Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Vie de Molière, avec des jugements sur ses ouvrages</em> Voltaire (1694-1778) chargé d'édition/chercheur Macé, Laurence (validation et édition scientifique) Laurence Macé CEREdI, UR 3229 - Université de Rouen-Normandie ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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Fiche : Laurence Macé CEREdI, UR 3229 - Université de Rouen-Normandie ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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P. 537.3 A a.

<hi>VIE</hi> <lb/> DE<lb/> <hi><persname>MOLIERE</persname>,</hi> <lb/> AVEC<lb/> <hi>DES JUGEMENtS</hi> <lb/> SUR SES<lb/> OUVRAGES. Par Mr. DE VOLTAIRE. NOUVELLE EDITION,

Où l’on a rétabli, sur le manuscrit de l’auteur, les endroits qui ont été retranchés dans l’Édition de Paris.

A AMSTERDAM, Chez JEAN CATUFFE. MDCCXXXIX

.

<hi>VIE</hi> <lb/> DE<lb/> <persname><hi>MOLIERE</hi> </persname>.

Le goût de bien des lecteurs pour les choses frivoles, & l’envie de faire un volume de ce qui ne de- vrait remplir que peu de pages, sont cause que l’histoire des hommes célè- bres est presque toujours gâtée par des détails inutiles, & des contes populaires aussi faux qu’insipides. On y ajoute souvent des cri- tiques injustes de leurs ouvrages. C’est ce qui est arrivé dans l’édition de Racine faite à Paris en 1728. On tâchera d’éviter cet é- cueil dans cette courte Histoire de la Vie de Molière ; on ne dira de sa propre person- ne, que ce qu’on a cru vrai & digne d’être rapporté ; & on ne hazardera sur ses ouvra-

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VIE DE <persname>MOLIERE</persname>.

ges rien qui soit contraire aux sentiments du public éclairé.

Jean-Baptiste nâquit à Paris en 1620, dans une maison qui subsiste encore sous les Piliers des Halles. Son père Jean-Baptiste Poquelin , valet de chambre tapis- sier chez le Roi, marchand frippier, & Anne Boutet sa mère, lui donnérent une é- ducation trop conforme à leur état, auquel ils le destinaient : il resta jusqu’à quatorze ans dans leur boutique, n’ayant rien appris outre son mêtier, qu’un peu à lire & à écrire. Ses parens obtinrent pour lui la sur- vivance de leur charge chez le Roi ; mais son génie l’appellait ailleurs. On a remar- qué que presque tous ceux qui se sont fait un nom dans les Beaux-Arts, les ont culti- vés malgrè leurs parens, & que la nature a toujours été en eux plus forte que l’éduca- tion.

Poquelin avait un grand-père qui aimait la comédie, & qui le menait quelquefois à l’Hôtel de Bourgogne. Le jeune-homme sen- tit bien-tôt une aversion invincible pour sa profession. Son goût pour l’étude se déve- loppa, il pressa son grand-père d’obtenir qu’on le mît au college, & il arracha enfin

le

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VIE DE <persname>MOLIERE</persname>.

le consentement de son père, qui le mit dans une pension, & l’envoya externe aux Jésui- tes, avec la répugnance d’un bourgeois, qui croyait la fortune de son fils perdue, s’il étu- diait.

Le jeune Poquelin fit au collège les pro- grès qu’on devait attendre de son empresse- ment à y entrer. Il y étudia cinq années ; il y suivit le cours des classes d’Armand de Bourbon premier prince de Conty, qui de- puis fut le protecteur des Lettres & de Mo- lière.

Il y avait dans ce collège deux en- fants, qui eurent depuis beaucoup de réputa- tion dans le monde. C’était Chapelle & Ber- nier. Celui-ci, connu par ses voyages aux Indes ; & l’autre, célèbre par quelques vers naturels & aisés, qui lui ont fait d’autant plus de réputation, qu’il ne rechercha pas celle d’auteur.

L’Huillier, homme de fortune, prenait un soin singulier de l’éducation du jeune Cha- pelle son fils naturel ; & pour lui donner de l’émulation, il faisait étudier avec lui le jeu- ne Bernier, dont les parents étaient mal à leur aise. Au-lieu même de donner à son fils naturel un précepteur ordinaire & pris

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au

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VIE DE <persname>MOLIERE</persname>.

au hazard, comme tant de pères en usent avec un fils légitime qui doit porter leur nom, il engagea le célèbre Gassendi à se charger de l’instruire.

Gassendi ayant démêlé de bonne heure le génie de Poquelin, l’associa aux études de Chapelle & de Bernier. Jamais plus illustre maitre n’eut de plus dignes disciples. Il leur enseigna sa philosophie d’Epicure, qui, quoiqu’aussi fausse que les autres, avait au moins plus de méthode & de vraisem- blance que celle de l’Ecole, & n’en avait pas la barbarie.

Poquelin continua de s’instruire sous Gas- sendi. Au sortir du collège, il reçut de ce philosophe les principes d’une morale plus utile que sa physique, & il s’écarta rarement de ces principes dans le cours de sa vie.

Son père étant devenu infirme & incapa- ble de servir, il fut obligé d’exercer les fonc- tions de son emploi auprès du Roi. Il sui- vit Louis XIII dans Paris. Sa passion pour la comédie, qui l’avoit déterminé à faire ses études, se réveilla avec force.

Le théâtre commençait à fleurir alors : cette partie des Belles-Lettres, si méprisée quand elle est médiocre, contribue à la

gloire

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VIE DE <persname>MOLIERE</persname>.

gloire d’un état, quand elle est perfection- née.

Avant l’année 1625, il n’y avait point de comédiens fixes à Paris. Quelques far- ceurs allaient, comme en Italie, de ville en ville. Ils jouaient les pièces de Hardy, de Montcrétien, ou de Baltazar Baro (qui fut depuis de l’Académie Française.) Ces au- teurs leur vendaient leurs ouvrages dix é- cus pièce.

Pierre Corneille tira le théâtre de la bar- barie & de l’avilissement, vers l’année 1630. Ses premières comédies, qui étaient aussi bonnes pour son siècle, qu’elles sont mau- vaises pour le nôtre, furent cause qu’une troupe de comédiens s’établirent à Paris. Bientôt après, la passion du Cardinal de Ri- chelieu pour les spectacles mit le goût de la comédie à la mode ; & il y avoit plus de so- ciétés particulières qui représentaient alors, que nous n’en voyons aujourd’hui.

Poquelin s’associa avec quelques jeunes- gens qui avaient du talent pour la déclama- tion ; ils jouaient aux Fauxbourg Saint Ger- main & au Quartier Saint Paul. Cette socié- té éclipsa bien-tôt toutes les autres ; on l’ap- pella l’illustre Théâtre. On voit par une tra-

gédie

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VIE DE <persname>MOLIERE </persname>.

gédie de ce temps-là, intitulée <persname>Artexerce</persname> , d’un nommé Magnon , & imprimée en 1645, qu’elle fut représentée sur l’illustre Théâtre.

Ce fut alors que Poquelin sentant son gé- nie, se résolut de s’y livrer tout entier, d’ê- tre à la fois comédien & auteur, & de ti- rer de ses talens de l’utilité & de la gloire.

On fait que chez les athéniens, les au- teurs jouoient souvent dans leurs pièces, & qu’ils n’étaient point deshonorés pour par- ler avec grace en public devant leurs conci- toyens. Il fut plus encouragé par cette idée, que retenu par les préjugés de son siècle. Il prit le nom de Molière , & il ne fit en changeant de nom, que suivre l’exemple des comédiens d’Italie, & de ceux de l’Hôtel de Bourgogne. L’un, dont le nom de famille était Le Grand , s’appellait Belleville dans la tragédie, & Turlupin dans la farce ; d’où vient le mot de turlupinage. Hugues Guéret é- tait connu dans les pièces sérieuses sous le nom de Fléchelles ; dans la farce il jouait tou- jours un certain rôle qu’on appellait Gautier- Garguille . De même, Arlequin & Scaramouche n’étaient connus que sous ce nom de théâtre. Il y avait déja eu un comédien appellé Mo- lière , auteur de la tragédie de <persname>Polixène</persname> .

Le

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VIE DE <persname>MOLIERE </persname>.

Le nouveau Molière fut ignoré pendant tout le temps que durérent les guerres civiles en France : il employa ces années à cultiver son talent, & à préparer quelques pièces. Il avait fait un recueil de scènes italiennes, dont il faisait de petites comédies pour les provinces. Ces premiers essais très informes tenaient plus du mauvais théâtre Italien où il les avait pris, que de son génie, qui n’avait pas eu encore l’occasion de se développer tout entier. Le génie s’étend & se resserre par tout ce qui nous environne. Il fit donc pour la province le Docteur amoureux , les trois Doc-<lb/> teurs rivaux , le Maitre d’Ecole : ouvrages dont il ne reste que le titre. Quelques curieux ont conservé deux pièces de Molière dans ce genre ; l’une est le Médecin volant , & l’autre, la Jalousie débarbouillée . Elles sont en prose & écrites en entier. Il y a quelques phrases & quelques incidents de la première, qui nous sont conservées dans le Médecin malgré lui; & on trouve dans la Jalousie débarbouillée un ca nevas, quoiqu’informe, du troisième Acte de <persname>George Dandin</persname> .

La première pièce régulière en cinq Actes qu’il composa, fut l’Etourdi ; il représenta cette comédie à Lyon en 1658. Il y avait

dans

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VIE DE <persname>MOLIERE </persname>.

dans cette ville une troupe de comédiens de campagne, qui fut abandonnée dès que celle de Molière parut.

Quelques acteurs de cette ancienne trou- pe se joignirent à Molière , & il partit de Lyon pour les états de Languedoc, avec une trou- pe assez complète, composée principalement de deux frères nommées Gros-René , de Duparc , d’un pâtissier de la rue Saint Honoré, de la Duparc , de la Béjart & de la De Brie .

Le prince de Conty, qui tenait les états de Languedoc à Béziers, se souvint de Molière qu’il avait vu au Collège ; il lui donna une protection distinguée. Il joua devant lui l’Etour-<lb/> di , le Dépit amoureux , & les Prétieuses ridicules .

Cette petite pièce des Prétieuses faite en province, prouve assez que son auteur n’a- vait eu en vue que les ridicules des provin- ciales. Mais il se trouva depuis, que l’ou- vrage pouvait corriger & la Cour & la ville.

Molière avait alors trente-quatre ans ; c’est l’âge où Corneille fit le Cid. Il est bien difficile de réussir avant cet âge dans le genre dramatique, qui exige la connaissance du monde & du cœur humain.

On prétend que le prince de Conty voulut alors faire Molière son secrétaire ; & qu’heu-

reu-

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VIE DE <persname>MOLIERE </persname>.

reusement pour la gloire du théâtre fran- çais, Molière eut le courage de préférer son talent à un poste honorable. Si ce fait est vrai, il fait également honneur au prince & au comédien.

Après avoir couru quelque temps toutes les provinces, & avoir joué à Grenoble, à Lyon, à Rouen, il vint enfin à Paris en 1658. Le prince de Conty lui donna accès auprès de monsieur, frère unique du Roi Louis XIV. monsieur le présenta au Roi & à la Reine- Mère. Sa troupe & lui représentérent la mê- me année devant leurs Majestés la tragédie de <persname>Nicomède</persname>, sur un théâtre élevé par ordre du Roi dans la salle des Gardes du vieux Louvre.

Il y avait depuis quelque temps des comé- diens établis à l’Hôtel de Bourgogne. Ces comédiens assistérent au début de la nouvelle troupe. Molière, après la représentation de <persname>Nicomède</persname>, s’avança sur le bord du théâtre, & prit la liberté de faire au Roi un discours, par lequel il remerciait sa Majesté de son in- dulgence, & louait adroitement les comé- diens de l’Hôtel de Bourgogne, dont il devait craindre la jalousie : il finit en demandant la permission de donner une pièce d’un Acte, qu’il avait jouée en province.

La

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VIE DE <persname>MOLIERE </persname>.

La mode de représenter ces petites farces après de grandes pièces était perdue à l’Hô- tel de Bourgogne. Le Roi agréa l’offre de Molière, & l’on joua dans l’instant le Docteur<lb/> amoureux. Depuis ce temps l’usage a toujours continué de donner de ces pièces d’un Acte, ou de trois, après les pièces de cinq.

On permit à la troupe de Molière de s’é- tablir à Paris ; ils s’y fixérent, & partagérent le Théâtre du Petit Bourbon avec les comé- diens italiens, qui en étaient en possession depuis quelques années.

La troupe de Molière jouait sur le théâ- tre les mardis, les jeudis & les samedis, & les italiens les autres jours.

La troupe de l’Hôtel de Bourgogne ne jouait aussi que trois fois la semaine, excep- té lorsqu’il y avait des pièces nouvelles.

Dès-lors la troupe de Molière prit le ti- tre de la Troupe de Monsieur, qui était son protecteur. Deux ans après, en 1660, il leur accorda la salle du Palais Royal. Le Cardi- nal de Richelieu l’avait fait bâtir pour la re- présentation de Mirame tragédie, dans la- quelle ce ministre avait composé plus de cinq cents vers. Cette salle est aussi mal con- struite que la pièce pour laquelle elle fut bâ

tie.

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VIE DE <persname>MOLIERE </persname>.

tie. Et je suis obligé de remarquer à cette occasion, que nous n’avons aujourd’hui au- cun théâtre supporttable ; c’est une barbarie gotique, que les italiens nous reprochent avec raison. Les bonnes pièces sont en France, & les belles salles en Italie.

La troupe de Molière eut la jouissance de cette salle jusqu’à la mort de son chef. El- le fut alors accordée à ceux qui eurent le privilège de l’Opéra, quoique ce vaisseau soit moins propre encore pour le chant, que pour la déclamation.

Depuis l’an 1658, jusqu’à 1673, c’est-à- dire en quinze années de temps, il donna toutes ses pièces, qui sont au nombre de trente. Il voulut jouer dans le tragique, mais il n’y réussit pas ; il avoit une volubili- té dans la voix, & une espèce de hoquet, qui ne pouvait convenir au genre sérieux, mais qui rendait son jeu comique plus plai- sant. La femme d’un des meilleurs comé- diens que nous ayons eus, a donné ce por- trait-ci de Molière.

„ Il n’était ni trop gras, ni trop maigre ; „ il avait la taille plus grande que petite, le „ port noble, la jambe belle, il marchait „ gravement, avait l’air très sérieux, le nez

„ gros,

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VIE DE <persname>MOLIERE </persname>.

„ gros, la bouche grande, les lèvres épais- „ ses, le teint brun, les sourcils noirs & „ forts, & les divers mouvements qu’il leur „ donnait lui rendaient la physionomie ex- „ trêmement comique. A l’égard de son ca- „ ractère, il était doux, complaisant, gé- „ néreux ; il aimait fort à haranguer ; & „ quand il lisait ses pièces aux comédiens, „ il voulait qu’ils y amenassent leurs en- „ fans, pour tirer des conjectures de leur „ mouvement naturel.

Molière se fit dans Paris un très grand nombre de partisans, & presque autant d’en- nemis. Il accoutuma le public, en lui faisant connaitre la bonne comédie, à le juger lui- même très sévèrement. Les mêmes spec- tateurs qui applaudissaient aux pièces médio- cres des autres auteurs, relevaient les moin- dres défauts de Molière avec aigreur. Les hommes jugent de nous par l’attente qu’ils en ont conçue ; & le moindre défaut d’un auteur célèbre, joint avec les malignités du public, suffit pour faire tomber un bon ou- vrage. Voilà pourquoi <persname>Britannicus</persname> & les Plai- <lb/> deurs de M. Racine furent si mal reçus ; voilà pourquoi l’Avare, le Misantrope, les Femmes <lb/> savantes, l’Ecole des femmes n’eurent d’abord aucun succès.

Louis

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VIE DE <persname>MOLIERE</persname>.

Louis XIV, qui avait un goût naturel & l’esprit très juste, sans l’avoir cultivé, rame- na souvent par son approbation la Cour & la ville aux pièces de Molière. Il eût été plus honorable pour la nation, de n’avoir pas besoin des décisions de son maitre pour bien juger. Molière eut des ennemis cruels, sur- tout les mauvais auteurs du tems, leurs pro- tecteurs, & leurs cabales : ils suscitérent con- tre lui les dévots ; on lui imputa des livres scandaleux ; on l’accusa d’avoir joué des hom- mes puissants, tandis qu’il n’avait joué que les vices en général ; & il eût succombé sous ces accusations, si ce même Roi, qui encoura- gea & qui soutint Racine & Despréaux, n’eût pas aussi protégé Molière.

Il n’eut à la vérité qu’une pension de mil- le livres, & sa troupe n’en eut qu’une de sept. La fortune qu’il fit par le succès de ses ouvrages, le mit en état de n’avoir rien de plus à souhaiter : ce qu’il retirait du théâ- tre, avec ce qu’il avait placé, allait à trente mille livres de rente ; somme qui, en ce tems- là, faisait presque le double de la valeur réel- le de pareille somme d’aujourd’hui.

Le crédit qu’il avait auprès du Roi, pa- raît assez par le Canonicat qu’il obtint pour

le

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VIE DE <persname>MOLIERE</persname>.

le fils de son médecin. Ce médecin s’appel- lait Mauvilain . Tout le monde fait qu’étant un jour au dîné du Roi : Vous avez un méde- cin, dit le Roi à Molière ; que vous fait-il ? Sire, répondit Molière, nous causions ensem- ble, il m’ordonne des remèdes, je ne les fais point, & je guéris.

Il faisait de son bien un usage noble & sage : il recevait chez lui des hommes de la meilleure compagnie, les Chapelles, les Jon- sacs, les Desbarreaux, &c. qui joignaient la volupté & la philosophie. Il avoit une maison de campagne à Auteil, où il se dé- lassait souvent avec eux des fatigues de sa profession, qui sont bien plus grandes qu’on ne pense. Le maréchal de Vivonne, con- nu par son esprit, & par son amitié pour Des- préaux, allait souvent chez Molière, & vi- vait avec lui comme Lælius avec Térence . Le Grand Condé exigeait de lui qu’il le vînt voir souvent, & disait qu’il trouvait toujours à apprendre dans sa conversation.

Molière employait une partie de son reve-; nu en libéralités, qui allaient beaucoup plus loin que ce qu’on appelle dans d’autres hom- mes, des charités. Il encourageait souvent par des présents considérables de jeunes au-

teurs

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VIE DE <persname>MOLIERE</persname>.

teurs qui marquaient du talent : c’est peut-ê- tre à Molière que la France doit Racine. Il engagea le jeune Racine, qui sortait du Port- Royal, à travailler pour le théâtre dès l’âge de dix-neuf ans. Il lui fit composer la tragé- die de <persname>Théagène</persname> & <persname>Cariclée</persname> ; & quoique cette pièce fût trop faible pour être jouée, il fit présent au jeune auteur de cent louis, & lui donna le plan des Frères ennemis .

Il n’est peut-être pas inutile de dire, qu’en- viron dans le même tems, c’est-à-dire en 1661, Racine ayant fait une ode sur le ma- riage de Louis XIV, M. Colbert lui envoya cent louis au nom du Roi.

Il est très triste pour l’honneur des Let- tres, que Molière & Racine aient été brouil- lés depuis ; de si grands génies, dont l’un avait été le bienfaicteur de l’autre, devaient être toujours amis.

Il éleva & il forma un autre homme, qui par la supériorité de ses talens, & par les dons singuliers qu’il avoit reçus de la nature, mérite d’être connu de la postérité. C’était le comédien Baron, qui a été l’unique dans la tragédie & dans la comédie. Molière en prit soin comme de son propre fils. Un jour Baron vint lui annoncer qu’un co-

médien

B

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VIE DE <persname>MOLIERE</persname>.

médien de campagne, que la pauvreté em- pêchait de se présenter, lui demandait quel- que léger secours pour aller joindre sa trou- pe. Molière ayant su que c’était un nommé Mondorge, qui avait été son camarade, de- manda à Baron combien il croyait qu’il fallait lui donner. Celui-ci répondit au hazard : Qua- tre pistoles. Donnez-lui quatre pistoles pour moi, lui dit Molière ; en voilà vingt qu’il faut que vous lui donniez pour vous ; & il joignit à ce présent, celui d’un habit de théâtre ma- gnifique.

Un autre trait de sa vie mérite encore plus d’être rapporté. Il venait de donner l’au- mône à un pauvre. Un instant après, le pauvre court après lui, & lui dit : Monsieur, vous n’aviez peut-être pas dessein de me donner un louis d’or, je viens vous le rendre. Tien, mon ami, dit Molière, en voilà un autre ; & il s’écria : Où la vertu va-t-elle se nicher ! Excla- mation qui peut faire voir qu’il réfléchissait sur tout ce qui se présentait à lui, & qu’il é- tudiait par-tout la nature en homme qui la voulait peindre.

Molière, heureux par ses succès & par ses protecteurs, par ses amis & par sa fortune, ne le fut pas dans sa maison. Il avait épousé en

1661

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VIE DE <persname>MOLIERE</persname>.

1661 une jeune fille, née de la Béjart & d’un gentilhomme nommé Modène . On disait que Molière en était le père : le soin avec le- quel on avait répandu cette calomnie, fit que plusieurs personnes prirent celui de la réfuter. On prouva, que Molière n’avait connu la mère qu’après la naissance de cette fille. La disproportion d’âge, & les dangers auxquels une comédienne jeune & belle est exposée, rendirent ce mariage malheureux ; & Moliè- re, tout philosophe qu’il était d’ailleurs, essu- ya dans son domestique les dégoûts, les amer- tumes, & quelquefois les ridicules, qu’il a- vait si souvent joués sur le théâtre. Tant il est vrai que les hommes qui sont au-dessus des autres par les talens, s’en rapprochent presque toujours par les faiblesses. Car pour- quoi les talens nous mettraient-ils au-dessus de l’humanité ?

La dernière pièce qu’il composa fut le Ma-<lb/> lade imaginaire . Il y avait quelque tems que sa poitrine était attaquée, & qu’il crachait quel- quefois du sang. Le jour de la troisième re- présentation, il se sentit plus incommodé qu’auparavant : on lui conseilla de ne point jouer ; mais il voulut faire un effort sur lui- même, & cet effort lui coûta la vie.

Il

B 2

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VIE DE <persname>MOLIERE</persname>.

Il lui prit une convulsion en prononçant juro, dans le divertissement de la réception du Malade imaginaire. On le rapporta mou- rant chez lui, rue de Richelieu . Il fut as- sisté quelques moments par deux de ces sœurs religieuses qui viennent quêter à Paris pen- dant le Carême, & qu’il logeait chez lui. Il mourut entre leurs bras, étouffé par le sang qui lui sortait par la bouche, le 17 Février 1673, âgé de cinquante-trois ans. Il ne laissa qu’une fille, qui avait beaucoup d’es- prit. Sa veuve épousa le comédien Gué- rin.

Le malheur qu’il avait eu de ne pouvoir mourir avec les secours de la religion, & la prévention que l’on a contre la comédie, tout épurée qu’elle était par lui, furent cau- se qu’on refusa de l’enterrer. Le Roi le re- grettait, & ce Monarque, dont il avait été le domestique & le pensionnaire, eut la bonté de prier l’Archevêque de Paris de le faire enterrer dans une église. Le curé de Saint Eustache, sa paroisse, ne voulut pas s’en charger. La populace, qui ne con- naissait dans Molière que le comédien, & qui ignorait qu’il avait été un excellent au- teur, un philosophe, un grand-homme en

son

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VIE DE <persname>MOLIERE</persname>.

son genre, s’attroupa en foule à la porte de sa maison le jour du convoi : sa veuve fut obligée de jeter de l’argent par les fenêtres ; & ces misérables qui auraient, sans savoir pourquoi, troublé l’enterrement, accompa- gnérent le corps avec respect.

La difficulté qu’on fit de lui donner la sé- pulture, & les injustices qu’il avait essuyées pendant sa vie, engagérent le fameux père Bouhours à composer cette espèce d’épita- phe, qui de toutes celles qu’on fit pour Mo- lière est la seule qui mérite d’être rapportée, & la seule qui ne soit pas dans cette fausse & mauvaise histoire qu’on a mise jusqu’ici au-devant de ses ouvrages.

Tu réformas & la ville & la Cour ;

Mais quelle en fut la récompense ?

Les français rougiront un jour

De leur peu de reconnaissance.

Il leur fallut un comédien

Qui mît à les polir sa gloire & son étude ;

Mais, Molière, à ta gloire il ne manquerait

   rien,

Si parmi les défauts que tu peignis si bien,

Tu les avais repris de leur ingratitude.

Non-

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VIE DE <persname>MOLIERE</persname>.

Non-seulement j’ai omis dans cette Vie<lb/> de <persname>Molière</persname> les contes populaires touchant Chapelle & ses amis ; mais je suis obligé de dire, que ces contes adoptés par Grimarest sont très faux. Le feu Duc de Sully, le der- nier Prince de Vendôme , l’Abbé de Chau- lieu, qui avaient beaucoup vécu avec Cha- pelle, m’ont assuré que toutes ces historiet- tes ne méritaient aucune créance.

L’E-

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<hi>L’ETOURDI,</hi><lb/> OU<lb/> LES CONTRE-TEMPS,

Comédie en vers & en cinq Actes, jouée d’abord à Lyon en 1653, & à Paris a mois de décem- bre 1658, sur le théâtre du Petit Bourbon.

Cette pièce est la première comédie que Molière ait donnée au public : elle est composée de plusieurs petites intrigues as- sez indépendantes les unes des autres ; c’é- tait le goût du théâtre italien & espagnol, qui s’était introduit à Paris. Les comédies n’étaient alors que des tissus d’avantures sin- gulières, où l’on n’avait guères songé à pein- dre les mœurs. Le théâtre n’était point, comme il le doit être, la représentation de la vie humaine. La coutume humiliante pour l’humanité, que les hommes puissants avaient pour-lors, de tenir des fous auprès d’eux, avait infecté le théâtre ; on n’y voyait que de vils bouffons, qui étaient les modèles de nos Jodelets ; & on ne représentait que le

ridi-

B 4

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L’ETOURDI, COMEDIE.

ridicule de ces misérables, au-lieu de jouer celui de leurs maitres. La bonne comédie ne pouvait être connue en France, puisque la société & la galanterie, seules sources du bon comique, ne faisaient que d’y naitre. Ce loisir, où les hommes rendus à eux-mê- me se livrent à leur caractère & à leur ri- dicule, est le seul temps propre pour la co- médie ; car c’est le seul où ceux qui ont le talent de peindre les hommes aient l’occasion de les bien voir, & le seul pendant lequel les spectacles puissent être fréquentés assi- duement. Aussi ce ne fut qu’après avoir bien vu la Cour & Paris, & bien connu les hom- mes, que Molière les représenta avec des couleurs si vraies & si durables.

Les connaisseurs ont dit, que l’Etourdi de- vrait seulement être intitulé, Les Contre-tems. Lélie, en rendant une bourse qu’il a trou- vée, en secourant un homme qu’on attaque, fait des actions de générosité, plutôt que d’é- tourderie. Son valet paraît plus étourdi que lui, puisqu’il n’a presque jamais l’attention de l’avertir de ce qu’il veut faire. Le dénoue- ment, qui a trop souvent été l’écueil de Mo- lière, n’est pas meilleur ici que dans ses autres pièces : cette faute est plus inexcusable dans

une

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L’ETOURDI, COMEDIE.

une pièce d’intrigue, que dans une comédie de caractère.

On est obligé de dire (& c’est principale- ment aux étrangers qu’on le dit) que le stile de cette pièce est faible & négligé, & que sur-tout il y a beaucoup de fautes contre la mangue. Non-seulement il se trouve dans les ouvrages de cet admirable auteur, des vices de construction, mais aussi plusieurs mots impropres & surannés. Trois des plus grands auteurs du siècle de Louis XIV, Mo- lière, La Fontaine & Corneille, ne doivent être lus qu’avec précaution par rapport au langage. Il faut que ceux qui apprennent notre langue dans les écrits de ces grands hommes, y discernent ces petites fautes, & qu’ils ne les prennent pas pour des auto- rités.

Au reste, l’Etourdi eut plus de succès, que le Misantrope, l’Avare & les Femmes savan-<lb/> tes, n’en eurent depuis. C’est qu’avant l’E- tourdi on ne connaissait pas mieux, & que la réputation de Molière ne faisait pas encore d’ombrage. Il n’y avait alors de bonne co- médie au théâtre français, que le Menteur.

L E

B 5

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<hi>LE DEPIT</hi><lb/> AMOUREUX,

Comédie en vers & en cinq Actes, représentée au théâtre du Petit Bourbon en 1658 .

Le Dépit amoureux fut joué à Paris, im- médiatement après l’Etourdi. C’est en- core une pièce d’intrigue, mais d’un autre genre que la précédente. Il n’y a qu’un seul nœud dans le Dépit amoureux. Il est vrai qu’on a trouvé le déguisement d’une fille en garçon peu vraisemblable. Cette intrigue a le défaut d’un roman, sans en avoir l’intérêt. Et le cinquième Acte employé à débrouiller ce roman, n’a paru ni vif, ni comique. On a admiré dans le Dépit amoureux la scène de la brouillerie & du raccommodement d’Eras- te & de Lucile. Le succès est toujours assuré, soit en tragique, soit en comique, à ces sortes de scènes qui représentent la passion la plus chère aux hommes dans la circonstan- ce la plus vive. La petite ode d’Horace,

Donec gratus eram tibi,

a été regardée comme le modèle de ces scè- nes, qui sont enfin devenues des lieux-com- muns.

Les

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<hi>LES PRETIEUSES</hi> <lb/> RIDICULES,

Comédie en un Acte & en prose, jouée d’abord en province, & représentée pour la prémière fois à Paris sur le théâtre du Petit Bourbon, au mois de Novembre 1659.

Lorsque Molière donna cette comédie, la fureur du bel-esprit était plus que ja- mais à la mode. Voiture avait été le pré- mier en France qui avait écrit avec cette ga- lanterie ingénieuse, dans laquelle il est si dif- ficile d’éviter la fadeur & l’affection. Ses ouvrages, où il se trouve quelques vraies beautés avec trop de faux-brillans, étaient les seuls modèles ; & presque tous ceux qui se piquaient d’esprit, n’imitaient que ses dé- fauts. Les romans de Mademoiselle Scu- déri avaient achevé de gâter le goût : il rè- gnait dans la plupart des conversations un mélange de galanterie guindée, de sentimens romanesques & d’expressions bizarres, qui composaient un jargon nouveau, inintelligi-

ble

28

LES PRETIEUSES

ble & admiré. Les provinces, qui outrent toutes les modes, avaient encore renchéri sur ce ridicule : les femmes qui se piquaient de cette espèce de bel-esprit, s’appellaient Prétieuses ; ce nom, si décrié depuis par la piè- ce de Molière, était alors honorable ; & Mo- lière même dit dans sa préface, qu’il a beau- coup de respect pour les vérittables Prétieuses, & qu’il n’a voulu jouer que les fausses.

Cette petite pièce, faite d’abord pour la province, fut applaudie à Paris, & jouée autre mois de suite. La troupe de Moliè- re fit doubler pour la première fois le prix ordinaire, qui n’était alors que dix sols au Parterre.

Dès la première représentation, Ménage, homme célèbre dans ce temps-là, dit au fa- meux Chapelain : Nous adorions vous & moi tou- tes les sottises qui viennent d’être si bien critiquées ; croyez-moi, il nous faudra bruler ce que nous a- vons adoré. Du moins c’est ce que l’on trou- ve dans le Menagiana ; & il est assez vraisem- blable que Chapelain, homme alors très es- timé, & cependant le plus mauvais poète qui ait jamais été, parlait lui-même le jargon des Prétieuses ridicules chez Madame de Longue- ville, qui présidait, à ce que dit le Cardinal

de

29

RIDICULES.

de Retz, à ces combats spirituels, dans lesquels on était parvenu à ne se point en- tendre.

La pièce est sans intrigue & toute de ca- ractère. Il y a très peu de défauts contre la langue, parce que lorsqu’on écrit en prose, on est bien plus maitre de son style ; & parce que Molière ayant à critiquer le langage des beaux-esprits du temps, châtia le sien davanta- ge. Le grand succès de ce petit ouvrage lui attira des critiques, que l’Etourdi & le<lb/> Dépit amoureux n’avaient pas essuyées. Un certain Antoine Bodeau fit les vérittables Pré-<lb/> tieuses ; on parodia la pièce de Molière : mais toutes ces critiques & ces parodies sont tom- bées dans l’oubli qu’elles méritaient.

On fait qu’à une représentation des Pré-<lb/> tieuses ridicules, un vieillard s’écria du mi- lieu du parterre : Courage, Molière , voilà la bonne comédie.

On eut honte de ce style affecté, contre lequel Molière et & Despréaux se sont toujours élevés. On commença à ne plus estimer que le naturel ; & c’est peut-être l’époque du bon goût en France.

L’envie de se distinguer a ramené depuis le style des Prétieuses, on le retrouve encore

dans

30

LES PRETIEUSES RIDICULES.

dans plusieurs livres modernes. L’un *, en traitant sérieusement de nos lois, appelle un exploit, un Compliment timbré. L’autre †, écrivant à une maitresse en l’air, lui dit : Vo- tre nom est écrit en grosses lettres sur mon cœur… Je veux vous faire peindre en iroquoise, mangeant une demi-douzaine de cœurs par amusement. Un troisième § appelle un cadran au soleil, un Greffier Solaire ; une grosse rave, un Phé- nomène potager. Ce style a reparu sur le thé- âtre même, où Molière l’avait si bien tourné en ridicule. Mais la nation entière a mar- qué son bon goût, en méprisant cette affec- tation dans des auteurs que d’ailleurs elle estimait.

* Toureil. † Fontenelle . § La Motte.

Le

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<hi>LE COCU</hi> <lb/> IMAGINAIRE,

Comédie en un Acte & en vers, représentée à Paris le 28 mai 1660.

Le Cocu imaginaire fut joué quarante fois de suite, quoique dans l’été, & pen- dant que le mariage du Roi retenait toute la Cour hors de Paris. C’est une pièce en un Acte, où il entre un peu de caractère, & dont l’intrigue est comique par elle-même. On voit que Molière perfectionna beaucoup sa manière d’écrire, par son séjour à Paris. Le style du Cocu imaginaire l’emporte beau- coup sur celui de ses premières pièces en vers, on y trouve bien moins de fautes de langage. Il est vrai qu’il y a quelques grossièretés :

„ La Bière est un séjour par trop mélancoli- que,

„ Et trop mal-sain pour ceux qui craignent la colique

Il y a des expressions qui ont vieilli. Il y a

aussi

32

LE COCU IMAGINAIRE.

aussi des termes qu’une délicatesse peut-être outrée a bannis aujourd’hui du théâtre, com- me carogne, cocu, &c.

Le dénouement que fait Villebrequin, est un des moins bien ménagés & des moins heu- reux de Molière. Cette pièce eut le sort des bons ouvrages, qui ont & de mauvais cen- seur & de mauvais copistes. Un nommé Donneau fit jouer à l’Hôtel de Bourgogne La<lb/> cocue imaginaire , à la fin de 1661.

Don

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<persname> <hi rend="bold">DON GARCIE</hi> <lb/> DE NAVARRE </persname>,<lb/> OU<lb/> LE PRINCE JALOUX,

Comédie héroïque en vers & en cinq Actes, re- présentée pour la prémière fois le 4 février 1661.

Molière joua le rôle de Don Garcie, & ce fut par cette pièce qu’il apprit qu’il n’avait point de talent pour le sérieux, comme acteur. La pièce & le jeu de Mo- lière furent très mal reçus. Cette pièce, imi- tée de l’espagnol, n’a jamais été rejouée de- puis sa chute. La réputation naissante de Mo- lière souffrit beaucoup de cette disgrace, & ses ennemis triomphèrent quelque tems. Don<lb/> Garcie ne fut imprimé qu’après la mort de l’auteur.

L’eco-

C

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<hi rend="bold">L’ECOLE</hi> <lb/> DES MARIS,

Comédie en vers & en trois Actes, représentée à Paris le 24 juin 1661.

Il y a grande apparence que Molière avait au moins les canevas de ces prémières pièces déja préparés, pusqu’elles se succédé- rent en si peu de temps.

L’Ecole des Maris affermit pour jamais la réputation de Molière. C’est une pièce de caractère & d’intrigue. Quand il n’aurait fait que ce seul ouvrage, il eût pu passer pour un excellent auteur comique.

On a dit que l’Ecole des Maris était une copie des Adelphes de Térence : si cela é- tait, Molière eût plus mérité l’éloge d’avoir fait passer en France le bon goût de l’ancien- ne Rome, que le reproche d’avoir dérobé sa pièce. Mais les Adelphes ont fourni tout au plus l’idée de l’Ecole des Maris. Il y a dans les Adelphes deux vieillards de diffé-rentes humeurs, qui donnent chacun une é-

duca-

35

L’ECOLE DES MARIS.

ducation différente aux enfants qu’ils élèvent ; il y a de même dans l’Ecole des Maris deux tuteurs, dont l’un est sévère, & l’autre in- dulgent : voilà toute la ressemblance. Il n’y a presque point d’intrigue dans les Adelphes ; celle de l’Ecole des Maris est fine, intéres- sante & comique. Une des femmes de la pièce de Térence , qui devrait faire le per- sonnage le plus intéressant, ne paraît sur le théâtre que pour accoucher. L’Isabel- le de Molière occupe presque toujours la scène avec esprit & avec grace, & mêle quelquefois de la bienséance, même dans les tours qu’elle joue à son tuteur. Le dé- nouement des Adelphes n’a nulle vraisem- blance ; il n’est point dans la nature, qu’un vieillard qui a été soixante ans chagrin, sé- vère & avare, devienne tout_à_coup gai, complaisant & libéral. Le dénouement de l’E-<lb/> cole des Maris est le meilleur de toutes les pièces de Molière. Il est vraisemblable, na- turel, tiré du fond de l’intrigue, &, ce qui vaut bien autant, il est extrêmement comi- que. Le style de Térence est pur, senten- tieux, mais un peu froid ; comme César , qui excellait en tout, le lui a reproché. Ce- lui de Molière dans cette pièce est plus châ-

tié

C 2

36

L’ECOLE DES MARIS.

tié que dans les autres. L’auteur français égale presque la pureté de la diction de Té- rence, & le passe de bien loin dans l’intri- gue, dans le caractère, dans le dénouement, dans la plaisanterie.

Les

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LES FACHEUX,

Comédie en vers & en trois Actes, représentée à Vaux devant le Roi, au mois d’août, & à Paris sur le théâtre du Palais Royal, le 4novembrede la même année 1661.

NICOLAS FOUQUET, dernier sur-inten- dant des Finances, engagea Molière à composer cette comédie pour la fameuse fête qu’il donna au Roi & à la Reine-Mère, dans sa Maison de Vaux, aujourd’hui ap- pellée Villars. Molière n’eut que quinze jours pour se préparer. Il avait déja quelques scè- nes détachées toutes prêtes ; il y en ajouta de nouvelles, & en composa cette comé- die, qui fut, comme il le dit dans la préfa- ce, faite, apprise & représentée en moins de quinze jours. Il n’est pas vrai, comme le prétend un certain Grimarest auteur d’u- ne Vie de <persname>Molière</persname> , que le Roi lui eût alors fourni lui-même le caractère du chasseur. Molière n’avait point encore auprès du Roi un accès assez libre : de plus, ce n’était pas ce prince qui donnait la fête, c’était Fou-

quet ;

C 3

38

LES FACHEUX.

quet ; & il fallait ménager au Roi le plaisir de la surprise. Cette pièce fit au Roi un plai- sir extrême, quoique les ballets des intermè des fussent mal inventés & mal exécutés. Paul Pélisson, homme célèbre dans les Let tres, composa le prologue en vers à la louan- ge du Roi. Ce prologue fut très applaudi de toute la Cour, & plut beaucoup à Louis XIV. Mais celui qui donna la fête, & l’au- teur du prologue, furent tous deux mis en prison peu de temps après. On les voulait même arrêter au milieu de la fête. Triste exemple de l’instabilité des fortunes de Cour.

Les Fâcheux ne sont pas le premier ou- vrage en scènes absolument détachées, qu’on ait vu sur notre théâtre. Les Visionnaires de Desmarets étaient dans ce goût, & a- vaient eu un succès si prodigieux, que tous les beaux-esprits du temps de Desmarets l’ap- pellaient l’Inimittable Comédie. Le goût du public s’est tellement perfectionné depuis, que cette comédie ne paraît aujourd’hui ini- mittable que par son extrême impertinence. Sa vieille réputation fit que les comédiens osérent la jouer en 1719, mais ils ne purent jamais l’achever. Il ne faut pas craindre que les Fâcheux tombent dans le même décri.

On

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LES FACHEUX.

On ignorait le théâtre, du temps de Desma- rets. Les auteurs étaient outrés en tout, parce qu’ils ne connoissaient point la nature. Ils peignaient au hazard des caractères chi- mériques. Le faux, le bas, le gigantesque, dominaient par-tout. Molière fut le premier qui fit sentir le vrai, & par conséquent le beau. Cette pièce le fit connaitre plus par- ticulièrement de la Cour & du maitre ; & lorsque, quelque temps après, Molière don- na cette pièce à Saint Germain, le Roi lui ordonna d’y ajouter la scène du chasseur. On prétend que ce chasseur était le Comte de Soyecourt . Molière, qui n’entendait rien au jargon de la chasse, pria le Comte de Soyecourt lui-même, de lui indiquer les ter- mes dont il devait se servir.

C4

L’éco-

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<hi rend="bold">L’ECOLE</hi> <lb/> DES FEMMES,

Comédie en vers & en cinq Actes, représentée à Paris sur le théâtre du Palais Royal, le 26 décembre 1662.

Le théâtre de Molière, qui avait donné naissance à la bonne comédie, fut aban- donné la moitié de l’année 1661, & toute l’année 1662, pour certaines farces moitié italiennes moitié françaises, qui furent panto- mime italien, connu sous le nom de Scara- mouche. Les mêmes spectateurs qui ap- plaudissaient sans réserve à ces farces mons- trueuses, se rendirent difficiles pour l’Ecole<lb/> des Femmes, pièce d’un genre tout nou- veau, laquelle, quoique toute en récits, est ménagée avec tant d’art, que tout paraît ê- tre en action.

Elle fut très suivie & très critiquée, com- me le dit la Gazette de Loret :

Piè-

41

L’ECOLE DES FEMMES.

Pièce qu’en plusieurs lieux on fronde,

Mais où pourtant va tant de monde,

Que jamais sujet important

Pour le voir n’en attira tant.

Elle passe pour être inférieure en tout à l’E-<lb/> cole des Maris, & sur-tout dans le dénoue- ment, qui est aussi postiche dans l’Ecole des<lb/> Femmes, qu’il est bien amené dans l’Ecole<lb/> des Maris. On se révolta généralement con- tre quelques expressions qui paraissent indi- gnes de Molière ; on désapprouva le Corbil- lon, la Tarte à la crême, les Enfans faits par l’oreille. Mais aussi les connaisseurs admiré- rent avec quelle adresse Molière avait su at- tacher & plaire pendant cinq Actes, par la seule confidence d’Horace au vieillard, & par de simples récits. Il semblait qu’un su- cet ainsi traité ne dût fournir qu’un Acte. Mais c’est le caractère d’un vrai génie, de ré- pandre sa fécondité sur un sujet stérile, & de varier ce qui semble uniforme. On peut di- re en passant, que c’est-là le grand art des tragédies de Racine .

La

C 5

42

<hi rend="bold">LA CRITIQUE</hi> <lb/> DE<lb/> L’ECOLE DES FEMMES,

Petite pièce en un Acte & en prose, représentée à Paris sur le théâtre du Palais Royal, le premier juin 1663.

C’est le premier ouvrage de ce genre qu’on connaisse au théâtre. C’est pro- prement un dialogue, & non une comédie. Molière y fait plus la satire de ses censeurs, qu’il ne défend les endroits faibles de l’Ecole<lb/> des Femmes. On convient qu’il avait tort de vouloir justifier la Tarte à la crême, & quelques autres bassesses de style qui lui é- taient échappées ; mais que ses ennemis a- vaient plus grand tort de saisir ces petits dé- fauts pour condamner un bon ouvrage.

Boursault crut se reconnaitre dans le por trait de Lisidas. Pour s’en venger, il fit jouer à l’ Hôtel de Bourgogne une petite piè- ce dans le goût de la Critique de l’Ecole des<lb/> Femmes, intitulée : <hi rend="italic">Le Portrait du Peintre</hi>,<lb/> ou <hi rend="italic">la Contre-critique</hi> .

L’im-

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<hi rend="bold">L’IMPROMPTU</hi> <lb/> DE <placename>VERSAILLES</placename>,

Petite pièce en un Acte & en prose, représentée à Versailles le 14 octobre 1663, & à Pa- ris le 4 novembre de la même année.

Molière fit ce petit ouvrage en par- tie pour se justifier devant le Roi de plusieurs calomnies, & en partie pour répon- dre à la pièce de Boursault . C’est une satire cruelle & outrée. Boursault y est nommé par son nom. La licence de l’ancienne comédie grecque n’allait pas plus loin. Il eût été de la bienséance & de l’honnêteté publique, de supprimer la satire de Boursault & celle de Molière. Il est honteux que les hommes de génie & de talent s’exposent par cette petite guerre à être la risée des sots. Molière sen- tit d’ailleurs la faiblesse de cette petite comé- die, & ne la fit point imprimer.

La

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LA PRINCESSE D’<placename> ELIDE </placename>,<lb/> OU<lb/> LES PLAISIRS<lb/> <hi rend="bold">DE L’ILE ENCHANTÉE,</hi>

Représentée le 7 mai 1664, à Versailles, à la grande Fête que le Roi donna aux Reines.

Les fêtes que Louis XIV donna dans sa jeunesse, méritent d’entrer dans l’his- toire de ce monarque, non-seulement par les magnificences singulières, mais encore par le bonheur qu’il eut d’avoir des hommes célèbres en tous genres, qui contribuaient en même temps à ses plaisirs, à la politesse, & à la gloire de la nation. Ce fut à cette fête, connue sous le nom de l’Ile enchantée , que Molière fit jouer la Princesse d’<placename>Elide</placename> , Comédie-Ballet en cinq Actes. Il n’y a que le premier Acte & la première scène du se- cond, qui soient en vers : Molière, pressé par le temps, écrivit le reste en prose. Cette pièce réussit beaucoup dans une Cour qui ne

respi-

45

LA PRINCESSE D’<placename> ELIDE </placename>.

respirait que la joie, & qui au milieu de tant de plaisirs, ne pouvait critiquer avec sévé- rité un ouvrage fait à la hâte pour embellir la fête.

On a depuis représenté la Princesse d’Eli-<lb/> de à Paris ; mais elle ne put avoir le même succès, dépouillée de tous ses ornements & des circonstances heureuses qui l’avaient sou- tenue. On joua la même année la comédie de la Mère Coquette, du célèbre Quinault ; c’était presque la seule bonne comédie qu’on eût vu en France, hors les pièces de Moliè- re, & elle dut lui donner de l’émulation. Ra- rement les ouvrages faits pour des fêtes réussissent-ils au théâtre de Paris. Ceux à qui la fête est donnée, sont toujours indul- gents ; mais le public libre est toujours sévè- re. Le genre sérieux & galant n’était pas le génie de Molière ; & cette espèce de poè- me n’ayant ni le plaisant de la comédie, ni les grandes passions de la tragédie, tombe presque toujours dans l’insipidité.

Le

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<hi rend="bold">LE MARIAGE</hi> <lb/> FORCÉ,

Petite pièce en prose & en un Acte, représentée au Louvre le 24 janvier 1664, & au théâ- tre du Palais Royal le 15 décembre de la mê- me année.

C’est une de ces petites farces de Mo- lière, qu’il prit l’habitude de faire jouer après les pièces en cinq Actes. Il y a dans celle-ci quelques scènes tirées du théâtre i- talien. On y remarque plus de bouffonne- rie, que d’art & d’agrément. Elle fut ac- compagnée au Louvre d’un petit ballet, où Louis XIV danse.

L’a-

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L’AMOUR MEDECIN,

Petite comédie en un Acte & en prose, représen- tée à Versailles le 15 décembre 1665, & sur le théâtre du Palais Royal le 22 du même mois.

L’Amour Médecin est un impromptu, fait pour le Roi en cinq jours de temps : ce- pendant cette petite pièce est d’un meilleur comique que le Mariage forcé. Elle fut ac- compagnée d’un prologue en musique, qui est l’une des premières compositions de Lully.

C’est le premier ouvrage dans lequel Mo- lière ait joué les médecins. Ils étaient fort différents de ceux d’aujourd’hui ; ils allaient presque toujours en robe & en rabat, & consultaient en latin.

Si les médecins de notre tems ne connais- sent pas mieux la nature, ils connaissent mieux le monde, & savent que le grand art d’un médecin est l’art de plaire. Molière peut avoir contribué à leur ôter leur pédan-

te-

48

L’AMOUR MEDECIN.

terie ; mais les mœurs du siècle, qui ont chan- gé en tout, y ont contribué davantage. L’es- prit de raison s’est introduit dans toutes les sciences, & la politesse dans toutes les con- ditions.

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<hi rend="bold">DON JUAN,</hi> <lb/> OU<lb/> LE FESTIN DE PIERRE,

Comédie en prose & en cinq Actes, représentée sur le théâtre du Palais Royal le 15 février 1665.

L’original de la comédie bizarre du Festin<lb/> de Pierre , est de Triso de Molina , Au- teur espagnol. Il est intitulé : Les Combida-<lb/> do di Piédra, le Convié de Pierre . Il fut joué ensuite en Italie, sous le titre de Convitato di<lb/> Piétra . La Troupe des Comédiens Italiens le joua à Paris, & on l’appella le Festin de<lb/> Pierre. Il eut un grand succès sur ce théâ- tre irrégulier ; l’on ne se révolta point contre le monstrueux assemblage de bouffonnerie & de religion, de plaisanterie & d’horreur, ni contre les prodiges extravagants qui sont le sujet de cette pièce ; une statue qui mar- che & qui parle, & les flammes de l’Enfer qui engloutissent un impie sur le théâtre d’Arlequin, ne soulevérent point les esprits :

soit

D

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DON JUAN, OU

soit qu’en effet il y ait dans cette pièce quel- que intérêt, soit que le jeu des comédiens l’embellît ; soit plutôt que le peuple, à qui le Festin de Pierre plait beaucoup plus qu’aux honnêtes-gens, aime cette espèce de merveil- leux.

Villiers, comédien de l’Hôtel de Bourgo- gne, mit le Festin de Pierre en vers, & il eut quelque succès à ce théâtre. Molière voulut aussi traiter ce bizarre sujet. L’em- pressement d’enlever des spectateurs à l’Hô- tel de Bourgogne, fit qu’il se contenta de donner en prose sa comédie : c’était une nouveauté inouïe alors, qu’une pièce de cinq Actes en prose. On voit par-là combien l’habitude a de puissance sur les hommes, & comme elle forme les différents goûts des na- tions. Il y a des pays où l’on n’a pas l’idée qu’u- ne comédie puisse réussir en vers ; les fran- çais au contraire ne croyaient pas qu’on pût supporter une longue comédie qui ne fût pas rimée. Ce préjugé fit donner la préférence à la pièce de Villiers sur celle de Molière, & ce préjugé a duré si longtemps, que Tho- mas Corneille en 1673, immédiatement a- près la mort de Molière, mit son Festin de<lb/> Pierre en vers : il eut alors un grand succès

sur

51

LE FESTIN DE PIERRE.

sur le théâtre de la rue Guénegaud, & c’est de cette seule manière qu’on le représente aujourd’hui.

A la prémière représentation du Festin de<lb/> Pierre de Molière, il y avait une scène en- tre Don Juan & un pauvre. Don Juan de- mandait a ce pauvre, à quoi il passait sa vie dans la forêt. A prier Dieu, répondait le pauvre, pour des honnêtes-gens qui me donnent l’aumône. Tu passes ta vie à prier Dieu ? disait Don Juan : Si cela est, tu dois donc être fort à ton aise. Hélas ! Monsieur, je n’ai pas souvent dequoi manger. Cela ne se peut pas, répliquait Don Juan ; Dieu ne saurait laisser mourir de faim ceux qui le prient du soir au matin. Tien, voilà un Louis d’or ; mais je te le donne pour l’amour de l’humanité.

Cette scène, convenable au caractère im- pie de Don Juan, mais dont les esprits fai- bles pouvaient faire un mauvais usage, fut supprimée à la seconde représentation, & fut peut-être la cause de sa chute.

Celui qui écrit ceci, a vu la scène écrite de la main de Molière, entre les mains du fils de Pierre Marcassus, ami de l’auteur.

Le

D 2

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LE<lb/><hi rend="bold">MISANTROPE,</hi>

Comédie en vers & en cinq Actes, représentée sur le théâtre du Palais Royal le 4 juin 1666.

L’ Europe regarde cet ouvrage comme le chef-d’œuvre du haut comique ; le sujet du Misantrope a réussi chez toutes les nations longtemps avant Molière, & après lui. En effet, il y a peu de choses plus atta- chantes qu’un homme qui hait le genre-humain dont il a éprouvé les noirceurs, & qui est entouré de flatteurs dont la complaisance servile fait un contraste avec son inflexibilité. Cette façon de traiter le Misantrope est la plus commune, la plus naturelle & la plus sus- ceptible du genre comique. Celle dont Mo- lière l’a traité est bien plus délicate, & four- nissant bien moins, exigeait beaucoup d’art. Il s’est fait à lui-même un sujet stérile, privé d’action, vide d’intérêt : son Misantrope hait les hommes, encore plus par humeur, que par raison : il n’y a d’intrigue dans la piè- ce, que ce qu’il en faut pour faire sortir les

ca-

53

LE MISANTROPE.

caractères, mais peut-être pas assez pour at- tacher ; en récompense, tous ces caractères ont une force, une vérité & une finesse, que jamais auteur comique n’a connues comme lui.

Molière est le premier qui ait su tourner en scène ces conversations du monde, & & y mêler des portraits. Le Misantrope en est plein, c’est une peinture continuelle ; mais une peinture de ces ridicules, que les yeux vulgaires n’apperçoivent pas. Il est inutile d’examiner ici en détail les beautés de ce chef-d’œuvre de l’esprit, & de montrer avec quel art un homme qui pousse la vertu jus- qu’au ridicule, est si rempli de faiblesses pour une coquette, de remarquer la conversation & le contraste charmant d’une prude avec cette coquette outrée. Quiconque lit, doit sentir ces beautés, lesquelles même, toutes grandes qu’elles sont, ne seraient rien sans le style. La pièce est d’un bout à l’autre à peu près dans le stile des Satires de Des- préaux, & c’est de toutes les pièces de Mo- lière la plus fortement écrite.

Elle eut la première représentation les applaudissemens qu’elle méritoit. Mais c’était un ouvrage plus fait pour les gens d’esprit,

que

D 3

54

LE MISANTROPE.

que pour la multitude, & plus propre encore à être lu, qu’à être joué. Le théâtre fut dé- sert dès le troisième jour. Depuis, lorsque le fameux acteur Baron étant remonté sur le théâtre, après trente ans d’absence, joua le<lb/> Misantrope, la pièce n’attira pas un grand concours ; ce qui confirma l’opinion où l’on était, que cette pièce serait plus admirée que suivie. Ce peu d’empressement qu’on a d’un côté pour le Misantrope, & de l’autre la juste admiration qu’on a pour lui, prouve peut-être plus qu’on ne le pense, que le public n’est point injuste. Il court en foule à des comédies gaies & amusantes, mais qu’il n’estime guè- res, & ce qu’il admire n’est pas toujours ré- jouissant. Il en est des comédies comme des jeux : il y en a que tout le monde joue, il y en a qui ne sont faits que pour les esprits plus fins & plus appliqués.

Si on osait encore chercher dans le cœur humain la raison de cette tiédeur du public aux représentations du Misantrope, peut-être les trouverait-on dans l’intrigue de la pièce, dont les beautés ingénieuses & fines ne sont pas également vives & intéressantes ; dans ces conversations même, qui sont des mor- ceaux inimittables, mais qui n’étant pas tou-

jours

55

LE MISANTROPE.

jours nécessaires à la pièce, peut-être refroi- dissent un peu l’action, pendant qu’elles font admirer l’auteur ; enfin dans le dénouement, qui, tout bien amené & tout sage qu’il est, semble être attendu du public sans inquiétude, & qui venant après une intrigue peu attachan- te, ne peut avoir rien de piquant. En effet, le spectateur ne souhaite point que le Misan- trope épouse la coquette Célimène, & ne s’in- quiète pas beaucoup s’il se détachera d’elle. Enfin on prendrait la liberté de dire, que le<lb/> Misantrope est une satire plus sage & plus fine que celles d’Horace & de Boileau, & pour le moins aussi bien écrite ; & que le<lb/> Tartuffe, par exemple, réunit les beautés du style du Misantrope, avec un intérêt plus marqué.

On fait que les ennemis de Molière vou- lurent persuader au Duc de Montausier, fa- meux par sa vertu sauvage, que c’était lui que Molière jouait dans le Misantrope. Le Duc de Montausier alla voir la pièce, & dit en sortant, qu’il aurait bien voulu ressembler au Misantrope de Molière.

Le

D 4

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<hi rend="bold">LE MEDECIN</hi> <lb/> MALGRÉ LUI,

Comédie en trois Actes & en prose, représentée sur le théâtre du Palais Royal, le 9 août 1666.

Molière ayant suspendu son chef-d’œu- vre du Misantrope, le rendit quelque tems après au public, accompagné du Méde-<lb/> cin malgré lui, farce très gaie & très bouf- fonne, & dont le peuple grossier avait besoin ; à peu près comme à l’Opéra, après une mu- sique noble & savante, on entend avec plaisir ces petits airs qui ont par eux-mêmes peu de mérite, mais que tout le monde retient aisément. Ces gentillesses frivoles servent à faire goûter les beautés sérieuses.

Le Médecin malgré lui soutint le Misan-<lb/> trope : c’est peut-être à la honte de la nature humaine, mais c’est ainsi qu’elle est faite ; on va plus à la comédie pour rire, que pour être instruit. Le Misantrope étoit l’ouvrage d’un

sage

57

LE MEDECIN MALGRE LUI.

sage qui écrivait pour les hommes éclairés ; & il fallut que le sage se déguisât en far- ceur pour plaire à la multitude.

Le

D 5

58

LE SICILIEN, OU L’AMOUR PEINTRE,

Comédie en prose & en un Acte, représentée à Saint Germain en Laye en 1667, & sur le théâtre du Palais Royal le 10 juin de la mê- me année.

C’est la seule petite pièce en un Acte, où il y ait de la grace & de la galante- rie. Les autres petites pièces que Molière ne donnait que comme des farces, ont d’or- dinaire un fonds plus bouffon & moins a- gréable.

Me-

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<hi rend="bold">MELICERTE,</hi><lb/> PASTORALE HEROÏQUE,

Représentée à Saint Germain en Laye pour le Roi au Ballet des Muses, en Décembre 1666.

Molière n’a jamais fait que deux Actes de cette comédie ; le Roi se contenta de ces deux Actes dans la fête du ballet des Muses. Le public n’a point regretté que l’au- teur ait négligé de finir cet ouvrage : il est dans un genre qui n’était point celui de Mo- lière, quelque peine qu’il y eût prise. Les plus grands efforts d’un homme d’esprit ne rem- placent jamais le génie.

Am-

60

AMPHITRION,

Comédie en vers & en trois Actes, représentée sur le théâtre du Palais Royal le 13 janvier 1668.

Euripide & Archippus avaient traité ce sujet de tragicomédie chez les grecs ; c’est une des pièces de Plaute qui a eu le plus de succès ; on la jouait encore à Rome cinq cens ans après lui ; &, ce qui peut paraître singulier, c’est qu’on la jouait toujours dans des fêtes consacrées à Jupiter. Il n’y a que ceux qui ne savent point combien les hom- mes agissent peu conséquemment, qui puissent être surpris qu’on se moquât publiquement au théâtre, des mêmes dieux qu’on adorait dans les temples.

Molière a tout pris de Plaute, hors les scè- nes de Sosie & de Cleantis. Ceux qui ont dit qu’il a imité son prologue de Lucien, ne savent pas la différence qui est entre une imi- tation, & la ressemblance très éloignée de l’ex- cellent Dialogue de la Nuit & de Mercure dans Molière, avec le petit dialogue de Mer-

cure

61

AMPHITRION.

cure & d’Apollon dans Lucien : il n’y a pas une plaisanterie, pas un seul mot, que Mo- lière doive à cet auteur grec.

Tous les lecteurs exempts de préjugés sa- vent combien l’Amphitrion français est au- dessus de l’Amphitrion latin. On ne peut pas dire des plaisanteries de Molière, ce qu’Horace dit de celles de Plaute :

„ Nostri proavi Plautinos & numeros &

„ Laudavere sales, nimium patienter utrum- que.

Dans Plaute, Mercure dit à Sosie : Tu viens avec des fourberies cousues. Sosie répond : Je viens avec des habits cousus. Tu as menti, replique le dieu, tu viens avec tes pieds, & non avec tes habits. Ce n’est pas-là le comi- que de notre théâtre. Autant Molière pa- raît surpasser Plaute dans cette espèce de plai- santerie que les romains nommaient urba- nité, autant paraît-il aussi l’emporter dans l’é- conomie de sa pièce. Quand il fallait chez les anciens apprendre au spectateur quelque événement, un acteur venait sans façon le conter dans un monologue ; ainsi Amphitrion & Mercure viennent seuls sur la scène dire

tout

62

AMPHITRION.

tout ce qu’ils ont fait, pendant les entre- actes. Il n’y avait pas plus d’art dans les tragédies. Cela seul fait peut-être voir que le théâtre des anciens, (d’ailleurs à jamais respecttable) est par rapport au nôtre, ce que l’enfance est à l’âge mûr.

Madame Dacier, qui a fait honneur à son sexe par son érudition, & qui lui en eût fait davantage, si avec la science des commen- tateurs, elle n’en eût pas eu l’esprit, fut une dissertation pour prouver que l’Amphitrion de Plaute était fort au-dessus du moderne ; mais ayant ouï dire que Molière voulait faire une comédie des Femmes savantes , elle sup- prima sa dissertation.

L’Amphitrion de Molière réussit pleine- ment & sans contradiction ; aussi est-ce une pièce pour plaire aux plus simples & aux plus grossiers, comme aux plus délicats. C’est la première comédie que Molière ait écrite en vers libres. On prétendit alors que ce genre de versification était plus propre à la comé- die que les rimes plates, en ce qu’il y a plus de liberté & plus de variété. Cependant les rimes plates en vers alexandrins ont prévalu. Les vers libres sont d’autant plus mal-aisés à faire, qu’ils semblent plus faciles. Il y a un

rythme

63

AMPHITRION.

rythme très peu connu qu’il y faut observer, sans quoi cette poésie rebute. Corneille ne connut pas ce rythme dans son Agésilas.

L’ava-

64

<hi class="bold" rend="bold">L’AVARE,</hi>

Comédie en prose & en cinq Actes, représentée à Paris sur le théâtre du Palais Royal le 9 sep- tembre 1668.

Cette excellente comédie avait été don- née au public en 1667 : mais le même préjugé qui fit tomber le Festin de Pierre parce qu’il était en prose, avait fait tomber l’Avare. Molière, pour ne point heurter de front le sentiment des critiques, & sachant qu’il faut ménager les hommes quand ils ont tort, don- na au public le temps de revenir, & ne rejoua l’Avare qu’un an après : le public, qui à la longue se rend toujours au bon, donna à cet ouvrage les applaudissements qu’il mérite. On comprit alors qu’il peut y avoir de fort bon- nes comédies en prose, & qu’il a peut-être plus de difficulté à réussir dans ce style ordi- naire où l’esprit seul soutient l’auteur, que dans la versification, qui par la rime, la ca- dence & la mesure, prête des ornements à des idées simples, que la prose n’embellirait pas.

Il

65

L’AVARE.

Il y a dans l’Avare quelques idées prises de Plaute, & embellies par Molière. Plaute a- vait imaginé le premier, de faire en même temps voler la cassette de l’Avare & séduire sa fille ; c’est de lui qu’est tout l’invention de la scène du jeune-homme qui vient avouer le rapt, & que l’Avare prend pour le voleur. Mais on ose dire que Plaute n’a point assez profité de cette situation, il ne l’a inventée que pour la manquer ; que l’on en juge par ce trait seul : l’amant de la fille ne paraît que dans cette scène, il vient sans être annoncé ni préparé, & la fille elle-même n’y paraît point du tout.

Tout le reste de la pièce est de Molière, caractères, intrigues, plaisanteries ; il n’en a imité que quelques lignes, comme cet endroitl’Avare parlant (peut-être mal-à-propos) aux spectateurs, dit : Mon voleur n’est-il point parmi vous ? Ils me regardent tous, & se met- tent à rire. (Quid est quod ridetis ? Novi omnes, scio fures hic esse complures.) Et cet autre en- droit encore, où aiant examiné les mains du valet qu’il soupçonne, il demande à voir la troisième, Ostende tertiam ?

Mais si l’on veut connaitre la différence du style de Plaute & du style de Molière, qu’on

voie

E

66

L’AVARE.

oie les portraits que chacun fait de son A- vare. Plaute dit :

Clamat suam rem periisse, seque,

De suo tigillo fumus si qua exit foras.

Quin, cum it dormitum, follem obstringit ob gulam,

Ne quid animæ forte amittat dormiens ;

Etiamne obturat inferiorem gutturem ? &c.

Il crie qu’il est perdu, qu’il est abîmé, si la fumée de son feu va hors de sa maison. Il se met une vessie à la bouche pendant la nuit, de peur de perdre son souffle. Se bouche-t-il aussi la bouche d’en-bas ?

Cependant ces comparaisons de Plaute avec Molière, toutes à l’avantage du dernier, n’empêchent pas qu’on ne doive estimer ce comique latin, qui n’ayant pas la pureté de Térence, avait d’ailleurs tant d’autres talents, & qui, quoiqu’inférieur à Molière, a été pour la variété de ses caractères & de ses intrigues, ce que Rome a eu de meilleur. On trouve aussi à la vérité dans l’Avare de Molière quel- ques expressions grossières, comme, Je sais l’art de traire les hommes ; & quelques mauvai- ses plaisanteries, comme Je marierois, si je

l’a-

67

L’AVARE.

l’avais entrepris, le grand-turc & la Républi- que de Venise.

Cette comédie a été traduite en plusieurs langues, & jouée sur plus d’un théâtre d’I- talie & d’Angleterre, de même que les autres pièces de Molière ; mais les pièces traduites ne peuvent réussir que par l’habilité du tra- ducteur. Un poète anglais nommé Shad- weell, aussi vain que mauvais poète, la donna en anglais du vivant de Molière. Cet hom- me dit dans sa préface : Je crois pouvoir dire sans vanité, que Molière n’a rien perdu entre mes mains. Jamais pièce française n’a été maniée par un de nos poètes, quelque méchant qu’il fût, qu’elle n’ait été rendue meilleure. Ce n’est ni faute d’invention, ni faute d’esprit, que nous em- pruntons des français ; mais c’est par paresse : c’est aussi par paresse que je me suis servi de l’A-<lb/> vare de Molière.

On peut juger qu’un homme qui n’a pas assez d’esprit pour mieux cacher sa vanité, n’en a pas assez pour faire mieux que Moliè- re. La pièce de Shadwell est généralement méprisée. M. Fielding, meilleur poète & plus modeste, a traduit l’Avare, & l’a fait jouer à Londres en 1733. Il y a ajouté réellement quelques beautés de dialogue particulières

à

E 2

68

L’AVARE.

à sa nation, & sa pièce a eu près de trente représentations ; succès très rare à Londres , où les pièces qui ont le plus de cours, ne sont jouées tout au plus que quinze fois.

Geor-

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<hi rend="bold">GEORGE DANDIN,</hi><lb/> OU<lb/> LE MARI CONFONDU,

Comédie en prose, & en trois Actes, représen- tée à Versailles le 15 de juillet 1668, & à Paris le 9 de novembre 1668.

On ne connait, & on ne joue cette pièce que sous le nom de George Dandin ; & au contraire le Cocu Imaginaire qu’on avait intitulé & affiché Sganarelle , n’est connu que sous le nom du Cocu Imaginaire, peut-être parce que ce dernier titre est plus plaisant que celui du Mari Confondu. George Dan-<lb/> din réussit pleinement. Mais si on ne repro- cha rien à la conduite & au style, on se sou- leva un peu contre le sujet même de la piè- ce ; on se révolta contre une comédie, dans laquelle une femme mariée donne un rendez- vous à son amant.

L’im-

E 3

70

<hi class="bold" rend="bold">L’IMPOSTEUR</hi> <lb/> OU<lb/> LE TARTUFFE,

Joué sans interruption en public le 5 février 1669.

On fait toute les traverses que cet admi- rable ouvrage essuia. On en voit le détail dans le préface de l’auteur au-devant de Tartuffe.

Les trois premiers Actes avaient été re- présentés à Versailles devant le Roi le 12 mai 1664. Ce n’était pas la première fois que Louis XIV, qui sentait le prix des ou- vrages de Molière, avait voulu les voir a- vant qu’ils fussent achevés : il fut fort content de ce commencement, & par conséquent la Cour le fut aussi.

Il fut joué le 29 novembre de la même année à Rainsy, devant le Grand Condé. Dès- lors les rivaux se réveillérent ; les dévots com- mencérent à faire du bruit ; les faux zélés, (l’espèce d’homme la plus dangereuse) crié-

rent

71

L’IMPOSTEUR, OU LE TARTUFFE.

rent contre Molière, & séduisirent même quelques gens de bien. Molière voyant tant d’ennemis qui allaient attaquer sa personne encore plus que sa pièce, voulut laisser ces premières fureurs se calmer : il fut un an sans donner le Tartuffe ; il le lisait seulement dans quelques maisons choisies, où la superstition ne dominait pas.

Molière ayant opposé la protection & le zèle de ses amis aux cabales naissantes de ses ennemies, obtient du Roi une permission ver- bale de jouer le Tartuffe. La première re- présentation en fut donc faite à Paris le 5 août 1667 : le lendemain on allait la rejouer ; l’Assemblée était la plus nombreuse qu’on eût jamais vue ; il y avoit des dames de la pre- mière distinction aux troisième loges ; les acteurs allaient commencer : lorsqu’il arriva un ordre du premier président du Parlement, portant défense de jouer la pièce.

C’est à cette occasion, qu’on prétend que Molière dit à l’Assemblée : Messieurs, nous al- lions vous donner le Tartuffe, mais monsieur le premier président ne veut pas qu’on le joue.

Pendant qu’on supprimait cet ouvrage, qui était l’éloge de la vertu & la satire de la seule hypocrisie, on permit qu’on jouât sur

le

E 4

72

L’IMPOSTEUR,

le théâtre italien Scaramouche Hermite , piè- ce très froide si elle n’eût été licentieuse, dans laquelle un hermite vêtu en moine monte la nuit par une échelle à la fenêtre d’une fem- me mariée, & y reparaît de temps en temps, en disant, questo è per mortificar la carne. On sait sur cela le mot du Grand Condé. Au bout de quelque temps, Molière fut délivré de la persécution ; il obtint un ordre du Roi par écrit, de représenter le Tartuffe. Les comédiens, ses camarades, voulurent que Molière eût toute sa vie deux parts dans le gain de la troupe, toutes les fois qu’on joue- roit cette pièce ; elle fut représentée trois mois de suite, & durera autant qu’il y aura en France du goût & des hypocrites.

Aujourd’hui bien des gens regardent com- me une leçon de morale cette même pièce, qu’on trouvait autrefois si scandaleuse. On peut hardiment avancer, que les discours de Cléan- te, dans lesquels la vertu vraie & éclairée est opposée à la dévotion imbécile d’Orgon, sont, à quelques expressions près, le plus fort & le plus élégant sermon que nous ayons en notre langue ; & c’est peut-être ce qui révolta davantage ceux qui parlaient moins bien dans la chaire, que Molière au théâtre.

Voyez

73

OU LE TARTUFFE.

Voyez sur-tout cet endroit :

Allez, tous vos discours ne me font point de peur,

Je sai comme je parle, & le ciel voit mon cœur :

Il est de faux dévots, ainsi que de faux bra- ves, &c.

Presque tous les caractères de cette pièce sont originiaux ; il n’y en a aucun qui ne soit bon, & celui du Tartuffe est parfait. On ad- mire la conduite de la pièce jusqu’au dénoue- ment ; on sent combien il est forcé, & com- bien les louanges du Roi, quoique mal ame- nées, étaient nécessaire pour soutenir Mo- lière contre ses ennemis.

Dans les prémières représentations, l’im- posteur se nommait Panulphe, & ce n’était qu’à la dernière scène qu’on apprenait son vérittable nom de Tartuffe, sous lequel ses impostures étaient supposées être connues du Roi. A cela près, la pièce était comme el- le est aujourd’hui. Le changement le plus marqué qu’on y ait fait, est à ce vers :

O Ciel, pardonne-moi la douleur qu’il me donne.

Il

E 5

74

L’IMPOSTEUR,

Il y avait :

O Ciel, pardonne-moi comme je lui par- donne.

Qui croirait que le succès de cette admira- ble pièce eût été balancé par celui d’une co- médie qu’on appelle la Femme Juge & Partie , qui fut jouée à l’Hôtel de Bourgogne aussi long- tems que le Tartuffe au Palais Royal ? Mont- fleury, comédien de l’Hôtel de Bourgogne , auteur de la Femme Juge & Partie, se cro- yait égal à Molière ; & la préface qu’on a mise au-devant du recueil de ce Montfleury avertit que Monsieur de Montfleury était un Grand Homme. Le succès de la Femme Juge<lb/> & Partie, & de tant d’autres pièces médio- cres, dépend uniquement d’une situation que le jeu d’un acteur fait valoir. On sait qu’au théâtre il faut peu de chose pour faire réussir ce que l’on méprise à la lecture. On repré- senta sur le théâtre de l’Hôtel de Bourgo- gne, à la suite de la Femme Juge & Partie, la critique du Tartuffe. Voici ce qu’on trou- ve dans le prologue de cette critique :

Molière plait assez, c’est un bouffon plaisant,

Qui divertit le nombre en le contrefaisant ;

Ses

75

OU LE TARTUFFE.

Ses grimaces souvent causent quelques sur- prises ;

Toutes ses pièces sont d’agréables sottises :

Il est mauvais poète, & bon comédien ;

Il fait rire, & de vrai c’est tout ce qu’il fait bien.

On imprima contre lui vingt libelles ; un curé de Paris s’avilit jusqu’à composer une de ces brochures, dans laquelle il débutait par dire qu’il fallait brûler Molière. Voilà comme ce grand homme fut traité de son vivant ; mais l’approbation du public éclairé lui donnait une gloire qui le vengeait assez.

Mon-

76

MONSIEUR<lb/> DE<lb/> <hi rend="bold">POURCEAUGNAC,</hi>

Comédie-Ballet en prose & en trois Actes, fai- te & jouée à Chambord pour le Roi au mois de septembre 1669, & représentée sur le théâtre du Palais Royal le 15 novembre de la même année.

Ce fut à la représentation de cette co- médie, que la troupe de Molière prit pour la première fois le titre de la troupe du Roi. Pourceaugnac est une farce, mais il y a dans toutes les farces de Molière des scènes dignes de la haute comédie. Un hom- me supérieur, quand il badine, ne peut s’em- pêcher de badiner avec esprit. Lully, qui n’a- vait point encore le privilège de l’Opéra, fit la musique du ballet de Pourceaugnac ; il y dansa, il y chanta, il y joua du violon. Tous les grands talens étaient employés au diver- tissement du Roi, & tout ce qui avait rap- port aux Beaux-Arts était honorable.

On

77

M. DE POURCEAUGNAC.

On n’écrivait point contre Pourceaugnac : on ne cherche à rabaisser les grands hom- mes, que quand ils veulent s’élever. Loin d’examiner sévèrement cette farce, les gens de bon goût reprochérent à l’auteur d’avilir trop souvent son génie à des ouvrages frivo- les qui ne méritaient pas d’examen ; mais Molière leur répondait, qu’il était comédien aussi-bien qu’auteur, qu’il fallait réjouïr la Cour & attirer le peuple, & qu’il était ré- duit à consulter l’intérêt de ses acteurs aussi- bien que sa propre gloire.

Le

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<hi rend="bold">LE BOURGEOIS</hi><lb/> GENTILHOMME,

Comédie-Ballet en prose & en cinq Actes, faite & jouée à Chambord au mois d’octobre 1670, & représentée à Paris le 23 novembre de la même année.

Le Bourgeois Gentilhomme est un des plus heureux sujets de comédie, que le ridi- cule des hommes ait jamais pu fournir. La vanité, attribut de l’espèce humaine, fait que des princes prennent le titre de rois, que les grands seigneurs veulent être princes, &, comme dit la Fontaine :

Tout prince a des ambassadeurs,

Tout marquis veut avoir des pages.

Cette faiblesse est précisément la même que celle d’un bourgeois qui veut être hom- me de qualité. Mais la folie du bourgeois est la seule qui soit comique, & qui puisse faire rire au théâtre : ce sont les extrêmes disproportions des manières & du langage

d’un

79

LE BOURGEOIS, &c.

d’un homme, avec les airs & les discours qu’il veut affecter, qui font un ridicule plaisant : cet- te espèce de ridicule ne se trouve point dans des Princes ou dans des hommes élevés à la Cour, qui couvrent toutes leurs sottises du même air & du même langage ; mais ce ri- dicule se montre tout entier dans un Bour- geois élevé grossièrement, & dont le naturel fait à tout moment un contraste avec l’art dont il veut se parer. C’est ce naturel gros- sier qui fait le plaisant de la Comédie ; & voi- là pourquoi ce n’est jamais que dans la vie commune qu’on prend les personnages comi- ques. Le Misantrope est admirable, le Bour-<lb/> geois Gentilhomme est plaisant.

Les quatre prémiers Actes de cette Pièce peuvent passer pour une Comédie ; le cin- quième est une Farce qui est réjouïssante, mais trop peu vraisemblable. Molière auroit pu donner moins de prise à la critique, en supposant quelque autre homme que le fils du Grand-Turc. Mais il cherchoit par ce divertissement plutôt à réjouïr, qu’à faire un Ouvrage régulier.

Lully fit aussi la Musique du Ballet, & il y joua comme dans Pourceaugnac.

LES

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LES<lb/> <hi rend="bold">FOURBERIES</hi> <lb/> DE SCAPIN,

Comédie en prose & en trois Actes, représentée sur le théâtre du Palais Royal le 24 mai 1671.

Les Fourberies de Scapin sont une de ces farces, que Molière avait préparées en province. Il n’avait pas fait scrupule d’y insérer deux scènes entières du Pédant joué , mauvaise pièce de Cirano de Bergérac. On prétend que quand on lui reprochait ce pla- giarisme, il répondait : Ces deux scènes sont assez bonnes ; cela m’appartenait de droit : il est permis de reprendre son bien par-tout où on le trouve.

Si Molière avait donné la farce des Four-<lb/> beries de Scapin pour une vraie comédie, Despréaux aurait eu raison de dire dans son Art Poétique :

C’est par-là que Molière illustrant ses écrits,

Peut-être de son art eût remporté le prix,

Si

81

LES FOURBERIES DE SCAPIN.

Si moins ami du peuple en ses doctes pein- tures,

Il n’eût point fait souvent grimacer ses figu- res,

Quitté pour le bouffon l’agréable & le fin,

Et sans honte à Térence allié Tabarin.

Dans ce sac ridicule où Scapin s’envelope,

Je ne reconnais plus l’Auteur du Misantrope.

On pourrait répondre à ce grand critique, que Molière n’a point allié Térence avec Ta- barin dans ses vraies comédies, où il sur- passe Térence : que s’il a déféré au goût du peuple, c’est dans ses farces, dont le seul titre annonce du bas comique ; & que ce bas comique était nécessaire pour soutenir sa troupe.

Molière ne pensait pas que les Fourberies<lb/> de Scapin & le Mariage forcé valussent l’A-<lb/> vare, le Tartuffe & le Misantrope, ou fus- sent même du même genre. De plus, com- ment Despréaux peut-il dire, que Molière peut-être de son art eût emporté le prix ? Qui aura donc ce prix, si Molière ne l’a pas ?

Psi-

F

82

PSICHÉ,

Tragédie-Ballet en vers libres & en cinq Actes, représentée devant le Roi, dans la salle des machines du Palais des Thuilleries, en jan- vier & durant le Carnaval de l’année 1670, & donnée au public sur le théâtre du Palais Royal en 1671.

Le spectacle de l’Opéra, connu en Fran- ce sous le ministère du Cardinal Maza- rin, était tombé par sa mort. Il commen- çait à se relever. Perrin introducteur des ambassadeurs chez M. Cambert intendant de la musique de la Reine-Mère, & le Marquis de Sourdiac homme de goût, qui avait du génie pour les machines, avaient obtenu en 1669 le privilège de l’Opéra ; mais ils ne donnérent rien au public qu’en 1671. On ne croyait pas alors que les français pussent jamais soutenir trois heures de musique, & qu’une tragédie toute chantée pût réussir. On pensait que le comble de la perfection est une tragédie déclamée, avec des chants & des danses dans les intermèdes. On ne

son-

83

PSICHÉ,

songeait pas que si une tragédie est belle & intéressante, les entre-actes de musique doivent en devenir froids ; & que si les in- termèdes sont brillants, l’oreille a peine à re- venir tout d’un coup du charme de la Musi- que à la simple déclamation. Un ballet peut délasser dans les entre-actes d’une pièce en- nuyeuse ; mais une bonne pièce n’en a pas besoin, & l’on joue Athalie sans les chœurs & sans la musique. Ce ne fut que quelques années après, que Lully & Quinault nous ap- prirent qu’on pouvait chanter toute une tra- gédie, comme on faisait en Italie, & qu’on la pouvait même rendre intéressante :perfec- tion que l’Italie ne connoissait pas.

Depuis la mort du Cardinal Mazarin, on n’avait donc donné que des pièces à machi- nes avec des divertissements en musique, telles qu’Andromède & la Toison d’or. On voulut donner au Roi & à la Cour pour l’hi- ver de 1670, un divertissement dans ce goût, & y ajouter des danses. Molière fut chargé du sujet de la fable le plus ingénieux & le plus galant, & qui était alors en vogue par le roman aimable, quoique beaucoup trop allongé, que La Fontaine venait de donner en 1669.

Il

F 2

84

PSICHÉ.

Il ne peut faire que le premier Acte, la première scène du second, & la première du troisième ; le tems pressait, Pierre Cor- neille se chargea du reste de la pièce ; il vou- lut bien s’assujettir au plan d’un autre, & ce génie mâle, que l’âge rendait sec & sévère, s’amollit pour plaire à Louis XIV. L’auteur de Cinna fit à l’âge de 67 ans cette déclara- tion de Psiché à l’amour, qui passe encore pour un des morceaux les plus tendres & les plus naturels qui soient au théâtre.

Toutes les paroles qui se chantent sont de Quinault ; Lully composa les airs. Il ne manquait à cette société de grands hommes que le seul Racine, afin que tout ce qu’il y eut jamais de plus excellent au théâtre se fût réuni pour servir un Roi, qui méritoit d’être servi par de tels hommes.

Psiché n’est pas une excellente pièce, & les derniers Actes en sont très languissans ; mais la beauté du sujet, les ornements dont fut embellie, & la dépense royale qu’on fit pour ce spectacle, furent pardonner ses défauts.

Les

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<hi rend="bold">LES FEMMES</hi> <lb/> SAVANTES,

Comédie en vers & en cinq Actes, représentée sur le théâtre du Palais Royal le 11 mars 1672.

Cette comédie, qui est mise par les connaisseurs dans le rang du Tartuffe & du Misantrope, attaquait un ridicule qui ne semblait propre à réjouir ni le peuple, ni la Cour, à qui ce ridicule paroissait être égale- ment étranger. Elle fut reçue d’abord assez froidement ; mais les connaisseurs rendirent bien-tôt à Molière le suffrages de la ville ; & un mot du Roi, lui donna ceux de la Cour. L’intrigue, qui en effet a quelque chose de plus plaisant que celle du Misantrope, soutint la pièce longtemps.

Plus on la vit, & plus on admira com- ment Molière avait pu jetter tant de comi- que sur un sujet qui paroissait fournir plus de pédanterie que d’agrément. Tous ceux qui sont au fait de l’histoire littéraire de ce temps-

là,

F 3

86

LES FEMMES SAVANTES.

là, savent que Ménage y est joué sous le nom de Vadius, & que Trissotin est le fameux Ab- bé Cottin, si connu par les Satires de Des- préaux. Ces deux hommes étaient pour leur malheur ennemis de Molière ; ils avaient voulu persuader au Duc de Montausier, que le Misantrope était fait contre lui ; quelque temps après ils avaient eu chez Mademoisel- le, fille de Gaston de France, la scène que Molière a si bien rendue dans les Femmes<lb/> Savantes. Le malheureux Cottin écrivait é- galement contre Ménage, contre Molière & contre Despréaux ; les Satires de Despréaux l’avaient déja couvert de honte, mais Moliè- re l’accabla. Trissotin était appellé aux pre- mières représentations Tricottin. L’acteur qui le représentait avait affecté, autant qu’il avait pu, de ressembler à l’original par la voix & par le geste. Enfin, pour comble de ridicule, les vers de Trissotin, sacrifiés sur le théâtre à la risée publique, étaient de l’Abbé Cottin même. S’ils avaient été bons, & si leur auteur avait valu quelque chose, la critique sanglante de Molière & celle de Despréaux ne lui eussent pas ôté sa réputa- tion ; Molière lui-même avait été joué aussi cruellement sur le théâtre de l’Hôtel de Bour-

gogne,

87

LES FEMMES SAVANTES.

gogne, & n’en fut pas moins estimé : le vrai mérite résiste à la satire. Mais Cottin étoit bien loin de pouvoir se soutenir contre de telles attaques : on dit qu’il fut si accablé de ce dernier coup, qu’il tomba dans une mé- lancolie qui le conduisit au tombeau. Les<lb/> Satires de Despréaux coutérent aussi la vie à l’Abbé Cassaigne : triste effet d’une liberté plus dangereuse qu’utile, & qui flatte plus la malignité humaine, qu’elle n’inspire le bon goût.

La meilleure satire qu’on puisse faire des mauvais poètes, c’est de donner d’excellents ouvrages ; Molière & Despréaux n’avaient pas besoin d’y ajouter des injures.

F 4

Les

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<hi class="bold" rend="bold">LES AMANTS</hi> <lb/> MAGNIFIQUES,

Comédie-Ballet en prose & en cinq Actes, repré- sentée devant le Roi à Saint Germain, au mois de février 1670.

Louis XIV lui-même donna le sujet de cette pièce à Molière. Il voulut qu’on représentat deux princes qui se disputeraient une maitresse, en lui donnant des fêtes ma- gnifiques et galantes. Molière servit le Roi avec précipitation. Il mit dans cet ouvra- ge deux personnages qu’il n’avait point en- core fait paraître sur son théâtre, un astro- logue, & un fou de Cour. Le monde n’é- toit point alors desabusé de l’astrologie judi- ciaire ; on y croyait d’autant plus, qu’on con- noissait moins la vérittable astronomie. Il est rapporté dans Vittorio Siri, qu’on n’avait pas manqué, à la naissance de Louis XIV, de faire tenir un astrologue dans un cabinet voisin de celui où la Reine accouchait. C’est dans les Cours que cette superstition règne

davan-

89

LES AMANTS MAGNIFIQUES.

davantage, parce c’est là qu’on a plus d’in- quiétude sur l’avenir.

Les fous y étaient aussi à la mode ; chaque prince & chaque grand seigneur même avait son fou ; & les hommes n’ont quitté ce reste de barbarie, qu’à mesure qu’ils ont plus connu les plaisirs de la société & ceux que donnent les Beaux-Arts. Le fou qui est représenté dans Molière, n’est point un fou ridicule, tel que le Moron de la Princesse d’Elide ; mais un homme adroit, & qui ayant la liberté de tout dire, s’en sert avec habilité & avec fi- nesse. La musique est de Lully. Cette piè- ce ne fut jouée qu’à la Cour, & ne pouvait guères réussir que par le mérite du divertis- sement & par celui de l’à-propos.

On ne doit pas omettre, que dans les di- vertissements des Amans magnifiques, il se trouve une traduction de l’Ode d’Horace :

Donec gratus eram tibi.

F 5

La

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LA COMTESSE<lb/> <hi rend="bold">D’ESCARBAGNAS,</hi>

Petite Comédie en un Acte, & en prose, repré- sentée devant le Roi à Saint Germain, en fé- vrier 1672, & à Paris sur le théâtre du Palais Royal, le 8 juillet de la même année.

C’est une farce, mais toute de caractè- res, qui est une peinture naïve, peut- être en quelques endroits trop simple, des ridicules de la province ; ridicules dont on s’est beaucoup corrigé à mesure que le goût de la société, & de la politesse aisée qui règne en France, se sont répandus de proche en proche.

Le

91

<hi rend="bold">LE MALADE</hi> <lb/> IMAGINAIRE,

En trois Actes avec des intermèdes, fut repré- senté sur le théâtre du Palais Royal le 10 février 1673.

C’est une de ces farces de Molière dans laquelle on trouve beaucoup de scènes dignes de la haute comédie. La naïveté, peut-être poussée trop loin, en fait le prin- cipal caractère. Ses farces ont le défaut d’être quelquefois un peu trop basses, & ses comé- dies de n’être pas toujours assez intéressantes. Mais avec tous ces défauts-là, il sera toujours le premier de tous les poètes comiques. De- puis lui, le théâtre français s’est soutenu, & même a été asservi à des lois de décence plus rigoureuses que du temps de Molière. On n’oserait aujourd’hui hazarder la scène où le Tartuffe presse la femme de son hôte ; on n’oserait se servir des termes de Fils de Pu- tain, de Carogne, & même de Cocu ; la plus exacte bienséance règne dans les pièces mo-

dernes.

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LE MALADE IMAGINAIRE.

dernes.. Il est étrange que tant de régulari- té n’ait pu laver encore cette tache, qu’un préjugé très injuste attache à la profession de comédien. Ils étaient honorés dans Athè- nes, où ils représentaient de moins bons ou- vrages. Il y a de la cruauté à vouloir avilir des hommes nécessaires à un état bien poli- cé, qui exercent, sous les yeux des magis- trats, un talent très difficile & très estima- ble. Mais c’est le sort de tous les gens à ta- lents, qui sont sans pouvoir, de travailler pour un public ingrat.

FIN.