Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Réunion des Amours (La)</em>, comédie héroïque en un acte et en prose Marivaux, Pierre de (1688-1763) 1731-10-23 (visa de censure) chargé d'édition/chercheur Mehrbrey, Sophia (transcription) Laurence Macé CEREdI, UR 3229 - Université de Rouen-Normandie ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1731-10-23 (visa de censure) Fiche : Laurence Macé CEREdI, UR 3229 - Université de Rouen-Normandie ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris, Bibliothèque de la Comédie Française, ms. 106
Français

1997

91 Carton No 416 dordre

Marivaux La Réunion<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> des amours Comédie en 1 acte 5 9bre 1731.

Premiere feuille

31 carton No 416 d’ordre

La Réunion<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> des<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> Amours.

[Ms 106.

Acteurs.

 . L’Amour . Cupidon. . Apollon. . Mercure . Plutus. . La Vérité. . La Vertu.

deuxiesme

La Reünion des Amours. Comédie Héroïque.

Scene première.

Cupidon entre d’un côté. L’Amour de l’autre. Ils s’arrêtent tous deux, en se voyant.

Cupidon, à part.

Qui vois-je ? Qui est-ce qui a l’audace de porter comme moy un carquois et des fléches ?

L’Amour, à part.

N’est-ce pas là Cupidon, cet usurpateur de mon empire ?

Cupidon, à part.

Ne seroit-ce pas cet Amour gaulois, ce Dieu de la fade tendresse qui sort de la retraite obscure où ma victoire l’a condamné ?

L’Amour, à part.

Qu’il est laid ! Qu’il a l’air débauché !

Cupidon, à part.

Vit-on jamais des figures plus sottes ? Sçachons un peu ce que vient faire icy cette ridicule antiquaille. Approchons.

à l’amour.

Soyez le bien-venu, mon ancien, le Dieu des soûpirs timides, et des tendres langueurs ; je vous saluë.

L’Amour.

Saluez.

Cupidon.

Le compliment est sec ; mais je vous le pardonne. Un proscrit n’est pas de bonne humeur.

L’Amour.

Un proscrit ! Vous ne devez ma retraite qu’à l’indignation qui m’a saisy, quand j’ay vû que les hommes êtoient capables de vous souffrir.

Cupidon.

Malepeste, que cela est beau ! C’est-à-dire que vous n’avez fuy que parce que vous estiez glorieux ; et vous estes un héros fuyard.

L’Amour.

Je n’ay rien à vous répondre. Allez ; nous ne sommes pas faits pour discourir ensemble.

Cupidon.

Ne vous fâchez point, mon confrere. dans le fonds je vous plains. Vous me dites des injures ; mais vôtre état me desarme. Tenez je suis le meilleur garçon du monde. Contez-moy vos chagrins. Que venez-vous faire ici ? Est-ce que vous vous ennuyez dans vôtre solitude ? Eh bien, il y a reméde à tout. voulez vous de l’employ ? Je vous donneray

de l’employ. Je vous donneroy vôtre petite provision de fléches, car celles que vous avez-là dans vôtre carquois, ne valent plus rien.

Il tire des fléches de son carquois.

Voyez-vous ce dard-là ? Voilà ce qu’il faut. Cela entre dans le cœur ; cela le pénétre ; cela le brûle ; cela l’embraze. Il crie, il s’agite ; il demande du secours ; il ne sçauroit attendre

L’Amour.

Quelle méprisable espèce de feux !

Cupidon.

Ils ont pourtant décrié les vôtres. Entre vous et moy, de vôtre temps les amants n’êtoient que des benêts ; ils ne sçavoient que languir, que faire des, hélas, et conter leurs peines aux echos d’alentour. Oh ! Parbleu, ce n’est plus de même. J’ay supprimé les echos, moy ; je blesse, ahi ! Vîte au remede. On va droit à la cause du mal. Allons, dit-on, je vous aime ; voyez ce que vous pouvez faire pour moy ; car le temps est cher. il faut il faut expedier les hommes. Mes sujets ne disent point, " je me meurs. Il n’y a rien de si vivant qu’eux. Langueurs, timiditez, doux martyre, il n’en est plus question : fadeur, platitude du temps passé que tout cela. Vous ne faisiez que des sots, que des imbéciles. Moy, je fais des gens de courage. Je ne les endors pas ; je les éveille : Ils sont si vifs, qu’ils n’ont pas le loisir d’être tendres. Leurs regards sont des désirs. Au lieu de soûpirer ; ils attaquent. Ils ne demandent pas d’amour ; ils le supposent : Ils ne disent point, faites-moy grace, ils la prennent. Ils ont du respect ; mais ils le perdent ; et voilà celuy qu’il faut. En un mot, je n’ay point d’esclaves ; je n’ay que des soldats. Allons, déterminez-vous. J’ay besoin de commis. Voulez-vous estre le mien? Sur le champ, je vous donne de l’employ.

L’Amour.

Ne rougissez-vous point du récit que vous venez de faire ? Quel oubli de la vertu !

Cupidon.

Eh bien ? Quoy, la vertu ? que voulez-vous dire ? Elle a sa charge ; et moy, la mienne. Elle est faite pour régir l’univers ; et moy, pour l’entretenir. Déterminez-vous, vous dis-je : mais je ne vous prends qu’à condition que vous quitterez je ne sçay quel air de dupe que vous avez sur la physionomie. Je ne veux point de cela. Allons, mon lieutenant, alerte. Un peu de mutinerie dans les yeux. les vôtres prêchent la résistance Est-ce là la contenance d’un vainqueur ? Avec un amour aussi poltron que vous, il faudroit qu’un tendron fît tous les frais

troisiesme

de la défaite. Eh ! Eviteriez-vous ?..... Il tire une de ses fléches. Je suis d’avis, de vous égayer le cœur d’une de mes fléches pour vous ôter cet air timide et langoureux. Garre que je vous rende aussi fol que moy !

L’Amour, tirant aussi une de ses fléches.

Et moy, si vous tirez, je vous rendray sage.

Cupidon.

Non pas, s’il vous plaist. J’y perdrois ; et vous gagneriez.

L’Amour.

Allez, petit libertin que vous êtes, votre audace ne m’offense point ; et votre empire touche peut-être à sa fin. Jupiter aujourd’huy fait assembler tous les Dieux. Il veut que chacun d’eux fasse un Don au fils d’un grand Roy qu’il aime. Je suis invité à l’assemblée. Tremblez des suites, que peut avoir cette aventure.

Scene II.

Cupidon – seul.

Comment donc ? Il dit vray. tous les Dieux ont reçû ordre de se rendre icy. Il n’y a que moy qu’on n’a point averty : et j’ay crû que ce n’étoit qu’un oubli de la part de Mercure. Le voicy qui vient. Voyons ce que cela signifie.

Scene III.

Cupidon, Mercure, Plutus.Mercure.

Ah ! Vous voilà, Seigneur Cupidon ! Je suis votre serviteur.

Plutus.

Bon-jour, mon amy.

Cupidon.

Bon-jour, Plutus. Seigneur Mercure, il y a aujourd’huy assemblée générale ; et c’est vous qui avez averty tous les Dieux de la part de Jupiter de se trouver icy.

Mercure.

Il est vray.

Cupidon.

Pourquoi donc n’ay je rien sçû de cela, moy ? Est-ce que je ne suis pas une Divinité assez considérable ?

Mercure.

Eh ! Où vouliez-vous que je vous prisse ? Vous êtes un coureur, qu’on ne sçauroit attraper.

Cupidon.

Vous biaisez, Mercure. Parlez-moy franchement. Etois-je sur vôtre liste ?

Mercure.

Ma foy, non. J’avois ordre exprès de vous oublier tout a fait net.

Cupidon.

Moy ! Et de qui l’aviez-vous reçû ?

Mercure.

De Minerve, à qui Jupiter a donné la Direction de l’Assemblée.

Plutus.

Oh ! De Minerve, la Déesse de la sagesse ? Ce n’est pas là un grand malheur. Tu sçais bien qu’elle ne nous aime pas : mais elle a beau faire. Nous avons un peu plus de crédit qu’elle. Nous rendons les gens heureux, nous, morbleu ; et elle ne les rend que raisonnables. Aussi n’a-t-elle pas la presse.

Cupidon.

Apparemment que c’est elle qui vous a aussi chargé du soin d’aller chercher le Dieu de la tendresse, luy, dont on ne se ressouvenoit plus.

Mercure.

Vous l’avez dit, et ma commission portoit même de luy faire de grands complimens.

Cupidon, riant.

La belle Ambassade !

Plutus.

Va, va, mon amy, laisse-le venir, ce Dieu de la tendresse. Quand on le retabliroit, il ne feroit pas grande besogne. On n’est plus dans le goust de l’amoureux Martyre : On ne l’a retenu que dans les chansons. Le mêtier de cruelle est tombé : ne t’embarrasse pas de ton rival. Je ne veux qu’un demi million sac de mil francs que de l’or, pour le battre, moy.

Cupidon.

Je le croy. mais je suis piqué. Il me prend envie de vuider mon carquois sur tous les cœurs de l’olimpe.

Mercure.

Point d’etourderie. Jupiter est le maître. On pourroit bien vous casser ; car on n’est pas trop content de vous.

Cupidon.

Eh ! De quoy peut-on se plaindre, je vous prie ?

Mercure.

Oh ! De tant de choses. Par exemple, il n’y a plus de salut tranquillité à faire dans le mariage. Vous ne sçauriez laisser la teste des maris en repos. Vous mettez toûjours après leurs femmes quelque

quatriesme

chasseur qui les attrape.

Cupidon.

Et moy, je vous dis que mes chasseurs ne poursuivent que ce qui se presente.

Plutus.

C’est-à-dire que les femmes sont bien aises d’être couruës.

Cupidon.

Voilà ce que c’est. La plû-part sont des coquettes qui en demeurent-là ; où bien qui ne se retirent que pour agacer, qui n’oublient rien pour exciter l’envie du chasseur ; qui luy disent, mirez-moy. On les mire ; on les blesse ; et elles se rendent. Est-ce ma faute ? Parbleu, non. La coquetterie les a déjà bien étourdies, avant qu’on les tire.

Mercure.

Vous direz ce qu’il vous plaira. Ce n’est point à moy à vous donner des leçons ; mais prenez-y garde. ce sont les hommes, ce sont les femmes, qui crient, qui disent que c’est vous qui passez les contrats de la moitié des mariages. Après cela, ce sont des vieillards que vous donnez à expédier à de jeunes epouses, qui ne les prennent vivans, que pour les avoir morts, et qui, au détriment des héritiers, ont tout le profit des funérailles. Ce sont de vieilles femmes dont vous videz le coffre pour l’achapt d’un mary faineant qu’on ne sauroit ni troquer, ni revendre. Ce sont des malices qui ne finissent point, sans compter votre libertinage ; Car Bacchus, dit-on, vous fait faire tout ce qu’il veut. Plutus, avec son or et ses presens, dispose de votre carquois ; pourvû qu’il vous donne, toute vôtre artillerie est à son service : et cela n’est pas joly. Ainsy tenez-vous en repos, et changez de conduite.

Cupidon.

Puisque vous m’exhortez à changer, vous avez donc envie de vous retirer, seigneur Mercure ?

Mercure.

Laissons-là cette mauvaise plaisanterie.

Plutus.

Quant à moy, je n’ay que faire d’être dans les caquets. Tout ce que je prends de luy, je l’achette. Je marchande, nous convenons, et je paye. Voilà toute la finesse que j’y sçache.

Cupidon.

Celui-là est comique. Se plaindre de ce que j’aime la bonne chere et l’aisance, moy, qui suis l’amour ! A quoy donc voulez- -vous que je m’occupe ? A des traitez de morale ? Oubliez-vous que c’est moy qui met tout en mouvement, que c’est moy qui donne la vie, qu’il faut dans ma charge un fond inépuisable de bonne humeur, et que je dois estre à moy seul plus semillant, plus vivant que tous les Dieux ensemble.

Mercure.

Ce sont vos affaires. Mais je pense que voici Apollon Minerve qui vient à nous.

Plutus.

Adieu donc, je m’en vais. Le Dieu du bel-esprit la Deesse de la sagesse et moy, ne nous amusons pas extremement ensemble. Jusqu’au revoir, Cupidon.

Cupidon.

Adieu, adieu, je vous rejoindray.

Scene IV. Cupidon, Mercure, Apollon.

Mercure.

Qu’avez-vous, Seigneur Apollon ? Vous avez l’air sombre.

Apollon.

Le retour du Dieu de la tendresse me fâche. Je n’aime pas les dispositions où je vois que Minerve est pour luy. Je vous apprends qu’elle va bientôt l’amener icy, Cupidon.

Cupidon.

Et que veut-elle en faire ?

Apollon.

Vous entendre raisonner tous les deux sur la nature de vos feux pour juger lequel de vos dons on doit préférer dans cette occasion-cy : et c’est dequoy même je suis chargé de vous informer.

Cupidon.

Tant mieux, morbleu, tant mieux ; cela me divertira. Allez, il n’y a rien à craindre, mon confrère ne plaide pas mieux qu’il blesse.

Mercure.

Croyez-moy pourtant, allez-vous préparer pendant quelques momens.

Cupidon.

C’est parbleu bien dit. Je vais me recüeillir chez Bacchus. Il y a du vin de champagne, qui est d’une éloquence admirable. J’y trouveray mon plaidoyer tout fait. Adieu, mes Ams. Tenez-moy des lauriers tout prêts.

cinquiesme

Scene VMercure, Apollon.

Apollon.

Il a beau dire. Le vent du bureau n’est pas pour luy ; et je me défie du succez.

Mercure.

Eh bien ? Que vous importe à vous ? Quand son rival reviendroit à la mode, vous n’en inspirerez pas moins ceux qui chanteront leurs maîtresses.

Apollon.

Eh ! Morbleu, cela est bien différent. Les chansons ne seront plus si jolies. On ne chantera plus que des sentiments. Cela est bien plat.

Mercure.

Bien plat ! Que voulez-vous donc qu’on chante ?

Apollon.

Ce que je veux ? Est-ce qu’il faut un commentaire à Mercure ? Une caresse, une vivacité, un transport, quelque petite action.

Mercure.

Ah ! Vous avez raison. Je n’y songeois pas. Cela fait un sujet bien plus piquant, plus animé.

Apollon.

Sans comparaison : et un sujet bien plus à la portée d’être senty. Tout le monde est au fait d’une action.

Mercure.

Oüy ; tout le monde gesticule.

Apollon.

Et tout le monde ne sent pas. Il y a des cœurs matériels, qui n’entendent un sentiment que lorsqu’il est mis sur un canevas bien intelligible.

Mercure.

On ne leur explique l’âme qu’à la faveur du corps.

Apollon.

Vous y êtes : et il faut avoüer que la poësie galante a bien plus de prise en pareil cas. Aujourd’huy, quand j’inspire un couplet de chanson, où quelques autres vers, j’ay mes coudées franches ; je suis à mon aise. C’est Philis qu’on attaque, qui combat, qui se deffend mal. C’est un beau bras qu’on saisit ; c’est une main qu’on adore, et qu’on baise ; c’est Philis qui se fáche ; on se jette à ses genoux. Elle s’attendrit ; elle s’appaise : un soûpir luy échape : Ah ! -Sylvandre ! Ah, Philis ! Levez-vous ; je le veux. Quoi, cruelle, mes transports ?.... finissez. Je ne puis. Laissez-moy.

des regards, des ardeurs, des douceurs ; cela est charmant. Sentez- -vous la gayeté, la commodité de ces objets-là ? J’inspire là-dessus, en me joüant. Aussi n’a-t-on jamais vû tant de poëtes.

Mercure.

Et dont la poësie ne vous coûte rien. Ce sont les Philis qui en font tous les frais.

Apollon.

Sans doute. Au lieu que si la tendresse alloit estre à la mode, adieu les bras, adieu les mains ; les Philis n’auroient plus de tout cela.

Mercure.

Elles n’en seroient que plus aimables, et sans doute plus aimées. Mais laissez-moy recevoir la Vérité qui arrive.

Scene VI.Mercure, Apollon, La Vérité.Mercure.

Il est temps de venir, Déesse ; l’assemblée va se tenir bientost.

La Vérité.

J’arrive. Je me suis seulement amusée un instant à parler a Minerve sur le choix qu’elle a fait de certains Dieux, pour la cérémonie dont il est question.

Apollon.

Peut-on vous demander de qui vous parliez, Déesse ?

La Vérité.

De qui ? De vous.

Apollon.

Cela est net. Et qu’en disiez-vous donc ?

La Vérité.

Je disois….. Mais vous estes bien hardi d’interroger la vérité. Vous y tenez-vous ?

Apollon.

Je ne crains rien. Poursuivez.

Mercure.

Courage.

Apollon

Que disiez-vous de moy ?

La Vérité.

Du bien et du mal : beaucoup plus de mal que de bien. Continuez de m’interroger. Il ne vous en coûtera pas plus de sçavoir le reste.

Apollon.

Eh ! Quel mal y a-t’il à dire du Dieu qui peut faire le Don de l’eloquence et de l’amour des beaux arts ?

sixiesme

La Vérité.

Oh ! Vos Dons sont excellens ; j’en disois du bien : mais vous ne leur ressemblez pas.

Apollon.

Pourquoy ?

La Vérité.

C’est que vous flatez, que vous mentez, et que vous estes un corrupteur des ames humaines.

Apollon.

Doucement, s’il vous plaist. Comme vous y allez !

La Vérité.

OEn un mot, un vray charlatan.

Apollon.

Arrêtez ; car je me fâcherois.

Mercure.

Laissez-la achever ; ce qu’elle dit est amusant.

Apollon.

Il ne m’amuse pas du tout, moy. Qu’est-ce que cela signifie ? En quoy donc méritois-je tous ces noms-là ?

La Vérité.

Vous rougissez ; mais ce n’est pas de vos vices. Ce n’est que du reproche que je vous en fais.

Mercure à Apollon.

N’admirez-vous pas son discernement ?

Apollon.

Déesse, vous me poussez à bout.

La Vérité.

Je vous définis. Vangez-vous, en vous corrigeant.

Apollon.

Eh ! De quoy me corriger ?

La Vérité.

Du mêtier vénal et mercenaire que vous faites. Tenez ; de toutes les eaux de vôtre Hypocréne, de vôtre Parnasse, et de vôtre bel-esprit, je n’en donnerois pas un fetu ; non plus de vos neufMuses, qu’on appelle les chastes sœurs ; et qui ne sont que neuf vieilles friponnes que vous n’employez qu’à faire du mal. Si vous estes le Dieu de l’eloquence, de la poësie, du bel esprit, soûtenez donc ces grands attributs avec quelque dignité. Car enfin, n’est-ce pas vous qui dictez tous les eloges flatteurs qui se débitent ? Vous estes si accoûtumé à mentir, que lorsque vous loüez la vertu, vous –

n’avez plus d’esprit ; vous ne sçavez plus où vous en estes.

Mercure.

Elle n’a pas tout le tort. J’ay remarqué que la fiction vous réüssit mieux que le reste.

La Vérité.

Je vous dis qu’il n’y a rien de si plat que luy, quand il ne ment pas. On est toûjours mal loüé de luy, dés qu’on mérite de l’estre : mais tous les fabuleux, oh ! Il triomphe. Il vous fait un morceau de toutes les vertus ; et puis vous les jette à la teste ; Tiens, preus, enyvre-toy d’impertinences et de chiméres.

Apollon.

Mais enfin…

La Vérité.

Mais enfin tout qu’il vous plaira. Vos epîtres dédicatoires, par exemple ?

Mercure.

Oh ! Faites-luy grâce là dessus. On ne les lit point.

La Vérité.

Dans le grand nombre, il y en a quelques-unes que j’approuve. Quand j’ouvre un livre, et que je vois le nom d’une vertueuse personne à la teste, je m’en réjoüis : mais j’en ouvre un autre, il s’adresse à une personne admirable. J’en ouvre deux ; j’en ouvre mille : tout est dédié à des prodiges de vertu et de mérite. Et où se tiennent donc tous ces prodiges ? Où sont-ils ? Comment se fait-il que les personnes vrayment loüables soient si rares, et que les epîtres dédicatoires soient si communes ? Il me les faut pourtant en nombre égal ; où bien vous n’êtes pas un Dieu d’honneur. En un mot, il y a mille epîtres, où vous vous écriez, « que vôtre modestie se rassure. Il me faut donc mille Monseigneurs modestes. Oh ! De bonne foy, me les fourniriez-vous ? Concluez.

Apollon.

Mais, Mercure, approuvez-vous tout ce qu’elle me dit-là ?

Mercure.

Moy, je ne vous trouve pas si coupable qu’elle le croit. On ne sent point qu’on est menteur, quand on a l’habitude de l’être.

Apollon.

La réponse est consolante.

La Vérité.

En un mot, vous masquez tout ; et ce qu’il y de plaisant, c’est que ceux que vous travestissez, prennent le masque que vous leur donnez

septiesme

pour leur visage. Je connois une trés laide femme, que vous avez appellée charmante Iris ; la folle n’en veut rien rabattre son miroir n’y gagne rien ; elle n’y voit plus qu’Iris. C’est sur ce pied-là qu’elle se montre : et la charmante Iris est une guenon qui vous ferait peur ; Je vous pardonnerois tout cela cependant si vos flatteries n’attaquoient pas jusqu’aux Princes ; mais pour cet article-là, je le trouve affreux.

Mercure.

Malepeste ! C’est l’article de tout le monde.

Apollon.

Quoi ? Dire la vérité aux Princes ?

La Vérité.

Le plus grand des mortels c’est le Prince qui l’aime, et qui la cherche. Je mets presque à côté de luy le sujet vertueux, qui ose la luy dire. Et le plus heureux de tous les peuples, est celuy chez qui ce Prince et ce sujet se rencontrent ensemble.

Apollon.

Je l’avouë ; Il me semble que vous avez raison.

La Vérité.

Au reste, Apollon, tout ce que je vous dis-là ne signifie pas que je vous craigne. Vous sçavez aujourd’huy de quel Prince il est question. Faites tout ce qu’il vous plaira. La sagesse et moy nous remplirons son ame d’un si grand amour pour les vertus, que vos flatteurs seront réduits à parler de luy comme j’en parleray moy-même. Adieu.

Apollon.

C’en est fait ; je me rends, Déesse ; et je me raccommode avec vous. Allons, je vous consacre mes veilles. Vous fournirez les actions au Prince, et je me charge du soin de les célébrer.

Scene VII.Mercure, Apollon.Mercure.

Seigneur Apollon, je vous félicite de vos louables dispositions. Ce que c’est que les gens d’esprit ! Tost où tard ils deviennent honnêtes-gens.

Apollon.

Voilà ce qui fait qu’on ne doit pas desesperer de vous, Seigneur Mercure.

Scene VIII.Cupidon, Mercure, Apollon.Cupidon.

Gare, gare, Messieurs ; voici Minerve qui se rend icy avec mon rival.

Mercure.

Eh bien ! Nous ne serons pas de trop ; je seray bien aise d’être present.

Apollon.

Vous n’auriez pas mal fait de me communiquer ce que vous avez à dire. J’aurois pû vous fournir quelque chose de bon ; mais vous ne consultez personne.

Cupidon.

Mons de la poësie, vous me manquez de respect.

Apollon.

Pourquoy donc ?

Cupidon.

Vous croyez avoir autant d’esprit que moy, je pense ?

Mercure rit.

hé, hé, hé, hé.

Apollon.

Je sçay pourtant persuader la Raison-même.

Cupidon.

Et moy, je la fais taire. Taisez-vous aussi.

Scene IX.Mercure, Apollon, Cupidon, l’Amour, Minerve.Minerve.

Vous sçavez, Cupidon, de quel employ Jupiter m’a chargée. Peut-être vous plaindrez-vous du secret que je vous ay fait de nôtre assemblée : mais je croyois vos feux trop vifs. Quoi qu’il en soit, nous ne voulons point que le Prince ait une ame insensible. L’un de vous deux doit avoir quelque droit sur son cœur ; mais sa raison doit primer sur tout ; et vous estes accusé de ne la ménager guére.

Cupidon.

Oüy-da, je l’étourdis quelquefois. Il y a des moments difficiles à passer avec moy ; mais cela ne dure pas.

Apollon.

bon × Quand on aime, il faut bien qu’il y paraisse.

huitiesme

Mercure.

Tenez ; dans la théorie, le Dieu de la tendresse l’emporte ; mais j’aime mieux sa pratique à luy.

Minerve.

bon Messieurs, ne soyez que spectateurs.

Mercure.

Je ne dis plus mot.

Apollon.

bon Pour moy, Serviteur au Silence. Je sors.

Minerve.

Vous me faites  plaisir.

Scene X.Mercure, Minerve, Cupidon, L’Amour.Minerve.

Allons, Cupidon, je vous écouteray, malgré les défauts qu’on vous reproche.

Cupidon.

Mais qu’est-ce que c’est que mes défauts ? où cela va-t-il ? On dit que je suis un peu libertin ; mais on n’a jamais dit que j’êtois un benest.

L’Amour.

Eh ! De qui l’a-t’on dit ?

Cupidon.

A vôtre place, je ne ferois point cette question-là.

Minerve.

Il ne s’agit point de cela. Terminons. Je ne suis venuë ici que pour vous écouter. Voyons.

à l’amour.

Vous êtes l’Ancien, vous ; parlez le premier.

L’Amour tousse et crache.

Sage Minerve, vous, devant qui je m’estime heureux de reclamer mes droits…

Cupidon.

Je deffends les coups d’encensoir.

Minerve.

Retranchez l’encens.

L’Amour.

Je croirois manquer de respect, et faire outrage à vos lumieres, Si je vous soupçonnois capable d’hésiter entre luy et moy.

Cupidon.

La Cour remarquera qu’il la flatte.

Minerve à Cupidon.

Laissez-le donc dire.

Cupidon.

Je ne parle pas. Je ne fais qu’apostiller son exorde.

L’Amour.

Ah ! C’en est trop. Vôtre audace m’irrite, et me fait sortir de la modération que je voulais garder. Qui êtes-vous, pour oser me disputer quelque chose, vous, qui n’avez pour attribut, que le vice, digne heritage d’une origine aussi impure que la vôtre ? Divinité scandaleuse, dont le culte est un crime, à qui la seule corruption des hommes a dressé des autels, vous, à qui les devoirs les plus sacrez servent de victimes, vous qu’on ne peut hónorer, qu’en immolant la Vertu ? Funeste autheur des plus honteuses flétrissures des hommes, qui pour récompense à ceux qui vous suivent, ne leur laissez que le déshonneur, le repentir et la misére en partage. Osez-vous vous comparer à moy, au Dieu de la plus noble, de la plus estimable, de la plus tendre des passions, et j’ose dire, de la plus féconde en héros.

Cupidon.

Bon, des Héros ! Nous voilà bien riches. Est-ce que vous croyez que la Terre ne se passera pas bien de ces Messieurs-là. Allez, ils sont plus curieux à voir, que nécessaires ; leur gloire a trop d’attirail. Si l’on rabatoit tous les frais qu’il en coûte pour les avoir, on verroit qu’on les achette plus qu’ils ne valent. On est bien dupe de les admirer, puisqu’on en paye la façon. Il faut que les hommes vivent un peu plus bourgeoisement uniment les uns avec les autres, pour estre en repos. Vos héros sortent du niveau, et ne font que du tintamarre. Poursuivez.

Minerve.

Laissons-là les héros. Il est beau de l’être ; mais la Raison n’admire que les sages.

Cupidon.

Oh ! De ceux-là, il n’en a jamais fait, ni moy non plus.

L’Amour.

De grâce, écoutez-moy, Déesse. Qu’est-ce que c’êtoit autrefois que l’envie de plaire ! je vous en atteste vous-même.

Neufviesme

Qu’est-ce que c’était que l’amour ? Je l’appelois tout-à- l’heure une passion ; c’étoit une vertu, Déesse : c’étoit du moins l’origine de toutes les vertus ensemble. La Nature me presentoit des hommes grossiers, je les polissois ; des féroces, je les humanisois ; des fainéans, dont je ressuscitois les talents enfoüis dans l’oisiveté et dans la paresse. Avec moy, le méchant rougissoit de l’être. L’espoir de plaire, l’impossibilité d’y arriver autrement que par la vertu forçoient son ame à devenir estimable. De mon temps, la pudeur êtoit la plus aimable des Graces.

Cupidon.

Eh bien ; il ne faut pas faire tant de bruit ; c’est encore de même. Je n’en connois point de si piquante, moy, que la pudeur. je l’adore ; et mes sujets aussi. Ils la trouvent si charmante, qu’ils la poursuivent partout où ils la trouvent mais je m’appelle je m’appelle l’Amour ; mon mêtier n’est pas d’avoir soin d’elle. Il y a le respect, la sagesse, l’honneur, qui sont commis à sa garde. Voilà ses officiers. C’est à eux à la deffendre du danger qu’elle court ; et ce danger, c’est moy. Je suis fait pour estre où son vainqueur, où son vaincu. nous ne sçaurions vivre autrement ensemble ; et sauve qui peut. Quand je la bats, elle me le pardonne : quand elle me bat, je ne l’en estime pas moins ; et elle ne m’en hait pas davantage. Chaque chose a son contraire. Je suis le sien. C’est sur la bataille des contraires que tout roule dans la Nature. Vous ne sçavez pas cela, vous. Vous n’êtes point philosophe.

L’Amour.

Jugez-nous, Déesse, sur ce qui vient d’avoüer luy-même. N’est-il pas condamnable ? Quelle différence des amans de mon temps aux siens ! Que de décence dans les sentimens des miens ! Que de dignité dans les transports même !

Cupidon.

De la dignité dans l’Amour ! De la décence pour la durée du monde ! Voilà des agrémens d’une grande ressource ! Il ne sçait plus ce qu’il dit, Minerve. Toute la Nature est intéressée à ce que vous renvoyïez ce vieux garçon-là. Il va l’appauvrir à un point, qu’il n’y aura plus que des deserts. Vivra-t’elle de soûpirs ? Il n’a que cela vaillant. Autant en emporte le vent ; et rien ne reste que des romans de douze

tomes. Encore à la fin, n’y aura-t’il personne, pour les lire ? Prenez garde à ce que vous allez faire.

L’Amour.

Juste-ciel ! faut-il ?…

Cupidon.

Bon, des apostrophes au Ciel ! Voilà encore de son jargon. Eh ! Morbleu, qu’il s’en aille. Tenez, mon amy, je veux bien encore vous parler raison. Vous me reprochez ma naissance, parce qu’elle n’est pas méthodique, et qu’il y manque une petite formalité, n’est-ce pas ? Eh bien, mon enfant ; c’est en quoy elle est excellente, admirable ; et vous n’y entendez- rien.

Mercure.

Ceci est nouveau.

Cupidon.

Doucement. La Nature avoit besoin d’un amour, n’est-il pas vray ? Comment falloit-il qu’il fust, à vôtre avis ? Un conteur de fades sornettes ? Un trembleur qui a toûjours peur d’offenser ? III Non ; cela ne valoit rien. C’êtoit un espiégle tel que moy qu’il faloit à la Nature. Un etourdi, sans souci, plus vif que délicat. qui mist toute sa noblesse à tout prendre et à ne rien laisser. Et cet enfant- là, je vous prie, y avoit-il rien de plus sage, que de luy donner pour pere et pour mere des parens joyeux qui le fissent naître sans cérémonie dans le sein de la joye. Il ne falloit que le sens commun pour sentir cela. Mais dites-vous, vous estes le Dieu du vice ? Cela n’est pas vray. Je donne de l’amour ; voilà tout : le reste vient du cœur des hommes. Les uns y perdent ; les autres y gagnent. Je ne m’en embarrasse pas. J’allume le feu ; C’est à la raison à le conduire ; et je m’en tiens à mon mêtier de distributeur de flâmes au profit de l’univers. En voilà assez. Croyez-moy ; retirez-vous. C’est l’avis deMinerve.

Minerve.

Je suspends encore mon jugement entre vous deux. Voicy la vertu qui entre. Je ne me prononceray que lorsqu’elle m’aura donné son avis.

Dixiesme

Scene XI.La Vertu, les acteurs précédens.Minerve.

Venez, Déesse, nous avons besoin de vous icy. Vous sçavez les motifs de nôtre assemblée. Il s’agit à-présent de sçavoir lequel de ces deux Amours nous devons retenir pour nos desseins. Je viens d’entendre leurs raisons ; mais je ne décideray la chose, qu’aprés que vous l’aurez examinée vous-même. Que chacun d’eux vous fasse sa déclaration ; vous me direz aprés laquelle vous aura paru du caractére le plus estimable ; et je jugeray par là lequel de leurs Dons peut entraîner le moins d’inconvéniens dans l’ame du Prince. Adieu, je vous laisse ; et vous me ferez vôtre rapport.

Scene XII.L’Amour, Cupidon, Mercure, La Vertu. Mercure.

L’expedient est trés bon.

Cupidon.

Dites-moy, Déesse, ne vaudroit-il pas mieux que nous vous tirassions chacun un petit coup de dard ? Vous jugeriez mieux de ce que nous valons par nos coups.

La Vertu.

Cela seroit impossible inutile. Je suis invulnérable. Et d’ailleurs, je veux vous écouter de sens froid, sans le secours d’aucune impression étrangére.

Mercure.

C’est bien dit ; point de prévention.

L’Amour.

Il est bien humiliant pour moy de me voir tant de fois réduit à lutter contre luy.

Cupidon.

Mon ancien recule icy ? Les flames héroïques ont peur de mon feu bourgeois ? C’est le Brodequin qui épouvante le Cothurne.

L’Amour.

Je pourrois avoir peur, si nous avions pour juge une ame commune ; mais avec la vertu je n’ay rien à craindre.

Cupidon.

Il fait toûjours des Exordes. Il a pillé celui-ci dans Cléopatre.

La Vertu.

Qu’importe ? Allons, je vous entens.

Mercure.

Le pas est réglé entre vous. C’est à l’amour à commencer.

Cupidon.

Sans doute. Il est la Tragédie, luy. Moy, je ne suis que la petite piéce. Qu’il vous glace d’abord : je vous réchaufferay aprés.

Mercure et la Vertu soûrient.L’Amour.

Quoy ? Met-il déja les rieurs de son côté ?

La Vertu.

Laissez-le dire. Commencez ; je vous écoute.

Mercure.

Motus.

L’Amour s’écarte, et fait la révérence en abordant - - la vertu.

Permettez-moy, Madame, de vous demander un moment d’entretien. Jusques icy mon respect a réduit mes sentiments à se taire.

Cupidon baaille.

Ha, ha, ha.

L’Amour.

Ne m’interrompez donc pas.

Cupidon.

Je vous demande pardon ; mais je suis l’Amour ; et le respect m’a toûjours fait baailler. N’y prenez pas garde.

Mercure.

Ce début me paroît froid.

La Vertu, à l’amour.

Recommencez.

L’Amour.

Je vous disois, Madame, que mon respect a réduit mes sentimens à se taire. Ils n’ont osé se produire que dans mes timides regards ; mais il n’est plus temps de feindre, ni vous dérober vôtre victime Je sçais tout ce que je risque à vous déclarer ma flâme. Vos rigueurs vont punir mon audace. Vous allez accabler un

onziesme

téméraire ; mais, Madame, au milieu du courroux qui va vous saisir, souvenez-vous du moins que ma témérité n’a jamais passé jusqu’à l’espérance, et que ma respectueuse ardeur...

Cupidon.

Encore du respect ! Voilà mes vapeurs qui me reprennent.

Mercure.

Et les voilà qui me gagnent aussi, moy.

L’Amour.

Déesse, rendez-moy justice. Vous sentez bien qu’on m’arreste au milieu d’une période assez touchante ; et qui avoit quelque dignité.

La Vertu.

Voilà qui est bien. Vôtre Langage est décent. Il n’étourdit point la Raison. On a le temps de se connoître ; et j’en rendray bon compte.

Mercure.

Cela fait une belle Piéce d’Eloquence. On diroit d’une harangue.

Cupidon.

Oüy-dà ; cette flâme, avec les rigueurs de Madame, la témérité qu’un qu’on accable à cause de cette audace qui met en courroux, en dépit de l’espérance qu’on n’a point, avec cette victime, qui vient brocher sur le tout. Cela est très beau, très touchant, assurément.

Mercure rit.L’Amour à Cupidon.

Ce n’est pas vôtre sentiment qu’on demande. Voulez-vous que je continuë, Déesse ?

La Vertu.

Ce n’est pas la peine. En voilà assez. Je vois bien ce que vous sçavez faire. À vous, Cupidon.

Mercure.

Voyons.

Cupidon, tout d’un coup.

Non, Déesse adorable, ne m’exposez point à vous dire que je vous aime. Vous regardez ceci comme une feinte ; mais vous estes trop aimable, et mon cœur pourroit s’y méprendre. Je vous dis la vérité. Ce n’est pas d’aujourd’huy que vous me touchez. Je me connois en charmes. Ny sur la Terre, ny dans les Cieux, je ne vois rien qui ne le céde aux vôtres. Combien de fois n’ay-je pas esté tenté de me jetter

à vos genoux ? Quelles delices pour moy, que d’aimer la Vertu, si je pouvois estre aimé d’elle ? Eh ! Pourquoy ne m’aimeriez-vous pas ? Que veut dire ce penchant qui me porte à vous, s’il annonce pas que vous y serez sensible ? Je sens que tout mon cœur vous est deu. N’avez-vous pas quelque répugnance à me refuser le vôtre ? Aimable Vertu, me fuyez-vous toûjours ? Regardez-moy. Vous ne me connaissez pas. C’est l’Amour à vos genoux qui vous parle. Essayez de le voir. il est soûmis. Il ne veut que vous fléchir. Je vous aime ; je vous le dis ; vous m’entendez ; mais vos yeux ne me rassurent pas. Un regard acheveroit mon bonheur. Un regard ? Ah, quel plaisir ! Vous me l’accordez ! Chere main que j’idolatre, recevez mes transports. Voicy le plus heureux instant qui me soit échu en partage.

La Vertu, soupirant.

Ah ! Finissez, Cupidon. je vous deffends de parler davantage.

L’Amour.

Quoy ! La Vertu se laisse baiser la main ?

La Vertu.

Il va si vîte, que je ne la luy ay pas vû prendre.

Mercure.

Ce fripon-là m’a attendri aussi.

Cupidon.

Déésse, pour m’expliquer comme luy, vous plaist-il d’écouter encore deux où trois petites périodes de conséquence ?

La Vertu.

Quoy ! Vous voulez continuer ? Adieu.

Cupidon.

Mais vous vous en allez, et ne décidez rien.

La Vertu.

Je me sauve, et vais faire mon rapport à Minerve.

L’Amour la suivant.

Adieu, Mercure, je vous quitte ; et je vais la suivre.

Cupidon, riant.

Allez, allez luy servir d’antidote.

Douziesme et dernieres feuilles

Scene XIII.Mercure, Cupidon.Cupidon, continuant de rire.

Ha, ha, ha, ha. La Vertu se laissoit apprivoiser. Je la tenois déjà par la main, toute Vertu qu’elle est : et si elle me donnoit encore un quart d’heure d’audiance, je vous la garantirois mal-nommée.

Mercure.

Oüy ; mais la Vertu est sage, et vous fuit.

Cupidon.

La belle ressource !

Mercure.

Il n’y en a point d’autre avec un fripon comme vous.

Cupidon.

Qu’est-ce donc, Seigneur Mercure ? Vous me donnez des epithétes ? Vous vous familiarisez, petit commensal ?

Mercure.

Quoy ! Vous vous fâchez ?

Cupidon.

Oh ! Que non. Nous ne pouvons nous passer l’un de l’autre. Mais qu’en dites-vous ? Le Dieu de la Tendresse n’a pas beaucoup brillé, ce me semble.

Mercure.

Vous êtes un étourdi. ; vous ne l’avez que trop battu ; et je crains que vous n’ayïez paru trop fort. Comment donc ! Vous égratignez en joüant jusqu’à la vertu même ? Oh ! On ne vous choisira pas pour la cérémonie presente. Vous estes trop remuant. Vous mettriez la ville et la Cour sur un joly ton. J’entens quelqu’un. Je suis sûr que c’est Minerve, qui va venir vous donner votre congé ! C’est elle-même.

Scene derniere. Tous les acteurs.Minerve.

Cupidon, la Vertu décidoit contre vous ; et moy-même j’allois estre de son sentiment, si Jupiter n’avoit pas jugé à propos de vous réünir, en vous corrigeant, pour former le cœur du Prince. Avec vôtre confrére, l’ame est trop tendre, il est vray ; mais avec vous, elle est trop libertine. Il fait souvent

des cœurs ridicules ; vous n’en faites que de |||méprisables. Il égare l’esprit ; mais vous ruïnez les mœurs. Il n’a que des defauts ; vous n’avez que des vices. Unissez-vous tous deux : Rendez-le plus vif, et plus passionné ; et qu’il vous rende plus tendre et plus raisonnable : et vous serez sans reproche. Au reste, ce n’est pas un conseil que je vous donne. C’est un ordre de Jupiter que je vous annonce.

Cupidon, embrassant l’Amour.

Allons, mon camarade, je le veux bien. Embrassons-nous. Je vous apprendray à n’être plus si sot, et vous m’apprendrez à estre plus sage.

597

Fin.

Vu, permis de représenter. A Paris ce 23 octobre 1731.

[paraphe]

||| Qui a toûjours peur d’offenser Qui n’eust fait dire aux femmes, que ma gloire ; et aux hommes, que vos Divins appas. Non, cela ne valoit rien &c