SCENE VII.
GNIDIE, OLINDE.
GNIDIE à part. C'Est lui-même ; approchons, qu'il puisse voir
mes traits.
OLINDE à part.
Quelle parure, & quels attraits ! Que cet ajustement sied bien à son visage !...
B 5Zé-
26Zénéïde.
Zénéïde sans ces aprêts Me plaît cependant davantage.
(à Gnidie)
On doit goûter ici le bonheur le plus doux, On doit y rencontrer tous les plaisirs ensemble, Si les objets divers que la Fée y rassemble, Sont tous aussi charmans que vous.
GNIDIE. Vous me trouvez donc bien ? Ah, qu'un homme
est aimable ! Croiriez-vous que dans ce séjour Personne ne m'a dit encor rien de semblable ?
OLINDE.
On est donc peu galant.
GNIDIE. Et fort peu vérittable. La Fée a seulement des Femmes à sa Cour : Elles me controllent sans cesse. Venus viendroit qu'elles se croiroient mieux. Un rien aigrit leur esprit envieux, Et quelque chose en moi toûjours les blesse. Je leurs rends bien aussi tendresse pour tendresse, Et je les juge à la rigueur ; Sur ce point-la je n'ai point de scrupules. Par leur figure, ou leur humeur, Je les vois toutes, par bonheur, Sotes, laides, ou ridicules ; Et je les haïs de tout mon cœur.
OLINDE.
(à part.)
Le charmant naturel ! Elle ressemble aux autres ;
Elle
Comédie.27
Elle est, de plus, de bonne-foi.
(à Gnidie.)
Mais dans ce Palais, dites-moi, Ne voyez-vous de charmes que les vôtres ? N'est - il point quelque objet que vous puissiez
louer ?
GNIDIE. Mais j'y vois tant de monde ; & d'ailleurs je suis
bonne, ... Je suis pourtant contrainte d'avouër Que je n'y rencontre personne Dont les défauts ne frappent mes regards, La Fée est, par exemple, injuste, impérieuse ; Pour nous à tous momens elle manque d'égards. Floride que l'on vante, est belle, généreuse ; Et la taille majestueuse Au premier abord éblouït: Mais la voit-on de près, bien tôt le charme fuit. Un dehors aprêté cache une ame orguëilleuse ; Son ton rebute, choque, aigrit ; Elle est méchante, ingrate, dédaigneuse ; L'impertinence, en un mot, l'enlaidit. Ainsi des autres. La Nature De mille attraits en vain les embellit : Elles déparent leur figure Par les travers de leur esprit.
OLINDE.
Votre pinceau ne flatte guère.
GNIDIE. Il est moins malin que sincère. Je peins d'après l'original.
OLIN.
28Zénéïde.
OLINDE avec timidité.
Et Zénéïde ?
GNIDIE.
Eh mais ... elle est en droit de plaire, Je le trouve assez bien; son esprit est égal ; Elle a d'ailleurs un fort bon caractère.
OLINDE .
(à part,)
Elle est laide ; la chose est claire, Puisqu elle n'en dit point de mal.
(à Gnidie.)
Vous l'aimez donc beaucoup ?
GNIDIE.
Ouï, tout le monde l'aime.
OLINDE.
(à part.)
Voilà du moins mon goût justifïé.
GNIDIE.
La Fée a pour nous deux des momens d'amitié. Sa bonté pour lors est extrême. Peindre & broder font ses amusemens. Elle a voulu dans un de ses momens Faire mon Portrait elle même. Il est vraiment joli. Les Ornemens sur tout.... Je vous le ferai voir. Je vous crois de bon goût. Eh bien, dans ce Palais, soit basse jalousie, Ou défaut de discernement, La seule Zénéïde, ouï, seule exactement, Fut assez juste. ou bien assez polie, Pour me trouver encore plus jolie Que ce Portrait qu'on vantoit tant.
OLIN-
Comédie.29
OLINDE.
Sans doute elle fut juste autant que bonne
amie : Et pour peu qu'il soit ressemblant....
GNIDIE.
Oh ! ce n'est pas en beau qu'il me ressemble. Je vous l'ai dit, vous le verrez ; Comme elle vous en jugerez. Nous nous retrouverons quelqu'autrefois ensem-
ble. Mais, je vous prie, êtes-vous seul ici ? Nous n'allons que par compagnie : Apparemment les hommes vont ainsi ?
(à part.)
Où sont vos Compagnons ? Il me trouve jolie. Ils auront de bons yeux aussi.
OLINDE à part.
Ah, quel fonds de conquetterie !
(à Gnidie.)
Je suis arrivé seul.
GNIDIE.
Quoi, seul dans ce Palais ?
OLINDE.
Ouï, seul. Cela vous mortifie ? Pour la gloire de vos attraits C'est trop peu que de mon suffrage ?
GNIDIE.
Je ne dis pas cela ; mais enfin, je voudrois. ...
OLINDE.
Forcer tout à vous rendre hommage ?
GNI.
30Zénéïde.
GNIDIE.
La Fée approche ; adieu. Je vous quitte à regret.
(à part )
Je vois qu'il me trouve charmante. Courrons à Zénéïde apprendre ce secret ; J'en veux faire ma confidente.
SCENE X.
ZENEIDE, GNIDIE, LA FEE,
OLINDE,
ZENEIDE toujours masquée.
MAdame, il me trompoit ; il adore Gnidie.
(à Olinde. )
Ah, vous voilà ?
GNIDIE à Olinde.
Vous me trouvez jolie ? N'est-il pas vrai que vous me l'avez dit?
OLINDE froidement.
Je vous l'ai dit, & je vous le répéte.
ZENEIDE à la fée.
Même à mes yeux il me trahit !
OLINDE à Gnidie.
Votre figure est sans doute parfaite ; Pour la trouver ainsi le seul bon goût suffit.
GNIDIE à Zènéïde.
Eh bien, vous trompoïs-je, ma chère ? Allez, je fuis sûre de plaire; Et j'en crois mes attraits moins que votre dépit.
LA FEE.à Zénéïde.
Quoi, vous pleurez?
ZENEIDE.
Je fuis désespérée.
C 2OLIN-
36Zénéïde,
OLINDE.
Zénéïde !
ZENEIDE.
Que je la haïs !
LA FEE.
Ici toutes vivoient en paix ; Un jeune homme survient, la guerre est déclarée.
OLINDE.
Vous pouvez soupçonner ? ...
ZENEIDE.
Oh ! je vous connois bien. N 'esperez pas de me tromper encore. Mais quel est ce Portrait : C'est sans doute le sien ?
OLINDE.
C'est le Portrait de celle que j'adore.
GNIDIE d'un air reservé.
Quoi ! Madame, si-tôt vous a donné le mien ?
OLINDE.
Vous vous trompez ; & c'est celui d'une autre.
GNIDIE.
Il extravague ; & je n'y comprends rien.
ZENEIDE.
Mais ce Portrait, quel est-il ?
OLINDE.
C'est le vôtre.
ZE.
Comédie.37
ZENEIDE.
(Elle prend le Portrait.)
Le mien ? Je veux le voir,
LA FEE.
Il va lui faire peur.
ZENEIDE en jettant le Portrait.
O Ciel ! quelle est cette imposture ? C'est un vrai monstre de laideur.
OLINDE.
Mais point du tout.
ZENEIDE.
C'est elle, j'en suis sûre, Qui m'a joüé ce rout sanglant, Elle trouve son compte à m'avoîr enlaidie.
GNIDIE.
Je lui plais sans supercherie, Et je triomphe en me montrant.
OLINDE.
Enfin ce Portrait, je vous prie, Qu'a-t-il donc de si déplaisant ?
(Tendrement.)
Il est le vôtre ; & mon ame ravie...
ZENEIDE.
Finissez la plaisanterie.
OLINDE.
Je ne plaisante point.
ZENEIDE.
Quel procédé choquant !
C 3OLIN.
38Zénéïde,
OLINDE à la Fée.
Madame, expliquez donc...
LA FEE en riant.
Sur ce point important Nous n'entendons point raillerie.
ZENEIDE.
Je suis outrée ; & mon dépit. ...
LA FEE.
(à Zénéïde.)(à part.)
Calmez vous donc. Sa colére est plaisante.
GNIDIE ironiquement.
De quoi se fâche -t - elle ? On la trouve char-
mante.
OLINDE fâché, en montrant le Portrait.
Mais elle l'est sans contredit.
ZENEIDE.
Il me fait un outrage à chaque mot qu'il dit.
(à Olinde.)
C'en est trop. Je t'aimois...
LA FEE.
Souvenez vous d'Urgande.
ZENEIDE.
Il n'est plus rien que j'appréhende. Ouï, je t'aimois....
OLINDE.
Est-ce vous que j'entends ?
ZE.
Comédie.39
ZENEIDE.
Mais son orgueil, ta perfidie Change en haine pour toi mes tendres sentimens.
OLINDE.
Plutôt arrachez-moi la vie.
ZENEIDE.
Pour me venger en même tems De ta legéréte, de sa conquetterie, Regarde, ingrat; vois si Gnidie Auroit dù l'emporter sur moi.
(Elle se démasque.)
OLINDE reculant d'étonnement.
Que vois-je ? O Ciel !
ZENEIDE.
Sans doute Urgande m'a punie ; Je suis horrible, il recule d'effroi.
(à la Fée.)
Madame, suis-je bien affreuse?
LA FEEen riant
Un peu moins que votre Portrait,
OLINDE.
Est-ce une illusion flatteuse? Je n'ai rien vû de si parfait,
GNIDIE.
Le sot ! En ma présence il vante Zénéïde.
ZENEIDE.
Quoi, je ne suis point laide ?
C 4OLIN.
40Zèneïde,
OLINDE.
Ah ! Le jour est moins beau, Mais ces attraits, à l'Amour qui me guide, Ne prêtent point un feu nouveau.
ZENEIDE à la Fée.
Je l'aime, je l'ai dit, & je suis encor belle ! Il n'est donc point perfide.
LA FEE en riant.
Eh mais ... il le soûtient.
GNIDIE.
C'est maintenant qu'il le devient.
OLINDE à Zénéïde.
Madame est le témoin de mon ardeur fidèle.
ZENEIDE.
Mais Gnidie! ...
OLINDE.
Il est sûr que je n'aime que vous. Je vous le jure à vos genoux.
GNIDIE.
Quoi, vous changez ainsi ? Car vous m'avez ai-
mée.
OLINDE.
Sans que l'ame foit enflâmée, On peut loüer de bonne foi.
GNIDIE en sortant.
Ah, le volage !
SCENE XII. & DERNIERE.
LA FEE, ZENEIDE, OLINDE, LES
GENIES , la Troupe de jeunes Filles éle-
vées dans le Palais, accourent & dansent
UNE SUIVANTE DE LA FEE.
Cantatille.
L' Amour anime ces retraites. Déjà le son de nos Musettes Se relient des plaisirs dont jouït votre cœur. Ce Dieu charmant, dans les airs va répandre Une aimable & douce langueur Le souffle des Zéphirs embellit chaque fleur, Des Rossignols le ramage est plus tendre ; Tout exprime votre bonheur.
(On danse.)
UNE
Comédie.43
UNE SUIVANTE DE LA FEE.
Jeunes beautés, tout s'empresse à vous plaire ; Mais prévenez les ravages du tems. L'esprit, le cœur, le charme des talens Suspendent sa course légére, Et peuvent seuls prolonger vos beaux ans.
(On danse.)