Le directoire du Centre National de la Recherche Scientifique s'est réuni pour la première fois dans sa nouvelle formation les 8 et 9 juillet. Le décret du 28 janvier 1970 définit la compétence de cette assemblée :
« Le directoire coordonne l'activité des différentes sections du comité national et établit la synthèse des rapports de conjoncture élaborés par ces sections. Il propose des orientations scientifiques générales et des programmes au gouvernement (comité interministériel) par l'intermédiaire des instances chargées de coordonner les activités nationales de recherche.»
Le directoire, formation consultative essentiellement scientifique, a donc une vocation bien distincte de celle du conseil d'administration, qui a, pour sa part, pouvoir de délibération sur les questions budgétaires et financières et sur les mesures générales concernant l'administration et l'organisation du Centre.
C'est dans cet esprit que l'examen des propositions de promotions de chercheurs, notamment du grade d'attaché de recherche à celui de chargé et de celui de chargé à celui de maître a servi, les 8 et 9 juillet, de tremplin à une large discussion sur l'ensemble des problèmes relatifs au corps de chercheurs du C.N.R.S. Les lignes générales de cette discussion et ses conclusions dépassent d'ailleurs l'application aux seuls cadres du C.N.R.S. et ceci est bien conforme à la mission très générale assignée au directoire.
Il me paraît intéressant de relever ici plus particulièrement deux points, dans l'ensemble de ceux qui ont été évoqués et discutés à cette occasion. C'est d'abord la définition de deux étapes fondamentales dans la vie d'un chercheur. La première, qui devrait se situer environ trois à quatre ans après l'entrée dans le cadre de chercheurs marque la confirmation des qualités fondamentales requises pour l'aptitude à la recherche : solidité, sûreté et agressivité scientifiques. La seconde étape qui se situe après un nouveau délai de l'ordre de quatre ans permet d'apprécier les qualités d'inspirateur et d'animateur de recherches. A la première étape doit correspondre le tournant de la stabilisation dans une activité de recherche pour ceux qui le souhaitent et sont reconnus vraiment aptes. A la deuxième devrait être lié l'accès aux grades qui consacrent les responsabilités d'animation de recherche. L'organisation du corps des chercheurs du C.N.R.S., en particulier, devrait être aménagée pour permettre une meilleure adaptation à ce schéma.
Ceci suppose que les chercheurs dont la vocation ou les aptitudes n'ont pas été confirmées à l'issue de la première étape quittent le C.N.R.S. Bien d'autres chercheurs d'ailleurs parmi les « confirmés », continueront à nous quitter : tous ceux qui, après avoir acquis dans nos laboratoires une formation à la recherche, souhaitent la mettre à profit dans une autre carrière, ou dans un autre organisme lié de près ou de loin et même de très loin aux activités de recherche. Ces départs peuvent nous priver de quelques uns de nos meilleurs éléments, mais la relève est prête, ardente et brillante. Le départ du C.N.R.S. peut poser aux« nonconfirmés » un problème et la communauté scientifique doit les aider à s'insérer dans un cadre d'activité différent de celui dans lequel leurs qualités propres ne se sont pas épanouies.
Une des reconversions possibles, et qui paraît naturelle, est le passage à des activités dans les secteurs de production ou de développement assez directement liés à la recherche. Et ceci nous conduit au second des deux points que je voulais plus spécialement citer parmi tous ceux qui ont été évoqués et discutés par le directoire au cours de son récent débat de politique générale. Voué essentiellement à la recherche fondamentale le C.N.R.S. ne doit pas se désintéresser des applications. Il doit y être plus particulièrement attentif dans les secteurs qui ne sont pas l'apanage, évident sinon exclusif, d'autres organismes et plus spécialement d'établissements publics de recherche appliquée. La définition de ces secteurs doit être faite avec le plus grand soin, en harmonie avec les options de l'économie générale de la nation. Déjà le C.N.R.S. est présent et efficace au seuil de quelques uns de ces secteurs. Quelques autres pourraient être aisément et utilement prospectés.
De telles activités sont d'ailleurs susceptibles aussi d'apporter une importante contribution à la solution des problèmes de reconversion de chercheurs que nous avons évoqués. D'abord en permettant à ceux qui se ré-orientent vers la recherche appliquée de s'adapter à leur nouveau métier au sein du C.N.R.S. avant de le quitter. Mais surtout en renforçant et en multipliant nos relations avec les milieux de l'industrie et plus généralement de l'économie nationale et en rendant ainsi plus naturelle et moins inconfortable la transition d'un chercheur du C.N.R.S. vers le milieu extérieur.
Ces questions relatives aux personnels sont particulièrement importantes pour le C.N.R.S. (plus de 2/3 de son budget est consacré aux salaires). Mais un chercheur sans moyen ne saurait longtemps intellectuellement survivre et, si nous devons définir une politique des chercheurs, nous devons aussi (et dans une certaine mesure d'abord, dans l'intérêt même des chercheurs) définir une politique des moyens. Là aussi le rôle joué par le directoire est de premier ordre.
Dans le courant du prochain mois de janvier, cette assemblée sera consultée sur la coordination des propositions faites par les sections du comité national et concernant la répartition des moyens de recherche entre les laboratoires et formations qui bénéficient de notre concours ; plus particulièrement sur les contrats d'association au C.N.R.S. des laboratoires universitaires sélectionnés par les sections. Ces examens particuliers serviront de point d'ancrage à une discussion générale sur la répartition des moyens entre les diff érentes disciplines, sur les priorités scientifiques et plus généralement encore sur la politique que peut et doit mener le C.N.R.S., en sa qualité d'organisme public placé au centre des activités nationales de recherche fondamentale et au contact des activités de recherche appliquée.
Recherche fondamentale originale pour une recherche appliquée efficace : cela pourrait être une conclusion. Et l'originalité n'exclut pas l'efficacité.
Né le 3 mai 1906 à Arras, M. René Huyghe, attaché au département des Peintures et des Dessins du Louvre dès l'âge de 21 ans, en fut à 31 ans, le conservateur en chef jusqu'en 1950. Professeur au Collège de France, où il a été nommé en 1950 à la Chaire de Psychologie des Arts Plastiques, il est l'auteur de nombreux ouvrages traduits en plus de douze langues. Son œuvre a été couronnée à La Haye, en 1966, par une récompense européenne, le Prix Erasme. En dehors de multiples monographies, de Vermeer et Delacroix à Gauguin ou Van Gogh,Huyghe a écrit de nombreuses études : Dialogue avec le visible (1955), l'Art et l'Ame (1960), Puissances de l'image (1965), Sens et Destin de l'Art (1967) et Formes et Forces en 1971. M. René Huyghe a été reçu à l'Académie Française le 22 avril 1961
L'un des thèmes fondamentaux de votre œuvre consistait à affirmer le lien étroit entre l'art et la civilisation. Dans votre dernier ouvrage « Formes et Forces» vous avez franchi une étape supplémentaire, car vous écrivez : « La Forme relie tous les niveaux du connaissable, et établit entre eux un moyen de communication, un peu comme l'ascenseur entre les étages». Pouvez-vous nous préciser votre pensée ?
La plus haute tâche que puisse s'assigner un homme de culture est d'essayer de réunir et de faire communiquer ses approfondissements. Par exemple, je dis au début de ce livre (et je définis ainsi sont but même) : « ce que je cherche c'est la Connaissance ; je respecte profondément la Science mais elle est une province de la connaissance". Le problème quel est-il?
Je suis un spécialiste et je ne veux relever que d'une spécialité qui s'appelle la
« synthèse ». Nous sommes en train de souffrir d'une absence de communications entre les branches de la recherche. Il manque une culture d'inter-communication entre les divers domaines scientifiques, d'une part, et entre eux, et ce qu'on appelle, faute de mieux, les « sciences humaines », d'autre part. Nous voyons que l'erreur mentale commise par notre temps, est cette absence de liaisons. C'est pourquoi, j'ai voulu chercher un commun dénominateur ou, si vous préférez, un ascenseur entre les étages. Cet ascenseur idéal était la Forme. Dès que la matière se constitue, ce qui fait le passage de l'atomique au moléculaire c'est précisément qu'on passe à un état formel. La molécule est une mise en ordre, selon une structure, des particules atomiques. La forme est donc à l'origine de la matière, et tel est l'enseignement de la physique. Mais au-delà ?
On s'aperçoit, quand on étudie la matière, que, selon les degrés de la température, les formes révèlent des « familles » différentes : il y a la famille de la forme fixe, qui définit son installation dans l'espace ; la cristallographie étudie cette organisation immuable. Mais quand nous arrivons aux fluides, c'est-à-dire à un état de la matière chauffée, où la cohésion moléculaire se distend, nous trouvons une nouvelle grammaire de formes, facile à observer dans les liquides en mouvement, par exemple : la sinuosité, le tourbillon, sont des formes dynamiques qui n'existent pas dans les cristaux ! Enfin, la vie apparaît ; alors naît une troisième famille de formes, qui sont les formes de croissance, dont la plus notable est la spirale, déjà observée dans les liquides. Déjà aussi quand dans l'univers, des mondes se constituent, on voit surgir les nébuleuses spirales ; de même, les temps les plus anciens de la vie ont vu naître les nummulites, les coquillages fossiles...
Un chercheur suisse de grande valeur, Theodor Schwenk, frappé par ces rapports, a souligné également que lorsque un nouvel être se constitue dans l'organisme maternel, il se présente sous une forme analogue à celle que produit dans l'eau un tourbillon ; la parenté est frappante. Nous sommes ainsi passés de la physique à la biologie ; pour être plus difficile le saut jusqu'à la psychologie n'en est pas moins tentant.
Vous retrouvez ces formes dans le domaine psychologique ?
Oui, je constate qu'il est des artistes que notre langage désigne comme « froids », avec une symbolique intuitive, tel est Piero della Francesca. Son immobilité fascinante a, pour tout critique, quelque chose de « glacé » ; il construit les formes comme dans le monde inerte des cristaux. Par contre quand vous êtes en face de Rubens, vous dites spontanément « voilà un artiste chaleureux ! ». Or, observez-le, ses lignes, ses compositions sont sinueuses et tourbillonnantes, comme au stade des liquides qu'on nous a appris résulter d'un réchauffement de la matière. Vous voyez donc, tout à coup, se dessiner des communications et un parallélisme surprenants. Par des rapprochements semblables, on constate de vastes similitudes d'un bout à l'autre du champ de la connaissance ; que je fasse vibrer sur une plaque une goutte de mercure, je verrai apparaître, entre autres, une forme pentagonale qui correspond de très près à des formes existant dans la nature végétale ou la nature animale, construites elles aussi sur le pentagone ; je les retrouve dans l'imagination humaine, dans la création, dans l'architecture : tel le plan de Vignole pour le Palais Farnèse à Caprarola.
J'ai eu le plaisir en préparant mon livre d'aller rendre visite au professeur J.J.
oeuvres d'art d'abstrait ; si bien que moi, venant de l'art, j'allais à la science ; lui venant de la science allait vers l'art. De même, j'avais rencontré à Washington un biologiste de la Smithsonian Institution, P.C. Ritterbush, qui avait organisé une exposition, consacrée à la comparaison des structures révélées par le microscope et des oeuvres d'art moderne. Voilà donc un savant venu de la physique, un autre venu de la biologi: et nous nous rencontrions tous au meme carrefour : c'est le type même de la communication féconde que je réclame. D'autre part, il y a une telle fatalité dans les formes et dans leur passage du physique au psychique que les oeuvres d'art moderne qui croient se séparer de la nature parce qu'elles ferment les yeux sur l'observation de ses apparences, sont encore beaucoup plus près du réel que le réalisme; on y retrouve des structures absolument analogues. Par exemple, un agrandissement (1 : 28 000) du cristal d'hexatriacontane se confond presque avec une « Composition » de Gottfried Honegger. L'énergie qui explose dans les « Formes circulaires» de Delaunay se reconnaît dans le cristal de vitamine C (1 : 125) ; si vous rapprochez « La clairière » de Bazaine avec un cliché des vaisseaux sanguins du grand epiploon (1 : 540), il est difficile de les distinguer. J'ai voulu aller plus loin: le peintre Wols est un hypernerveux et que trouvons-nous dans ses oeuvres ? une parenté avec l'aspect des cellules nerveuses. L'analogie touche des ressorts profonds. Dans un autre domaine, l'urbanisme,. le plan du Mirail à Toulouse et la myoglobine de baleine sont très voisins. Tout ceci vous montre bien qu'il est grand temps de revenir aux inter-corn cornmunications. II serait extrêmement fécond qu'au lieu de nous mépriser mutuellement ou de nous emmurer nous échangions nos connaissances. Peut-être découvririons-nous alors de grandes unités dans les structures de l'univers depuis la physique jusqu'à la psychologie. • Sur le plan pictural les tentatives des peintres actuels ne sont-elles pas voisines de celles des savants contemporains ? Cet abandon du réalisme en peinture ne coïncide-t-il pas avec l'abandon d'une science qu'on appelle d'observation ? Ne vous disais-je pas que je note un rapport entre les oeuvres abstraites et la matière physique. La communication est possible par «l'ascenseur» - mais l'art est à un autre étage! Les structures que vous observez au microscope n'ont pas de qualités esthétiques; quand vous retrouvez ces mêmes structures dans l'art, une qualité humaine y a été ajoutée, si l'oeuvre d'art est valable. • Comment expliquez-vous une telle correspondance, une telle rencontre ? C'est que les structures sont les mêmes dans le monde physique, dans le monde biologique et dans le monde psycho-
En cette période de discussion budgétaire, chacun s'inquiète de ce que sera l'année 1972 pour le C.N.R.S. Dans les pages qui suivent, M. Pierre Creyssel, directeur administratif et financier répond aux questions de Michel Goué (13 septembre 1971).
Michel Goué
On dit souvent que la recherche est la parente pauvre de la Nation. Or, il ressort des récents arbitrages gouvernementaux que le budget de la recherche, et partant celui du C.N.R.S., sera en augmentation sensible par rapport à celui de 1971.
Pierre Creyssel
Effectivement, le volume du budget va s'accroître d'environ 19 à 20 %. Mais il faut bien voir qu'il n'y a jamais de « bon budget », pas plus qu'il n'y a d'amour heureux. Et, malgré cet accroissement indiscutable de nos crédits, nous ne pourrons pas réaliser tout ce qui est souhaitable. Examinons, voulez-vous, cette augmentation. Elle concerne au premier chef les équipements ou si vous voulez les autorisations de programme.
Michel Goué
Est-ce fondamental ?
Pierre Creyssel
Bien sûr, c'est fondamental, mais les autorisations de programme ne sont qu'un volet du budget. Il y a aussi le fonctionnement, c'est-à-dire la vie même du Centre. Or, dans ce domaine, nos crédits n'augmentent que de 13 à 14 %, y compris bien évidemment les crédits afférents aux dépenses de personnel, et destinés à pourvoir aux créations et transformations d'emplois, à l'amélioration des qualifications, etc. Tout cela coûte cher, si bien qu'au bout du compte, l'augmentation réelle des moyens mis à la disposition des chercheurs n'est pas considérable.
Certes, ces moyens ne dépendent pas uniquement du budget de fonctionne ment mais aussi du budget d'équipement. Sur ce dernier chapitre, l'augmentation est importante puisque l'on va passer de 180 millions d'autorisations de programme en 1971 à plus de 252 millions en 1972. Ces crédits n'étaient que de 144 millions en 1970.
Michel Goué
Cela me semble énorme. Et votre attitude me paraît à ce sujet paradoxale. Bien des responsables, les Ministres souvent, regrettent, lorsque leur budget est en augmentation, de voir se gonfIer les crédits de fonctionnement et non ceux d'autorisations de programme. Votre attitude est à l'inverse de la leur...
Pierre Creyssel
Ce n'est pas tout à fait exact. Je ne me plains pas. Mais ce qui importe le plus, la priorité de notre politique, est
Michel Goué
Qu'entendez-vous par « masses dures»?
Pierre Creyssel
Je veux parler, par exemple, du réacteur à haut flux de Grenoble qui est une réalisation très intéressante parce qu'elle permettra de mieux connaître la matière. Nous y participons, comme le Commissariat à l'Energie Atomique,pour 25 %. L'Allemagne finance l'autre moitié.
Il s'agit là d'un investissement considérable: 330 millions au total. En 1972, nous devrons consacrer 38 millions et demi de crédits d'équipement à ce réacteur sans oublier 12 millions et demi de fonctionnement (salaires des chercheurs, des ingénieurs, des techniciens, bref de tous ceux qui travailleront à Grenoble pour ce réacteur, etc.). L'entreprise est utile, aux biologistes comme aux physiciens, mais elle coûte cher.
Autre exemple, les ordinateurs. Par une sorte de malheureuse coïncidence, presque tous nos contrats de location d'ordinateurs viennent à expiration cette année. Je pense en particulier à notre ordinateur du C.I.R.C.E. (Centre interdisciplines régional de calcul électronique) à Orsay, notre principal instrument de calcul scientifique, et dont le contrat de location va se terminer. Il va donc falloir louer ou acheter un nouvel ordinateur.
De même, il va falloir remplacer les ordinateurs de gestion (1401) de la rue du Maroc qui ne suffisent plus à remplir toutes les tâches nécessaires dans une maison comme le C.N.R.S., devenu une énorme maison. Il ne s'agit plus seulement d'accomplir un certain nombre de tâches de gestion mais aussi de pouvoir disposer de statistiques complètes, d'entretenir en permanence un « tableau de bord», d'avoir une banque de données permettant de connaître à tout moment la situation du personnel, de faire des projections, des évaluations, etc. Tout cela est indispensable et bien sûr coûte cher.
Michel Goué
Toutes ces charges vont donc hypothéquer les crédits d'équipement. Mais le budget de fonctionnement, aussi modeste que soit l'accroissement de son volume, peut-il contribuer à l'amélioration des conditions de travail des chercheurs ?
Pierre Creyssel
Oui, mais pas autant que nous le souhaitions. En effet, depuis des années, on avait pris un retard important, disons qu'on a assisté depuis 1967 à une dégradation réelle des moyens mis à la disposition des chercheurs, de l'ordre de 9 % en francs constants, et cela en supposant que le nombre des chercheurs soit lui-même resté stable. Il y a donc un rattrapage très important à assurer
Le directoire du Centre National de la Recherche Scientifique s'est réuni pour la première fois dans sa nouvelle formation les 8 et 9 juillet. Le décret du 28 janvier 1970 définit la compétence de cette assemblée :
« Le directoire coordonne l'activité des différentes sections du comité national et établit la synthèse des rapports de conjoncture élaborés par ces sections. Il propose des orientations scientifiques générales et des programmes au gouvernement (comité interministériel) par l'intermédiaire des instances chargées de coordonner les activités nationales de recherche.»
Le directoire, formation consultative essentiellement scientifique, a donc une vocation bien distincte de celle du conseil d'administration, qui a, pour sa part, pouvoir de délibération sur les questions budgétaires et financières et sur les mesures générales concernant l'administration et l'organisation du Centre.
C'est dans cet esprit que l'examen des propositions de promotions de chercheurs, notamment du grade d'attaché de recherche à celui de chargé et de celui de chargé à celui de maître a servi, les 8 et 9 juillet, de tremplin à une large discussion sur l'ensemble des problèmes relatifs au corps de chercheurs du C.N.R.S. Les lignes générales de cette discussion et ses conclusions dépassent d'ailleurs l'application aux seuls cadres du C.N.R.S. et ceci est bien conforme à la mission très générale assignée au directoire.
Il me paraît intéressant de relever ici plus particulièrement deux points, dans l'ensemble de ceux qui ont été évoqués et discutés à cette occasion. C'est d'abord la définition de deux étapes fondamentales dans la vie d'un chercheur. La première, qui devrait se situer environ trois à quatre ans après l'entrée dans le cadre de chercheurs marque la confirmation des qualités fondamentales requises pour l'aptitude à la recherche : solidité, sûreté et agressivité scientifiques. La seconde étape qui se situe après un nouveau délai de l'ordre de quatre ans permet d'apprécier les qualités d'inspirateur et d'animateur de recherches. A la première étape doit correspondre le tournant de la stabilisation dans une activité de recherche pour ceux qui le souhaitent et sont reconnus vraiment aptes. A la deuxième devrait être lié l'accès aux grades qui consacrent les responsabilités d'animation de recherche. L'organisation du corps des chercheurs du C.N.R.S., en particulier, devrait être aménagée pour permettre une meilleure adaptation à ce schéma.
Ceci suppose que les chercheurs dont la vocation ou les aptitudes n'ont pas été confirmées à l'issue de la première étape quittent le C.N.R.S. Bien d'autres chercheurs d'ailleurs parmi les « confirmés », continueront à nous quitter : tous ceux qui, après avoir acquis dans nos laboratoires une formation à la recherche, souhaitent la mettre à profit dans une autre carrière, ou dans un autre organisme lié de près ou de loin et même de très loin aux activités de recherche. Ces départs peuvent nous priver de quelques uns de nos meilleurs éléments, mais la relève est prête, ardente et brillante. Le départ du C.N.R.S. peut poser aux« nonconfirmés » un problème et la communauté scientifique doit les aider à s'insérer dans un cadre d'activité différent de celui dans lequel leurs qualités propres ne se sont pas épanouies.
Nouveau Directoire voir page 46
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Une des reconversions possibles, et qui paraît naturelle, est le passage à des activités dans les secteurs de production ou de développement assez directement liés à la recherche. Et ceci nous conduit au second des deux points que je voulais plus spécialement citer parmi tous ceux qui ont été évoqués et discutés par le directoire au cours de son récent débat de politique générale. Voué essentiellement à la recherche fondamentale le C.N.R.S. ne doit pas se désintéresser des applications. Il doit y être plus particulièrement attentif dans les secteurs qui ne sont pas l'apanage, évident sinon exclusif, d'autres organismes et plus spécialement d'établissements publics de recherche appliquée. La définition de ces secteurs doit être faite avec le plus grand soin, en harmonie avec les options de l'économie générale de la nation. Déjà le C.N.R.S. est présent et efficace au seuil de quelques uns de ces secteurs. Quelques autres pourraient être aisément et utilement prospectés.
De telles activités sont d'ailleurs susceptibles aussi d'apporter une importante contribution à la solution des problèmes de reconversion de chercheurs que nous avons évoqués. D'abord en permettant à ceux qui se ré-orientent vers la recherche appliquée de s'adapter à leur nouveau métier au sein du C.N.R.S. avant de le quitter. Mais surtout en renforçant et en multipliant nos relations avec les milieux de l'industrie et plus généralement de l'économie nationale et en rendant ainsi plus naturelle et moins inconfortable la transition d'un chercheur du C.N.R.S. vers le milieu extérieur.
Ces questions relatives aux personnels sont particulièrement importantes pour le C.N.R.S. (plus de 2/3 de son budget est consacré aux salaires). Mais un chercheur sans moyen ne saurait longtemps intellectuellement survivre et, si nous devons définir une politique des chercheurs, nous devons aussi (et dans une certaine mesure d'abord, dans l'intérêt même des chercheurs) définir une politique des moyens. Là aussi le rôle joué par le directoire est de premier ordre.
Dans le courant du prochain mois de janvier, cette assemblée sera consultée sur la coordination des propositions faites par les sections du comité national et concernant la répartition des moyens de recherche entre les laboratoires et formations qui bénéficient de notre concours ; plus particulièrement sur les contrats d'association au C.N.R.S. des laboratoires universitaires sélectionnés par les sections. Ces examens particuliers serviront de point d'ancrage à une discussion générale sur la répartition des moyens entre les diff érentes disciplines, sur les priorités scientifiques et plus généralement encore sur la politique que peut et doit mener le C.N.R.S., en sa qualité d'organisme public placé au centre des activités nationales de recherche fondamentale et au contact des activités de recherche appliquée.
Recherche fondamentale originale pour une recherche appliquée efficace : cela pourrait être une conclusion. Et l'originalité n'exclut pas l'efficacité.
Né le 3 mai 1906 à Arras, M. René Huyghe, attaché au département des Peintures et des Dessins du Louvre dès l'âge de 21 ans, en fut à 31 ans, le conservateur en chef jusqu'en 1950. Professeur au Collège de France, où il a été nommé en 1950 à la Chaire de Psychologie des Arts Plastiques, il est l'auteur de nombreux ouvrages traduits en plus de douze langues. Son oeuvre a été couronnée à La Haye, en 1966, par une récompense européenne, le Prix Erasme. En dehors de multiples monographies, de Vermeer et Delacroix à Gauguin ou Van Gogh,Huyghe a écrit de nombreuses études : Dialogue avec le visible (1955), l'Art et l'Ame (1960), Puissances de l'image (1965), Sens et Destin de l'Art (1967) et Formes et Forces en 1971. M. René Huyghe a été reçu à l'Académie Française le 22 avril 1961
L'un des thèmes fondamentaux de votre œuvre consistait à affirmer le lien étroit entre l'art et la civilisation. Dans votre dernier ouvrage « Formes et Forces» vous avez franchi une étape supplémentaire, car vous écrivez : « La Forme relie tous les niveaux du connaissable, et établit entre eux un moyen de communication, un peu comme l'ascenseur entre les étages». Pouvez-vous nous préciser votre pensée ?
La plus haute tâche que puisse s'assigner un homme de culture est d'essayer de réunir et de faire communiquer ses approfondissements. Par exemple, je dis au début de ce livre (et je définis ainsi sont but même) : « ce que je cherche c'est la Connaissance ; je respecte profondément la Science mais elle est une province de la connaissance". Le problème quel est-il?
Je suis un spécialiste et je ne veux relever que d'une spécialité qui s'appelle la
« synthèse ». Nous sommes en train de souffrir d'une absence de communications entre les branches de la recherche. Il manque une culture d'inter-communication entre les divers domaines scientifiques, d'une part, et entre eux, et ce qu'on appelle, faute de mieux, les « sciences humaines », d'autre part. Nous voyons que l'erreur mentale commise par notre temps, est cette absence de liaisons. C'est pourquoi, j'ai voulu chercher un commun dénominateur ou, si vous préférez, un ascenseur entre les étages. Cet ascenseur idéal était la Forme. Dès que la matière se constitue, ce qui fait le passage de l'atomique au moléculaire c'est précisément qu'on passe à un état formel. La molécule est une mise en ordre, selon une structure, des particules atomiques. La forme est donc à l'origine de la matière, et tel est l'enseignement de la physique. Mais au-delà ?
On s'aperçoit, quand on étudie la matière, que, selon les degrés de la température, les formes révèlent des « familles » différentes : il y a la famille de la forme fixe, qui définit son installation dans l'espace ; la cristallographie étudie cette organisation immuable. Mais quand nous arrivons aux fluides, c'est-à-dire à un état de la matière chauffée, où la cohésion moléculaire se distend, nous trouvons une nouvelle grammaire de formes, facile à observer dans les liquides en mouvement, par exemple : la sinuosité, le tourbillon, sont des formes dynamiques qui n'existent pas dans les cristaux ! Enfin, la vie apparaît ; alors naît une troisième famille de formes, qui sont les formes de croissance, dont la plus notable est la spirale, déjà observée dans les liquides. Déjà aussi quand dans l'univers, des mondes se constituent, on voit surgir les nébuleuses spirales ; de même, les temps les plus anciens de la vie ont vu naître les nummulites, les coquillages fossiles...
Un chercheur suisse de grande valeur, Theodor Schwenk, frappé par ces rapports, a souligné également que lorsque un nouvel être se constitue dans l'organisme maternel, il se présente sous une forme analogue à celle que produit dans l'eau un tourbillon ; la parenté est frappante. Nous sommes ainsi passés de la physique à la biologie ; pour être plus difficile le saut jusqu'à la psychologie n'en est pas moins tentant.
Vous retrouvez ces formes dans le domaine psychologique ?
Oui, je constate qu'il est des artistes que notre langage désigne comme « froids », avec une symbolique intuitive, tel est Piero della Francesca. Son immobilité fascinante a, pour tout critique, quelque chose de « glacé » ; il construit les formes comme dans le monde inerte des cristaux. Par contre quand vous êtes en face de Rubens, vous dites spontanément « voilà un artiste chaleureux ! ». Or, observez-le, ses lignes, ses compositions sont sinueuses et tourbillonnantes, comme au stade des liquides qu'on nous a appris résulter d'un réchauffement de la matière. Vous voyez donc, tout à coup, se dessiner des communications et un parallélisme surprenants. Par des rapprochements semblables, on constate de vastes similitudes d'un bout à l'autre du champ de la connaissance ; que je fasse vibrer sur une plaque une goutte de mercure, je verrai apparaître, entre autres, une forme pentagonale qui correspond de très près à des formes existant dans la nature végétale ou la nature animale, construites elles aussi sur le pentagone ; je les retrouve dans l'imagination humaine, dans la création, dans l'architecture : tel le plan de Vignole pour le Palais Farnèse à Caprarola.
J'ai eu le plaisir en préparant mon livre d'aller rendre visite au professeur J.J. Trillat, de l'Institut, dans ses laboratoires du C.N.R.S. à Bellevue, parce que je voulais mieux connaître les structures révélées par le microscope électronique. D'emblée, il m'a dit qu'il avait lui-même cherché à rapprocher les aspects fournis par l'investigation ultra-microscopique, avec ceux des
En cette période de discussion budgétaire, chacun s'inquiète de ce que sera l'année 1972 pour le C.N.R.S. Dans les pages qui suivent, M. Pierre Creyssel, directeur administratif et financier répond aux questions de Michel Goué (13 septembre 1971).
Michel Goué
On dit souvent que la recherche est la parente pauvre de la Nation. Or, il ressort des récents arbitrages gouvernementaux que le budget de la recherche, et partant celui du C.N.R.S., sera en augmentation sensible par rapport à celui de 1971.
Pierre Creyssel
Effectivement, le volume du budget va s'accroître d'environ 19 à 20 %. Mais il faut bien voir qu'il n'y a jamais de « bon budget », pas plus qu'il n'y a d'amour heureux. Et, malgré cet accroissement indiscutable de nos crédits, nous ne pourrons pas réaliser tout ce qui est souhaitable. Examinons, voulez-vous, cette augmentation. Elle concerne au premier chef les équipements ou si vous voulez les autorisations de programme.
Michel Goué
Est-ce fondamental ?
Pierre Creyssel
Bien sûr, c'est fondamental, mais les autorisations de programme ne sont qu'un volet du budget. Il y a aussi le fonctionnement, c'est-à-dire la vie même du Centre. Or, dans ce domaine, nos crédits n'augmentent que de 13 à 14 %, y compris bien évidemment les crédits afférents aux dépenses de personnel, et destinés à pourvoir aux créations et transformations d'emplois, à l'amélioration des qualifications, etc. Tout cela coûte cher, si bien qu'au bout du compte, l'augmentation réelle des moyens mis à la disposition des chercheurs n'est pas considérable.
Certes, ces moyens ne dépendent pas uniquement du budget de fonctionne ment mais aussi du budget d'équipement. Sur ce dernier chapitre, l'augmentation est importante puisque l'on va passer de 180 millions d'autorisations de programme en 1971 à plus de 252 millions en 1972. Ces crédits n'étaient que de 144 millions en 1970.
Michel Goué
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Cela me semble énorme. Et votre attitude me paraît à ce sujet paradoxale. Bien des responsables, les Ministres souvent, regrettent, lorsque leur budget est en augmentation, de voir se gonfIer les crédits de fonctionnement et non ceux d'autorisations de programme. Votre attitude est à l'inverse de la leur...
Pierre Creyssel
Ce n'est pas tout à fait exact. Je ne me plains pas. Mais ce qui importe le plus, la priorité de notre politique, est
Michel Goué
Qu'entendez-vous par « masses dures»?
Pierre Creyssel
Je veux parler, par exemple, du réacteur à haut flux de Grenoble qui est une réalisation très intéressante parce qu'elle permettra de mieux connaître la matière. Nous y participons, comme le Commissariat à l'Energie Atomique,pour 25 %. L'Allemagne finance l'autre moitié.
Il s'agit là d'un investissement considérable: 330 millions au total. En 1972, nous devrons consacrer 38 millions et demi de crédits d'équipement à ce réacteur sans oublier 12 millions et demi de fonctionnement (salaires des chercheurs, des ingénieurs, des techniciens, bref de tous ceux qui travailleront à Grenoble pour ce réacteur, etc.). L'entreprise est utile, aux biologistes comme aux physiciens, mais elle coûte cher.
Autre exemple, les ordinateurs. Par une sorte de malheureuse coïncidence, presque tous nos contrats de location d'ordinateurs viennent à expiration cette année. Je pense en particulier à notre ordinateur du C.I.R.C.E. (Centre interdisciplines régional de calcul électronique) à Orsay, notre principal instrument de calcul scientifique, et dont le contrat de location va se terminer. Il va donc falloir louer ou acheter un nouvel ordinateur.
De même, il va falloir remplacer les ordinateurs de gestion (1401) de la rue du Maroc qui ne suffisent plus à remplir toutes les tâches nécessaires dans une maison comme le C.N.R.S., devenu une énorme maison. Il ne s'agit plus seulement d'accomplir un certain nombre de tâches de gestion mais aussi de pouvoir disposer de statistiques complètes, d'entretenir en permanence un « tableau de bord», d'avoir une banque de données permettant de connaître à tout moment la situation du personnel, de faire des projections, des évaluations, etc. Tout cela est indispensable et bien sûr coûte cher.
Michel Goué
Toutes ces charges vont donc hypothéquer les crédits d'équipement. Mais le budget de fonctionnement, aussi modeste que soit l'accroissement de son volume, peut-il contribuer à l'amélioration des conditions de travail des chercheurs ?
Pierre Creyssel
Oui, mais pas autant que nous le souhaitions. En effet, depuis des années, on avait pris un retard important, disons qu'on a assisté depuis 1967 à une dégradation réelle des moyens mis à la disposition des chercheurs, de l'ordre de 9 % en francs constants, et cela en supposant que le nombre des chercheurs soit lui-même resté stable. Il y a donc un rattrapage très important à assurer