N o 416 dordre
ivaux
N o 416 d’ordre
Acteurs.
La Reünion des Amours.
Comédie Héroïque.
Scene première.
Ils s’arrêtent tous deux, en se voyant.
Qui vois-je ? Qui est-ce qui a l’audace de porter comme moy un
carquois et des fléches ?
N’est-ce pas là
Ne seroit-ce pas cet
qui sort de la retraite obscure où ma victoire l’a condamné ?
Qu’il est laid ! Qu’il a l’air débauché !
Vit-on jamais des figures plus sottes ? Sçachons un peu ce que
vient faire icy cette ridicule antiquaille. Approchons.
à
Soyez le bien-venu, mon ancien, le Dieu des soûpirs timides, et
des tendres langueurs ; je vous saluë.
Saluez.
Le compliment est sec ; mais je vous le pardonne. Un proscrit
n’est pas de bonne humeur.
Un proscrit ! Vous ne devez ma retraite qu’à l’indignation qui
m’a saisy, quand j’ay vû que les hommes êtoient capables de vous souffrir.
Malepeste, que cela est beau ! C’est-à-dire que vous n’avez fuy que
parce que vous estiez glorieux ; et vous estes un héros fuyard.
Je n’ay rien à vous répondre. Allez ; nous ne sommes pas faits pour
discourir ensemble.
Ne vous fâchez point, mon confrere. dans le fonds je vous plains. Vous
me dites des injures ; mais vôtre état me desarme. Tenez je suis
le meilleur garçon du monde. Contez-moy vos chagrins. Que venez-vous
faire ici ? Est-ce que vous vous ennuyez dans vôtre solitude ? Eh bien,
il y a reméde à tout. voulez vous de l’employ ? Je vous donneray
de l’employ. Je vous donneroy vôtre petite provision de fléches,
car celles que vous avez-là dans vôtre carquois, ne valent plus rien.
Il tire des fléches de son carquois.
Voyez-vous ce dard-là ? Voilà ce qu’il faut. Cela entre dans
le cœur ; cela le pénétre ; cela le brûle ; cela l’embraze.
Il crie, il s’agite ; il demande du secours ; il ne sçauroit attendre
Quelle méprisable espèce de feux !
Ils ont pourtant décrié les vôtres. Entre vous et moy, de vôtre
temps les amants n’êtoient que des benêts ; ils ne sçavoient que
languir, que faire des, hélas, et conter leurs peines aux echos
d’alentour. Oh ! Parbleu, ce n’est plus de même. J’ay supprimé
les echos, moy ; je blesse, ahi ! Vîte au remede. On va droit à
la cause du mal. Allons, dit-on, je vous aime ; voyez ce que
vous pouvez faire pour moy ; car le temps est cher. il il faut expedier les hommes. Mes sujets ne disent point,
faut
" je me meurs. Il n’y a rien de si vivant qu’eux. Langueurs,
timiditez, doux martyre, il n’en est plus question : fadeur,
platitude du temps passé que tout cela. Vous ne faisiez que
des sots, que des imbéciles. Moy, je fais des gens de courage.
Je ne les endors pas ; je les éveille : Ils sont si vifs, qu’ils n’ont
pas le loisir d’être tendres. Leurs regards sont des désirs. Au lieu
de soûpirer ; ils attaquent. Ils ne demandent pas d’amour ; ils le
supposent : Ils ne disent point, faites-moy grace, ils la prennent.
Ils ont du respect ; mais ils le perdent ; et voilà celuy qu’il faut.
En un mot, je n’ay point d’esclaves ; je n’ay que des soldats.
Allons, déterminez-vous. J’ay besoin de commis. Voulez-vous
estre le mien? Sur le champ, je vous donne de l’employ.
Ne rougissez-vous point du récit que vous venez de faire ?
Quel oubli de la vertu !
Eh bien ? Quoy, la vertu ? que voulez-vous dire ? Elle a
sa charge ; et moy, la mienne. Elle est faite pour régir
l’univers ; et moy, pour l’entretenir. Déterminez-vous, vous dis-je :
mais je ne vous prends qu’à condition que vous quitterez je ne
sçay quel air de dupe que vous avez sur la physionomie.
Je ne veux point de cela. Allons, mon lieutenant, alerte.
Un peu de mutinerie dans les yeux. les vôtres prêchent la résistance
Est-ce là la contenance d’un vainqueur ? Avec un amour
aussi poltron que vous, il faudroit qu’un tendron fît tous les frais
de la défaite. Eh ! Eviteriez-vous ?..... Il tire une de ses fléches. Je suis d’avis,
de vous égayer le cœur d’une de mes fléches pour vous ôter
cet air timide et langoureux. Garre que je vous rende aussi fol
que moy !
Et moy, si vous tirez, je vous rendray sage.
Non pas, s’il vous plaist. J’y perdrois ; et vous gagneriez.
Allez, petit libertin que vous êtes, votre audace ne m’offense
point ; et votre empire touche peut-être à sa fin.
Jupiter aujourd’huy fait assembler tous les Dieux. Il veut
que chacun d’eux fasse un Don au fils d’un grand Roy qu’il
aime. Je suis invité à l’assemblée. Tremblez des suites, que
peut avoir cette aventure.
Scene II.
Comment donc ? Il dit vray. tous les Dieux ont reçû ordre de
se rendre icy. Il n’y a que moy qu’on n’a point averty : et j’ay
crû que ce n’étoit qu’un oubli de la part de Mercure. Le
voicy qui vient. Voyons ce que cela signifie.
Scene III.
Ah ! Vous voilà, Seigneur
Bon-jour, mon amy.
Bon-jour,
générale ; et c’est vous qui avez averty tous les Dieux de la part
de Jupiter de se trouver icy.
Il est vray.
Pourquoi donc n’ay je rien sçû de cela, moy ? Est-ce que je
ne suis pas une Divinité assez considérable ?
Eh ! Où vouliez-vous que je vous prisse ? Vous êtes un coureur,
qu’on ne sçauroit attraper.
Vous biaisez,
Ma foy, non. J’avois ordre exprès de vous oublier tout a fait net.
Moy ! Et de qui l’aviez-vous reçû ?
De
l’Assemblée.
Oh ! De
grand malheur. Tu sçais bien qu’elle ne nous aime pas : mais
elle a beau faire. Nous avons un peu plus de crédit qu’elle.
Nous rendons les gens heureux, nous, morbleu ; et elle ne les rend que
raisonnables. Aussi n’a-t-elle pas la presse.
Apparemment que c’est elle qui vous a aussi chargé du
soin d’aller chercher le Dieu de la tendresse, luy, dont
on ne se ressouvenoit plus.
Vous l’avez dit, et ma commission portoit même de luy faire
de grands complimens.
La belle Ambassade !
Va, va, mon amy, laisse-le venir, ce Dieu de la tendresse.
Quand on le retabliroit, il ne feroit pas grande besogne.
On n’est plus dans le goust de l’amoureux Martyre : On ne l’a
retenu que dans les chansons. Le mêtier de cruelle est tombé :
ne t’embarrasse pas de ton rival. Je ne veux qu’un demi million sac de mil francsque de l’or,
pour le battre, moy.
Je le croy. mais je suis piqué. Il me prend envie de vuider
mon carquois sur tous les cœurs de
Point d’etourderie.
vous casser ; car on n’est pas trop content de vous.
Eh ! De quoy peut-on se plaindre, je vous prie ?
Oh ! De tant de choses. Par exemple, il n’y a plus de salut tranquillité
à faire dans le mariage. Vous ne sçauriez laisser la teste
des maris en repos. Vous mettez toûjours après leurs femmes quelque
chasseur qui les attrape.
Et moy, je vous dis que mes chasseurs ne poursuivent que ce
qui se presente.
C’est-à-dire que les femmes sont bien aises d’être couruës.
Voilà ce que c’est. La plû-part sont des coquettes qui en
demeurent-là ; où bien qui ne se retirent que pour agacer,
qui n’oublient rien pour exciter l’envie du chasseur ; qui luy
disent, mirez-moy. On les mire ; on les blesse ; et elles se rendent.
Est-ce ma faute ? Parbleu, non. La coquetterie les a
déjà bien étourdies, avant qu’on les tire.
Vous direz ce qu’il vous plaira. Ce n’est point à moy à vous
donner des leçons ; mais prenez-y garde. ce sont les hommes,
ce sont les femmes, qui crient, qui disent que c’est vous qui
passez les contrats de la moitié des mariages. Après cela,
ce sont des vieillards que vous donnez à expédier à de
jeunes epouses, qui ne les prennent vivans, que pour les avoir
morts, et qui, au détriment des héritiers, ont tout le profit
des funérailles. Ce sont de vieilles femmes dont vous
videz le coffre pour l’achapt d’un mary faineant qu’on ne
sauroit ni troquer, ni revendre. Ce sont des malices
qui ne finissent point, sans compter votre libertinage ;
Car
et ses presens, dispose de votre carquois ;
pourvû qu’il vous donne, toute vôtre artillerie est à son
service : et cela n’est pas joly. Ainsy tenez-vous en repos,
et changez de conduite.
Puisque vous m’exhortez à changer, vous avez donc envie de
vous retirer, seigneur
Laissons-là cette mauvaise plaisanterie.
Quant à moy, je n’ay que faire d’être dans les caquets.
Tout ce que je prends de luy, je l’achette. Je marchande,
nous convenons, et je paye. Voilà toute la finesse que
j’y sçache.
Celui-là est comique. Se plaindre de ce que j’aime la bonne
chere et l’aisance, moy, qui suis l’amour ! A quoy donc voulez-
-vous que je m’occupe ? A des traitez de morale ? Oubliez-vous
que c’est moy qui met tout en mouvement, que c’est moy qui
donne la vie, qu’il faut dans ma charge un fond inépuisable
de bonne humeur, et que je dois estre à moy seul plus
semillant, plus vivant que tous les Dieux ensemble.
Ce sont vos affaires. Mais je pense que voici qui vient
Adieu donc, je m’en vais. et moy, ne
Adieu, adieu, je vous rejoindray.
Scene IV.
Qu’avez-vous, Seigneur
Le retour du Dieu de la tendresse me fâche. Je n’aime pas
les dispositions où je vois que
apprends qu’elle va bientôt l’amener icy,
Et que veut-elle en faire ?
Vous entendre raisonner tous les deux sur la nature de vos feux
pour juger lequel de vos dons on doit préférer dans cette
occasion-cy : et c’est dequoy même je suis chargé de vous
informer.
Tant mieux, morbleu, tant mieux ; cela me divertira. Allez,
il n’y a rien à craindre, mon confrère ne plaide pas mieux
qu’il blesse.
Croyez-moy pourtant, allez-vous préparer pendant quelques
momens.
C’est parbleu bien dit. Je vais me recüeillir chez
qui est d’une éloquence admirable. J’y trouveray mon plaidoyer tout fait.
Adieu, mes Ams. Tenez-moy des lauriers tout prêts.
Scene V
Il a beau dire. Le vent du bureau n’est pas pour luy ; et je me
défie du succez.
Eh bien ? Que vous importe à vous ? Quand son rival reviendroit à
la mode, vous n’en inspirerez pas moins ceux qui chanteront leurs
maîtresses.
Eh ! Morbleu, cela est bien différent. Les chansons ne seront
plus si jolies. On ne chantera plus que des sentiments. Cela est
bien plat.
Bien plat ! Que voulez-vous donc qu’on chante ?
Ce que je veux ? Est-ce qu’il faut un commentaire à
Une caresse, une vivacité, un transport, quelque petite action.
Ah ! Vous avez raison. Je n’y songeois pas. Cela fait un sujet
bien plus piquant, plus animé.
Sans comparaison : et un sujet bien plus à la portée d’être senty.
Tout le monde est au fait d’une action.
Oüy ; tout le monde gesticule.
Et tout le monde ne sent pas. Il y a des cœurs matériels, qui
n’entendent un sentiment que lorsqu’il est mis sur un canevas
bien intelligible.
On ne leur explique l’âme qu’à la faveur du corps.
Vous y êtes : et il faut avoüer que la poësie galante a bien plus Aujourd’huy, quand j’inspire un couplet de
de prise en pareil cas.
chanson, où quelques autres vers, j’ay mes coudées franches ; je suis
à mon aise. C’est
C’est un beau bras qu’on saisit ; c’est une main qu’on adore, et qu’on
baise ; c’est
Elle s’attendrit ; elle s’appaise : un soûpir luy échape : Ah ! -
mes transports ?.... finissez. Je ne puis. Laissez-moy.
des regards, des ardeurs, des douceurs ; cela est charmant. Sentez-
-vous la gayeté, la commodité de ces objets-là ? J’inspire là-dessus,
en me joüant. Aussi n’a-t-on jamais vû tant de poëtes.
Et dont la poësie ne vous coûte rien. Ce sont les
font tous les frais.
Sans doute. Au lieu que si la tendresse alloit estre à la mode,
adieu les bras, adieu les mains ; les
de tout cela.
Elles n’en seroient que plus aimables, et sans doute plus aimées.
Mais laissez-moy recevoir
Scene VI.
Il est temps de venir, Déesse ; l’assemblée va se tenir bientost.
J’arrive. Je me suis seulement amusée un instant à parler a
sur le choix qu’elle a fait de certains Dieux, pour la cérémonie dont il
est question.
Peut-on vous demander de qui vous parliez, Déesse ?
De qui ? De vous.
Cela est net. Et qu’en disiez-vous donc ?
Je disois….. Mais vous estes bien hardi d’interroger la vérité.
Vous y tenez-vous ?
Je ne crains rien. Poursuivez.
Courage.
Que disiez-vous de moy ?
Du bien et du mal : beaucoup plus de mal que de bien. Continuez de
m’interroger. Il ne vous en coûtera pas plus de sçavoir le
reste.
Eh ! Quel mal y a-t’il à dire du Dieu qui peut faire le Don de
l’eloquence et de l’amour des beaux arts ?
Oh ! Vos Dons sont excellens ; j’en disois du bien : mais vous ne leur
ressemblez pas.
Pourquoy ?
C’est que vous flatez, que vous mentez, et que vous estes un corrupteur
des ames humaines.
Doucement, s’il vous plaist. Comme vous y allez !
OEn un mot, un vray charlatan.
Arrêtez ; car je me fâcherois.
Laissez-la achever ; ce qu’elle dit est amusant.
Il ne m’amuse pas du tout, moy. Qu’est-ce que cela signifie ?
En quoy donc méritois-je tous ces noms-là ?
Vous rougissez ; mais ce n’est pas de vos vices. Ce n’est que du
reproche que je vous en fais.
N’admirez-vous pas son discernement ?
Déesse, vous me poussez à bout.
Je vous définis. Vangez-vous, en vous corrigeant.
Eh ! De quoy me corriger ?
Du mêtier vénal et mercenaire que vous faites. Tenez ; de toutes
les eaux de vôtre
bel-esprit, je n’en donnerois pas un fetu ; non plus de vos neuf
friponnes que vous n’employez qu’à faire du mal. Si vous estes le
Dieu de l’eloquence, de la poësie, du bel esprit, soûtenez donc
ces grands attributs avec quelque dignité. Car enfin, n’est-ce pas vous
qui dictez tous les eloges flatteurs qui se débitent ? Vous estes si
accoûtumé à mentir, que lorsque vous loüez la vertu, vous –
n’avez plus d’esprit ; vous ne sçavez plus où vous en estes.
Elle n’a pas tout le tort. J’ay remarqué que la fiction
vous réüssit mieux que le reste.
Je vous dis qu’il n’y a rien de si plat que luy, quand il ne ment
pas. On est toûjours mal loüé de luy, dés qu’on mérite de
l’estre : mais tous les fabuleux, oh ! Il triomphe. Il vous fait
un morceau de toutes les vertus ; et puis vous les jette à la teste ;
Tiens, preus, enyvre-toy d’impertinences et de chiméres.
Mais enfin…
Mais enfin tout qu’il vous plaira. Vos epîtres dédicatoires,
par exemple ?
Oh ! Faites-luy grâce là dessus. On ne les lit point.
Dans le grand nombre, il y en a quelques-unes que j’approuve.
Quand j’ouvre un livre, et que je vois le nom d’une vertueuse
personne à la teste, je m’en réjoüis : mais j’en ouvre un autre,
il s’adresse à une personne admirable. J’en ouvre deux ; j’en
ouvre mille : tout est dédié à des prodiges de vertu et de
mérite. Et où se tiennent donc tous ces prodiges ? Où sont-ils ?
Comment se fait-il que les personnes vrayment loüables
soient si rares, et que les epîtres dédicatoires soient si
communes ? Il me les faut pourtant en nombre égal ; où bien
vous n’êtes pas un Dieu d’honneur. En un mot, il y a mille
epîtres, où vous vous écriez, « que vôtre modestie se rassure.
Il me faut donc mille Monseigneurs modestes. Oh ! De bonne
foy, me les fourniriez-vous ? Concluez.
Mais,
Moy, je ne vous trouve pas si coupable qu’elle le croit. On
ne sent point qu’on est menteur, quand on a l’habitude de l’être.
La réponse est consolante.
En un mot, vous masquez tout ; et ce qu’il y de plaisant, c’est que ceux
que vous travestissez, prennent le masque que vous leur donnez
pour leur visage. Je connois une trés laide femme, que vous avez Je vous pardonnerois tout cela cependant
appellée
miroir n’y gagne rien ; elle n’y voit plus qu’
pied-là qu’elle se montre : et la
qui vous ferait peur ;
si vos flatteries n’attaquoient pas jusqu’aux Princes ; mais pour
cet article-là, je le trouve affreux.
Malepeste ! C’est l’article de tout le monde.
Quoi ? Dire la vérité aux Princes ?
Le plus grand des mortels c’est le Prince qui l’aime, et qui
la cherche. Je mets presque à côté de luy le sujet vertueux,
qui ose la luy dire. Et le plus heureux de tous les peuples,
est celuy chez qui ce Prince et ce sujet se rencontrent ensemble.
Je l’avouë ; Il me semble que vous avez raison.
Au reste,
que je vous craigne. Vous sçavez aujourd’huy de quel Prince
il est question. Faites tout ce qu’il vous plaira.
et moy nous remplirons son ame d’un si grand amour pour les
vertus, que vos flatteurs seront réduits à parler de luy comme
j’en parleray moy-même. Adieu.
C’en est fait ; je me rends, Déesse ; et je me raccommode avec vous.
Allons, je vous consacre mes veilles. Vous fournirez les actions
au Prince, et je me charge du soin de les célébrer.
Scene VII.
Seigneur
Ce que c’est que les gens d’esprit ! Tost où tard ils deviennent honnêtes-gens.
Voilà ce qui fait qu’on ne doit pas desesperer de vous,
Seigneur
Scene VIII.
Gare, gare, Messieurs ; voici
mon rival.
Eh bien ! Nous ne serons pas de trop ; je seray bien aise
d’être present.
Vous n’auriez pas mal fait de me communiquer ce que vous
avez à dire. J’aurois pû vous fournir quelque chose de bon ;
mais vous ne consultez personne.
Pourquoy donc ?
Vous croyez avoir autant d’esprit que moy, je pense ?
hé, hé, hé, hé.
Je sçay pourtant persuader
Et moy, je la fais taire. Taisez-vous aussi.
Scene IX.
Vous sçavez,
Peut-être vous plaindrez-vous du secret que je vous ay fait
de nôtre assemblée : mais je croyois vos feux trop vifs.
Quoi qu’il en soit, nous ne voulons point que le Prince ait une
ame insensible. L’un de vous deux doit avoir quelque droit
sur son cœur ; mais sa raison doit primer sur tout ; et
vous estes accusé de ne la ménager guére.
Oüy-da, je l’étourdis quelquefois. Il y a des moments difficiles à
passer avec moy ; mais cela ne dure pas.
bon × Quand on aime, il faut bien qu’il y paraisse.
Tenez ; dans la théorie, le Dieu de la tendresse l’emporte ;
mais j’aime mieux sa pratique à luy.
bon Messieurs, ne soyez que spectateurs.
Je ne dis plus mot.
bon Pour moy, Serviteur au Silence. Je sors.
Vous me faites plaisir.
Scene X.
Allons,
vous reproche.
Mais qu’est-ce que c’est que mes défauts ? où cela va-t-il ?
On dit que je suis un peu libertin ; mais on n’a jamais dit que
j’êtois un benest.
Eh ! De qui l’a-t’on dit ?
A vôtre place, je ne ferois point cette question-là.
Il ne s’agit point de cela. Terminons. Je ne suis venuë
ici que pour vous écouter. Voyons.
à
Vous êtes l’Ancien, vous ; parlez le premier.
Sage
reclamer mes droits…
Je deffends les coups d’encensoir.
Retranchez l’encens.
Je croirois manquer de respect, et faire outrage à vos lumieres,
Si je vous soupçonnois capable d’hésiter entre luy et moy.
La Cour remarquera qu’il la flatte.
Laissez-le donc dire.
Je ne parle pas. Je ne fais qu’apostiller son exorde.
Ah ! C’en est trop. Vôtre audace m’irrite, et me fait sortir
de la modération que je voulais garder. Qui êtes-vous, pour
oser me disputer quelque chose, vous, qui n’avez pour
attribut, que le vice, digne heritage d’une origine aussi
impure que la vôtre ? Divinité scandaleuse, dont le
culte est un crime, à qui la seule corruption des hommes a
dressé des autels, vous, à qui les devoirs les plus sacrez servent
de victimes, vous qu’on ne peut hónorer, qu’en immolant
Vertu
des hommes, qui pour récompense à ceux qui vous suivent,
ne leur laissez que le déshonneur, le repentir et la misére en
partage. Osez-vous vous comparer à moy, au Dieu de
la plus noble, de la plus estimable, de la plus tendre des passions,
et j’ose dire, de la plus féconde en héros.
Bon, des Héros ! Nous voilà bien riches. Est-ce que vous croyez
que la Terre ne se passera pas bien de ces Messieurs-là.
Allez, ils sont plus curieux à voir, que nécessaires ; leur
gloire a trop d’attirail. Si l’on rabatoit tous les frais
qu’il en coûte pour les avoir, on verroit qu’on les achette plus
qu’ils ne valent. On est bien dupe de les admirer, puisqu’on
en paye la façon. Il faut que les hommes vivent un peu
plus bourgeoisement uniment les uns avec les autres, pour estre en
Laissons-là les héros. Il est beau de l’être ; mais
n’admire que les sages.
Oh ! De ceux-là, il n’en a jamais fait, ni moy non plus.
De grâce, écoutez-moy, Déesse. Qu’est-ce que c’êtoit autrefois
que l’envie de plaire ! je vous en atteste vous-même.
Qu’est-ce que c’était que l’amour ? Je l’appelois tout-à-
l’heure une passion ; c’étoit une vertu, Déesse : c’étoit du moins
l’origine de toutes les vertus ensemble.
des hommes grossiers, je les polissois ; des féroces, je les humanisois ;
des fainéans, dont je ressuscitois les talents enfoüis dans l’oisiveté
et dans la paresse. Avec moy, le méchant rougissoit de
l’être. L’espoir de plaire, l’impossibilité d’y arriver
autrement que par la vertu forçoient son ame à
devenir estimable. De mon temps, la pudeur êtoit la
plus aimable des Graces.
Eh bien ; il ne faut pas faire tant de bruit ; c’est encore
de même. Je n’en connois point de si piquante, moy,
que la pudeur. je l’adore ; et mes sujets aussi. Ils la
trouvent si charmante, qu’ils la poursuivent partout où ils la trouvent mais
je m’appelle je m’appelle
soin d’elle. Il y a le respect, la sagesse, l’honneur, qui
sont commis à sa garde. Voilà ses officiers. C’est à eux
à la deffendre du danger qu’elle court ; et ce danger, c’est
moy. Je suis fait pour estre où son vainqueur, où son vaincu.
nous ne sçaurions vivre autrement ensemble ; et sauve qui
peut. Quand je la bats, elle me le pardonne : quand elle
me bat, je ne l’en estime pas moins ; et elle ne m’en hait pas
davantage. Chaque chose a son contraire. Je suis le
sien. C’est sur la bataille des contraires que tout roule
dans
n’êtes point philosophe.
Jugez-nous, Déesse, sur ce qui vient d’avoüer luy-même.
N’est-il pas condamnable ? Quelle différence des amans de
mon temps aux siens ! Que de décence dans les sentimens
des miens ! Que de dignité dans les transports même !
De la dignité dans l’Amour ! De la décence pour la durée
du monde ! Voilà des agrémens d’une grande ressource !
Il ne sçait plus ce qu’il dit,
intéressée à ce que vous renvoyïez ce vieux garçon-là.
Il va l’appauvrir à un point, qu’il n’y aura plus que des deserts.
Vivra-t’elle de soûpirs ? Il n’a que cela vaillant. Autant
en emporte le vent ; et rien ne reste que des romans de douze
tomes. Encore à la fin, n’y aura-t’il personne, pour les lire ?
Prenez garde à ce que vous allez faire.
Juste-ciel ! faut-il ?…
Bon, des apostrophes au Ciel ! Voilà encore de son jargon.
Eh ! Morbleu, qu’il s’en aille. Tenez, mon amy, je veux bien
encore vous parler raison. Vous me reprochez ma naissance,
parce qu’elle n’est pas méthodique, et qu’il y manque une
petite formalité, n’est-ce pas ? Eh bien, mon enfant ;
c’est en quoy elle est excellente, admirable ; et vous n’y entendez-
rien.
Ceci est nouveau.
Doucement.
vray ? Comment falloit-il qu’il fust, à vôtre avis ?
Un conteur de fades sornettes ? Un trembleur qui a
toûjours peur d’offenser ? III Non ; cela ne valoit rien.
Je suspends encore mon jugement entre vous deux. Voicy
donné son avis.
Scene XI.
Venez, Déesse, nous avons besoin de vous icy. Vous sçavez les
motifs de nôtre assemblée. Il s’agit à-présent de sçavoir
lequel de ces deux Amours nous devons retenir pour nos desseins.
Je viens d’entendre leurs raisons ; mais je ne décideray la
chose, qu’aprés que vous l’aurez examinée vous-même. Que
chacun d’eux vous fasse sa déclaration ; vous me direz
aprés laquelle vous aura paru du caractére le plus estimable ;
et je jugeray par là lequel de leurs Dons peut entraîner le
moins d’inconvéniens dans l’ame du Prince. Adieu, je vous
laisse ; et vous me ferez vôtre rapport.
Scene XII.
L’expedient est trés bon.
Dites-moy, Déesse, ne vaudroit-il pas mieux que nous vous
tirassions chacun un petit coup de dard ? Vous jugeriez
mieux de ce que nous valons par nos coups.
Cela seroit impossible inutile. Je suis invulnérable. Et d’ailleurs,
je veux vous écouter de sens froid, sans le secours d’aucune
impression étrangére.
C’est bien dit ; point de prévention.
Il est bien humiliant pour moy de me voir tant de fois réduit à
lutter contre luy.
Mon ancien recule icy ? Les flames héroïques ont peur de mon C’est le Brodequin qui épouvante le Cothurne.
feu bourgeois ?
Je pourrois avoir peur, si nous avions pour juge une ame
commune ; mais avec la vertu je n’ay rien à craindre.
Il fait toûjours des Exordes. Il a pillé celui-ci dans
Qu’importe ? Allons, je vous entens.
Le pas est réglé entre vous. C’est à l’amour à commencer.
Sans doute. Il est la Tragédie, luy. Moy, je ne suis que la
petite piéce. Qu’il vous glace d’abord : je vous réchaufferay
aprés.
Quoy ? Met-il déja les rieurs de son côté ?
Laissez-le dire. Commencez ; je vous écoute.
Motus.
-
Permettez-moy, Madame, de vous demander un moment d’entretien.
Jusques icy mon respect a réduit mes sentiments à se taire.
Ha, ha, ha.
Ne m’interrompez donc pas.
Je vous demande pardon ; mais je suis l’Amour ; et le respect m’a
toûjours fait baailler. N’y prenez pas garde.
Ce début me paroît froid.
Recommencez.
Je vous disois, Madame, que mon respect a réduit mes sentimens à
se taire. Ils n’ont osé se produire que dans mes timides regards ;
mais il n’est plus temps de feindre, ni vous dérober vôtre victime
Je sçais tout ce que je risque à vous déclarer ma flâme.
Vos rigueurs vont punir mon audace. Vous allez accabler un
téméraire ; mais, Madame, au milieu du courroux qui va vous
saisir, souvenez-vous du moins que ma témérité n’a jamais
passé jusqu’à l’espérance, et que ma respectueuse ardeur...
Encore du respect ! Voilà mes vapeurs qui me reprennent.
Et les voilà qui me gagnent aussi, moy.
Déesse, rendez-moy justice. Vous sentez bien qu’on m’arreste
au milieu d’une période assez touchante ; et qui avoit quelque dignité.
Voilà qui est bien. Vôtre Langage est décent. Il n’étourdit point
la Raison. On a le temps de se connoître ; et j’en rendray bon compte.
Cela fait une belle Piéce d’Eloquence. On diroit d’une
harangue.
Oüy-dà ; cette flâme, avec les rigueurs de Madame, la
témérité qu’un qu’on accable à cause de cette audace qui met en
courroux, en dépit de l’espérance qu’on n’a point, avec cette
victime, qui vient brocher sur le tout. Cela est très beau,
très touchant, assurément.
Ce n’est pas vôtre sentiment qu’on demande. Voulez-vous que
je continuë, Déesse ?
Ce n’est pas la peine. En voilà assez. Je vois bien ce que vous
sçavez faire. À vous,
Voyons.
Non, Déesse adorable, ne m’exposez point à vous dire que je vous
aime. Vous regardez ceci comme une feinte ; mais vous estes
trop aimable, et mon cœur pourroit s’y méprendre. Je vous dis la
vérité. Ce n’est pas d’aujourd’huy que vous me touchez. Je me connois
en charmes. Ny sur la Terre, ny dans les Cieux, je ne vois rien qui ne le
céde aux vôtres. Combien de fois n’ay-je pas esté tenté de me jetter
à vos genoux ? Quelles delices pour moy, que d’aimer
je pouvois estre aimé d’elle ? Eh ! Pourquoy ne m’aimeriez-vous pas ?
Que veut dire ce penchant qui me porte à vous, s’il annonce
pas que vous y serez sensible ? Je sens que tout mon cœur
vous est deu. N’avez-vous pas quelque répugnance à me
refuser le vôtre ? Aimable
Regardez-moy. Vous ne me connaissez pas. C’est
genoux qui vous parle. Essayez de le voir. il est soûmis.
Il ne veut que vous fléchir. Je vous aime ; je vous le dis ;
vous m’entendez ; mais vos yeux ne me rassurent pas. Un regard
acheveroit mon bonheur. Un regard ? Ah, quel plaisir !
Vous me l’accordez ! Chere main que j’idolatre, recevez mes
transports. Voicy le plus heureux instant qui me soit échu
en partage.
Ah ! Finissez,
Quoy !
Il va si vîte, que je ne la luy ay pas vû prendre.
Ce fripon-là m’a attendri aussi.
Déésse, pour m’expliquer comme luy, vous plaist-il d’écouter encore
deux où trois petites périodes de conséquence ?
Quoy ! Vous voulez continuer ? Adieu.
Mais vous vous en allez, et ne décidez rien.
Je me sauve, et vais faire mon rapport à
Adieu,
Allez, allez luy servir d’antidote.
Scene XIII.
Ha, ha, ha, ha.
déjà par la main, toute
encore un quart d’heure d’audiance, je vous la garantirois mal-nommée.
Oüy ; mais
La belle ressource !
Il n’y en a point d’autre avec un fripon comme vous.
Qu’est-ce donc, Seigneur
epithétes ? Vous vous familiarisez, petit commensal ?
Quoy ! Vous vous fâchez ?
Oh ! Que non. Nous ne pouvons nous passer l’un de l’autre.
Mais qu’en dites-vous ?
brillé, ce me semble.
Vous êtes un étourdi. ; vous ne l’avez que trop battu ; et je crains
que vous n’ayïez paru trop fort. Comment donc ! Vous égratignez
en joüant jusqu’à
la cérémonie presente. Vous estes trop remuant. Vous mettriez la
ville et la Cour sur un joly ton. J’entens quelqu’un. Je
suis sûr que c’est
votre congé ! C’est elle-même.
Scene derniere.
Tous les acteurs.
j’allois estre de son sentiment, si
à propos de vous réünir, en vous corrigeant, pour former le
cœur du Prince. Avec vôtre confrére, l’ame est trop tendre,
il est vray ; mais avec vous, elle est trop libertine. Il fait souvent
des cœurs ridicules ; vous n’en faites que de |||méprisables.
Il égare l’esprit ; mais vous ruïnez les mœurs. Il n’a que des
defauts ; vous n’avez que des vices. Unissez-vous tous deux :
Rendez-le plus vif, et plus passionné ; et qu’il vous rende plus
tendre et plus raisonnable : et vous serez sans reproche.
Au reste, ce n’est pas un conseil que je vous donne. C’est
un ordre de
Allons, mon camarade, je le veux bien. Embrassons-nous.
Je vous apprendray à n’être plus si sot, et vous m’apprendrez
à estre plus sage.
597
Fin.
1731
||| Qui a toûjours peur d’offenser