tout comme celle
de la promotion. Pour étre clair : la
non-parité, telle qu’on la constate,
serait-elle la conséquence du nombre
moins important de femmes qui se
présentent aux concours et aux promo-
tions ou proviendrait-elle d’un sys-
téme d’évaluation biaisé ? On voit bien
les conséquences sur la vie de linsti-
tution selon la réponse que I|’on appor-
tera. Si la premiére hypothése se
révéle la cause principale, que doit
faire un organisme de recherche pour
provoquer le changement dans la
société ? Quelles recherches soutenir
et comment valoriser les travaux effec-
tués ? Le rapport recherche-société est
alors la question essentielle. Si c’est
Pévaluation, alors c’est le mode de
fonctionnement de Jinstitution qui
devra étre révisé. Quels seraient les
changements a y apporter ? N’en vien-
drait-on pas a remettre en cause l’une
des images du CNRS qui, par rapport
a l'Université, se définit comme I’orga-
nisme en mesure d’évaluer ? On peut
sans doute parier que les deux hypo-
théses se révéleront partiellement cor-
rectes et importantes. I] ne reste qu’a
souhaiter, au vu des enjeux, que ces
études se développent et il sera inté-
ressant de constater les changements
induits, dans dix ans par exemple. La
place des femmes dans histoire du
CNRS serait alors importante, mais
pour de toutes autres raisons...
25
Illustres anciennes ou éminentes contemporaines,
quelques femmes “modeéles”...
Catherine Bréchignac Geneviéve Berger
Pour les légendes des photos, se reporter de la page 151 a 153.
Pourquoi si lentement ?
Les obstacles a l’égalité
des sexes dans la recherche
SCLENLIFIQUE par tana Lavy
Ilana Loéwy est directrice de recherche 4 VTINSERM’. Elle est
affectée au CERMES, Centre de recherche médecine, sciences,
santé et société (INSERM/CNRS/EHESS?’). Depuis 1998, elle est
’ chargée de cours a ’/EHESS en histoire des sciences biologiques et
médicales, genre et biomédecine.
Son dernier ouvrage, écrit avec Jean-Paul Gaudilliére, Heredity
and Infection : The History of Disease Transmission (Londres,
Routledge), a été publié en 2001.
[” Léwy se fonde sur des travaux de gender studies trés développés
dans les pays anglo-saxons et sur des ouvrages récents pour faire appa-
raftre les paradoxes d’une société qui se dit égalitaire, mais qui, dans les
faits, ne permet pas aux femmes de s’impliquer autant que les hommes dans
la recherche scientifique. La femme, depuis les années 1960-1970, peut
devenir un sujet d’étude a part entiére dans certains domaines scientifiques,
mais il n’en demeure pas moins qu’en dépit du changement institutionnel
qui tend a promouvoir les chercheuses, les mentalités ne changent que
trés lentement. Ilana Léwy tend a démontrer la difficulté rencontrée par
les femmes pour s’extraire de la gangue sociale dans laquelle une société,
encore fondée sur un partage des taches peu équitable, les maintient et crée
des obstacles au déroulement de leur carriére.
1. INSERM : Institut national de la santé et de la recherche médicale.
2. EHESS : Ecole des hautes études en sciences sociales.
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Les femmes dans histoire du CNRS
des femmes de la recherche
scientifique est intitulé : Le cer-
veau a-il un sexe 2 (The mind has no sex ?
Le cerveau n’a pas de sexe 2). Le titre fait
allusion au fait que, pendant trés long-
temps, la science a postulé que le cerveau
a bel et bien un sexe : masculin. Une idée
semblable se profile derriére le titre dun
ouvrage francais sur un sujet sembla-
ble : Le sexe du savoir‘. De tels titres sou-
lignent le contraste entre l’impartialité
supposée des sciences et la longue his-
toire de la discrimination envers les fem-
mes. Pendant longtemps, la recherche
scientifique fut percue comme un
domaine exclusivement masculin. La
réalité est plus complexe. De nombreu-
ses femmes ont participé au développe-
ment des connaissances scientifiques —
fidéles collaboratrices, techniciennes effi-
caces, épouses, soeurs ou filles dévouées,
ou méme chercheuses 4 part entiére —
mais leur contribution fut occultée ou
minimalisée par la suite. De ce fait et jus-
qu’a récemment, l’image publique des
chercheurs scientifiques fut celle dun
individu de sexe masculin car “le savant”
nétait jamais une savante. Le mouve-
ment des femmes et leur entrée massive
dans certaines disciplines scientifiques
ont modifié cette vision. Notre société
reconnait aujourd’hui, en théorie du
moins, que les hommes et les femmes ont
une aptitude identique 4 maitriser des
connaissances nouvelles, a développer
une pensée abstraite, a élaborer les
hypothéses et 4 les vérifier, a faire des
expériences, 4 publier des articles dans
des revues savantes et 4 transmettre
leur savoir A des collégues et des étu-
10) n livre sur histoire de l’exclusion
diants. En pratique cependant, la recher-
che scientifique n’est — toujours — pas un
domaine ot régne la parité parfaite entre
les hommes et les femmes. Le sexe de la
personne qui fait des expériences ou qui
écrit un projet de recherche aurait-il plus
d’importance que la couleur de ses yeux ?
Beaucoup de travaux sur les femmes
dans la recherche scientifique ont paru
en langue anglaise. Depuis une trentaine
d’années les études féminines (women
studies), puis les études de genre (gender
studies) sont intégrées dans le curricu-
lum universitaire des pays de langue
anglaise. Les étudiants de premier cycle
ont souvent des cours obligatoires sur
ce sujet et ceux qui se destinent 4 des
carriéres scientifiques ou médicales
recoivent des enseignements ciblés sur
le sujet “genre et science”. Linstitution-
nalisation des études de genre se traduit
en paralléle par l’existence de filiéres doc-
torales, de sources de financement et par
des débouchés professionnels. Elle a
encouragé des recherches centrées sur la
place du “genre” — cest-a-dire la percep-
tion sociale et culturelle du masculin et
du féminin — dans le développement des
sciences et des techniques. En outre, des
organisations professionnelles et des fon-
dations ont stimulé le développement des
recherches sur les raisons du faible nom-
bre des femmes dans certains domaines
de la recherche scientifique. Historiens,
sociologues, anthropologues, philosophes
mais aussi des chercheurs en sciences
expérimentales se sont intéressés aux
causes et aux conséquences de la longue
exclusion des femmes de la recherche
scientifique.
3. Londa Schiebinger, The Mind has no Sex? Women and the Origins of Modern Science, Cambridge, Mass., Harvard
University Press, 1989.
4. Michelle Le Doeuff, Le sexe du savoir, Paris, Aubier, 1998.
Pourquoi si lentement ?
Les obstacles a l’égalité des sexes dans la recherche scientifique
Vu létendue du sujet, mon texte se
focalise sur un seul aspect du sujet
“femmes et science” : la place des
femmes dans la recherche scientifique
contemporaine.
En 1999, Vhistorienne nord-améri-
caine des sciences, Londa Schiebinger,
a tenté de dresser le bilan de l’impor-
tance du féminisme dans le dévelop-
pement récent des sciences. Premier
constat : la situation des femmes
dans la recherche scientifique est
trés différente selon le pays et la disci-
pline. La compa-
raison internationale
révéle des résul-
tats parfois sur-
prenants. Ainsi, en
Suéde, un pays
ou le partage des
taches domestiques
est relativement
bien implanté et
qui a une infras- |
tructure efficace de
prise en charge des
enfants en bas ge,
la proportion des chercheuses et des uni-
versitaires de haut niveau est faible et
en 1996, seulement 6 % des chaires
universitaires ont été occupées par des
femmes. En revanche, la proportion
des chercheuses est relativement
élevée dans certains pays en voie de
développement, tels que la Chine ou
la Turquie®. Des sociologues et des
anthropologues ont tenté d’expliquer
ces différences par les modalités de la
construction des identités sexuées. En
Suéde, une plus grande égalité dans le
partage des taches matérielles a l’inté-
rieur du couple, ne s’est pas traduite
par un changement paralléle de cons-
truction des identités des hommes et
des femmes. Les femmes continuent 4
porter la responsabilité principale
pour le bien-étre de leurs proches.
Cette responsabilité est percue comme
un élément central et non négociable
de Videntité féminine. Les femmes
cadres supérieures ne se sentent pas
plus libres de négliger leurs devoirs
émotionnels et affectifs envers leur
famille que des femmes ouvriéres. Un
dipléme d’enseigne-
ment supérieur ne
donne pas le droit
détre une “mau-
vaise mére”, une
“fille négligente” ou
une “épouse indif-
férente”. En consé-
quence, les femmes
suédoises consa-
crent une partie
importante de leurs
activités a la “repro-
duction des hommes en tant qu’étres
sociaux”. Cette asymétrie d’investisse-
ment affectif donne un avantage
important au développement des car-
riéres masculines puisque que les
hommes bénéficient du concours des
femmes sans obligation de réciprocité’.
Les femmes, dans des sociétés non occi-
dentales, peuvent plus facilement aban-
donner le réle féminin traditionnel.
La perception du sexe/genre comme
un élément ancré dans la structure
du moi profond, que lanthropologue
5. Londa Schiebinger, Has Feminism Changed Science? Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1999, pp. 33-53.
6. Anna G. Jonasdottir, Why Women Are Oppressed, Philadelphia, Temple University Press, 1994.
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30
Les femmes dans histoire du CNRS
Igor Kopytoff propose, est une invention
occidentale relativement récente, liée a
laffaiblissement de la tradition comme
élément régulateur fondamental des
relations sociales. Des sociétés ordon-
nées par une idéologie centrée sur les
droits de lindividu ne peuvent plus
concevoir un réle social comme un élé-
ment de base de la stabilité sociale.
La source de cette stabilité est donc
déplacée vers des éléments percus
comme quasi immuables, comme la
biologie, Phérédité ou la psyché. En
revanche, dans des cultures fondées sur
lattachement aux structures collec-
tives et a la tradition, le genre n’est pas
percu comme une partie de lidentité
profonde d’une personne, mais tient
avant tout un role social. Les cultures
africaines ou asiatiques accordent une
place trés importante aux occupations
des individus et établissent une hiérar-
chie des occupations et des taches. Une
femme qui fait de la recherche et qui,
de ce fait, accéde 4 un statut élevé et
rare, peut donc étre percue avant tout
comme une “scientifique”. Son réle
social dominant peut affaiblir son atta-
chement au role de “femme”, attitude
inconcevable dans des sociétés occiden-
tales dans lesquelles le sexe/genre est
considéré comme une identité sociale
immuable, indépendante des variables
que sont la profession ou le statut
social’.
Dans les pays industrialisés, la ten-
dance générale entre 1960 et 2000 fut
augmentation importante du nombre
des femmes chercheuses. Cependant,
certaines disciplines scientifiques sont
restées trés majoritairement masculi-
nes. C’est le cas de la science mathéma-
tique, de la physique, ou des sciences
pour l’ingénieur. Les sciences de la vie
et la recherche biomédicale se sont for-
tement féminisées. En régle générale,
d’aprés Londa Schiebinger, l’augmenta-
tion du nombre des chercheuses n’a pas
eu de conséquences visibles sur les
sujets étudiés par les chercheurs. Elle
cite pourtant plusieurs cas de change-
ment dans le choix des recherches
concernant une discipline particuliére
et qui s'intéresse de plus prés au sexe
féminin. C’est le cas de la primatologie
qui a découvert les structures sociales
des singes femelles ; de l’archéologie qui
acommencé a s’intéresser sérieusement
au réle des femmes dans les sociétés
archaiques ; de la biologie du développe-
ment qui s’est intéressée aux influences
maternelles sur l’évolution de l’ceuf fer-
tilisé ; et de la médecine. Liabandon
récent du modéle selon lequel le “corps
humain universel” est toujours mascu-
lin et l’introduction de obligation de
tester tous les médicaments nouveaux
sur les hommes et sur les femmes, reflé-
tent aussi une attention plus grande 4
la spécificité des femmes*. Pour Londa
Schiebinger, les changements récents
dans certaines disciplines scientifiques
s’expliquent principalement par l’entrée
massive des femmes dans un champ
disciplinaire donné. Des chercheuses
ont contribué a la diffusion des idées
inspirées du féminisme dans certaines
disciplines scientifiques. Evelyn Fox
Keller propose une vision légérement
différente. Le moteur principal du chan-
gement, écrit-elle, n’est pas la présence
7. Igor Kopytoff, “Women’s roles and existential identities”, dans Peggy Reves Sunday & Ruth Gallaher-Goodenough, Beyond the
Second Sex: New Directions in the Anthropology of Gender, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1990, pp. 77-99.
8. L'exclusion des femmes des essais thérapeutiques fut légitime a cause de leur “instabilité” : les femmes ne sont-elles pas soumises
a des fluctuations hormonales ? Par ailleurs, une femme qui participe a un essai thérapeutique peut étre enceinte a son insu, et le
foetus peut souffrir des effets teratogénes potentiels de la substance testée. Leur inclusion obligatoire fut justifiée par les différences
importantes entre la physiologie masculine et féminine :
inefficaces ou, au contraire, dangereuses pour les femmes.
des doses des médicaments efficaces pour les hommes peuvent étre
Pourquoi si lentement ?
Les obstacles 4 ’égalité des sexes dans la recherche scientifique
physique des femmes chercheures —
puisque les chercheurs des deux sexes
partagent les mémes valeurs — mais le
changement global des attitudes envers
des femmes dans la société, introduit
par le mouvement des femmes’.
Malgré des acquis indéniables, les car-
riéres féminines dans la science conti-
nuent d’avoir du retard sur celles de
leurs collegues masculins”. En paral-
léle, on assiste 4 une surreprésenta-
tion des femmes dans des domaines
et des institutions, percus comme mar-
ginaux ou alternatifs". Une telle surre-
présentation peut étre percue comme
le résultat de l’exclusion des femmes
des centres du pouvoir scientifique.
Elle est, pourtant, souvent présentée
par les intéressées elles-mémes
comme un choix délibéré de faire de
la science autrement. Des femmes
qui travaillent dans des institutions
“paralléles” vantent les avantages de
la recherche, socialement utile et rela-
tivement libre des contraintes de la
compétitivité. En outre, ces lieux alter-
natifs ont la réputation d’étre moins
hiérarchiques et plus ouverts aux
femmes. Des observations directes de
ces sites révélent une réalité plus
complexe. Les femmes y bénéficient
d’avantages réels dans leurs relations
avec leurs collégues et de possibilités
d’autoréalisation. En contrepartie, les
salaires sont nettement plus bas, elles
ont une moindre sécurité de l’emploi et
un statut marginal, a l’intérieur de la
communauté scientifique. Ce dernier
rend plus difficile le passage a des insti-
tutions de recherche plus traditionnelles :
la décision de travailler dans un cir-
cuit scientifique paralléle peut ainsi
déboucher sur une voie de garage. En
outre, méme les lieux de travail alter-
natifs ne sont pas toujours dépourvus
de pratiques discriminatoires. Ces
institutions sont souvent dirigées par
des hommes. Le discours sur l’objectif
partagé peut masquer une exigence
implicite d’une éthique de travail
“masculine” et une impatience devant
les demandes spécifiques des femmes
qui peuvent, par exemple, demander
des horaires plus souples”. Méme le
circuit paralléle de la science accorde
souvent une place plus importante
aux chercheurs masculins. Cette ten-
dance est encore plus prononcée dans
la science “officielle”.
Le mouvement féministe a inspiré,
dans les années 1970 et 1980, une série
de travaux sur le faible nombre des
femmes dans la recherche scientifique
et sur les difficultés spécifiques de
celles qui ont choisi d’exercer le métier
de chercheure. En 1979, le sociologue
Jonathan Cole, un éléve de Robert
Merton, publia un livre qui affirme que
lécart entre les carriéres féminines et
masculines dans la science repose sur
une raison trés simple : la moindre qua-
lité de la production scientifique fémi-
nine. En s’appuyant sur les investiga-
tions scientométriques, trés en vogue a
cette époque, Jonathan Cole a trouvé
que les femmes publiaient moins et que
leurs travaux étaient moins cités que
ceux des hommes. Loin de refléter un
préjugé anti-féminin de la science, la posi-
tion inférieure des femmes démontre,
9. Evelyn Fox Keller, dans Angela Creager, Elisabeth Lunbeck et Londa Schiebinger (eds.), Feminism in the Twentieth Century Science,
Technology and Medicine, Chicago et Londres, The University of Chicago Press, 2001.
10. Londa Schiebinger, Has Feminism Changed Science?, op.cit. pp. 44-51.
11. Des institutions de ce type sont rares en France, pays dans lequel la recherche scientifique reléve, dans sa quasi-totalité, du
secteur public. Elles sont plus fréequentes aux Etats-Unis ou en Allemagne.
12. Margaret A. Esienhardt et Elisabeth Finkel, Womens’ Science: Learning and Succeeding from the Margins, Chicago, The University
of Chicago Press, 1998.
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32
Les femmes dans histoire du CNRS
selon Jonathan Cole, que la science
est juste — son livre s'intitule Fair
Science —, que le lien entre le mérite et
lavancement des carriéres scienti-
fiques, postulé par Robert Merton, fonc-
tionne trés bien”. Le livre de Jonathan
Cole, en réaction aux accusations de
discrimination sexiste, ne soutient pas,
il est vrai, que les femmes sont intrin-
séquement moins compétentes pour
faire de la recherche que leurs collé-
gues masculins. Jonathan Cole attri-
bue la différence entre les carriéres
masculines et féminines sur le choix
que font les deux sexes. Selon lui, les
femmes préférent, en régle générale,
investir plus de temps dans leur vie
privée.
En 1992, Jonathan Cole et sa collégue
Harriet Zukerman ont proposé un point
de vue trés différent. Les investigations
plus récentes confirment qu’en moyenne
les femmes publient en effet moins sou-
vent que les hommes. Ce fait ne refléte
pourtant pas, expliquent Jonathan Cole
et Harriet Zukerman, les difficultés liées
a la nécessité de concilier les obliga-
tions professionnelles et familiales. La
persistance de la division inégale des
taches domestiques et éducatives n’in-
fluence pas les trajectoires des cher-
cheuses. Ni la maternité, ni le mariage,
ni méme le nombre des enfants et leur
Age ne modifient les performances pro-
fessionnelles des femmes scientifiques.
Harriet Zukerman et Jonathan Cole ont
méme découvert que les chercheuses
méres de famille publient légérement
plus que celles dégagées des obligations
familiales“. La différence majeure que
lon constate n’est pas entre les femmes
qui ont des charges familiales et celles
dépourvues de telles charges, mais entre
les chercheurs du sexe masculin et du
sexe féminin. Comment l’expliquer ?
Si on laisse de coté ’hypothése qu’en fin
de compte le cerveau a un sexe, que les
hommes ont une aptitude innée plus
grande pour la recherche, il faut chercher
Vexplication des différences entre les
chercheurs, hommes et femmes, dans la
structure de la recherche scientifique et
dans le fonctionnement de la société en
général. Jonathan Cole et Robert
Fiorentine discutent ainsi l’effet poten-
tiel des pressions différentes exercées
sur les hommes et les femmes. Notre
culture sanctionne plus sévérement
absence de succés professionnel et
financier des hommes. D’ot leur persé-
vérance plus grande face aux obstacles et
une attention plus élevée aux critéres
externes du succés. Les femmes sont
moins soumises a ce type de pressions.
Elles peuvent plus facilement choisir la
famille ou la vie privée comme un champ
d’investissement principal ou, alterna-
tivement, comme un lieu paralléle de
validation de leur réussite. De ce fait,
une étude focalisée sur les femmes dans
la recherche scientifique est nécessai-
rement biaisée puisqu’elle rend invi-
sibles celles qui ont abandonné la pour-
suite d’une carriére scientifique. La
moindre importance de la réussite for-
melle pour les femmes peut les inciter 4
choisir des stratégies de recherche diffé-
rentes de celles adoptées par les hommes
et attribuer une moindre importance 4
la quantité de leurs publications”.
13. Jonathan Cole, Fair Science: Women in the Scientific Community, New York, Free Press, 1979.
14. Jonathan Cole et Harriet Zukerman, “Marriage, motherhood and performance in Science”, dans Jonathan Cole, Harriet Zukerman
et John T. Bauer, The Outer Circle: Women in the Scientific Community, New Haven, Yale University Press, 1992, pp. 157-170.
Traduction francaise, Jonathan Cole et Harriet Zukerman, “Les femmes et la recherche scientifique”, Pour la Science, avril 1994,
pp. 40-48 (avec un commentaire de Claude Zaidman sur la situation frangaise).
15. Stephan Cole et Robert Fiorentine, “Discrimination against women in science. The confusion of outcome with process”, in Cole,
Zukerman et Bauer, The Outer Circle: Women in the Scientific Community, op. cit. pp. 205-226.
Pourquoi si lentement ?
Les obstacles a l’égalité des sexes dans la recherche scientifique
Autre raison évoquée par les sociologues
pour expliquer le fait que les femmes
publient moins : la persistance des attitu-
des discriminatoires. Des recherches
récentes indiquent que ces attitudes n’ont
pas disparu. Elles ont seulement changé
de nature. La discrimination ouverte, fré-
quente dans les années 1950 et 1960, fut
remplacée par des mécanismes plus sub-
tils et souvent involontaires®. Mary Frank
Fox a comparé l’accés aux ressources des
hommes et des femmes qui travaillent
dans le méme département, sur des sujets
proches. Elle a constaté des différences
importantes dans Ilattribution des res-
sources. Les hommes ont plus de chances
dobtenir des finan-
cements et un sou-
tien institutionnel
principalement grace
a leur meilleure
insertion dans des
réseaux informels
qui gérent ces res-
sources, un plus
grand soutien de la |
part de leurs supé-
rieurs hiérarchiques,
une socialisation qui
les prépare mieux 4
faire des demandes précises et leur permet
davoir une plus grande confiance dans
leur capacité A obtenir ce quils consi-
dérent comme un dt. En outre, les fem-
mes, percues comme moins aptes aux
taches de commandement, accédent plus
rarement et plus lentement aux postes de
direction de la recherche. Or, ces postes
permettent 4 ceux qui les occupent de
signer toutes les publications d’un groupe
ou d’un laboratoire. Ils augmentent de ce
fait d'une maniére considérable le nombre
des articles dont ils sont co-auteurs et
ainsi, leur rang dans l’index des citations
scientifiques”.
Dans un article sur un phénoméne
que Robert Merton a baptisé “leffet
Mathieu”, celui-ci soutient qu’une quan-
tité disproportionnée de ressources
disponibles, ainsi que la visibilité publique
et la reconnaissance par le milieu, va
aux scientifiques qui ont déja acquis
la notoriété dans un domaine donné
(une variante du proverbe “on ne préte
qu’aux riches”*). Lhistorienne des
sciences Margaret Rossiter reprend
cet argument, pour
indiquer que les
femmes sont sou-
vent victimes d’un
processus inverse,
quelle a nommé
“Veffet Mathilde”.
Moins bien insérées
dans les réseaux,
confrontées a4 des
attentes moindres
de la part de leurs
\supérieurs hiérar-
chiques et de leurs
collégues, la valeur de leurs contribu-
tions pourrait étre minimalisée. Ce qui
agit sur leur accés aux ressources et sur
le déroulement de leur carriére”’. Une
contribution faite par un homme,
explique Margaret Rossiter, est percue
dune maniére non _ problématique
comme Il’expression de son talent et de
ses capacités. La contribution d’une
femme recoit souvent des qualificatifs
supplémentaires.
16. Mary J. Gallant et Jay E. Cross, “Wayward puritans in the ivory tower: Collective aspects of gender discrimination in academia”,
The Sociological Quaterly, 1993, 34(2), pp. 237-256.
17. Mary Frank Fox, “Gender, environmental milieu and productivity in Science”, in Cole, Zukerman et Bauer, The Outer Circle: Women
in the Scientific Community, op. cit., pp. 188-204.
18. Robert K. Merton, “The Matthew effect in Science”, Science, 1968,159, pp. 56-63.
19. Margaret Rossiter, “The Matthew {Mathilda} effect in Science”, Social Studies of Science, 1993, 23, pp. 326-341.
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34
Les femmes dans histoire du CNRS
Pour paraphraser l’écrivaine féministe
Joanna Russ :
“elle ne l’a pas fait,
elle l’a fait, mais elle n’aurait pas
dit le faire,
elle le fait, mais vous voyez bien ce
quelle a fait,
elle l’a fait, mais une fois seulement,
elle la fait, mais ce n’est pas vrai-
ment de la science, et elle n’est pas
un vrai chercheur,
elle l’a fait, mais elle avait de l'aide,
elle V'a fait, mais elle est une anomalie,
elle l’a fait, MAIS...” ”°
La perception différentielle du travail
fourni par les hommes et les femmes a
été étudiée plus récemment par la socio-
psychologue Virginia Valin”. Son livre
Pourquoi si lentement, part du constat
qu’a partir des années 1970, la parité
hommes / femmes au niveau de l’entrée
dans la profession fut établie dans de
nombreux domaines de recherche, telles
les sciences humaines et sociales ou les
sciences de la vie. La conséquence
logique aurait di étre lélargissement
graduel d’une telle parité a tous les
échelons de la carriére universitaire ou
scientifique”. Trente ans plus tard, on
s’apercoit qu’il n’en est rien. Les sommets
de la hiérarchie professionnelle reflétent
toujours une forte prédominance mascu-
line. Les femmes sont surreprésentées au
bas de l’échelle et dans les postes sans
stabilité d’emploi”. D’ot la question
pourquoi si lentement ?”. Les recher-
ches de Virginia Valin confirment qu’a
la fin des années 1990, le sexe de la per-
sonne qui accomplit un travail donné,
continue a4 influencer la maniére dont
on évalue son travail”. Les “schémas
du genre”, c’est-a-dire les attentes —
souvent inconscientes — qu’un homme
ou une femme se comporte d’une maniére
prédéterminée, colorent d'une maniére
permanente notre facon de juger les
actions des individus. Ladhésion, aussi
sincére soit-elle, aux principes de l’éga-
lité et A l’ethos de lobjectivité scienti-
fique ne suffit point 4 éliminer le biais
introduit dans les milieux de la recher-
che par des perceptions distinctes des
performances masculines et féminines.
Par ailleurs, la plupart des chercheurs
aspirent sincérement 4 une évaluation
objective des performances de leurs
collegues et adhérent pleinement au
principe de légalité des sexes. De ce
fait, le biais induit inconsciemment les
“schémas du genre” qui s’expriment le
plus souvent par des différences subti-
les et quasi imperceptibles de Ilat-
titude. On ne relévera pas, par exem-
ple, une suggestion proposée par une
femme, ou encore, aura-t-on tendance a
percevoir le travail d’un homme plutét
comme “brillant” et celui d’une femme
plutét comme “appliqué”. Ces petites
différences d’attitude peuvent avoir
des effets cumulatifs importants sur la
perception de leurs collégues con-
cernant les contributions des cher-
cheuses, mais aussi sur l'image qu’elles
se forment de leurs capacités propres.
A la longue, elles peuvent stimuler la
tendance des femmes a s’autolimiter et
a renoncer a certaines aspirations.
20. Le poéme de Russ parle des ceuvres littéraires produites par des femmes. Joanna Russ, How to suppress Womens’ Writing, Austin, Texas, University of Texas Press, 1983.
21. Viriginia Valin, Why So Slow: The Advancement of Women, Cambridge, Mass., MIT Press, 1998.
22. Aux Etats-Unis, une telle approche est nommeée “pipeline” - une distribution des avantages aussi automatique que celle de l’eau dans les tuyaux.
23. Selon certains la situation des chercheuses s’est dégradée entre 1970 et 1990. Joan Mason, “The invisible obstacle race”, Nature, 13/9/1992, 353, pp. 205-206.
24. Hilary Rose décrit une situation semblable en Grande-Bretagne. H. Rose, “Gender art work in the production system of science”, dans Hilary Rose, Love, Power
and Knowledge, London, Polity Press, 1994, pp. 97-114.
25. Le réle des perceptions stéréotypes des hommes et des femmes dans |’évaluation de la qualité du travail fourni fut discuté e.g. par Barbara Reskin et Heidi |.
Harmann (eds.), Women’s Work, Men’s Work: Sex Segregation on the Job, Washington D.C, National Academy Press, 1986; Richard Ashmore et Frances K. del Boca,
“Gender stereotypes”, dans R.D. Ashmore and Frances K. del Boca, (eds), The Social Psychology of Male-Female Relationships, New York, Academic Press, 1986.
Pourquoi si lentement ?
Les obstacles 4 ’égalité des sexes dans la recherche scientifique
La culture de la science, d’aprés la bio-
physicienne et historienne des sciences
Evelyn Fox Keller, est dominée par des
attitudes qu’on pourrait décrire comme
masculines et méme “macho” : la valorisa-
tion de l’agressivité, de la compétitivité,
des hiérarchies rigides. Les femmes, qui
tentent de devenir chercheuses, acceptent
cette culture comme la seule possible.
Elles ont intériorisé lidée que pour deve-
nir une scientifique 4 part entiére, il leur
faut se transformer en “un des gars” (one
of the boys) et adopter pleinement la sous-
culture du milieu scientifique, y compris
dans ses aspects misogynes”. Une femme
qui aspirerait 4 une carriére scientifique,
notamment dans des disciplines comme
la physique théorique ou les sciences pour
Yingénieur dominées par une forte culture
masculine, devrait donc fournir un effort
supplémentaire d’assimilation et d’auto-
transformation”. Cependant, un tel pro-
cessus implique la suppression d’une par-
tie de son identité profonde. I] a un coiit
psychique considérable. Le membre d’un
groupe opprimé, qui tente d’assimiler une
culture dominante et hostile (par exem-
ple, un Noir américain qui essaye de s’in-
tégrer pleinement dans la société blan-
che), doit faire un effort supplémentaire
pour se débarrasser d'une part impor-
tante de son identité d’origine. I] doit donc
se faire violence a lui-méme, un processus
dautomutilation qui laisse souvent des
cicatrices handicapantes. Pour cette rai-
son, une femme qui tente de faire son che-
min dans une culture scientifique mascu-
line et essaie d’atteindre le méme niveau
de performances que les hommes de son
milieu, doit posséder au départ un “sur-
plus” de capacités”.
On peut, en suivant Mary Frank Fox et
Virginia Valin, élargir la métaphore des
“cicatrices handicapantes” a la totalité de
la trajectoire des femmes scientifiques.
Les difficultés des chercheuses ne sont
pas limitées au début de carriére. De nom-
breuses femmes continuent 4 accumuler
des (petits) désavantages tout le long de
leur trajectoire : attentes légérement
diminuées des parents et des enseignants,
un peu moins d’encouragements de la part
des collégues et des supérieurs hiérar-
chiques, une maniére subtilement diffé-
rente d’évaluer le travail accompli, un
avancement plus lent. Elles doivent, en
paralléle, faire face a des difficultés plus
grandes pour concilier travail, vie de cou-
ple et responsabilités familiales. Toutes
les femmes ne rencontrent pas l’ensemble
de ces obstacles. Certaines, particuliére-
ment chanceuses, ne se heurtent 4 aucun.
D’autres femmes sont suffisamment moti-
vées pour surmonter toutes les difficultés
ou arrivent méme 4 se servir de certains
contretemps comme tremplin pour avan-
cer. D’ot les carriéres impressionnantes
de certaines chercheuses. En moyenne,
cependant, les femmes rencontrent plus
de difficultés dans leur carriére scienti-
fique que les hommes. Liaccumulation gra-
duelle des cicatrices, aussi petites soient-
elles, peut produire des effets importants
en bout de parcours. II n’est pas nécessaire
de chercher des incidents majeurs et des
événements dramatiques pour expliquer
“pourquoi si lentement ?”. Lusure du
quotidien peut amplement suffire.
Dans des professions mixtes qui cultivent
une idéologie d’avancement grace au
meérite (les professions libérales, les cadres
26. L'autobiographie de Fay Ajzenberg-Selove, A Matter of Choices: Memoirs of Female Physicist, (New Brunswick, Rutgers University
Press, 1994) illustre cette attitude.
27. Voir a ce sujet Sharon Traveek, Beantimes and Lifetimes: The World of High Energy Physicists, Cambridge, Mass., Harvard University
Press, 1988.
28. Evelyn Fox Keller, “The Wo/Man scientists: Issues of sex and gender in the pursuit of Science”, dans Cole, Zukerman et Bauer (eds.),
The Outer Circle: Women in the Scientific Community, op. cit., pp. 227-236.
35
36
Les femmes dans histoire du CNRS
et certaines professions techniques), tou-
tes les femmes qui tentent une percée pro-
fessionnelle se heurtent 4 de nombreux
obstacles. La question “pourquoi si lente-
ment ?” est également valable pour les
hauts fonctionnaires ou pour les cadres
dentreprise. La science est cependant
percue comme une activité unique ou une
profession parmi d’autres. De ce fait, les
sociologues de la science ont eu tendance
a se focaliser, quasi exclusivement, sur les
éléments spécifiques a la science comme
la structure normative de la recherche, les
codes qui organisent la collaboration et la
compétition, importance centrale accor-
dée 4 la nouveauté ou le réle de la circu-
lation des résultats. En conséquence, les
études sur les femmes dans la recherche
scientifique accordent une grande place
aux tentatives qui examinent les liens
entre performances individuelles (mesu-
rées par le nombre des publications
ou lindex des citations scientifiques)
et les récompenses attribuées pour
ces performances. Une telle vision,
daprés le sociologue William Bielby, tend
a gommer le fait que la recherche scienti-
fique contemporaine est avant tout une
entreprise. Or, il est bien connu que les
femmes rencontrent de grandes difficul-
tés pour arriver au sommet de la hiérar-
chie des grandes entreprises publiques
et privées. Si on veut véritablement
comprendre les raisons des difficultés
des chercheuses, il serait souhaitable,
dit William Bielby, de s’intéresser un peu
moins a la singularité de la recherche
scientifique et un peu plus aux carac-
téristiques partagées par les grands
organismes de la recherche et d’autres
grandes entreprises. I] serait intéressant
d’étudier l’offre et la demande sur le mar-
ché du travail universitaire, la division du
travail dans les laboratoires, importance
accordée a la perception des aptitudes
des individus au commandement et aux
taches de gestion ainsi que les restrictions
imposées par l’environnement économique
et social”.
Dans de nombreuses professions, le sexe
d’un individu définit, dans une grande
mesure, la nature des taches accomplies
par cet individu. Contrairement aux idées
recues, la ségrégation du marché du tra-
vail selon le sexe a peu changé au cours
du XX° siécle. entrée massive des fem-
mes sur le marché du travail a partir
des années 1960 n’a pas modifié cette
ségrégation : les femmes continuent d’étre
employées dans des métiers et des profes-
sions (santé, éducation, services) 4 forte
dominante féminine®. Certaines se re-
trouvent cependant dans des professions
“mixtes”, dans lesquelles le sexe de la per-
sonne ne devrait pas, en principe du
moins, avoir d’effets sur ’évaluation de la
performance professionnelle. Néanmoins,
le genre continue a peser sur les trajectoi-
res individuelles. Les difficultés des fem-
mes dans ces professions “mixtes” sont
souvent liées, selon les sociologues et les
anthropologues, aux rapports quotidiens
entre les hommes et les femmes qui tra-
vaillent ensemble. D’ot lintérét des
recherches qui étudient les micro-méca-
nismes du pouvoir et le réle de la féminité
et de masculinité, la “production du
genre” (doing gender) dans un lieu de
travail donné.
De nombreuses études sur le travail
féminin ont été consacrées aux modalités,
29. William T. Bielby, “Gender, environmental milieu and productivity”, in Cole, Zukerman et Bauer, The Outer Circle: Women in the
Scientific Community, op. cit., pp.171-187.
30. Les trajectoires professionnelles masculines et féminines peuvent ainsi rester relativement séparées. Barbara F. Reskin and
Patricia A. Ross, Job Queues, Gender Queues: Explaining Women’s Inroads into Male Occupations, Philadelphia, Temple University
Press, 1990.
Pourquoi si lentement ?
Les obstacles 4 ’égalité des sexes dans la recherche scientifique
souvent subtiles, de Tintroduction des
“schémas du genre” dans des lieux de tra-
vail ordonnés par l’idéologie fondée sur la
reconnaissance du mérite, notamment
dans le cas des professions libérales. Ces
recherches illustrent la contradiction fré-
quente entre la perception d’un individu
comme “femme” et comme “professionnel
compétent”. Des chercheuses nord-améri-
caines ont étudié des firmes d’avocats et
mis en évidence la tension entre des traits
supposés féminins et ceux qui sont valori-
sés chez un avocat de haut niveau.
Lagressivité, le goat de la bagarre sont
percus comme des avantages chez
homme. Ces mémes traits risquent fort
détre critiqués chez une femme. En paral-
léle, les hommes avocats supportent plus
difficilement un échec professionnel si
leur adversaire est une femme et ressen-
tent davantage les succés féminins. Une
telle application des “schémas du genre”,
couplée avec le fait que la majorité des
cabinets d’avocats importants sont dirigés
par des hommes, rend plus difficile la col-
laboration harmonieuse entre associés
des deux sexes. Les femmes qui aspirent a
une carriére au sein d’un cabinet d’avo-
cats adoptent souvent des stratégies pro-
fessionnelles qui minimalisent le conflit
entre leur identité d“avocat” et celle de
“femme”, par exemple, la spécialisation
dans les taches de médiation et de conci-
liation ou lacceptation de positions inter-
médiaires 4 moindre visibilité. Ces straté-
gies professionnelles peuvent aider les
avocates a trouver un modus vivendi
convenable avec leurs collegues mascu-
lins et peuvent rendre plus agréables
leurs conditions de travail. Cela permet
aux femmes de trouver des “niches”, dans
lesquelles elles peuvent développer leurs
talents professionnels. En méme temps,
Yacceptation implicite de la reproduction
des “schémas du genre” a l’intérieur des
cabinets d’avocats contribue activement 4
la reproduction d’un systéme qui subor-
donne les femmes aux hommes”.
Des recherches sur les chirurgiennes et
sur les femmes agentes boursiéres ont
abouti 4 des conclusions semblables. Dans
ces métiers aussi, des traits supposés
“féminins” ne s’accordent pas bien avec les
qualités considérées nécessaires pour
arriver au sommet de la profession. De ce
fait, de nombreuses femmes sont soumises
en permanence a des pressions contra-
dictoires : adopter un comportement percu
comme masculin et rester fidéles 4 leurs
qualités féminines. Ces pressions sont
rarement verbalisées explicitement, mais
elles influencent le comportement quoti-
dien sur le lieu de travail. Les femmes
sont plus souvent critiquées ou ignorées
que leurs collégues masculins. Elles sont
aussi occasionnellement soumises au har-
célement sexuel “en douceur”. Leurs collé-
gues masculins leur font des remarques
qui les renvoient 4 leur sexualité. Ces
remarques sont souvent déguisées en bla-
gues supposées inoffensives”. Certaines
femmes cadres réussissent 4 percer
professionnellement grace a l’adoption
d'un style dominant, cest-a-dire mas-
culin, sur leur lieu de travail. D’autres,
plus nombreuses, tentent de développer
des stratégies qui ont pour but de mini-
maliser les tensions entre identité sexuée
et identité professionnelle. Une femme
peut ainsi devenir l’aide et la protégée
d’un homme puissant, se spécialiser dans
31. Cynthia Fuchs Epstein, Deceptive Distinctions: Sex, Gender and Social Order, New Haven, Yale University Press, 1988; Jennifer
Pierce, Gender Trials: Emotional Lives in a Contemporary Law Firm, Berkeley, University of California Press, 1995; Mona Harrington,
Women Lawers: Rewriting the Rules, New York, Plenum Books, 1995.
32. Joan Cassell, The Woman in the Surgeon’s Body, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1998. Linda McDowell, Capital
Culture: Gender at Work in the City, Oxford, Blackwell, 1997.
37
38
Les femmes dans histoire du CNRS
un domaine percgu comme peu compétitif,
relativement marginal ou plus “féminin”,
ou encore travailler avec d’autres femmes
dans une filiére protégée a l’intérieur de la
profession. De telles stratégies peuvent
conduire A un succés professionnel. En
moyenne cependant, les carriéres des
femmes continuent 4 avancer moins vite
que celles de leurs collegues masculins et
plus de femmes que d’hommes préférent
modifier leurs choix professionnels 4 mi-
parcours”.
Les chercheuses sont des professionnelles
et des cadres mais elles ne sont pas que
cela. Les chercheurs, bien plus que les
fonctionnaires, les cadres d’entreprise ou
les professions libérales, mettent l’accent
sur limportance du talent, de loriginalité
et sur la créativité dans leur travail. En
outre, la science se réclame de valeurs
spécifiques : la rationalité, Pobjectivité, la
recherche de l’exactitude et de la préci-
sion, esprit critique et le sens de la com-
munauté. Ces valeurs sont mises au ser-
vice d’un but partagé : une meilleure com-
préhension des phénoménes naturels™.
La majorité des chercheurs sont cons-
cients du fait qu’une telle image de la
science ne correspond pas toujours a la
réalité, mais cette vision idéalisée est
essentielle pour le bon fonctionnement de
la recherche scientifique. Les chercheurs
des deux sexes adhérent aux mémes
idéaux et aux mémes valeurs et partagent
souvent une perception trés positive de
leur profession. Cette perception est ren-
forcée par la conviction, également parta-
gée par de trés nombreux chercheurs des
deux sexes, que, de nos jours, la discrimi-
nation a l’encontre des chercheuses
appartient A un passé révolu. Des cas
isolés de discrimination existent certes,
et certains chercheurs masculins ont
conservé des attitudes antédiluviennes.
Ils sont cependant rares. La contradiction
entre les identités “femme” et “chercheur”,
déclare Evelyn Fox Keller, n’existe plus”.
La question “pourquoi si lentement ?” va
dans le méme sens. Elle présuppose l’exis-
tence d’un processus a direction unique
qui méne inexorablement a une égalité
totale entre chercheurs hommes et fem-
mes. Légalité n’est pas encore acquise
mais de nombreuses personnes considé-
rent que les récents changements sont
irréversibles et que les développements
futurs continueront d’étre faconnés par
des pressions égalitaires. Lhistoire du XX°
siécle peut nous inviter 4 une plus grande
prudence. Elle rend moins certaine la
notion de “sens unique de histoire”, met
en évidence linstabilité de certains
acquis, tels la démocratie ou les droits de
VYhomme, et indique qu’un retour en
arriére reste toujours du domaine du pos-
sible. Les études sur les femmes dans la
recherche scientifique peuvent étre lues
dans cette optique. Au-dela des indica-
tions spécifiques sur les difficultés rencon-
trées par les femmes, ces études rendent
bien visible l'ampleur des obstacles
concernant une véritable parité entre les
sexes dans la recherche. Elles mettent en
évidence la fragilité relative du statut des
chercheuses, leur dépendance a l’égard
des facteurs conjecturaux, comme la
situation économique ou politique, et les
incertitudes qui pésent sur l’avenir.
33. Sarah Hardesty et Nehama Jacobs, Success and Betrayal: The Crisis of Women in Corporate America, New York, Simon and
Schuster, 1986; Judy Waitzman, Managing as a Man: Men and Women in Corporate Management, Cambridge, Polity Press, 1998.
34. Sur l’ethos de la science, cf. Robert Merton, The Sociology of Science, Chicago, The University of Chicago Press, 1973, et plus
récemment, Lorraine Daston, “Objectivity and the escape from perspective”, Social Studies of Science, 1992, 22, pp. 597-618.
35. Interview avec Evelyn Fox Keller, Mouvements, 2002, 17.
Combien de femmes
au CNRS depuis
1939 ? ar mertine Sonne
Martine Sonnet est Docteure en histoire (EHESS, 1983). Elle a
publié sa thése portant sur l’éducation des filles au temps des
Lumiéres (Paris, Cerf, 1987). Chercheuse au service d’histoire de
Péducation de VINRP (Institut national de la recherche pédago-
gique) de 1981 4 1989, elle est, depuis 1995, ingénieure de recherche
a lTTHMC (Institut d’histoire moderne et contemporaine) et respon-
sable de la Bibliographie annuelle de Vhistoire de France (Paris,
CNRS” EDITIONS). Elle est ’'auteure de nombreux articles et a collaboré 4 des
ouvrages collectifs sur lhistoire des femmes et de la famille. Martine Sonnet
est membre, entre autres, de l’Association pour le développement de lhistoire des
femmes et du genre (Mnemosyne).
G race a une étude statistique percutante, Martine Sonnet dresse,
toutes catégories confondues et dans une perspective historique,
un tableau précis de |’évolution de la présence des femmes au CNRS.
Ses analyses permettent de confirmer la présence marquée des femmes
dans certains domaines de recherche comme les sciences de la vie ou
les sciences humaines, mais constate aussi une réelle évolution dans
des secteurs jusque-la traditionnellement masculins. Leur faible présence
au sein du Comité national de la recherche scientifique, les rares médailles
qui leur sont attribuées peuvent permettre d’engager une réflexion sur la
visibilité des chercheuses au CNRS.
39
40
Les femmes dans histoire du CNRS
enter de dénombrer les femmes
fh passées par le CNRS depuis
1939 conduit 4 des rencontres
étonnantes Madeleine Colani et
Jeanne Duportal, doyennes incontes-
tables du personnel féminin du CNRS,
sont nées toutes les deux sous le
second Empire en 1866 ! Les carriéres
de ces deux chercheuses remarquables
sont emblématiques, d’une part de
Vancienneté de la présence féminine
dans la recherche et, d’autre part, de la
variété des activités auxquelles se livrent
les scientifiques du deuxiéme sexe
Madeleine Colani arpente |’Indochine
et en gratte le sol, en quéte de traces
géologiques et préhistoriques ; Jeanne
Duportal, quant a elle, explore les
fonds d’estampes des bibliothéques
parisiennes et rédige les fiches des-
criptives des gravures a sujets histo-
riques. La Caisse, puis le Centre natio-
nal de la recherche scientifique rému-
nérent lune et l’autre, bien au-dela
de l’Age qui pourrait sembler celui
d’une retraite raisonnable : 75 ans pas-
sés pour la géologue et préhistorienne,
80 ans passés pour l’iconographe.
Les femmes sont évidemment présen-
tes dés les prémices de la Caisse, en
1930, puis au Centre national de la
recherche scientifique en 1939". II suffit
de rappeler le soutien de Marie Curie aux
démarches du prix Nobel de physique
1926, Jean Perrin, initiateur de la
Caisse nationale des sciences dés 1930,
puis du coup de pouce de Léon Blum
décidant en méme temps, en juin 1936,
d’introduire des femmes au gouverne-
ment et de créer un sous-secrétariat
d’Etat a la Recherche. Léon Blum fait
d’une pierre deux coups : il confie le
jeune sous-secrétariat d’Etat a Irene
Joliot-Curie, qui vient d’obtenir avec
son époux, Frédéric Joliot, le prix Nobel
de physique en 1935. La fille de Pierre
et Marie Curie ne fait que passer, du
5 juin au 28 septembre 1936, et plutét
a contre-coeur, dans la fonction minis-
térielle (Jean Perrin lui succéde), mais
Vimage est forte et la présence des
femmes dans la recherche est affirmée
au plus haut niveau en ces temps de
genése de l’institution’.
Frédéric Joliot et Irene Joliot-Curie. © Palais de la Découverte
Si les femmes sont 1a, combien sont-
elles ? Tenter de les compter, selon les
périodes considérées, conduit 4 mobiliser
une documentation particuliérement
variée et éparpillée, plus ou moins
soucieuse de différenciation sexuelle
selon les périodes considérées. Signe des
1. Jean-Frangois Picard, avec la collaboration de Gérard Darmon et Elisabeth Pradoura, La République des savants : la recherche
francaise et le CNRS, Paris, Flammarion, 1990, 339 p.
2. Lhistoire du CNRS est loin d’étre une histoire d’hommes, méme si l’index des noms de l’ouvrage de Jean-Francois Picard, op. cit.,
ne compte que 16 noms féminins sur 523, soit 3,06 %.
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
temps, c’est au début des années 1970
seulement que les services centraux du
CNRS produisent des statistiques sur
le personnel incluant la distinction
hommes/femmes : lesprit féministe
post-soixante-huitard est passé par
la. Les pyramides des Ages établies
entre 1972 et 1977 par le Bureau du
tableau de bord et des statistiques’,
dépendant de la Direction de l’infor-
matique et de la gestion, nourriront la
premiére étude critique sur la ques-
tion’. Dans les années 1980, la préoc-
cupation statistique sexuée régresse,
pour renaitre en 1990 avec le Bilan
social annuel, véritable radiographie
des effectifs présents au 31 décembre.
En faisant fléche de tout bois documen-
taire et archivistique’ pour la période
1939-1970, puis en recourant aux sta-
tistiques plus aisément accessibles
pour les trente derniéres années, il est
possible d’observer la présence globale
des femmes au CNRS depuis sa créa-
tion, en privilégiant cing temps ou
points forts : la premiére génération
féminine du CNRS mérite au moins
une esquisse de portrait collectif ; pour
celles qui lui ont succédé, aprés 1945 et
surtout de 1970 a nos jours, la double
approche par statuts (chercheuses,
ingénieures, administratives et techni-
ciennes) et par disciplines (selon les
départements scientifiques) sera choi-
sie, croisée avec celle des responsabili-
tés assumées. Deux gros plans, l’un sur
la présence féminine au sein du Comité
national de la recherche scientifique
et Pautre sur la part des distinctions
— Médailles d’Or, d’Argent et de Bronze
pour les chercheurs et le Cristal pour
les ITA —- attribuées 4 des femmes
depuis leur création, compléteront le
tableau’.
Premiéres générations
Madeleine Colani et Jeanne Duportal,
pour pittoresques qu’elles soient, ne sont
pas exceptionnelles : les dossiers de car-
riére conservés dans le fonds des archives
du CNRS a Gif-sur-Yvette recélent 69
dossiers concernant des chercheuses
nées avant 1900 soit 69 dossiers pour une
population sans doute un peu plus impor-
tante. La cohorte des “grandes anciennes”,
premiéres bénéficiaires des subsides
dispensés par la Caisse nationale de la
recherche scientifique, croise celle des tra-
vailleuses concernées par le recensement
du personnel scientifique et universitaire,
en vue de la mobilisation scientifique qui
a lieu a partir d’octobre 1938. Les scienti-
fiques et universitaires — hors sciences
humaines — remplissent alors des fiches
individuelles’, avec état-civil, cursus
et fonctions, ainsi que la situation
militaire pour les hommes, pour une éven-
tuelle affectation dans l’un des 140 labo-
ratoires mobilisés et planifiés par le
CNRS. Prés de 4 000 fiches disponibles,
contribuent 4 donner un état des lieux de
Yemploi scientifique et universitaire, fémi-
nin et masculin, entre 1938 et 1939.
Les “grandes anciennes”
Du cété des “grandes anciennes”, nées au
XIX? siécle, sans explorer systématique-
ment les dossiers de carriére — ce qui
conduirait au-dela des limites de cette
étude —, quelques traits démographiques
et professionnels sont 4 souligner.
Parmi les 69 chercheuses identifiées, 4 sont
3. Que Sylvie Hochet, alors chef de ce bureau, trouve ici ’expression de mes remerciements pour avoir bien voulu m’apporter son témoignage.
4, Josette Cachelou, “Les femmes chercheurs au CNRS”, Le Courrier du CNRS, avril 1979, n°32, pp. 30-36. Il est tout a fait remarquable que Le Courrier du CNRS publie cette
étude sous la forme d’une “libre opinion”, rubrique inexistante dans l'histoire de la revue a l'exception de ce seul article, et précise encore - en chapeau - que “l’auteur nous
donne ici son opinion personnelle”. Il est vrai que la conclusion est pessimiste : “Malgré leur importance numérique, malgré leur culture universitaire, malgré leur travail qui exige
un esprit de réflexion, elles (les femmes) sont rares aux postes de décision, et la situation des femmes-chercheurs est en régression”.
5. Que les archivistes du CNRS, Michelle Sabourin a Gif-sur-Yvette et Louis Cosnier a Paris, soient ici remerciés pour leur accueil, leur disponibilité et leur collaboration précieux.
6. Une étude sur les femmes au CNRS avait été réalisée dans la foulée des travaux suscités par le cinquantenaire de I’établissement en 1989 : Anne-Marie Bataillon, Raymonde
Blanchard, Sylvie Hochet, Marie-Paule Peyre, Nicole Pouey, Aline Roy : “Présence des femmes au CNRS”, L’'Homme et la Société, 1991, n°1-2, pp. 169-176.
7. Les fiches sont conservées : A.N. Fontainebleau, fonds CNRS, F19-800284, articles 24 a 27.
41
42
Les femmes dans histoire du CNRS
nées entre 1866 et 1879, 15 entre 1880 et
1889, 50 entre 1890 et 1899 : elles sont
donc massivement trentenaires quand
la Caisse nationale est susceptible de
rétribuer leurs travaux. Pour ces cher-
cheuses de premiére génération, science
et mariage ne font pas bon ménage : 25
sur 69 seulement convolent en justes
noces. Le fort taux de célibat observé —
63,8 % — rejoint logiquement celui
observé chez les professeures — 68 % en
1923, 63 % en 1938° — et plus généra-
lement chez les femmes plus diplémées
que la moyenne. Pour les chercheuses du
CNRS, le phénoméne, certes atténué
dans ses proportions, sera encore relevé
dans une enquéte syndicale publiée en
1981 : 18% de célibataires, mais 35 %
parmi les femmes maitres de recherche,
quand la moyenne féminine nationale
sétablit 4 10 %°.
Si parmi les 69 chercheuses nées avant
1900, seule Iréne Joliot-Curie a les
honneurs du Dictionary of Scientific
Biography” — Jeanne Duportal en 1929 et
Madeleine Colani en 1937 seront faites
chevaliéres de la Légion d’honneur — 48
(soit 69,6 %) sont auteures de publications
répertoriées au catalogue de la Biblio-
théque nationale de France" : leur acti-
vité a donc été productive et de notoriété
publique. Leurs ceuvres repérables comp-
tent des théses, des ouvrages et des tirés
a part d’articles de revues. Seuls les arti-
cles ayant fait l’objet de tirés a part étant
enregistrés au catalogue de la BnF, la
production réelle des doyennes de la
recherche est sans doute plus fournie.
Les 21 théses ont été soutenues a des
Ages allant de 27 ans (en science poli-
tique et économique) a 52 ans (en scien-
ces naturelles) ; ’a€ge moyen de soute-
nance, relativement élevé, s’établit a
36 ans et 10 mois et la moitié des impé-
trantes ont entre 35 et 40 ans.
Les 50 “grandes anciennes” dont l’appar-
tenance disciplinaire est connue incarnent
déja la féminisation accentuée, toujours de
mise, des deux secteurs des sciences de la
vie et des sciences humaines : 26 (la moi-
tié) se consacrent aux sciences de la vie
(biologie principalement), 11 aux sciences
humaines (dans toute la gamme), 9 a la
physique/chimie, 4 aux sciences de la terre
et de univers (géologie).
Des femmes mobilisables
Avec Tenquéte sur le personnel scienti-
fique et universitaire de 1938-1939, une
deuxiéme catégorie de population fémi-
nine se dessine, regroupée non plus sur un
critére de dates de naissance (avant 1900)
et de fonction (chercheuse), mais sur le fait
d’avoir été rétribuée par le CNRS en un
temps T, soit ’année universitaire 1938-
1939. Le groupe s’élargit aux aides-tech-
niques (ancétres des ITA, a lexclusion des
pures administratives) sans inclure
cependant les représentantes des sciences
humaines. Les fiches personnelles per-
mettant de faire connaissance d’une part,
et ’enquéte sur les laboratoires” permet-
tant d’en apprendre un peu plus sur les
conditions de travail d’autre part, facili-
tent l'étude de cette population.
Le comptage et l’étude des fiches de
mobilisation scientifique, exhaustif pour
les femmes recensées au titre du CNRS
et partiel’ pour les autres femmes (uni-
versitaires) et pour les hommes, permet
8. Marléne Cacouault, “Dipléme et célibat : les femmes professeurs de lycée entre les deux guerres”, Madame ou Mademoiselle ? Itinéraires de la
solitude féminine, XVIll°-XX° siécle, textes rassemblés par Arlette Farge et Christiane Klapisch-Zuber, Paris, Artaud-Montalba, 1984, pp. 177-203.
9. Syndicat national des chercheurs scientifiques, Commission femmes dans la recherche, La recherche des femmes (enquéte, réflexions sur les
femmes chercheurs du CNRS), Paris, SNCS (Fen), 1981, pp. 49-50.
10. Dictionary of Scientific Biography, editor in chief Charles Coulston Gillispie, New York, Charles Scribner's Sons, 1981, 16 vol.
11. Identifiables en interrogeant la base informatisée BN-OPALE PUS.
12. Mobilisation scientifique. Enquéte sur les laboratoires parisiens. A.N. Fontainebleau, fonds CNRS, F19-800284, article 8.
13. Les 1 659 dossiers, sur 4 000 environ au total, concernant la tranche alphabétique D-L ont été intégralement comptés pour y mesurer la part
des femmes appartenant a d’autres institutions que le CNRS et des hommes, CNRS et autres.
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
destimer la répartition par sexe et par
appartenance institutionnelle du _ per-
sonnel scientifique en France en 1938-
1939. Selon cette enquéte, — avec 94
femmes CNRS — la part féminine dans
le personnel scientifique du Centre s’é-
tablit A 25,6 % dés cette période. Si l’on
rapproche ce taux a celui des 30,3 % de
chercheuses dénombrées en 2000", il
apparait incontestable que la situation
de départ, relativement favorable, n’a
pas engendré de dynamique de fémini-
sation massive, comme Il’enseignement
secondaire, par exemple”, en a connue.
La progression de l’accés des femmes aux
diploémes de l’enseignement supérieur, et
donc la constitution d’un vivier de recru-
tement, n’est pas méme reflétée dans
ces chiffres. Cette stagnation régressive,
que d’autres données _ préciseront,
mérite d’étre soulignée dés maintenant.
En 1938-1939 — femmes et hommes
confondus — le CNRS ne compterait, d’aprés
les fiches conservées, que pour 9,2 %"* de la
population scientifique susceptible de
mobilisation. Il abrite 16,9 % des femmes,
mais seulement 7,9 % des hommes recen-
sés : la distorsion du simple au double
révéle la séduction beaucoup plus forte des
sirénes — et des salaires — de l'Université
auprés d’eux, quand leurs collégues fémini-
nes se débrouillent avec les bourses
octroyées par le CNRS et les aléas d’un sys-
téme proche du mécénat’. Lintroduction
du salariat, avec des rémunérations assi-
milées a celles de ’enseignement supérieur,
pour les chercheurs du CNRS, n’intervien-
dra qu’en 1945”. Le statut précis connu de
83 des 94 femmes les répartit en 42 bour-
siéres (soit la moitié de leffectif), 21 aides-
14, Bilan social 2000, p. 18.
techniques (le quart), 14 chargées de
recherche et 6 de statuts différents. Deux
femmes se distinguent par leurs titres :
Nine Choucroun”, maitre de recherche en
biologie, et Renée Canavaggia, chef de
travaux en astrophysique ; toutes les deux
deviendront directrices de recherche.
Profils
Les Ages connus de 79 femmes CNRS sur
94 ouvrent un trés large éventail : nées
entre 1866 et 1920, elles ont de 19 a 73
ans, avec un 4ge moyen de 36 ans, mais
plus de la moitié ont entre 24 et 34 ans
(41 sur 79, soit 51,9 %). Cette population,
un peu 4gée pour un organisme naissant,
ou l’effet ancienneté ne pése donc pas sur
lage moyen, est cependant beaucoup
plus jeune que celle présente aujourd’hui
dans l’organisme. En 2000, les femmes
(chercheuses et ITA) ont 46 ans et 4 mois
en moyenne et la tranche des 25/34 ans
ne réunit plus que 15,4 % du personnel
féminin”. Lage moyen global de 36 ans
en 1938-1939 se décline selon les statuts :
les chargées de recherche, les plus
installées dans le métier, ont 41 ans et
11 mois en moyenne (pour une pyramide
de 28 a 73 ans) ; les boursiéres ont
32 ans en moyenne (de 19 a 47 ans), les
aides-techniques ont 27 ans et 6 mois en
moyenne (de 19 a 53 ans). Les 6 femmes
aux statuts rares ont 43 ans en moyenne
(de 25 a 61 ans).
La femme “type” travaillant au
CNRS en 1938-1939 serait donc une
boursiére de 32 ans, célibataire,
puisque le célibat reste le lot commun
des scientifiques mobilisables du
deuxiéme sexe : 49 femmes sur 76,
15. Marlane Cacouault, “Professeur du secondaire : une profession féminine ? Eléments pour une approche socio-historique”, Genéses, 1999, n°36, pp. 92-115.
16. Toujours d’aprés |’étude de 1 659 dossiers.
17. Quelques rémunérations sont mentionnées dans l’enquéte sur les laboratoires, notamment pour du personne! récemment affecté : les aides-techniques
semblent recevoir de 1 000 a 1 500 F par mois (brut) selon les travaux (les femmes de service 800 F), les chargées de recherche 2 200 F. Le montant de la
bourse est annuel, de l’ordre de 24 000 F. Une enquéte plus systématique est a mener sur ces conditions financiéres.
18. Ministére de Education nationale, CNRS, Séance pléniére du Comité national de la recherche scientifique, 2 juin 1948. Archives du CNRS, Gif-sur-Yvette, fonds
documentaire, article 22.
19. Les souvenirs de Gabrielle Mineur, secrétaire de Jean Perrin, peignent Nine Choucroun en “grande égérie” du trés proche entourage féminin de Jean Perrin.
“Gabrielle Mineur, secrétaire de Jean Perrin”, propos recueillis par Jean-Francois Picard, Cahiers pour I’histoire du CNRS, 1989, n°2, pp. 35-42.
20. Bilan social 2000, p. 26. En 2000, les hommes (chercheurs et ITA) ont en moyenne 46 ans et 7 mois, soit sensiblement le méme age que leurs collegues femmes.
43
44
Les femmes dans histoire du CNRS
dont le sort matrimonial en 1938-1939
est connu (soit 64,5 %), le partagent. Ce
taux varie évidemment avec |’Age, de
90 % pour les moins de 25 ans a 55 %
pour les plus de 35, en passant par
65,8 % pour les 24-34 ans, soit la moitié
de notre population. Les mariages
sont plus rares et tardifs ici que pour
lYensemble des générations féminines
contemporaines
qui convolent alors
entre 23 et 24
ans”. Les 23
épouses (30,3 %)
n’ont pas — ou pas
encore — d’enfants |
pour la moitié
d’entre elles (11),
8 sont méres d’un
seul enfant, 2 en
ont 2 et 2 en ont
3”, Le personnel
féminin du CNRS
ne compte alors que 17,1 % de méres
de famille (12 épouses et une divorcée
avec un enfant). La faible natalité
observée dans le milieu sera encore
évoquée dans l’enquéte syndicale de
1981”. Pour étre exhaustif concernant
Yétat-civil, il reste 4 mentionner la pré-
sence de trois divorcées, d’une veuve, de
deux pupilles de la nation (une boursiére
et une aide-technique) et dune (autre)
orpheline (aide-technique). Enfin, parmi
les quelques personnels de service ren-
contrés, non comptabilisés ici, la présence
dune “fille-mére” est spécifiée.
Les 73 lieux de naissance déclarés attes-
tent un recrutement bien ouvert sur la
province et hors de ’hexagone : 32 femmes
(soit 44 %) sont natives des régions pour
26 Parisiennes et trés proches banlieu-
sardes (35,6 %) ; 9 sont nées a l’étranger
(Russie — 3 —, Egypte — 2 —, Roumanie,
Gréce, Pologne et Etats-Unis) et 5
en France d°Outre-Mer (Algérie — 2 -,
Guyane, Martinique et Indochine). Le cos-
mopolitisme de linstitution, dés sa créa-
tion, est déja globalement connu et se
confirme pour ce qui concerne la population
féminine. Lexigence
de la nationalité
| francaise pour accé-
der aux carriéres
universitaires
conduit les scienti-
fiques étrangers,
fraichement arrivés
dans le pays, a se
tourner, au moins
le temps d’une éven-
Lituelle naturalisa-
tion, vers les bour-
ses de la Caisse puis celles du CNRS.
Dans le petit monde des femmes aides-
techniques, les origines géographiques se
resserrent sur la capitale (9 sur 16, avec 4
provinciales, 2 étrangéres et une native de
YOutre-Mer). Pour ces fonctions, acces-
sibles sans obligation de passer par les
bancs des facultés, un recrutement “de
voisinage” et donc parisien, est plus aisé.
Cursus et disciplines
Plus de la moitié des femmes chercheu-
ses en 1938-1939 sont docteures (33
théses pour 62, soit 53,2 %). La consul-
tation du catalogue de la Bibliotheque
nationale de France permet de retrou-
ver les dates de 27 de ces théses, et d’en
déduire l’A4ge de soutenance : 31 ans et
4 mois en moyenne, soit 5 ans et demi
21. Pierre Guillaume et Jean-Pierre Poussou, Démographie historique, Paris, Armand Colin, 1970, p. 299.
22. La fiche de l'une des deux méres de trois enfants, boursiére de 42 ans, précise que ses enfants ont de 18 mois a3 ans, ce qui témoigne d’un mariage
tardif et vraisemblablement d’une naissance gémellaire. Nul doute que cette physicienne ait connu quelques difficultés a concilier ses charges familiales
et la recherche. L’autre mére de trois enfants est une aide technique de 53 ans, sans autre précision.
23. Syndicat national des chercheurs scientifiques, Commission femmes dans la Recherche, op. cit., pp. 58-59.
24. Jean-Francois Picard, op. cit., p. 168.
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
plus t6t que dans la cohorte née avant
1900. Les conditions matérielles du tra-
vail scientifique féminin se sont amé-
liorées dans les années 1930, grace aux
financements accordés par la Caisse de
recherche, aides dont les “grandes
anciennes” n’ont pas ou ont moins
bénéficié. Certaines des chercheuses de
1938-1939 sont boursiéres depuis plus
de 5 ans, ce qui leur a permis de mener
a bien leur doctorat. La moitié des
chercheuses (14 sur 27) ont soutenu
leur doctorat 4 30 ans au plus tard, les
autres soutiendront entre 31 et 37 ans
(une seule encore plus tard a 47 ans).
Les plus jeunes thésardes s’adonnent
majoritairement aux sciences naturel-
les — en moyenne, leurs 10 théses sont
soutenues 4 29 ans et 11 mois — tandis
que les théses en sciences physiques
(incluant la chimie) sont présentées
plus tardivement : les 13 théses de
cette discipline sont soutenues 4 32 ans
et 4 mois en moyenne. La seule docto-
rante en mathématiques recoit son
dipl6me a 29 ans, la pharmacienne 4
28, les deux médecins a4 32 et 37 ans
(pour cette derniére, une thése en
sciences naturelles avait précédé celle
présentée en médecine). Les chercheu-
ses non encore docteures, sont titulaires
au moins de certificats de licence, de
licences complétes ou de diplémes
d’études supérieures.
Du cété des aides-techniques, les 15 cur-
sus connus sont trés ouverts puisque si
lon rencontre une titulaire de thése (en
sciences physiques) et une master of art
de la Syracuse University, on croise
aussi des jeunes femmes munies de leur
seul brevet supérieur ou élémentaire,
voire d’un niveau d’études secondaires
non sanctionné par un dipléme, si léger
soit-il. La plupart, 11 sur 15, ont cepen-
dant au minimum le baccalauréat, com-
plété par une licence — dans un tiers des
cas — et au moins des certificats pour les
autres. Une seule femme s’est arrétée
au baccalauréat.
Le tableau 1 répartit les 77 femmes
CNRS dont les affectations en 1938-
1939 sont connues, selon leurs disci-
plines, en distinguant les chercheuses
de statuts divers d’une part, les aides-
techniques d’autre part.
Tableau 1 : répartition par disciplines du personnel féminin
scientifique mobilisable en 1938-1939
chimie
sciences de
la vie (avec
psychologie)
aides-techn. 12
sciences
Py enyesy Co pbCecy
et mathémat.
sciences de
la terre et
(Cem Mbat Ate es)
45
46
Les femmes dans histoire du CNRS
Comme les chercheuses nées avant 1900,
celles de la “deuxiéme génération” se
consacrent pour moitié aux sciences de la
vie ; la féminisation accentuée de ce sec-
teur, toujours de mise en 2000”, est donc
posée, dés la création de lorganisme. Les
sciences de Phomme n’étant pas représen-
tées dans la population considérée, la chi-
mie leur ravit la deuxiéme place dans le
coeur du personnel féminin, avant les
sciences de la terre et de l’univers et enfin
les moins aimées, physique et mathéma-
tiques. Le rapport aides-techniques/cher-
cheuses quasi paritaire en sciences de la
terre, reste relativement élevé en sciences
de la vie, alors qu'il baisse en chimie et en
physique.
Sans analyser l'ensemble des productions
scientifiques signées par les 62 chercheu-
ses de 1938-1939, la présence de 42 d’en-
tre elles (les deux-tiers) au catalogue de la
Bibliothéque nationale de France est a
mentionner. Parmi elles, 14 n’ont d’autres
publications que leurs théses, les 28 au-
tres publient en outre ouvrages et/ou arti-
cles, seules ou en collaboration. Parmi ces
derniéres, les 7 auteures les plus fécondes
totalisent chacune plus de 10 références.
Quant aux deux “championnes”, elles
ont déja été rencontrées : la doyenne
Madeleine Colani qui sillustre avec 21
notices de travaux publiés entre 1914 et
1940, et Renée Canavaggia, chef de tra-
vaux en astrophysique en 1938-1939,
future directrice de recherche qui en
réunit 37, entre 1936 et 1977.
Dans les laboratoires
Toujours dans le cadre de l’organisation
de la mobilisation scientifique, une
enquéte sur les laboratoires, destinée 4 en
mesurer les moyens humains et maté-
riels, est menée”. Cet état des lieux four-
nit quelques éléments supplémentaires
pour restituer la mixité du travail scienti-
fique en 1938-1939. La composition des
laboratoires se précise et les chercheuses,
rétribuées par le CNRS, sy retrouvent
“en situation” avec d’autres, qui, elles, sont
payées par divers organismes scientifiques
ou universitaires et au méme titre que
leurs collegues masculins.
Pour sen tenir aux établissements pari-
siens visités, s'il est fréquent de ne pas
rencontrer de femmes dans les petits
laboratoires comptant au plus 5 membres,
4 gros centres de recherche sont dans le
méme cas. A la faculté des sciences, les
hautes températures (6 chercheurs et 17
techniciens), la mécanique physique et
expérimentale (6 chercheurs et 8 techni-
ciens) et la mécanique des fluides (17
hommes en tout) comme 4a Bellevue,
Vélectroaimant et les basses températures
(8 chercheurs et 4 techniciens) sont des
bastions masculins. Inversement, et
logiquement — car ressortissant cette fois
aux sciences de la vie — la seule directrice
de laboratoire, Gabrielle Randoin, régnant
sur le contréle biologique des produits
vitaminés, dirige un quasi-bastion fémi-
nin : 3 chercheuses sur 4, 13 techni-
ciennes sur 17. Le laboratoire d’astrophy-
sique dirigé par Henri Mineur se distin-
gue également en alignant 10 noms fémi-
nins sur 12 : Renée Canavaggia, chef de
travaux, a sous ses ordres 5 calculatrices,
3 mesureuses et une secrétaire.
Certains laboratoires ont une forte fémi-
nisation, mais a caractére plutdt tech-
nique. Ainsi, a l'Institut Henri Poincaré,
25. Le département SDV atteint les taux de féminisation les plus élevés, du cété des chercheuses comme des ITA en 2000 : 39 % de chercheuses et 69 %
d'ITA femmes. A lui seul il mobilise plus du quart (28,3 %) de l'ensemble du personnel féminin du CNRS. Bilan social 2000, p. 63.
26. Mobilisation scientifique. Enquéte sur les laboratoires parisiens. A.N. Fontainebleau, fonds CNRS, F19-800284, article 8.
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
trois unités tournent avec une part
importante (la moitié au moins) de tech-
niciennes : 9 calculatrices et une assis-
tante sur un effectif total de 14 membres
au laboratoire de calculs ; 2 calculatrices,
2 collaboratrices, 2 assistantes et une des-
sinatrice sur 14 personnes au total dans
celui de physique théorique ; 5 calcula-
trices et une assistante au laboratoire de
balistique sur 13 personnes en tout.
Les gros laboratoires de chimie sont éga-
lement bien féminisés, mais cette fois, de
fagon plus équilibrée entre personnels
scientifique et technique. A la faculté des
sciences, l'Institut de chimie compte 8
chercheuses sur 22 et 10 techniciennes
sur 26 et le laboratoire, dirigé par le pro-
fesseur Job, compte 5 chercheuses dans
son équipe scientifique de 11 membres.
Enfin, le trés gros laboratoire de chimie
physique n’atteint lui qu’un quart de per-
sonnel féminin avec 7 chercheuses sur 34
et 5 techniciennes sur 14.
Ce trop rapide apercu sur la présence
réelle des femmes au sein des laboratoi-
res, visant 4 rendre plus concret le “25 %”
d’ensemble, montre que cette présence
féminine dépend 4a la fois de la discipline
et de la nature des travaux a effectuer. Les
situations sont en réalité extrémement
diversifiées : de exclusion totale a la prise
en charge totale (dans ’exemple du labo-
ratoire Randoin), en passant par une forte
participation, mais seulement technique,
comme dans certains laboratoires, celui de
l'Institut Poincaré par exemple.
Le plan de mobilisation, qui résulte de
Pétat des lieux dressé en 1938-19397",
mais dont la défaite de juin 1940
contrecarre l’application, placera sous la
responsabilité et la coordination du
CNRS 140 laboratoires, répartis en 18
groupes (6 a Paris, les autres en province)
et confiera 4 laboratoires parisiens A des
femmes : l'Institut du radium a Iréne
Joliot-Curie (en co-direction avec André
Debierne) ; la chimie organique, 4 la
faculté des sciences, 4 Pauline Ramart-
Lucas (née en 1880, alors professeur 4
la faculté) ; le laboratoire du travail de la
SNCF* a Dagmare Weinberg (qui en
était directrice adjointe auparavant) et
enfin le laboratoire de physiologie de la
nutrition et d’enquéte sur l’alimentation,
important en temps de guerre, 4 Gabrielle
Randoin, déjé mentionnée. Ces quatre
attributions reflétent bien la présence
féminine originelle au sein du CNRS :
on y trouve une “grande ancienne” pres-
tigieuse, pour le département de la chi-
mie et des sciences de la vie, ot: les femmes
qui font souvent “tourner la boutique”
sont représentées et enfin la présence
dune psychologue préfigurant la place que
prendront les femmes dans les sciences
humaines.
Bien présentes, mais peu visibles,
1945-1970
Des laprés-guerre et jusqu’a la fin des
années 1960, les femmes sont évidemment
la, mais nul ne songe 4a les compter :
aucune statistique, aucune étude sexuée
sur le personnel du CNRS nest lancée.
Lheure n’est encore ni aux ressources
humaines ni 4 leur management ; rapports
de conjonctures et autres bilans évoquent
“les chercheurs” ou “les collaborateurs
techniques” sans plus de curiosité sur leur
identité. Lépluchage systématique des
27. Mobilisation scientifique. Schémas d’organisation des laboratoires du Centre a la date du 1* juin 1940. Archives du CNRS, Gif-sur-Yvette, fonds
documentaire, article 32.
28. Ce laboratoire comprend 30 femmes parmi ses 33 personnels techniques, faisant passer des tests de biométrie et les dépouillant.
47
48
Les femmes dans histoire du CNRS
dossiers de carriére ou des fichiers de paye,
a la poursuite des femmes, serait une
entreprise titanesque. On se contentera
donc, pour cette période, d’évoquer les trés
rares chiffres connus, en les resituant par
rapport aux effectifs globaux de l’établisse-
ment et l’on relévera surtout les traces de
la présence féminine sur les organigram-
mes, ou apparaissent au moins celles qui
ont des responsabilités, que ce soit dans le
domaine de la recherche ou dans l’'admi-
nistration. Les directrices de laboratoire
dune part, les femmes chefs de bureau
dans les services centraux au siége du
CNRS d’autre part, sont les plus visibles.
Croissance
Le “rapport sur la gestion du CNRS de
1944 a 1948”, présenté par son directeur
général Georges Teissier lors de la séance
pléniére du Comité national de la recher-
che scientifique du 2 juin 1948” retrace
Yévolution des effectifs au sortir de la
guerre :
- en 1943-1944 : 600 chercheurs
et 480 collaborateurs techniques ;
- en 1944-1945 : 800 chercheurs
et 556 collaborateurs techniques ;
- en 1945-1946 : 1 100 chercheurs
et 679 collaborateurs techniques ;
- en 1946-1947 : 1 370 chercheurs
et 715 collaborateurs techniques ;
- au 1* octobre 1947 : 1 500 chercheurs ;
- au 30 avril 1948 : 1 384 chercheurs
et 680 collaborateurs techniques.
La seule mesure disponible pour véri-
fier la place des femmes dans ces
années de reconstruction concerne les
chercheuses : en 1946, elles représen-
tent 30 % des chercheurs — soit environ
400 — daprés le dépouillement des
versements de cotisations sociales®.
Du cété des collaborateurs techniques,
les femmes sont sans doute relative-
ment encore plus nombreuses, mais
aucun calcul n’a été fait. Dix ans plus
tard, les effectifs globaux du CNRS*
atteignent prés de 6 000 personnes :
- au 1* octobre 1956 : 2 840 chercheurs,
1 150 contractuels au service des
laboratoires, 1 310 collaborateurs
techniques ;
- au 1" octobre 1957 : 2 990 chercheurs,
1 300 contractuels au service des
laboratoires, 1 435 collaborateurs
techniques.
Le rapport de conjoncture 1956-1957
souligne que l’octroi de primes a certes
contribué 4 améliorer la situation maté-
rielle des personnels, mais que celle-ci
“reste néanmoins trés inférieure a celle
des secteurs semi-publics ou privés, sans
comporter pour cela les avantages d’une
carriére de fonctionnaire en ce qui
concerne la stabilité et le régime des
retraites” et en appelle 4 un sérieux coup
de pouce des pouvoirs publics. Il inter-
viendra en 1959, avec les nouveaux sta-
tuts conférés au CNRS, afin d’éviter V’hé-
morragie. Sachant que, du cété des cher-
cheurs, la présence féminine culmine 4
35 % en 1960” et qu’elle s’est donc main-
tenue, en progressant encore dans les
années 1950, il devient évident que le
sort matériel peu enviable des agents du
CNRS, notamment face 4 celui des uni-
versitaires, du moins jusqu’en 1959,
29. Ministére de |’Education nationale, CNRS, Séance pléniére du Comité national de la recherche scientifique, 2 juin 1948. Archives du CNRS,
Gif-sur-Yvette, fonds documentaire, article 22.
30. Anne-Marie Bataillon, Raymonde Blanchard, Sylvie Hochet, Marie-Paule Peyre, Nicole Pouey, Aline Roy, op. cit., p. 169.
31. Rapports de conjoncture 1956-1957 et 1957-1958. Archives du CNRS, Gif-sur-Yvette, fonds documentaire, article 22.
32. Anne-Marie Bataillon, Raymonde Blanchard, Sylvie Hochet, Marie-Paule Peyre, Nicole Pouey, Aline Roy, op. cit., p. 169.
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
explique en grande partie la présence
précoce et relativement marquée des fem-
mes parmi ses personnels de recherche.
Entre 1956 et 1965, les effectifs du CNRS
doublent : en 1965, 4 875 chercheurs,
6 832 ITA (ingénieurs, techniciens, admi-
nistratifs) et 593 “autres” personnels sont
présents, soit 12 300 personnes. La crois-
sance reste de mise jusqu’a la fin de la
décennie : en 1970 les 16 641 agents se
répartissent en 6 397 chercheurs, 9 705
ITA et 539 “autres”*. Parmi les cher-
cheurs, les femmes se maintiennent, mais
ne progressent plus : elles sont 34 % en
1967* (sur 5 527, soit 1 879 chercheuses)
et en 1968, toutes catégories confondues
(chercheurs et ITA), le personnel du
CNRS compte 45% de femmes”, soit
6 970 agents sur 15 489.
Une enquéte sur les “Caractéristiques
socio-professionnelles des chercheurs du
secteur public en sciences exactes et
naturelles” publiée en 1967 et portant
sur la population scientifique du milieu
des années 1960, esquisse quelques
traits propres aux chercheuses relevant
de ces disciplines, au CNRS et ailleurs
(autres établissements de recherche
et enseignement supérieur). Dans la
cohorte de 11 095 chercheurs observée,
les femmes ne comptent que pour 20 % —
cest dire qu’elles sont nettement moins
nombreuses ailleurs qu’au CNRS ot elles
atteignent alors 34% des chercheurs,
toutes disciplines confondues -, mais
39 % des “enquétées” se rattachent au
CNRS. Les chercheuses sont un peu plus
jeunes que leurs collegues masculins —
72 % Wentre elles ont moins de 40 ans ;
68 % parmi eux seulement — et, sans
surprise, sadonnent majoritairement 4
la biologie et a la chimie. A ’Université,
les chercheuses ont été 49% a étudier
la biologie ; 25 % la chimie ; 16 % la phy-
sique ; 6% les sciences de la terre et
enfin 4 % seulement les mathématiques.
Létude des diplémes obtenus révéle que
les femmes “monopolisent” 48 % des doc-
torats de 3° cycle et 26 % des doctorats
d’Etat en biologie soutenus par les cher-
cheurs de l’enquéte.
Directrices de laboratoires
Linfime participation féminine au
“Colloque national sur la recherche et
Yenseignement scientifique” tenu a luni-
versité de Caen du 1* au 3 novembre
1956, premier événement médiatique du
genre et qui marque la naissance d’un
“lobby” scientifique”, montre que les fem-
mes ne sont pas partie prenante quand il
s’agit de tracer, avec les politiques et les
industriels — et devant la presse —, un
nouveau cadre pour la recherche et l’en-
seignement supérieur. Trois noms fémi-
nins seulement figurent dans la liste des
127 participants*® : Madame Choucroun,
directrice de recherche au CNRS, Madame
Gregh, du Conseil supérieur de la recher-
che scientifique et Mademoiselle Moreau,
administratrice civile. La quasi-absence
des femmes au moment-clé de 1956
surprend un peu, quand on songe qu’en
septembre 1944, Iréne Joliot-Curie et
Pauline Ramart-Lucas (chimiste) parti-
cipaient aux réunions visant a élaborer
un projet de réorganisation de la recher-
che scientifique®. Mais en 1956, ces gran-
des figures des débuts du CNRS ont
quitté la scéne : Iréne Joliot-Curie meurt
cette année-la et Pauline Ramart-Lucas
33. Les effectifs détaillés par catégories de 1965 a 1972 sont fournis par Gérard Druesne, Le Centre national de la recherche scientifique, Paris, Masson, 1975, p. 299.
34, Josette Cachelou, op. cit., p. 30.
35. Anne-Marie Bataillon, Raymonde Blanchard, Sylvie Hochet, Marie-Paule Peyre, Nicole Pouey, Aline Roy, op. cit., p. 169.
36. Madame de Castelnau (chargée de mission a la DGRST) “Caractéristiques socio-professionnelles des chercheurs du secteur public en Sciences exactes et naturelles”,
Le Progrés scientifique, avril 1967, n°107, pp. 27-42.
37. Jean-Frangois Picard, op. cit, pp. 150-152.
38. Les actes et les “12 résolutions” du colloque sont publiés dans la jeune revue que vient de lancer Pierre Mendés France, Les Cahiers de la République, 1957, numéro spécial.
39. A.N. Fontainebleau, fonds CNRS, F19-800284, article 55.
49
50
Les femmes dans histoire du CNRS
rvest plus depuis 1953. Qu’en est-il alors de
la place des femmes au niveau des direc-
tions et sous-directions de laboratoires ? Le
tableau 2 retrace, de 1959 4 1970, d’aprés
les organigrammes, leur présence dans ces
fonctions.
Alors que 30 a 35 % des chercheurs sont
des chercheuses, le nombre de femmes,
parmi les directeurs et sous-directeurs de
laboratoire, ne progresse que de 4 a 6 %.
Autant dire qu’elle est infime et dispro-
portionnée par rapport a leur présence
dans la recherche. Seule — mince — conso-
lation : avec une direction conquise en
1970 en mathématiques (calcul électro-
nique), les femmes se sont montrées au
moins une fois dans tous les groupes de
disciplines relevant des sciences exactes
et naturelles ; en revanche, toutes les
sciences humaines, notamment la géo-
graphie, l’histoire et la sociologie ne leur
ont toujours pas accordé leur confiance
en 1970 : aucune chercheuse n’a encore
eu la responsabilité de la direction ou de
la sous-direction d’un _laboratoire’.
Tableau 2 : les femmes directrices et sous-directrices
de laboratoire en 1959, 1965, 1968 et 1970
Années | Effectif
et sous-dir | sous-dir | sous-dir
1959 126 5 4
1965 170 7 41
1968 181 10 5,5
1970 174 11 6,3
Femmes | % femmes | Détails des directions et
sous-directions féminines
Chimie nucléaire : Mlle Perey. Physiologie
de la nutrition : Mme Randouin. Physiologie
et biochimie cellulaire : Mlle Le Breton.
IRHT* : Mlle Vielliard. Recherches
juridiques comparatives : Mlle Marx.
Mlles Perey, Le Breton et Marx : cf. 1959.
Géologie du quaternaire : Mlle Alimen.
Chimie biologique : Mme Polonski. Verres :
Mme Winter-Klein. Ultracentrifugation :
Mme Filitti-Wurmser.
Mlle Alimen, Mme Winter-Klein, Mlle Perey,
Mmes Polonski et Filitti-Wurmser,
Mlle Marx : cf. 1965. Echanges thermiques :
Mme Anthony. Chimie physique :
Mlle Josien. Nutrition : Mlle Terroine.
IRHT : Mlle Brayer.
Mmes Anthony et Winter-Klein, Miles Perey
et Josien, Mme Polonski, Mlle Terroine,
Mme Filitti-Wurmser, Mlle Brayer :
cf, 1968. Calcul électronique : Mme Connes.
Basses énergies : Mme Magnac-Valette.
Cytologie : Mme Lefort-Tran.
* TRHT : Institut de recherche et d’histoire des textes
40. L'Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT) a direction ou sous-direction féminine releve alors du groupe linguistique et philologie et non de
histoire.
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
Sachant que, dans ces mémes années
1959 a 1970, la part des femmes au
Comité national” — ot les universitaires
et chercheurs d’autres établissements
sont partie prenante — évolue un peu
plus favorablement de 3,9% a 11,8%
(et qu’en 1970 elles y sont représentées
dans toutes les sections de sciences
humaines), force est de constater la réti-
cence des scientifiques — plus accentuée
au CNRS quilleurs ? — 4a laisser les
chercheuses prendre les rénes.
Chefs de bureau
et autres administratives
Pendant la Seconde Guerre mondiale
et juste aprés”, les femmes occupent
des responsabilités administratives au
CNRS. En 1949, sur les cing bureaux
composant les services administratifs
et techniques, deux sont dirigés par des
femmes : Suzanne Potet, agent supé-
rieur de 1*° classe, régne sur |’adminis-
tration du personnel (services centraux
et laboratoires) et Lucienne Plin, admi-
nistratrice civile de 3° classe, sur les
commissions consultatives, les cher-
cheurs et les subventions. Lucienne
Plin restera 32 ans dans des fonctions
décisives, notamment pour le fonction-
nement du Comité national®. Elle a
raconté ses débuts : jeune professeure
de sciences naturelles nommée a
Versailles pendant l’Occupation, mais
redoutant de ne pouvoir s’y rendre en
raison des difficultés de transport, elle
se présente A un emploi de rédacteur
vacant au ministére de l’Education
nationale. Elle lVobtient et devient
rédactrice puis administratrice civile.
Rencontrant par hasard au ministére,
un jour de 1946, son ancien professeur
Georges Teissier, devenu directeur du
CNRS, celui-ci la recrute, du jour au
lendemain, pour compléter son équipe
administrative, trop juridique 4a son
gott. Lucienne Plin souligne que les
premiers agents des services centraux
du CNRS, dépourvus de statut, sont
pour la plupart des fonctionnaires
détachés de leur administration d’ori-
gine. Lorganigramme de 1949 place
4 femmes aux postes de sous-chef
des 5 bureaux des services centraux —
celles-ci sont administratrices civiles de
3° classe, ou agentes supérieures de 3° ou
2° classe — et comporte un dernier nom
féminin, celui de l’assistante sociale atta-
chée au bureau dirigé par Mlle Potet :
Paulette Devaux, qui figurera sur les
organigrammes jusqu’au début des
années 1970. Au total, en 1949, sur les 20
postes d’encadrement des services admi-
nistratifs, 7 sont occupés par des femmes ;
le contréle financier et létat-major de
lagence comptable restent en revanche
exclusivement masculins.
Dix ans plus tard, en 1959, les femmes
ont conquis 3 des 5 bureaux. Aux cétés
de Mme Bohner, administratrice civile,
en charge du budget et des personnels
des services centraux et de Lucienne
Plin, Geneviéve Niéva, administratrice
civile également, dirige le bureau du
matériel et des achats a l’étranger.
Geneviéve Niéva“ a relaté elle aussi
ses débuts : toute jeune “gamine de
20 ans” en 1944, cherchant 4 gagner sa
vie pour pouvoir, contre lavis de ses
parents, épouser un étudiant en méde-
cine, elle se fait embaucher par hasard
41. Cf infra p.
42. Sur cette période, les souvenirs de Gabrielle Mineur sont particuliérement intéressants. “Gabrielle Mineur, secrétaire de Jean Perrin”, op. cit.
43. Sur son rdle au Secrétariat du Comité, cf. infra p.
44. Entretiens avec Genevieve Niéva de Jean-Frangois Picard et Elisabeth Pradoura, 1986-1987. Achives du CNRS, Paris.
51
52
Les femmes dans histoire du CNRS
au CNRS, ot elle fera une longue car-
riére, qui s’'achévera comme secrétaire
générale du Comité national au milieu
des années 1980. Autre nom de “grande
administrative” relevé sur l’organi-
gramme de 1959, celui de Jacqueline
Peyroutet, alors chef du secrétariat de
la Direction, entrée au CNRS en 1939,
d’aprés les souvenirs de Lucienne Plin,
et présente a la Direction générale
jusqu’au milieu des années 1980.
Dans les années 1960, les organi-
grammes se compliquent et les
bureaux, regroupés en 4 divisions, se
multiplient. En 1961, Lucienne Plin est
ot <<
division (person-
nels scientifiques
et techniques) et
Yon compte 3 fem-
mes chefs de bu-
reau (budget, rela-
tions extérieures,
matériel) et une
sous-chef, pour 13
bureaux. En 1965,
pas de changement
pour les divisions et
chefs, mais sur 15
bureaux, et 4 sous- © Photothéque CNRS
chefs. En 1968, Lucienne Plin (person-
nels scientifiques et techniques) et
Genevieve Niéva (adjointe aux pro-
grammes et moyens) figurent parmi
les 5 directions de divisions ; quant
aux bureaux, au nombre de 20 désor-
mais, ils comptent 11 femmes — chefs
ou sous-chefs — sur un état-major de 28
membres. La division dirigée par
Lucienne Plin s’affiche comme la plus
féminisée : les deux bureaux en charge
. Comité de direction du CNRS le 22 juin 1967 : de gauche a droite,
toujours 3 femmes Jacqueline Peyroutet, Georges Jobert, Fernand Gallais, Claude Lasry,
directeur administratif et financier, Pierre Jacquinot, directeur général,
Pierre Monbeig, Hubert Curien, Claude Lévi et Pierre Bauchet.
du personnel sont confiés 4 des chefs et
sous-chefs femmes ; celle de Geneviéve
Niéva en revanche ne l’est pas du tout :
ses 4 chefs de bureau sont des hommes.
Lagence comptable et le contréle finan-
cier demeurent, pour leur part, aux
mains exclusives des hommes. En 1970
enfin, 13 femmes figurent parmi les 34
chefs et sous-chefs de bureau ; la divi-
sion des personnels et le département
de l’administration générale demeurant
les plus féminisés au niveau de leurs
responsables.
Lépluchage des organigrammes permet
d’observer que les femmes occupent
jusqu’en 1970
entre le quart et
le tiers des respon-
sabilités adminis-
tratives “inter-
médiaires” et que
quelques femmes
remarquables,
dans la place
depuis longtemps
et formées “sur le
tas”, ont la haute
main sur des sec-
teurs clés. Quant
au “petit person-
nel”, invisible sur les organigrammes,
comment le chiffrer ? Une liste télé-
phonique du Siége, annexée a l’organi-
gramme de 1970, compte 122 noms
féminins sur 182, soit 67% : si lon
considére que toutes les dactylos ne
disposent pas d’un téléphone, une
estimation situant 4 90 % la fémini-
sation du personnel administratif
pour la période“ semble cohérente.
45. Anne-Marie Bataillon, Raymonde Blanchard, Sylvie Hochet, Marie-Paule Peyre, Nicole Pouey, Aline Roy, op. cit., p. 170.
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
Sachant qu’en 1970 le personnel admi-
nistratif global du Centre compte 1 108
agents“, cest environ un millier d’ad-
ministratives que l’on y dénombrerait
aux cotés d’environ 2 170 chercheuses,
de 3 500 techniciennes (estimées a 50 %
des 7 058 techniciens dénombrés“) et
de 600 ingénieurs*. Combien de fem-
mes au CNRS en 1970 ? Environ 7 270,
soit 43,7 % du personnel.
Des femmes, des fonctions, des grades
et des disciplines, 1971-2000
Depuis 1971, des statistiques, mention-
nant l’appartenance sexuelle du _per-
sonnel du CNRS, permettent de situer,
avec plus de finesse que pour les années
antérieures, la place des femmes au
CNRS et peuvent éventuellement en
caractériser l’évolution — ou la non évolu-
tion ? — entre les années 1970 et 1990.
Combien sont-elles en tout ?
Le tableau 3 retrace l’évolution de la
présence féminine parmi les agents du
CNRS entre 1971 et 2000”.
499
En 1971, comme en 2000, la “sur-parité
de mise chez les ITA garantit le fort taux
de présence féminine au CNRS (plus de
40 %) mais, logiquement, le trés léger recul
de lavantage féminin parmi les ITA au
cours de ces trois décennies s’est traduit
par une baisse de la féminisation globale
de Vétablissement. I] faut évidemment
attendre que le soupcon de reprise observé
entre 1995 et 2000 se consolide pour pou-
voir parler d'une éventuelle inversion de
tendance. Dans le repli global, les cher-
cheuses tirent leur — fréle — épingle du jeu:
elles sont relativement plus nombreuses
en 2000 qu’en 1971, mais demeurent en
deca de leurs fastes années 1960 ot
la barre du tiers de femmes parmi les
chercheurs était franchie.
Pour s’en tenir aux seules années 1990
pour lesquelles les comparaisons sont
aisées, le CNRS rvaffiche pas le taux de
croissance féminine relevé du cété des
emplois de l’enseignement supérieur
entre 1992 et 2001 ot la progression des
effectifs féminins est supérieure 4 celle
des effectifs globaux, ni celui observé, en
partant de plus bas, dans la recherche en
entreprise ot: depuis 1992 le taux de crois-
sance de l’emploi des femmes est le triple
de celui des hommes®”. Au CNRS, en 2000,
Tableau 3 : féminisation des effectifs du CNRS entre 1971 et 2000
53
Effectif | Femmes | % femmes | Chercheuses | % femmes BOVE
Koel parmiles | ITA total | parmi les
chercheurs ITA
1971 17594 7885 44,8 2 027 30,1 5 735 53,8
1977 20097 8960 44,6 2 196 29,3 6 764 53,7
1985 24208 10663 44 2 942 29,8 7 721 53,9
1990 25342 10704 42,4 3 252 30 7 452 53,8
1995 25958 10926 42,1 3 498 30,1 7 428 51,8
2000 25003 10565 42,2 3 462 30,3 7103 52,2
46. Gérard Druesne, op. cit. p. 299.
47. En conjuguant les chiffres des deux études citées ci-dessus.
48. En appliquant le taux de féminisation de 39 %, constaté en 1971, a cette catégorie. Pyramide des ages au 31 décembre 1971. CNRS, Service d’informatique,
études et travaux statistiques, n°72-11.
49. Effectifs payés au 31 décembre de l'année considérée. Sources : “Pyramides des ages” 1971 et 1977, chiffres fournis par la Direction des ressources humaines
pour 1985, Bilan social 1990, 1995 et 2000.
50. Les femmes dans la recherche francaise. Livre blanc, Paris, ministére de la Recherche, 2002, p. 10 et 14. On peut aussi consulter le livre de H. Delavault, Noria
Boukhozbza, Claudine Hermann, avec la collaboration de Corinne Konrad : Les enseignantes chercheuses a |’Université : demain la parité ?, L-Harmattan, 2002.
54
Les femmes dans histoire du CNRS
les recrutements externes n’ont encore
bénéficié aux femmes que pour 32,6 % des
emplois de chercheurs et 47,8 % de ceux
dITA : pas de quoi induire une dynamique
féminine remarquable.
Les chercheuses
La répartition par grades de la population
des chercheuses du CNRS au cours du
dernier tiers du XX° siécle trace une pyra-
mide assez implacable : plus on monte
dans la hiérarchie des emplois, moins les
femmes sont nombreuses (tableau 4).
De facon constante, le — relatif — gros
bataillon des chercheuses (un tiers au moins)
se situe chez les chargés de recherche : les
femmes sont 1a en proportion plus forte que
parmi l'ensemble des chercheurs. Mais,
conséquence logique et perverse de cet
“avantage”, les femmes sont nettement
sous-représentées parmi les directeurs
de recherche au fur et 4 mesure que !’on
séléve dans la hiérarchie du grade et ce,
de plus en plus nettement. Le bilan des
années 1990 n’incite guére a l’optimisme.
Si l’on ne peut que se réjouir de voir la poi-
gnée des directrices de recherche “de
classe exceptionnelle” sétoffer, la régres-
sion des directrices de 1* classe et la sta-
gnation de celles de 2° classe inquiétent.
Ces chiffres accusent une absence de pro-
motion féminine allant de pair avec le can-
tonnement des femmes aux grades de
chargées de recherche auxquels elles sont
trés majoritairement recrutées. La part
des femmes dans les promotions internes
(par concours ou au choix) demeure cons-
tamment inférieure a la présence féminine
parmi les chercheurs : les 25,9 % d’heu-
reuses promues en 2000, pour 30,3 %
de chercheuses, en témoignent encore.
Le tableau 5 ventile les chercheuses par
départements scientifiques entre 1977 et
2000, en pourcentages par rapport a
leffectif total des chercheurs de chaque
département”.
Tableau 4 : répartition des chercheuses par grades, en pourcentages,
1971-2000
Années | % femmes WO Caine WB COTE) %femmes | % femmes
parmi les parmi les parmi les parmi les parmi les
directeurs maitresde | chargésde | attachés de | stagiaires de
de recherche | recherche Peer ater Ke 1X2 recherche | recherche
1971 10,2 26,7 35,7 29,7 23,7
1977 13,3 25,3 36,5 24,6
a Cd
1985 13,9 248 32,3 32,2
a
5,9 16,1 229
1995 7,9 15,3 23,5 46 3
2000 8,3 129 23,3 37s (334.8
51. SPM = Sciences physiques et mathématiques ; PNC = Physique nucléaire et corpusculaire ; SPI = Sciences pour Iingénieur ; SDU = Sciences de I’univers ;
SC = Sciences chimiques ; SDV = Sciences de la vie ; SHS = Sciences de I’homme et de la société ; STIC = Sciences et technologies de l'information et de
la communication
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
Tableau 5 : pourcentages de femmes parmi les chercheurs
de chaque département scientifique, de 1977 a 2000
meee ee :
rappel %
ae eC
Bey Ti etc)
chercheurs
23,8 45,2 33,9 29,3
26,6 426 35,4 29,8
26,9 41,3 38 30,1
27,9 40,6 38,6 30,1
29,2 39 40,9 17,1 30,3
1977 13
1985 18,3 13,3 HE 25,4
1991 18,8 16 15,8 25,2
1995 19,1 16 16,5 26,3
2000 17,7 17,7 18,4 25,4
De 1977 a 2000, la progression la plus
spectaculaire apparait dans les sciences
pour l’ingénieur : la féminisation relative y a
doublé. Les chercheuses se sont également
imposées, mais dans une moindre mesure
en physique nucléaire et corpusculaire et
en chimie. En sciences de l’homme et de la
société, elles ont accentué encore leur forte
présence au point de devancer l’autre sec-
teur traditionnellement féminin, celui des
sciences de la vie, ot: elles sont en repli
régulier. La stabilité est de mise en scien-
ces physiques et mathématiques, comme
en sciences de l’univers. On constate avec
satisfaction que l’amplitude des écarts de
féminisation relative entre les secteurs
sest resserrée, passant de 9,1 % / 45,2 %
en 1977 417,1 %/ 40,9 % en 2000, mais on
note avec regret qu’un département sur
deux n’atteint toujours pas le quart de
chercheuses.
Les enseignements du tableau 5, concer-
nant les années 1991-2000, sont a rappro-
cher des statistiques portant sur les thé-
ses soutenues par des femmes : celles-ci
ont progressé, toutes disciplines confon-
dues, de 32 % des théses en 1992 4 40 %
en 1999”. La croissance la plus remarqua-
ble, celle des soutenances féminines en
sciences de l’univers (d’un peu plus de 20 %
a prés de 40 %) ne s’est pas encore reflétée
au niveau des chercheuses ; il est sans
doute trop tét. Le tassement des doctorats
en chimie, depuis 1996, n’est, lui non plus,
pas encore sensible ; en revanche, le “pla-
fonnement” autour de 50% des soute-
nances féminines en sciences de la vie va
de pair avec le repli amorcé du cété des
chercheuses. Quant aux théses en scien-
ces de l'homme, elles continuent 4 croitre,
comme la part des chercheuses dans ces
disciplines. Les théses en mathématiques,
physique et sciences pour lingénieur sont
relativement stables, autour de 20 %.
La trés petite place des femmes parmi les
directeurs et sous-directeurs de laboratoire,
laissée A 6,8 % en 1970, a-t-elle progressé
notablement entre 1971 et nos jours ? En
1977, le pourcentage de formations dirigées
par une femme stagne toujours a 7,2 %
(87 sur 1 200) avant de “grimper” 4 12,5 %
en 1987. Cependant, cest surtout grace
52. Les femmes dans la recherche francaise. Livre blanc, op. cit., pp. 28-29.
53. Calcul de Josette Cachelou, op. cit. p. 33
54. Calcul de Anne-Marie Bataillon, Raymonde Blanchard, Sylvie Hochet, Marie-Paule Peyre, Nicole Pouey, Aline Roy, op. cit., p. 174.
55
56
Les femmes dans histoire du CNRS
a des partages de direction avec une
co-directrice ou a des créations de pos-
tes de sous-directeurs. En 1994, 14,5 %
seulement des responsables ou co-res-
ponsables des 372 laboratoires propres
sont des femmes ; le seuil des 10 %
nest franchi qu’en sciences de la vie
(14,5 %), sciences physiques et mathé-
matiques (16,7 %) et sciences de
Phomme et de la société (24,1 %). Par
rapport au nombre de chercheuses
(40,6 % en 1995), les sciences de la
vie se montrent alors particuliére-
ment avares de responsabilités a leur
confier. En 2002 enfin, pour un total
de 1 128 unités de recherche (propres,
mixtes ou associées), 123 femmes
seulement assurent des directions,
soit 10,9 % ; les 10 % ne sont atteints
qu’en sciences de la vie (12,7 %) et
en sciences de homme et de la société
(16,5 %). Comme en 1994, aucune
chercheuse ne dirige en physique
nucléaire et corpusculaire. Le pour-
centage des laboratoires confiés a4
des directions féminines et qui reste
obstinément et ridiculement bas — de
lordre du tiers par rapport 4 ce que
laisserait espérer la présence des fem-
mes dans la recherche — met en évi-
dence combien la féminisation du
CNRS reste fragile et partielle.
Ingénieures, techniciennes
et administratives
Le tableau 6 restitue la présence fémi-
nine parmi les catégories de person-
nels ITA de 1971 a 2000 et le tableau 7
récapitule, pour la méme période,
la répartition de l’emploi féminin au
CNRS entre chercheuses, ingénieures,
techniciennes et administratives. La
conjugaison des deux tableaux permet
une vision a peu prés réaliste de l’em-
ploi féminin au CNRS. Méme si de
nombreuses pondérations seraient 4
apporter, en termes de transferts
d’emplois entre catégories (techniciens
et ingénieurs notamment) lors de la
titularisation au début des années
1980 ou dans le cadre de la revalori-
sation des basses catégories de la fonc-
tion publique.
Du tableau 6, prenant en compte les
seules ITA, une impression de relative
stabilité se dégage a propos de la part
Tableau 6 : les femmes parmi les personnels ITA, 1971-2000
1971 10 655 5 735 53,8
1977 12604 6 764 53,7
1985 14 320 7721 53,9
1990 13 840 7 452 53,8
1995 14 334 7 428 51,8
2000 13 594 7 103 52,2
% femmes | %femmes | % femmes
parmiles | parmi les parmi les
ingénieurs | techniciens | administratifs
39,2 50,8 92
37 50,2 91,1
42,9 49,8 93,2
42,9 52,6 93,2
41,5 54,8 93,6
42,1 64 93,9
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
des femmes chez les ingénieurs (autour
de 40 %) comme, sans surprise, chez les
administratifs (plus de 90 %). C’est seu-
lement chez les techniciens que la fémi-
nisation s’est accrue. Sans entrer dans
le fastidieux détail des grades propres a
chaque corps, il faut néanmoins garder
conscience que chez les ITA, comme
chez les chercheuses, les pyramides hié-
rarchiques sont défavorables aux fem-
mes. Si 42 % de femmes chez les ingé-
nieurs peut étre, un peu rapidement,
jugé un “bon taux” pour un emploi de
catégorie A de la fonction publique, il
faut le nuancer en soulignant qu’en
2000, les femmes ne représentent que
10,4 % des ingénieurs de recherche
“hors classe” (contre 16,5 % en 1990),
23 % des IR1 et 31,9 % des IR2 (respec-
tivement 23,7 % et 35,4 % en 1990). C’est
donc chez les ingénieurs d’étude que la
forte présence féminine est sensible, de
Yordre de 50 %, avec, a4 la clé, un effet
“d’embouteillage” de carriére.
Sil y a 80 ans, le CNRS rémunérait, dans
sa population féminine, une chercheuse
pour trois ITA, ce rapport est passé a une
pour deux en 2000 (tableau 7). Sur cent
femmes employées, l’équilibre tient
quasiment aujourd’hui entre un tiers
de chercheuses, un tiers d’ingénieures
et un tiers de techniciennes ; la part des
administratives se réduisant comme
peau de chagrin, sous le double effet de
Pévolution de la bureautique et des
revalorisations de carriére. Il est
remarquable que plus les emplois
administratifs régressent, plus ceux-ci
deviennent un monopole féminin
(tableaux 6 et 7). En trente ans, si les
femmes se sont dirigées vers la recher-
che, lingénierie et la technique, les
hommes quant 4 eux ne partagent tou-
jours pas les taches administratives les
plus modestes.
Les pourcentages de femmes ITA par
départements scientifiques ne figurent
au Bilan social que depuis 1998 ;
aucune évolution remarquable n’étant
sensible entre 1998 et 2000, le tableau 8
fournit les seuls chiffres 2000, en rap-
pelant le pourcentage des chercheures
et en calculant le taux de féminisation
globale du département.
Tableau 7 : ventilation, par catégories, de l’emploi féminin au CNRS, 1971-2000
Anneées | Total femmes aan oe fe Se
MK: Mey Ke) MK: nbre
1971 7 885* 2027 25,7 38904 495 1161 14,7
1977 8960 2196 24,5 939 105 4117 459 1708 19,1
1985 10663 2942 27,6 2482 22,8 3190 299 2099 19,7
1990 10704 38252 304 2997 28 2495 233 1960 183
1995 10926 38498 32 32738 29,9 2672 244 1483 13,6
2000 10565 3462 32,8 3344 31,6 3316 313 443 4,2
* y compris 123 femmes “autres catégories”, non ventilables
57
58
Les femmes dans histoire du CNRS
Tableau 8 : présence relative des femmes ITA par départements
scientifiques en 2000, rappel des pourcentages de chercheuses
et féminisation globale
Départements
Sciences physiques et mathématiques
Physique nucléaire et corpusculaire
Sciences pour l’ingénieur
Sciences de l’univers
Sciences chimiques
Sciences de la vie
Sciences de ’homme et de la société
Sciences et technologies de
l'information et de la communication
%defemmes | %defemmes | % total de
parmi les ITA | parmi les femmes dans
chercheurs le département
35,1 17,7 25,1
27,5 17,7 25,3
32,2 18,4 25,7
39,4 25,4 33,9
49,9 29,2 38,2
69 39 52,9
71,3 40,9 54,4
38,3 17,1 28
65,6 65,6
Moyens communs et INIST*
*INIST : Institut de l'information scientifique et technique
Grace aux personnels ITA, aucun dépar-
tement scientifique du CNRS ne compte,
en 2000, moins d’une femme sur 4 agents,
méme si les moins féminisés au niveau
des chercheurs (SPM, PNC, SPI) restent
globalement les plus masculins ITA
compris. Inversement, les femmes ITA
affluent 1a ot: les chercheuses sont déja les
plus nombreuses (SHS et SDV). Entre ces
deux extrémes, et mis a part le cas parti-
culier des “moyens communs”, sur les-
quels pése la lourde sur-représentation
féminine administrative, les femmes tien-
nent la moitié des postes d'ITA en sciences
chimiques, et prés de 40 % en SDU et en
STIC. Globalement, la présence féminine
varie du quart des effectifs dans les scien-
ces exactes les plus “dures” aux deux tiers
dans la branche administrative ; la parité
—en nombre mais non en hiérarchie, on l’a
vu — ne sest établie qu’en sciences de la
vie et en sciences de l’>homme.
Combien de femmes au Comité
national ?
Depuis le premier Comité national
fonctionnant, un peu expérimentale-
ment, dés 1945-1946, avant méme que
le décret du 11 juin 1949 en précise
lorganisation”, des femmes siégent au
“parlement” de la science, constitué a
des fins d’évaluation, de recrutement
et de promotion des chercheurs, d’af-
fectation de moyens aux laboratoires
et plus généralement d’orientation
de la recherche. En 1945, elles sont 5,
certaines déja évoquées comme Iréne
Joliot-Curie (physique) ou Pauline
Ramart-Lucas (chimie), auxquelles se
joignent, du cété de la biologie, Mlles
Lebreton (directrice d’études a l’ EPHE)
55. Une étude précise du fonctionnement et de |’évolution jusqu’au début des années 1970 du Comité est incluse dans Gérard Druesne, op. cit, pp. 67-94.
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
et Cousin (professeur 4 la faculté des
sciences de Paris), ainsi que Mlle
Cauchois (optique). Cooptations 4 l’ori-
gine, puis nominations et élections
puisant de plus en plus largement au
vivier du personnel universitaire et
scientifique® ont réguliérement renou-
velé, tous les 4 ans depuis 1953”, l’ins-
tance organisée en sections par gran-
des spécialités. Parti de 31 sections de
12 membres nommés en 1949 (872
membres au total), le Comité compte,
en 1999, 840 membres, répartis en 40
sections de 21 chacune, 14 élus et 7
nommés. La place des femmes dans
linstance a progressé réguliérement,
sauf régression passagére en 1987,
bénéficiant de la mise en place de la
procédure électorale pour composer ce
parlement scientifique.
A propos du Comité et des femmes, le
réle prépondérant de Lucienne Plin
doit étre souligné. Arrivée aux services
centraux en juillet 1946, elle travaille
notamment au secrétariat du Comité.
Administratrice civile de 3° classe au
départ, puis chef du 4° bureau des
Services techniques en charge des per-
sonnels scientifiques et techniques,
gravissant tous les échelons de la car-
riére, jusqu’au hors classe, Lucienne
Plin, ’'une des “grandes administrati-
ves” incontournables de V’histoire du
CNRS, tire un certain nombre de ficel-
les d’une instance que sa longévité
dans la fonction lui permet de connai-
tre parfaitement, jusqu’au début des
années 1970. Ses souvenirs, recueillis
en 1986*, la montrent régnant avec
autorité sur la préparation des recru-
tements de chercheurs, pratiquant des
coupes sombres dans les demandes de
crédits d’équipements ou de publica-
tions présentées par les sections du
Comité et menant 4 la baguette leur
président.
Il est intéressant de retracer la pro-
gression de la place des femmes au
Comité national, en nombre et par
disciplines, en statuts et en responsa-
bilités particuliéres au sein du Comité
quand la documentation le permet.
Evolution de la présence des femmes
au Comité national, de 1949 a 1999
Le tableau 9 (page suivante) fournit, pour
chaque année du Comité, le nombre de
membres total, celui des femmes, le
pourcentage que ces derniéres représen-
tent et la liste des groupes de sections ou
sections sans femmes et/ou n’en compre-
nant qu'une a partir de 1983.
La féminisation du Comité national
s’apparente a une longue et lente mar-
che : quarante ans ont été nécessaires
pour que le quart (28,1 %) de partici-
pantes soit dépassé. Ce quart enfin
franchi en 1999 renvoie a un autre: les
24,9 % de femmes, toujours en 1999,
parmi les chercheurs, toutes apparte-
nances confondues (recherche publique
CNRS, autres organismes, universités
et recherche en entreprise)®. La proxi-
mité des deux taux est parfaitement
cohérente puisque les membres du
Comité national viennent précisément
de ce monde-la, de méme que leurs
électeurs, pour la part majoritaire,
élue. 56 % seulement du collége électo-
ral est composé des agents CNRS
56. Jean-Christophe Bourquin, “Le Comité national de la recherche scientifique : sociologie et histoire, 1950-1967”, Cahiers pour I’histoire du CNRS, 1989, n°3,
pp. 127-159.
57. 6 ans renouvelables par moitié tous les 3 ans avant 1953.
58. Entretien avec Lucienne Plin le 1° juillet 1986, propos recueillis par Jean-Francois Picard. Achives du CNRS, Paris.
59. Hors direction du CNRS, membres de droit.
60. Les femmes dans la recherche francaise. Livre blanc, op. cit., p. 7.
59
60
Les femmes dans histoire du CNRS
Tableau 9 : part des femmes au Comité national du CNRS de 1949 a 1999
Années | Total des | Nombre|%des | Groupes ou sections sans femmes
de Bente]
du Comité | femmes
1949 372 11 2,9 6 groupes sur 13 : Biologie, Médecine,
Anthropologie/préhistoire/ethnographie,
Géographie, Sociologie et psychologie sociale,
Philosophie
1956 465 19 41 5 groupes sur 13 : Médecine, Géographie, Sociologie
et psychologie sociale, Histoire, Philosophie
1959 640 25 3,9 16 sections sur 32 : Mathématiques pures,
Mécanique générale et physique, Astronomie,
Optique, Electricité, Chimie minérale, organique,
biologique, Biologie cellulaire, Pathologie
expérimentale, Géographie, Linguistique,
Langues et civilisations classiques, Sciences
économiques, Philosophie
1966 748 54 7,2 9sections sur 34 : Mathématiques, Electronique,
Optique, Physique des solides, Biologie cellulaire,
Physiologie, Sociologie et démographie, Sciences
juridiques et politiques, Langues et civilisations classiques
1970 936 111 11,8 3:sections sur 36 : Electronique, Physique
des solides, Géologie et paléontologie
1976 1064 158 14,8 2sections sur 41 : Physique de la matiére
condensée, Minéralogie
1983 1125 222 19,7 1 section sur 45 : Génie mécanique — 2 4 1 seule
femme : Physique corpusculaire, Génie thermique
1987 968 151 15,6 2 sections sur 44 : Physique corpusculaire, Génie des
procédés et systémes réactifs, thermique — 5 4 1 seule
femme : Informatique, automatique, Biologie des
interactions cellulaires, Psychophysiologie et
psychologie, Sciences économiques, Sciences politiques
1991 840 196 23,3 1 section sur 40 a 1 seule femme : Des particules
aux noyaux
1995 840 185 22 1 section sur 40 sans femme : Planéte Terre :
structure — 3 4 1 seule femme : Electronique,
Mécanique, Energie et mécanique des fluides
1999 840 236 28,1 2 sections 4 1 seule femme : Atomes et molécules,
optiques, lasers, Electronique
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
(inscrits d’office) et 56 % également des
membres du Comité appartiennent au
CNRS“. Si, en 1999, la féminisation du
Comité est un peu plus forte (2 points)
que celle de la recherche dans son
ensemble, c’est peut-étre en raison de la
relativement faible place de la recher-
che en entreprise, au niveau du collége
électoral et des membres du Comité. En
1999, la recherche industrielle n’est fémi-
nine que pour 19,1 % de son personnel,
contre 29,9 % pour la recherche publique.
Le Comité se situe entre les deux, mais,
logiquement, s’'apparente 4 la situation
du secteur public. Un demi-siécle de pro-
gression, pour atteindre un taux seule-
ment cohérent avec la population con-
cernée, on ne peut pas dire que le
Comité se soit aisément ouvert aux
femmes et ce d’autant moins que I’as-
semblée constituée en 1987 enclenche
pour un temps la marche arriére, par
le nombre réduit de femmes qui la
compose et par une représentation plus
restreinte dans les diverses disciplines.
Le Comité mis en place en 1991 marque
d'une pierre blanche son histoire et celle
des femmes. C’est la premiére assem-
blée ne comptant aucune section mascu-
line 4 100 %. Mise a part année 1999,
date 4 laquelle ce méme phénoméne se
reproduit, cest entre 1966 et 1970,
quand le nombre de femmes au Comité
double, que la généralisation “disci-
plinaire” de leur présence accomplit
son pas décisif. Passé ce cap, les bastions
masculins tendent a se resserrer sur
la physique nucléaire et corpusculaire,
les sciences physiques et mathéma-
tiques et les sciences pour l’ingénieur :
trois départements ot: les chercheuses
restent rares, encore aujourd’hui. Le
tournant 1966-1970 refléte évidemment
le coup d’accélérateur soixante-huitard,
et il est intéressant de mesurer la pré-
sence féminine sur la liste des “cher-
cheurs invités a participer a titre consul-
tatif aux travaux des sections du Comité
national, session automne 1968” : elles
sont 13 sur 55 (23,6 %) a étre envoyées
pour assister, certes sans voix au chapi-
tre, aux travaux d’une assemblée dans
laquelle elles ne comptaient que pour
7,2 %. I est tout aussi remarquable que
sur les 9 sections qui n’en comptaient
aucune, deux seulement “se rattrapent” :
la physique des solides et les langues
et civilisations classiques. Si, dans
certaines disciplines “dures”, les candi-
dates pouvaient effectivement manquer
(électronique par exemple), ce n’était
sans doute pas le cas en sociologie et
démographie ou en sciences juridiques
et politiques ; les raisons de cette absence
seraient 4 creuser. Inversement, les
études linguistiques et la littérature
francaise qui figuraient déja parmi les 4
sections les plus féminisées (avec 4 fem-
mes sur 22 membres) choisissent deux
invitées supplémentaires. Les 2 autres
sections les plus mixtes (4 femmes
également en chimie biologique et en
anthropologie, préhistoire, ethnologie)
n’en “rajoutent pas”.
Logiquement, au renouvellement de 1971,
les études linguistiques et la littérature
francaise prennent la téte de louverture :
la section compte 8 femmes sur 26 mem-
bres, presque le tiers. Seules les sciences de
VYhomme et de la société se retrouvent dans
61. Chiffres pour le Comité national mis en place en 1995. “Comité national : un nouveau profil”, Le Journal du CNRS, novembre 1995, pp. 4-5.
61
Les femmes dans histoire du CNRS
le peloton de téte, les 3 sections réunissant
7 femmes y ressortent : “Anthropologie,
préhistoire, ethnologie”, “Linguistique
générale”, “Antiquités nationales et his-
toire médiévale”. En 1976, les sciences
humaines monopolisent encore 5 des 6
sections dont le quart des membres sont
des femmes ; les sciences de la vie, avec la
biologie animale, s'imposent enfin (alors
qu’elles comptent 45,2 % de chercheuses,
contre 33,9 % en sciences de homme)
dans cette avant-garde — elles ont en
outre 5 autres sections comprenant 6 fem-
mes. Dans les années 1980, les sciences
humaines restent les championnes de la
féminisation du Comité, suivies des scien-
ces de la vie ; inversion par rapport au
pourcentage de chercheuses, entre ces
deux départements ot elles sont toujours
les plus nombreuses, reste de mise. Dans
les années 1990, ces deux départements
sont au coude a coude, parmi les sections
qui atteignent un tiers de membres fémi-
nins et sont rejointes par quelques-unes,
issues des sciences physiques et mathé-
matiques.
Comment arrivent-elles au Comité ?
Et qu’y font-elles ?
Préciser comment les femmes arrivent au
Comité, par élection ou nomination et
éventuellement quelles responsabilités
spécifiques en son sein leur sont confiées,
nuance l'image de leur seule présence ou
appartenance selon les disciplines.
La réforme du Comité national en 1959,
introduit Vélection de la moitié de ses
membres : dans chaque section, 10 sont
élus, 5 nommeés par le Premier ministre, 5
par le ministre de /Education nationale.
Dés 1962, l’égalité élusnommés n’a plus
cours, les élus prenant définitivement la
majorité des siéges, de 12 sur 20 par sec-
tion en 1962, a 14 sur 21 depuis 1991.
Autre réforme, fruit de 1968 et décisive
pour ouvrir le Comité au deuxiéme sexe,
celle de 1970, ajoutant aux colléges A,
“classes supérieures” du monde cher-
cheur, universitaire et académique (7,
puis 6 siéges) ; B, “classes moyennes” de la
recherche et de l'Université (6, puis 5 sié-
ges) ; un collége électoral C composé des
ITA, catégories de personnels ow elles
sont majoritaires, mais qui n’élit que 3
représentants. La situation des femmes
présentes au Comité dans les différents
colléges en 1987, 1995 et 1999, et pour
mémoire en 1967, mesure de lentes évo-
lutions (tableau 10).
En 1999, le pourcentage des femmes
élues rejoint le pourcentage des cher-
cheuses, mais en grande partie grace
62 Tableau 10: part des femmes dans les différents colléges du Comité national
ny ny ny %totalF | %F nombre % F au
coll.A | coll.B | coll.C | élues nommées | Femmes CN | CN
4,6 16,5 9,5 4,4 54 7,2
1967
1987 9,4 20 42 18,5 11,4 151 15,6
1995 16,2 32 41,7 27,3 11,4 185 22
1999 §=17,5 31,5 41,7 29,3 25,7 236 28,1
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
a leur forte présence au collége C, celui
des ITA. Si le pourcentage de femmes
élues au Comité national devait refléter
leur place globale au CNRS, c’est alors
40 % quil faudrait atteindre®. La créa-
tion du college C a certes permis un
afflux féminin au Comité, mais il a en
méme temps “cantonné” en partie leur
présence. Les évolutions aux niveaux
des colléges A et B sont simplement
inéluctables et tendent 4a se rapprocher
des taux de féminisation des grades
concernés. Parmi les nominations, un
rattrapage trés récent s’est produit ; avec
le soupcon de progression des femmes au
collége A, il constitue le seul mouvement
sensible entre 1995 et 1999.
Chaque section du Comité met en place
un bureau, comprenant un président,
un secrétaire et 3 autres membres ;
compter les femmes dans ces “micro-
instances” fournit un indice supplémen-
taire sur leur participation au Comité.
De 1970 a 1999, les femmes n’ont pré-
sidé que 10,1% des sections du Comité,
score bien inférieur a leur présence
moyenne. Aucune tendance évolutive ne
se dessine : le taux oscille entre 4,4 % en
1987 et 22,5 % en 1991 — année faste a
ce niveau —, mais il n’est que de 15 % en
1999, aprés étre tombé a5 % en 1995 !
La féminisation ne s’est pas mise en
marche dans cette fonction. Les deux
départements ot les femmes sont le
mieux implantées de facon globale sont
évidemment ceux qui les laissent le plus
volontiers présider : 12 sur 29 présiden-
ces féminines en SHS, 7 sur 29 en SDV,
4 en chimie, 1 4 2 dans les autres dépar-
tements. La situation au niveau des
secrétariats de bureaux est un peu plus
favorable, ce qui ne surprend pas étant
donné la figure traditionnellement fémi-
nine attachée a la fonction : 27,7 % en
moyenne leur sont confiés®, sans mou-
vement notable. Les secrétariats venti-
lent mieux, entre les différents départe-
ments scientifiques, les responsabilités
des femmes au Comité. Hors présidence
et secrétariats, les bureaux de section
sont féminisés 4 15 % seulement en
1995 et 1999, soit encore beaucoup
moins que le Comité qui ne l’est déja pas
beaucoup.
De facon générale, Vorigine collégiale
des femmes accédant au Comité, comme
la composition des bureaux, confortent
limpression que celui-ci ne s’est ouvert
aux femmes que “par la petite porte”.
Des femmes distinguées ?
Depuis 1954, le CNRS honore chaque
année des chercheurs, en leur décernant
des médailles (or, argent et bronze) et,
depuis 1992 seulement, des ITA, en leur
attribuant un “cristal”.
La Médaille d’Or (une, ou trés rare-
ment, deux par an) couronne I|’ceuvre
de personnalités exceptionnelles, ayant
contribué par leurs travaux au rayon-
nement international de la recherche
francaise. Du cété des femmes, les
comptes sont vite faits et la cause
entendue : dans la liste des 53 noms
qui vont du mathématicien Emile Borel,
en 1954, a lanthropologue Maurice
Godelier en 2001, deux noms féminins
seulement se sont glissés (3,8 %). En
1975, Christiane Desroches-Noblecourt
est la premiére ainsi distinguée. Les
62. 42,2 % au Bilan social 1999.
63. Calcul sur les années 1977, 1987, 1991, 1995 et 1999.
64. 8,9 % en 1977 et 11,1 % en 1987.
63
64
Les femmes dans histoire du CNRS
travaux et la renommée, jusqu’auprés
d’un large public®, de la conservatrice
des Antiquités égyptiennes du Louvre,
responsable d’une équipe de recherche
associée au CNRS et membre, dés
1950, du Comité national lui valent cet
honneur. La date de remise de cette
médaille n’est pas anodine, puisque
Vannée 1975 a été proclamée par
PONU “année de la femme” et que la
premiére secrétaire d’Etat a la Con-
dition féminine, Francoise Giroud,
vient de prendre ses fonctions. S’il est
remarquable qu’en 1975, pour la pre-
miére fois, la Médaille d’?Or du CNRS
soit attribuée a une femme, il est tout
aussi remarquable que, pour la pre-
miére fois... deux soient décernées,
lautre l’étant au physicien Raymond
Castaing®, un peu comme si l’audace de
la récompense féminine devait, d’une cer-
taine maniére, subir un ré-équilibrage™.
Il faut attendre onze ans pour voir se
renouveler l’événement d’une Médaille
d’Or féminine : en 1986, l’embryolo-
giste Nicole Le Douarin, directrice
de recherche depuis 1976 et membre
de VAcadémie des sciences depuis
1982, est distinguée a son tour. Encore
une fois avec les Médailles d’Or de
Christiane Desroches-Noblecourt et de
Nicole Le Douarin, ce sont les sciences
de ’homme, puis celles de la vie, qui
reconnaissent les premiéres |’existence
des femmes dans la recherche. A qui
le tour ?
Les Médailles d’Argent (une quinzaine
par promotion depuis les années 1970,
neuf a lorigine dans les années 1950)
distinguent la qualité et l’originalité
du travail de chercheurs reconnus par
la communauté scientifique francaise
et internationale. La procédure de
choix des heureux élus commence par
des débats dans les sections du Comité
national, proposant chacune un nom
au Conseil du département dont elle
reléve ; cette instance examine les pro-
positions et choisit le (ou les, suivant
les départements) nom a soumettre au
Comité de direction du CNRS ; appuyé
sur ces pré-choix successifs, le direc-
teur général prend la décision finale
d’attribution. Les Médailles de Bronze
— une trentaine par an dans les années
1970, puis une quarantaine a partir du
milieu des années 1980, soit 4 peu prés
une par section du Comité — récompen-
sent de jeunes chercheurs s’étant dis-
tingués par de premiers travaux leur
conférant rapidement la réputation de
spécialistes dans leurs domaines. Pour
les Médailles de Bronze, les candida-
tures sont examinées, discutées et
finalement départagées au niveau des
sections du Comité. Les Conseils
de département entérinent alors
ces choix.
De 1955 a 2001, les chercheuses n’ont
obtenu que 13,2 % du total des Médailles
d’Argent attribuées (77 sur 584) et, de
1971 4 2000, 20,4 % de celles de bronze
(233 sur 1 141), maigre moisson®. Or,
argent et bronze additionnés, le score
atteint n’est que de 17,5 %. De l’or au
bronze, la part concédée aux femmes
croit de fagon inversement proportion-
nelle au prestige de la récompense.
Les tableaux 11 et 12 précisent, pour
Yargent et pour le bronze, les pourcentages
65. Christiane Desroches-Noblecourt figure au Who’s who depuis 10 ans (édition de 1965) quand elle obtient sa Médaille d’Or. Nicole Le Douarin, Médaille d’Or
en 1986, n’y fera elle son entrée qu’aprés I’événement, dans |’édition 1987-1988.
66. Depuis, deux Médailles d’Or par an n’ont été attribuées qu’en 1978, 1981, 1984, 1987 et 2002.
67. On notera aussi, qu’en 1987, un an aprés Nicole Le Douarin, deux hommes |’obtiennent.
68. Malgré les recherches effectuées, le sexe de 21 médaillés (4 argent et 17 bronze), sur le total de 1 778, n’a pu étre déterminé. Ils sont arbitrairement comptés
comme hommes.
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
Tableau 11 : pourcentages de Médailles d’Argent attribuées
aux femmes et pourcentages de chercheuses par départements
scientifiques de 1971 a 2000
PNC SDU N10) SDV 4 heyy
méd |F | %F
1971
a 150 16 106
1980 18 13 9,1 25 23,8 45,2 33,9 méd f
1981 9,5 0 0 5,2 14,8 20 20,6
a 160 20 125
1990 18,3 13,3 12,5 25,4 26,6 42,6 35,4 méd f
1991 5 0 10 21 9,1 19,4 22,6
a 158 23 146
2000 19,1 16 16,5 26,3 27,9 40,6 38,6 méd f
tot 68 4 23 0 56 2 55 5 73 6 88 18 105 24 468 59 126
dept md f md f md f md f md f md f md f méd f
%mf 5,9 3,6 9,1 8,2 20,4 22,8
En gras : pour comparaison, % de femmes parmi les chercheurs du département en 1977, 1985 et 1995
Tableau 12 : pourcentages de Médailles de Bronze attribuées aux
femmes par départements scientifiques de 1971 a 2000
PNC SDU N10) SDV 4 heyy
méd | F | %F
1971 15
a 338 60 17,7
1980 18 13 9,1 25 23,8 45,2 33,9
1981 12,5 11,1 9,1 14,3 23,3 25,3 26
a 415 86 19,5
1990 18,3 13,3 12,5 25,4 26,6 42,6 35,4
1991 88 20 9,7 20,5 27,1 26,6 28,4
a 388 87 22,4
2000 19,1 16 16,5 26,3 27,9 40,6 38,6
tot 187 10 48 6 103 9 121 20 174 34 237 71 326 83 114 233 20,4
dept md f md f md f md f md f md f md f
%omft 7,3 13,9 8,7 16,5 19,5 30 25,4
En gras : pour comparaison, % de femmes parmi les chercheurs du département en 1977, 1985 et 1995
65
66
Les femmes dans histoire du CNRS
de médailles obtenues par les femmes,
dans chaque département scientifique,
par tranches de 10 ans entre 1971 et
2000”, et rappellent le pourcentage de
chercheuses correspondant. Méme si les
statistiques sur les médailles portent
sur de trés petits effectifs, les pourcen-
tages ont été calculés aux fins de rendre
les comparaisons plus aisées.
Que ce soit pour l’argent ou pour le
bronze, la part des distinctions confé-
rées aux femmes progresse certes, mais
trés lentement : 2 points de mieux pour
Vargent entre les années 1970 et 1990,
5 pour le bronze et sans atteindre le
taux qui serait cohérent avec la pré-
sence globale des chercheuses (30,3 %
en 2000). Du cété de l’argent, la moitié
méme de cette part “légitime” n’est
pas encore atteinte. Du cété du bronze
8 points sont encore a gagner.
SHS et SDV sont les départements
ou les médailles et les femmes sont les
plus nombreuses, les SHS légérement
moins féminisées que les SDV (respec-
tivement 38,6 % et 40,6 % de cher-
cheuses en 1995) prennent néanmoins
VPavantage, au niveau des Médailles
d’Argent, sur ensemble de la période.
Pour le bronze, les SDV reprennent le
dessus. Une clé de ces classements dif-
férents entre SHS et SDV pour l’argent
et le bronze se trouve sans doute dans
lAge moyen des chercheuses : le vivier
de femmes susceptibles de distinction
est plus 4gé en SHS qu’en SDV. Largent
est une médaille de jeune quinqua-
génaire, alors que le bronze s’obtient en
début de trentaine”, les “jeunes” cher-
cheuses se rencontrent plus facilement
en SDV qu’en SHS. Chimie et SDU se
situent au milieu du tableau, pour
argent comme pour le bronze. Au
cours de la derniére décennie ces deux
départements ont attribué une part
relativement importante de leurs
Médailles de Bronze 4 des femmes : le
taux de médailles féminines se rappro-
che (et l’atteint presque pour la chimie)
du taux de chercheuses dans ces dépar-
tements. Il sera intéressant de voir,
dans quelques années, si les Médailles
d’Argent suivront. Les trois départe-
ments les plus masculins ferment logi-
quement la marche : SPM, PNC et SPI
n’accordent pratiquement pas de
Médailles d’Argent au deuxiéme sexe
(et méme pas du tout en PNC), mais,
encore un effet générationnel, font
mieux avec le bronze, en particulier
PNC qui atteint, et dépasse méme en
1991-2000 la part “légitime” eu égard a
la faible féminisation du département.
La encore, il faudra voir si les Médailles
d’Argent suivront.
Les personnels ITA bénéficient de leur
propre récompense : le Cristal. Les pro-
positions d’attribution faites par les
directeurs d’unités sont transmises
aux directeurs de départements qui les
soumettent a leur tour aux sections du
Comité national. Le classement des
ITA finalement retenus par chaque
département, est présenté au Comité
de direction du CNRS pour le choix
final. Créé en 1992, le Cristal est trop
neuf pour que l’on puisse déceler une
tendance évolutive dans le sexe de ses
récipiendaires. Néanmoins, étant donné
la forte féminisation des personnels
69. En 2001 : 2 Médailles d’Argent féminines sur 16, une en sciences de l'univers et une en sciences de Ihomme ; 12 Médailles de Bronze féminines sur 40 (dont 4 en
SHS et 3 en SDV).
70. Pour les médailles décernées en 2001 : 49 ans et 10 mois en moyenne pour les Médailles d’Argent (mais les 3 recompensés en SHS ont juste franchi la cinquantaine
quand les 4 de SDV ont 47 ans et 3 mois en moyenne). Pour le bronze, la moyenne est de 33 ans pour les hommes et de 34 ans pour les femmes, mais les 10 médaillés
de SHS ont 36 ans en moyenne, hommes et femmes confondus.
Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ?
concernés (de 51,4 % en 1992 a 52,2 %
en 2000”) la part des femmes “cristalli-
sées” devrait logiquement étre sensi-
blement plus forte que celle des cher-
cheuses médaillées. Or, depuis 1992,
les femmes n’ont obtenu que 31 des 136
Cristal décernés”, soit 22,7 %, c’est-a-
dire moins de la moitié de leur “espé-
rance mathématique” eu égard a leur
présence. La raison de cette apparente
anomalie est trés simple : les ingé-
nieurs de recherche” “confisquent” prés
de 60 % des Cristal (58,1 % cété féminin
et 59,5 % coté masculin) et il se trouve
que, dans la population des ITA, c’est
précisément parmi les ingénieurs de
recherche que les femmes sont les
moins nombreuses. En 2000, il n’y a
que 9,6% d’ingénieurs de recherche
parmi les femmes ITA, mais 27,4 %
chez les hommes : les femmes partent
dans la course au Cristal avec un han-
dicap certain. Les ingénieurs d’études
constituent le deuxiéme groupe bénéfi-
ciaire des Cristal, 25,8 % des femmes
“cristallisées” et 16,4 % des hommes.
Le jeu est cette fois un peu moins fran-
chement inégal, mais encore légére-
ment défavorable pour elles puisque,
en 2000, 23,7 % des femmes ITA sont
ingénieurs d’études, pour 27,3 % des
hommes. Une fois retirés les Cristal
décernés aux ingénieurs et assistants
ingénieurs”, il ne reste qu’une part
congrue aux personnels de catégories
techniques et purement administrati-
ves”. En considérant les fonctions des
heureux “cristallisés”, hommes et fem-
mes confondus, et la répartition par
sexe du personnel dans ces fonctions,
on aboutit au curieux paradoxe que
chez les ITA ot le personnel féminin
est majoritaire, une femme a finale-
ment trois fois moins de chance qu’un
homme d’obtenir un Cristal”!
Quant aux départements d’apparte-
nance des ITA distingués, ce sont, pour
les femmes, les Moyens communs qui
viennent en téte (8 Cristal), suivis,
sans surprise, des SDV (6) et des SHS
(4). Pour les hommes, la répartition est
beaucoup plus homogéne entre tous les
départements scientifiques et les Moyens
communs viennent en dernier. Dans le
monde des ITA, le Cristal masculin
récompense “l’accompagnement de la
science”, selon la formule consacrée,
alors que le Cristal féminin récompen-
serait plutét sa gestion.
De lOr, attendu jusqu’en 1975, au Cristal,
reconnaissant enfin en 1992 les caté-
gories de personnel ot les femmes sont
les plus nombreuses — mais qui bénéfi-
cie proportionnellement beaucoup plus
aux hommes -, l’étude des distinctions
conférées aux femmes par le CNRS
laisse ’amére impression que celles-ci
n’ont pas eu leur part.
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Nicole Le Douarin a regu la Médaille d’Or du CNRS
en 1986, pour ses recherches en embryologie.
71. Chiffres du Bilan social 1992 et 2000.
72. 15 par an de 1992 a 2000, 16 en 2001.
73, Et ingénieurs principaux en physique nucléaire.
74. Une femme récompensée depuis 1992 (5 hommes depuis 1994).
75. Une attachée principale d’administration de la recherche et deux attachées d’administration de la recherche recompensées depuis 1992 ; un technicien depuis 1994.
76. Calcul sur la moyenne des effectifs et des Cristal attrioués entre 1995 et 2000 : une femme a 0,052 % de chance d’en obtenir un, un homme 0,159 %.
67
68
Les femmes dans
les laboratoires de
biolog 1e par Jean-Francois Picard
Jean-Francois Picard est historien, ingénieur de recherche au
CNRS. I] est auteur d’une histoire du CNRS (La République des
savants, le CNRS et la recherche francaise, Paris, Flammarion,
1990). Il a aussi publié de nombreux articles sur lhistoire des
politiques scientifiques en France et 4 l’étranger.
D ans cet article, Jean-Francois Picard tente de mieux cerner la place
des femmes au CNRS et plus généralement dans le monde de la
recherche, en proposant, dans un premier temps, une lecture statistique
minutieuse de leur présence au sein des différents laboratoires.
Engageant sa réflexion en utilisant des approches sociologiques récentes
et en analysant les difficultés propres aux minorités, l’auteur propose
d’observer les capacités d’adaptation et les moyens mis en qceuvre par les
femmes pour travailler dans la recherche.
69
Choisissant de laisser la parole a celles qui vivent quotidiennement ces
difficultés et qui analysent les raisons pour lesquelles, contraintes ou pas,
elles tendent a privilégier certains domaines de recherches, Jean-Francois
Picard aborde les multiples causes qui provoquent les débats actuels.
70
Les femmes dans histoire du CNRS
urgie aux Etats-Unis il y a un
quart de siécle pour faciliter
Vintégration des minorités
ethniques dans une société démocra-
tique, l’Affirmative Action a concerné
aussi la condition féminine.
En France, ce type de politique volon-
tariste a démarré par l’instauration
d’une parité entre les sexes dans le
monde politique, économique ainsi
que dans la communauté scientifique.
La nomination de femmes 4 des
postes de haute responsabilité —
Catherine Bréchignac et Geneviéve
Berger 4 la direction du CNRS,
Jacqueline Godet au département des
sciences de la vie, Dominique Meyer
et Ketty Schwartz a celle de
PINSERM... — marquait le souci
des pouvoirs publics de promouvoir
Yentrée des femmes aux postes
politiques dans le domaine de la
recherche scientifique.
Plus récemment, le ministére de la
Recherche organisait une mission
ad hoc, tout en suscitant la publica-
tion d'un Livre blanc sur les femmes
dans la recherche francaise’. L'état
des lieux, dressé a4 cette occasion,
soulignait des différences significa-
tives entre les divers secteurs scien-
tifiques, en montrant que les sciences
de la vie (SDV) représentaient le
domaine le plus féminisé, suivies par
les secteurs des sciences humaines
et sociales, de la chimie, des mathé-
matiques, des sciences de l'univers,
de la physique et enfin des sciences
pour l'ingénieur. Le Livre blanc
montrait ainsi l’importance du taux
de féminisation des SDV, un ensem-
ble de disciplines s'étendant de la
biologie moléculaire a l'écologie. I]
montrait aussi l’importance de la
féminisation des grands établis-
sements publics de recherche (EPST),
confirmant que les plus concernés
sont ceux qui se consacrent a la
recherche biologique, médicale ou a
la santé publique. Ainsi, le taux de
féminisation de l'Institut national
d'études démographiques (INED)
s'‘éléve aujourd'hui a 58 % et place cet
organisme au premier rang, devant
l'Institut national de la santé et de la
recherche médicale (INSERM), avec
50% de chercheuses, devancant
l'Institut Pasteur (48 %). Quant au
CNRS, avec 30 % de femmes au sein
de ses laboratoires de recherche, il
devance l’Université dont le taux
de féminisation n’est que de 28 %.
Ces chiffres nous rappellent cepen-
dant que le CNRS eut un réle pion-
nier en matiére de féminisation de la
recherche francaise. Alors que le
pourcentage de femmes universi-
taires n'excédait pas 6 % au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale, cet
organisme scientifique, dont les effec-
tifs atteignaient a peine le vingtiéme
de ce qu'ils sont aujourd'hui, compor-
tait déja un tiers de femmes’.
Le tableau ci-contre reprend les taux
de féminisation des cinq grands
départements du CNRS et leur
évolution au cours du dernier quart
de siécle (1974-2000).
1. Ministére de la Recherche. Les Femmes dans la recherche francaise, Livre blanc, Paris, 2002, 31 p.
2. A.-M. Bataillon, R. Blanchard, S. Hochet, M.-P. Peyre, N. Pouey, A. Roy, Femmes et sociétés, Présence des femmes au CNRS in
L’Homme et la Société, VHarmattan, n°99/100, 1991. 1.2.
Les femmes dans les laboratoires de biologie
Tableau 1 : pourcentages de personnel féminin au CNRS par département
scientifique de 1974 a 2000°
es
% femmes chercheurs en 1974
et aujourd’hui 39
% femmes ITA en 1974 70
et aujourd’hui 71
% total de femmes en 1974 60
et aujourd’hui 53
Ce tableau révéle que la parité hom-
mes-femmes fut acquise pour les bio-
logistes du CNRS dés les années
1970. Mais ces chiffres révélent aussi
une régression notable puisque,
aujourd’hui, ce département ne compte
plus que 39 % de chercheuses. Baisse
d'autant plus significative que, dans
le méme temps, les autres départe-
ments du CNRS ont connu une évo-
lution inverse, avec une progression
de 5 points en sciences humaines et
sociales, de 3 points en chimie, de 2 en
physique et de 3 en mathématiques.
En chiffres bruts, cela signifie qu'en
tenant compte de la croissance glo-
bale des effectifs du département des
sciences de la vie (2 500 chercheurs
en 1974, 3 000 aujourd'hui), le nom-
bre de chercheuses en SDV est resté
stable au cours des vingt-cing dernié-
res années (1 200). On reviendra plus
loin sur ce curieux phénoméne, mais
en notant déja que ce département
qui a longtemps détenu la premiére
place en matiére de féminisation a
40 29 17 17
70 50 25 55
71 50 27 35
53 35 20 35
55 38 25 25
aujourd’hui régressé, au moins en
valeur relative, passant au second
rang derriére celui des sciences
humaines et sociales (cf. la derniére
ligne du tableau ci-dessus). Une autre
caractéristique mieux connue est la
décroissance du taux de féminisation
observé au fur et 4 mesure qu'on s'é-
léve dans la hiérarchie du corps des
chercheurs. Dans les SDV, en dix ans,
de 1990 a 2000, le taux de chargées de
recherche de deuxiéme classe (CR2)
est passé de 33 a 34 % (1 point en
plus) et de 35 a 37 % pour les CR1
(soit un gain de 2 points). En revan-
che, il est resté stable pour les direc-
trices de recherche de deuxiéme
classe (23 % de femmes DR2) et il a
perdu 3 points pour les DR1 (de 16 4
13 % de femmes). Stagnation d'autant
plus curieuse que la présence fémi-
nine au sein des instances d'éva-
luation de la recherche a cra de 19 a
24 % au cours de la méme période.
3. Sources : Le Monde, 25 septembre 1974, “Le Centre national de la recherche scientifique”, J.-L. Lavallard, et CNRS, Bilan social
1990, 2000, aimablement communiqués par G. Faye.
71
72
Les femmes dans histoire du CNRS
Qu'en est-il de l' INSERM ? Globalement,
les effectifs de cet organisme se rap-
prochent de ceux du département SDV
du CNRS. Ainsi, en 1998, l'INSERM
comptait 1978 chercheurs, dont la
moitié de femmes et 2 700 ITA, dont
les deux tiers étaient des femmes.
La parité y est donc une réalité soli-
dement ancrée, mais avec les mémes
distorsions que celles rencontrées
au CNRS, a savoir une décroissance de
la présence féminine au fur et
a mesure qu’on s‘éléve dans la hiérar-
chie. L'INSERM comptait 57 % de
chargées de recherche en 1998 contre
50 % dix ans plus t6t, mais seulement
35% de directrices de recherche
(1998) contre prés
de 40 % aupara-
vant. Si lon com-
pare le taux de
féminisation dans
les commissions
scientifiques ot les
femmes sont les
plus représentées,
on reléve que l'im-
munologie (CSS 3)
assurait la promo-
tion de 23 chargées
de recherche (CR)
en 1996 pour 20 candidats de sexe
masculin, alors que cette commis-
sion ne comptait que 7 femmes sur
25 directeurs d'unité. De méme, la
commission “Dermatologie, néphro-
logie, pneumologie” (CSS 8), avec
15 femmes promues CR pour 14
hommes, ne comptait que 4 femmes
directrices d'unité sur 28, la commis-
sion “Maladies transmissibles” (CSS
10), 28 candidates CR pour 17 hommes.
Pourtant il y avait bien des femmes a la
direction parmi les 19 unités de recher-
che concernées. Pour autant, le
décompte du nombre de lauréates du
prix Nobel confirme bien la remarqua-
ble féminisation des sciences de la vie
constaté depuis la Seconde Guerre
mondiale. Alors que les départements
de physique et de chimie ne comptent
a eux deux qu’une lauréate chacun
(Maria Goeppert-Mayer pour la chimie
en 1963 et Dorothy Crowfoot Hodgkin
en 1964 pour ses travaux de biochimie),
on ne reléve pas moins de 6 lauréates
en médecine et physiologie : Gerty
Theresa Cori en enzymologie (1947),
Rosalyn Yalow (1977)
et Rita Levi-Montalcini
(1986) en hormo-
nologie, la pharma-
cologue Gertrude B.
Elion (1988), enfin les
| généticiennes Barbara
McClintock (1983) et
Christiane Niisslein-
Volhard (1995). Au vu
du partage des réles
déterminés dans la
société moderne —
évidemment non
spécifique a la recherche scientifique —
on peut s’interroger sur l'importance de
cette présence féminine dans cet
ensemble de disciplines. Pour tenter d'y
voir clair, nous avons donc interrogé
quelques chercheuses : Betty Felenbok
(Institut de génétique et de micro-
biologie, université Paris-Sud), Sylvie
Gisselbrecht (directrice de l'UR 363
INSERM), Suzy Mouchet (ancienne
Les femmes dans les laboratoires de biologie
responsable du département de l'infor-
mation scientifique et de la communica-
tion a l'INSERM), Ethel Moustacchi
(directrice de recherche de classe excep-
tionnelle a l'Institut Curie), Annie
Sainsard (Centre de génétique molécu-
laire, CNRS), Jacqueline Verdiére (maitre
de conférences a l'université Paris-Sud)
dont on trouvera le témoignage* pour
expliquer le phénoméne qui nous inté-
resse. Nos témoins (désolé ! il n’existe
pas de féminin pour ce substantif)
ont avancé deux types d’explications a
priori antinomiques : la premiére, qu'on
qualifiera d’endogéne, consiste a justi-
fier l'lmportance de cette féminisation
par l’intérét spécifique que les femmes
porteraient aux sciences du vivant ; la
seconde explication, exogéne, justifie ce
phénoméne moins par l'attrait des cher-
cheuses pour la biologie que par le
déclassement de ces disciplines dans la
hiérarchie des sciences naturelles telle
que proposée par le philosophe Auguste
Comte il y a deux siécles : des mathé-
matiques, de la physique et de la chimie
jusqu’a la biologie.
Avocate de l'explication endogéne,
Cest-a-dire d’une idiosyncrasie parti-
culiére des chercheuses pour les scien-
ces du vivant, Ethel Moustacchi se
place du point de vue de l'anthropolo-
gue pour décrire leur attirance pour
ces disciplines puisqu’elle en voit l'ori-
gine dans Vhistoire de ’humanité,
dans la répartition des fonctions et
des taches directement issues de diffé-
rences entre les sexes qui aurait per-
duré jusqu'a aujourd'hui. Aux temps
préhistoriques, dit Ethel Moustacchi,
pour nourrir la tribu, ’homme chas-
sait tandis que la femme pratiquait la
cueillette. I] s'agissait d'une activité
vitale pour le groupe puisqu’il fallait
nourrir sa progéniture. Il était donc
important de distinguer les plantes
toxiques des plantes comestibles, d'ot
une relation particuliére des femmes
avec la nature. L'allusion a l'instinct
maternel est claire et conduit sa col-
légue Jacqueline Verdiére 4 évoquer
le rdéle d'une “imprégnation hormo-
nale” a l'origine d’un comportement
qualifié “de protection”. Il s’inscrirait
davantage dans une sorte de patri-
moine biologique de la féminité que
dans les comportements prédateurs
du male. Cette propension a l'altérité,
aux soins, ménerait donc les cher-
cheuses d'aujourd'hui vers des acti-
vités comme la médecine ou la phar-
macie. On note enfin que lorsqu'elles
parlent de leurs motivations person-
nelles, les chercheuses interrogées
évoquent le souci de “percer les mys-
teres de la vie”. Evidemment, l'hypo-
thése fondée sur l’idée d'une “nature
féminine” est récusée, — parfois avec
véhémence ! — , par les tenantes
de l’explication exogéne. Pour celles-ci,
ce serait le poids de la société qui
expliquerait l'importante proportion
de femmes dans les sciences de la vie.
Ainsi, selon Betty Felenbok, “le vrai
probléme est que la société, dans son
ensemble, est régie par un systéme
de valeurs masculin. Or, dans le
domaine scientifique, les femmes se
déterminent d'abord par rapport 4
la possibilité d’entrer ou non dans
4 - Ces entretiens sont publiés p. 81 a 97.
73
74
Les femmes dans histoire du CNRS
telle ou telle discipline.” Que ce soit en
biologie ou ailleurs, on se trouverait en
face d’activités spécifiquement fémini-
nes, parce que considérées comme
socialement inférieures par rapport a
d'autres, comme les mathématiques ou
la physique. Annie Sainsard, qui par-
tage le point de vue de sa collégue, en
percoit Yorigine dans l'éducation des
enfants et précise que “trés tt, on
oriente les petites filles plutét vers la
biologie que vers les maths. Si l’on
prend l’exemple des jeux que l’on donne
aux enfants, c’est la poupée pour les
filles et ’informatique pour les garcons,
ce qui est tout de méme plus proche
d'une activité scientifique”.
De fait, le role de l’enseignement appa-
rait peu contestable dans l’orientation
des filles vers la biologie. Dans les
années 1960, le généticien Philippe
LHéritier (l'un des pionniers de la disci-
pline en France) qui détenait la chaire
de biologie a la faculté d’Orsay (Paris-
Sud) en témoignait : “A l'ouverture de
la faculté d'Orsay, j’ai pris la chaire de
biologie générale ot je suis resté pen-
dant une dizaine d'années. Comme la
fac d'Orsay recrutait surtout dans
l'Ouest parisien, je donnais mes cours
devant un parterre de quelque 150
jeunes filles en fleurs. Les garcons,
eux, s’orientaient plutét vers les gran-
des écoles. C'est comme cela que j'ai pu
recruter pas mal de jeunes personnes
pour les laboratoires du CNRS a Gif-
sur-Yvette’.” Pour expliquer ce tropisme,
les sociologues se sont penchés sur
les caractéristiques du systéme éducatif
francais et dans leur célébre livre
Allez les filles !°, Christian Baudelot et
Bernard Establet évoquent une loi non
écrite de la compétition scolaire : la
sélection par les mathématiques qui
donnerait lavantage aux garcons.
Lanalyse a été poussée plus loin par
Michéle Ferrand qui s’est intéressée
au cursus des normaliennes et des
polytechniciennes. Depuis Auguste
Comte, on sait le prestige reconnu aux
mathématiques et le peu de reconnais-
sance accordée 4a la biologie dans les
représentations de la science et donc
dans le choix d'un cursus universitaire.
Mais lun des paradoxes de l'enquéte,
réalisée auprés des normaliennes,
aboutit A expliquer le choix des filles
pour les sciences de la vie plutét que
pour les mathématiques par une
logique de “gotit personnel”. Dans un
cursus universitaire, le gotit des filles
s'opposerait 4 la recherche de |’excel-
lence, c’est-A-dire de la rentabilité
sociale et économique, privilégiée par
les garcons. C'est donc leur attirance
pour la biologie qui conduirait les filles
ayant la possibilité de suivre une
maths spé M' a choisir une spé-bio
moins valorisée socialement. Les
normaliennes avancent deux séries
d’arguments pour justifier ce type
de choix, notamment ceux liés a4 la
plus grande polyvalence des enseigne-
ments dispensés dans cette filiére,
confirmé ensuite par un godt affirmé
pour la biologie en tant que discipline.
Moins exclusivement centrée sur
les mathématiques et la physique,
cette formation leur apparaitrait plus
5. Voir : http://picardp1 .ivry.cnrs.fr/~jfpicard/LHeritier.html.
6. C. Baudelot, R. Establet, Allez les filles !, Paris, Seuil, 1992.
Les femmes dans les laboratoires de biologie
diversifiée, plus équilibrée, voire seule
capable de leur donner une formation
scientifique compléte. Les conclusions
de l'enquéte n’en sont pas moins inté-
ressantes. “Quand on compare les stra-
tégies des filles par rapport a celles des
garcons, écrit Michéle Ferrand’, il se
dégage une vision des études, puis de
la carriére, davantage marquée par le
“plaisir” que par l|'“ambition”, plus
exactement ot l'ambition au féminin
prend un autre sens : se réaliser, faire
ce que l'on aime, éviter “l'obsession-
nalité de la réussite a tout prix”. De
la méme maniére,
dans la recher-
che, on notera
que l'attrait des
femmes pour les
SDV _ est plus
évident derriére
la paillasse qu’a
la direction des
laboratoires. C'est
le cas de Sylvie
Gisselbrecht, une
femme médecin
devenue directrice de l’unité 363
INSERM (oncologie cellulaire et molé-
culaire), lorsqu’elle évoque le début de
sa carriére : “J’ai longtemps refusé de
prendre la direction d'un laboratoire.
La raison en est que je voulais maintenir
un rapport ludique avec la recherche,
c'est-a-dire travailler sur les sujets qui
m'intéressaient, avec les gens qui me
plaisaient. D’autre part, je n’avais pas
envie de devenir chef. En fait, je vou-
lais éviter un décalage entre ma facon
de vivre et mes rapports avec les autres,
au quotidien...” Si, comme cela semble
plausible, on élargit ce type de compor-
tement 4 la communauté des femmes de
sciences, on peut expliquer la baisse du
taux de féminisation, signalé plus haut,
dans les échelons supérieurs de la hié-
rarchie. C’est ce que souligne Sylvie
Gisselbrecht : “Le probléme est qu'au fur
et A mesure que l'on monte, il y a de plus
en plus de taches administratives, d'ot
des contraintes qui ne sont pas simples
pour les femmes dont les charges de
famille sont importantes... Si l’on ajoute
a cela que la somme des responsabilités
administratives
d'un directeur de
| laboratoire tend
a l'éloigner de la
paillasse, on com-
prend certaines
des difficultés ren-
contrées par les
femmes a prendre
des responsabili-
tés managériales”.
éme son de clo-
che au CNRS ou
Betty Felenbok explique son horreur
des rivalités de pouvoir et des jeux de
compétition : “Je me suis toujours dit
que ce qui était important était la
fonction que joccupais dans le labo,
pas le salaire. Par exemple, j’ai
demandé a passer directrice de recher-
che trés tardivement. J'animais un
groupe de chercheurs, ce qui me sem-
blait plus important que le titre que
lon me reconnaissait. La commission
dont je dépendais m'a d'ailleurs fait le
reproche de ne pas avoir demandé de
7. M. Ferrand, F. Imbert, C. Marry, “Femmes et sciences. Une équation improbable ? L'exemple des normaliennes scientifiques et des
polytechniciennes”, Formation-Emploi, juillet 1996, n° 55. Cf. aussi O. Kellermann, M. Maillard, “62 % des normaliennes scientifiques
font de la biologie ! Rassurons-nous, 54 % des normaliens scientifiques continuent a faire des mathématiques !”, Bulletin des amis
de I'ENS, n° 201, 1996.
75
76
Les femmes dans histoire du CNRS
promotion plus tét !”. Les chercheuses
seraient donc plus motivées par leur
curiosité scientifique, c’est-a-dire le
jeu de la recherche, que par des soucis
de carriére, cest-a-dire la quéte du
pouvoir, mais évidemment, avec les
conséquences que cela implique en ter-
mes de reconnaissance sociale, de salaire
et de promotion. Une situation qu'Ethel
Moustacchi illustre en évoquant la figure
emblématique de Barbara McClintock,
une généticienne américaine, réputée
pour son manque d'ambition carriériste
et admirée, au contraire, pour sa “mys-
tique de la connaissance®”.
Ce type de comportement n'est évi-
demment pas sans conséquence sur la
maniére dont les chercheuses percoi-
vent leur place au sein de la commu-
nauté scientifique.
Celles que nous avons interrogées
semblent osciller entre le syndrome
des “damné(e)s de la terre” et celui du
“synécée”. Evoquant le premier, Ethel
Moustacchi souligne que les femmes
sont longtemps restées victimes d’un
complexe de colonisé, tel que décrit
dans le livre de Franz Fanon : le dis-
crédit de soi et la haine de lopprimé
pour lui-méme. “Trés longtemps, les
femmes ont fait leur le regard que les
hommes portaient sur elles. Non, je ne
suis pas digne de passer directrice de
recherche...” Elle évoque cette “hon-
teuse” misogynie féminine qui pousse
certaines professeures ou directrices
de laboratoire 4 recruter de préférence
des garcons. A l’inverse, d'autres respon-
sables ont privilégié un recrutement
féminin. Selon Sylvie Gisselbrecht, les
femmes qui font de la recherche et qui
se sont heurtées dans le quotidien au
comportement de directeurs machis-
tes, préférent intégrer des laboratoires
dirigés par des femmes. “Il y a beau-
coup plus de chercheuses que de cher-
cheurs dans [mon] laboratoire, dit-elle,
ce qui veut dire qu’a égalité de qualité
des travaux, jaurais tendance a faire
attention 4 ce que les femmes ne
soient pas discriminées au moment
du recrutement. Je me souviens d’une
année ot il y avait extrémement peu
de postes ouverts a YINSERM. A la
lecture de la liste des nouveaux recru-
tés, javais constaté que sur sept ou
huit commissions scientifiques spécia-
lisées, toutes (sauf une) n’avaient
nommé que des hommes. Les femmes
n’apparaissaient que sous la barre des
intégrables !”
On peut aussi s'interroger sur les
spécificités féminines dans l'activité
des laboratoires. Nous n'insisterons
pas sur l'importance de la population
féminine dans le corps des ITA du
CNRS ou de l'INSERM, sinon pour
rappeler les qualités de manipulation,
de méticulosité et les capacités d'obser-
vation indispensables a la recherche
biologique, si souvent vantées chez
les laborantines par les chercheurs qui
utilisent leurs travaux. On pense aux
images de diffraction de la macromo-
lécule d'acide désoxyribonucléique
obtenues par Rosalynd Franklin et
qui permirent a Francis Crick et a
Jim Watson d'élaborer le modéle de la
double hélice d'ADN — découverte
8. H. Green, In memoriam B. McClintock, 1992 : “Science is not a career, and when it is made into one, it risks becoming falsified. As
a scientist, Barbara was a prototypic non-careerist. This was not because she restrained a natural impulse to do otherwise, but
because she could not imagine science as a vehicle for personal advancement. Her accomplishments in science depended on her
respect for the way things were and not on her need to discover something. Some have spoken of Barbara's way of understanding
as that of a mystic and | think there are grounds for this view" (http://www.nobel.se/medicine/articles/green/index.html).
Les femmes dans les laboratoires de biologie
Tableau 2 : évolution du pourcentage de femmes chercheurs dépendant
des sections de SDV au CNRS
Sections du Comité natinal
20 Structures des biomolécules
aE 2000
30 37
22 Thérapeutiques et médicaments 32 34
24 Bio cellulaires, virus 44 42
26 Fonctions du vivant et régulation 40 40
28 Bio du développement, reproduction 49 42
30 Diversité biologique, écosystemes 34 29
récompensée par un Nobel dont cer-
tain(e)s ont pu dire qu’elle fut injuste-
ment évincée. II est clair que leurs qua-
lités spécifiques ont conduit les femmes
a s'imposer dans certains domaines des
SDV comme, par exemple, leur capacité
d'observation qui les prédisposent a4
faire d'excellentes cytologistes.
Il semblerait aussi que leurs qualités
de persévérance font que les femmes
biologistes n'orientent pas systémati-
quement leurs recherches sur les
sujets les plus compétitifs, au moins
en termes de reconnaissance institu-
tionnelle. Elles hésitent moins que les
hommes a prendre des risques dans le
choix d’un sujet d'étude, selon Betty
Felenbok qui travaillait il y a quelques
années sur le développement d’une
amibe (dictyostelium), un sujet de
recherche particuliérement stimulant
sur le plan intellectuel, malheureuse-
ment plus décevant sur celui des résul-
tats, précise-t-elle. De fait, les cher-
cheuses semblent moins rechigner que
les chercheurs A suivre des voies par-
fois latérales aux grandes tendances
scientifiques du moment. “L'attention
77
78
Les femmes dans histoire du CNRS
a l'anomalie, au détail, 4 la singularité
est décisive dans la découverte [et sont
le pendant d’une] originalité [qui] va
de pair avec la marginalité” disent
des pasteuriennes’. Mais on peut don-
ner des exemples de chercheuses
qui ont su marier leur capacité d'ana-
lyse et leur ténacité pour faire aboutir
des programmes de recherche concus
en dehors des sentiers battus. On évo-
quera encore Barbara McClintock et
son choix de travailler sur le mais, un
modéle peu adapté a la génétique
expérimentale qui ne l'empécha pas
de découvrir les transposons” (génes
mobiles). De méme, on pense aux phé-
noménes de Vhérédité structurale
des paramécies — une génétique “anor-
male” parce que sans ADN, mais qui
annonce les prions — mise en évidence
par Janine Beisson dans son labora-
toire du CNRS.
Si l'on reconnait aux chercheuses des
qualités particuliéres d'expérimen-
tatrices, peut-on dire, comme certains
de leurs collegues masculins, qu’elles
seraient moins douées pour la réflexion
théorique ? La question posée aux
chercheuses provoque un clivage entre
celles qui évoquent le “fonctionnement
différent du cerveau des hommes et
des femmes” (Jacqueline Verdiére) et
d’autres qui estiment que la capacité
plus ou moins grande d'un esprit
scientifique pour la_ théorisation
résulte d'une construction sociale.
Ainsi, pour Betty Felenbok, l’abstrac-
tion est valorisée parce qu’elle est une
valeur mise en avant par les hommes :
“Ce sont eux qui investissent ce
champ, alors que le concret serait plu-
tot Vaffaire des femmes parce que
moins noble que la précédente. [...] De
toute facon, je ne pense pas que cette
distinction soit due a la structure du
cerveau, dont toutes les études actuel-
les montrent la malléabilité. Quand
une fonction se perd a un niveau — on
le voit avec les hémiplégies ou les bles-
sés de guerre par exemple —, une autre
partie prend le relais. Done pourquoi
ne pas imaginer que cette plasticité
puisse permettre aux femmes d’attein-
dre les niveaux d’abstraction des hom-
mes ?”. Reste que les chercheuses sem-
blent souvent plus soucieuses que
leurs collegues masculins des appli-
cations de la recherche. Elles se
situent “davantage dans le concret”
dit Jacqueline Verdiére, tandis que pour
Ethel Moustacchi, “il ne fait guére de
doute que les femmes biologistes trou-
vent souvent leur motivation dans les
applications de la recherche, en matiére
de santé par exemple” et elle cite
l'exemple de Marie Curie, chimiste et
physicienne, qui se préoccupa des appli-
cations médicales de la radioactivité.
L'étroitesse de la relation entre la
recherche biologique et la recherche
médicale semble d’ailleurs plus évidente
aux chercheuses qu'aux chercheurs
(deux des biologistes interviewées a la
faculté d'Orsay semblent avoir envi-
sagé de faire médecine) ce qui les
conduit 4 évoquer leur relation avec la
recherche médicale. Dans leur livre,
Christian Baudelot et Bernard
Establet soulignaient que l’accés des
femmes a la médecine a transformé la
9. Entretien avec Francois Gaill, Trajectoires, Le sexe des sciences, Autrement, n° 6, oct. 1992.
10. E. Fox Keller, L'intuition du vivant. La vie et I'ceuvre de Barbara McClintock, Paris, Tierce, 1983.
Les femmes dans les laboratoires de biologie
profession, mais selon certaines spéci-
ficités. Elles se sont tournées vers la
médecine hospitaliére salariée, voire
vers la médecine spécialisée, au prix
d'efforts scolaires supplémentaires, ce
qui les a conduites 4 développer des for-
mes de médecine savante et intégrée.
L'expérience de Sylvie Gisselbrecht
montre méme que, par un singulier
paradoxe, la misogynie traditionnelle
du corps médical, contre laquelle elles
eurent a lutter, a poussé des cliniciennes
vers la recherche biologique. “Nommée
interne en 1967, raconte cette cher-
cheuse, je suis allée voir Monsieur
Jean Bernard a l'hépital Saint-Louis
pour lui demander une place dans son
service. I] m’a trés clairement exposé
son point de vue : comme femme, je
pourrais faire de la recherche, mais
pas de la clinique. Il avait ajouté qu'il
ne nommerait jamais une femme agré-
gée, parce qu’étant chargée de famille,
elle ne pouvait avoir la disponibilité
nécessaire pour soigner des patients
dans un service aussi lourd que le
sien.” Finalement, Sylvie Gisselbrecht
quittera l'hdpital Saint-Louis pour
échapper aux pesanteurs de la clinique
et pour participer a installation de la
recherche médicale 4 ’hépital Cochin.
Qu'en est-il aujourd’hui de la discus-
sion sur la place des femmes dans la
recherche ? En réalité, cette question
semble tourner autour d'une revendi-
cation sociale pour la mise en place
dun dispositif réglementaire censé
assurer la parité hommes-femmes
dans la recherche. C'est-a-dire de l'éta-
blissement d'une égalité arithmétique
entre les sexes
aussi bien dans
Yactivité des labo-
ratoires que dans
les instances de
management scien-
tifique. Ayant deman-
dé a nos intervie-
wées ce qu’'elles pen-
saient de ce volonta-
risme inspiré d’une
Affirmative Action
a l’américaine, on
peut constater qu'aucune ne manifeste
un franc enthousiasme vis-a-vis d’une
politique qui semble davantage moti-
vée par des mobiles sociaux, que véri-
tablement scientifiques. Au vrai, tan-
dis que certaines chercheuses y voient
un pis-aller, d'autres se disent hostiles
a une réglementation qui entérine une
inégalité de fait entre sexes, méme
s'il s'agit de la réduire. D’autres, plus
militantes pour la cause féminine, se
résignent a ce qu'elles appellent une
forme de “ségrégation positive”. Par
exemple, Betty Felenbok admet que
“la loi sur la parité a probablement été
utile pour donner un élan, le coup de
pouce nécessaire, pour permettre aux
femmes d'accéder a plus de responsa-
bilités dans notre société”. Si Annie
Sainsard reconnait qu'aujourd'hui le 79
clivage entre sexes n’est plus de mise
dans les commissions du CNRS, elle
estime “... qu'il n'est pas sGr que les
chercheuses demandent, encore aujour-
d'‘hui, tout ce a quoi elles ont droit”. A
PINSERM, Sylvie Gisselbrecht parle
d’une “mesure illusoire”, mais qui a au
moins le mérite de susciter une discussion
80
Les femmes dans histoire du CNRS
sur un sujet dont on ne parlait guére
jusqu’ici. En revanche, Ethel Moustacchi
affirme son hostilité de principe 4 ce
qu'elle qualifie de “mauvaises manié-
res faites aux chercheuses”, ce dont
elle s'explique : “Je ne veux pas nier
une discrimination malheureusement
bien réelle entre les sexes, particulié-
rement avérée dans les promotions
aux échelons élevés de la hiérarchie
(cf. supra). Mais la parité me parait
une facon relativement facile et humi-
liante de répondre a un probléme qu'il
est nécessaire d'attaquer sous tous ses
angles : l'éducation, la législation du
travail, les aides sociales, voire une
évolution des mentalités qui verrait
l'acceptation par les hommes d'une
alternance dans les charges de la vie
familiale ! En fait, je suis convaincue
que la parité ne peut résoudre aucun
des problémes auxquels sont confron-
tées les chercheuses au quotidien et
qu'elles partagent évidemment avec
les autres femmes des classes moyen-
nes. N'oublions pas que les salaires ne
permettent pas, par exemple, d'avoir
une aide sérieuse A domicile. A cela, il
faut ajouter le stress lié a leur métier
scientifique, les manip’ qui ne se ter-
minent pas a l'heure de sortie de la
garderie, les déplacements pour les
congrés, les stages a l'étranger, etc.”
Il reste enfin que la revendication
paritariste est peut-étre dépassée
aujourd'hui, remarquent les généti-
ciennes. Ethel Moustacchi se demande
si elle et ses consceurs sont bien repré-
sentatives de la recherche telle qu'elle
fonctionne aujourd’hui, non seulement
dans les SDV, mais aussi dans les au-
tres disciplines. “Peut-étre représen-
tons-nous une ancienne génération de
chercheuses ?” note Jacqueline Verdiére
qui ajoute : “On a parfois le sentiment
que les choses ont changé avec la géné-
ration suivante, que les jeunes sont
plus combatives que nous ne ’étions.”
Les mentalités ne sont d'ailleurs pas
les seules a avoir évolué. Les sciences
de la vie elles-mémes, c'est-a-dire le
contenu et les méthodes de la recher-
che, ont connu une profonde mutation
dans la période récente. Peut-étre
méme faut-il voir dans ces change-
ments l'origine du curieux phénoméne
signalé plus haut, a savoir la baisse
relative du taux de féminisation dans
les sciences du vivant. Rappelons
qu’au CNRS la parité atteinte dans les
années 1970 s'est effacée devant une
nouvelle répartition de 4 femmes pour
6 hommes, les SDV ayant perdu 10
points alors que le taux de féminisation
croissait de 3 4 5 points dans les autres
disciplines (cf. tableau 1). Evoquant ce
phénoméne, Annie Sainsard rappelle
qu'aujourd'‘hui on ne parle plus de cyto-
logie, mais d'imagerie cellulaire, c'est-
a-dire de grands programmes mobili-
sateurs de type “Imabio”, avec tout ce
qu'ils impliquent en moyens matériels
et humains, mais aussi — et la coinci-
dence n'est probablement pas le fait
d’un hasard — en termes de “re-mascu-
linisation” de la recherche.
La bio-informatique se substituant
aux centrifugeuses et aux super-
microscopes, les modéles mathéma-
tiques prennent le pas sur les sciences
Les femmes dans les laboratoires de biologie
d'observation et si les sciences de la
vie représentent le front principal
dans l'avancée des connaissances,
elles sont devenues le champ d’enjeux
de pouvoir exacerbés. On voit s’y
installer un esprit de compétition qui
étouffe parfois la curiosité scienti-
fique, pour ne pas dire cette mystique
de la connaissance évoquée plus haut
a propos de Barbara McClintock.
Peut-étre faut-il voir la l'une des
raisons de la perte relative de l'idio-
syncrasie des chercheuses pour ces
disciplines ou, a l’inverse, |’explication
de la féminisation toujours croissante
des autres domaines de la recherche.
Entretien avec:
Sylvie
Gisselbrecht,
directrice de
l'UR INSERM
363 (Oncologie
cellulaire et
moléculaire)
H6pital Cochin, le 5 février 2002
Pourquoi avez-vous “fait”
médecine ? ...
Quoique mon pére ait été médecin, je
voulais faire les Beaux-Arts ou les
Arts déco, mais mes parents n'ont pas
voulu et j’ai donc fait médecine finale-
ment un peu par hasard. A l’époque ow
jai commencé mes études, la médecine
était un monde d’hommes ow les fem-
mes étaient secrétaires ou infirmiéres.
J’ai passé linternat en 1967, mais j’ai
gardé un trés mauvais souvenir de ces
années et tout particuliérement des
traditionnelles salles de garde. Bien
str, il y avait déja quelques femmes
internes, surtout en pédiatrie, en
gynécologie et en anesthésie, mais j'ai
d’abord envisagé de faire de la neuro-
psychiatrie et j’ai passé quelque temps
dans un service de la Salpétriére. Or,
je me suis rapidement rendue compte
81
82
Les femmes dans histoire du CNRS
qu’en fait de clinique, il y régnait un
cynisme épouvantable, pire que dans
les autres spécialités.
...puis de la recherche ?
Au cours de mes études, j’avais surtout
été attirée par les disciplines les plus
scientifiques, et notamment par l’héma-
tologie, et cela d’abord pour une raison
scientifique. Comme les cellules du sang
étaient d’accés plus facile que les autres
cellules qui constituent un organisme,
I'hématologie a permis le développe-
ment de l'immunologie. Mais il y a une
autre raison. J’avais eu au lycée une
camarade leucémique et cela m/avait
marquée. Comme médecin, je voulais
faire quelque chose pour les personnes
atteintes de cette maladie. A l'époque ou
j'ai passé les concours, l’internat de bio-
logie n’existait pas, mais il y avait des
postes dans des services de biologie et
c'est ainsi que j'ai fait la premiére moitié
de mon internat en clinique et la
seconde moitié en biologie. Nommée
interne en 1967, je suis allée voir
Monsieur Jean Bernard avec qui j’ai eu
un entretien trés cordial. Il m’a claire-
ment exposé son point de vue : comme
femme, je pourrais faire de la recherche,
mais pas de la clinique ! I avait ajouté
qu'il ne nommerait jamais une femme
agrégée dans son service. Il estimait
qu’une femme avec une vie de famille
devait s’occuper de ses enfants et ne
pourrait pas avoir la disponibilité néces-
saire pour soigner des patients dans un
service aussi lourd que le sien. Il m’a
donc conseillé de faire un stage de
recherche chez Jean Dausset. J'ai passé
deux semestres 4 Saint-Louis chez Jean
Dausset qui m’a alors proposé d’aller
faire un post-doc aux Etats-Unis. Il m'a-
vait dit qu'a mon retour, je pourrais
prendre la direction du laboratoire ot
Yon m/avait accueillie. Mais comment
pouvais-je accepter ? La directrice du
labo en question était une amie 4 moi !
C'est ainsi que Francois Kourilsky m’a
proposé de faire partie du futur labora-
toire qu'il allait monter avec Jean-Paul
Lévy a l'hépital Cochin. Tous deux
étaient d’ailleurs en train de quitter
Saint-Louis, justement pour échapper
aux pesanteurs de la clinique.
Sur quoi portaient vos recher-
ches auprés de Jean-Paul Lévy ?
Je faisais de ’immunologie, mais il avait
besoin d’un virologue. Quand je lui ai dit
que je m’intéressais au contréle géné-
tique de la réponse immunitaire, il m’a
demandé de faire un séminaire biblio-
graphique. J'étais trés contente car
jadore lire. I] m’a donc proposé de docu-
menter le contréle génétique de la
réponse des souris aux virus leucémo-
genes murins, pour voir si je voulais res-
ter en immunologie ou si je souhaitais
faire de la rétrovirologie. Nous avions
envisagé mon post-doc aux Etats-Unis
comme un stage de formation technique
car nous ne savions pas comment fonc-
tionnaient les rétrovirus. A mon retour,
Jean-Paul Lévy m’a demandé de monter
un laboratoire de virologie, ce qui a été
un peu difficile car, si j'avais appris les
techniques (je savais reproduire ce que
Les femmes dans les laboratoires de biologie
javais fait aux Etats-Unis), je n’avais
pas encore compris comment développer
un projet de recherche destiné a aborder
un probléme important. Pendant deux
ans, pour ne pas entrer en compétition
avec des équipes plus importantes, je
me suis donc définie en négatif par
rapport aux recherches qui pouvaient
se développer dans les grands labora-
toires américains. J’ai donc choisi des
sujets marginaux. Puis, au bout de trois
ans, jai décidé de me lancer et j'ai
commencé a travailler dans un groupe
informel : Friend. Charlotte Friend
avait découvert un rétrovirus provo-
quant des leucémies chez la souris.
Pour tenter de comprendre la physiopa-
thologie de cette maladie, nous avions
eu lidée de faire travailler ensemble
des chercheurs provenant d’horizons
différents. Il a fonctionné trés active-
ment pendant quatre ou cing ans en
dehors de la direction scientifique de
tout chef de laboratoire.
Jean-Paul Lévy raconte
qu'il vous avait proposé la
direction d’un laboratoire,
mais que vous étiez réticente.
Pourquoi ?
Jai fini par accepter cette responsa-
bilité, mais il est vrai que j’ai résisté.
Quand il a voulu couper en deux son
unité qui grossissait, il m’a proposé,
comme a d’autres, de diriger l’autre
moitié. J’ai refusé et je lui ai conseillé de
faire venir Pierre Tambourin. J'étais
réticente 4 prendre la direction d'une
équipe. La raison en était que je voulais
maintenir un rapport ludique avec la
recherche : d’une part, travailler sur les
sujets qui m'intéressaient avec les gens
qui me plaisaient et, d’autre part, je n’a-
vais pas envie de devenir “chef”. Je vou-
lais éviter un décalage entre ma facon
de vivre et mes rapports avec les autres,
au quotidien. Je n’ai jamais aimé les
rapports d'autorité ot il faut trancher,
arbitrer, etc.
Devenue directrice de VUR
363 (Oncologie cellulaire
et moléculaire), il semble
que vous ayez privilégié le
recrutement féminin.
La aussi, l'explication est simple.
Les femmes qui font de la recherche
et qui se sont heurtées dans le quoti-
dien au comportement de directeurs
machistes préférent intégrer des
laboratoires dirigés par des femmes.
De fait, il y a beaucoup plus de cher-
cheurs femmes dans ce laboratoire, ce
qui signifie que je suis attentive a ce
que les femmes, a travaux de qualité
égale, ne soient pas désavantagées
par rapport aux hommes au moment
du recrutement.
Je me souviens d’une année ow il y
avait extrémement peu de postes
ouverts a YINSERM. A la lecture du
listing des entrants, j’ai constaté que
sur sept ou huit commissions scienti-
fiques spécialisées, toutes (sauf une)
n’avaient nommé que des hommes.
Les femmes n’apparaissaient que sous
la barre des intégrables.
J’étais tellement scandalisée que j’avais
écrit aux divers présidents !
83
84
Les femmes dans histoire du CNRS
Pourtant, a l'INSERM, les
femmes sont aussi nombreu-
ses que les hommes...
C'est vrai, mais si on s'attache a la
proportion de femmes selon les dif-
férents échelons de la hiérarchie, on
constate que plus on monte, plus la
proportion de la population féminine
baisse.
Le probléme est qu'au fur et 4 mesure
que l'on gravit les échelons, il y a de
plus en plus de taches administra-
tives. Contraintes qui sont loin d’étre
simples pour les femmes dont la charge
de travail familial est déja considéra-
ble (pour les méres divorcées par
exemple).
Ainsi, beaucoup de femmes ont des
enfants aprés leur thése. Elles sont
ensuite recrutées 4 ’INSERM, mais
elles peuvent rencontrer des diffi-
cultés 4 la quarantaine, au moment du
passage CR1-DR2, surtout si leurs
charges de famille ont retardé leur
carriére scientifique.
x
Il faut ajouter a cela les responsabi-
lités administratives quand on devient
directeur d'un labo et l’on comprend
mieux la difficulté pour les femmes
de passer directrices de recherche.
C'est le genre de probléme dont les
syndicats s'étaient occupés il y a une
vingtaine d'années.
Nous avions d'ailleurs publié une
enquéte sur le sujet : “La recherche
des femmes. Enquéte, réflexions sur
les femmes chercheurs au CNRS’,
Paris, SNCS, 1981.
Entretien avec :
Jacqueline Verdiére
(université Paris-Sud)
Betty Felenbok
(université Paris-Sud)
© Gamma - R. Benali
Ey
dp Ethel Moustacchi
(CNRS, Institut Curie)
oF
Annie Sainsard
(CGM CNRS, professeur
a Vuniversité Paris-Sud),
Ce débat organisé grace a l’aide de
Janine Beisson (CGM CNRS) a eu lieu
a la faculté des sciences d’Orsay, le 11
mars 2002.
Les femmes dans les laboratoires de biologie
D’aprés une enquéte réali-
sée par l’Observatoire des
sciences et des techniques
(Express du 28 février
2001), la répartition des
chercheuses dans la recher-
che francaise est la sui-
vante : sciences de la vie,
40 % ; sciences humaines et
sociales, 37 % ; chimie, 27 % ;
médecine, 25 % ; mathé-
matiques, 20 % ; sciences de
Vunivers, 19% ; sciences
pour Vingénieur, 17 %. Selon
vous, comment expliquer la
proportion remarquable des
chercheuses dans les sciences
de la vie ?
Annie Sainsard - Pourquoi les fem-
mes vont-elles d'abord vers la biologie ?
Je pense que la raison est d’ordre
social et il faut évoquer ici le réle joué
par l’éducation. On oriente les petites
filles plutét vers la biologie que vers
les maths. Avant, on les orientait
davantage vers les lettres que vers les
sciences. De méme, prenez l’exemple
des jeux : c’est la poupée pour les filles
alors que pour les garcons c’est l’infor-
matique, donc ce qui est plus proche de
la science.
Jacqueline Verdiére - Je suis d’ac-
cord. Le fait qu’on oriente les petites
filles plutét vers la biologie que vers
les mathématiques, aprés les avoir
orientées pendant trés longtemps
vers le francais, provient de l’édu-
cation. La société invente des bar-
rages. Je peux vous donner un exem-
ple anecdotique et caricatural. J’ai un
frére beaucoup plus jeune que moi.
Quand il était petit, on lui lisait
des encyclopédies pour enfants alors
qu’au méme 4ge, on me lisait des
contes de fées. Maintenant, mon
frére est mathématicien et moi j’ai fait
de la biologie.
Mais cela n’explique pas
pourquoi vous avez fait de
la biologie.
J. V. - Peut étre étais-je un peu naive.
Je pensais que jallais accéder aux
secrets de la vie. Ce n’était pas du
mysticisme, mais je pensais qu’on
allait enfin comprendre pourquoi on
fonctionnait de telle ou telle facon,
pourquoi on réagissait de telle ou telle
maniére. Je trouvais l’évolution des
sciences de la vie tout a fait fascinante.
La chimie rejoignait la biologie qui
devenait moléculaire.
Ce serait donc l'éducation
qui conduirait les filles vers
les sciences de la vie ?
J. V. - Nous avons une hiérarchie des
valeurs qui fait que certaines sciences,
parce qu’elles sont en général entre les
mains des hommes, sont plus valori-
sées que d’autres et c’est 1a que l’effet
sociétal devient évident.
Ethel Moustacchi - Je me demande
si le fait que les femmes soient si nom-
breuses en biologie ne vient pas aussi
d’un certain aspect compassionnel lié
a la maternité. Les femmes ont, plus
85
86
Les femmes dans histoire du CNRS
que les hommes, un tropisme de pro-
tection. D’une facon générale, l’espéce
humaine a besoin de protéger ses
petits plus longtemps que les autres
espéces. Cela expliquerait peut-étre
cet intérét particulier des femmes
pour les sciences de la vie.
Vous voulez dire qu’au-dela
du poids de la société, il
existerait un déterminisme
biologique pour expliquer
Vorientation des chercheuses
vers les SDV ?
E. M. - Non, pas de déterminisme bio-
logique. Je parle plutét d’un point de
vue anthropologique. Il y a eu, dans
Phistoire de ’humanité, une réparti-
tion des fonctions et des taches qui
résultait des différences entre les
sexes. Lhomme partait a la chasse, la
femme cueillait. En tant que biolo-
giste, je me rattache 4 ces femmes qui
se consacraient 4 la cueillette. Je crois
que dans la répartition des taches,
dans ce qui revient aux femmes, il y a
un intérét pour la nature qui nous
entoure. Aux débuts de l’humanité,
cétait vital puisqu’il fallait manger,
distinguer les plantes toxiques des
bonnes, élever les petits, etc. Bref
pour résumer trés grossiérement, ceci
explique peut-étre pourquoi les fem-
mes se sont moins consacrées a I’as-
tronomie — encore que certaines |’ont
fait —, qu’aux sciences de la vie. Je
crois que cette détermination (notez
bien que je ne dis pas “déterminisme”)
anthropologique nous conduit de
maniére particuliére vers la médecine
ou la biologie.
J. V. - Peut-étre peut-on parler d’im-
prégnation hormonale. Je pense que
cest ce qu’Ethel voulait dire en par-
lant de l’instinct de protection particu-
liégrement développé chez les femmes.
Cela étant, le fait de dire que les fem-
mes sont différentes des hommes ne
signifie pas qu’elles sont inférieures.
Betty Felenbok - Je ne suis pas d’ac-
cord. Le vrai probléme réside dans le
fait que la société dans son ensemble
est régie par un systéme de valeurs
masculin. Dans le domaine scienti-
fique, nous (les femmes) nous déter-
minons par rapport a la possibilité
d’entrer ou non dans la hiérarchie des
différentes disciplines. Je pense que,
pour nous, que ce soit en biologie ou
dans d’autres activités, nous nous
trouvons en face d’activités spécifi-
quement “féminines” (je mets exprés
des guillemets) parce que considérées
comme inférieures. Si on quitte le
domaine scientifique, pour regarder la
magistrature par exemple, on constate
aujourd’hui une féminisation de cette
profession parce qu’elle s’est trouvée
poussée hors du systéme de valeurs
masculin, notamment du fait de la
dévalorisation des salaires.
E. M. - Je ne vois pas en quoi, ni pour-
quoi, la biologie serait plus dévalori-
sante que d'autres disciplines dans un
systéme de valeurs masculin. Aprés
tout, si la biologie compte 40 % de
chercheuses, 60 % des biologistes sont
des hommes.
Les femmes dans les laboratoires de biologie
Pourquoi étes-vous devenues
biologistes ?
B. EF. - Jhésitais entre devenir profes-
seur de gymnastique ou biologiste.
J’étais trés sportive étant jeune. Mais
jai réalisé assez t6t qu’a 50 ans, il ne
serait peut-étre pas facile d’assumer le
fait d’étre prof de gym. Le sport, c’est
du court terme. Pour le long terme,
intellectuellement, j’étais attirée par
la biologie. J’ai donc fait ma terminale
en sciences ex, puis le SPCN (premiére
année de fac). Je ne me suis jamais
posé la question de la physique ou des
maths car j’étais attirée par la bio-
logie. A cette époque il y a eu pas mal
d’articles dans les journaux sur la
biologie moléculaire. Ainsi que le disait
Jacqueline, c’était une science qui
semblait bouger davantage que la
physique.
A. S. - En ce qui me concerne, le choix
d’une discipline ne se posait pas en
ces termes. C’était déja bien beau que
je devienne biologiste ! Je suis issue
d’un milieu social trés défavorisé ot le
probléme du féminisme ne se posait pas.
Le probleme majeur de mes parents
était que leur fille fasse des études,
ce dont je leur sais gré. Mais ils
n’étaient pas 4 méme de dire de leur
fille qu’elle ferait plutét des maths que
de la biologie. Pour moi, il s’agissait
de sortir d’un milieu social difficile et
je n’avais guére l’opportunité de me
livrer 4 des réflexions théoriques.
Celles-ci sont venues plus tard. En
fait, je pense que je me suis orientée
vers la biologie parce que je n’étais pas
capable de faire des mathématiques.
Je n’étais pas suffisamment bonne en
maths. A priori, je ne vois pas pour-
quoi les filles seraient moins fortes
en maths que les garcons, mais je
constate que tel était mon cas, cest
tout.
Au cours de votre carriére,
avez-vous constaté des diffé-
rences entre les motivations
des chercheuses et celles des
chercheurs ?
B. F. - Oui. Dans ma carriére, je me
suis toujours dit que ce qui était
important, c’était la fonction que j’oc-
cupais, pas le salaire. Par exemple,
jai demandé 4 passer “directrice de
recherche” trés tardivement. J’occupais
une fonction d’animatrice au sein d’un
groupe de chercheurs, mais ca me
semblait plus important que le titre
que l’on me reconnaissait. I] me suf-
fisait d’étre reconnue dans mon insti-
tut comme dirigeant un groupe de
recherche. J’ai toujours eu horreur des
rivalités de pouvoir et, d’une facon
générale, des jeux de compétition.
J. V. - Il semble que les chercheuses
soient moins motivées par l’esprit de
compétition que les chercheurs. Mais
il est vrai que les mentalités évoluent.
Aujourd’hui, on voit une nouvelle
génération de femmes qui montrent
davantage d’esprit de compétition de
type “masculin”.
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Les femmes dans histoire du CNRS
E. M. - C’est vrai. Nous sommes restées
longtemps les victimes du complexe du
colonisé tel que le décrit Franz Fanon
(Les Damnés de la terre), c’est-a-dire le
discrédit de soi, la haine de lopprimé
pour lui-méme. Je crois que les fem-
mes ont fait trés longtemps leur, le
regard que les hommes portaient sur
elles : “Non, je ne suis pas digne de
passer DR1 !”
C’est dur de le reconnaitre, mais
jai beaucoup d’exemples de cher-
cheuses de ma génération qui, lorsque
des jeunes se présentaient pour
faire un DEA, préféraient prendre un
garcon plutét qu’une fille. Prendre un
garcon était plus valorisant pour l’u-
nité, pour l’équipe. En plus, avec les
filles, il y avait les congés maternité,
donc on pensait qu’elles_ travail-
leraient moins.
J. V. - ...Et la question de la place des
femmes dans les sciences de la vie doit
étre complétée par une autre (qui
concerne d’ailleurs aussi les autres
sciences), & savoir que la proportion
des femmes diminue de la méme
maniére et au fur et 4 mesure qu’on
gravit les échelons de la hiérarchie. Je
me demande d’ailleurs si nous som-
mes bien représentatives de la “biolo-
gie au féminin” aujourd'hui...
E. M. - Peut-étre représentons-nous
une ancienne génération de cher-
cheuses. Les choses ont changé, les
quadragénaires d’aujourd’hui sont
beaucoup plus combatives et ont les
dents plus longues que nous...
Pensez-vous que les femmes
paGtissent toujours d’un
manque de reconnaissance
institutionnelle ?
B. F. - Il faut que les femmes s’affir-
ment davantage, mais le probléme
nest pas spécifique a la biologie ni
a notre université. Dans mon cas, le
probléme ne venait pas des responsa-
bilités que j’assurais déja, mais de la
reconnaissance de ces responsabilités.
Je dirigeais un groupe de jeunes
chercheurs dont quelques-uns (unes)
passaient leur thése avec moi et cela
me convenait trés bien.
J’ai pris conscience de ce probléme de
reconnaissance tardivement et pas
complétement puisque je n’ai pas fait
de demande pour passer DR1 — ce que
la commission dont je dépends m’a
dailleurs reproché. A l’époque ow j'ai
pensé que mon dossier était mir, j’ai
organisé un gros congrés et je n’étais
pas disponible pour rédiger ce dossier.
Je pense qu'un homme aurait fait
passer son dossier de DR1 avant le
congrés qui était une tache collective.
Ca, je ne l’ai analysé qu’aprés. Je vais
étre 4 la retraite l'année prochaine et
cest la commission qui a demandé
pour moi l’éméritat car elle a estimé
que mon sujet devait étre prolongé.
Je me dis, rétrospectivement, que
jaurais vraiment dt insister pour
passer DR1, mais je ne Il’ai pas fait.
J’ai sacrifié ma fin de carriére au
fait que je trouvais plus important
d’organiser ce congrés européen des
filamenteux.
Les femmes dans les laboratoires de biologie
Tout de méme cet esprit de
compétition, vous le retrou-
vez en matiére de publica-
tions scientifiques.
B. F. - Tout a fait. Lorsqu’il s’agit de
publier, je sors mes griffes, je me
bagarre.
Mais n’est-ce pas en contra-
diction avec ce comporte-
ment féminin que vous
décriviez auparavant ?
B. F.- Effectivement, il y a une
contradiction et pour l’expliquer, le
poids du social redevient important.
Bon, je reproduis 1a le modeéle social de
la femme qui est moins compétitive,
moins bagarreuse que les hommes,
mais en réalité je suis assez bagar-
reuse et je l’ai prouvé.
Par exemple ?
B. F. - Par exemple, lorsque nous avons
gagné sur la question de la gestion des
marchés pour la recherche publique,
qui avait été bloquée par une régle-
mentation absurde. Une pétition avait
été lancée en 1999 par Pierre Chambon,
Alain Prochiantz et d’autres grands
noms, mais elle n’avait abouti qu’é un
alourdissement du systéme des mar-
chés qui était devenu pratiquement
ingérable pour les biologistes. Chaque
unité devait pratiquement consacrer
un plein temps pour passer les com-
mandes de matériel. Je me suis lancée
dans la bataille. Pierre Chambon m’a
félicitée pour mon courage, mais il a
prédit que je ne réussirais pas, que
personne ne me prendrait au sérieux
au ministére, etc. J’ai lancé une
pétition qui a recueilli plus de 5 000
signatures, en vain. J’ai alors décidé
de me consacrer entiérement a ce pro-
bléme, quitte a laisser ma recherche
en plan. Ca m’a cotité trois mois de
paillasse, mais j'ai fini par gagner.
J’ai rencontré tous les groupes par-
lementaires, j’ai été en contact avec
le cabinet de Lionel Jospin, avec celui
de Roger-Gérard Schwartzenberg, avec
des sénateurs qui ont contacté Laurent
Fabius et ainsi de suite, jusqu’a ce
qu’on réussisse 4 débloquer la situa-
tion. En fait, jétais surtout motivée
par l’absurdité du systéme. Quand j’ai
décidé de m’y atteler, j'ai pris connais-
sance du dossier technique et politique
dans ses moindres détails et fina-
lement j’étais devenue la seule inter-
locutrice compétente...
Ce qui m’a le plus amusée dans cette
affaire, c’est d’avoir imaginé une
stratégie pour débloquer une situation
kafkaienne.
Cette histoire prouve en tout
cas que ce n’est plus un
handicap d’étre une femme
pour diriger la recherche...
E. M. - Je pense que c’est devenu neu-
tre. Mais cela reste difficile au niveau
des promotions a des échelons trés
élevés comme directeur de classe
exceptionnelle, voire DR1.
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Les femmes dans histoire du CNRS
B. F. - Mais est-ce que c’est gagné ? Le
probléme n’est pas spécifique a la bio-
logie ni 4 nos structures de recherche.
A cet égard, lorsque la loi sur la parité
a été élaborée, j’ai d’abord manifesté
quelques réticences sur cette discrimi-
nation positive. Maintenant je pense
qu’elle est importante et nécessaire
pour donner un élan, un coup de pouce
indispensable pour que les femmes
accédent 4 plus de responsabilités a
tous les niveaux de notre société.
A. S. - Il semble que, dans les commis-
sions du CNRS, on soit désormais recu
de la méme manieére, qu’on soit homme
ou femme. Mais je me demande si cer-
tains comportements féminins n’expli-
quent pas cette situation. Comme
Betty vient de le dire, je constate que
les chercheuses ne demandent pas
toujours ce a quoi elles ont droit.
J. V. - J’ai de nombreux exemples de
femmes qui se sont comportées autre-
ment. Ce qui est étrange, c’est que
lorsque les femmes sont bagarreuses,
elles peuvent étre pires que les hom-
mes. Elles sont conscientes d’avoir un
handicap et elles adoptent des com-
portements — je dirais “typiquement
masculins” — avec une énergie qui
peut devenir redoutable.
A Vinverse, les femmes peu-
vent aussi user de comporte-
ments typiquement féminins,
la séduction par exemple...
J. V. - ... qui joue dans les deux sens.
Jacques Monod, par exemple, était un
charmeur. Son cours, que j’ai suivi 4 la
fac, n’a pas été pour rien dans mon
choix de faire de la biologie.
B. F. - C’est vrai que Monod était un
séducteur, moi aussi j’ai un grand sou-
venir de son cours. Indiscutablement,
il a eu un role important pour amener
des chercheuses vers la biologie.
A. S. - Mais il y a autant de mandarins
charmeurs en physique ! On peut
autant étre séduite par un beau physi-
cien que par un biologiste ! Cela n’ex-
plique rien.
B. F. - Ce que je voulais dire c’est que
je mintéressais aux mécanismes du
vivant en tant que tels et que c’est la
raison pour laquelle j’ai fait de la bio-
chimie. Peut-étre que j’aurais fait
autre chose si j’'avais été un homme.
Y a-t-il une maniére féminine
de porter un regard sur la
science ?
E. M. - On ne regarde pas la nature de
la méme maniére a |’époque de Buffon
ou de Barbara McClintock.
B. F. - Il me semble qu’une femme
norientera pas systématiquement sa
recherche sur les sujets les plus com-
pétitifs. Je veux dire que les femmes
prendront peut-étre plus de risques
dans le choix d’un sujet de recherche.
Ceux que j’ai choisis étaient peut-étre
des sujets plus 4 risques et moins ren-
tables en termes de compétition. Je
travaille actuellement sur un champi-
gnon filamenteux. La raison en est que
Les femmes dans les laboratoires de biologie
ces sujets de recherche me semblaient
pouvoir permettre une analyse un peu
globale des mécanismes de la différen-
ciation cellulaire. C’était trés ambi-
tieux et trés risqué et je dois d'ailleurs
reconnaitre que nous nous sommes un
peu “cassé la gueule” (nous étions un
groupe de 5 chercheuses). Cela n’a pas
débouché sur les hypothéses que nous
avions émises au départ. Peut-étre
que si j’avais été un homme, je ne me
serais probablement pas lancée dans
cette étude.
A. S. - Certes, la génétique que nous
avons faite a Gif étudiait des phéno-
ménes un peu marginaux, je dirais
au moins par rapport aux grandes ten-
dances de la génétique chromosomique
(la sénescence des champignons, par
exemple). En méme temps, je ne vois la
rien de spécifiquement féminin. Janine
Beisson avait été l'éléve de Georges
Rizet et ce groupe comportait Bernet,
Bégueret — dont les études ont débou-
ché sur le prion de podospora — et des
gens qui se sont attelés a des problémes
dont le déterminisme ne répondait pas
aux concepts classiques. Mais il n'y a la
aucune spécificité féminine et plutét
toutes les caractéristiques d'une école
de génétique.
Pensez-vous que certaines
disciplines attirent plus
particuliérement les cher-
cheuses ?
B. F. - C’est clair. La cytologie par
exemple qui représente le cas typique
d’une science d’observation.
E. M. - C’est vrai que les femmes sont
attirées par les sciences d’observation,
la taxinomie... Prenez les écrits de
Barbara McClintock : “Je suis dans la
cellule et j’observe...”.
A. S. - Il est vrai que la cytologie a
longtemps été dominée par les fem-
mes. Mais aujourd’hui on ne parle plus
de cytologie mais d’imagerie (cellu-
laire) et on assiste 4 un retour en force
des hommes dans le secteur.
Pensez-vous que les femmes
soient moins portées que les
hommes vers la réflexion
théorique ?
B. F. - La, on revient a la question :
pourquoi les femmes font-elles plus de
biologie que de maths ? Ce qui revient
a se questionner sur le poids du social
dans l’activité scientifique. Les orien-
tations dans la recherche dépendent
des choix sociétaux qui sont eux-mémes
d’origine typiquement masculine. Or,
dans notre société occidentale, la
valeur de l’abstraction est beaucoup
plus prisée, plus noble, que les valeurs
d’observation.
J. V. - Betty a raison, mais peut-étre
peut-on ajouter que la structure du
cerveau est différente selon les sexes.
Je ne suis pas convaincue que le cer-
veau d’un homme et celui d’une femme
fonctionnent de la méme facon.
A. S. - C’est le paradoxe de l’ceuf et
de la poule ! Le social est-il le produit
du biologique ou linverse ? Je crois
que personne ne conteste le fait que le
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Les femmes dans histoire du CNRS
cerveau de homme et celui de la
femme soient différents, mais je ne
me risquerais pas a en conclure pour
autant que les hommes sont plus
doués pour l’abstraction que les fem-
mes, au moins tant qu’on ne me l’aura
pas démontré !
B. F. - On ne peut pas savoir si l’ab-
straction est valorisée, parce quelle
est une valeur mise en avant par les
hommes et que, par conséquent, ce
sont eux qui investissent ce champ,
alors que la réalité — le réel — serait
plutét laffaire des femmes. De toute
facon, je ne pense pas que cette dis-
tinction soit due 4 la structure du cer-
veau dont toutes les études actuelles
montrent la malléabilité. Quand une
fonction se perd a un niveau (on le voit
avec les hémiplégiques ou les blessés
de guerre par exemple), une autre
partie du cerveau prend le relais.
Donc pourquoi ne pas imaginer que
cette plasticité puisse permettre
aux femmes d’atteindre les niveaux
d’abstraction des hommes ?
Les chercheuses sont-elles
plus soucieuses que _ les
chercheurs des applications
de leurs recherches ?
E. M. - La aussi, il faut lire le livre de
Barbara McClintock sur les transpo-
sons, ces genes mobiles qui expliquent
la résistance des bactéries aux anti-
biotiques. De méme, le cas de Marie
Curie est exemplaire. Elle était chimiste
et physicienne, mais dés le début de
ses découvertes, elle s’est préoccupée
de procéder aux applications médicales,
pour tenter de savoir si cela allait
servir a l’amélioration de la santé
humaine. I] en a été de méme pour
Iréne Joliot, sa fille. Toutes deux, phy-
siciennes et chimistes, se sont posé la
question de lutilité de leurs travaux.
Marie Curie, dés 1920, a fondé l’hépi-
tal Curie pour trouver comment trai-
ter des cancers par les radiations.
Ne peut-on pas dire que l’intérét des
femmes pour la biologie découle d’une
certaine propension a soigner ? Voyez
leur intérét pour les métiers de la
santé, de médecin, d’infirmiére... C’est
la mére qui protége ses petits...
A. S. - Je dirais tout de méme que les
petits ne le restent pas trés long-
temps... Et on peut se demander si
cette fonction maternelle n’est pas
elle-méme déterminée par la société.
Cela dit, si on raisonne en termes
dutilité de la recherche, je pense que
les femmes sont plus soucieuses des
applications que les hommes.
J. V. - Je le pense aussi, mais je me
demande si cela résulte d’une démar-
che consciente.
A. S. - Elle lest, en tout cas, lorsqu’on
est amené a réfléchir sur la meilleure
maniére de justifier des demandes de
crédits !
[Rires et approbation générale]
J. V. - C'est vrai, on constate que la
différence entre chercheurs et cher-
cheuses inscrit la place des femmes
dans le concret.
Les femmes dans les laboratoires de biologie
B. F. - De plus, les femmes sont, je
dirais “naturellement”, plus altruistes
que les hommes.
A ce propos, certaines d’entre
vous n’ont-elles pas songé a
faire de la médecine ?
B. F. - Cela m’a traversé l’esprit, mais,
curieusement, aprés que je fus entrée
au CNRS. Au début, mes travaux
de recherche ne marchaient pas trés
bien. En plus, je travaillais avec un
machiste (Pr. Roger Acher, Paris 6,
dir. de PUA CNRS 515, Structure,
fonction et évolution des protéines),
un type pas possible qui était mon
patron de thése. Je me demandais :
es-tu faite pour la recherche ? Bref, ca
ne “gazait” pas et l’idée m’est venue :
pourquoi ne pas faire médecine ? Au
moins je serais utile 4 quelque chose.
Jétais allée assez loin puisque je
m’étais renseignée sur les équivalences.
J. V. - Ma mére était médecin et moi je
voulais étre psychiatre. Mais elle m’en
a dissuadée prétextant que j’étais trop
paresseuse pour préparer l’internat et
envisager une spécialité. Je serais
devenue généraliste, j’aurais passé
mon temps a soigner des angines et je
me serais ennuyée 4 mourir.
E. M. - Je crois que chez beaucoup de
femmes qui ont fait de la biologie, il y
a eu, Aun moment ou a un autre, une
réflexion, un désir d’étre médecin...
Mais mille raisons ont pu les en dis-
suader, comme la longueur des études,
la nécessité de gagner sa vie et la
difficulté de se faire une place dans le
milieu médical, surtout 4 l’époque.
A. S. - On voit aussi le cas inverse
comme celui d’Yvonne Capdeville qui
était médecin et qui a complétement
arrété la pratique pour faire de la
recherche. Ce qui prouve qu’on peut
aussi venir 4 la biologie par la
médecine.
Entretien avec :
Suzy Mouchet,
département
information
scientifique et
— communication
m: de l'INSERM
© Photothéque INSERM - M. Depardieu
Au Kremlin-Bicétre, le 25 avril 2002
Vous avez fait pharmacie, je
crois ?
Lorientation des femmes, comme celle
des hommes d’ailleurs, est souvent le
résultat d’un processus complexe et
aléatoire. Je n’ai pas échappé a la régle.
Je vais tenter de me souvenir de ce
qui m’a déterminée, a la fin des années
cinquante, alors que je terminais mes
études secondaires 4 Marseille. Je sais
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94
Les femmes dans histoire du CNRS
que, ardente lectrice de tout ce qui me
tombait entre les mains, je m’étais forgée
ma vision de la vie et je voulais faire de
la philo. Il n’y avait pas de fac de lettres
a Marseille, mais a Aix-en-Provence.
Les circonstances familiales (notam-
ment une grand-mére qui m’avait éle-
vée et qui ne voulait pas que je prenne
trop de liberté, comme de circuler
tous les jours entre Aix et Marseille !)
ont fait que j’ai un peu tatonné.
Finalement, je me suis inscrite en
SPCN (Sciences physiques, chimiques
et naturelles) et a la fac de pharmacie.
Il m’apparaissait que la pharmacie
allait me donner une culture scienti-
fique de base. J’avais, en outre, plus
envie de faire de la chimie que de la
physique. Pour moi, la physique était
quelque chose de lourd, de mécanique
qui ne laissait pas beaucoup de place a
Vimagination. Un peu comme linfor-
matique aujourd’hui si vous voulez,
une boite noire. A Vinverse, la chimie
mintéressait, surtout la chimie orga-
nique : comprendre l’agencement des
molécules dans l’espace, ces associa-
tions d’éléments qui en forment d’au-
tres plus complexes. Intellectuellement,
cela me fascinait. Peut-étre cette idée
d’assemblages, de cuisine en quelque
sorte, est-elle quelque chose de féminin
parce que proche de la vie. La chimie
organique est une approche du vivant,
méme si on commence par le méthane
et le benzéne ! La biologie, la chimie
organique sont les fondements de la
vie. Peut-étre peut-on dire que les
sciences de la vie, en ce sens, sont
plus liées au féminin. La naissance,
Pévolution... Le mystére de la vie.
C’est peut-étre ce qui explique le fait
qu’on trouvait autant de femmes en
fac de pharmacie (outre le fait que
celles-ci étaient nombreuses a étre
filles de pharmaciens d’officine !).
...ef pourquoi pas médecine ?
J’avais impression que la médecine
exigeait un engagement total vers une
pratique un peu fermée, soigner les
malades, dans un milieu clos. Je n’é-
tais pas issue d’une famille de méde-
cins. Je pensais que la pharmacie me
permettrait d’acquérir une culture
scientifique tout en me laissant le loi-
sir de continuer a me cultiver en phi-
losophie, en littérature, en peinture,
en cinéma... A l’époque, j’étais pas-
sionnée de cinéma et engagée politi-
quement ! La pharmacie m’est donc
apparue comme plus généraliste que
la médecine. J’ai eu quelques amies
qui ont choisi cette voie. Mais au début
des années soixante, le milieu médical
était encore trés fermé aux femmes.
Elles se spécialisaient plutét, dans
leur environnement, vers la dermato-
logie et la pédiatrie. En tout cas, je n’ai
connu aucune femme de mon entou-
rage qui ait fait médecine avec l’idée
de faire de la recherche. Je n’en parle-
rais méme pas pour ce qui concerne la
pharmacie. A mon époque et selon mes
critéres, la recherche concernait la
physique, la chimie, les mathéma-
tiques et la fac de sciences, mais stire-
ment pas la fac de médecine ou de
pharmacie. Je ne connaissais méme
pas l’expression “sciences de la vie”.
Les femmes dans les laboratoires de biologie
A votre avis, pourquoi les
femmes se dirigent-elles vers
la recherche ?
Sil existe des mobiles spécifiquement
féminins pour faire de la recherche, je
ne les connais pas.
Certaines chercheuses par-
lent du plaisir de la recher-
che.
Mais ce plaisir existe aussi chez les
hommes.
Certaines chercheuses par-
lent de différences entre les
sexes au niveau des mobiles,
par exemple un esprit de
compétition moindre chez
les femmes que chez les
hommes.
Je suis dubitative la-dessus. Les rela-
tions entre individus, que l’on parle
de recherche scientifique ou d’autres
activités, sont par essence fondées
sur des rapports de force. C’est un jeu
de rivalités, de compétition. Le rap-
port de force, finalement, c’est la
recherche de la survie ou de la vie. Je
pense que hommes et femmes sont a
égalité sur ce point dans leurs moti-
vations. En revanche, la pratique de
la recherche et la compétitivité du
monde de la recherche comportent
des contraintes qu’une femme peut
avoir plus de mal a gérer qu’un
homme.
Des chercheuses_ (Sylvie
Gisselbrecht par exemple)
disent privilégier la satis-
faction de leur curiosité
intellectuelle et fuir les riva-
lités de pouvoir au sein de la
communauté scientifique.
Cela, je le comprends parfaitement.
Je suppose que Mme Gisselbrecht
oppose ici l’activité scientifique qui la
passionne a |’exercice d’une fonction de
direction plus administrative, comme
la direction d’un laboratoire par exem-
ple. C’est en fait un autre métier, celui
d’un manager (de PME), trés prenant,
qui laisse évidemment moins de temps
pour faire de la recherche... Cela peut
étre un nouveau et beau métier pour
un chercheur confirmé et nombreux
sont ceux qui réussissent trés bien, y
compris les femmes.
Les chercheuses sont-elles
portées davantage vers une
reconnaissance institution-
nelle ou vers une reconnais-
sance intellectuelle ?
Je ne dissocie pas ces deux types de
reconnaissance.
Qu’est-ce qui explique la
disparité hommes-femmes
selon que lV’on monte dans la
hiérarchie ?
Grimper dans la hiérarchie, c’est exercer
progressivement des fonctions de plus en
plus importantes en termes de manage-
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Les femmes dans histoire du CNRS
ment et d“exercice du pouvoir’. Cela
exige de plus en plus de disponibilité et
de capacité de gestion de son temps. La
encore, la disparité s’explique par les
contraintes inhérentes a la vie de femme.
C’est elle qui fait et éléve les enfants. Il
faut gérer cela. Les femmes ont dé énor-
mément se battre pour faire admettre
que, dans ce champ, elles étaient aussi
“bonnes” que les hommes. Cette disparité
est pour moi destinée a disparaitre, dans
Punivers de la recherche en tout cas.
On remarque aussi le fait
que dans le monde de la
recherche, certaines fem-
mes expriment une curieuse
misogynie vis-a-vis de leurs
consceurs.
Les femmes qui parviennent aux sommets
de la hiérarchie ont souvent une place
sociale a conforter et a préserver.
Jajouterais que cette place fut souvent
chérement acquise. C’est peut-étre 4
ce niveau qu’on trouve parfois cette condes-
cendance misogyne des femmes qui ont
réussi vis-a-vis de leurs consceurs montées
moins haut. Au fond, les femmes arrivées
expriment peut-étre ainsi une incertitude
sur elles-mémes, une forme dauto-incré-
dulité devant leur propre ascension.
Existe-t-il des taches parti-
culiérement féminisées dans
la recherche ?
Je crois la féminisation beaucoup plus
importante dans l’administration de la
recherche que dans la recherche. Voyez
le cas des “métiers plus féminins”,
comme Il’édition ou la communication
dans les EPST, par exemple, ow les
femmes sont en plus grand nombre.
La baisse en proportion du
nombre de femmes a VINSERM
serait-elle liée a Vaugmenta-
tifique en biologie ?
Laugmentation de la compétitivité en
recherche dans le département de biolo-
gie a certainement augmenté les diffi-
cultés, pour certaines femmes, d’étre
dans la “course”, difficultés toujours
liées & leur “métier de mére”, aux choix
quelles doivent faire et a organisation
que cela nécessite pour elles.
Y a-t-il un comportement
féminin spécifique dans la
recherche ? Certaines par-
lent @instinct maternel, de
protection ... ?
Je ne sais pas si l’instinct maternel a
grand-chose 4a voir avec la pratique de
la recherche. En revanche, je crois que
les femmes ont un caractére plus
“social” que les hommes, leur capacité
d’écoute est plus développée. Elles sont
également peut-étre plus appliquées.
Certaines femmes directrices
Wunité privilégient le recru-
tement féminin, le syndrome
du gynécée en quelque sorte.
Qu’en pensez-vous ?
J’ai toujours été attentive et j’ai
recherché un équilibre entre le nombre
Les femmes dans les laboratoires de biologie
dhommes et de femmes, ce qui, pour
moi, est un facteur d’enrichissement
pour une équipe. Mais j’étais dans un
univers trés féminisé, d’abord |’édition,
puis la communication. Je n’ai donc
pas vraiment réussi.
N’avez-vous jamais subi la
misogynie de la commu-
nauté médicale ?
Bien sar, il faut se rappeler le poids du
mandarinat médical 4 INSERM, au
moins jusqu’a la “révolution” de 1970
qui a vu la prise de pouvoir des cher-
cheurs. Je peux donner un exemple
de misogynie mandarinale. Quand je
travaillais chez Flammarion Médecine,
Jean Hamburger était le président du
comité scientifique de cette maison
d’édition réputée. I] y avait également,
dans ce Comité, Jean-Francois Bach
(immunologie), Jean-Pierre Griinfeld
(néphrologie), Pierre Kamoun (biochi-
mie) ... tous des neckériens. La direc-
trice, Josette Novarina, et moi-méme
assistions aux réunions de ce Comité.
Lorsque Jean Hamburger prenait la
parole, pour parler de nous, il disait
“Elles...”. En revanche, quand il
parlait des autres, il disait “le profes-
seur Bach, le professeur Griinfeld, le
professeur Kamoun...”. Nous étions
“Elles”. Cela m’avait sidérée, d’autant
que Jean Hamburger était un homme
extrémement attentif et courtois.
Dans les années 1970, il était difficile
pour une femme d’étre reconnue dans
ses compétences par les grands man-
darins, méme éclairés. J’en ai connu
beaucoup chez Flammarion. Quand
jai travaillé ensuite avec les cher-
cheurs de PINSERM, j’ai découvert
une mentalité différente et n’ai pas
ressenti de discrimination.
97
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Les historiennes au CNRS
par Emmanuelle Cospen-Gharibian et Geneviéve Faye
Emmanuelle Cospen-Gharibian a suivi des études d’histoire
en France et en Angleterre. Aprés avoir passé un DESS en
Affaires internationales, elle est partie travailler 4 New York
pour History Channel. Elle prépare actuellement une thése, qui
porte sur la question du pétrole et des politiques pétroliéres dans
la seconde moitié du XX° siécle.
Geneviéve Faye, ingénieure au CNRS, est affectée 4 PIHMC
(Institut d’histoire moderne et contemporaine). Chargée de la réédi-
tion 2000 du Répertoire des historiens pour la période moderne et
contemporaine (Paris, CNRS EDITIONS), elle est aussi spécialiste
histoire culturelle au XIX° siécle. Ses recherches actuelles portent
sur l’histoire des directeurs de théatres parisiens au XIX’ siécle. Elle
est aussi membre du Groupe d’histoire des femmes de lTHMC, dont
les recherches sont axées autour du theme “Femme et histoire”.
S i les femmes dans les sections d’histoire du CNRS sont diversement
présentes, elles s’avérent assez nombreuses dans certains domaines en
raison de leur formation initiale. Emmanuelle Cospen-Gharibian et Genevieve Faye
examinent avec minutie les statistiques indiquant la présence des femmes au
sein des divers laboratoires de recherche en SHS. Soulevant les questions
essentielles de la représentation féminine au sein du Comité national de la
recherche scientifique, elles mettent en évidence la disparité réelle entre le
nombre des chercheuses et leur représentativité au sein de cette instance.
Les témoignages recueillis et les biographies d’historiennes mettent en lumiére
les causes de cette récurrence féminine a rester majoritairement dans l’ombre.
99
100
Les femmes dans histoire du CNRS
ans son discours du 7 mars 2001,
Roger-Gérard Schwartzenberg,
alors ministre de la Recherche,
énoncait clairement sa volonté de
passer d’une “science masculine” 4 une
“science unisexe” : “[on] ne peut laisser
persister une répartition trés inégale
des sexes dans les disciplines scienti-
fiques... Ensemble, faisons que la
science fasse toute leur place aux
femmes, pour qu’elles contribuent a4
dessiner le devenir du XXI° siécle.”
Ce discours montre a l’évidence que si
le gouvernement s’exprimait ainsi,
c’était en réponse a un constat patent :
la recherche scientifique reste un
domaine 4 dominante masculine, dans
lequel les femmes n’ont pas encore
trouvé la place qui leur revient. On
pense immédiatement aux sciences
“dures”, mathématiques, sciences phy-
siques... Mais qu’en est-il des sciences
humaines et, en particulier, de ’his-
toire ?
Les sciences humaines, traditionnel-
lement, attirent plus les jeunes filles. Ainsi
que le notait Alain Chenu pour la socio-
logie, les filles sont “plus libres que les
garcons, semble-t-il, de faire passer le
gout intrinséque pour le contenu d’une for-
mation avant la maximisation de l’espé-
rance de gain sur le marché du travail”’.
Autrement dit, les femmes orienteraient
plus librement leurs études en fonction
dun choix purement intellectuel, plutét
qu’en vue d’une carriére plus rémunéra-
trice. Cette tendance se confirmerait-t-elle
au CNRS ? Dans son ensemble, le secteur
des sciences de homme et de la société du
CNRS a une forte proportion de femmes.
Des statistiques de 1974 avangaient le
chiffre de 35% de chercheuses, dans le
domaine des sciences de l'homme et de la
société’, et de 37,6 % en 2001°. Dans la
recherche historique, précisément, les
femmes représentent 43 % des chercheurs
en 2000*.
Avant toute chose, il importe de définir
la population visée : les historiennes du
CNRS. A premiére vue, la définition sem-
ble évidente. I] s’agit des chercheuses
(chargées ou directrices de recherche)
répertoriées dans les sections 32 et 33 du
Comité national de la recherche scienti-
fique, 4 savoir “Mondes anciens et médié-
vaux” et “Formation du monde moderne”,
qui regroupent la majorité des historiens.
Bien évidemment, ces classements quelque
peu rigides biaisent les statistiques en
éloignant, par exemple, certaines histo-
riennes de l’économie, de la littérature ou
du droit, rattachées 4 d’autres sections du
Comité national. De plus, l’imbrication
trés forte entre l'Université et le CNRS,
particuliérement marquée en histoire,
rend délicat le repérage des historiennes
“purement” CNRS. Les jeunes chercheu-
ses, en particulier, sont trés souvent en
détachement pour quelques années, le
temps de terminer leur thése, avant de
retrouver un poste dans l’enseignement’.
Par ailleurs, les laboratoires d’histoire
comptent, dans leur personnel, bon nom-
bre d'ingénieurs parmi lesquels les fem-
mes sont largement majoritaires. Doit-on
les considérer comme des auxiliaires de la
recherche ou comme des historiennes 4
part entiére ? La question ne se pose pas
pour les sciences “dures” dans lesquelles
les ingénieurs ont une formation et des
1. Alain Chenu, “Une institution sans intention : la sociologie en France depuis |’aprés-guerre”, in Actes de la Recherche en sciences
sociales, 2002, pp.46-49.
2. Jean-Louis Lavallard, Dossier spécial sur le Centre national de la recherche scientifique, Le Monde daté du 25 septembre 1974
3. “La place des femmes dans la recherche publique francaise”, L’Express daté du 4 janvier 2001.
4. Statistiques tirées du Bilan social du CNRS.
5. Si l'on se référe a la base de données du Répertoire des historiens pour la période moderne et contemporaine, les jeunes
historiennes (moins de 35 ans) sont quasiment toutes ATER ou AMN, détachées au CNRS pour une durée déterminée.
Les historiennes au CNRS
activités radicalement différentes de celles
des chercheurs. En histoire, par contre, la
frontiére est plus ténue et les critéres de
différenciation montrent tous leurs limi-
tes si ’on tient compte du niveau d’étude
requis et des publications. Les indicateurs
qui déterminent celles que l’on peut quali-
fier sans ambiguité d’historiennes sont,
plus que les statuts par trop réducteurs,
les pratiques du métier : collecte et
dépouillement de sources, publications
scientifiques. Les ingénieures qui ont ce
type d’activités doivent donc étre incluses
dans la catégorie des historiennes. Notons
cependant que le CNRS a longtemps
refusé les publications scientifiques des
ingénieurs a titre individuel,’ mais la
situation a changé depuis quelques
années. Les historiennes du CNRS consti-
tuent donc un groupe hétérogéne et diffi-
cile a cerner car de statuts variés. Pour
que notre approche gagne en validité, il
faudrait y inclure non seulement les cher-
cheuses, mais aussi les ingénieures, les
universitaires en détachement, certaines
conservatrices de musées ou de biblio-
théques, rattachées administrativement
au CNRS, et qui, pour un temps plus ou
moins long, travaillent dans une unité de
recherche en histoire. Une étude exhaus-
tive serait donc complexe et nous nous
contenterons ici de dégager, 4 partir des
statistiques disponibles, quelques carac-
téristiques professionnelles de Vhisto-
rienne du CNRS : la place des femmes
dans les laboratoires d’histoire, les signes
extérieurs de reconnaissance des histo-
riennes par leurs pairs et, enfin, les choix
historiographiques féminins.
La place des femmes
dans les unités de recherche
La section 32 du Comité national,
“Mondes anciens et médiévaux”, est net-
tement plus féminisée que la section 33,
“Formation du monde moderne”, comme
Graphe 1 : répartition par sexe des sections 32 et 33 du Comité national
(Source : Bilan social du CNRS)
180
160
140
120
100
80
60
40
20
0
1991
Ml Section 32 du CN Hommes
MB Section 33 du CN Hommes
1995
2000
M9) Section 32 du CN Femmes
MS Section 33 du CN Femmes
6. Louis Holtz, dans son article sur “Les premiéres années de |’Institut de recherches et d’histoire des textes” rappelle a ce
propos que “les instances supérieures du CNRS voyaient d’un mauvais ceil des livres ou articles signés par des ingénieurs, car
dans les laboratoires scientifiques seuls les chercheurs avaient le droit de signer le résultat des expériences qu’ils dirigeaient”.
cf. La Revue pour I’histoire du CNRS, n°2, CNRS EDITIONS, Paris, mai 2000, p.22.
102
Les femmes dans histoire du CNRS
on peut le voir sur le graphe 1 : cette cons-
tatation confirme celle d’Olivier Dumoulin
qui, en étudiant les sujets des théses sou-
tenues par les historiennes, notait que la
proportion de femmes diminue si l’on s‘é-
loigne chronologiquement de lhistoire
ancienne. En histoire grecque et romaine,
les historiennes sont presque aussi nom-
breuses que les hommes ; leur proportion
baisse chez les médiévistes, et cette ten-
dance s’accentue en histoire moderne
pour se confirmer en histoire contempo-
raine. Traditionnellement — par héritage
culturel ou plus simplement par godt clai-
rement revendiqué — , les jeunes filles se
tournent plus volontiers vers les études
“classiques” et continuent, semble-t-il, 4
étudier au lycée le latin et le grec, ce qui
les améne, lorsqu’elles choisissent des étu-
des d’histoire, 4 se spécialiser dans les
domaines oti ces savoirs se révélent fort
utiles : Thistoire ancienne et médiévale.
Rappelons également la trés forte tradi-
tion féminine de l’Ecole nationale des
Chartes, vers laquelle les jeunes filles se
sont tournées trés tét. La figure embléma-
tique de Jeanne Vielliard, chartiste, spécia-
liste des manuscrits latins, qui dirigea
l'Institut de recherche et d’histoire des tex-
tes (IRHT) entre 1940 et 1964, illustre a
Yévidence ce type de parcours’.
La répartition par grade des chercheurs
révéle une réelle distorsion entre l’évolution
de carriére des hommes et des femmes (gra-
phe 2). Plus les grades sont élevés, plus les
hommes y sont largement majoritaires, ce
déséquilibre étant particuliérement accen-
tué dans la section 33 ot 62 % des historiens
sont directeurs de recherche, contre seule-
ment 26% des historiennes. Ces chiffres
sont éloquents : dans cette section, un
homme a trois fois plus de chance d’accéder
au grade de DR qu’une femme. Par contre,
les femmes forment le gros du peloton
des chargés de recherche (CR1 et CR2),
grades les moins élevés dans la hiérarchie des
chercheurs. Comment expliquer ce phéno-
méne ? Plusieurs raisons peuvent étre invo-
quées : les femmes n’auraient pas la méme
stratégie de carriére que les hommes, ce
moindre investissement étant en partie di a
leurs occupations extra-professionnelles.
Maleré lévolution de la société, les femmes
connaissent souvent un ralentissement de
carriére du fait des maternités, les occupa-
tions familiales restant encore largement 4
leur charge, ce qui retarde souvent leur sou-
tenance de thése ou ralentit le rythme de
leurs publications. Tous ces éléments sont
x
donc autant dentraves 4 une évolution
Graphe 2: répartition
par grade et par sexe des
chercheures des sections 32 et 33
du Comité national en 2000
300
250
200
150
100
50
Femmes
Hommes
7. Voir a ce sujet le portrait de Jeanne Vielliard a la suite de cet article.
Les historiennes au CNRS
rapide de carriére. La plus grande disponi-
bilité des hommes, leur implication plus
forte dans le monde du travail leur per-
met, au contraire, d’avoir une ascension
professionnelle plus rapide et d’atteindre
les grades les plus élevés du cursus. De
plus, les instances d’évaluation des cher-
cheurs sont nettement masculinisées et
peut-étre sont-elles, de ce fait, tentées
daccorder plus volontiers des promotions
aux hommes qu’aux femmes. Les dossiers
de carriére montrent en effet qu’a niveau
égal, les femmes attendent plus long-
temps une promotion que leurs collégues
masculins.
La population des ingénieures dans les uni-
tés de recherche en histoire est difficile 4
cerner. Elles ne sont pas rattachées aux sec-
tions du Comité national. On ne peut donc
Graphe 3 : répartition par
grade et par sexe des ingénieurs
CNRS en 2000 (BAP xX)
400
350
300
250
200
150
100
50
Ingénieurs
d'études
Ingénieurs
de recherche
pas les intégrer dans les mémes classe-
ments chronologiques et thématiques que
les chercheuses. Comment les répertorier ?
Le CNRS a opté pour un descriptif global
des Branches d’activités professionnelles
(ou BAP) des ingénieurs qui détermine la
typologie de leurs travaux. Ainsi, trés gros-
siérement, il est possible de considérer que
les historiennes sont rattachées 4 la BAP X
(récemment rebaptisée BAP D) “Analyse de
sources anciennes”. Rappelons cependant
que les bilans sociaux du CNRS qui ana-
lysent ces données, ne font intervenir l'indi-
cateur “femme” que depuis 1991, ce qui
rend les statistiques plus anciennes inuti-
lisables pour notre propos.
Lobservation des statuts des ingénieurs
confirme, 14 encore, que la répartition par
sexe est défavorable aux femmes, alors
qurelles représentent l’écrasante majorité de
cette catégorie de personnel (graphe 3). Les
ingénieures sont, comme leurs collégues
chercheuses, sur-représentées dans les gra-
des les moins élevés (IE2). Actuellement,
prés de 70 % dentre elles sont ingénieures
d’études. Bien que le pourcentage des fem-
mes ingénieures de recherche augmente
réguliérement depuis 10 ans, lobservation
chiffrée de la population des historiennes
confirme qu’une division sexuelle du travail
subsiste néanmoins : les femmes sont majo-
ritaires dans les postes d’auxiliaires de la
recherche, plus spécialisées dans des tra-
vaux Warchivistes® ou de documentalistes,
tandis que la recherche a un niveau supé-
rieur, autrement dit le “vrai” travail Qhisto-
rien, reste largement dominé par les hom-
mes. Lévolution des carriéres démontre, par
ailleurs, un certain enfermement des fem-
mes dans leur statut premier : le passage du
8. Voir a ce sujet l’article d’Olivier Dumoulin “Archives au féminin, histoire au masculin : les historiennes professionnelles en France,
1920-1965”, in L’histoire sans les femmes est-elle possible ? sous la dir. d’A.-M. Sohn et F. Thélamon, Paris, Perrin, 1998, pp. 343-356.
103
104
Les femmes dans histoire du CNRS
statut dingénieur a celui de chercheur, plus
prestigieux, et qui offre de meilleures pers-
pectives de carriére existe, mais reste excep-
tionnel.
Par discrétion ou par manque d’ambition,
les historiennes ne jouent apparemment
pas le jeu du carriérisme. C’est un des
éléments qui expliquerait leur trés faible
représentation dans les instances de
décision de la recherche (Comité national,
direction de laboratoires. ..).
La reconnaissance des
historiennes par leurs pairs
Les historiennes au Comité national
Le Comité national de la recherche
scientifique, dont les membres sont soit
nommés, soit élus par leurs pairs, a des
compétences essentiellement scienti-
fiques (évaluation des travaux des cher-
cheurs et des équipes de recherche,
orientations des recherches), mais
aussi financiéres (répartition des crédits
accordés). Les membres des commis-
sions exercent donc un pouvoir impor-
tant, qui joue en méme temps sur les
carriéres des chercheurs, leurs promo-
tions, mais aussi sur la poursuite de leurs
travaux, en leur accordant ou non les
moyens de poursuivre leurs recherches.
La présence des historiennes au Comité
national a été, dans les premiéres années
du CNRS, fort discréte. Christiane
Desroches-Noblecourt a longtemps été la
seule femme membre de cette instance,
alors que les femmes représentaient
déja, dans les premiéres années qui ont
suivi la création du CNRS, prés de 30 %
des chercheurs.
En 1960, les trois femmes qui siégent
dans les sections 26 “Antiquités natio-
nales et histoire médiévale” et 27
“Histoire moderne et contemporaine”
sont Mesdemoiselles Pernoux (archiviste)
et Vielliard (directrice de l'Institut de
recherche et dhistoire des textes), et
Madame Portemer (conservatrice 4 la
Bibliothéque nationale). I] s’agit 1a, et il
ne semble pas que ce soit le fait du
hasard, de trois historiennes dont les tra-
vaux sont fortement orientés vers les tra-
vaux d’archives ou de conservation des
documents. En 1967, aucune femme n’est
La présence des historiennes au Comité national?
A Coyniloyay
de membres
1950 35
1960 40
1967 44
1971 52
1983 715
1992 42
1995 40
2000 40
Correa) %
de femmes de femmes
1 3
3 8
3 7
10 20
20 27
15 36
14 35
7 18
9. Tableau réalisé a partir des documents des archives du Comité national.
Les historiennes au CNRS
représentée dans la catégorie A (qui ne
compte que des professeurs d’université
et des directeurs d’études 4 ?EPHE). En
1992, la présidente de la section 32 du
Comité national est une femme : Mireille
Corbier” (antiquisante, spécialiste d’épi-
graphie romaine). On retrouve donc 1a
une des constantes de notre observation :
cest bien en histoire ancienne que les
femmes sont le mieux représentées, a la
fois quantitativement et qualitative-
ment.
A partir des années 1970, la représen-
tation féminine s’accroit significativement
dans les sections dhistoire du Comité
national (avec environ 20 % de femmes),
pour atteindre 36 % en 1992. Cependant,
le Comité qui siége actuellement ne
compte plus que 18% de femmes, pour-
centage qui sexplique en partie par la
démission de deux historiennes, ce qui fait
baisser le taux de la représentation fémi-
nine ; et pour la premiére fois, cest dans la
section 33 “Formation du monde moderne”
que l’on trouve le plus de femmes, ces der-
niéres n’étant plus que 3 dans la section 32
“Mondes anciens et médiévaux”. Dans ces
conditions, l'instauration de la parité dans
des instances d’évaluation profession-
nelle ne serait-elle pas souhaitable ? I]
semble, paradoxalement, que cette propo-
sition ne suscite pas lapprobation géné-
rale des historiennes. Les femmes esti-
ment souvent qu'une telle politique les
mettrait dans une situation d’assistées et
les assimilerait aux minorités qui y ont
recours pour faire reconnaitre leurs droits.
On le voit, la parité est un principe difficile
a faire admettre : l’exemple du monde poli-
tique est, a cet égard, trés illustratif et
pourtant, le processus, une fois amorcé,
portera sans doute ses fruits.
Les historiennes directrices
de laboratoire
Si la représentation féminine des histo-
riennes a relativement progressé au
Comité national, leur présence dans
les instances dirigeantes des unités
de recherche reste marginale. Actuel-
lement”, sur les 80 laboratoires de la sec-
tion 32, on ne compte que 14 femmes
directrices ; dans la section 33, 5 unités de
recherche seulement sur 72 sont dirigées
par une femme”. On peut expliquer cela
par la réticence de certaines femmes &
exercer une quelconque autorité, refus qui
s’explique en partie par l’esprit individua-
liste trés répandu dans le métier. De plus,
certaines historiennes estiment encore
préférable de travailler sous l’autorité
d'un homme, signe que les mentalités, y
compris chez les femmes, ne suivent pas
forcément l’évolution de la société. La fai-
ble représentation des femmes dans les
grades les plus élevés de la profession s’ac-
compagne donc d’une sous-représentation
dans les instances de direction des unités
de recherche. Avec une proportion d’hom-
mes et de femmes presque équivalente
(surtout si l’on inclut les ingénieures), la
parité dans les postes de direction et de
pouvoir est, la encore, loin d’étre atteinte.
Les historiennes médaillées
Les médailles dor, d’argent et de bronze
attribuées par le CNRS récompensent un
travail scientifique d’exception. A ce jour,
seule une historienne a recu la Médaille
d’Or, qui est la plus haute distinction
honorifique accordée au CNRS : l’égypto-
10. On se reportera aux propos recueillis par E. Cospen-Gharibian a la suite de cet article.
11. Source Labintel 2002
12. La moitié d’entre elles sont professeures d’Université, l’une est conservatrice de musée.
105
106
Les femmes dans histoire du CNRS
logue Christiane Desroches-Noblecourt,
en 1975. Notons a ce sujet, que cette
année-la, fait sans précédent, une
seconde Médaille d’Or est venue récom-
penser les travaux du_ physicien
Raymond Castaing, le CNRS n/accor-
dant, somme toute, qu’une demi-distinc-
tion a la premiére femme qui accéde a
un tel niveau. Par la suite, d’autres
Médailles d’Or ont ainsi été doublées,
mais il s’agissait la d’une “premiére” assez
significative. Sans vouloir attacher plus
d’importance a ces
récompenses qu’elles
n’en ont, il s'agit tout
de méme d’un indice
de reconnaissance
de la communauté
scientifique qu’on ne
saurait totalement
négliger. Entre 1955
et 1996, 23 histo-
riennes ont recu la
Médaille d’Argent
on le rapproche du nombre total de
Médailles d’Argent accordées pendant la
méme période (plus de 500). La majorité
dentre elles sont, soit orientalistes, soit
spécialistes histoire ancienne, secteurs
dans lesquelles les femmes sont nom-
breuses.
Les choix historiographiques
féminins
Les historiennes s’investissent-elles
dans les mémes recherches que leurs
confréres ? Existe-il des champs de
recherche spécifiques aux femmes ou,
» Légyptologue Christiane Desroches-Noblecourt partage en 1975 la
chiffre médiocre si Médaille d’Or avec Raymond Castaing. © CNRS Studio OROP
au contraire, des sujets délaissés par
elles ? Une étude des themes de
recherches des historiennes, fondée
sur les données des trois éditions suc-
cessives du Répertoire des historiens
pour la période moderne et contempo-
raine®, montre que leurs tendances
historiographiques les orientent majo-
ritairement vers l’histoire sociale et
Vhistoire de la civilisation, laissant 4
leurs collégues masculins l’histoire
politique et économique.
La défiance des fem-
mes a légard de la
vie politique, qui reste
animée et dirigée par
les hommes, est évi-
dente : rares sont les
historiennes qui s’a-
venturent dans cette
thématique. On cons-
tate une désaffection
égale pour histoire
militaire (armée, marine)
et pour histoire économique, autre “bas-
tion” de la recherche masculine. Lhistoire
financiére et Vhistoire de la vie des entre-
prises demeurent encore, elles aussi, une
affaire d’hommes. Les choix thématiques
des historiennes seraient-ils liés 4 leur
degré d’implication dans la réalité
sociale ? I] semble que ce ne soit vrai
qu’en partie : de jeunes chercheuses s’a-
venturent de plus en plus vers des domai-
nes novateurs, comme celui de lhistoire
des techniques et de l'innovation, peut-
étre parce que la concurrence y est moins
rude et leur ouvre des perspectives de
reconnaissance scientifique plus rapides.
13. Répertoire des historiens francais pour la période moderne et contemporaine, CNRS EDITIONS, Paris,1982, 1991 et 2000.
Les historiennes au CNRS
Plus classiquement, les chercheuses
sorientent vers une histoire dans
laquelle elles se reconnaissent 4 dou-
ble titre, a la fois sur le plan profes-
sionnel et personnel : Vhistoire des
femmes et du genre, bien str, pour-
tant moins développée en France
qu’outre-Atlantique™, ainsi que lhis-
toire de la famille, du quotidien, de
Vintime, sujets bien souvent dévalo-
risés par la communauté scientifique.
Enfin, comme si elles restaient pri-
sonniéres des stéréotypes de l’éduca-
tion traditionnelle qui inclut l’appren-
tissage des arts pour les jeunes filles
(musique, danse), les historiennes se
tournent massivement vers V/histoire
de la peinture, de la musique, de I’ar-
chitecture, du théatre et de la danse.
Rappelons qu’une épreuve dhistoire
de lart figurait au programme de
Pagrégation féminine ; les étudiantes
bénéficiaient donc d’une formation
spécifique qui a sans doute influencé
leurs orientations historiographiques.
Les recherches des historiennes reflé-
tent, dans une certaine mesure, la
place de la femme dans la société.
Pourtant, ces choix perdurent, alors
méme que le statut de la femme évo-
lue, ce qui indiquerait que l’image col-
lective que les femmes ont d’elles-
mémes reste trés imprégnée des réfé-
rences traditionnelles. Le poids de
léducation et du passé influencerait
donc les choix intellectuels des histo-
riennes d’aujourd’hui.
Si, par rapport a l’Université, le
CNRS a fait figure de pionnier en
matiére d’emploi féminin, et si, en
particulier, le département des scien-
ces de ’homme et de la société est
celui dans lequel on compte actuelle-
ment le plus de femmes, la place des
historiennes dans la recherche reste
ambigué. En valeur absolue, la parité
hommes-femmes est globalement
atteinte. Mais que signifie une parité
purement quantitative ? Les femmes
sont nombreuses mais peu présentes
dans les instances d’évaluation et de
décision et continuent 4 former le gros
des troupes en qualité d’exécutantes.
Souvent cantonnées, malgré elles,
dans des travaux d’archives ou de
documentation dans lesquels leurs
qualités de patience et de minutie —
qualités réputées spécifiquement
“féminines” — se révélent précieuses,
elles n’atteignent qu’exceptionnelle-
ment les sommets de la carriére et de
la notoriété. Il semble par ailleurs
que, par manque de disponibilité, lié
précisément a la condition féminine,
les femmes soient souvent réticentes
a exercer des fonctions de direction ou
de représentation. Les travaux de
recherche demandent un investisse-
ment personnel dans le long terme qui
ne laisse que peu de loisirs pour d’au-
tres engagements. Les propos des his-
toriennes qui occupent des postes de
direction sont explicites : selon elles,
le “vivier” de femmes brillantes qui
devraient avoir a coeur de s’impliquer
dans lanimation et la direction des
unités de recherche, est largement
pourvu. Mais pour que la situation évo-
lue, il faudrait que les attitudes chan-
gent, que les historiennes s'impliquent
plus avant dans la vie de institution
14. Rebecca Rogers, “Enseignement de I’histoire des femmes et rapports sociaux de sexe, France-Etats-Unis”, in Lhistoire sans les
femmes est-elle possible ? sous la dir. d’A.-M. Sohn et F. Thélamon, Paris, Perrin, 1998, pp. 325-333.
107
108
Les femmes dans histoire du CNRS
et que le CNRS leur offre, a égalité
avec leurs confréres, des postes de
responsabilité.
Quelques portraits d’historiennes”
Jeanne Vielliard” a fait figure de
pionniére tout au long de sa vie et
de sa longue carriére au CNRS.
Cependant, malgré limportance de
son oeuvre, son nom, ses travaux et ses
réalisations sont peu ou mal connus.
Jeanne Vielliard recoit la Légion d’honneur des mains de M. Georges Jamati,
administrateur qui suivait les destinées de |’IRHT auprés de la Direction du
CNRS. © IRHT
Elle est née a Paris le 26 mai 1894.
Aprés trois années passées a |’Ecole
normale catholique, elle est recue a
Ecole nationale des Chartes en 1920.
Dés lors, elle se distingue : “major” de
la promotion 1924 aprés avoir soutenu
une thése sur “Le latin des diplémes
royaux et chartes privées de l’époque
mérovingienne”, elle est la premiére
femme a intégrer l’Ecole francaise
de Rome. Elle est également, en 1927,
lune des rares femmes admises a
’Ecole des hautes études hispaniques
(Casa de Velazquez). Aprés sept ans
passés aux Archives nationales, cette
ancienne Farnésienne” obtient, le
1* juillet 1937, le poste de secrétaire
générale d’un tout nouvel Institut créé
par Félix Grat sous les auspices de
la Caisse nationale de la recherche
scientifique : l'Institut de recherche et
@histoire des textes (IRHT).
Des Vorigine, Félix Grat, archiviste
paléographe, associe 4 son projet
Jeanne Vielliard, ancienne condisciple
de l’Ecole nationale des Chartes et de
l’Ecole francaise de Rome, qui partage
avec lui le méme objectif : “Etudier
Vhistoire de la transmission écrite de
la pensée humaine’. Trois idées
essentielles, définies par Félix Grat,
établissent les missions de l'Institut
de recherche et d’histoire des textes :
“Faire un relevé exhaustif des manus-
crits, les photographier, mettre l’en-
semble de ce matériel a la disposition
de tous les chercheurs””.
Outre ses voyages et recherches sur les
textes anciens”, Jeanne Vielliard, prend
totalement la charge de lorganisation des
services de ce tout jeune Institut. Elle pré-
cisera : “La tache est immense mais réali-
sable ; il importe de l’entreprendre et de
la mener avec méthode”. Des principes
de travail sont mis au point : rechercher
dans les bibliothéques d’Europe les
manuscrits anciens et en établir un
recensement systématique. Les premié-
res collaboratrices rejoignent bientét
l'Institut : ainsi Marie-Thérése Boucrel,
future épouse du Professeur André Vernet,
sa sceur Marie-Magdeleine Boucrel, puis
Elisabeth Pellegrin, dépouillent pays par
pays les catalogues parus.
15. Nous aurions aimé interroger de jeunes chercheuses nouvellement recrutées par le CNRS. Force nous a été de constater que, en
nous référant a la base de données informatisée du Répertoire des historiens pour la période moderne et contemporaine, les jeunes
femmes concernées étaient toutes soit AMN, soit ATER, détachées pour une durée déterminée au CNRS pour y achever leur these, et
ne faisaient donc pas réellement partie de institution.
16. Tous nos remerciements a Louis Cosnier, responsable des archives du CNRS, et Louis Holtz, directeur de recherche honoraire au
CNRS, directeur de l’IRHT de 1986 a 1997, pour leur aide et leur gentillesse.
17. Le palais Farnése de Rome est aujourd’hui le siége de l'ambassade de France et de I’Ecole francaise de Rome.
18. Rapport sur l’activité scientifique, mars 1938, dossier de carriére de Jeanne Vielliard, 1937-1974, G910024DPC.
19. L. Holtz, “Les premiéres années de |’Institut de recherche et d’histoire des textes”, ‘La Revue pour histoire du CNRS, n° 2, CNRS
EDITIONS, Paris, mai 2000, p. 10.
Les historiennes au CNRS
Félix Grat meurt prématurément le
13 mai 1940. La direction de l'Institut
incombe alors a Jeanne Vielliard, sa plus
proche collaboratrice. Elle devient ainsi
“la premiére femme a diriger un labora-
toire au CNRS””. Néanmoins, elle se
heurte 4 de multiples difficultés dans
la gestion de sa carriére au CNRS. Au
1* juillet 1937, elle obtient le grade de
maitre de recherche et occupe officiel-
lement les fonctions de secrétaire géné-
rale de PIRHT: Le 8 mai 1946, elle est
nommée directrice de recherche et
cependant, pour des raisons obscures”,
seul le traitement et non le titre de direc-
teur de recherche lui est alors accordé.
Une lettre du 23 janvier 1947, adressée
au directeur adjoint du CNRS, donne
toute la mesure de sa déception : “Comme
directeur de recherche, jaurais enfin le
sentiment que le Centre reconnait les
efforts constants par lesquels je me suis
dépensée sans compter a son service
pendant 10 années”. Entre-temps, la
situation empire et, en décembre 1946,
son grade de maitre de recherche 1°
classe lui est retiré ; il ne lui sera accordé
a nouveau qu’en 1948. Dés lors, chaque
année, sans relache, elle demande I’ap-
plication de sa nomination de directeur
de recherche, mais n’obtiendra le grade
qu’en 1955, aprés huit années d’efforts et
de bataille administrative.
Quant A son titre de directeur de
l'Institut, elle est également obligée de
le réclamer. Elle précise a plusieurs
reprises la nature du travail qu'elle
effectue et qui justifie largement une
telle promotion : “Direction entiére de
20. Parmi les notes et mélanges, citons un de ses plus célébres ouvrages : Le Guide du pélerin de Saint-Jacques de Compostelle, texte latin
l'Institut de recherche et d’histoire des
textes : chef des travaux de la section
latine, je contréle les autres sections, je
régle les acquisitions de la bibliothéque
et les prises de vue photographiques,
jorganise les campagnes de missions,
joriente les dépouillements bibliogra-
phiques”™. Le titre de directeur lui sera
attribué peu de temps aprés cette
ultime sollicitation, en 1951. Un homme
aurait-il rencontré les mémes difficultés ?
La question mérite d’étre posée.
Avant-gardiste, Jeanne Vielliard n’hé-
site pas 4 féminiser des termes qui jus-
qualors n’étaient utilisés qu’au mascu-
lin. Elle se présente en effet, dés 1938,
comme “archiviste détachée pour rem-
plir les fonctions de secrétaire générale”
et bon nombre des lettres qui lui
étaient adressées commencent par
“Mademoiselle Jeanne Vielliard, secré-
taire générale de ’IRHT”. De méme,
contrairement aux usages du temps,
dés 1951, elle signe tous ses courriers
administratifs “Jeanne Vielliard, direc-
trice de l'Institut de recherche et d’his-
toire des textes».
Jusqu’a l’Age de sa retraite officielle, le
1* octobre 1964, son activité débordante
a porté ses fruits : plus de quatre-vingts
personnes travaillent désormais au
sein de l'Institut. De plus, alors que les
recherches de PIRHT s’étaient, dans un
premier temps, limitées aux manus-
crits des auteurs latins de l’Antiquité
classique, les champs d’études ont été
peu a peu élargis aux auteurs latins du
Moyen Age, aux textes en langue romane,
du XIl° siécle, édité et traduit en francais d’aprés les manuscrits de Compostelle et de Ripoll. Macon, 1938, 5° édition, 1978, In-8°, XIX-152 p.
21. Rapport sur l’activité scientifique, mars 1938, dossier de carriére de Jeanne Vielliard, op. cit.
22. L. Holtz, “Les premiéres années de |’Institut ...”, op. cit., p.13.
23. “Ce sont des objections purement formelles qui empéchent ma nomination de directeur de recherche au Centre national de la recherche
scientifique. (...)”, lettre du 23 janvier 1947, adressée au directeur adjoint du CNRS, dossier de carriére de Jeanne Vielliard, op. cit.
24. Fiche signalétique, 1951, dossier de carriére de Jeanne Vielliard, op. cit.
109
110
Les femmes dans histoire du CNRS
aux auteurs grecs classiques et byzan-
tins, arabes et hébreux.
A partir de la fin des années 1950, Jeanne
Vielliard confirme une nouvelle orienta-
tion donnée 4 cet Institut qui, a lorigine,
relevait essentiellement de la philologie
en créant une section de codicologie : le
manuscrit lui-méme, cest-a-dire le sup-
port matériel du texte, devenait objet d’é-
tude. “Nous avons reconnu bien vite que
texte et manuscrit ne pouvaient pas étre
dissociés et que pour arriver a connaitre
pleinement l’état du texte, il fallait connai-
tre A fond le manuscrit””. Ainsi, pour
chaque manuscrit, une description en pré-
cise, par exemple, les dimensions, les grou-
pements par cahier, tous les renseigne-
ments sur la datation et la localisation, les
notes personnelles des scribes ou des lec-
teurs, les mentions relatives au prix du
livre ou du parchemin, au salaire des
ouvriers, aux enluminures ou aux reliu-
res. Les techniques de description mises
au point participeront 4 une meilleure
connaissance des fonds manuscrits et le
nom de Jeanne Vielliard sera désormais
associé aux prémices de lhistoire du livre.
“Les 27 années de sa vie que Jeanne
Vielliard a données a cette maison, ne se
confondent-elles pas avec lhistoire, ne
sont-elles pas Vhistoire de institution
elle-eméme ?” sinterroge avec justesse
Jean Glénisson, son successeur a la direc-
tion de PIRHT”. Elle accédera d’ailleurs,
en reconnaissance des services quelle a
rendus a la science frangaise, au grade de
chevalier de la Légion d’honneur au titre
de la recherche scientifique. Toutefois, son
dévouement a l’institution a quelque peu
entravé ses travaux de recherche person-
nels ; le nombre relativement limité de
ses publications en témoigne. Pourtant,
Jeanne Vielliard a su donner, par la qua-
lité de son travail, un rayonnement inter-
national 4 l'Institut de recherche et @his-
toire des textes et susciter un profond
respect a tous ceux qui ont partagé sa vie
professionnelle. Son parcours hors du
commun mériterait a lavenir de plus
amples recherches pour faire sortir de
Yombre cette personnalité généreuse.
Entretien avec :
Madeleine Foisil
Aprés une expé-
rience de douze
ans dans l’ensei-
gnement secondaire,
Madeleine Foisil
entre au CNRS en
1960. Elle parti-
cipe, pendant plus
de 30 ans, a la vie
de la recherche au
sein du ire des civilisations d'Europe
moderne, aujourd’hui Centre Roland
Mousnier, du nom de son fondateur.
Douée dun solide esprit d’induction, elle se
consacre tout particuliérement a létude
des textes. Durant toute sa carriére, jusqu’a
son départ en retraite en 1995, elle met ses
qualités d’historienne au service des plus
éminents chercheurs en histoire moderne
tels que Roland Mousnier, son directeur de
thése, Victor-Lucien Tapié et Pierre
Chaunu. Depuis 1995, son travail de
recherche et de publication n’a pas cessé”.
25. J. Vielliard, “L’IRHT et la codicologie” dans Archives, bibliothéques et musées de Belgique, t.XXX, n°2, 1959, Bruxelles, pp. 211-216.
A la demande du savant belge F. Masai, ami de longue date, Jeanne Vielliard accepte de collaborer a la revue Scriptorium, publication
essentielle dans le domaine de la codicologie.
26. J. Glénisson, “Jeanne Vielliard (1894-1979)”,
dans BEC, 1982, pp. 363-372.
Les historiennes au CNRS
Le cours de DEA, dont elle a la charge a
partir de 1980 a luniversité Paris IV, a
pour objet la critique de la publication
de textes : elle s‘attache en particulier a
démontrer “la nécessité de restituer le
temps, de le repenser et ainsi, d’appro-
cher les choses de maniére véritable”.
Vous avez été ingénieure
de recherche toute votre
carriére. Pourquoi ?
Jai intégré le CNRS dans les années
1960 comme ingénieure de recherche et
je le suis restée. C’est un choix. Etre ingé-
nieure de recherche supposait une colla-
boration stimulante avec le professeur,
les étudiants ainsi que les collégues du
laboratoire. I] existe, en effet, une dyna-
mique insufflée par de grands patrons et
par le laboratoire, fondée d’une part, sur
le choix de grands thémes de recherche,
et d’autre part, sur le séminaire de
recherche. C’est un apprentissage per-
manent du travail. J’ai eu, par exemple,
la charge immédiate des étudiants de
Pierre Chaunu pour assurer la réalisa-
tion des travaux qui avaient été décidés.
Par ailleurs, la publication de ma thése
ainsi que d’autres ouvrages”, m’a ap-
porté l’indispensable reconnaissance de
mon travail personnel. Le maitre donne
des initiatives, cest A vous ensuite de
décider de la meilleure maniére d’effec-
tuer votre travail. J’avais, par exemple,
vu a4 la section des manuscrits de la
Bibliothéque nationale les six volumes
du Journal d’Heroard. Pierre Chaunu
m’a immédiatement engagée a en publier
intégralement une édition critique”.
Pourriez-vous décrire le tra-
vail que vous avez eu a
effectuer sur ces volumes ?
Cette publication considérable a été
un travail d’équipe. Les démarches
effectuées ont été les suivantes : l’éta-
blissement du texte, les annotations, la
mise en tableau de données répétitives
et quantitatives, les études internes
par théme, avec des mémoires de
maitrise d’étudiants et, finalement,
lintroduction critique dont je me suis
entiérement chargée.
Par ailleurs, Fayard, l’éditeur, avait
obtenu la participation de Pierre
Chaunu et de moi-méme 4a |’émission
“Apostrophes” de Bernard Pivot, en
1989. C’était, en effet, trés important
de faire connaitre l’ouvrage. Ce fut
une expérience trés intéressante : on
a pu s’y exprimer de maniére trés
naturelle et trés libre.
Quelle était la place des
chercheuses a votre entrée
au CNRS ?
Des femmes étaient évidemment pré-
sentes dans le laboratoire. Cependant,
les postes de responsabilité étaient
plutét occupés par des hommes. Le
meilleur exemple est celui des assis-
tants des professeurs qui accédaient
eux-mémes au professorat : ce n’était
que des hommes. Mais il faut bien tenir
compte de l’époque : on est en 1960 et la
société fonctionne alors comme cela. Un
bon historien tente de se remettre dans
Vesprit du temps !
27. Derniére publication : P. Chaunu, M. Foisil, F. de Noirfontaine, Le basculement religieux de Paris, Fayard, Paris, 2000.
28. M. Foisil, La révolte des Nu-pieds, PUF, Paris, 1970 et Le sire de Gouberville, Paris, Aubier-Montaigne 1981, Champs-Flammarion 1986,
réimpression 2001.
29. M. Foisil, Le Journal de Jean Heroard, médecin de Louis Xill, préface de P. Chaunu, 2 volumes, Paris, Fayard, 1989.
111
112
Les femmes dans histoire du CNRS
Quel était donc “Vesprit
du temps” ?
Il y avait des femmes chercheures,
mais pas de femmes directrices. Je ne
crois pas qu'il faille y voir le résultat
dun choix délibéré. Il faut souligner
que travailler avec des hommes de
cette qualité était formidable. Roland
Mousnier était un maitre exigeant
aussi bien avec les femmes qu’avec les
hommes. I] avait de grands sujets de
recherche, reconnaissait le mérite
de ses collaborateurs et soutenait
leur carriére. De méme, Victor-Lucien
Tapié savait stimuler la curiosité de
tous, en particulier sur lEurope
centrale. Néanmoins, je ne crois pas
quils aient jamais envisagé de me
proposer comme assistante du direc-
teur. Larrivée de Pierre Chaunu
marque le commencement d’une nou-
velle période enthousiasmante. Son
équipe est devenue plus féminine. [1]
faisait preuve d’une liberté extraordi-
naire par rapport 4 ses prédécesseurs
en sinspirant de lévolution de la
société a partir des années 1970. Son
séminaire reste inoubliable pour la
formation des esprits.
Vous-méme, préfériez-vous
travailler avec un directeur
homme ?
Oui, trés sincérement. Je n’ai
d’ailleurs pas eu de position dans le
combat féministe, sans doute en rai-
son de l’éducation que j’ai recue.
Les femmes de ma génération comme
moi-méme, acceptions la relation de
tutelle qui existait. Des femmes peu-
vent, bien évidemment, étre des
patrons remarquables, des avocates
célébres ou de grands chercheurs. De
plus, une société entiérement dirigée
par les hommes manquerait fonciére-
ment d’équilibre.
Cependant, un probléme fondamental
se pose : la femme est avant tout
mére. I] y a des moments dans la vie
ou le rdéle de mére dépasse le role
social. Prenons un exemple histo-
rique : la guerre de 1914. Imaginons
qu'il y ait eu égalité entre les hommes
et les femmes devant la mobilisation
générale. C’est impensable. Les hom-
mes dont le réle est de protéger, de
défendre, sont partis et se sont sacri-
fiés pour leur patrie. Les femmes sont
restées a l’arriére et ont joué un réle
primordial : élever les enfants, garder
la ferme, l’entreprise. Elles paraissent
privilégiées, mais elles ont eu un réle
indispensable et trés dur. Il faut
entrer dans ces mentalités, dans ces
sensibilités, si ’on veut comprendre
correctement Vhistoire. Aujourd’hui,
notre société a évolué. De nombreux
postes permettent aux femmes de
concilier leur vie de famille et leur vie
professionnelle.
Avez-vous été témoin d’évolu-
tions concernant la place des
femmes au CNRS pendant
votre carriére ? Sous quelles
formes sont-elles apparues ?
D’abord, par les travaux qui y ont été
réalisés. I] est remarquable de constater
Les historiennes au CNRS
la place qu’a pu prendre, dans les
sujets de recherche, la question des
femmes, de leur réle, de leur place
dans histoire. Cette initiative a été a
la fois masculine et féminine. Je cite,
par exemple, Jean-Pierre Bardet et
Michéle Perrot, mais aussi Mona
Ozouf et bien d’autres...
Les femmes au CNRS ont aussi peu a
peu accédé a des postes de responsa-
bilité. Certes, il y en avait quelques-unes
a mon entrée au CNRS, mais j’ai cons-
taté un changement a partir de 1970 :
les femmes ont pu aspirer 4 plus de
choses qu’auparavant. Cependant, et
ceci est capital en histoire, restons
prudents et gardons-nous de tout juge-
ment de valeur : ni mes collégues,
ni moi-méme, 4 |’époque, ne nous plai-
gnions de notre situation.
Selon vous, la_ situation
des historiennes différe-
t-elle entre le CNRS et
VUniversité ?
Non, il y avait trés peu de femmes
professeurs en titre a l'Université. Le
féminisme amusait certains. Le
CNRS a peut-étre évolué un peu plus
vite que l’Université : les grandes
chaires d’histoire de la Sorbonne ont
été, jusqu’a trés récemment, tenues
majoritairement par des hommes.
Aujourd@’hui, grace aussi 4 la multi-
plication des postes et des universi-
tés, la féminisation de l’enseignement
supérieur se fait, ce qui est une
évolution naturelle et heureuse.
Que pensez-vous de l’instau-
ration du principe de parité
entre homme et femme ?
Je suis ouvertement contre le fait
de créer un principe de parité. I] faut
raisonner sur la valeur. Que les
meilleurs gagnent en fonction de leurs
compétences.
Entretien avec :
Mireille Corbier
Ancienne éléve de
U’Ecole normale
supérieure et ancien
membre de l’Ecole
francaise de Rome,
Mireille Corbier,
59 ans, est actuel-
lement directrice
de recherche ; elle
S\.by dirige depuis 1995
rt le laboratoire
‘TAnnée épigraphique” (USR 710 du
CNRS). Elue a plusieurs reprises au
Comité national de la recherche scienti-
fique, elle a assuré la présidence de la
section 32 — Mondes anciens et médié-
vaux — entre 1991 et 1995. En 1995, elle
est élue présidente du Conseil de dépar-
tement SHS et, a ce titre, membre du
Conseil scientifique du CNRS en 1997 ;
en 1999, elle est nommée membre du
Conseil supérieur de la recherche et de
la technologie sur proposition du
CNRS.
Ses recherches, regroupées sous linti-
tulé “Anthropologie et économie du
monde romain”, s’orientent autour de
quatre thémes principaux :
114
Les femmes dans histoire du CNRS
- Etat, la monnaie, la fiscalité,
l’économie romaine *,
- la famille et la parenté *",
- le statut de l’écrit dans la société
romaine *,
- Vhistoire de l’alimentation et les
relations liées a la “nourriture”.
Les trois derniers axes de recherche se
situent sur les terrains classiques de
convergence entre histoire et anthropo-
logie. Convaincue de la nécessité d’une
approche comparatiste, cette historienne
pratique une histoire largement ouverte
aux questions et aux méthodes des autres
sciences humaines.
En quoi consiste le travail de
directrice de laboratoire ?
Cest un trés gros travail dimpulsion,
d’animation et de coordination de la
recherche. Je suis directrice de ce labora-
toire parce que je dirige, depuis février
1992, DL’ Année épigraphique™, publication
annuelle, 4 la rédaction de laquelle sont
associés une trentaine de francais et une
vingtaine d’étrangers. La préparation de
cet instrument de travail, considéré dans
le monde entier comme un ouvrage de
référence par les spécialistes, est le pre-
mier programme de mon équipe. Mais je
coordonne également l'un des program-
mes de recherche de l’unité : pendant plu-
sieurs années, j'ai eu la responsabilité du
programme intitulé “Famille et parenté :
amitié, patronage et _ sociabilités”.
J'ai maintenant celle du programme
“Mémoire et communication. Langages,
scénographie et rituels du pouvoir”.
Considérez-vous qu’il y ait des
champs de recherche dans les
disciplines historiques plus
ou moins difficiles d’accés
aux femmes ?
Je pense que histoire fait partie des
disciplines ouvertes indifféremment aux
femmes comme aux hommes. II n’y a pas
de théme spécifiquement féminin, méme
si les femmes ont joué un réle moteur
dans le développement des recherches
sur “histoire des femmes” et, plus
largement, sur le “genre”. S’il subsiste
des formes dinégalité d’accés aux
carriéres de recherche entre garcons et
filles, elles sont plut6t 4 rechercher dans
Yorientation des filles vers les sciences
humaines et sociales : on ne les encou-
rage pas suffisamment, dés la petite
enfance, a choisir les sciences exactes.
Pour les sciences humaines et sociales,
le probleme n’est pas celui de l’accés,
mais celui du déroulement ultérieur de
leur carriére.
Selon vous, les femmes
intellectuelles, en Europe
et en France, ont-elles di
faire un choix entre leur
carriére et leur famille ?
En Allemagne, dans ma _ génération,
mes collégues, professeurs d’université,
étaient essentiellement des hommes. En
Angleterre, les femmes intellectuelles qui
ont fait carriére dans le monde scientifique
étaient plus ou moins poussées au célibat.
En revanche, en France, il paraissait tout
a fait normal de tenter de concilier activité
de recherche et vie de famille. Cependant,
30. Laerarium Saturni et l’aerarium militare. Administration et prosopographie sénatoriale, Rome, 1974 (Coll. EFR, n° 24) ;
nombreux articles ; chapitres de la Cambridge Ancient History, vol. XIl.
31. Sous la dir. de Mireille Corbier, Adoption et Fosterage, Paris, De Boccard, 1999. Nombreux articles.
32. Mémoire et communication. Usages publics, usages privés de I’écriture exposée dans la Rome ancienne, Paris, CNRS EDITIONS,
Collection Communication, a paraitre.
33. Sous la dir. de Mireille Corbier, L’-Année épigraphique, 1991 a 1999, PUF.
Les historiennes au CNRS
dans un certain nombre de couples ot
mari et femme avaient débuté ensemble,
beaucoup de femmes ont accepté de sacri-
fier leur carriére ; elles ont consacré plus
de temps a leur activité de mére de famille.
Et, tandis que le mari devenait professeur
a l'Université, la femme restait maitre de
conférences ou devenait professeur plus
tard que lui. Pour ma part, je crois avoir
réussi a mener de front ma vie profession-
nelle et familiale : lors de mes fréquents
déplacements, ma fille m’accompagnait
partout. Mais il est certain qu'il faut plus
de volonté quand on est une femme.
Autre sujet quill ne faudrait pas occulter :
récemment, un groupe de doctorants a
mis en lumiére, en publiant le texte d’une
pétition, les différentes formes du harcé-
lement sexuel. J’aurais volontiers signé
ce document car |Université francaise
sefforce de cacher, en les niant ou en les
minimisant, des comportements qui, fort
heureusement, ne sont pas majoritaires,
mais dont certains collégues refusent de
reconnaitre la réalité.
Pensez-vous que les femmes
chercheuses ont une situa-
tion moins favorable que
leurs collégues masculins ?
La France est certainement un pays ot les
femmes ont eu, et ont toujours, une place
reconnue dans la vie universitaire au sens
large et dans la recherche en particulier.
Elles ont accés depuis longtemps aux étu-
des supérieures, aux Ecoles normales
supérieures, aux agrégations, en fait a tout
un systéme d’enseignement qui, par le
biais, notamment, des concours nationaux
avec épreuves écrites anonymes, les met A
égalité avec les hommes.
La pierre d’achoppement réside dans
lexercice des responsabilités. Je n’ai
connu, en tant que femme, que des pro-
blémes mineurs dans ma carriére de cher-
cheuse, mais lorsqu’en 1991 j’ai été élue
présidente de ma section au Comité natio-
nal, le seul autre candidat était un
homme, et la direction scientifique avait
clairement pris position en sa faveur.
Quelques personnes se sont méme lan-
cées dans une campagne téléphonique
contre ma candidature, en recommandant
de ne pas voter pour cette femme “ambi-
tieuse et dangereuse” (sic). J’ai, malgré
tout, été élue avec les 2/3 des voix des
membres de la Commission. II faut préci-
ser queen 1991, nous étions seulement 9
présidentes de section au Comité national
sur un total de 42 sections. N’oublions pas,
cependant, que la situation était encore
plus difficile pour les femmes de la géné-
ration qui a précédé la mienne.
Et aujourd’hui, constatez-
vous une évolution concer-
nant l’accession des femmes
aux instances de décision,
orientation et d’évaluation ?
Je crains que la situation ne perdure :
quand on entre dans une nouvelle
instance, on constate que plus elle se
situe 4 un niveau élevé, moins les fem-
mes y sont nombreuses. Ainsi, alors
quil y avait autant de femmes que
d’hommes qui menaient des travaux
de recherche relevant de la section 32,
lorsque le ministére a dt choisir, il y a
115
116
Les femmes dans histoire du CNRS
deux ans, sept personnalités scien-
tifiques pour siéger a la nouvelle
Commission, sept hommes ont été
nommeés ! La ségrégation existe donc
toujours 4 ce niveau. Lidée qu'il est
“naturel” que les hommes occupent les
postes de responsabilité persiste, aussi
bien chez les hommes que chez un
grand nombre de femmes d’ailleurs,
qui préférent travailler sous l’autorité
d’un homme.
Je suis, cependant, contre les femmes
“alibi” 4 qui l’on attribue un poste pour
respecter des quotas, alors qu'il y ena
tant qui ont toutes les compétences
requises pour exercer des responsa-
bilités de haut niveau. Je ne suis donc
pas pour une parité systématique
selon les sujets de recherche consi-
dérés, la répartition par sexe peut
jouer en faveur des hommes ou des
femmes. La seule revendication légi-
time, 4 mon sens, est qu’a un niveau
de compétence égal, le partage des
responsabilités soit rigoureusement
égal.
Quelles_ seraient, selon
vous, les solutions a adopter
afin @instaurer de réels
changements ?
La solution serait, d’une part, que les
organisations syndicales proposent
plus de femmes sur les listes pré-
sentées aux élections et, d’autre part,
qu'il y ait une évolution des mentalités
dans les instances dirigeantes de
Vinstitution comme au ministére. Les
organisations syndicales sont loin de
jouer leur réle en faveur de l’égalité :
en 2001, la mienne m’a tout sim-
plement éliminée — au profit dun
homme — de la liste des candidats au
Conseil scientifique du CNRS, en me
proposant, comme lot de consolation,
une place au Conseil d’administration,
sur laquelle finalement un homme a
été nommé... Il faut que le ministére
aille puiser, dans le vivier des femmes,
des représentantes du monde scienti-
fique pour qu’elles se retrouvent enfin,
dans les instances supérieures, 4
égalité avec leurs confréres.
Mais il faut aussi que les femmes
elles-mémes se défendent contre tou-
tes les pratiques discriminatoires
dont elles sont l’objet. C’est ce que j’ai
choisi pour ma part de faire depuis un
certain temps, en protestant publi-
quement chaque fois que mon exclu-
sion s’expliquait 4 l’évidence par des
considérations de “genre” et non de
compétence. Ce 4 quoi les responsa-
bles masculins auxquels je m’oppose
répondent en me faisant une réputa-
tion “d’agressivité” qui me fait sourire
et me donne envie de les plaindre. II
est toujours plus facile de margina-
liser son adversaire que de répondre
a ses arguments : des scientifiques
devraient savoir maitriser cette ten-
dance, peu compatible avec les exi-
gences de leur métier. En tant que
femmes, nous sommes placées a ce
niveau dans une situation de combat,
pour faire reconnaitre et respecter nos
droits a l’exercice égal des responsa-
bilités. J’en assume sans hésiter les
conséquences.
Les historiennes au CNRS
Vous avez été présidente
de la section 32 puis prési-
dente du Conseil de dépar-
tement SHS et membre
du Conseil scientifique du
CNRS. Comment avez-vous
vécu ces expériences ?
J'ai, pendant dix ans, exercé ces respon-
sabilités avec beaucoup de plaisir.
Siéger dans ces diverses instances était
absolument passionnant parce qu’on y
voit la recherche en gestation. C’est,
de plus, une activité gratifiante : on
participe au recrutement des jeunes
chercheurs, on évalue les projets de
recherche, les travaux en cours... On
prend ainsi pleinement part a la vie de
Vinstitution et 4 l’évolution de l’ensem-
ble de la recherche. On est invité a sor-
tir de sa propre sphére, méme si celle-ci
est loin d’étre resserrée. J’ai eu trés
jeune, et j'ai toujours, la chance de
travailler dans un large réseau inter-
national de collaborations et d’amitiés.
117
118
Femmes universitaires
en Allemagne’
par Ilse Costas et Londa Schiebinger
Ilse Costas est maitre-assistante en sociologie 4 l’université de
Gottingen ot elle co-dirige le programme de recherche sur les
Gender Studies. Elle a publié diverses études en allemand sur la
place des femmes dans la recherche.
Londa Schiebinger est professeure en histoire des sciences a
Pennsylvania State University. Elle y co-dirige le programme de
recherche sur la science, la médecine et la technologie. Elle a
notamment publié : The Mind Has No Sex ? Women in the Origins
of Modern Science (1989) ; Nature’s Body : Gender in the Making of
Modern Science (1993) ; Has Feminism Changed Science ? (1999).
és le XVIII° siécle, une Allemande obtient son doctorat, mais
les Allemandes ne sont admises dans |’Université qu’au tout début
du XX° siécle. Aujourd’hui, les étudiantes sont presque aussi nombreuses
que les étudiants. Pourtant, elles accédent plus difficilement aux emplois
de professeur. Leur situation s’est nettement améliorée en médecine,
119
dans les sciences économiques et sociales, dans les disciplines juridiques.
Tout compte fait, les Allemandes sont moins bien loties que les autres
Européennes de !’Quest. Elles comptent sur Il’harmonisation des régles
communautaires pour améliorer leur condition.
1. En raison de la difficulté a établir des comparaisons, les statistiques portant sur la période allant de 1945 a 1988 concernent
uniquement |’Allemagne de |’Ouest. La politique d’égalité entre les sexes pratiquée dans |’ancienne République démocratique
d’Allemagne accordait aux femmes un plus grand réle au sein des universités qu’en Allemagne de |’Ouest (Stein 1994). Aprés
la réunification en 1989, les universités de |’Est furent réorganisées de facon a les aligner sur les pratiques suivies a |’Ouest et
peu des avancées réalisées par les femmes furent préservées.
120
Les femmes dans histoire du CNRS
’*Allemagne fut l'un des rares
pays A accorder un doctorat a
une femme au cours du XVIII°
siécle. Dorothea von Schldézer, fille
du célébre historien de Gottingen, recut
un dipléme de doctorat pour son travail
en minéralogie en 1787 (Schiebinger,
1989). LiItalie et Allemagne étaient
les seuls pays qui, au XVIII° siécle,
décernaient des diplémes_ univer-
sitaires aux femmes. A l’époque, le
fait est remarquable puisque, ni en
France, ni en Angleterre, les femmes
nobtiennent cette distinction, ce qui
s’explique par le fait que les femmes
nont pas accés a l'Université. Alors
qu’au milieu du XIX siécle, les colleges
et les universités aux Etats-Unis les
acceptent, (exception faite des établis-
sements a vocation élitiste comme
Harvard ou Cambridge qui ne s’ou-
vriront que trés tardivement), contrai-
rement a la France et a la Grande-
Bretagne les universités allemandes
n’acceptent les femmes qu’entre 1900
et 1908.
Actuellement, en Allemagne, on
compte 348 universités et établis-
sements d’enseignement supérieur,
financés et administrés par les Etats
fédéraux (les Landers), et 1,8 million
étudiants, dont 46,1 % sont des fem-
mes (1° semestre 2000-2001, voir
tableau 1). Le pourcentage des diplé-
mes de premier niveau attribués
aux femmes est de 44,8 %, ce qui est
légérement inférieur 4 lAustralie, a
?Amérique du Nord et a la plupart
des autres pays européens, ow les
femmes qui obtiennent ces mémes
diplémes représentent un peu plus
de 50 %?.
Tableau 1 : pourcentages des
femmes recevant un dipléme, 2000
Niveau du diplome % de femmes
Etudiantes 46,1
Premier dipléme 44,8
Doctorat 34,3
Habilitation 18,4
source : SBD 2002a
Jusqu’a une période encore récente,
pour devenir professeur en Allemagne,
un étudiant devait faire une thése,
puis obtenir son habilitation équi-
valant A une seconde thése. Géné-
ralement, l’étudiant détenteur d’un
doctorat obtenait un poste d’assistant
non-titulaire (C1) et ce, pour six ans,
période pendant laquelle il, ou elle,
préparait l’habilitation.
Apres quoi, lassistant était alors
qualifié pour devenir enseignant a4
Véchelon C2 ou C8 avec titularisation,
grades lui assurant un salaire fixe.
Le grade de professeur des universi-
tés ou de directeur de département
correspond a l’échelon C4. En 2002,
les femmes représentaient 18,4 %
des personnes qualifiées et habilitées
a occuper un poste de titulaire. En
Allemagne, comme ailleurs, plus on
s’éléve dans la hiérarchie, plus la
visibilité des femmes diminue (voir
tableau 2).
2. Il faut préciser cependant que ce premier niveau de dipl6me décerné par les universités allemandes correspond plus
précisément au master’s degree anglo-américain qu’au bachelor’s degree.
Femmes universitaires en Allemagne
Tableau 2 : pourcentages des
enseignantes en universités
selon le rang, 2000
10,5
Tous enseignants (C2-C4)
source : SBD 2002a
Alors que les femmes représentent 30,4 %
des enseignants vacataires dans les éta-
blissements universitaires en 2000-2001,
elles ne constituent que 10,5 % des pro-
fesseurs titulaires. Les femmes sont prati-
quement “absentes” 4 l’échelon supérieur,
ne représentant que 6,5 % au niveau C4.
Comparé aux autres pays, l’Allemagne se
trouve, avec les Pays-Bas, au bas de la
liste pour l’attribution aux femmes de pos-
tes de niveau élevé dans les universités.
La présence des femmes aux niveaux
supérieurs de la hiérarchie est encore
plus faible dans les quatre instituts de
recherche financés par l’Etat, instituts
d’ailleurs prestigieux, ot: les chercheurs
se spécialisent dans la recherche
fondamentale et plus particuliérement
dans les sciences naturelles et l’ingé-
nierie (voir tableau 3).
Dans les quatre grands organismes
de recherche, les hommes occupent
une proportion étonnamment élevée,
97,4 % du total des postes a l’échelon C4
(Centre de Excellence, 2001). La pré-
sence féminine a4 ces postes hautement
attractifs est inférieure de 60 % 4 celle
que l’on trouve dans les établissements
universitaires. Le nombre de femmes
occupant ces fonctions, comparé a des
institutions identiques dans le reste de
Europe, est également inférieur 4 50 %
(Osborn et al., 2000, 16). Cette disparité,
Tableau 3 : présence des femmes dans les instituts de recherche
Organisme
de recherche
Inst. Wilhelm Gottfried
Leibniz
Scientifiques occupant un
poste de haut rang en 1999 | C4 en 1999
Total | Femmes | % Femmes
Hermann von Helmhotz-
Gemeinschaft deutscher
Forschungszentren
source : BLK 2000, tableau 8.1
121
122
Les femmes dans histoire du CNRS
Vinégalité des chances devant le recru-
tement, et les disparités politiques dans
les territoires expliquent que les cher-
cheuses allemandes peuvent se sentir
lésées. Il apparait clairement aussi
que la présence des femmes varie de
maniére importante selon les domaines
scientifiques (1998-1999, voir tableau 4).
Si lon regarde la ségrégation, par disci-
pline, qui s’est opérée au cours des 25 der-
niéres années, on constate qu’en droit,
médecine, économie et sciences sociales,
la proportion des femmes a presque dou-
blé entre 1975 et 1999. En mathéma-
tiques et en sciences naturelles, elle est
restée constante (32,9 et 34,3 %), alors
méme qu’augmentait le nombre absolu
des étudiantes dans ces domaines,
comme dans d’autres d’ailleurs. Dans
les sciences de l’ingénieur, le pourcentage
des femmes a presque doublé, mais reste
toujours trés bas.
Dans les humanités (philologie, histoire, lit-
térature et arts), les femmes atteignirent la
parité en 1975 et elles dominent a présent.
Presque la moitié de tous les étudiants
dans les matiéres de culture générale
obtiennent un dipléme d’enseignant de
lycée’.
Si nous analysons ces chiffres de plus
prés, nous observons quhommes et
femmes tendent 4 se regrouper sur des
sujets spécifiques*. Les femmes repré-
sentent 84,8 % des effectifs en philologie
des langues romanes, 76,7 % en philolo-
gie de la langue anglaise et 77,1 % en
philologie de lallemand. Toutefois, elles
ne représentent que 44,8% des étu-
diants en histoire, domaine traditionnel-
lement masculin concentré sur la guerre,
la diplomatie, les grands hommes et les
grandes actions. Lhistoire est une disci-
pline, parmi les matiéres générales, ot: la
présence des femmes est moins impor-
tante que dans certaines matiéres scienti-
fiques (en biologie, par exemple).
Les femmes sont davantage présentes
dans les sciences de la vie, représentant
Tableau 4: pourcentages d’étudiantes par domaine 1975-76 et 1998-99
Disciplines
Philosophie, Histoire, Humanités
Droit, Economie, Sc. sociales
Mathématiques, Sc. naturelles
Médecine
Ingénierie
Autres
TOTAL
source : SBD 2001
% d’étudiantes 1975-76
% d’étudiantes 1998-99
55,6 65,5
27,2 43,4
32,9 34,3
27,7 49,8
7 19
47,3 57,2
33,7 44,5
3. Dans cette profession, nous observons un phénoméne bien connu : la baisse du prestige dans toute profession simultanément
a sa féminisation, phénoméne communément observe au cours des 25 derniéres années (Die Allensbacher Berufsprestige-Skala,
2001, 3).
4. Les chiffres qui suivent représentent les pourcentages de femmes parmi |’ensemble des dipl6més en 1999 (SBD 1999).
Femmes universitaires en Allemagne
56 % des effectifs en biologie, ainsi qu’en
mathématiques, ow elles sont 42 % ; en
revanche, elles sont trés minoritaires
dans les sciences physiques, comme en
chimie (29,6 %), en physique et en
astronomie (11 %). Dans les sciences de
Yingénierie, la présence des femmes se
répartit comme suit : 10,8 % dans I’in-
génierie mécanique (la plus importante
des sous-disciplines), 3,4 % en ingénie-
rie électrique (qui comprend l’informa-
tique), mais en revanche 49,7 %, soit
presque la moitié, en architecture.
On pourrait s’attendre 4 ce qu’une
large proportion d’étudiantes dans une
matiére entraine une proportion élevée
d’enseignantes dans celle-ci. Le tableau
5 montre qu'il n’en est rien. Bien que
les pourcentages en humanités, philolo-
gie, histoire, culture générale, fassent
état d’une majorité de 65,5 % d’étudian-
tes, il apparait que seulement 10,4 %
dentre elles deviennent professeures
dans ces matiéres.
Le fait qu'une femme obtienne un doctorat
ne veut pas dire quelle atteindra forcé-
ment l’échelon C4. Le pourcentage élevé
de femmes possédant un doctorat en
médecine (42,9 %) a donné seulement 3,8 %
de femmes professeures de rang C4
(Farber, 1995). Ce nombre extrémement
modeste d’enseignantes C4 en médecine
(58 postes sur un total de 1 528) résulte
dune pratique d’exclusion propre au sys-
téme. Cela s’avére vrai y compris en obsté-
trique et en gynécologie ! C’est seulement
en lan 2000 que, pour la toute premiére
fois, une femme a été nommeée a un poste
de rang C4 en gynécologie a l’université
technique de Munich.
Comme ces tableaux l’indiquent, les fem-
mes universitaires en Allemagne sont les
victimes “d’inclusion par exclusion”, une
ségrégation par rang et discipline (Costas,
1997 et 2000). Il est surprenant de cons-
tater que la ségrégation par discipline est
un phénoméne qui a augmenté (plutét
que diminué) depuis les années 1930.
Avant 1930, les étudiantes se dirigeaient
vers les sciences naturelles et les mathé-
matiques, 4 des taux supérieurs 4 celui
de leur présence globale au sein de la
population étudiante. A luniversité de
Gottingen, dans les années 1920 par
exemple, les femmes constituaient de 12
a 14 % des effectifs en mathématiques et
Tableau 5 : pourcentages de femmes, 1998-1999.
Philosophie, Histoire,
et autres humanités
Disciplines
Etudiantes 65,5
Dipl6me de Doctorat 41,7
Habilitation 28,5
Professeurs C4 10,4
Médecine Mathématiques Ingénierie
Sc. nat.
49,8 34,3 19
42,9 27,1 8,3
9,6 13,5 0
3,8 3,4 2,4
source : BLK 2000, tableaux 1.5, 1.6, 2.3, 3.3 ; SBD 2001 ; SBD 1998, 1999.
123
124
Les femmes dans histoire du CNRS
en sciences, alors qu’elles représentaient
seulement 8 4 10 % de la totalité des effec-
tifs (Costas et al., 2000). Aujourd’hui, les
femmes représentent 34,8 % des effectifs en
mathématiques et en sciences naturelles
dans les universités allemandes, mais
46,1 % du total de la population étudiante’.
Les causes des inégalités
Comment expliquer le fait que la situa-
tion des femmes en Allemagne soit pire
que dans les autres pays occidentaux ?
En réalité, les raisons sont structurelles
et il faut remonter aux XVIII° et XIX°
siécles pour les expliquer (Schiebinger,
1989). Linterdiction, aprés la Révolution
de 1848, de toute activité politique pour
les femmes eut pour effet de favoriser un
mouvement féminin, encore timide, qui
revendiquait l’accés aux universités,
mais limité aux seules disciplines per-
cues comme “féminines” (aide sociale,
soins hospitaliers et éducation - Lange,
1928). Le féminisme de la différence
dans l’Allemagne de Guillaume II ensei-
gnait que les hommes et les femmes pos-
sédaient des capacités intellectuelles
différentes qui prédisposaient chacun
des sexes Aa vivre dans une sphére
sociale distincte. La majorité des fémi-
nistes de l’époque acceptaient l’idée que
les femmes mariées devaient rester chez
elles, et que les femmes fonctionnaires
de YEtat devaient rester célibataires.
La notion que les méres de famille
appartenaient au monde régi par la for-
mule Kinder, Kiiche, Kirche continuait
a dominer la société allemande. En
réalité, ’ordre social régissait la vie des
hommes et des femmes pendant tout le
XX° siécle dans l’Allemagne de l’Ouest.
De fait, encore aujourd’hui, les femmes
universitaires allemandes ont toujours
moins d’enfants que leurs homologues
des autres pays. La situation se trouve
confortée par un systéme public inadé-
quat : le manque de créches et de gar-
deries, des horaires irréguliers pour les
enfants scolarisés nécessitant souvent
la présence d’une aide a la maison.
Au XIX’ siécle, le systéme universitaire
allemand faisait l’envie du monde
entier (Karpen, 1994, 290). Les jeunes
Américains désirant faire carriére dans
les sciences naturelles venaient sou-
vent faire leurs études en Allemagne.
Pourtant, les femmes ne pouvaient pas
entrer 4 l'Université car elles étaient
exclues des établissements secondaires
publics et, par conséquent, ne pou-
vaient passer l’examen national de
lAbitur, qui donnait accés a l'éducation
supérieure et, par la suite, aux profes-
sions de chercheuses ou de profes-
seures. L-Allemagne n’avait pas de sys-
témes paralléles d’éducation supé-
rieure comparables aux établissements
d’élite privés acceptant les femmes
et que l’on connaissait a la fin du siécle
aux Etats-Unis (Smith, Wellesley,
Spelman, par exemple) ou en Angleterre
(Girton et Newnham), établissements
qui formérent de nombreuses femmes
scientifiques (Rossiter, 1982).
Méme lorsque les universités alleman-
des s’ouvrirent aux femmes au début du
XX° siécle, de nombreux professeurs
refusérent de les accepter dans leurs
cours. Ce n’est qu’aprés la révolution de
1918 que les universités leur furent
5. Jusqu’aux années 1930, par exemple, la majorité des doctorats et des Habilitationen conférés aux femmes dans les
universités de Gédttingen et de Berlin |’étaient en mathématiques et sciences naturelles (Vogt, 1977).
Femmes universitaires en Allemagne
enfin ouvertes. Un petit nombre d’ensei-
gnantes réussit a obtenir des postes
dans les universités. En 1933, une seule
femme avait atteint l’échelon profession-
nel C4. Elle avait été nommée dans le
département de pédagogie par le gou-
vernement de gauche de l’Etat de
Thuringe et, comme beaucoup de fem-
mes, de Juifs, de communistes et d’au-
tres opposants, elle fut renvoyée une fois
que les Nazis se furent emparés du pou-
voir en 1933 (Wobbe, 1994). On notera
en passant, que les membres du parti
national _ socialiste
réduisirent les choix
de carriéres pour les
femmes aux secteurs
de Taide sociale, des
soins hospitaliers et
de léducation - ceux-la Fy
mémes que le mou-
vement des femmes, a
ses débuts, avait dé-
finis comme “féminins”.
La situation des fem-
mes ne saméliora pas
réellement aprés la'®
Les enseignants universitaires allemands
jouissent d’un statut social particuliére-
ment privilégié. Les études supérieures
sont considérées, en général, avec respect
par la société. Elles donnent lieu a une
concurrence effrénée et leur accés est
donc scrupuleusement limité & quelques
groupes de Télite sociale (Ringer, 1969).
Ceci, de méme que des salaires fixes, qui
sont relativement élevés, continue de ren-
dre Venseignement supérieur attractif
pour les hommes. La forte professionna-
lisation, qui s'est effectuée relativement
t6t, a permis a cet
état de fait de perdu-
rer dans la formation
des enseignants. Cela
se confirme dans les
modalités de recrute-
ment de la profession
mais aussi du travail
en général et des ser-
vices annexes. Les as-
sociations profession-
nelles établirent des
pratiques d’exclusion
vis-a-vis des femmes
désireuses d’entre dans
Seconde Guerre mondiale. Il y eut
méme de nouvelles tentatives pour
les exclure des universités. Pendant
les années 1950, plus d’un tiers des
enseignants universitaires continué-
rent de croire que les femmes étaient
intellectuellement incapables d’étu-
dier les matiéres scientifiques (Anger,
1960). Le pourcentage des ensei-
gnantes universitaires en Allemagne
de l’Ouest était le plus bas au monde,
3,29 %, avec seulement trois femmes
de rang C4 (Lorenz, 1953).
la carriére académique, comme dans toute
autre profession (Costas, 2000 ; Reskin
and Roos, 1990).
En réaction aux mouvements étudiants
des années 1970, le systéme universitaire
allemand se développa de facon trés
importante ; de nouvelles universités
furent ouvertes et des postes furent créés.
Le nombre des étudiantes n’a cessé
d’augmenter depuis cette époque, et une
deuxiéme vague de féminisme, cette fois
plus marquée, a mis l’accent sur les
125
126
Les femmes dans histoire du CNRS
questions de légalité des droits et sur
Yaccés aux professions. Durant cette
période de contestation et du fait que les
femmes étaient nouvelles dans le sys-
téme, parce que seul un petit nombre
dentre elles était habilité, on continua a
nommer des hommes aux postes de pro-
fesseurs des universités. Etant donné le
taux de renouvellement trés lent des
postes universitaires en Allemagne, un
grand nombre de professeurs, nommés
pendant les années 1970, sont encore en
poste aujourd’hui. Cependant, ces cohor-
tes prendront bientét leur retraite, libé-
rant environ 50 % des postes dans les
universités allemandes, postes qu’il fau-
dra pourvoir au cours des dix années a
venir. Laugmentation du nombre des
postes vacants (A condition que ces der-
niers ne soient pas éliminés par des
restrictions budgétaires) a commencé
a donner des résultats positifs pour
les femmes. Les nouvelles politiques
de discrimination positive ont également
amélioré la situation des enseignantes
universitaires. Depuis 1985, le pourcen-
tage des femmes habilitées a augmenté
de 100 % ; en 1998, prés de 300 femmes
ont achevé leur habilitation. Depuis lors,
la présence féminine parmi les profes-
seurs (a tous les échelons) a doublé, pas-
sant de 5,1 % 4 10,5 %, soit un total de
3 986 enseignantes. Le pourcentage des
femmes ayant atteint léchelon C4 a
pratiquement triplé, passant de 2,3 % en
1985 4 6,5 % aujourdhui. Autrement dit,
on compte actuellement 895 femmes 4
Yéchelon C4 (BLK 2000 ; SBC 2002b).
Des inégalités 4 surmonter
LAllemagne est actuellement en pleine
réforme de son systéme universitaire.
Lun des changements fondamentaux,
susceptible de faciliter l’'accés aux uni-
versités pour les femmes, est la sup-
pression de l’habilitation. En effet, l’age
moyen était de quarante ans environ
au moment de passer cette seconde
thése (BSD 2001). Par le passé, aucune
disposition ne concernait les femmes
qui étaient en Age d’avoir des enfants et
qui étaient désireuses d’en avoir (BLK
2000). La suppression de cet obstacle
permettra 4 un plus grand nombre
d’entre elles d’accéder au grade de
professeur.
En plus des réformes portant sur l’ensem-
ble du systéme universitaire, le gouverne-
ment allemand a commencé, en 1990, a
mettre en place des programmes visant
précisément a encourager la participation
des femmes. Ceux-ci comprennent des
bourses spéciales et des postes d’assistant
réservés A des femmes, dans le but d’aug-
menter leur nombre sur les listes de qua-
lification et permettant de postuler 4 des
postes de professeurs titulaires. En 1998,
par exemple, ces programmes ont permis
a 13 000 universitaires de recevoir un sou-
tien financier (BLK 2000). Le gouverne-
ment a aussi prévu que les universités
puissent créer des postes de commissaires
(Frauenbeauftragte) pour contréler les
pratiques de discrimination positive
concernant Tlemploi dans les établisse-
ments. Une loi fédérale exige 4 présent
que les départements mettent en ceuvre,
au cours des prochaines années, un plan
prévoyant soit un nombre, soit un quota
Femmes universitaires en Allemagne
de postes pour les femmes a chaque
niveau d’enseignement. Lobjectif fixé est
que 20 % des postes de professeurs revien-
nent a des femmes d'ici 4 année 2005. La
présence des commissaires dans les uni-
versités a rendu tous les intervenants
plus conscients des politiques et des pra-
tiques favorisant légalité par rapport au
sexe. Parce que les critéres de qualifica-
tion et de pratique ne sont pas toujours
appliqués de facon impartiale et quils
favorisent les hommes, leur pouvoir est en
réalité limité. De plus, depuis 1998, la
Fondation nationale pour la Science,
Deutsche Forschungsgemeinschaft, a
financé une vingtaine de nouveaux grou-
pes de recherche sur les gender studies
dans différentes universités. Le dévelop-
pement de la recherche sur les spécificités
propres a chacun des sexes, gender
research, est la condition essentielle pour
permettre aux femmes datteindre une
situation d’égalité, dans le monde acadé-
mique. Sans structures conceptuelles
sophistiquées, les réformes ne seront sans
doute pas efficaces. Comprendre les spéci-
ficités nécessite une recherche, un travail
suivi et une formation, comme pour tout
autre secteur de activité intellectuelle.
Les administrateurs, les enseignants
en activité et ceux qui les suivront,
cest-a-dire les étudiants de toutes les
universités, tous doivent étre 4 méme
d’assimiler les spécificités fondamen-
tales des uns et des autres. Ils doivent
aussi comprendre que l’application de
ces spécificités est essentielle et passe
par la capacité 4 promouvoir l’égalité
pour les femmes (Schiebinger, 1999 ;
Creager et al., 2001).
En Allemagne, les réformes ont été facili-
tées par le vote des articles 2 et 3 du
traité d’ Amsterdam. Prescrivant l’égalité
des sexes dans tous les aspects de la vie
publique et ce, dans tous les pays de
Union européenne, cette nouvelle légis-
lation a aussi permis de créer l’unité
Femmes et Sciences, qui finance trés
activement des programmes favorisant
Véquité entre hommes et femmes dans
les projets de recherche de l’UE. II fau-
dra, en Allemagne, plus de réformes
novatrices pour atteindre les objectifs
d’égalité en ce qui concerne les femmes
universitaires. Malheureusement, les der-
niéres réformes concernant la législation
sur les universités, au lieu de donner une
plus grande souplesse, définissent de
nouvelles limites d’Age et de temps dans
les contrats d’emploi. Ces obstacles vont
désavantager en particulier les ensei-
gnantes, une bonne proportion d’entre
elles ayant suivi des parcours de carriére
non traditionnels. Au cours des prochai-
nes années, la nouvelle réorganisation
des universités allemandes et plus parti-
culiérement les modalités de recrute-
ment seront essentielles pour l’avenir
des femmes universitaires.
127
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Comparaisons américaines, |
De la ségrégation a
la “libération”. Kt aprés ?
par Margaret Rossiter
Margaret Rossiter est professeure d’histoire des sciences 4 l’université Cornell.
Elle a notamment publié Justus Liebig and the Americans : The Emergence of
Agricultural Science, 1840-1870 (1975) ; Women Scientists in America : Struggles
and Strategies to 1940 (1982) ; Women Scientists in America : Before Affirmative
Action, 1940-1972 (1995).
L es Américaines ont rencontré, jusqu’a une date récente, de grandes
difficultés a entrer dans le domaine de la recherche scientifique.
Certes, a la veille de la Seconde Guerre mondiale, on notait déja des exem-
ples de réussite. Mais c’est surtout grace a la discrimination positive
et aux actions judiciaires qui lui ont donné sa pleine application que les
femmes ont pu, a partir des années 1970, occuper des emplois importants
129
dans I’Université. Des questions ne sont toujours pas résolues : le niveau
des salaires, la nature des responsabilités.
130
Les femmes dans histoire du CNRS
12 remiers développements
En 1939, a l’époque ot! le CNRS
fut créé en France, un certain nombre
de carriéres s’offraient aux femmes
scientifiques aux Etats-Unis. Cependant,
la ségrégation régnait dans un certain
nombre de domaines. De fait, les cur-
sus et par conséquent les carriéres,
savéraient différents selon que lon
était homme ou femme. En 1939, cette
situation ne provoquait pas de contes-
tation, car la possibilité d’entrer dans
les carriéres scientifiques, méme limi-
tée, était le fruit des efforts de nom-
breuses militantes, pionniéres du sié-
cle précédent’. Pendant les années
1930, les femmes se souciaient davan-
tage d’échanger des renseignements et
des conseils sur la maniére de trouver
une place au sein d’un systéme de
recrutement complexe. Dans _ les
années suivantes, et 4 partir de 1939,
de nombreux établissements d’ensei-
gnement supérieur proposaient aux
femmes une formation mais seulement
jusqu’a la licence et pas partout. En
effet, certains et parmi les plus pres-
tigieux leur étaient fermés. C’était le
cas de Princeton, Caltech (California
Institute of Technology), Amherst,
Williams, les académies militaires et
navales, ainsi que la plupart des univer-
sités appartenant 4 l’Ordre des Jésuites.
Toutefois, il existait quelques centai-
nes d’institutions accueillant exclusi-
vement les femmes, dont un grand
nombre était placé sous la tutelle de
religieuses catholiques. La plupart des
universités d’Etat étaient mixtes : dans
le Sud, les universités accueillaient
étudiants et étudiantes dans des éta-
blissements séparés. C’était le cas du
“Mary Washington College”, dépen-
dant de l’université de Virginie et du
“Florida State College for Women”
(université de Floride). La ségrégation
portait aussi, au niveau des études
doctorales, sur les réglements inté-
rieurs particuliers et ce, dans un grand
nombre d’établissements. Certains
n’acceptaient pas du tout les femmes ;
d’autres les acceptaient, mais dans
quelques-uns de leurs départements
seulement. Une grande victoire avait
été gagnée dans les années 1890 avec
Pouverture de la nouvelle université de
Chicago qui était mixte. Ceci avait
poussé d’autres établissements, comme
Puniversité de Yale, 4 s’ouvrir aux fem-
mes. Pour les dirigeants de Yale, cette
nouvelle politique était “juste”, en parti-
culier parce qu’il était A peu prés cer-
tain que les femmes détentrices d’un
doctorat trouveraient des emplois, soit
dans les établissements féminins, soit
auprés du gouvernement fédéral. Les
directeurs de l’université de Yale
cependant se refusaient encore a leur
proposer des postes au sein de leurs
équipes.
Le monde du travail était, lui aussi,
divisé selon le sexe. Les femmes trou-
vaient des emplois dans l’enseignement
et dans des institutions du gouverne-
ment, aux échelons inférieurs, ainsi que
dans des domaines réputés “féminins”,
comme la psychologie de l’enfant et
surtout “les sciences ménagéres”, Home
1. Margaret Rossiter, Women Scientists in America: Struggles and Strategies to 1940 (1982).
Comparaisons américaines. De la ségrégation 4 la “libération”. Et aprés ?
Economics. Cette derniére spécialité,
qui était considérée comme englobant
toutes les questions relatives au foyer
et a la famille, devint bient6t un vérita-
ble “empire”, jouissant d’un finance-
ment considérable provenant du gou-
vernement fédéral et des Etats. C’était
aussi la seule spécialité grace 4 laquelle
une femme pouvait espérer devenir
doyenne ou directrice d’une branche
administrative dans l'une des grandes
universités. Au cours des années 1920
et 1930, d’autres secteurs scientifiques
furent intégrés au domaine féminin : la
bactériologie, étudiée dans les départe-
ments de la santé publique ou les sta-
tistiques, toutes spécialités confondues.
La statistique, pratiquée dans les
bureaux et développée comme science
appliquée, était destinée a servir de
nombreuses agences gouvernementales.
Les emplois fédéraux étaient placés
sous le double contréle de la Com-
mission pour le Fonctionnariat, Civil
Service Commission, et du Congrés. En
1919, en réponse a l’action de plusieurs
groupes de pression féminins, cette
commission accorda aux femmes |’accés
aux examens d’entrée, pour tous types
de postes. Décision importante qui per-
mettait d’éviter les incohérences que
Yon connaissait jusqu’alors, puisque les
femmes, avant cette mesure, pouvaient
rencontrer des obstacles relevant de ces
inégalités. En effet, les chercheuses
pouvaient avoir accés aux emplois trai-
tant des maladies végétales et humai-
nes, mais ne pouvaient pas faire de
recherches sur les maladies animales.
Méme au département fédéral a
Agriculture, US. Department of
Agriculture, USDA, qui comprenait
le Bureau des sciences ménagéres,
Bureau of Home Economics, dirigé par
une diplémée de Yale, Louise Stanley, et
qui employait de loin le plus grand
nombre de femmes scientifiques au
gouvernement fédéral, les femmes
par exemple pouvaient travailler sur
les maladies de la pomme de terre,
mais pas sur celles du tabac. Au cours
des années 1920, d’autres agences
gouvernementales souvrirent aux fem-
mes : la US. Geological Survey, le US.
Public Health Service et le Smithsonian,
organisme assez proche du CNRS,
placée sous l’égide du gouvernement
fédéral. Pendant les années 1930, les
femmes trouvérent aussi des emplois
dans les nouveaux National Institutes of
Health, le National Bureau of Standards,
le Children’s Bureau, le Bureau of Indian
Affairs et le Fish and Wildlife Service ou
Rachel Carson se distingua en tant que
Junior Aquatic Biologist aprés avoir
obtenu sa maitrise.
Dans ces divers services, les possibilités
de promotion offertes aux femmes
étaient souvent restreintes. Ainsi, pour
US. Geological Survey, le travail sur le
terrain était obligatoire pour prétendre
a une promotion, travail interdit aux
femmes. Ces derniéres se cantonnaient
donc a la recherche bibliographique et
travaillaient en bibliothéque, présen-
tant un grand nombre d’ouvrages qui
servaient ultérieurement A tous ceux
qui étaient sur le terrain. Ces femmes
devenaient trés rarement directrices.
Pendant la dépression des années 1930,
131
132
Les femmes dans histoire du CNRS
beaucoup furent bien heureuses de
conserver leur emploi, en dépit du fait
que leur salaire fut diminué et que les
femmes mariées 4 des fonctionnaires,
conformément a la loi Economic Act de
1932, furent licenciées. A époque, un
emploi dans la fonction publique avec des
compensations sociales et un plan de
retraite était considéré comme un bon
emploi.
Il serait intéressant de retracer, en détail,
le parcours de ces femmes. Elles furent
nombreuses a servir avec zéle et dévoue-
ment. Certaines d’entre elles recrutérent
d’ autres femmes, créant ainsi des chaines
d’entraide au sein de ces services.
La Seconde Guerre mondiale
La Seconde Guerre mondiale apporta un
certain nombre de changements, mais
ceux-ci ne durérent pas. Lurgence du
besoin, en personnel technique, permit 4
plusieurs femmes de se distinguer
brillamment dans des spécialités comme
Yocéanographie (Mary Sears), la météoro-
logie (Florence Van Straten) et les mathé-
matiques appliquées (Mina Rees). De
méme, parce que beaucoup d’hommes ser-
vaient sous les drapeaux, d’autres fem-
mes, telle que Cynthia Westcott, spécia-
liste en pathologie des plantes, furent
nommées a des postes auxquels se succé-
dérent d’autres femmes. Cynthia Westcott
travailla sur une maladie qui affectait les
azalées qui poussaient dans le district
dun membre influent du Congress, ce qui
lui valut une certaine renommée’. Entre
1942 et 1946, le nombre total des femmes
scientifiques effectivement employées
passa de 2 412 4 7 746. Ce dernier chiffre
peut, en partie, sexpliquer par le fait
que les postes étaient plus efficacement
comptabilisés, et aussi parce qu’a partir
de 1946, on commenca 4 proposer un
éventail d’emplois plus large. Par ailleurs,
le nombre des femmes scientifiques figu-
rant sur la liste du National Roster passa
de 5 323 en décembre 1941 4 13 408 en
décembre 1945.
Laprés-guerre
1945-1970 fut une étrange période
durant laquelle, aux Etats-Unis, de
nombreuses portes furent intention-
nellement fermées aux femmes, ce qui
ne déclencha que trés peu de protesta-
tions. Les premiéres années, la société
américaine revendiqua un “retour au
foyer”, ce qui obligea les femmes a4
quitter les postes qu’elles avaient
occupés pendant la guerre, soit au gou-
vernement, soit dans l’enseignement,
pour laisser la place aux hommes qui
venaient d’étre démobilisés. Une fois
sorties du systéme, elles le restérent
pour longtemps, malgré le fait qu’a-
prés 1950, les institutions gouverne-
mentales et celles de l’enseignement
connurent une forte expansion en rai-
son, d’une part, de la guerre froide et,
d’autre part, de la nécessité d’instruire
et de former la masse des baby boo-
mers. Les femmes scientifiques et
ingénieures furent néanmoins exclues
des listes de recrutements, bien que le
gouvernement fédéral ait lancé, a l’é-
poque, des appels répétés en faveur de
la formation de scientifiques et d’ingé-
nieurs, afin de satisfaire en urgence
aux besoins nationaux. Ceci eut pour
2. Margaret Rossiter, Women Scientists in America: Before Affirmative Action, 1940-1972 (1995); on pourra aussi consulter
Katharine Broome Williams, Improbable Warriors: Women Scientists and the U.S. Navy in World War II (2002); Cynthia Westcott,
Plant Doctoring is Fun (1957).
Comparaisons américaines. De la ségrégation a la “libération”. Et aprés ?
effet de permettre aux femmes de
recevoir des formations dans la plu-
part des disciplines scientifiques,
mais pas dans tous les domaines
(des réserves persistérent, en effet,
dans quelques activités comme |’océa-
nographie, la sylviculture et lingé-
nierie). Cependant, les dirigeants,
dans les domaines de |’éducation et
de Vindustrie, se refusaient toujours
a engager des femmes. Les agences
gouvernementales, en pleine expan-
sion, furent bien obligées d’en em-
baucher quelques-unes. Cela s’ex-
plique par un
salaire moindre
et une perspec-
tive de carriére
beaucoup moins
prestigieuse que
celle proposée
par les universi-
tés ou les indus-
tries, qui préfé-
raient privilé-
gier les hommes
pouvant pour-
suivre ainsi une carriére scientifique
plus intéressante’.
A la fin des années 1960, une cer-
taine frustration se manifesta, en par-
tie stimulée par le mouvement pour
les droits civiques naissant. Elle
trouva sa pleine expression dans le
mouvement pour la libération de la
femme, si vigoureux qu’il permit a cer-
taines lois d’étre promulguées. En
1972, la nouvelle législation promet-
tait ’élimination de la discrimination
due au sexe et a la race, dans les
domaines de l’éducation et de l’em-
ploi. Elle fut rapidement mise en ap-
plication dans les écoles de médecine,
le service de la santé publique ayant
décrété que tout établissement rece-
vant des subventions fédérales (ce qui
revenait 4 dire presque toutes) per-
drait les fonds qui lui étaient attri-
bués au prorata du nombre de ses élé-
ves, sil s’avérait qu il pratiquait une
forme quelconque de discrimination
due au sexe ou 4a la race. Toutefois,
dans d’autres secteurs, les autorités
fédérales n’exercérent qu’un contréle
minime quant a la
mise en application
de cette mesure et
les femmes se tour-
nérent vers les cours
de justice pour expri-
mer leur mécon-
tentement. En fait,
les femmes, pendant
la décennie 1970,
furent occupées par
les procés qu elles
intentaient contre
leurs employeurs. Pratiquement toutes
les agences gouvernementales et tous
les établissements d’enseignement
étaient en procés. Certaines causes
furent combattues pendant des années.
Certaines affaires avaient pour origine
des griefs individuels retenus contre
administration, d’autres résultaient
d’actions collectives entreprises par des
groupes de pression importants, récla-
mant des changements fondamentaux.
Parmi les affaires les plus célébres, il
faut citer les procés de l’anthropologue
Louise Lamphere, de l’université Brown,
3. Margaret W. Rossiter, ibid.; Katharine Broome Williams, ibid.; Cynthia Westcott, ibid.
133
134
Les femmes dans histoire du CNRS
et celui de la chimiste Shymala
Rajendar de l’université du Minnesota.
Ces deux affaires connurent une cer-
taine célébrité et celui de Rajendar fut
extrémement cofiteux (2 millions de
dollars furent déboursés pour rému-
nérer l’avocat chargé de défendre l’uni-
versité). Lun des derniers procés
concernait mon propre établissement,
Puniversité Cornell, ot le groupe
Cornell Eleven, réunit des femmes
recrutées pendant les années 1970
dans des emplois de rang inférieur et
qui ne parvenaient pas a obtenir leur
titularisation. Elles entamérent leur
action en justice en 1980 et obtinrent
une compensation financiére en 1984.
Depuis 1972, des changements majeurs
se sont produits, au moins en ce qui
concerne les échelons inférieurs. De
trés nombreuses femmes ont pu alors
se former dans toutes les disciplines
scientifiques et dans l’ingénierie, bien
que les pourcentages varient de
maniére importante selon la spécialité.
Les secteurs qui étaient les plus fémi-
nisés en 1970 le sont encore aujour-
@hui : de 15 % dans les années 1970, la
présence des femmes se _ stabilise
actuellement aux environs de 40 %. Les
domaines de recherche ot la présence
des femmes était peu visible en 1970,
cest le cas pour l’ingénierie et la phy-
sique, ont encore les taux les plus bas.
Mais entre les deux, comme dans les
sciences de la terre et de l’agriculture,
on a pu enregistrer des transforma-
tions importantes. I] n’est plus rare de
rencontrer des femmes employées dans
ces secteurs : celles qui étaient entrées
dans les secteurs de recherche comme
la géologie ou l'industrie du pétrole a la
fin des années 1970, sont restées jus-
qu’au milieu de la décennie suivante et
pendant le choc pétrolier. Depuis lors,
avec les fusions et les licenciements, un
certain nombre d’entre elles ont été
contraintes de proposer leurs services
au titre de consultantes indépendantes.
Presque toutes les femmes scienti-
fiques sont sous-payées. Les statis-
tiques salariales les plus poussées se
sont concentrées essentiellement sur
les chimistes (en partie parce que le
Comité des femmes de la Société
américaine pour la chimie, longtemps
présidée par la défunte Nina Roscher,
a encouragé et aidé cet effort). Dans
ce secteur, les différences de salaires
entre les hommes et les femmes
augmentent avec les années de ser-
vice, et les femmes plus Agées, celles
qui étaient déja employées au moment
ou commencait le mouvement pour la
libération de la femme, n’ont jamais
rattrapé leur retard. Les seules excep-
tions se rencontrérent pendant un
temps parmi les femmes ingénieures
nouvellement engagées, lorsque les
employeurs — le plus souvent des
entreprises ayant obtenu des marchés
publics fédéraux — se trouvaient dans
Vobligation d’engager des femmes aux-
quelles ils devaient accepter de verser
un salaire de départ plus important et
donc hors normes. Mais cet avantage
fut de courte durée et s’estompa pro-
gressivement au fur et A mesure qu’un
plus grand nombre devenaient cadres.
Comparaisons américaines. De la ségrégation a la “libération”. Et aprés ?
En fait, au cours des années 1980, on
s’est apercu que des pourcentages
extrémement élevés de femmes ingé-
nieures et spécialistes en géosciences
abandonnaient leurs postes scienti-
fiques et techniques, en dépit des
avancées réalisées dans ces secteurs
non traditionnels alors méme qu’elles
s’étaient Aprement battues pour les
conquérir. Certaines sociétés mirent
alors en place de nouveaux program-
mes en ressources humaines pour
aider leur personnel dans les démé-
nagements, la garde des enfants, la
recherche d’un emploi pour le conjoint
et pour favoriser la mise en place de
programmes de formation et de conseil
aux responsables, pour tout ce qui
touchait aux relations interraciales.
Bien que le total des femmes scienti-
fiques effectivement employées ait
grandement augmenté et atteigne
aujourd’hui un taux jusqu’a présent
inégalé, et, bien que l’éventail des sec-
teurs ot elles sont présentes n/’ait
jamais été aussi large, il apparait
cependant que peu d’entre elles par-
viennent encore aux échelons supé-
rieurs. Le plafond de verre, expression
datant de 1986, montre qu’une ségré-
gation hiérarchique persiste a la fois
dans les universités, ot. relativement
peu de femmes parviennent au grade
de professeur, et dans les agences gou-
vernementales quelque peu fémini-
sées, comme l'Institut national de la
Santé, ot la plupart d’entre elles ne
dépassent pas l’indice GS 14 (GS :
General Schedule, échelle de promo-
tion allant de 0 a 22, ndt).
Encore récemment, il aurait été vrai
de dire que le gouvernement a accueilli
davantage de femmes scientifiques et
bien plus que ne l’ont fait les établis-
sements d’enseignement. Les présidents
Richard Nixon, Jimmy Carter, George
Bush et Bill Clinton ont tous désigné
des femmes pour diriger l’ancienne
Commission a l’énergie atomique, le
département du Commerce, |’énorme
département de la Santé et des
Services humains, le département a
Energie, les Instituts nationaux de la
Santé, et actuellement la Fondation
nationale pour la Science.
Mais au cours des deux derniéres
années, des universités ont fait encore
mieux. Luniversité de Princeton, qui
n’a admis les étudiantes qu’en 1969, a
élu 4 sa présidence la premiére femme,
Shirley Tighman, spécialiste en biolo-
gie moléculaire ; au printemps 2002,
Puniversité de lTllinois a élu chan-
celiére la psychologue Nancy Cantor
et Puniversité du Michigan a choisi la
biochimiste Mary Sue Coleman comme
présidente. Il reste a savoir si ces fem-
mes auront la possibilité de réaliser
d’autres changements et de dépasser
une politique de pure forme, pour ainsi
briser le plafond de verre. D’anciens
éléves de Princeton ont déja émis des
critiques quant 4 la nomination par
Tighman d’une femme provost et de
deux doyennes.
Conclusion
Il ressort de tout ce qui précéde que les
femmes scientifiques américaines ont su
tirer parti des nombreuses opportunités
135
136
Les femmes dans histoire du CNRS
que leur ont offertes leurs prédécesseurs,
des hommes et des femmes, au cours
des deux derniers siécles, depuis les
pionniers de la cause qui ont créé
les universités jusqu’aux leaders du
mouvement pour la libération de la
femme du début des années 1970. Au
cours des trente derniéres années, le
nombre des femmes diplémées n’a
jamais été aussi élevé. Ce sont des
femmes qui s’engagent dans des sec-
teurs professionnels trés variés, y com-
pris en médecine, secteurs qui leur
étaient auparavant fermés. En raison
de la pression exercée par le gouver-
nement en faveur de la discrimination
positive dans le secteur de l’emploi,
elles ont pu s’introduire dans les éche-
lons inférieurs des professions. Peu
d’entre elles sont allées trés loin ; les
rangs intermédiaires se sont gonflés
considérablement, alors que des insti-
tutions fusionnaient et se réorganisaient.
Les femmes sont prises au piége d’un
mouvement perpétuel, un peu 4a la
maniére de Zénon et de son paradoxe :
elles avancent le long d’une chaine qui
ne cesse de s’allonger, évoluant d’une
situation de niveau moyen a une
autre, et n’atteignant presque jamais
les sommets. Lorsque 1’on disposera de
données plus précises pour analyser
plus particuliérement ce phénoméne,
étude qui, pour le moment, se limite
au recensement du nombre de diplémes
attribués aux femmes, alors la colére,
levier nécessaire pour provoquer la
prochaine vague de libération de la
femme, pourra se mettre a gronder.
Femmes et responsabilités
au CNRS : réflexions
sur des récits de parcours
“TMprObables” par catherine Nave
Catherine Nave a suivi des études de sociologie et d’économie 4
V'université de Nanterre et a été éléve a l’Ecole normale supé-
rieure de Cachan. Auteure d’un mémoire de DEA sur la réduc-
tion du temps de travail dans un service d’ingénieurs d’EDF, elle
est, depuis 2000, professeure agrégée de sciences économiques et
sociales dans un lycée de Noisy-le-Sec, en région parisienne.
L e plafond de verre : terme qui en dit long sur I’impossibilité des
femmes de sciences a passer dans les sphéres supérieures de la
structure décisionnelle. Le choix s’avére difficile entre vie de famille et
recherche. Catherine Nave fait part des hésitations des chercheuses qui
témoignent des difficultés et des incohérences du systéme mis en place.
Faut-il accepter la discrimination positive et les quotas, remettant ainsi
137
en cause les compétences ? Et si les blocages se manifestaient de
maniére plus sournoise, et si la structure méme du CNRS empéchait
toute progression des femmes dans cette vénérable institution ? Telles
sont les questions essentielles posées par Catherine Nave.
* Merci a celles qui ont bien voulu me rencontrer et a celles qui m’ont aidée : Déborah Bensoussan, Helena Hirata, Catherine Marry,
Frangoise Pujol et Daniéle Senotier.
138
Les femmes dans histoire du CNRS
n 1997, pour la premiere fois,
0 une femme est nommée au
CNRS au poste de directrice
générale Catherine Bréchignac.
Genevieve Berger lui succédera en
2000. Ce constat laisse penser que les
femmes peuvent accéder a des postes a
responsabilité au CNRS. Or, affirmer
cela n’est ni évident, ni anodin.
En effet, les structures sexuées de la
société francaise et, en son sein, de
la recherche font peu de place 4 I’as-
cension professionnelle des femmes.
Nous ne résumerons pas ici la littéra-
ture sociologique concernant la place
des femmes, mais quelques rappels
statistiques permettront de situer
notre propos.
En France, en 1999, il y avait 178 000
chercheurs dont 25 % de femmes, ce
taux de féminisation grimpant a 30 %
dans la recherche publique’.
Le CNRS compte 25 003 agents dont
42,25 % de femmes, répartis dans deux
corps : 11 409 chercheurs dont 30,34 %
de femmes, et 13 594 ITA dont 52,6 %
de femmes’. Mais le taux de féminisa-
tion varie selon les disciplines (la part
des femmes est plus importante en
SHS et en SDV que dans les autres
départements). Plus on grimpe dans
léchelle des grades, moins on trouve
de femmes. Plusieurs recherches (mili-
tantes ou non) ont montré que les fem-
mes accédaient plus tard (en considé-
rant l’Age, mais aussi l’ancienneté) et
en moins grand nombre que les hom-
mes aux grades les plus élevés*. Enfin,
elles sont rares 4 accéder a des postes
a responsabilité, que ce soit dans l’ad-
ministration, la direction ou l’évalua-
tion de la recherche. Sur 18 déléga-
tions régionales, 6 sont dirigées par
des femmes. Au sein des 8 directions
scientifiques, 1 seule était dirigée par
une femme au moment de l’enquéte’.
Sur 31. directeurs scientifiques
adjoints, 6 étaient des femmes. Seuls
10,6 % des laboratoires sont dirigés
par des femmes. Actuellement, au
Comité national, 14,6 % des sections
sont présidées par des femmes alors
qu’a peine plus d’un quart des mem-
bres sont des femmes.
Qui sont ces femmes qui occupent des
postes 4 responsabilité, qui ont fait ces
“carriéres improbables” (selon
Catherine Marry, 1991 et 1999*) ? Qui
sont-elles, ces femmes qui ont franchi
le plafond de verre, ce dont témoignent
les quelques données qui précédent,
pour se retrouver dans des univers
traditionnellement masculins ? Qui
sont-elles, ces femmes qui ont “trans-
gressé les frontiéres de leur réle social
de sexe prescrit”> ?
Leur présence a des postes de pouvoir,
si elle témoigne du fait que de tels
parcours sont possibles, ne doit pas
faire oublier que “la situation de
femme en situation de pouvoir
demeure une transgression”. Les étu-
des sur ces femmes aux parcours
improbables dans plusieurs domaines,
tendent a4 souligner une sursélection ’,
mais aussi les conflits de réles *
qui peuvent se produire entre vie
professionnelle et vie familiale (nous
entendons ici la vie familiale au sens
Ministére de la Recherche, 2002.
CNRS, Bilan social 2000.
Cette enquéte a eu lieu de mai a aotit 2002.
Erika Apfelbaum (1995).
Heléne-Yvonne Meynaud (1995).
Voir notamment les trois auteures citées précédemment.
Anne-Marie Devreux (1984).
Se reporter a la bibliographie page 148.
FONOO A OM
Anne-Marie Daune-Richard (2000, 2001), Marie-Claude Hurtig (2002) mais aussi Christine Bernard (1997).
Femmes et responsabilités au CNRS : réflexions sur des récits de parcours “improbables”
large : vie amoureuse, vie conjugale,
relations aux parents et aux enfants).
La possibilité de faire carriére est
alors, en partie, fonction de la capacité
a résoudre ce conflit, capacité qui ne
dépend pas seulement des individus
mais aussi des structures sociales
dans lesquelles ils/elles évoluent.
Comment, dans ce cadre, ces femmes
ont-elles fait ces carriéres ? Comment
les vivent-elles ? Nous essaierons de
rendre compte de la maniére dont
quelques-unes nous ont parlé de leur
carriére et de nos interrogations sur
ces entretiens, interrogations infor-
mées par la sociologie du travail croi-
sée avec la sociologie de la famille’, et
notamment du travail des femmes et
du travail des cadres.
Caractéristiques
des femmes rencontrées
Pour réaliser cette enquéte, nous
avons rencontré 9 femmes qui exer-
cent ou ont exercé des responsabilités
fortes au CNRS ”. Elles sont direc-
trices de services administratifs, direc-
trices scientifiques ou directrices
scientifiques adjointes, déléguées
régionales, directrices d’institut, secré-
taires générales d’instance d’évalua-
tion, présidentes de section du Comité
national.
La plupart sont nées dans les années
1940 et 1950 et, parmi ces femmes,
seules deux n’ont pas eu d’enfants.
Elles sont issues de milieux sociaux
différents : celles qui font partie du
corps des chercheurs sont issues de
familles d’enseignants, voire de profes-
seurs des universités ou de cher-
cheurs. Elles viennent aussi des clas-
ses moyennes ou intellectuelles supé-
rieures et, pour la plupart, leur mére
travaillait et a fait des études. Pour
ces femmes, la socialisation familiale
peut avoir joué un réle important dans
leur carriére : elles connaissaient le
travail scientifique et ont bénéficié
d’un double soutien parental et d’une
éducation égalitaire, selon le sexe, ce
qui peut contribuer a atténuer le cotit
de la transgression que comporte habi-
tuellement une carriére comme la leur.
“Jétais ’ainée, mais mes parents
sont tous les deux scientifiques (...)
Premiérement, je voyais des fem-
mes qui travaillaient et deuxiéme-
ment, c’étaient plutét des carriéres
scientifiques .”"
Celles qui appartiennent au corps des
ITA sont plus souvent originaires de
milieux plus populaires dans lesquels
le travail et les études pour les fem-
mes n’étaient pas toujours une évi-
dence. Ces femmes occupant des pos-
tes administratifs a responsabilité ont
aussi la caractéristique d’avoir été ou
d’avoir eu l’opportunité de faire de la
recherche et elles ont souvent hésité
entre les deux carriéres.
Il semble qu’elles aient toutes été
disponibles pour une carriére : elles
avaient dans l’esprit que cela devait
étre possible pour une femme et qu’el-
les en avaient sans doute les ressour-
ces. Or, nous le verrons, cette disponi-
bilité d’esprit est importante.
9. Pierre Tripier (1997).
10. Nous les avons rencontrées sur leur lieu de travail actuel pour des entretiens qui ont duré entre une heure et une heure trente, parfois un peu plus.
Lentretien portait essentiellement sur leur carriére au CNRS, méme s’il a aussi été question de leurs études, et nous avions le souci de les amener a
articuler leur vie professionnelle et leur vie extra-professionnelle, notamment a travers la question de l’articulation des différents temps sociaux (voir
Annette Langevin (1987, 1994) et Catherine Nave (2001) en ce qui concerne les enjeux de I’articulation des temps sociaux pour analyser des carriéres).
11. Nous avons inséré quelques extraits de nos entretiens ; cependant, il nous est impossible de préciser les fonctions ou d’autres caractéristiques
des personnes citées. En effet, ces femmes a responsabilité au CNRS sont peu nombreuses et donner des précisions pourrait permettre une
identification pour certaines d’entre elles, ce qui contreviendrait a l'anonymat requis par notre démarche.
139
140
Les femmes dans histoire du CNRS
Les ressorts de la carriére
En effet, dans leurs récits évoquant leur
carriére ’ et pour en expliquer les gran-
des étapes, elles commencent en disant
qu’on leur a demandé si elles le vou-
laient et si cela les intéressait. Cette
logique de l’appel de quelqu’un d’autre,
de la réponse 4 une proposition alors
qu’elles n’avaient rien demandé est sys-
tématique. La seule qui raconte avoir
postulé spontanément une fois, raconte
aussi que c’est le poste, la mobilité qui
lui ont été refusés. Ainsi font-elles des
carriéres “a l’aveuglette” : il n’y a pas de
stratégie, pas de plan de carriére établi
a priori. Elles racontent avoir saisi des
opportunités qui leur étaient proposées
par leur entourage professionnel. A cet
égard, leur propos est similaire 4 ceux
des pionniéres en politique, tel que le
décrit Erika Apfelbaum (1995).
A la question : “Et qu’est-ce qui vous
avait amenée a vous présenter pour
le mandat précédent, pourquoi vous
aviez voulu...” La réponse : “Parce
qu’on m’a demandé... eh bien... c’était
trés curieux, et c’est toujours arrivé
comme ¢a. La premiere fois, en 85,
on m’a demandé de m’inscrire sur la
liste électorale d’un syndicat dont je
n’étais pas adhérente d’ailleurs et...
jai dit : “Si ca ne vous géne pas, moi
ca ne me pose pas de probléme”,
jai été élue ; ca a été la méme chose
la derniére fois... et puis 1a, j’ai
été nommée, donc on m’a juste
demandé... si j’accepterais d’étre
sur une liste, d’étre présentée,
ensuite j'ai été retenue... donc je
n’ai jamais rien demandé.”
Cette absence de stratégie peut trouver
une confirmation dans le fait que, parmi
les chercheuses, la volonté et l’exercice
de cette volonté de retourner a la
recherche, quel qu’ait été leur niveau de
responsabilité, sont forts.
Reste a expliquer cette bienveillance
qui les a menées a des postes a forte
responsabilité.
Il ne faut pas négliger le fait que ces fem-
mes ont souvent réalisé des parcours dits
d’excellence, aussi bien pendant leurs étu-
des que tout au long de leur vie profes-
sionnelle. Elles sont nombreuses a racon-
ter avoir fait feu de tout bois et le discours
sur la nécessité d’étre une “battante” est
récurrent. Il faut aussi se souvenir de nos
remarques sur leur socialisation qui leur
a permis d’accepter des propositions.
Le poids des propositions et des rencon-
tres au cours de leurs récits ne pouvait
que nous faire penser a l’hypothése du
mentor. En d’autres termes, ces femmes
ont-elles fait carriére grace a l’interven-
tion d’une personne qui les a aidées,
poussées et suivies dans leur carriére ?
Cette hypothése de limportance d’un
mentor, plus que du réseau de relations
professionnelles, est souvent avancée
pour analyser les carriéres profession-
nelles des femmes *. La présence d’un
tel mentor n’est pas toujours visible
dans tous les entretiens. Seules deux
femmes racontent les étapes de leur car-
riére en mettant au centre l’intervention
d’une personne qui les guide, les pousse
ou les recrute. Dans les deux cas, ce
sont des hommes qui jouent ce réle et
ce, assez tot et pendant longtemps au
12. Notre réflexion porte sur des représentations et des récits et non pas sur des pratiques et une observation extérieure de
leur carriére : nous partons de ce qu’elles racontent.
13. Pour une définition du mentoring voir : Angela Febbraro, lan Lubek et alii (1996) ; ils ne limitent pas ce phénoméne a
analyse de la carriére féminine et pour notre part, cette influence n’est pas éclatante dans les entretiens.
Femmes et responsabilités au CNRS : réflexions sur des récits de parcours “improbables”
cours de la carriére. Cette influence peut
impliquer une mobilité géographique
importante, mais surtout, une mobilité
professionnelle rapide : intervention
nest pas permanente mais lorsqu’elle
survient, les effets sont rapides. Ainsi,
dans ces deux récits, c’est le conseil et/ou
Yappel de ce mentor qui déclenchent un
changement de poste comme le fait de
présenter un concours, le plus souvent
pour accéder a davantage de responsabi-
lité et de reconnaissance statutaire.
Linfluence porte aussi sur la maniére
d’exercer son métier et de lui donner
sens. Ainsi, dans ces récits, le mentor
tient une place centrale et parfois, au
moment de raconter un changement de
poste, ces femmes ne commencent pas
par parler d’elles, mais de lui : le ressort
est 14, au moins en partie.
Cependant, elles reconnaissent souvent
que cela ne suffit pas : entre la reconnais-
sance spontanée des qualités et le men-
tor, la vie au travail fournit d’autres voies
pour faire carriére. Ainsi, dans les autres
entretiens, si les évolutions de carriére
peuvent et sont souvent associées par ces
femmes A des rencontres avec des per-
sonnes qui marquent leur parcours, ce
nest plus une personne en particulier qui
est au coeur de la dynamique de leur car-
riére. Dans ce cas de figure, on se rappro-
che plutét du réle des réseaux profes-
sionnels : il faut connaitre et étre connu
dans un milieu pour y faire carriére.
Cependant, construire ce réseau n’est pas
chose facile, notamment parce que le plus
souvent, il se construit en marge du tra-
vail prescrit : cest dans le cadre de la
convivialité entre pairs ou dans des acti-
vités, certes professionnelles, mais qui ne
sont pas au coeur du métier. Or cela sup-
pose souvent d’allonger les heures de pré-
sence sur les lieux de travail.
“On peut étre trés brillante cher-
cheuse pour accéder aux responsabi-
lités, mais au fond, 14 ot: les hommes
prennent plus le pouvoir, je dirais que
cest presque en dehors des heures
strictement de travail. C’est le fait de
pouvoir trainer tard le soir, donc on
se rencontre entre hommes, etc. Le
fait d’aller 4 beaucoup de réunions,
alors que les femmes, elles, font bien
leur travail, mais tout ce qui est
de temps libre, c’est la famille et
les enfants. Au fond, c’est cet espace
la que les hommes investissent et
cest la ot ils se font connaitre, etc. et
cest comme ¢a qu’on accéde aux
responsabilités.”
En ce sens, cela favorise les hommes “ :
compte tenu de l’assignation prioritaire
et encore dominante dans notre société
du travail domestique et parental aux
femmes, il est plus difficile pour une
femme de participer 4 ces a-cétés du
travail dans lesquels se forgent les
réseaux qui permettent de faire carriére :
réunions tardives pour construire des
projets de développement industriel par
exemple, réunions tét le matin, notam-
ment aux heures ot il faut accompagner
les enfants 4 l’école, sorties au restaurant
pour faire le bilan d’un projet, d'une
recherche ou d’un colloque... La présence
a ces moments témoigne non seulement
dune disponibilité qui fait que l’on parait
capable d’assumer des responsabilités
souvent chronophages, mais elle permet
14. Voir notamment Jacqueline Feldman (1992) et Catherine Nave (2001).
141
Les femmes dans histoire du CNRS
aussi d’étre connu en dehors de son
bureau, de son laboratoire et de son
travail de recherche qui s’effectue
parfois en solitaire.
Une carriére en “neutralisant”
la famille ?
Pour comprendre la carriére de ces
femmes, on doit donc se situer aux
confins de la vie professionnelle et de la
vie extra-professionnelle, 4 l’articulation
de différents temps et espaces sociaux.
Annette Langevin (1987 et 1994) a sou-
ligné, depuis long-
temps, les enjeux de
cette synchronisa-
tion et notamment
les enjeux sexués.
En effet, cest aux
femmes que, sociale-
ment, il revient d’as-
surer cette synchro-
nisation lorsqu’elles
ont fondé une
famille, notamment
parce que le travail domestique leur est
prioritairement assigné. Or, cette charge,
si elle est mentale“, imprime aussi une
contrainte forte sur la forme et le
contenu des différents temps sociaux.
Ainsi, nous avions constaté que le temps
de travail professionnel des ingénieures
ayant un compagnon et/ou des enfants
nétait pas équivalent a celui de leurs
collegues masculins avec la méme con-
figuration familiale. I] était plus dur
pour les ingénieures d’avoir des horaires
importants et, notamment, de pour-
suivre leur activité professionnelle sur
leur lieu de travail au-dela de 17 ou 18
heures du fait de l’obligation (due a l’or-
ganisation du travail domestique et
parental) d’aller chercher les enfants a
lécole et de trouver encore quelques
commerces ouverts pour assurer l’appro-
visionnement du domicile. A linverse,
les hommes étaient plus libres de pour-
suivre leur travail le soir, d’accepter des
réunions tardives, dans la mesure ou
leur participation éventuelle au travail
parental ou domestique se limitait au
matin et donc démarrait leur journée
de travail.
Du fait des réflexions
qui précédent, ces
femmes apparaissent
comme une “bizar-
rerie” sociologique.
Comment font-elles,
comment ont-elles
fait pour travailler
autant ? Et ce, tout
en ayant pour la
plupart des enfants ?
a Dans le _ discours,
mais aussi dans la pratique (car dans ce
domaine, nous avons pu recueillir
quelques récits de pratiques plus
détaillés), elles “neutralisent” la famille
ou du moins ses effets sur la sphére
professionnelle. En employant le verbe
neutraliser, nous pourrions laisser pen-
ser qu’elles appliquent des stratégies
dans le but de pouvoir faire carriére.
Mais ce n’est pas cela que nous enten-
dons. Ici, il s’agit de constater que les
femmes que nous avons rencontrées
sont parmi celles qui ont pu limiter l’ef-
fet de la sphére familiale sur la sphére
professionnelle. On retrouve ici certai-
15. Monique Haicault (1984).
Femmes et responsabilités au CNRS : réflexions sur des récits de parcours “improbables”
nes réflexions menées par Jacqueline
Laufer 4 propos des femmes cadres
(1982), certaines reprenant presque mot
pour mot l’expression de “féminité neu-
tralisée” : pour faire carriére, elles ont
perdu un des attributs de la féminité
quest lassignation du travail domes-
tique et parental aux femmes. Lune de
nos interlocutrices (présidente de sec-
tion au Comité national) évoque ainsi
ses collegues femmes ayant des respon-
sabilités :
“Si elle est 14, de toute maniére, cest
quelle a neutralisé sa... la variable
sexe. Je dirais, pour arriver a ¢a, il faut
que, elle aussi, elle ait... elle ait fait
quelque chose en amont qui fait
quelle n’ait pas par exemple accepté...
euh... peut-étre que ¢a fait une sélec-
tion aussi des personnalités, c’est-a-
dire les femmes qui ne se sentent pas
tiraillées entre des exigences, ma
famille d’un cété et le travail de
Yautre, dés qu’on nest plus tiraillée,
finalement vous n’avez plus un compor-
tement féminin, dune certaine maniére ;
cest pas pour dire que les femmes qui
viennent sont plus masculines”.
Par certains aspects, ces entretiens de fem-
mes cadres dirigeantes, ressemblaient a
nos entretiens avec les hommes ingé-
nieurs, cadres dirigeants ou non, rencon-
trés 4 EDF : si nous ne posons pas la ques-
tion du hors travail, de la famille, celle-ci
peut ne pas intervenir dans le cours d’un
entretien unique et assez court qui porte en
partie sur le travail professionnel, se
déroule sur le lieu de travail et, qui plus est,
a la demande de Institution pour laquelle
elles travaillent. Lorsque ce théme est
abordé, elles développent peu et revien-
nent, rapidement et d’elles-mémes, 4 des
aspects plus strictement professionnels.
En termes de pratique racontée, cette
neutralisation se manifeste de plu-
sieurs maniéres qui ne sont pas exclu-
sives les unes des autres et peuvent se
succéder ou s’articuler au cours de la vie
professionnelle et familiale.
Certaines parviennent 4 des postes a
responsabilité 4 un moment ot leur
famille ne contraint pas leur temps : elles
n’ont pas d’enfant et leur compagnon ou
conjoint n’a pas d’exigence temporelle,
notamment parce qu'il partage avec elles
le fait de travailler beaucoup. Elles tra-
vaillent et donc résident la semaine loin
de leur famille (elles racontent leur vie de
célibataire pendant la semaine de travail
et se permettent ainsi de rester parfois
trés tard au bureau). Dans le cas ot elles
ont des enfants, ceux-ci sont désormais
grands et dans ce cas, ils n’ont pas besoin
du méme type de présence et requiérent
aussi moins de temps’*. Mais dans tous
les cas et surtout dés lors qu’il y a des
enfants, et notamment des enfants en
bas Age, elles externalisent fortement le
travail domestique et éventuellement
parental. Elles ont recours assez massi-
vement aux services d’une femme de
ménage, prennent souvent leur repas en
dehors de leur domicile, afin de réduire le
temps de course, de préparation et de
vaisselle..., et lorsqu’il y a des enfants,
plusieurs ont eu recours, non pas au
baby-sitting, mais 4 Pembauche d’une
personne qui s’occupe des enfants et du
domicile, pour des durées assez longues
chaque jour et extensibles en soirée. Ce
16. Certaines ont ainsi affirmé que pour faire carriére, le mieux est d’avoir ses enfants tdt. lls deviennent plus autonomes
relativement tot dans la vie professionnelle de leur mére, ce qui libére cette derniére pour son déroulement de carriére. Ce
phénomeéne - les femmes entament leur ascension professionnelle quand les enfants sont plus autonomes - explique, pour
une part, et ce, depuis longtemps, le retard de carriére des femmes cadres par rapport a leurs collegues masculins.
143
144
Les femmes dans histoire du CNRS
systeme de garde d’enfant étendu, qui
suppose des ressources financiéres et/ou
relationnelles importantes, leur permet
une souplesse dans leur temps de travail
et les libére d’une grande partie du tra-
vail domestique et parental ne conser-
vant que le temps de jeu et de discussion
avec leurs enfants. La mise en place d’un
tel systéme intervient souvent trés tét
aprés la naissance et permet éventuel-
lement de revenir au travail peu de
temps aprés l’'accouchement.
Ce n’est pas tellement la fréquence de
ces récits de pratique qui surprend mais
labsence totale de sentiment de culpabi-
lité qui s’impose pourtant si souvent
socialement ou l’inexistence de moments
de tensions avec le compagnon (toujours
formidable et exceptionnel, qui accepte
leur organisation domestique et leur
carriére et qui participe aux travaux
domestiques et parentaux restants) ou
avec les enfants. Deux femmes seule-
ment font part de remarques de la part
du milieu familial ou amical, mais elles
refusent de l’endosser. Pour l'une d’entre
elles, il lui apparait clairement, comme a
son entourage, que c’est bien 1a l’origine
de son divorce. Pour tenter de compren-
dre cela, on peut avancer deux hypothé-
ses. Ce refus de la culpabilité, malgré les
tentatives pour la leur imposer, peut,
dans un premier temps, étre assimilé a
une stratégie de défense, au sens donné
par Christophe Dejours (1998) : c’est le
seul discours sur larticulation des
temps sociaux qui permette de tenir sur
le long terme. Mais, dans un second
temps, on peut aussi penser qu’effecti-
vement, le projet familial est soumis
avec conviction a la carriére, et qu’elles
y parviennent grace a leur socialisation,
et qu’effectivement leur mari apporte
un soutien qui, méme limité, est plus
important que la moyenne sociale et
apparait donc comme formidable. Deux
ressources qui atténueraient le conflit
de réles.
Le discours conforme
Nous venons de nous interroger sur un
premier type de discours conforme que
nous avons constaté et qui porte sur la
famille et larticulation entre sphéres
professionnelles et non professionnelles
pour ces femmes qui travaillent beau-
coup. Mais nous avons rencontré une
autre forme de discours conforme qui
porte sur la reconnaissance des compé-
tences et la place des femmes au sein de
institution.
Ainsi, la plupart des femmes rencon-
trées, et notamment celles qui appar-
tiennent au corps des chercheurs, nient
lexistence de différences entre hom-
mes et femmes dans l’institution : les
compétences des femmes sont aussi
reconnues que celles des hommes, le
sexe ne faisant aucune différence dans
la maniére d’exercer son _ travail.
Certes, il y a moins de femmes que
d’hommes qui accédent aux grades les
plus élevés, mais cela s’explique par le
choix d’un engagement moindre et par
un manque de confiance en elles qui
font qu’elles n’osent pas et ne vont pas
de l’avant ; elles doutent trop de leurs
capacités et n’acceptent pas toujours
les propositions qui leur sont faites.
Ici, absence de femmes aux postes a
Femmes et responsabilités au CNRS : réflexions sur des récits de parcours “improbables”
responsabilité est essentiellement due
au comportement des femmes en tant
quindividus et cela ne signifie pas
qu'il y a une inégalité de chances, selon
le sexe, dans l’organisation. Dans le
cadre de ce discours basé sur le mérite,
beaucoup refusent la féminisation des
noms de métiers, insistant sur le fait
que, dans le cadre professionnel, ce qui
compte, c’est la fonction que l’on exerce
et non le sexe de la personne qui
occupe le poste.
“Je ne ferais aucune différence entre
les hommes et les femmes... pour les
gens qui occupent des positions équi-
valentes, ils font le méme travail.
J’crois que... c’est... le sexe n’a abso-
lument aucune incidence sur la
maniére de faire puisque, en fait,
nous sommes formatés avec notre
activité professionnelle, c’est-a-dire
que les gens sont interchangeables,
homme, femme, quel que soit lage,
Cest-a-dire qu’a un moment donné,
les gens sont interchangeables.”
Elles sont tout aussi réservées quant a
une politique de discrimination positive
ou d’instauration de quotas : il faut lais-
ser le temps au temps.
Cependant, deux chercheuses (dont une
est déléguée régionale) et les deux ITA
parlent d’inégalité de chance et de trai-
tement entre les hommes et les femmes
et soulignent le poids des structures
sociales (au sein du CNRS, mais aussi
en ce qui concerne les normes de sexes
et les modalités de synchronisation
des temps sociaux) constituant ainsi des
sources de blocages en défaveur des
femmes : moindre disponibilité tempo-
relle — notamment aux moments ot
se construit le réseau professionnel effi-
cace en termes de carriére — , moindre
confiance en elles.
Pour celles-ci, le plafond de verre est
lié a ces déterminations sociales qui
pesent sur les femmes. Mais quelques-
unes pensent qu'il résulte aussi d’une
évaluation inégalitaire du_ travail
selon le sexe. I] s’agit non seulement
de l’évaluation par les sections du
Comité national et des concours de
recrutement, mais aussi de l’évalua-
tion faite par ceux et celles — c’est-a-
dire les femmes ayant ce type de
responsabilité contribuant a cette dis-
crimination de fait — qui proposent des
noms pour les postes 4 responsabilité :
ace stade, spontanément, personne ne
pense 4 une femme. I faut une incita-
tion, ou une conscience particulié-
rement éveillée sur cette question, et
notamment sur les mécanismes incons-
cients qui laissent les femmes dans
Voubli et qui agissent a notre insu. Car
ces témoignages critiques n’accusent
pas linstitution de discrimination
volontaire, mais refusent de ne faire
reposer que sur les individus le main-
tien du plafond de verre.
On ne pense pas aux femmes parce
qu’elles sont moins souvent présentes
dans des réseaux professionnels
importants, mais aussi parce qu’on
anticipe une disponibilité moindre que
celle des hommes. Sur ce dernier
point, le poids des représentations
concernant la famille et le réle sociale-
ment prescrit aux femmes demeure
145
146
Les femmes dans histoire du CNRS
important. Pour celles qui adoptent
cette lecture, il convient de sensibiliser
tous les acteurs pour que les femmes
s’autocensurent moins et pour que
plus de portes leur soient ouvertes.
Lautre dimension de ce discours
conforme, relatif 4 la place des hommes
et des femmes au CNRS, porte sur
lexistence d’un comportement de miso-
gynie ordinaire, au sens ow Philippe
Bataille parle de racisme ordinaire.
Pour celles qui adhérent au discours
conforme, ces comportements sont rares
elles entendent “Bonsoir messieurs”, on
ne les salue pas ou bien on s’adresse 4
elles comme si elles étaient la secrétaire
de l'un des hommes ou la préposée au
café. La séance de présentation se dou-
ble alors d’une séance d’étonnement.
C’est ce que décrivent les deux délé-
guées régionales rencontrées :
“C’est des comportements extraordi-
naires, des comportements ow quel-
quun rentre dans la salle, il y a... il y
a 20 messieurs et moi, c’est “Bonjour
messieurs”, cest les mains serrées des
hommes et puis,
et elles n’en sont
pas la cible. Tout
au plus regrettent-
elles l’attitude de
prévention adop-
tée par des collé-
gues masculins
sinquiétant sou-
vent de leurs capa-
cités a assumer
leur tache.
ih
Les plus critiques
sont aussi celles qui racontent avoir été
cibles ou témoins de comportements
misogynes. Les récits les plus fréquents
ont trait au déroulement des réunions
et aux rencontres avec des hommes
avec lesquels elles ne travaillent pas au
quotidien. Ces comportements semblent
d’autant plus marqués que les femmes
occupent des fonctions administratives.
Lors de réunions, dont elles sont des
participantes importantes, notamment
lorsqu’en tant que déléguées régionales,
elles représentent le CNRS auprés des
universités ou des conseils régionaux,
Cest-a-dire que je
suis identifiée, ca
mest arrivé vrai-
ment, hein... et trés
récemment, c’est-a-
dire que je suis
identifiée immé-
diatement comme
la secrétaire, enfin
jimagine la quan-
: i tité négligeable qui
va prendre des
notes parce que je suis une femme et...
ca cest... cest dailleurs assez violent,
hein !”
“Lorsque, souvent on arrive a des
réunions, on ne se connait pas, c’est-
a-dire qu’on sait quil va y avoir
Monsieur, enfin le responsable ou le
représentant de tel et tel établisse-
ment, mais on ne sait pas qui est qui.
Et alors cest trés amusant, la plu-
part du temps, lorsque les gens arri-
vent, les hommes arrivent, ils ne me
disent jamais bonjour, ils pensent que
je suis une secrétaire, ou la dame qui
Femmes et responsabilités au CNRS : réflexions sur des récits de parcours “improbables”
doit apporter le café et quand quel-
qu'un dit “Ben tiens ! je te présente
Madame B” [elle-mémel, alors 1a, ils
ont lair “Ah ! excusez moi, je vous
avais pas vue”, ils m’ont marché des-
sus avant, mais 1a, ils se rendent
effectivement compte que je suis 1a et
du coup ils font attention 4 moi de par
ma fonction.”
Bref, autant de comportements qui
tendent a mettre en évidence qu'il
s’agit d’un univers masculin et que la
présence d’une femme y est surpre-
nante. Dans ce cadre, nous avons eu
deux récits d“avances” : au cours
dune réunion, un interlocuteur exté-
rieur au CNRS proposait un rendez-
vous en téte a téte au restaurant ou au
café a issue de la réunion par le biais
d’un petit mot. Ces comportements
sont mal vécus dans la mesure ov ils
s’apparentent 4 une stigmatisation les
renvoyant a leur appartenance de sexe
et a une déstabilisation de la sépara-
tion entre la sphére publique et pro-
fessionnelle et la sphére privée. C’est
aussi le refus de les accepter dans le
role que leur fonction officielle annonce.
Cet article n’apporte pas de réponses
définitives : en effet, il résulte d’une
enquéte modeste qui ressemblerait
davantage A une pré-enquéte permet-
tant de préciser des questionnements.
Ces réflexions et des questionnements
sont a l'état de pistes. Pour les explorer
véritablement et pouvoir analyser
plus avant la carriére des femmes et le
plafond de verre au CNRS, il convient
de faire des enquétes plus vastes.
En effet, outre le fait que nous avons
rencontré peu de personnes, nous n’a-
vons rencontré que des femmes, et des
femmes qui ont réussi a faire carriére.
Il serait enrichissant de pouvoir
rencontrer, pour comparer les discours,
et éventuellement les pratiques dans
le cadre d’une enquéte, non seulement
par entretiens, mais véritablement de
terrain, des femmes qui ne font pas
carriére et des hommes qui font ou ne
font pas carriére.
Il nous semble aussi qu'il ne faudrait pas
seulement se limiter 4 /’Ile-de-France.
Nous avons certes rencontré une per-
sonne qui travaille en province, mais cela
ne suffit pas. Cette variété géographique
est essentielle au moins 4 deux titres :
diverses enquétes montrent qu’en ce qui
concerne la recherche (au CNRS ou dans
les universités) la région parisienne est
plus accueillante pour les femmes. Par
ailleurs, compte tenu de l’enjeu de la syn-
chronisation des temps sociaux, il serait
pertinent de s’‘interroger sur les différen-
ces de temps de transport, d’infrastruc-
tures commerciales, de restauration et
de garde d’enfants.
Il faudrait travailler sur les diverses
sources possibles du plafond de verre et
sur les inégalités hommes/femmes
socialisation, synchronisation des temps
sociaux, mais aussi le fonctionnement
méme de linstitution CNRS. Un tel pro-
jet suppose une enquéte de terrain
approfondie qui méle observations sur le
terrain et entretiens longs et répétés,
s’apparentant a des récits de vie.
147
148
Les femmes dans histoire du CNRS
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Légendes des photos
woos | Page 26
1 - Gabrielle-Emilie Le Tonnelier de Breteuil, Marquise du Chatelet - Lomont (1706-1749),
amie de Voltaire dont il disait “C’était un grand homme dont la seule faute était d’étre une
4|)5]|6 femme”. Dés |’€ge de quinze ans, elle étudie la philosophie et se passionne pour la
= physique. Elle traduit et commente les Principes mathématiques de Newton. Par ses
7 || 8 travaux, elle est l’égale des savants de son temps.
© D comme Découvreuses - source Chateau de Breteuil
2 - Marie-Sophie Germain (1776-1831) est probablement la premiére femme mathématicienne. Brillante
autodidacte, c’est a l’Age de 13 ans qu’elle découvre le monde des mathématiciens par la lecture de la
vie d’Archiméde. C’est sous un pseudonyme masculin qu’elle correspondra avec les grands
mathématiciens de son temps. Connue pour sa théorie des nombres premiers, elle regoit le grand prix
de |’Académie des sciences de Paris en 1816.
© D comme Découvreuses
3 - Marie Curie avec sa fille Irene en 1922 dans le laboratoire Curie, a |’Institut du radium qu’elle créa en
1914. Marie Curie, née le 7 novembre 1867 a Varsovie recevra deux fois le prix Nobel, celui de physique
en 1903 et celui de chimie en 1911. Irene Joliot-Curie recevra le Nobel de chimie en 1935.
© DR
4 - Rosalind Franklin, biologiste britannique (1920-1958). Elle participe avec James Watson, Francis
Crick et Maurice Wilkins a la découverte de la structure hélicoidale de l'ADN. En 1962, quatre ans aprés
sa mort, ils regurent le prix Nobel de physiologie ou médecine. Dans leurs discours, ils ne firent quasiment
aucune référence a Rosalind Franklin.
© D comme Découvreuses
5 et 6 - Rita Levi-Montalcini, neurologue italo-américaine, prix Nobel de physiologie ou médecine
en 1986. Le 17 octobre 2001, elle honore de sa présence le CNRS, dans le cadre de la cérémonie
organisée pour le baptéme de |’auditorium Marie Curie, a l’occasion du Centenaire des prix Nobel.
A 92 ans, elle participe, avec la seconde fille de Marie Curie, Eve, agée de 97 ans, a un débat avec
Pierre-Gilles de Gennes.
Christiane Nusslein-Volhard, biologiste allemande née en 1942 recoit le prix Nobel de physiologie ou
médecine en 1995. Elle compte parmi les 10 femmes qui ont recu cette distinction - dans les matiéres
scientifiques - contre 470 hommes, depuis la création du prix. Elle a accepté, avec Rita Levi-Montalcini
d’apporter son témoignage de “femme modeéle” dans un film réalisé pour la Mission pour la place des
femmes au CNRS.
© CNRS Images / media 2001
7 et 8 - Catherine Bréchignac a été la premiére femme a diriger le CNRS, premier organisme frangais de
recherche. Cette physicienne restera a la téte de l’organisme de 1997 a 2000.
Une autre femme lui succédera, la biologiste Genevieve Berger, jusqu’en 2003. C’est Catherine
Bréchignac qui a créé le Comité pour I’histoire du CNRS. C’est sous l’impulsion de Genevieve Berger, en
juillet 2001, que sera créée la Mission pour la place des femmes au CNRS.
© Catherine Bréchignac - CNRS photothéque/R.Lamoureux
© Genevieve Berger - CNRS /N. Tiget
151
152
P. 27 - Colonne de réfrigération a boule.
UPR 9021 - Immunochimie des peptides et virus - Strasbourg
© CNRS Photothéque - L. Médard
P. 29 - Mise en place d’une colonne de chromatographie sur un collecteur de fractions en vue d’une
purification de protéine.
URA 1139 - Régulation de |’expression génétique chez les microorganismes — Paris
© CNRS Photothéque - L. Médard
P. 33 - Test catalytique travaillant sous pression. Installation d’un réacteur a lit fixe. La réaction étudiée est
la réaction de Fischer-Tropsch qui permet de synthétiser une grande diversité de produits (alcanes,
oléfines, alcools) par passage d’un mélange gazeux (CO+H2) sur un catalyseur.
ESA 8010 - Laboratoire de catalyse hétérogéne et homogeéne - Villeneuve d’Ascq
© CNRS Photothéque - R. Lamoureux
P. 39 - Séchage des plantes. Laboratoire d’extraction.
UPR 2301 - Institut de chimie des substances naturelles (ICSN) - Gif-sur-Yvette
© CNRS Photothéque - P. Plailly
P. 44 - Interférométrie atomique. Partie supérieure de |’interférométre. Zone de piégeage. En mauve, la
compensation du champ terrestre, a droite, la caméra refroidie. Au centre, on distingue les bobines
du champ quadripolaire.
UPR 3321 - Laboratoire Aimé Cotton - Orsay
© CNRS Photothéque - C. Delhaye
P. 69 - Animalerie. Préparation pour |’injection sous-cutanée de cellules tumorales dans des souris.
URA 147 - Pharmacologie moléculaire — Villejuif
© CNRS Photothéque - P. Latron
P. 72 - Analyse de biopsies musculaires au Laboratoire de morphologie (FR INSERM, IRCAM et CNRS).
FR 16 - Institut fédératif de recherche sur le handicap (IFRH) - Paris
© CNRS Photothéque - R. Lamoureux
P. 75 - Verrerie dans un laboratoire de chimie organique.
UPR 5301 - Centre de recherches sur les macromolécules végétales (CERMAV) - Grenoble
© CNRS Photothéque - R. Lamoureux
P. 79 - Systeme d’extraction par évaporation (“évaporateur rotatif type Rtavapor Duchi”).
UPR 9021 - Immunochimie des peptides et virus - Strasbourg
© CNRS Photothéque - L. Médard
P. 99 - Peintures du III° siécle aprés JC. Restauration en cours dans un tombeau de Jordanie. Injection.
URA 375 - Mosaiques, peintures, stucs : informatique en archéologie - Paris
© CNRS Photothéque - A. Barbet
P. 117 - Analyse d’un modéle de glycosyltransférase.
UPR 5301 - Centre de recherches sur les macromolécules végétales (CERMAV) - Grenoble
© CNRS Photothéque - R. Lamoureux
P. 119 - Karnak, restauration des blocs en granit noir de la porte de la chapelle Rouge.
UPR 1002 - Mission permanente a Karnak
© CNRS Photothéque - A. Chene
P. 125 - Laser de puissance Luli. Chambre d’interaction.
UMR 100 - Laboratoire pour I’utilisation des lasers intenses (Luli) - Palaiseau
© CNRS Photothéque - D. Wallon
P. 129 - Chimie des solides a |’Institut des matériaux de Nantes. Batteries au lithium.
UMR 6502 - Institut des matériaux de Nantes (IMN) - Nantes
© CNRS Photothéque - L. Médard
P. 133 - Imagerie acoustique de cibles enfouies dans des sédiments marins (étude expérimentale en modéle
réduit)
UPR 7051 - Laboratoire de mécanique et d’acoustique (LMA) - Marseille
© CNRS Photothéque - L. Médard
P. 136 - Travaux de laboratoire, collage d’ossements en provenance de charniers de Provence (peste des
XVI° et XVIII° siécles), dans le cadre d’études paléomicrobiologiques.
UMR 6578 - Adaptabilité humaine : biologie et culture - Marseille
© CNRS Photothéque - C. Delhaye
P. 137 - Systeme temps réel de reconnaissance et d’interprétation de gestes de la langue des signes
frangaise. Les gestes sont captés par un gant numérique, reconnus automatiquement en utilisant
une méthode basée sur un apprentissage et interprétés a l’aide de régles syntaxiques basées sur
une représentation de l’espace. Groupe IMM (Groupe Interaction et Multi-Modalités), projet ARGo :
analyse et reconnaissance des gestes sémiotiques.
UPR 3251 - Laboratoire d’informatique pour la mécanique et les sciences pour l’ingénieur (Limsi) - Orsay
© CNRS Photothéque - L. Médard
P. 142 - Montage des filaments sur le barillet du spectrométre de masse.
URA 1758 - Géochimie et cosmochimie - Paris
© CNRS Photothéque - L. Médard
P. 146 - Simulation de contréle aérien pour conception des postes du futur.
URA 1775 - Laboratoire d’automatique et de mécanique industrielles et humaines (LAMIH) - Valenciennes
© CNRS Photothéque - L. Médard
153
A tL
ECOUVrEUSES
Exposition
6 mars - 4 avril 2003
m
chel-Ange, A fue Michel- aay ce Paria 16
154
© Aspect-crédits photos Université Paris Sud - Fondation Nobel
Affiche de l'exposition D comme Découvreuses,
créée pour la premiére fois au Panthéon en mars 2002.
On reconnait Marie Curie et sa fille Iréne. C'est dans le cadre de cette exposition,
présentée au siége du CNRS, Campus Michel-Ange 4 Paris,
a l'occasion de la Célébration internationale de la femme, qu'a été signé le 6 mars 2003
l'accord-cadre sur la parité dans les sciences.
Le 6 mars 2003, au CNRS, signature
d'un accord-cadre sur la parité dans les sciences
© Nicole Tiget, CNRS
le cadre de lexposition D comme Découvreuses, hommage aux femmes qui ont marqué
Tunivers scientifique, Claudie Haigneré, ministre déléguée a la Recherche et aux Nouvelles
Technologies, Nicole Ameline, ministre déléguée a la Parité et 4 Kgalité professionnelle, et Genevieve
Berger, directrice générale du CNRS, ont signé un accord-cadre pour promouvoir l’égalité
professionnelle entre les hommes et les femmes dans les carriéres scientifiques.
ST
\
f la veille de la célébration de la journée internationale de la femme, au siége du CNRS, dans
Dés 2001, le CNRS s’est donné une priorité : promouvoir la place des femmes dans les sciences. En
créant une structure opérationnelle, la Mission pour la place des femmes, la directrice générale a su
donner a lorganisme les moyens de sa politique.
Le CNRS est le premier EPST a mettre en place un plan daction pour un meilleur équilibre entre les
femmes et les hommes dans la recherche.
Le chemin est long qui conduit a la parité ; trois femmes s’y sont engagées, conscientes que l’égalité
répond 4 une exigence démocratique et constitue un des facteurs du développement économique et
social.
La signature de cet accord est la concrétisation des efforts engagés dans le domaine par les trois par-
tenaires. Le temps fort en sera la création d’un réseau de correspondants parité - recherche dans les
régions qui animera et fera vivre ces engagements, pour une meilleure égalité des chances entre les
femmes et les hommes, pour une mixité équilibrée en sciences et en technologies.
Texte publié dans le Bulletin officiel du CNRS, n°5, mai 2003.
De gauche a droite : Nicole Ameline, ministre déléguée a la Parité et a |’Egalité professionnelle, Claudie Haigneré, ministre délé-
guée a la Recherche et aux Nouvelles Technologies et Geneviéve Berger, directrice générale du CNRS, signent l’accord-cadre.
155
Les femmes dans histoire du CNRS
tiennent a remercier tout particuliérement les auteur-e-s des études rassemblées
dans cet ouvrage : Ilana Léwy, Martine Sonnet, Jean-Francois Picard, Emmanuelle
Cospen-Gharibian, Geneviéve Faye, Ilse Costas, Londa Schiebinger, Margaret Rossiter et
Catherine Nave.
UL Mission pour la place des femmes au CNRS et le Comité pour l’histoire du CNRS
Nos remerciements vont également 4 Sylvie Gisselbrecht, Jacqueline Verdiére, Betty Felenbok,
Ethel Moustacchi, Annie Sainsard, Suzy Mouchet, Madeleine Foisil et Mireille Corbier, qui ont
accepté d’apporter leur témoignage dans le cadre des entretiens, ainsi qu’A Claudine Herzlich
et Michelle Perrot pour leur expertise.
Enfin, nous exprimons notre gratitude tout particuliérement 4 Laurence Chavinier, Virginie
Durand, Claire Giraud, Anne Piton, Laure Marry, Lydia Scher-Zembitska, ainsi qu’a toutes
celles et ceux qui ont apporté leur contribution a la réalisation de cette publication.
Le lancement officiel du livre Les femmes dans l'histoire du CNRS
a eu lieu le 9 mars 2004, au siége du CNRS, Campus Michel-Ange a Paris
dans le cadre de la Célébration internationale de la femme.
Directeur de la publication
Bernard Larrouturou, Directeur général du CNRS
Coordination scientifique
André Kaspi
Girolamo Ramunni
Directrice de la rédaction
Geneviéve Hatet-Najar
Coordination éditoriale
Caroline Guérin
Edition
Mission pour la place des femmes au CNRS
Conception graphique
La Selva Editions - Max Art Director
Mission pour la place des femmes au CNRS
Directrice : Geneviéve Hatet-Najar
Assistante : Masha Albertini
CNRS, 3 rue Michel-Ange
75794 Paris cedex 16
Tél. : 01 44 96 53 46 / 47 08 - Fax : 01 44 96 49 45
genevieve.hatet-najar@cnrs-dir.fr
www.cnrs.fr/mission-femmes
Comité pour l'histoire du CNRS
Président : André Kaspi
Conseiller scientifique : Girolamo Ramunni
Chargée de la communication : Caroline Guérin
57 rue de la Chaussée d'Antin
75009 Paris
Tél. : 01 55 07 83 20/15 - Fax : 01 55 07 83 13
caroline.guerin@enrs-dir.fr
www.cnrs.fr/ComiHistoCNRS/index.html
’admission des femmes a Végalité parfaite
serait la marque la plus sire de la civilisation
et elle doublerait les forces intellectuelles du
genre humain.
Stendhal-1817
Dès la première heure de la parité en politique, le CNRS s’était donné une priorité : promouvoir la place des femmes dans les sciences. L’étude qui se concrétise à travers le présent ouvrage avait dès lors été inscrite au plan d’action de la Mission pour la place des femmes au CNRS.
Il était temps de faire un bilan et d’interroger les historiennes et les historiens sur le rôle que les femmes scientifiques ont tenu au sein du CNRS, depuis sa création en 1939. C’est donc tout naturellement au Comité pour l’histoire du CNRS que cette étude a été confiée. Par le biais de chiffres et de statistiques, une première tentative de réflexion et d’analyse a été lancée sur ce thème. Le peu de visibilité des femmes dans les instances décisionnelles du CNRS, reflet déformé de leur réelle présence au sein de notre établissement, et l’apparition des femmes dans des domaines jusque-là plus ou moins réservés aux hommes, s’avèrent être les points cruciaux relevés dans cet ouvrage.
Les causes, très diverses, de ce que l’on peut bien appeler une certaine injustice sont analysées ici avec rigueur. Sous des angles différents, que ce soit par le biais des gender’s studies , par la sociologie, ou grâce à une mise en perspective historique, ces approches tentent d’expliquer comment les femmes s’adaptent à un monde qui n’avait, à l’origine, pas été conçu pour elles. La juxtaposition d’autres points de vue, comme l’histoire des minorités, a permis une nouvelle appréhension du sujet.
Le 6 mars 2003,
Je tiens à remercier le Comité pour l’histoire du CNRS ainsi que l’ensemble des auteures et auteurs de cet ouvrage pour la qualité de leur travail. C’est une excellente contribution à la valorisation de la place des femmes dans les sciences.
Bernard Larrouturou
Directeur général du CNRS
As soon as the goal of gender parity was mandated for French politics and government the CNRS set its own priority of expanding the role of women in the sciences. The present work reveals the results of a study whose findings were promptly incorporated into the CNRS action plan for its Mission to Promote the Role of Women. The time was ripe for taking stock of the role of women in the CNRS and for consulting historians on the subject of women in the CNRS since its founding in 1939. The Committee for the History of the CNRS was naturally entrusted with the task of such a study, which draws on the available statistics and other data to establish an analytic starting point for reflections on this theme. Two fundamental points emerge from this analysis: the paucity of women at the decision-making level of the CNRS masks the strong presence of women in its laboratories; and women are appearing in scientific fields once thought to be the reserve of male scientists. This study also takes a rigorous and detailed look at the diverse causes of the inarguably unjust situation of women in science. Treating the subject from several standpoints – gender studies, sociology, historical perspective – it endeavours to explain how women have adapted to a world which was not originally constructed with their participation in mind. By drawing parallels with similar questions, such as the history of ethnic minorities, the study sheds new light on the subject of the role of women in science.
On March 6, 2003, the Minister of Research and New Technologies Claudie Haigneré, the Minister for Gender Parity and Equal Job Opportunity Nicole Ameline, and the Director General of the CNRS Geneviève Berger signed a framework agreement committing them to cooperate to improve the role of women in science. At the moment I took up duties at the head of the CNRS I made a point of becoming familiar with this agreement, and I intend fully to promote its objectives and to place them at the center of plans for strategic action. The principle of equality between men and women for scientific recruiting and in scientific careers is a democratic imperative, and moreover I am convinced that it constitutes a key factor in the development of the CNRS. The present work embodies the CNRS ideal of men and women sharing knowledge. A special word of gratitude is due to the Committee for the History of the CNRS as well as to the authors of this excellent study for the quality of their labors. The result is an admirable contribution to the advancement of women in science.
Éditorial par Bernard Larrouturou
Avant-propos : Les femmes en questions par Girolamo Ramunni
Les femmes en questions
Pourquoi un organisme de recherche comme le CNRS s’interroge-t-il sur la place des femmes dans son histoire ? La réponse, en apparence, pourrait sembler tautologique, mais en réalité, c’est un sujet bien plus vaste qui est proposé ici et qui concerne la place des femmes dans nos sociétés. En d’autres termes, c’est une manière de répondre à une demande émanant de la société. Les sciences sociales sont ainsi appelées à mener leurs investigations, à collaborer entre elles pour comprendre comment on en est arrivé à cette situation. En bref, une enquête multidisciplinaire qui projetterait une analyse de la situation actuelle sur une histoire dont les périodes peuvent être variables, s’avère nécessaire, prolongeant ainsi son questionnement tout en comparant les sociétés, ce qui permettrait en même temps de proposer une réflexion philosophique sur le sujet. Si cet ouvrage est essentiellement consacré à la situation des femmes au sein du CNRS, il ne faut pas non plus oublier que ce sujet ne se limite pas à la période contemporaine mais que, depuis des siècles et certainement depuis la révolution scientifique, il a toujours existé.
Some Women in Science
Why would a public research organisation like the CNRS take a searching look at the role of women in its own history? The answer may seem too simple, but the investigation by the CNRS into its own history is nothing more or less than its version of a vast research by contemporary society into the place and role of women. In other words, it is as a response to social demand that social scientists work together to elaborate a multidisciplinary investigation of the part played by women in the development of modern science. In fact, any analysis of the contemporary state of affairs must begin historically, extending its questions back into the past, comparing societies, and developing a philosophical reflection on the subject. If the present work is for the most part dedicated to women in the CNRS, it must be underlined that such a role is not only a contemporary phenomenon but takes its roots several centuries ago and certainly since the scientific revolution.
Girolamo Ramunni est docteur en sciences à l’université de Rome et docteur en
philosophie à l’université
de Paris I. Il est actuellement
professeur d’histoire des sciences et des
techniques à l’université Lumière -
Lyon II et rédacteur en chef de La
Revue pourl’histoire du CNRS.
Girolamo Ramunni has a PhD in science
from the University of Rome and one in
philosophy from the University of Paris I.
He is currently professor of the history of
science and technology at the University
of Lyons II as well as editor-in-chief of
La Revue pour l’histoire du CNRS.
“Je veux nous venger, toutes tant que nous sommes, de cette indigne classe où nous rangent les hommes, de borner nos talents à des futilités et nous fermer la porte aux sublimes clartés” déclare fermement Philaminte dans Les Femmes savantes (11 mars 1672). Son programme : prouver “que de science aussi les femmes sont meublées ; qu’on peut faire comme eux des doctes assemblées…” À l’ironie de Molière, qui met en scène les débats savants de ces femmes désireuses de créer leurs propres cercles à l’imitation de ceux des hommes, répond Fontenelle dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes (1686). Le futur secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences de Paris décrit par quels arguments il a réussi à attirer la marquise de G. dans “le party de la philosophie” pour en faire la messagère d’une conception inédite du monde et d’une nouvelle sagesse. “Sur tout si elle pouvoit avoir dans sa conversation les mêmes agremens, je suis persuadé que tout le monde courroit auprès de la sagesse.” Isaac Newton n’a pas encore fait paraître son Philosophiae naturalis principia mathematica (1687) que déjà, la question de la place des femmes dans la science est posée. Molière et Fontenelle exposent deux points de vue, deux manières de voir la place de la femme pendant la période que nous
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When modern science began
“I want to take revenge for all of us, just as we are, closeted away by men, constraining our talents to useless occupations, shut away from the sublime realms of the mind.” So Philamente declares her programme in Les Femmes savantes (11 March 1672). She sets out to prove that “women have science in them as well as men; we, like them, can produce learned assemblies...” In response to Molière’s irony in thus arranging scenes of learned debate among women who seek to imitate male proceedings, Fontenelle (in his Entretiens sur la pluralité des mondes – 1686) describes how he drew the Marquise de G. into a life of philosophy. The future Perpetual Secretary of the Academy of Sciences of Paris saw his student as the messenger of a new conception of the world and a new wisdom. “If she could demonstrate the same refinement in her conversation, I am convinced that all the world would be running after wisdom”. Isaac Newton had yet to publish his Philosophiae naturalis principia mathematica (1687) and already the question of the role of women in science had been posted. Molière and Fontenelle depict two points of view or two ways of seeing women’s place in the period we have since come to call the scientific revolution. Women are by no
appelons aujourd’hui la révolution scientifique. Les femmes ne sont pas du tout absentes de l’histoire des sciences. Sans prétendre vouloir donner une liste exhaustive, il suffit de rappeler simplement que Descartes s’entretenait avec Christine, reine de Suède, qu’Émilie de Breteuil, marquise du Châtelet, traduisait Newton ou que Mme Lepaute collaborait avec Clairaut pour effectuer des calculs, premier exemple de ces femmes “calculatrices” dans les laboratoires scientifiques, bien avant l’informatique. On peut rappeler les salons du XVIIIe siècle où la présence d’une dame, la fée électricité, représentée dans toutes les gravures de l’époque, symbolisait les expériences d’électrostatique, amusement des salons et objet d’interminables discussions sur la nature de l’électricité. On connaît aussi Marie-Gaëtane Agnesi nommée professeur de mathématiques à l’université de Bologne par le pape Benoît XIV au milieu du XVIIIe siècle. La place des femmes, qui sont, certes, présentes dès le XVIIe siècle dans l’histoire des sciences, a-t-elle cependant évolué au fil du temps ? François le Lionnais a confié à Marie-Louise Dubreil-Jacotin, de l’université de Poitiers, un chapitre consacré aux “Figures de mathématiciennes” in Les Grands Courants de la pensée mathématique, paru en 1948,
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means absent from the history of science; a rapid non-exhaustive recollection of this history could not fail to point out Descartes discussing with Christine, the Queen of Sweden, or Emilie de Breteuil, the Marquise du Châtelet, translating Newton, or Mme. Lepaute working with Clairaut on calculations (an early example of “calculating” women in scientific laboratories). Mention could be made as well of a particular feminine presence in all the salons of the 18th century: the fairy of electricity symbolising the immensely popular and widely discussed experiments in electrostatics. And even a rapid tour is not complete without mention of Marie-Gaëtane Agnesi, named by Pope Benoit XIV professor of Mathematics at the University of Bologna in the middle of the XVIII century. If women clearly enjoyed some visibility in science as early as the 17th century, how then has their role developed over time? François le Lionnais invited Marie- Louise Dubreil-Jacotin of the university of Poitiers to contribute a chapter to his “Principal Developments in Mathematical Thought” (published in 1948 as part of the collection “The Scientific Humanism of Tomorrow”), a chapter devoted to “Women Mathematicians”. This contribution, and the fact of it having been solicited, can be taken as a response to the conclusions reached
Ilana Löwy est directrice de recherche à l’INSERM1. Elle est affectée au CERMES, Centre de recherche médecine, sciences, santé et société (INSERM/CNRS/EHESS2). Depuis 1998, elle est chargée de cours à l’EHESS en histoire des sciences biologiques et médicales, genre et biomédecine. Son dernier ouvrage, écrit avec Jean-Paul Gaudillière, Heredity and Infection : The History of Disease Transmission (Londres, Routledge), a été publié en 2001.
Ilana Löwy se fonde sur des travaux de gender studies très développés dans les pays anglo-saxons et sur des ouvrages récents pour faire apparaître les paradoxes d’une société qui se dit égalitaire, mais qui, dans les faits, ne permet pas aux femmes de s’impliquer autant que les hommes dans la recherche scientifique. La femme, depuis les années 1960-1970, peut devenir un sujet d’étude à part entière dans certains domaines scientifiques, mais il n’en demeure pas moins qu’en dépit du changement institutionnel qui tend à promouvoir les chercheuses, les mentalités ne changent que très lentement. Ilana Löwy tend à démontrer la difficulté rencontrée par les femmes pour s’extraire de la gangue sociale dans laquelle une société, encore fondée sur un partage des tâches peu équitable, les maintient et crée des obstacles au déroulement de leur carrière.
un livre sur l’histoire de l’exclusion des femmes de la recherche scientifique est intitulé : Le cerveau a-il un sexe ? (The mind has no sex ? Le cerveau n’a pas de sexe ?). Le titre fait allusion au fait que, pendant très longtemps, la science a postulé que le cerveau a bel et bien un sexe : masculin. Une idée semblable se profile derrière le titre d’un ouvrage français sur un sujet semblable : Le sexe du savoir. De tels titres soulignent le contraste entre l’impartialité supposée des sciences et la longue histoire de la discrimination envers les femmes. Pendant longtemps, la recherche scientifique fut perçue comme un domaine exclusivement masculin. La réalité est plus complexe. De nombreuses femmes ont participé au développement des connaissances scientifiques – fidèles collaboratrices, techniciennes efficaces, épouses, soeurs ou filles dévouées, ou même chercheuses à part entière – mais leur contribution fut occultée ou minimalisée par la suite. De ce fait et jusqu’à récemment, l’image publique des chercheurs scientifiques fut celle d’un individu de sexe masculin car “le savant” n’était jamais une savante. Le mouvement des femmes et leur entrée massive dans certaines disciplines scientifiques ont modifié cette vision. Notre société reconnaît aujourd’hui, en théorie du moins, que les hommes et les femmes ont une aptitude identique à maîtriser des connaissances nouvelles, à développer une pensée abstraite, à élaborer les hypothèses et à les vérifier, à faire des expériences, à publier des articles dans des revues savantes et à transmettre leur savoir à des collègues et des étudiants. En pratique cependant, la recherche scientifique n’est – toujours – pas un domaine où règne la parité parfaite entre les hommes et les femmes. Le sexe de la personne qui fait des expériences ou qui écrit un projet de recherche aurait-il plus d’importance que la couleur de ses yeux ? Beaucoup de travaux sur les femmes dans la recherche scientifique ont paru en langue anglaise. Depuis une trentaine d’années les études féminines (women studies), puis les études de genre (gender studies) sont intégrées dans le curriculum universitaire des pays de langue anglaise. Les étudiants de premier cycle ont souvent des cours obligatoires sur ce sujet et ceux qui se destinent à des carrières scientifiques ou médicales reçoivent des enseignements ciblés sur le sujet “genre et science”. L’institutionnalisation des études de genre se traduit en parallèle par l’existence de filières doctorales, de sources de financement et par des débouchés professionnels. Elle a encouragé des recherches centrées sur la place du “genre” – c’est-à-dire la perception sociale et culturelle du masculin et du féminin – dans le développement des sciences et des techniques. En outre, des organisations professionnelles et des fondations ont stimulé le développement des recherches sur les raisons du faible nombre des femmes dans certains domaines de la recherche scientifique. Historiens, sociologues, anthropologues, philosophes mais aussi des chercheurs en sciences expérimentales se sont intéressés aux causes et aux conséquences de la longue exclusion des femmes de la recherche scientifique.
Vu l’étendue du sujet, mon texte se focalise sur un seul aspect du sujet “femmes et science” : la place des femmes dans la recherche scientifique contemporaine. En 1999, l’historienne nord-américaine des sciences, Londa Schiebinger, a tenté de dresser le bilan de l’importance du féminisme dans le développement récent des sciences. Premier constat : la situation des femmes dans la recherche scientifique est très différente selon le pays et la discipline. La comparaison internationale révèle des résultats parfois surprenants. Ainsi, en Suède, un pays où le partage des tâches domestiques est relativement bien implanté et qui a une infrastructure efficace de prise en charge des enfants en bas âge, la proportion des chercheuses et des universitaires de haut niveau est faible et en 1996, seulement 6 % des chaires universitaires ont été occupées par des femmes. En revanche, la proportion des chercheuses est relativement élevée dans certains pays en voie de développement, tels que la Chine ou la Turquie. Des sociologues et des anthropologues ont tenté d’expliquer ces différences par les modalités de la construction des identités sexuées. En Suède, une plus grande égalité dans le partage des tâches matérielles à l’intérieur du couple, ne s’est pas traduite par un changement parallèle de construction des identités des hommes et des femmes. Les femmes continuent à porter la responsabilité principale pour le bien-être de leurs proches. Cette responsabilité est perçue comme un élément central et non négociable de l’identité féminine. Les femmes cadres supérieures ne se sentent pas plus libres de négliger leurs devoirs émotionnels et affectifs envers leur famille que des femmes ouvrières. Un diplôme d’enseignement supérieur ne donne pas le droit d’être une “mauvaise mère”, une “fille négligente” ou une “épouse indifférente”. En conséquence, les femmes suédoises consacrent une partie importante de leurs activités à la “reproduction des hommes en tant qu’êtres sociaux”. Cette asymétrie d’investissement affectif donne un avantage important au développement des carrières masculines puisque que les hommes bénéficient du concours des femmes sans obligation de réciprocité. Les femmes, dans des sociétés non occidentales, peuvent plus facilement abandonner le rôle féminin traditionnel. La perception du sexe/genre comme un élément ancré dans la structure du moi profond, que l’anthropologue
Igor Kopytoff propose, est une invention occidentale relativement récente, liée à l’affaiblissement de la tradition comme élément régulateur fondamental des relations sociales. Des sociétés ordonnées par une idéologie centrée sur les droits de l’individu ne peuvent plus concevoir un rôle social comme un élément de base de la stabilité sociale. La source de cette stabilité est donc déplacée vers des éléments perçus comme quasi immuables, comme la biologie, l’hérédité ou la psyché. En revanche, dans des cultures fondées sur l’attachement aux structures collectives et à la tradition, le genre n’est pas perçu comme une partie de l’identité profonde d’une personne, mais tient avant tout un rôle social. Les cultures africaines ou asiatiques accordent une place très importante aux occupations des individus et établissent une hiérarchie des occupations et des tâches. Une femme qui fait de la recherche et qui, de ce fait, accède à un statut élevé et rare, peut donc être perçue avant tout comme une “scientifique”. Son rôle social dominant peut affaiblir son attachement au rôle de “femme”, attitude inconcevable dans des sociétés occidentales dans lesquelles le sexe/genre est considéré comme une identité sociale immuable, indépendante des variables que sont la profession ou le statut social. Dans les pays industrialisés, la tendance générale entre 1960 et 2000 fut l’augmentation importante du nombre des femmes chercheuses. Cependant, certaines disciplines scientifiques sont restées très majoritairement masculines. C’est le cas de la science mathématique, de la physique, ou des sciences pour l’ingénieur. Les sciences de la vie et la recherche biomédicale se sont fortement féminisées. En règle générale, d’après Londa Schiebinger, l’augmentation du nombre des chercheuses n’a pas eu de conséquences visibles sur les sujets étudiés par les chercheurs. Elle cite pourtant plusieurs cas de changement dans le choix des recherches concernant une discipline particulière et qui s’intéresse de plus près au sexe féminin. C’est le cas de la primatologie qui a découvert les structures sociales des singes femelles ; de l’archéologie qui a commencé à s’intéresser sérieusement au rôle des femmes dans les sociétés archaïques ; de la biologie du développement qui s’est intéressée aux influences maternelles sur l’évolution de l’oeuf fertilisé ; et de la médecine. L’abandon récent du modèle selon lequel le “corps humain universel” est toujours masculin et l’introduction de l’obligation de tester tous les médicaments nouveaux sur les hommes et sur les femmes, reflètent aussi une attention plus grande à la spécificité des femmes. Pour Londa Schiebinger, les changements récents dans certaines disciplines scientifiques s’expliquent principalement par l’entrée massive des femmes dans un champ disciplinaire donné. Des chercheuses ont contribué à la diffusion des idées inspirées du féminisme dans certaines disciplines scientifiques. Evelyn Fox Keller propose une vision légèrement différente. Le moteur principal du changement, écrit-elle, n’est pas la présence
physique des femmes chercheures – puisque les chercheurs des deux sexes partagent les mêmes valeurs – mais le changement global des attitudes envers des femmes dans la société, introduit par le mouvement des femmes. Malgré des acquis indéniables, les carrières féminines dans la science continuent d’avoir du retard sur celles de leurs collègues masculins. En parallèle, on assiste à une surreprésentation des femmes dans des domaines et des institutions, perçus comme marginaux ou alternatifs. Une telle surreprésentation peut être perçue comme le résultat de l’exclusion des femmes des centres du pouvoir scientifique. Elle est, pourtant, souvent présentée par les intéressées elles-mêmes comme un choix délibéré de faire de la science autrement. Des femmes qui travaillent dans des institutions “parallèles” vantent les avantages de la recherche, socialement utile et relativement libre des contraintes de la compétitivité. En outre, ces lieux alternatifs ont la réputation d’être moins hiérarchiques et plus ouverts aux femmes. Des observations directes de ces sites révèlent une réalité plus complexe. Les femmes y bénéficient d’avantages réels dans leurs relations avec leurs collègues et de possibilités d’autoréalisation. En contrepartie, les salaires sont nettement plus bas, elles ont une moindre sécurité de l’emploi et un statut marginal, à l’intérieur de la communauté scientifique. Ce dernier rend plus difficile le passage à des institutions de recherche plus traditionnelles : la décision de travailler dans un circuit scientifique parallèle peut ainsi déboucher sur une voie de garage. En outre, même les lieux de travail alternatifs ne sont pas toujours dépourvus de pratiques discriminatoires. Ces institutions sont souvent dirigées par des hommes. Le discours sur l’objectif partagé peut masquer une exigence implicite d’une éthique de travail “masculine” et une impatience devant les demandes spécifiques des femmes qui peuvent, par exemple, demander des horaires plus souples. Même le circuit parallèle de la science accorde souvent une place plus importante aux chercheurs masculins. Cette tendance est encore plus prononcée dans la science “officielle”. Le mouvement féministe a inspiré, dans les années 1970 et 1980, une série de travaux sur le faible nombre des femmes dans la recherche scientifique et sur les difficultés spécifiques de celles qui ont choisi d’exercer le métier de chercheure. En 1979, le sociologue Jonathan Cole, un élève de Robert Merton, publia un livre qui affirme que l’écart entre les carrières féminines et masculines dans la science repose sur une raison très simple : la moindre qualité de la production scientifique féminine. En s’appuyant sur les investigations scientométriques, très en vogue à cette époque, Jonathan Cole a trouvé que les femmes publiaient moins et que leurs travaux étaient moins cités que ceux des hommes. Loin de refléter un préjugé anti-féminin de la science, la position inférieure des femmes démontre,
selon Jonathan Cole, que la science est juste – son livre s’intitule Fair Science –, que le lien entre le mérite et l’avancement des carrières scientifiques, postulé par Robert Merton, fonctionne très bien. Le livre de Jonathan Cole, en réaction aux accusations de discrimination sexiste, ne soutient pas, il est vrai, que les femmes sont intrinsèquement moins compétentes pour faire de la recherche que leurs collègues masculins. Jonathan Cole attribue la différence entre les carrières masculines et féminines sur le choix que font les deux sexes. Selon lui, les femmes préfèrent, en règle générale, investir plus de temps dans leur vie privée. En 1992, Jonathan Cole et sa collègue Harriet Zukerman ont proposé un point de vue très différent. Les investigations plus récentes confirment qu’en moyenne les femmes publient en effet moins souvent que les hommes. Ce fait ne reflète pourtant pas, expliquent Jonathan Cole et Harriet Zukerman, les difficultés liées à la nécessité de concilier les obligations professionnelles et familiales. La persistance de la division inégale des tâches domestiques et éducatives n’influence pas les trajectoires des chercheuses. Ni la maternité, ni le mariage, ni même le nombre des enfants et leur âge ne modifient les performances professionnelles des femmes scientifiques. Harriet Zukerman et Jonathan Cole ont même découvert que les chercheuses mères de famille publient légèrement plus que celles dégagées des obligations familiales. La différence majeure que l’on constate n’est pas entre les femmes qui ont des charges familiales et celles dépourvues de telles charges,mais entre les chercheurs du sexe masculin et du sexe féminin. Comment l’expliquer ? Si on laisse de coté l’hypothèse qu’en fin de compte le cerveau a un sexe, que les hommes ont une aptitude innée plus grande pour la recherche, il faut chercher l’explication des différences entre les chercheurs, hommes et femmes, dans la structure de la recherche scientifique et dans le fonctionnement de la société en général. Jonathan Cole et Robert Fiorentine discutent ainsi l’effet potentiel des pressions différentes exercées sur les hommes et les femmes. Notre culture sanctionne plus sévèrement l’absence de succès professionnel et financier des hommes. D’où leur persévérance plus grande face aux obstacles et une attention plus élevée aux critères externes du succès. Les femmes sont moins soumises à ce type de pressions. Elles peuvent plus facilement choisir la famille ou la vie privée comme un champ d’investissement principal ou, alternativement, comme un lieu parallèle de validation de leur réussite. De ce fait, une étude focalisée sur les femmes dans la recherche scientifique est nécessairement biaisée puisqu’elle rend invisibles celles qui ont abandonné la poursuite d’une carrière scientifique. La moindre importance de la réussite formelle pour les femmes peut les inciter à choisir des stratégies de recherche différentes de celles adoptées par les hommes et attribuer une moindre importance à la quantité de leurs publications.
Autre raison évoquée par les sociologues pour expliquer le fait que les femmes publient moins : la persistance des attitudes discriminatoires. Des recherches récentes indiquent que ces attitudes n’ont pas disparu. Elles ont seulement changé de nature. La discrimination ouverte, fréquente dans les années 1950 et 1960, fut remplacée par des mécanismes plus subtils et souvent involontaires. Mary Frank Fox a comparé l’accès aux ressources des hommes et des femmes qui travaillent dans le même département, sur des sujets proches. Elle a constaté des différences importantes dans l’attribution des ressources. Les hommes ont plus de chances d’obtenir des financements et un soutien institutionnel principalement grâce à leur meilleure insertion dans des réseaux informels qui gèrent ces ressources, un plus grand soutien de la part de leurs supérieurs hiérarchiques, une socialisation qui les prépare mieux à faire des demandes précises et leur permet d’avoir une plus grande confiance dans leur capacité à obtenir ce qu’ils considèrent comme un dû. En outre, les femmes, perçues comme moins aptes aux tâches de commandement, accèdent plus rarement et plus lentement aux postes de direction de la recherche. Or, ces postes permettent à ceux qui les occupent de signer toutes les publications d’un groupe ou d’un laboratoire. Ils augmentent de ce fait d’une manière considérable le nombre des articles dont ils sont co-auteurs et ainsi, leur rang dans l’index des citations scientifiques. Dans un article sur un phénomène que Robert Merton a baptisé “l’effet Mathieu”, celui-ci soutient qu’une quantité disproportionnée de ressources disponibles, ainsi que la visibilité publique et la reconnaissance par le milieu, va aux scientifiques qui ont déjà acquis la notoriété dans un domaine donné (une variante du proverbe “on ne prête qu’aux riches”). L’historienne des sciences Margaret Rossiter reprend cet argument, pour indiquer que les femmes sont souvent victimes d’un processus inverse, qu’elle a nommé “l’effet Mathilde”. Moins bien insérées dans les réseaux, confrontées à des attentes moindres de la part de leurs supérieurs hiérarchiques et de leurs collègues, la valeur de leurs contributions pourrait être minimalisée. Ce qui agit sur leur accès aux ressources et sur le déroulement de leur carrière. Une contribution faite par un homme, explique Margaret Rossiter, est perçue d’une manière non problématique comme l’expression de son talent et de ses capacités. La contribution d’une femme reçoit souvent des qualificatifs supplémentaires.
Pour paraphraser l’écrivaine féministe Joanna Russ : “elle ne l’a pas fait, elle l’a fait, mais elle n’aurait pas dû le faire, elle le fait, mais vous voyez bien ce qu’elle a fait, elle l’a fait, mais une fois seulement, elle l’a fait, mais ce n’est pas vraiment de la science, et elle n’est pas un vrai chercheur, elle l’a fait, mais elle avait de l’aide, elle l’a fait, mais elle est une anomalie, elle l’a fait, MAIS…”
La perception différentielle du travail fourni par les hommes et les femmes a été étudiée plus récemment par la sociopsychologue Virginia Valin. Son livre Pourquoi si lentement, part du constat qu’à partir des années 1970, la parité hommes / femmes au niveau de l’entrée dans la profession fut établie dans de nombreux domaines de recherche, telles les sciences humaines et sociales ou les sciences de la vie. La conséquence logique aurait dû être l’élargissement graduel d’une telle parité à tous les échelons de la carrière universitaire ou scientifique. Trente ans plus tard, on s’aperçoit qu’il n’en est rien. Les sommets de la hiérarchie professionnelle reflètent toujours une forte prédominance masculine. Les femmes sont surreprésentées au bas de l’échelle et dans les postes sans stabilité d’emploi. D’où la question : pourquoi si lentement ?. Les recherches de Virginia Valin confirment qu’à la fin des années 1990, le sexe de la personne qui accomplit un travail donné, continue à influencer la manière dont on évalue son travail. Les “schémas du genre”, c’est-à-dire les attentes – souvent inconscientes – qu’un homme ou une femme se comporte d’une manière prédéterminée, colorent d’une manière permanente notre façon de juger les actions des individus. L’adhésion, aussi sincère soit-elle, aux principes de l’égalité et à l’ethos de l’objectivité scientifique ne suffit point à éliminer le biais introduit dans les milieux de la recherche par des perceptions distinctes des performances masculines et féminines. Par ailleurs, la plupart des chercheurs aspirent sincèrement à une évaluation objective des performances de leurs collègues et adhèrent pleinement au principe de l’égalité des sexes. De ce fait, le biais induit inconsciemment les “schémas du genre” qui s’expriment le plus souvent par des différences subtiles et quasi imperceptibles de l’attitude. On ne relèvera pas, par exemple, une suggestion proposée par une femme, ou encore, aura-t-on tendance à percevoir le travail d’un homme plutôt comme “brillant” et celui d’une femme plutôt comme “appliqué”. Ces petites différences d’attitude peuvent avoir des effets cumulatifs importants sur la perception de leurs collègues concernant les contributions des chercheuses, mais aussi sur l’image qu’elles se forment de leurs capacités propres. À la longue, elles peuvent stimuler la tendance des femmes à s’autolimiter et à renoncer à certaines aspirations.
La culture de la science, d’après la biophysicienne et historienne des sciences Evelyn Fox Keller, est dominée par des attitudes qu’on pourrait décrire comme masculines et même “macho” : la valorisation de l’agressivité, de la compétitivité, des hiérarchies rigides. Les femmes, qui tentent de devenir chercheuses, acceptent cette culture comme la seule possible. Elles ont intériorisé l’idée que pour devenir une scientifique à part entière, il leur faut se transformer en “un des gars” (one of the boys) et adopter pleinement la sousculture du milieu scientifique, y compris dans ses aspects misogynes. Une femme qui aspirerait à une carrière scientifique, notamment dans des disciplines comme la physique théorique ou les sciences pour l’ingénieur dominées par une forte culture masculine, devrait donc fournir un effort supplémentaire d’assimilation et d’autotransformation. Cependant, un tel processus implique la suppression d’une partie de son identité profonde. Il a un coût psychique considérable. Le membre d’un groupe opprimé, qui tente d’assimiler une culture dominante et hostile (par exemple, un Noir américain qui essaye de s’intégrer pleinement dans la société blanche), doit faire un effort supplémentaire pour se débarrasser d’une part importante de son identité d’origine. Il doit donc se faire violence à lui-même, un processus d’automutilation qui laisse souvent des cicatrices handicapantes. Pour cette raison, une femme qui tente de faire son chemin dans une culture scientifique masculine et essaie d’atteindre le même niveau de performances que les hommes de son milieu, doit posséder au départ un “surplus” de capacités. On peut, en suivant Mary Frank Fox et Virginia Valin, élargir la métaphore des “cicatrices handicapantes” à la totalité de la trajectoire des femmes scientifiques. Les difficultés des chercheuses ne sont pas limitées au début de carrière.De nombreuses femmes continuent à accumuler des (petits) désavantages tout le long de leur trajectoire : attentes légèrement diminuées des parents et des enseignants, un peu moins d’encouragements de la part des collègues et des supérieurs hiérarchiques, une manière subtilement différente d’évaluer le travail accompli, un avancement plus lent. Elles doivent, en parallèle, faire face à des difficultés plus grandes pour concilier travail, vie de couple et responsabilités familiales. Toutes les femmes ne rencontrent pas l’ensemble de ces obstacles. Certaines, particulièrement chanceuses, ne se heurtent à aucun. D’autres femmes sont suffisamment motivées pour surmonter toutes les difficultés ou arrivent même à se servir de certains contretemps comme tremplin pour avancer. D’où les carrières impressionnantes de certaines chercheuses. En moyenne, cependant, les femmes rencontrent plus de difficultés dans leur carrière scientifique que les hommes.L’accumulation graduelle des cicatrices, aussi petites soientelles, peut produire des effets importants en bout de parcours. Il n’est pas nécessaire de chercher des incidents majeurs et des événements dramatiques pour expliquer “pourquoi si lentement ?”. L’usure du quotidien peut amplement suffire. Dans des professions mixtes qui cultivent une idéologie d’avancement grâce au mérite (les professions libérales, les cadres
et certaines professions techniques), toutes les femmes qui tentent une percée professionnelle se heurtent à de nombreux obstacles. La question “pourquoi si lentement ?” est également valable pour les hauts fonctionnaires ou pour les cadres d’entreprise. La science est cependant perçue comme une activité unique ou une profession parmi d’autres. De ce fait, les sociologues de la science ont eu tendance à se focaliser, quasi exclusivement, sur les éléments spécifiques à la science comme la structure normative de la recherche, les codes qui organisent la collaboration et la compétition, l’importance centrale accordée à la nouveauté ou le rôle de la circulation des résultats. En conséquence, les études sur les femmes dans la recherche scientifique accordent une grande place aux tentatives qui examinent les liens entre performances individuelles (mesurées par le nombre des publications ou l’index des citations scientifiques) et les récompenses attribuées pour ces performances. Une telle vision, d’après le sociologue William Bielby, tend à gommer le fait que la recherche scientifique contemporaine est avant tout une entreprise. Or, il est bien connu que les femmes rencontrent de grandes difficultés pour arriver au sommet de la hiérarchie des grandes entreprises publiques et privées. Si on veut véritablement comprendre les raisons des difficultés des chercheuses, il serait souhaitable, dit William Bielby, de s’intéresser un peu moins à la singularité de la recherche scientifique et un peu plus aux caractéristiques partagées par les grands organismes de la recherche et d’autres grandes entreprises. Il serait intéressant d’étudier l’offre et la demande sur le marché du travail universitaire, la division du travail dans les laboratoires, l’importance accordée à la perception des aptitudes des individus au commandement et aux tâches de gestion ainsi que les restrictions imposées par l’environnement économique et social29. Dans de nombreuses professions, le sexe d’un individu définit, dans une grande mesure, la nature des tâches accomplies par cet individu. Contrairement aux idées reçues, la ségrégation du marché du travail selon le sexe a peu changé au cours du XXe siècle. L’entrée massive des femmes sur le marché du travail à partir des années 1960 n’a pas modifié cette ségrégation : les femmes continuent d’être employées dans des métiers et des professions (santé, éducation, services) à forte dominante féminine30. Certaines se retrouvent cependant dans des professions “mixtes”, dans lesquelles le sexe de la personne ne devrait pas, en principe du moins, avoir d’effets sur l’évaluation de la performance professionnelle. Néanmoins, le genre continue à peser sur les trajectoires individuelles. Les difficultés des femmes dans ces professions “mixtes” sont souvent liées, selon les sociologues et les anthropologues, aux rapports quotidiens entre les hommes et les femmes qui travaillent ensemble. D’où l’intérêt des recherches qui étudient les micro-mécanismes du pouvoir et le rôle de la féminité et de masculinité, la “production du genre” (doing gender) dans un lieu de travail donné. De nombreuses études sur le travail féminin ont été consacrées aux modalités,
souvent subtiles, de l’introduction des “schémas du genre” dans des lieux de travail ordonnés par l’idéologie fondée sur la reconnaissance du mérite, notamment dans le cas des professions libérales. Ces recherches illustrent la contradiction fréquente entre la perception d’un individu comme “femme” et comme “professionnel compétent”. Des chercheuses nord-américaines ont étudié des firmes d’avocats et mis en évidence la tension entre des traits supposés féminins et ceux qui sont valorisés chez un avocat de haut niveau. L’agressivité, le goût de la bagarre sont perçus comme des avantages chez l’homme. Ces mêmes traits risquent fort d’être critiqués chez une femme. En parallèle, les hommes avocats supportent plus difficilement un échec professionnel si leur adversaire est une femme et ressentent davantage les succès féminins. Une telle application des “schémas du genre”, couplée avec le fait que la majorité des cabinets d’avocats importants sont dirigés par des hommes, rend plus difficile la collaboration harmonieuse entre associés des deux sexes. Les femmes qui aspirent à une carrière au sein d’un cabinet d’avocats adoptent souvent des stratégies professionnelles qui minimalisent le conflit entre leur identité d’“avocat” et celle de “femme”, par exemple, la spécialisation dans les tâches de médiation et de conciliation ou l’acceptation de positions intermédiaires à moindre visibilité. Ces stratégies professionnelles peuvent aider les avocates à trouver un modus vivendi convenable avec leurs collègues masculins et peuvent rendre plus agréables leurs conditions de travail. Cela permet aux femmes de trouver des “niches”, dans lesquelles elles peuvent développer leurs talents professionnels. En même temps, l’acceptation implicite de la reproduction des “schémas du genre” à l’intérieur des cabinets d’avocats contribue activement à la reproduction d’un système qui subordonne les femmes aux hommes31. Des recherches sur les chirurgiennes et sur les femmes agentes boursières ont abouti à des conclusions semblables.Dans ces métiers aussi, des traits supposés “féminins” ne s’accordent pas bien avec les qualités considérées nécessaires pour arriver au sommet de la profession. De ce fait, de nombreuses femmes sont soumises en permanence à des pressions contradictoires : adopter un comportement perçu comme masculin et rester fidèles à leurs qualités féminines. Ces pressions sont rarement verbalisées explicitement, mais elles influencent le comportement quotidien sur le lieu de travail. Les femmes sont plus souvent critiquées ou ignorées que leurs collègues masculins. Elles sont aussi occasionnellement soumises au harcèlement sexuel “en douceur”. Leurs collègues masculins leur font des remarques qui les renvoient à leur sexualité. Ces remarques sont souvent déguisées en blagues supposées inoffensives32. Certaines femmes cadres réussissent à percer professionnellement grâce à l’adoption d’un style dominant, c’est-à-dire masculin, sur leur lieu de travail. D’autres, plus nombreuses, tentent de développer des stratégies qui ont pour but de minimaliser les tensions entre identité sexuée et identité professionnelle. Une femme peut ainsi devenir l’aide et la protégée d’un homme puissant, se spécialiser dans
un domaine perçu comme peu compétitif, relativement marginal ou plus “féminin”, ou encore travailler avec d’autres femmes dans une filière protégée à l’intérieur de la profession. De telles stratégies peuvent conduire à un succès professionnel. En moyenne cependant, les carrières des femmes continuent à avancer moins vite que celles de leurs collègues masculins et plus de femmes que d’hommes préfèrent modifier leurs choix professionnels à miparcours. Les chercheuses sont des professionnelles et des cadres mais elles ne sont pas que cela. Les chercheurs, bien plus que les fonctionnaires, les cadres d’entreprise ou les professions libérales, mettent l’accent sur l’importance du talent, de l’originalité et sur la créativité dans leur travail. En outre, la science se réclame de valeurs spécifiques : la rationalité, l’objectivité, la recherche de l’exactitude et de la précision, l’esprit critique et le sens de la communauté. Ces valeurs sont mises au service d’un but partagé : une meilleure compréhension des phénomènes naturels. La majorité des chercheurs sont conscients du fait qu’une telle image de la science ne correspond pas toujours à la réalité, mais cette vision idéalisée est essentielle pour le bon fonctionnement de la recherche scientifique. Les chercheurs des deux sexes adhèrent aux mêmes idéaux et aux mêmes valeurs et partagent souvent une perception très positive de leur profession. Cette perception est renforcée par la conviction, également partagée par de très nombreux chercheurs des deux sexes, que, de nos jours, la discrimination à l’encontre des chercheuses appartient à un passé révolu. Des cas isolés de discrimination existent certes, et certains chercheurs masculins ont conservé des attitudes antédiluviennes. Ils sont cependant rares. La contradiction entre les identités “femme” et “chercheur”, déclare Evelyn Fox Keller, n’existe plus. La question “pourquoi si lentement ?” va dans le même sens. Elle présuppose l’existence d’un processus à direction unique qui mène inexorablement à une égalité totale entre chercheurs hommes et femmes. L’égalité n’est pas encore acquise mais de nombreuses personnes considèrent que les récents changements sont irréversibles et que les développements futurs continueront d’être façonnés par des pressions égalitaires.L’histoire du XXe siècle peut nous inviter à une plus grande prudence. Elle rend moins certaine la notion de “sens unique de l’histoire”, met en évidence l’instabilité de certains acquis, tels la démocratie ou les droits de l’homme, et indique qu’un retour en arrière reste toujours du domaine du possible. Les études sur les femmes dans la recherche scientifique peuvent être lues dans cette optique. Au-delà des indications spécifiques sur les difficultés rencontrées par les femmes, ces études rendent bien visible l’ampleur des obstacles concernant une véritable parité entre les sexes dans la recherche. Elles mettent en évidence la fragilité relative du statut des chercheuses, leur dépendance à l’égard des facteurs conjecturaux, comme la situation économique ou politique, et les incertitudes qui pèsent sur l’avenir.
Martine Sonnet est Docteure en histoire (EHESS, 1983). Elle a publié sa thèse portant sur l’éducation des filles au temps des Lumières (Paris, Cerf, 1987). Chercheuse au service d’histoire de l’éducation de l’INRP (Institut national de la recherche pédagogique) de 1981 à 1989, elle est, depuis 1995, ingénieure de recherche à l’IHMC (Institut d’histoire moderne et contemporaine) et responsable de la Bibliographie annuelle de l’histoire de France (Paris, CNRS ÉDITIONS). Elle est l’auteure de nombreux articles et a collaboré à des ouvrages collectifs sur l’histoire des femmes et de la famille. Martine Sonnet est membre, entre autres, de l’Association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre (Mnemosyne).
Grâce à une étude statistique percutante, Martine Sonnet dresse,
toutes catégories confondues et dans une perspective historique,
un tableau précis de l’évolution de la présence des femmes au CNRS.
Ses analyses permettent de confirmer la présence marquée des femmes
dans certains domaines de recherche comme les sciences de la vie ou
les sciences humaines, mais constate aussi une réelle évolution dans
des secteurs jusque-là traditionnellement masculins. Leur faible présence
au sein du Comité national de la recherche scientifique, les rares médailles
qui leur sont attribuées peuvent permettre d’engager une réflexion sur la
visibilité des chercheuses au CNRS.
Tenter de dénombrer les femmes passées par le CNRS depuis 1939 conduit à des rencontres étonnantes : Madeleine Colani et Jeanne Duportal, doyennes incontestables du personnel féminin du CNRS, sont nées toutes les deux sous le second Empire en 1866 ! Les carrières de ces deux chercheuses remarquables sont emblématiques, d’une part de l’ancienneté de la présence féminine dans la recherche et, d’autre part, de la variété des activités auxquelles se livrent les scientifiques du deuxième sexe : Madeleine Colani arpente l’Indochine et en gratte le sol, en quête de traces géologiques et préhistoriques ; Jeanne Duportal, quant à elle, explore les fonds d’estampes des bibliothèques parisiennes et rédige les fiches descriptives des gravures à sujets historiques. La Caisse, puis le Centre national de la recherche scientifique rémunèrent l’une et l’autre, bien au-delà de l’âge qui pourrait sembler celui d’une retraite raisonnable : 75 ans passés pour la géologue et préhistorienne, 80 ans passés pour l’iconographe. Les femmes sont évidemment présentes dès les prémices de la Caisse, en 1930, puis au Centre national de la recherche scientifique en 1939. Il suffit de rappeler le soutien de Marie Curie aux démarches du prix Nobel de physique 1926, Jean Perrin, initiateur de la Caisse nationale des sciences dès 1930, puis du coup de pouce de Léon Blum décidant en même temps, en juin 1936, d’introduire des femmes au gouvernement et de créer un sous-secrétariat d’État à la Recherche. Léon Blum fait d’une pierre deux coups : il confie le jeune sous-secrétariat d’État à Irène Joliot-Curie, qui vient d’obtenir avec son époux, Frédéric Joliot, le prix Nobel de physique en 1935. La fille de Pierre et Marie Curie ne fait que passer, du 5 juin au 28 septembre 1936, et plutôt à contre-coeur, dans la fonction ministérielle (Jean Perrin lui succède), mais l’image est forte et la présence des femmes dans la recherche est affirmée au plus haut niveau en ces temps de genèse de l’institution. Si les femmes sont là, combien sontelles ? Tenter de les compter, selon les périodes considérées, conduit à mobiliser une documentation particulièrement variée et éparpillée, plus ou moins soucieuse de différenciation sexuelle selon les périodes considérées. Signe des
temps, c’est au début des années 1970 seulement que les services centraux du CNRS produisent des statistiques sur le personnel incluant la distinction hommes/femmes : l’esprit féministe post-soixante-huitard est passé par là. Les pyramides des âges établies entre 1972 et 1977 par le Bureau du tableau de bord et des statistiques, dépendant de la Direction de l’informatique et de la gestion, nourriront la première étude critique sur la question. Dans les années 1980, la préoccupation statistique sexuée régresse, pour renaître en 1990 avec le Bilan social annuel, véritable radiographie des effectifs présents au 31 décembre. En faisant flèche de tout bois documentaire et archivistique pour la période 1939-1970, puis en recourant aux statistiques plus aisément accessibles pour les trente dernières années, il est possible d’observer la présence globale des femmes au CNRS depuis sa création, en privilégiant cinq temps ou points forts : la première génération féminine du CNRS mérite au moins une esquisse de portrait collectif ; pour celles qui lui ont succédé, après 1945 et surtout de 1970 à nos jours, la double approche par statuts (chercheuses, ingénieures, administratives et techniciennes) et par disciplines (selon les départements scientifiques) sera choisie, croisée avec celle des responsabilités assumées. Deux gros plans, l’un sur la présence féminine au sein du Comité national de la recherche scientifique et l’autre sur la part des distinctions – Médailles d’Or, d’Argent et de Bronze pour les chercheurs et le Cristal pour les ITA – attribuées à des femmes depuis leur création, complèteront le tableau.
Premières générations
Madeleine Colani et Jeanne Duportal, pour pittoresques qu’elles soient, ne sont pas exceptionnelles : les dossiers de carrière conservés dans le fonds des archives du CNRS à Gif-sur-Yvette recèlent 69 dossiers concernant des chercheuses nées avant 1900 soit 69 dossiers pour une population sans doute un peu plus importante. La cohorte des “grandes anciennes”, premières bénéficiaires des subsides dispensés par la Caisse nationale de la recherche scientifique, croise celle des travailleuses concernées par le recensement du personnel scientifique et universitaire, en vue de la mobilisation scientifique qui a lieu à partir d’octobre 1938. Les scientifiques et universitaires – hors sciences humaines – remplissent alors des fiches individuelles, avec état-civil, cursus et fonctions, ainsi que la situation militaire pour les hommes, pour une éventuelle affectation dans l’un des 140 laboratoires mobilisés et planifiés par le CNRS. Près de 4 000 fiches disponibles, contribuent à donner un état des lieux de l’emploi scientifique et universitaire, féminin et masculin, entre 1938 et 1939.
Les “grandes anciennes”
Du côté des “grandes anciennes”, nées au XIXe siècle, sans explorer systématiquement les dossiers de carrière – ce qui conduirait au-delà des limites de cette étude –, quelques traits démographiques et professionnels sont à souligner. Parmi les 69 chercheuses identifiées, 4 sont
nées entre 1866 et 1879, 15 entre 1880 et 1889, 50 entre 1890 et 1899 : elles sont donc massivement trentenaires quand la Caisse nationale est susceptible de rétribuer leurs travaux. Pour ces chercheuses de première génération, science et mariage ne font pas bon ménage : 25 sur 69 seulement convolent en justes noces. Le fort taux de célibat observé – 63,8 % – rejoint logiquement celui observé chez les professeures – 68 % en 1923, 63 % en 19388 – et plus généralement chez les femmes plus diplômées que la moyenne. Pour les chercheuses du CNRS, le phénomène, certes atténué dans ses proportions, sera encore relevé dans une enquête syndicale publiée en 1981 : 18 % de célibataires, mais 35 % parmi les femmes maîtres de recherche, quand la moyenne féminine nationale s’établit à 10 %9. Si parmi les 69 chercheuses nées avant 1900, seule Irène Joliot-Curie a les honneurs du Dictionary of Scientific Biography10 – Jeanne Duportal en 1929 et Madeleine Colani en 1937 seront faites chevalières de la Légion d’honneur – 48 (soit 69,6 %) sont auteures de publications répertoriées au catalogue de la Bibliothèque nationale de France11 : leur activité a donc été productive et de notoriété publique. Leurs oeuvres repérables comptent des thèses, des ouvrages et des tirés à part d’articles de revues. Seuls les articles ayant fait l’objet de tirés à part étant enregistrés au catalogue de la BnF, la production réelle des doyennes de la recherche est sans doute plus fournie. Les 21 thèses ont été soutenues à des âges allant de 27 ans (en science politique et économique) à 52 ans (en sciences naturelles) ; l’âge moyen de soutenance, relativement élevé, s’établit à 36 ans et 10 mois et la moitié des impétrantes ont entre 35 et 40 ans. Les 50 “grandes anciennes” dont l’appartenance disciplinaire est connue incarnent déjà la féminisation accentuée, toujours de mise, des deux secteurs des sciences de la vie et des sciences humaines : 26 (la moitié) se consacrent aux sciences de la vie (biologie principalement), 11 aux sciences humaines (dans toute la gamme), 9 à la physique/chimie, 4 aux sciences de la terre et de l’univers (géologie).
Des femmes mobilisables
Avec l’enquête sur le personnel scientifique et universitaire de 1938-1939, une deuxième catégorie de population féminine se dessine, regroupée non plus sur un critère de dates de naissance (avant 1900) et de fonction (chercheuse), mais sur le fait d’avoir été rétribuée par le CNRS en un temps T, soit l’année universitaire 1938- 1939. Le groupe s’élargit aux aides-techniques (ancêtres des ITA, à l’exclusion des pures administratives) sans inclure cependant les représentantes des sciences humaines. Les fiches personnelles permettant de faire connaissance d’une part, et l’enquête sur les laboratoires12 permettant d’en apprendre un peu plus sur les conditions de travail d’autre part, facilitent l’étude de cette population. Le comptage et l’étude des fiches de mobilisation scientifique, exhaustif pour les femmes recensées au titre du CNRS et partiel13 pour les autres femmes (universitaires) et pour les hommes, permet
d’estimer la répartition par sexe et par appartenance institutionnelle du personnel scientifique en France en 1938- 1939. Selon cette enquête, – avec 94 femmes CNRS – la part féminine dans le personnel scientifique du Centre s’établit à 25,6 % dès cette période. Si l’on rapproche ce taux à celui des 30,3 % de chercheuses dénombrées en 200014, il apparaît incontestable que la situation de départ, relativement favorable, n’a pas engendré de dynamique de féminisation massive, comme l’enseignement secondaire, par exemple15, en a connue. La progression de l’accès des femmes aux diplômes de l’enseignement supérieur, et donc la constitution d’un vivier de recrutement, n’est pas même reflétée dans ces chiffres. Cette stagnation régressive, que d’autres données préciseront, mérite d’être soulignée dès maintenant. En 1938-1939 – femmes et hommes confondus – le CNRS ne compterait,d’après les fiches conservées, que pour 9,2 %16 de la population scientifique susceptible de mobilisation. Il abrite 16,9 % des femmes, mais seulement 7,9 % des hommes recensés : la distorsion du simple au double révèle la séduction beaucoup plus forte des sirènes – et des salaires – de l’Université auprès d’eux, quand leurs collègues féminines se débrouillent avec les bourses octroyées par le CNRS et les aléas d’un système proche du mécénat17. L’introduction du salariat, avec des rémunérations assimilées à celles de l’enseignement supérieur, pour les chercheurs du CNRS, n’interviendra qu’en 194518. Le statut précis connu de 83 des 94 femmes les répartit en 42 boursières (soit la moitié de l’effectif), 21 aidestechniques (le quart), 14 chargées de recherche et 6 de statuts différents. Deux femmes se distinguent par leurs titres : Nine Choucroun19, maître de recherche en biologie, et Renée Canavaggia, chef de travaux en astrophysique ; toutes les deux deviendront directrices de recherche.
Profils
Les âges connus de 79 femmes CNRS sur 94 ouvrent un très large éventail : nées entre 1866 et 1920, elles ont de 19 à 73 ans, avec un âge moyen de 36 ans, mais plus de la moitié ont entre 24 et 34 ans (41 sur 79, soit 51,9 %). Cette population, un peu âgée pour un organisme naissant, où l’effet ancienneté ne pèse donc pas sur l’âge moyen, est cependant beaucoup plus jeune que celle présente aujourd’hui dans l’organisme. En 2000, les femmes (chercheuses et ITA) ont 46 ans et 4 mois en moyenne et la tranche des 25/34 ans ne réunit plus que 15,4 % du personnel féminin20. L’âge moyen global de 36 ans en 1938-1939 se décline selon les statuts : les chargées de recherche, les plus installées dans le métier, ont 41 ans et 11 mois en moyenne (pour une pyramide de 28 à 73 ans) ; les boursières ont 32 ans en moyenne (de 19 à 47 ans), les aides-techniques ont 27 ans et 6 mois en moyenne (de 19 à 53 ans). Les 6 femmes aux statuts rares ont 43 ans en moyenne (de 25 à 61 ans). La femme “type” travaillant au CNRS en 1938-1939 serait donc une boursière de 32 ans, célibataire, puisque le célibat reste le lot commun des scientifiques mobilisables du deuxième sexe : 49 femmes sur 76,
dont le sort matrimonial en 1938-1939 est connu (soit 64,5 %), le partagent. Ce taux varie évidemment avec l’âge, de 90 % pour les moins de 25 ans à 55 % pour les plus de 35, en passant par 65,8 % pour les 24-34 ans, soit la moitié de notre population. Les mariages sont plus rares et tardifs ici que pour l’ensemble des générations féminines contemporaines qui convolent alors entre 23 et 24 ans21. Les 23 épouses (30,3 %) n’ont pas – ou pas encore – d’enfants pour la moitié d’entre elles (11), 8 sont mères d’un seul enfant, 2 en ont 2 et 2 en ont 322. Le personnel féminin du CNRS ne compte alors que 17,1 % de mères de famille (12 épouses et une divorcée avec un enfant). La faible natalité observée dans le milieu sera encore évoquée dans l’enquête syndicale de 198123. Pour être exhaustif concernant l’état-civil, il reste à mentionner la présence de trois divorcées, d’une veuve, de deux pupilles de la nation (une boursière et une aide-technique) et d’une (autre) orpheline (aide-technique). Enfin, parmi les quelques personnels de service rencontrés, non comptabilisés ici, la présence d’une “fille-mère” est spécifiée. Les 73 lieux de naissance déclarés attestent un recrutement bien ouvert sur la province et hors de l’hexagone : 32 femmes (soit 44 %) sont natives des régions pour 26 Parisiennes et très proches banlieusardes (35,6 %) ; 9 sont nées à l’étranger (Russie – 3 –, Égypte – 2 –, Roumanie, Grèce, Pologne et États-Unis) et 5 en France d’Outre-Mer (Algérie – 2 –, Guyane, Martinique et Indochine). Le cosmopolitisme de l’institution, dès sa création, est déjà globalement connu et se confirme pour ce qui concerne la population féminine. L’exigence de la nationalité française pour accéder aux carrières u n i v e r s i t a i r e s conduit les scientifiques étrangers, fraîchement arrivés dans le pays, à se tourner, au moins le temps d’une éventuelle naturalisation, vers les bourses de la Caisse puis celles du CNRS24. Dans le petit monde des femmes aidestechniques, les origines géographiques se resserrent sur la capitale (9 sur 16, avec 4 provinciales, 2 étrangères et une native de l’Outre-Mer). Pour ces fonctions, accessibles sans obligation de passer par les bancs des facultés, un recrutement “de voisinage” et donc parisien, est plus aisé. Cursus et disciplines Plus de la moitié des femmes chercheuses en 1938-1939 sont docteures (33 thèses pour 62, soit 53,2 %). La consultation du catalogue de la Bibliothèque nationale de France permet de retrouver les dates de 27 de ces thèses, et d’en déduire l’âge de soutenance : 31 ans et 4 mois en moyenne, soit 5 ans et demi
plus tôt que dans la cohorte née avant 1900. Les conditions matérielles du travail scientifique féminin se sont améliorées dans les années 1930, grâce aux financements accordés par la Caisse de recherche, aides dont les “grandes anciennes” n’ont pas ou ont moins bénéficié. Certaines des chercheuses de 1938-1939 sont boursières depuis plus de 5 ans, ce qui leur a permis de mener à bien leur doctorat. La moitié des chercheuses (14 sur 27) ont soutenu leur doctorat à 30 ans au plus tard, les autres soutiendront entre 31 et 37 ans (une seule encore plus tard à 47 ans). Les plus jeunes thésardes s’adonnent majoritairement aux sciences naturelles – en moyenne, leurs 10 thèses sont soutenues à 29 ans et 11 mois – tandis que les thèses en sciences physiques (incluant la chimie) sont présentées plus tardivement : les 13 thèses de cette discipline sont soutenues à 32 ans et 4 mois en moyenne. La seule doctorante en mathématiques reçoit son diplôme à 29 ans, la pharmacienne à 28, les deux médecins à 32 et 37 ans (pour cette dernière, une thèse en sciences naturelles avait précédé celle présentée en médecine). Les chercheuses non encore docteures, sont titulaires au moins de certificats de licence, de licences complètes ou de diplômes d’études supérieures. Du côté des aides-techniques, les 15 cursus connus sont très ouverts puisque si l’on rencontre une titulaire de thèse (en sciences physiques) et une master of art de la Syracuse University, on croise aussi des jeunes femmes munies de leur seul brevet supérieur ou élémentaire, voire d’un niveau d’études secondaires non sanctionné par un diplôme, si léger soit-il. La plupart, 11 sur 15, ont cependant au minimum le baccalauréat, complété par une licence – dans un tiers des cas – et au moins des certificats pour les autres. Une seule femme s’est arrêtée au baccalauréat. Le tableau 1 répartit les 77 femmes CNRS dont les affectations en 1938- 1939 sont connues, selon leurs disciplines, en distinguant les chercheuses de statuts divers d’une part, les aidestechniques d’autre part.
Comme les chercheuses nées avant 1900, celles de la “deuxième génération” se consacrent pour moitié aux sciences de la vie ; la féminisation accentuée de ce secteur, toujours de mise en 200025, est donc posée, dès la création de l’organisme. Les sciences de l’homme n’étant pas représentées dans la population considérée, la chimie leur ravit la deuxième place dans le coeur du personnel féminin, avant les sciences de la terre et de l’univers et enfin les moins aimées, physique et mathématiques. Le rapport aides-techniques/chercheuses quasi paritaire en sciences de la terre, reste relativement élevé en sciences de la vie, alors qu’il baisse en chimie et en physique. Sans analyser l’ensemble des productions scientifiques signées par les 62 chercheuses de 1938-1939, la présence de 42 d’entre elles (les deux-tiers) au catalogue de la Bibliothèque nationale de France est à mentionner. Parmi elles, 14 n’ont d’autres publications que leurs thèses, les 28 autres publient en outre ouvrages et/ou articles, seules ou en collaboration. Parmi ces dernières, les 7 auteures les plus fécondes totalisent chacune plus de 10 références. Quant aux deux “championnes”, elles ont déjà été rencontrées : la doyenne Madeleine Colani qui s’illustre avec 21 notices de travaux publiés entre 1914 et 1940, et Renée Canavaggia, chef de travaux en astrophysique en 1938-1939, future directrice de recherche qui en réunit 37, entre 1936 et 1977. Dans les laboratoires Toujours dans le cadre de l’organisation de la mobilisation scientifique, une enquête sur les laboratoires, destinée à en mesurer les moyens humains et matériels, est menée26. Cet état des lieux fournit quelques éléments supplémentaires pour restituer la mixité du travail scientifique en 1938-1939. La composition des laboratoires se précise et les chercheuses, rétribuées par le CNRS, s’y retrouvent “en situation” avec d’autres, qui, elles, sont payées par divers organismes scientifiques ou universitaires et au même titre que leurs collègues masculins. Pour s’en tenir aux établissements parisiens visités, s’il est fréquent de ne pas rencontrer de femmes dans les petits laboratoires comptant au plus 5 membres, 4 gros centres de recherche sont dans le même cas. À la faculté des sciences, les hautes températures (6 chercheurs et 17 techniciens), la mécanique physique et expérimentale (6 chercheurs et 8 techniciens) et la mécanique des fluides (17 hommes en tout) comme à Bellevue, l’électroaimant et les basses températures (8 chercheurs et 4 techniciens) sont des bastions masculins. Inversement, et logiquement – car ressortissant cette fois aux sciences de la vie – la seule directrice de laboratoire, Gabrielle Randoin, régnant sur le contrôle biologique des produits vitaminés, dirige un quasi-bastion féminin : 3 chercheuses sur 4, 13 techniciennes sur 17. Le laboratoire d’astrophysique dirigé par Henri Mineur se distingue également en alignant 10 noms féminins sur 12 : Renée Canavaggia, chef de travaux, a sous ses ordres 5 calculatrices, 3 mesureuses et une secrétaire. Certains laboratoires ont une forte féminisation, mais à caractère plutôt technique. Ainsi, à l’Institut Henri Poincaré,
trois unités tournent avec une part importante (la moitié au moins) de techniciennes : 9 calculatrices et une assistante sur un effectif total de 14 membres au laboratoire de calculs ; 2 calculatrices, 2 collaboratrices, 2 assistantes et une dessinatrice sur 14 personnes au total dans celui de physique théorique ; 5 calculatrices et une assistante au laboratoire de balistique sur 13 personnes en tout. Les gros laboratoires de chimie sont également bien féminisés, mais cette fois, de façon plus équilibrée entre personnels scientifique et technique. À la faculté des sciences, l’Institut de chimie compte 8 chercheuses sur 22 et 10 techniciennes sur 26 et le laboratoire, dirigé par le professeur Job, compte 5 chercheuses dans son équipe scientifique de 11 membres. Enfin, le très gros laboratoire de chimie physique n’atteint lui qu’un quart de personnel féminin avec 7 chercheuses sur 34 et 5 techniciennes sur 14. Ce trop rapide aperçu sur la présence réelle des femmes au sein des laboratoires, visant à rendre plus concret le “25 %” d’ensemble, montre que cette présence féminine dépend à la fois de la discipline et de la nature des travaux à effectuer.Les situations sont en réalité extrêmement diversifiées : de l’exclusion totale à la prise en charge totale (dans l’exemple du laboratoire Randoin), en passant par une forte participation, mais seulement technique, comme dans certains laboratoires, celui de l’Institut Poincaré par exemple. Le plan de mobilisation, qui résulte de l’état des lieux dressé en 1938-1939, mais dont la défaite de juin 1940 contrecarre l’application, placera sous la responsabilité et la coordination du CNRS 140 laboratoires, répartis en 18 groupes (6 à Paris, les autres en province) et confiera 4 laboratoires parisiens à des femmes : l’Institut du radium à Irène Joliot-Curie (en co-direction avec André Debierne) ; la chimie organique, à la faculté des sciences, à Pauline Ramart- Lucas (née en 1880, alors professeur à la faculté) ; le laboratoire du travail de la SNCF28 à Dagmare Weinberg (qui en était directrice adjointe auparavant) et enfin le laboratoire de physiologie de la nutrition et d’enquête sur l’alimentation, important en temps de guerre, à Gabrielle Randoin, déjà mentionnée. Ces quatre attributions reflètent bien la présence féminine originelle au sein du CNRS : on y trouve une “grande ancienne” prestigieuse, pour le département de la chimie et des sciences de la vie, où les femmes qui font souvent “tourner la boutique” sont représentées et enfin la présence d’une psychologue préfigurant la place que prendront les femmes dans les sciences humaines.
Bien présentes, mais peu visibles, 1945-1970
Dès l’après-guerre et jusqu’à la fin des années 1960, les femmes sont évidemment là, mais nul ne songe à les compter : aucune statistique, aucune étude sexuée sur le personnel du CNRS n’est lancée. L’heure n’est encore ni aux ressources humaines ni à leur management ; rapports de conjonctures et autres bilans évoquent “les chercheurs” ou “les collaborateurs techniques” sans plus de curiosité sur leur identité. L’épluchage systématique des
dossiers de carrière ou des fichiers de paye, à la poursuite des femmes, serait une entreprise titanesque. On se contentera donc, pour cette période, d’évoquer les très rares chiffres connus, en les resituant par rapport aux effectifs globaux de l’établissement et l’on relèvera surtout les traces de la présence féminine sur les organigrammes, où apparaissent au moins celles qui ont des responsabilités, que ce soit dans le domaine de la recherche ou dans l’administration. Les directrices de laboratoire d’une part, les femmes chefs de bureau dans les services centraux au siège du CNRS d’autre part, sont les plus visibles. Croissance Le “rapport sur la gestion du CNRS de 1944 à 1948”, présenté par son directeur général Georges Teissier lors de la séance plénière du Comité national de la recherche scientifique du 2 juin 194829 retrace l’évolution des effectifs au sortir de la guerre : - en 1943-1944 : 600 chercheurs et 480 collaborateurs techniques ; - en 1944-1945 : 800 chercheurs et 556 collaborateurs techniques ; - en 1945-1946 : 1 100 chercheurs et 679 collaborateurs techniques ; - en 1946-1947 : 1 370 chercheurs et 715 collaborateurs techniques ; - au 1er octobre 1947 : 1 500 chercheurs ; - au 30 avril 1948 : 1 384 chercheurs et 680 collaborateurs techniques. La seule mesure disponible pour vérifier la place des femmes dans ces années de reconstruction concerne les chercheuses : en 1946, elles représentent 30 % des chercheurs – soit environ 400 – d’après le dépouillement des versements de cotisations sociales30. Du côté des collaborateurs techniques, les femmes sont sans doute relativement encore plus nombreuses, mais aucun calcul n’a été fait. Dix ans plus tard, les effectifs globaux du CNRS31 atteignent près de 6 000 personnes : - au 1er octobre 1956 : 2 840 chercheurs, 1 150 contractuels au service des laboratoires, 1 310 collaborateurs techniques ; - au 1er octobre 1957 : 2 990 chercheurs, 1 300 contractuels au service des laboratoires, 1 435 collaborateurs techniques. Le rapport de conjoncture 1956-1957 souligne que l’octroi de primes a certes contribué à améliorer la situation matérielle des personnels, mais que celle-ci “reste néanmoins très inférieure à celle des secteurs semi-publics ou privés, sans comporter pour cela les avantages d’une carrière de fonctionnaire en ce qui concerne la stabilité et le régime des retraites” et en appelle à un sérieux coup de pouce des pouvoirs publics. Il interviendra en 1959, avec les nouveaux statuts conférés au CNRS, afin d’éviter l’hémorragie. Sachant que, du côté des chercheurs, la présence féminine culmine à 35 % en 196032 et qu’elle s’est donc maintenue, en progressant encore dans les années 1950, il devient évident que le sort matériel peu enviable des agents du CNRS, notamment face à celui des universitaires, du moins jusqu’en 1959,
explique en grande partie la présence précoce et relativement marquée des femmes parmi ses personnels de recherche. Entre 1956 et 1965, les effectifs du CNRS doublent : en 1965, 4 875 chercheurs, 6 832 ITA (ingénieurs, techniciens, administratifs) et 593 “autres” personnels sont présents, soit 12 300 personnes. La croissance reste de mise jusqu’à la fin de la décennie : en 1970 les 16 641 agents se répartissent en 6 397 chercheurs, 9 705 ITA et 539 “autres”33. Parmi les chercheurs, les femmes se maintiennent,mais ne progressent plus : elles sont 34 % en 196734 (sur 5 527, soit 1 879 chercheuses) et en 1968, toutes catégories confondues (chercheurs et ITA), le personnel du CNRS compte 45 % de femmes35, soit 6 970 agents sur 15 489. Une enquête sur les “Caractéristiques socio-professionnelles des chercheurs du secteur public en sciences exactes et naturelles” publiée en 1967 et portant sur la population scientifique du milieu des années 1960, esquisse quelques traits propres aux chercheuses relevant de ces disciplines, au CNRS et ailleurs (autres établissements de recherche et enseignement supérieur). Dans la cohorte de 11 095 chercheurs observée, les femmes ne comptent que pour 20 % – c’est dire qu’elles sont nettement moins nombreuses ailleurs qu’au CNRS où elles atteignent alors 34 % des chercheurs, toutes disciplines confondues –, mais 39 % des “enquêtées” se rattachent au CNRS. Les chercheuses sont un peu plus jeunes que leurs collègues masculins – 72 % d’entre elles ont moins de 40 ans ; 68 % parmi eux seulement – et, sans surprise, s’adonnent majoritairement à la biologie et à la chimie. À l’Université, les chercheuses ont été 49 % à étudier la biologie ; 25 % la chimie ; 16 % la physique ; 6 % les sciences de la terre et enfin 4 % seulement les mathématiques. L’étude des diplômes obtenus révèle que les femmes “monopolisent” 48 % des doctorats de 3e cycle et 26 % des doctorats d’État en biologie soutenus par les chercheurs de l’enquête.
Directrices de laboratoires
L’infime participation féminine au “Colloque national sur la recherche et l’enseignement scientifique” tenu à l’université de Caen du 1er au 3 novembre 1956, premier événement médiatique du genre et qui marque la naissance d’un “lobby” scientifique37, montre que les femmes ne sont pas partie prenante quand il s’agit de tracer, avec les politiques et les industriels – et devant la presse –, un nouveau cadre pour la recherche et l’enseignement supérieur. Trois noms féminins seulement figurent dans la liste des 127 participants38 : Madame Choucroun, directrice de recherche au CNRS,Madame Gregh, du Conseil supérieur de la recherche scientifique et Mademoiselle Moreau, administratrice civile. La quasi-absence des femmes au moment-clé de 1956 surprend un peu, quand on songe qu’en septembre 1944, Irène Joliot-Curie et Pauline Ramart-Lucas (chimiste) participaient aux réunions visant à élaborer un projet de réorganisation de la recherche scientifique39. Mais en 1956, ces grandes figures des débuts du CNRS ont quitté la scène : Irène Joliot-Curie meurt cette année-là et Pauline Ramart-Lucas
n’est plus depuis 1953. Qu’en est-il alors de la place des femmes au niveau des directions et sous-directions de laboratoires ? Le tableau 2 retrace, de 1959 à 1970, d’après les organigrammes, leur présence dans ces fonctions. Alors que 30 à 35 % des chercheurs sont des chercheuses, le nombre de femmes, parmi les directeurs et sous-directeurs de laboratoire, ne progresse que de 4 à 6 %. Autant dire qu’elle est infime et disproportionnée par rapport à leur présence dans la recherche. Seule – mince – consolation : avec une direction conquise en 1970 en mathématiques (calcul électronique), les femmes se sont montrées au moins une fois dans tous les groupes de disciplines relevant des sciences exactes et naturelles ; en revanche, toutes les sciences humaines, notamment la géographie, l’histoire et la sociologie ne leur ont toujours pas accordé leur confiance en 1970 : aucune chercheuse n’a encore eu la responsabilité de la direction ou de la sous-direction d’un laboratoire40
Tableau 2 : les femmes directrices et sous-directrices
de laboratoire en 1959, 1965, 1968 et 1970
Sachant que, dans ces mêmes années 1959 à 1970, la part des femmes au Comité national41 – où les universitaires et chercheurs d’autres établissements sont partie prenante – évolue un peu plus favorablement de 3,9 % à 11,8 % (et qu’en 1970 elles y sont représentées dans toutes les sections de sciences humaines), force est de constater la réticence des scientifiques – plus accentuée au CNRS qu’ailleurs ? – à laisser les chercheuses prendre les rênes. Chefs de bureau et autres administratives Pendant la Seconde Guerre mondiale et juste après42, les femmes occupent des responsabilités administratives au CNRS. En 1949, sur les cinq bureaux composant les services administratifs et techniques, deux sont dirigés par des femmes : Suzanne Potet, agent supérieur de 1ère classe, règne sur l’administration du personnel (services centraux et laboratoires) et Lucienne Plin, administratrice civile de 3e classe, sur les commissions consultatives, les chercheurs et les subventions. Lucienne Plin restera 32 ans dans des fonctions décisives, notamment pour le fonctionnement du Comité national43. Elle a raconté ses débuts : jeune professeure de sciences naturelles nommée à Versailles pendant l’Occupation, mais redoutant de ne pouvoir s’y rendre en raison des difficultés de transport, elle se présente à un emploi de rédacteur vacant au ministère de l’Éducation nationale. Elle l’obtient et devient rédactrice puis administratrice civile. Rencontrant par hasard au ministère, un jour de 1946, son ancien professeur Georges Teissier, devenu directeur du CNRS, celui-ci la recrute, du jour au lendemain, pour compléter son équipe administrative, trop juridique à son goût. Lucienne Plin souligne que les premiers agents des services centraux du CNRS, dépourvus de statut, sont pour la plupart des fonctionnaires détachés de leur administration d’origine. L’organigramme de 1949 place 4 femmes aux postes de sous-chef des 5 bureaux des services centraux – celles-ci sont administratrices civiles de 3e classe, ou agentes supérieures de 3e ou 2e classe – et comporte un dernier nom féminin, celui de l’assistante sociale attachée au bureau dirigé par Mlle Potet : Paulette Devaux, qui figurera sur les organigrammes jusqu’au début des années 1970. Au total, en 1949, sur les 20 postes d’encadrement des services administratifs, 7 sont occupés par des femmes ; le contrôle financier et l’état-major de l’agence comptable restent en revanche exclusivement masculins. Dix ans plus tard, en 1959, les femmes ont conquis 3 des 5 bureaux. Aux côtés de Mme Bohner, administratrice civile, en charge du budget et des personnels des services centraux et de Lucienne Plin, Geneviève Niéva, administratrice civile également, dirige le bureau du matériel et des achats à l’étranger. Geneviève Niéva44 a relaté elle aussi ses débuts : toute jeune “gamine de 20 ans” en 1944, cherchant à gagner sa vie pour pouvoir, contre l’avis de ses parents, épouser un étudiant en médecine, elle se fait embaucher par hasard
au CNRS, où elle fera une longue carrière, qui s’achèvera comme secrétaire générale du Comité national au milieu des années 1980. Autre nom de “grande administrative” relevé sur l’organigramme de 1959, celui de Jacqueline Peyroutet, alors chef du secrétariat de la Direction, entrée au CNRS en 1939, d’après les souvenirs de Lucienne Plin, et présente à la Direction générale jusqu’au milieu des années 1980. Dans les années 1960, les organigrammes se compliquent et les bureaux, regroupés en 4 divisions, se multiplient. En 1961, Lucienne Plin est la seule chef de division (personnels scientifiques et techniques) et l’on compte 3 femmes chefs de bureau (budget, relations extérieures, matériel) et une sous-chef, pour 13 bureaux. En 1965, pas de changement pour les divisions et toujours 3 femmes chefs, mais sur 15 bureaux, et 4 souschefs. En 1968, Lucienne Plin (personnels scientifiques et techniques) et Geneviève Niéva (adjointe aux programmes et moyens) figurent parmi les 5 directions de divisions ; quant aux bureaux, au nombre de 20 désormais, ils comptent 11 femmes – chefs ou sous-chefs – sur un état-major de 28 membres. La division dirigée par Lucienne Plin s’affiche comme la plus féminisée : les deux bureaux en charge du personnel sont confiés à des chefs et sous-chefs femmes ; celle de Geneviève Niéva en revanche ne l’est pas du tout : ses 4 chefs de bureau sont des hommes. L’agence comptable et le contrôle financier demeurent, pour leur part, aux mains exclusives des hommes. En 1970 enfin, 13 femmes figurent parmi les 34 chefs et sous-chefs de bureau ; la division des personnels et le département de l’administration générale demeurant les plus féminisés au niveau de leurs responsables. L’épluchage des organigrammes permet d’observer que les femmes occupent jusqu’en 1970 entre le quart et le tiers des responsabilités administratives “intermédiaires” et que quelques femmes remarquables, dans la place depuis longtemps et formées “sur le tas”, ont la haute main sur des secteurs clés. Quant au “petit personnel”, invisible sur les organigrammes, comment le chiffrer ? Une liste téléphonique du Siège, annexée à l’organigramme de 1970, compte 122 noms féminins sur 182, soit 67 % : si l’on considère que toutes les dactylos ne disposent pas d’un téléphone, une estimation situant à 90 % la féminisation du personnel administratif pour la période45 semble cohérente.
Sachant qu’en 1970 le personnel administratif global du Centre compte 1 108 agents46, c’est environ un millier d’administratives que l’on y dénombrerait aux côtés d’environ 2 170 chercheuses, de 3 500 techniciennes (estimées à 50 % des 7 058 techniciens dénombrés47) et de 600 ingénieurs48. Combien de femmes au CNRS en 1970 ? Environ 7 270, soit 43,7 % du personnel.
Des femmes, des fonctions, des grades et des disciplines, 1971-2000
Depuis 1971, des statistiques, mentionnant l’appartenance sexuelle du personnel du CNRS, permettent de situer, avec plus de finesse que pour les années antérieures, la place des femmes au CNRS et peuvent éventuellement en caractériser l’évolution – ou la non évolution ? – entre les années 1970 et 1990. Combien sont-elles en tout ? Le tableau 3 retrace l’évolution de la présence féminine parmi les agents du CNRS entre 1971 et 200049. En 1971, comme en 2000, la “sur-parité” de mise chez les ITA garantit le fort taux de présence féminine au CNRS (plus de 40 %) mais, logiquement, le très léger recul de l’avantage féminin parmi les ITA au cours de ces trois décennies s’est traduit par une baisse de la féminisation globale de l’établissement. Il faut évidemment attendre que le soupçon de reprise observé entre 1995 et 2000 se consolide pour pouvoir parler d’une éventuelle inversion de tendance. Dans le repli global, les chercheuses tirent leur – frêle – épingle du jeu : elles sont relativement plus nombreuses en 2000 qu’en 1971, mais demeurent en deçà de leurs fastes années 1960 où la barre du tiers de femmes parmi les chercheurs était franchie. Pour s’en tenir aux seules années 1990 pour lesquelles les comparaisons sont aisées, le CNRS n’affiche pas le taux de croissance féminine relevé du côté des emplois de l’enseignement supérieur entre 1992 et 2001 où la progression des effectifs féminins est supérieure à celle des effectifs globaux, ni celui observé, en partant de plus bas, dans la recherche en entreprise où depuis 1992 le taux de croissance de l’emploi des femmes est le triple de celui des hommes50. Au CNRS, en 2000
Tableau 3 : féminisation des effectifs du CNRS entre 1971 et 2000les recrutements externes n’ont encore bénéficié aux femmes que pour 32,6 % des emplois de chercheurs et 47,8 % de ceux d’ITA: pas de quoi induire une dynamique féminine remarquable. Les chercheuses La répartition par grades de la population des chercheuses du CNRS au cours du dernier tiers du XXe siècle trace une pyramide assez implacable : plus on monte dans la hiérarchie des emplois, moins les femmes sont nombreuses (tableau 4). De façon constante, le – relatif – gros bataillon des chercheuses (un tiers au moins) se situe chez les chargés de recherche : les femmes sont là en proportion plus forte que parmi l’ensemble des chercheurs. Mais, conséquence logique et perverse de cet “avantage”, les femmes sont nettement sous-représentées parmi les directeurs de recherche au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie du grade et ce, de plus en plus nettement. Le bilan des années 1990 n’incite guère à l’optimisme. Si l’on ne peut que se réjouir de voir la poignée des directrices de recherche “de classe exceptionnelle” s’étoffer, la régression des directrices de 1ère classe et la stagnation de celles de 2e classe inquiètent. Ces chiffres accusent une absence de promotion féminine allant de pair avec le cantonnement des femmes aux grades de chargées de recherche auxquels elles sont très majoritairement recrutées. La part des femmes dans les promotions internes (par concours ou au choix) demeure constamment inférieure à la présence féminine parmi les chercheurs : les 25,9 % d’heureuses promues en 2000, pour 30,3 % de chercheuses, en témoignent encore. Le tableau 5 ventile les chercheuses par départements scientifiques entre 1977 et 2000, en pourcentages par rapport à l’effectif total des chercheurs de chaque département51.
Tableau 4 : répartition des chercheuses par grades, en pourcentages, 1971-2000De 1977 à 2000, la progression la plus
spectaculaire apparaît dans les sciences
pour l’ingénieur :la féminisation relative y a
doublé. Les chercheuses se sont également
imposées, mais dans une moindre mesure
en physique nucléaire et corpusculaire et
en chimie. En sciences de l’homme et de la
société, elles ont accentué encore leur forte
présence au point de devancer l’autre secteur
traditionnellement féminin, celui des
sciences de la vie, où elles sont en repli
régulier. La stabilité est de mise en sciences
physiques et mathématiques, comme
en sciences de l’univers. On constate avec
satisfaction que l’amplitude des écarts de
féminisation relative entre les secteurs
s’est resserrée, passant de 9,1 % / 45,2 %
en 1977 à 17,1 % / 40,9 % en 2000, mais on
note avec regret qu’un département sur
deux n’atteint toujours pas le quart de
chercheuses.
Les enseignements du tableau 5, concernant
les années 1991-2000, sont à rapprocher
des statistiques portant sur les thèses
soutenues par des femmes : celles-ci
ont progressé, toutes disciplines confondues,
de 32 % des thèses en 1992 à 40 %
en 199952. La croissance la plus remarquable,
celle des soutenances féminines en
sciences de l’univers (d’un peu plus de 20%
à près de 40 %) ne s’est pas encore reflétée
au niveau des chercheuses ; il est sans
doute trop tôt. Le tassement des doctorats
en chimie, depuis 1996, n’est, lui non plus,
pas encore sensible ; en revanche, le “plafonnement”
autour de 50 % des soutenances
féminines en sciences de la vie va
de pair avec le repli amorcé du côté des
chercheuses. Quant aux thèses en sciences
de l’homme, elles continuent à croître,
comme la part des chercheuses dans ces
disciplines. Les thèses en mathématiques,
physique et sciences pour l’ingénieur sont
relativement stables, autour de 20 %.
La très petite place des femmes parmi les
directeurs et sous-directeurs de laboratoire,
laissée à 6,8 % en 1970, a-t-elle progressé
notablement entre 1971 et nos jours ? En
1977, le pourcentage de formations dirigées
par une femme stagne toujours à 7,2 %
(87 sur 1 200)53 avant de “grimper” à 12,5 %
en 198754. Cependant, c’est surtout grâce
à des partages de direction avec une co-directrice ou à des créations de postes de sous-directeurs. En 1994, 14,5 % seulement des responsables ou co-responsables des 372 laboratoires propres sont des femmes ; le seuil des 10 % n’est franchi qu’en sciences de la vie (14,5 %), sciences physiques et mathématiques (16,7 %) et sciences de l’homme et de la société (24,1 %). Par rapport au nombre de chercheuses (40,6 % en 1995), les sciences de la vie se montrent alors particulièrement avares de responsabilités à leur confier. En 2002 enfin, pour un total de 1 128 unités de recherche (propres, mixtes ou associées), 123 femmes seulement assurent des directions, soit 10,9 % ; les 10 % ne sont atteints qu’en sciences de la vie (12,7 %) et en sciences de l’homme et de la société (16,5 %). Comme en 1994, aucune chercheuse ne dirige en physique nucléaire et corpusculaire. Le pourcentage des laboratoires confiés à des directions féminines et qui reste obstinément et ridiculement bas – de l’ordre du tiers par rapport à ce que laisserait espérer la présence des femmes dans la recherche – met en évidence combien la féminisation du CNRS reste fragile et partielle. Ingénieures, techniciennes et administratives Le tableau 6 restitue la présence féminine parmi les catégories de personnels ITA de 1971 à 2000 et le tableau 7 récapitule, pour la même période, la répartition de l’emploi féminin au CNRS entre chercheuses, ingénieures, techniciennes et administratives. La conjugaison des deux tableaux permet une vision à peu près réaliste de l’emploi féminin au CNRS. Même si de nombreuses pondérations seraient à apporter, en termes de transferts d’emplois entre catégories (techniciens et ingénieurs notamment) lors de la titularisation au début des années 1980 ou dans le cadre de la revalorisation des basses catégories de la fonction publique. Du tableau 6, prenant en compte les seules ITA, une impression de relative stabilité se dégage à propos de la part
des femmes chez les ingénieurs (autour de 40 %) comme, sans surprise, chez les administratifs (plus de 90 %). C’est seulement chez les techniciens que la féminisation s’est accrue. Sans entrer dans le fastidieux détail des grades propres à chaque corps, il faut néanmoins garder conscience que chez les ITA, comme chez les chercheuses, les pyramides hiérarchiques sont défavorables aux femmes. Si 42 % de femmes chez les ingénieurs peut être, un peu rapidement, jugé un “bon taux” pour un emploi de catégorie A de la fonction publique, il faut le nuancer en soulignant qu’en 2000, les femmes ne représentent que 10,4 % des ingénieurs de recherche “hors classe” (contre 16,5 % en 1990), 23 % des IR1 et 31,9 % des IR2 (respectivement 23,7 % et 35,4 % en 1990). C’est donc chez les ingénieurs d’étude que la forte présence féminine est sensible, de l’ordre de 50 %, avec, à la clé, un effet “d’embouteillage” de carrière. S’il y a 30 ans, le CNRS rémunérait, dans sa population féminine, une chercheuse pour trois ITA, ce rapport est passé à une pour deux en 2000 (tableau 7). Sur cent femmes employées, l’équilibre tient quasiment aujourd’hui entre un tiers de chercheuses, un tiers d’ingénieures et un tiers de techniciennes ; la part des administratives se réduisant comme peau de chagrin, sous le double effet de l’évolution de la bureautique et des revalorisations de carrière. Il est remarquable que plus les emplois administratifs régressent, plus ceux-ci deviennent un monopole féminin (tableaux 6 et 7). En trente ans, si les femmes se sont dirigées vers la recherche, l’ingénierie et la technique, les hommes quant à eux ne partagent toujours pas les tâches administratives les plus modestes. Les pourcentages de femmes ITA par départements scientifiques ne figurent au Bilan social que depuis 1998 ; aucune évolution remarquable n’étant sensible entre 1998 et 2000, le tableau 8 fournit les seuls chiffres 2000, en rappelant le pourcentage des chercheures et en calculant le taux de féminisation globale du département.
Tableau 7 : ventilation, par catégories, de l’emploi féminin au CNRS, 1971-2000Grâce aux personnels ITA, aucun département scientifique du CNRS ne compte, en 2000, moins d’une femme sur 4 agents, même si les moins féminisés au niveau des chercheurs (SPM, PNC, SPI) restent globalement les plus masculins ITA compris. Inversement, les femmes ITA affluent là où les chercheuses sont déjà les plus nombreuses (SHS et SDV). Entre ces deux extrêmes, et mis à part le cas particulier des “moyens communs”, sur lesquels pèse la lourde sur-représentation féminine administrative, les femmes tiennent la moitié des postes d’ITA en sciences chimiques, et près de 40 % en SDU et en STIC. Globalement, la présence féminine varie du quart des effectifs dans les sciences exactes les plus “dures” aux deux tiers dans la branche administrative ; la parité – en nombre mais non en hiérarchie, on l’a vu – ne s’est établie qu’en sciences de la vie et en sciences de l’homme. Combien de femmes au Comité national ? Depuis le premier Comité national fonctionnant, un peu expérimentalement, dès 1945-1946, avant même que le décret du 11 juin 1949 en précise l’organisation55, des femmes siègent au “parlement” de la science, constitué à des fins d’évaluation, de recrutement et de promotion des chercheurs, d’affectation de moyens aux laboratoires et plus généralement d’orientation de la recherche. En 1945, elles sont 5, certaines déjà évoquées comme Irène Joliot-Curie (physique) ou Pauline Ramart-Lucas (chimie), auxquelles se joignent, du côté de la biologie, Mlles Lebreton (directrice d’études à l’EPHE)
et Cousin (professeur à la faculté des sciences de Paris), ainsi que Mlle Cauchois (optique). Cooptations à l’origine, puis nominations et élections puisant de plus en plus largement au vivier du personnel universitaire et scientifique56 ont régulièrement renouvelé, tous les 4 ans depuis 195357, l’instance organisée en sections par grandes spécialités. Parti de 31 sections de 12 membres nommés en 1949 (372 membres au total), le Comité compte, en 1999, 840 membres, répartis en 40 sections de 21 chacune, 14 élus et 7 nommés. La place des femmes dans l’instance a progressé régulièrement, sauf régression passagère en 1987, bénéficiant de la mise en place de la procédure électorale pour composer ce parlement scientifique. À propos du Comité et des femmes, le rôle prépondérant de Lucienne Plin doit être souligné. Arrivée aux services centraux en juillet 1946, elle travaille notamment au secrétariat du Comité. Administratrice civile de 3e classe au départ, puis chef du 4e bureau des Services techniques en charge des personnels scientifiques et techniques, gravissant tous les échelons de la carrière, jusqu’au hors classe, Lucienne Plin, l’une des “grandes administratives” incontournables de l’histoire du CNRS, tire un certain nombre de ficelles d’une instance que sa longévité dans la fonction lui permet de connaître parfaitement, jusqu’au début des années 1970. Ses souvenirs, recueillis en 198658, la montrent régnant avec autorité sur la préparation des recrutements de chercheurs, pratiquant des coupes sombres dans les demandes de crédits d’équipements ou de publications présentées par les sections du Comité et menant à la baguette leur président. Il est intéressant de retracer la progression de la place des femmes au Comité national, en nombre et par disciplines, en statuts et en responsabilités particulières au sein du Comité quand la documentation le permet. Évolution de la présence des femmes au Comité national, de 1949 à 1999 Le tableau 9 (page suivante) fournit, pour chaque année du Comité, le nombre de membres total59, celui des femmes, le pourcentage que ces dernières représentent et la liste des groupes de sections ou sections sans femmes et/ou n’en comprenant qu’une à partir de 1983. La féminisation du Comité national s’apparente à une longue et lente marche : quarante ans ont été nécessaires pour que le quart (28,1 %) de participantes soit dépassé. Ce quart enfin franchi en 1999 renvoie à un autre : les 24,9 % de femmes, toujours en 1999, parmi les chercheurs, toutes appartenances confondues (recherche publique CNRS, autres organismes, universités et recherche en entreprise)60. La proximité des deux taux est parfaitement cohérente puisque les membres du Comité national viennent précisément de ce monde-là, de même que leurs électeurs, pour la part majoritaire, élue. 56 % seulement du collège électoral est composé des agents CNRS
(inscrits d’office) et 56 % également des membres du Comité appartiennent au CNRS61. Si, en 1999, la féminisation du Comité est un peu plus forte (2 points) que celle de la recherche dans son ensemble, c’est peut-être en raison de la relativement faible place de la recherche en entreprise, au niveau du collège électoral et des membres du Comité. En 1999, la recherche industrielle n’est féminine que pour 19,1 % de son personnel, contre 29,9 % pour la recherche publique. Le Comité se situe entre les deux, mais, logiquement, s’apparente à la situation du secteur public. Un demi-siècle de progression, pour atteindre un taux seulement cohérent avec la population concernée, on ne peut pas dire que le Comité se soit aisément ouvert aux femmes et ce d’autant moins que l’assemblée constituée en 1987 enclenche pour un temps la marche arrière, par le nombre réduit de femmes qui la compose et par une représentation plus restreinte dans les diverses disciplines. Le Comité mis en place en 1991 marque d’une pierre blanche son histoire et celle des femmes. C’est la première assemblée ne comptant aucune section masculine à 100 %. Mise à part l’année 1999, date à laquelle ce même phénomène se reproduit, c’est entre 1966 et 1970, quand le nombre de femmes au Comité double, que la généralisation “disciplinaire” de leur présence accomplit son pas décisif. Passé ce cap, les bastions masculins tendent à se resserrer sur la physique nucléaire et corpusculaire, les sciences physiques et mathématiques et les sciences pour l’ingénieur : trois départements où les chercheuses restent rares, encore aujourd’hui. Le tournant 1966-1970 reflète évidemment le coup d’accélérateur soixante-huitard, et il est intéressant de mesurer la présence féminine sur la liste des “chercheurs invités à participer à titre consultatif aux travaux des sections du Comité national, session automne 1968” : elles sont 13 sur 55 (23,6 %) à être envoyées pour assister, certes sans voix au chapitre, aux travaux d’une assemblée dans laquelle elles ne comptaient que pour 7,2 %. Il est tout aussi remarquable que sur les 9 sections qui n’en comptaient aucune, deux seulement “se rattrapent” : la physique des solides et les langues et civilisations classiques. Si, dans certaines disciplines “dures”, les candidates pouvaient effectivement manquer (électronique par exemple), ce n’était sans doute pas le cas en sociologie et démographie ou en sciences juridiques et politiques ; les raisons de cette absence seraient à creuser. Inversement, les études linguistiques et la littérature française qui figuraient déjà parmi les 4 sections les plus féminisées (avec 4 femmes sur 22 membres) choisissent deux invitées supplémentaires. Les 2 autres sections les plus mixtes (4 femmes également en chimie biologique et en anthropologie, préhistoire, ethnologie) n’en “rajoutent pas”. Logiquement, au renouvellement de 1971, les études linguistiques et la littérature française prennent la tête de l’ouverture : la section compte 8 femmes sur 26 membres, presque le tiers. Seules les sciences de l’homme et de la société se retrouvent dans
le peloton de tête, les 3 sections réunissant 7 femmes y ressortent : “Anthropologie, préhistoire, ethnologie”, “Linguistique générale”, “Antiquités nationales et histoire médiévale”. En 1976, les sciences humaines monopolisent encore 5 des 6 sections dont le quart des membres sont des femmes ; les sciences de la vie, avec la biologie animale, s’imposent enfin (alors qu’elles comptent 45,2 % de chercheuses, contre 33,9 % en sciences de l’homme) dans cette avant-garde – elles ont en outre 5 autres sections comprenant 6 femmes. Dans les années 1980, les sciences humaines restent les championnes de la féminisation du Comité, suivies des sciences de la vie ; l’inversion par rapport au pourcentage de chercheuses, entre ces deux départements où elles sont toujours les plus nombreuses, reste de mise. Dans les années 1990, ces deux départements sont au coude à coude, parmi les sections qui atteignent un tiers de membres féminins et sont rejointes par quelques-unes, issues des sciences physiques et mathématiques. Comment arrivent-elles au Comité ? Et qu’y font-elles ? Préciser comment les femmes arrivent au Comité, par élection ou nomination et éventuellement quelles responsabilités spécifiques en son sein leur sont confiées, nuance l’image de leur seule présence ou appartenance selon les disciplines. La réforme du Comité national en 1959, introduit l’élection de la moitié de ses membres : dans chaque section, 10 sont élus, 5 nommés par le Premier ministre, 5 par le ministre de l’Éducation nationale. Dès 1962, l’égalité élus/nommés n’a plus cours, les élus prenant définitivement la majorité des sièges, de 12 sur 20 par section en 1962, à 14 sur 21 depuis 1991. Autre réforme, fruit de 1968 et décisive pour ouvrir le Comité au deuxième sexe, celle de 1970, ajoutant aux collèges A, “classes supérieures” du monde chercheur, universitaire et académique (7, puis 6 sièges) ;B, “classes moyennes” de la recherche et de l’Université (6, puis 5 sièges) ; un collège électoral C composé des ITA, catégories de personnels où elles sont majoritaires, mais qui n’élit que 3 représentants. La situation des femmes présentes au Comité dans les différents collèges en 1987, 1995 et 1999, et pour mémoire en 1967, mesure de lentes évolutions (tableau 10). En 1999, le pourcentage des femmes élues rejoint le pourcentage des chercheuses, mais en grande partie grâce
Tableau 10 : part des femmes dans les différents collèges du Comité national
à leur forte présence au collège C, celui des ITA. Si le pourcentage de femmes élues au Comité national devait refléter leur place globale au CNRS, c’est alors 40 % qu’il faudrait atteindre62. La création du collège C a certes permis un afflux féminin au Comité, mais il a en même temps “cantonné” en partie leur présence. Les évolutions aux niveaux des collèges A et B sont simplement inéluctables et tendent à se rapprocher des taux de féminisation des grades concernés. Parmi les nominations, un rattrapage très récent s’est produit ; avec le soupçon de progression des femmes au collège A, il constitue le seul mouvement sensible entre 1995 et 1999. Chaque section du Comité met en place un bureau, comprenant un président, un secrétaire et 3 autres membres ; compter les femmes dans ces “microinstances” fournit un indice supplémentaire sur leur participation au Comité. De 1970 à 1999, les femmes n’ont présidé que 10,1% des sections du Comité, score bien inférieur à leur présence moyenne. Aucune tendance évolutive ne se dessine : le taux oscille entre 4,4 % en 1987 et 22,5 % en 1991 – année faste à ce niveau –, mais il n’est que de 15 % en 1999, après être tombé à 5 % en 1995 ! La féminisation ne s’est pas mise en marche dans cette fonction. Les deux départements où les femmes sont le mieux implantées de façon globale sont évidemment ceux qui les laissent le plus volontiers présider : 12 sur 29 présidences féminines en SHS, 7 sur 29 en SDV, 4 en chimie, 1 à 2 dans les autres départements. La situation au niveau des secrétariats de bureaux est un peu plus favorable, ce qui ne surprend pas étant donné la figure traditionnellement féminine attachée à la fonction : 27,7 % en moyenne leur sont confiés63, sans mouvement notable. Les secrétariats ventilent mieux, entre les différents départements scientifiques, les responsabilités des femmes au Comité. Hors présidence et secrétariats, les bureaux de section sont féminisés à 15 % seulement en 1995 et 199964, soit encore beaucoup moins que le Comité qui ne l’est déjà pas beaucoup. De façon générale, l’origine collégiale des femmes accédant au Comité, comme la composition des bureaux, confortent l’impression que celui-ci ne s’est ouvert aux femmes que “par la petite porte”.
Des femmes distinguées ?
Depuis 1954, le CNRS honore chaque année des chercheurs, en leur décernant des médailles (or, argent et bronze) et, depuis 1992 seulement, des ITA, en leur attribuant un “cristal”. La Médaille d’Or (une, ou très rarement, deux par an) couronne l’oeuvre de personnalités exceptionnelles, ayant contribué par leurs travaux au rayonnement international de la recherche française. Du côté des femmes, les comptes sont vite faits et la cause entendue : dans la liste des 53 noms qui vont du mathématicien Émile Borel, en 1954, à l’anthropologue Maurice Godelier en 2001, deux noms féminins seulement se sont glissés (3,8 %). En 1975, Christiane Desroches-Noblecourt est la première ainsi distinguée. Les
travaux et la renommée, jusqu’auprès d’un large public65, de la conservatrice des Antiquités égyptiennes du Louvre, responsable d’une équipe de recherche associée au CNRS et membre, dès 1950, du Comité national lui valent cet honneur. La date de remise de cette médaille n’est pas anodine, puisque l’année 1975 a été proclamée par l’ONU “année de la femme” et que la première secrétaire d’État à la Condition féminine, Françoise Giroud, vient de prendre ses fonctions. S’il est remarquable qu’en 1975, pour la première fois, la Médaille d’Or du CNRS soit attribuée à une femme, il est tout aussi remarquable que, pour la première fois... deux soient décernées, l’autre l’étant au physicien Raymond Castaing66, un peu comme si l’audace de la récompense féminine devait, d’une certaine manière, subir un ré-équilibrage67. Il faut attendre onze ans pour voir se renouveler l’événement d’une Médaille d’Or féminine : en 1986, l’embryologiste Nicole Le Douarin, directrice de recherche depuis 1976 et membre de l’Académie des sciences depuis 1982, est distinguée à son tour. Encore une fois avec les Médailles d’Or de Christiane Desroches-Noblecourt et de Nicole Le Douarin, ce sont les sciences de l’homme, puis celles de la vie, qui reconnaissent les premières l’existence des femmes dans la recherche. À qui le tour ? Les Médailles d’Argent (une quinzaine par promotion depuis les années 1970, neuf à l’origine dans les années 1950) distinguent la qualité et l’originalité du travail de chercheurs reconnus par la communauté scientifique française et internationale. La procédure de choix des heureux élus commence par des débats dans les sections du Comité national, proposant chacune un nom au Conseil du département dont elle relève ; cette instance examine les propositions et choisit le (ou les, suivant les départements) nom à soumettre au Comité de direction du CNRS ; appuyé sur ces pré-choix successifs, le directeur général prend la décision finale d’attribution. Les Médailles de Bronze – une trentaine par an dans les années 1970, puis une quarantaine à partir du milieu des années 1980, soit à peu près une par section du Comité – récompensent de jeunes chercheurs s’étant distingués par de premiers travaux leur conférant rapidement la réputation de spécialistes dans leurs domaines. Pour les Médailles de Bronze, les candidatures sont examinées, discutées et finalement départagées au niveau des sections du Comité. Les Conseils de département entérinent alors ces choix. De 1955 à 2001, les chercheuses n’ont obtenu que 13,2 % du total des Médailles d’Argent attribuées (77 sur 584) et, de 1971 à 2000, 20,4 % de celles de bronze (233 sur 1 141), maigre moisson68. Or, argent et bronze additionnés, le score atteint n’est que de 17,5 %. De l’or au bronze, la part concédée aux femmes croît de façon inversement proportionnelle au prestige de la récompense. Les tableaux 11 et 12 précisent, pour l’argent et pour le bronze, les pourcentages
Tableau 11 : pourcentages de Médailles d’Argent attribuées aux femmes et pourcentages de chercheuses par départements scientifiques de 1971 à 2000
Tableau 12 : pourcentages de Médailles de Bronze attribuées aux femmes par départements scientifiques de 1971 à 2000
de médailles obtenues par les femmes, dans chaque département scientifique, par tranches de 10 ans entre 1971 et 200069, et rappellent le pourcentage de chercheuses correspondant.Même si les statistiques sur les médailles portent sur de très petits effectifs, les pourcentages ont été calculés aux fins de rendre les comparaisons plus aisées. Que ce soit pour l’argent ou pour le bronze, la part des distinctions conférées aux femmes progresse certes, mais très lentement : 2 points de mieux pour l’argent entre les années 1970 et 1990, 5 pour le bronze et sans atteindre le taux qui serait cohérent avec la présence globale des chercheuses (30,3 % en 2000). Du côté de l’argent, la moitié même de cette part “légitime” n’est pas encore atteinte. Du côté du bronze 8 points sont encore à gagner. SHS et SDV sont les départements où les médailles et les femmes sont les plus nombreuses, les SHS légèrement moins féminisées que les SDV (respectivement 38,6 % et 40,6 % de chercheuses en 1995) prennent néanmoins l’avantage, au niveau des Médailles d’Argent, sur l’ensemble de la période. Pour le bronze, les SDV reprennent le dessus. Une clé de ces classements différents entre SHS et SDV pour l’argent et le bronze se trouve sans doute dans l’âge moyen des chercheuses : le vivier de femmes susceptibles de distinction est plus âgé en SHS qu’en SDV. L’argent est une médaille de jeune quinquagénaire, alors que le bronze s’obtient en début de trentaine70, les “jeunes” chercheuses se rencontrent plus facilement en SDV qu’en SHS. Chimie et SDU se situent au milieu du tableau, pour l’argent comme pour le bronze. Au cours de la dernière décennie ces deux départements ont attribué une part relativement importante de leurs Médailles de Bronze à des femmes : le taux de médailles féminines se rapproche (et l’atteint presque pour la chimie) du taux de chercheuses dans ces départements. Il sera intéressant de voir, dans quelques années, si les Médailles d’Argent suivront. Les trois départements les plus masculins ferment logiquement la marche : SPM, PNC et SPI n’accordent pratiquement pas de Médailles d’Argent au deuxième sexe (et même pas du tout en PNC), mais, encore un effet générationnel, font mieux avec le bronze, en particulier PNC qui atteint, et dépasse même en 1991-2000 la part “légitime” eu égard à la faible féminisation du département. Là encore, il faudra voir si les Médailles d’Argent suivront. Les personnels ITA bénéficient de leur propre récompense : le Cristal. Les propositions d’attribution faites par les directeurs d’unités sont transmises aux directeurs de départements qui les soumettent à leur tour aux sections du Comité national. Le classement des ITA finalement retenus par chaque département, est présenté au Comité de direction du CNRS pour le choix final. Créé en 1992, le Cristal est trop neuf pour que l’on puisse déceler une tendance évolutive dans le sexe de ses récipiendaires. Néanmoins, étant donné la forte féminisation des personnels
concernés (de 51,4 % en 1992 à 52,2 % en 200071) la part des femmes “cristallisées” devrait logiquement être sensiblement plus forte que celle des chercheuses médaillées. Or, depuis 1992, les femmes n’ont obtenu que 31 des 136 Cristal décernés72, soit 22,7 %, c’est-àdire moins de la moitié de leur “espérance mathématique” eu égard à leur présence. La raison de cette apparente anomalie est très simple : les ingénieurs de recherche73 “confisquent” près de 60 % des Cristal (58,1 % côté féminin et 59,5 % côté masculin) et il se trouve que, dans la population des ITA, c’est précisément parmi les ingénieurs de recherche que les femmes sont les moins nombreuses. En 2000, il n’y a que 9,6 % d’ingénieurs de recherche parmi les femmes ITA, mais 27,4 % chez les hommes : les femmes partent dans la course au Cristal avec un handicap certain. Les ingénieurs d’études constituent le deuxième groupe bénéficiaire des Cristal, 25,8 % des femmes “cristallisées” et 16,4 % des hommes. Le jeu est cette fois un peu moins franchement inégal, mais encore légèrement défavorable pour elles puisque, en 2000, 23,7 % des femmes ITA sont ingénieurs d’études, pour 27,3 % des hommes. Une fois retirés les Cristal décernés aux ingénieurs et assistants ingénieurs74, il ne reste qu’une part congrue aux personnels de catégories techniques et purement administratives75. En considérant les fonctions des heureux “cristallisés”, hommes et femmes confondus, et la répartition par sexe du personnel dans ces fonctions, on aboutit au curieux paradoxe que chez les ITA où le personnel féminin est majoritaire, une femme a finalement trois fois moins de chance qu’un homme d’obtenir un Cristal76! Quant aux départements d’appartenance des ITA distingués, ce sont, pour les femmes, les Moyens communs qui viennent en tête (8 Cristal), suivis, sans surprise, des SDV (6) et des SHS (4). Pour les hommes, la répartition est beaucoup plus homogène entre tous les départements scientifiques et les Moyens communs viennent en dernier. Dans le monde des ITA, le Cristal masculin récompense “l’accompagnement de la science”, selon la formule consacrée, alors que le Cristal féminin récompenserait plutôt sa gestion. De l’Or, attendu jusqu’en 1975, au Cristal, reconnaissant enfin en 1992 les catégories de personnel où les femmes sont les plus nombreuses – mais qui bénéficie proportionnellement beaucoup plus aux hommes –, l’étude des distinctions conférées aux femmes par le CNRS laisse l’amère impression que celles-ci n’ont pas eu leur part
Jean-François Picard est historien, ingénieur de recherche au CNRS. Il est l’auteur d’une histoire du CNRS (La République des savants, le CNRS et la recherche française, Paris, Flammarion, 1990). Il a aussi publié de nombreux articles sur l’histoire des politiques scientifiques en France et à l’étranger.
Dans cet article, Jean-François Picard tente de mieux cerner la place des femmes au CNRS et plus généralement dans le monde de la recherche, en proposant, dans un premier temps, une lecture statistique minutieuse de leur présence au sein des différents laboratoires. Engageant sa réflexion en utilisant des approches sociologiques récentes et en analysant les difficultés propres aux minorités, l’auteur propose d’observer les capacités d’adaptation et les moyens mis en oeuvre par les femmes pour travailler dans la recherche. Choisissant de laisser la parole à celles qui vivent quotidiennement ces difficultés et qui analysent les raisons pour lesquelles, contraintes ou pas, elles tendent à privilégier certains domaines de recherches, Jean-François Picard aborde les multiples causes qui provoquent les débats actuels.
Marry Catherine, “Femmes ingénieurs :
une irrésistible ascension ?”, Information
sur les Sciences Sociales, n°28, 1989.
Marry Catherine, “Les ingénieurs : une
profession plus masculine en Allemagne
qu’en France ?”, L’Orientation scolaire et
professionnelle, n°21-3, 1992.
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ingénieur au féminin : contribution
à une analyse des qualifications supérieures,
Lasmas Iresco CNRS, 1991.
Marry Catherine, “L’excellence scolaire
des filles : une révolution respectueuse ?
Le cas des diplômées des grandes écoles
scientifiques et d’ingénieurs”, note pour
l’habilitation à diriger des recherches en
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Saint-Quentin, février 2002.
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sur le marché du travail, Paris,
La Découverte, 1998.
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positions de pouvoir : le cas des entreprises
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la parité en sciences et technologie,
Livre blanc : les femmes dans la recherche
française, mars 2002, disponible sur
internet : http://www.recherche.gouv.fr/
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sociologie dirigé par Danièle Kergoat et
Jean-Pierre Terrail, Paris, 2001.
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grande rupture, Paris, La Découverte,
2001, pp. 269-280.
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et famille : quatre mouvements pour un
quatuor ? Sociologie du travail et sociologie
de la famille”, Sociétés contemporaines,
n°25, 1997.
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1 - Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil, Marquise du Châtelet - Lomont (1706-1749),
amie de Voltaire dont il disait “C’était un grand homme dont la seule faute était d’être une
femme”. Dès l’âge de quinze ans, elle étudie la philosophie et se passionne pour la
physique. Elle traduit et commente les Principes mathématiques de Newton. Par ses
travaux, elle est l’égale des savants de son temps.
© D comme Découvreuses - source Château de Breteuil
2 - Marie-Sophie Germain (1776-1831) est probablement la première femme mathématicienne. Brillante
autodidacte, c’est à l’âge de 13 ans qu’elle découvre le monde des mathématiciens par la lecture de la
vie d’Archimède. C’est sous un pseudonyme masculin qu’elle correspondra avec les grands
mathématiciens de son temps. Connue pour sa théorie des nombres premiers, elle reçoit le grand prix
de l’Académie des sciences de Paris en 1816.
© D comme Découvreuses
3 - Marie Curie avec sa fille Irène en 1922 dans le laboratoire Curie, à l’Institut du radium qu’elle créa en
1914. Marie Curie, née le 7 novembre 1867 à Varsovie recevra deux fois le prix Nobel, celui de physique
en 1903 et celui de chimie en 1911. Irène Joliot-Curie recevra le Nobel de chimie en 1935.
© DR
4 - Rosalind Franklin, biologiste britannique (1920-1958). Elle participe avec James Watson, Francis
Crick et Maurice Wilkins à la découverte de la structure hélicoïdale de l’ADN. En 1962, quatre ans après
sa mort, ils reçurent le prix Nobel de physiologie ou médecine. Dans leurs discours, ils ne firent quasiment
aucune référence à Rosalind Franklin.
© D comme Découvreuses
5 et 6 - Rita Levi-Montalcini, neurologue italo-américaine, prix Nobel de physiologie ou médecine
en 1986. Le 17 octobre 2001, elle honore de sa présence le CNRS, dans le cadre de la cérémonie
organisée pour le baptême de l’auditorium Marie Curie, à l’occasion du Centenaire des prix Nobel.
À 92 ans, elle participe, avec la seconde fille de Marie Curie, Ève, âgée de 97 ans, à un débat avec
Pierre-Gilles de Gennes.
Christiane Nüsslein-Volhard, biologiste allemande née en 1942 reçoit le prix Nobel de physiologie ou
médecine en 1995. Elle compte parmi les 10 femmes qui ont reçu cette distinction - dans les matières
scientifiques - contre 470 hommes, depuis la création du prix. Elle a accepté, avec Rita Levi-Montalcini
d’apporter son témoignage de “femme modèle” dans un film réalisé pour la Mission pour la place des
femmes au CNRS.
© CNRS Images / media 2001
7 et 8 - Catherine Bréchignac a été la première femme à diriger le CNRS, premier organisme français de
recherche. Cette physicienne restera à la tête de l’organisme de 1997 à 2000.
Une autre femme lui succèdera, la biologiste Geneviève Berger, jusqu’en 2003. C’est Catherine
Bréchignac qui a créé le Comité pour l’histoire du CNRS. C’est sous l’impulsion de Geneviève Berger, en
juillet 2001, que sera créée la Mission pour la place des femmes au CNRS.
© Catherine Bréchignac - CNRS photothèque/R.Lamoureux
© Geneviève Berger - CNRS /N. Tiget
P. 27 - Colonne de réfrigération à boule. UPR 9021 – Immunochimie des peptides et virus – Strasbourg © CNRS Photothèque – L. Médard P. 29 - Mise en place d’une colonne de chromatographie sur un collecteur de fractions en vue d’une purification de protéine. URA 1139 – Régulation de l’expression génétique chez les microorganismes – Paris © CNRS Photothèque – L. Médard P. 33 - Test catalytique travaillant sous pression. Installation d’un réacteur à lit fixe. La réaction étudiée est la réaction de Fischer-Tropsch qui permet de synthétiser une grande diversité de produits (alcanes, oléfines, alcools) par passage d’un mélange gazeux (CO+H2) sur un catalyseur. ESA 8010 – Laboratoire de catalyse hétérogène et homogène – Villeneuve d’Ascq © CNRS Photothèque – R. Lamoureux P. 39 - Séchage des plantes. Laboratoire d’extraction. UPR 2301 – Institut de chimie des substances naturelles (ICSN) – Gif-sur-Yvette © CNRS Photothèque – P. Plailly P. 44 - Interférométrie atomique. Partie supérieure de l’interféromètre. Zone de piégeage. En mauve, la compensation du champ terrestre, à droite, la caméra refroidie. Au centre, on distingue les bobines du champ quadripolaire. UPR 3321 – Laboratoire Aimé Cotton – Orsay © CNRS Photothèque – C. Delhaye P. 69 - Animalerie. Préparation pour l’injection sous-cutanée de cellules tumorales dans des souris. URA 147 – Pharmacologie moléculaire – Villejuif © CNRS Photothèque – P. Latron P. 72 - Analyse de biopsies musculaires au Laboratoire de morphologie (FR INSERM, IRCAM et CNRS). FR 16 – Institut fédératif de recherche sur le handicap (IFRH) – Paris © CNRS Photothèque – R. Lamoureux P. 75 - Verrerie dans un laboratoire de chimie organique. UPR 5301 – Centre de recherches sur les macromolécules végétales (CERMAV) – Grenoble © CNRS Photothèque – R. Lamoureux P. 79 - Système d’extraction par évaporation (“évaporateur rotatif type Rtavapor Düchi”). UPR 9021 – Immunochimie des peptides et virus – Strasbourg © CNRS Photothèque – L. Médard P. 99 - Peintures du IIIe siècle après JC. Restauration en cours dans un tombeau de Jordanie. Injection. URA 375 – Mosaïques, peintures, stucs : informatique en archéologie – Paris © CNRS Photothèque – A. Barbet
P. 117 - Analyse d’un modèle de glycosyltransférase. UPR 5301 – Centre de recherches sur les macromolécules végétales (CERMAV) – Grenoble © CNRS Photothèque – R. Lamoureux P. 119 - Karnak, restauration des blocs en granit noir de la porte de la chapelle Rouge. UPR 1002 – Mission permanente à Karnak © CNRS Photothèque – A. Chene P. 125 - Laser de puissance Luli. Chambre d’interaction. UMR 100 – Laboratoire pour l’utilisation des lasers intenses (Luli) – Palaiseau © CNRS Photothèque – D. Wallon P. 129 - Chimie des solides à l’Institut des matériaux de Nantes. Batteries au lithium. UMR 6502 – Institut des matériaux de Nantes (IMN) – Nantes © CNRS Photothèque – L. Médard P. 133 - Imagerie acoustique de cibles enfouies dans des sédiments marins (étude expérimentale en modèle réduit) UPR 7051 – Laboratoire de mécanique et d’acoustique (LMA) – Marseille © CNRS Photothèque – L. Médard P. 136 - Travaux de laboratoire, collage d’ossements en provenance de charniers de Provence (peste des XVIe et XVIIIe siècles), dans le cadre d’études paléomicrobiologiques. UMR 6578 – Adaptabilité humaine : biologie et culture – Marseille © CNRS Photothèque – C. Delhaye P. 137 - Système temps réel de reconnaissance et d’interprétation de gestes de la langue des signes française. Les gestes sont captés par un gant numérique, reconnus automatiquement en utilisant une méthode basée sur un apprentissage et interprétés à l’aide de règles syntaxiques basées sur une représentation de l’espace. Groupe IMM (Groupe Interaction et Multi-Modalités), projet ARGo : analyse et reconnaissance des gestes sémiotiques. UPR 3251 – Laboratoire d’informatique pour la mécanique et les sciences pour l’ingénieur (Limsi) – Orsay © CNRS Photothèque – L. Médard P. 142 - Montage des filaments sur le barillet du spectromètre de masse. URA 1758 – Géochimie et cosmochimie – Paris © CNRS Photothèque – L. Médard P. 146 - Simulation de contrôle aérien pour conception des postes du futur. URA 1775 – Laboratoire d’automatique et de mécanique industrielles et humaines (LAMIH) – Valenciennes © CNRS Photothèque – L. Médard
Affiche de l'exposition D comme Découvreuses, créée pour la première fois au Panthéon en mars 2002. On reconnaît Marie Curie et sa fille Irène. C'est dans le cadre de cette exposition, présentée au siège du CNRS, Campus Michel-Ange à Paris, à l'occasion de la Célébration internationale de la femme, qu'a été signé le 6 mars 2003 l'accord-cadre sur la parité dans les sciences. Affiche de l'exposition D comme Découvreuses, créée pour la première fois au Panthéon en mars 2002. On reconnaît Marie Curie et sa fille Irène. C'est dans le cadre de cette exposition, présentée au siège du CNRS, Campus Michel-Ange à Paris, à l'occasion de la Célébration internationale de la femme, qu'a été signé le 6 mars 2003 l'accord-cadre sur la parité dans les sciences
.À la veille de la célébration de la journée internationale de la femme, au siège du CNRS, dans le cadre de l’exposition D comme Découvreuses, hommage aux femmes qui ont marqué l’univers scientifique, Claudie Haigneré, ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles Technologies, Nicole Ameline, ministre déléguée à la Parité et à l’Égalité professionnelle, et Geneviève Berger, directrice générale du CNRS, ont signé un accord-cadre pour promouvoir l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans les carrières scientifiques. Dès 2001, le CNRS s’est donné une priorité : promouvoir la place des femmes dans les sciences. En créant une structure opérationnelle, la Mission pour la place des femmes, la directrice générale a su donner à l’organisme les moyens de sa politique. Le CNRS est le premier EPST à mettre en place un plan d’action pour un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes dans la recherche. Le chemin est long qui conduit à la parité ; trois femmes s’y sont engagées, conscientes que l’égalité répond à une exigence démocratique et constitue un des facteurs du développement économique et social. La signature de cet accord est la concrétisation des efforts engagés dans le domaine par les trois partenaires. Le temps fort en sera la création d’un réseau de correspondants parité - recherche dans les régions qui animera et fera vivre ces engagements, pour une meilleure égalité des chances entre les femmes et les hommes, pour une mixité équilibrée en sciences et en technologies.
De gauche à droite : Nicole Ameline, ministre déléguée à la Parité et à l’Égalité professionnelle, Claudie Haigneré, ministre déléguée
à la Recherche et aux Nouvelles Technologies et Geneviève Berger, directrice générale du CNRS, signent l’accord-cadre.
La Mission pour la place des femmes au CNRS et le Comité pour l’histoire du CNRS tiennent à remercier tout particulièrement les auteur-e-s des études rassemblées dans cet ouvrage : Ilana Löwy, Martine Sonnet, Jean-François Picard, Emmanuelle Cospen-Gharibian, Geneviève Faye, Ilse Costas, Londa Schiebinger, Margaret Rossiter et Catherine Nave. Nos remerciements vont également à Sylvie Gisselbrecht, Jacqueline Verdière, Betty Felenbok, Ethel Moustacchi, Annie Sainsard, Suzy Mouchet, Madeleine Foisil et Mireille Corbier, qui ont accepté d’apporter leur témoignage dans le cadre des entretiens, ainsi qu’à Claudine Herzlich et Michelle Perrot pour leur expertise. Enfin, nous exprimons notre gratitude tout particulièrement à Laurence Chavinier, Virginie Durand, Claire Giraud, Anne Piton, Laure Marry, Lydia Scher-Zembitska, ainsi qu’à toutes celles et ceux qui ont apporté leur contribution à la réalisation de cette publication.
Le lancement officiel du livre Les femmes dans l’histoire du CNRS a eu lieu le 9 mars 2004, au siège du CNRS, Campus Michel-Ange à Paris dans le cadre de la Célébration internationale de la femme.
L’admission des femmes à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain Stendhal-1817