Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Zénéïde,</em> comédie en un acte, en vers, avec un divertissement Cahusac (de), Louis (1706-1759) 1752 chargé d'édition/chercheur Macé, Laurence (édition scientifique) Laurence Macé CEREdI, UR 3229 - Université de Rouen-Normandie ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1752 Fiche : Laurence Macé CEREdI, UR 3229 - Université de Rouen-Normandie ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris, Bibliothèque nationale de France, 16-YF-1247 (1)
Chez J.P. Van Ghelen, Imprimeur de la Cour de Sa Majesté impériale et royale Français Chez J.P. Van Ghelen, Imprimeur de la Cour de Sa Majesté impériale et royale

Z É N É I D E ,

C O M É D I E.

En un Acte, en Vers, avec un Di- vertissement.

PAR.

Mr. DE CAHUSAC,

VIENNE EN AUTRICHE,

Chez JEAN PIERRE VAN GHELEN, Imprimeur de la Cour de sa Majesté Impériale & Royale.

MDCCLII.

ACTEURS.

LA FEE. ZENEIDE. GNIDIE. OLINDE.

Z É N É Ï D E ,

COMEDIE.

SCENE PREMIERE.

LA FEE, ZENEIDE.

LA FEE.

VOus voilà, Zénéîde, un peu dédommagée, De la retraite où vous vivez ici. Mais d'où naît le nouveau souci, Où votre ame plongée paroit plongée ? Je vous ai transportée en des lieux embellis Par l'Art, la Nature, & les Grâces : Et cependant dans vos yeux attendris, D'une vive douleur je retrouve les traces ? ... Vous soupirez ? Avouez franchement, Que la Fête pour vous avoit quelque agrêment. Le Bal vous amusoit ; ce Palais vous ennuïe.

A 2ZE.

4Zénéïde,

ZENEIDE.

Fée aimable, il est vrai : tous ces nouveaux ob' jets Avoient pour moi quelques attraits : Mais je vous ai d’abord suivie.

LA FEE.

J'en conviens ; mais en soûpirant, Vous regardiez, en le quittant, Avec des yeux de desir & d’envie, Ce Bal pour vous trop attrayamt. ... Zénéide, je vois votre ame toute nuë ; J’y lis des secrets dangereux, Qui se dérobent à vos yeux, Et qui tous ont frappé ma vûë.

ZENEIDE troublée.

O Ciel ! Qu'ai-je donc fait de mal !. Auprès de vous j’ai vû le Bal, Sur la Gradin, où vous m’aviez placée. C’est tout, je crois. . . .

LA FEE.

Et cet air de courroux, Que vous m'avez montré, quand je vous ai for- cée De garder ce masque jaloux, Qui malgré la foule empressée, Des curieux qui rodoient prés de nous, Et plus encore malgré vous, Aux regards vous tenoit cachée ?

ZENEIDE.

Il est vrai, vous m'avez fâchée. ..,. Et la chaleur du Bal. ...

LA

Comédie.5

LA FEE.

Vous ne la sentiez plus. Quand pour cette raison j'ai voulu disparoître ?

ZENEIDE vivement.

Mais pourquoi ces soins superflus ? Pourquoi refusez-vous de me faire connoitre ? Je vous dois tout ; & je ne vis jamais Ceux de qui le Ciel m'a fait naître ? C'est de votre pouvoir que je tiens mes attraits, Puis je trop chérir vos bienfaits ? M'en parer, c'est les reconnoître,

LA FEE.

Et vos vœux seroient satisfaîts, Si vous aviez fait voir cette reconnoissance, A ce jeune inconnu, dont l'aimable présence...

ZENEIDE.

Oh ! Madame, je sçais son nom.

LA FEE.

Sçait il le vôtre ? & de quelle façon Ma tendresse a pris soin d élever votre enfance ?

ZENEIDE.

Il m'a tout demandé ; mais avec tant d'instance...

LA FEE.

Que vous avez tout dit ?

ZENEIDE.

Olinde est si pressant, Il me prioit si me tendrement, Qu'il a vaincu ma résistance. Mais j'ai mal fait peut être ?

LA FEE.

Il est donc à vos yeux Bien intéressant, bien aimable ?

A 3ZE.

6Zénéïde,

ZENEIDE.

Madame, il est charmant.

LA FEE.

Peut-être clans ces lieux Il s'est montré dans un jour favorable : Et si vous le connoissiez mieux. . . .

ZENEIDE.

Il me plairoit sans doute davantage. Bien d'autres m’ont parlé ; mais leur air, leur langage, eur gayté, leur ton, & leurs soins, Leur empressement à me plaire, Ont justement fait le contraire. Ils avoient tant d'esprit ....

LA FEE.

Olinde en a-t-il moins ?

ZENEIDE.

Je ne sçai car je suis sincére) Mais avec lui je croyois en avoir. Quand je parlois, ses yeux me faisoient voir, Qu'il goutait un plaisir extrême. Tous les autres de bonne foi, Me paroissoient contens d’eux- méme mêmes ; Lui-seul ne l’étoit que de moi,

LA FEE.

Je le vois, il est tems de rompre le silence ; Votre sort va se déclarer. On peut souvent par la prudence Des astres corriger la maligne influence, L'éviter, ou la réparer. Et si votre bonheur n'est pas en ma puissance,

Je

Comédie.7

Je dois au vous moins vous éclairer. Dans un moment Olinde va paroître.

ZENEIDE.

Quoi, Madame, dans ce Palais ? ... Quoi, tout l'heure je verrois ?...

LA FEE.

Il vous verra trop tôt peut-être. Zénéïde, vous ignorez Que ce penchant qui vers lui vous entraîne, En le quittant cette cruelle peine, Ce plaisir à le voir que vous vous figurez, Tout ce ce que vous craignez, que vous désirez, Est le premier accès d'une passion vive Dont votre ame tendre & naïve Brûlera tant que vous vivrez. L'amour dans votre cœur en un mot, vient d'éclore.

ZENEIDE.

L'amour ! Seroit ce un mal ? Est-ce bien ? Je l'ignore.

LA FEE.

Il peut causer le malheur de vos jours.

ZENEIDE.

Vraiment ma frayeur est extrême.

LA FEE.

Mais si votre Olinde vous aime D'un amour qui dure toujours, Comptez sur un bonheur suprême Dont rien n'alterera le cours.

ZENEIDE.

Mais en ce cas l'Amour n'est pas si redouttable.

A 4LA

8Zénéïde,

LA FEE.

Vous sçavez, je le vois, que vous êtes aimable.

ZENEIDE.

Eh mais... Peut-être Olinde m'aimera.

LA FEE.

Puisqu’il est homme, il changera.

ZENEIDE.

Ah ! je n’en doute point, je serai malheureuse. Je ne sçaurai jamais changer.

LA FEE.

Ce n’est pas tout. Une loi rigoureuse Menace vos jours d'un danger Dont tout mon Art ne peut vous dégager. Apprenez des secrets que je ne dois plus taire. Dès que vous reçûtes le jour, ]’accourus ; je vous vis avec des yeux de Mere ; Et trop aveugle en mon amour, D’un préjugé fatal suivant l'extravagance, Pensant en femme enfin, je crus que la beauté Pour notre sexe étoit le bien par excellence, La suprême félicité. Ainsi j'épuisai ma puissance, Pour vous doüer de tous les vains attraits De la plus brillante figure. Tout mon art me servit pour embellir vos traits ; J’abandonnai le reste à la nature. La Fée Urgande en ce moment parut : Mon ame à son aspect s'émut ; Ses regards menaçans m'annonçoient sa colére.

,.Tu

Comédie.9

,,Tu connoitras un jour comme l'on doit aimer, (Me dit-elle d'un ton sévére) Par mes respects je crus en vain la désarmer. Elle approche de vous , vous touche , vous em- brasse ; J’ignore si c'étoit ou faveur , ou disgrace, Qu'Urgande alors versoit sur vous : Mais par les maux dont elle vous menace, Je dois juger de son courroux.

ZENEIDE.

Je tremble. Achevez, je vous prie, Quels malheurs ai-je à redouter ? Olinde, aurois-je à craindre pour ta vie ?

LA FEE.

Voici ses propres mots ; je vais les répéter. Zénéïde, tu seras belle ; Mais crains l'Amour : s'il blesse un jour ton cœur, Ta beauté deviendra laideur, Si tu ne plais à ton Amant sans elle.

ZENEIDE.

O Ciel ! Je deviendrois ?...

LA FEE.

Ouï, laide à faire peur.

ZENEIDE.

Olinde me trouverait laide ! Ah ! Qu'il ne vienne pas ; je mourroi de dou- leur.

LA FEE.

Au pouvoir de la Fée il faut que le mien céde. Et puisqu'Olinde vous a plû, Il faut le voir, &, s'il se peut, lui plaire, Comme Urgande l'a résolu.

A 5Sur

10Zénéïde, Sur votre amour sur tout, ayez soin de vous taire. Pour le projet que j’ai conçu C'est le point capital.

ZENEIDE.

Et le plus difficile. Car enfin, s’il m’aimoit, pourrois-je lui celer ? ... Je ne sçai point dissimiler, Ma bouche garderoit un silence inutile, Et malgré moi mes yeux sçauroient parler.

LA FEE.

Et la laideur ?

ZENEIDE.

Vous me faites trembler. Instruisez-moi ; que faut-il que je fasse ?

LA FEE.

Eh mais. . . . Votre état m'embarasse. Les hommes sont si dangereux ! Il est si mal-aisé d’en trouver un sincère ! Tel qui le paroît à nos yeux N'est qu’un fourbe qui cherche à plaire Avec des dehors spécieux. Le caprice régle leurs vœux, Ou la vanité les fait naitre. Volages, lngrats, Orguëilleux, Le cœur préfére au plaisir d’être heureux, Le faux honneur de le paroitre, Et le plus modeste d'entr’eux Sur cet article est Petit-Maître.

ZENEIDE.

Que c'est penser bien faussement !

Ah !

Comédie.11

Ah ! Si je joüissois du plaisir d'être aimée, Je sçaurois renfermer ce secret important Entre mon cœur, & mon Amant. Mais hélas, mon ame allarmée A d'autres soins doit se livrer ! Non, je ne dois plus espérer Un bonheur qui m'auroit charmée !

LA FEE.

Pourquoi non ? Il est un moyen.

ZENEIDE vivement.

Un moyen ? Quel est-il ?

LA FEE.malignement.

J'aurois quelqu'esperance Si par hazard Olinde pensoit bien, La chose seroit rare & passe l'apparence : Elle est possible cependant, On àa vu quelquefois la nature propice Faire par un heureux caprice Des miracles en se jouant.

ZENEIDE.

S'il pensoit bien enfin...

LA FEE.

Il ne vous a point vûë, Le masque a voilé vos attraits, Et cependant son ame s'est émûë ? Par ses adieux, par ses regrets, J'ai vû combien pour vous elle étoit prévenuë.

ZENEIDE.

Je m'en étois aussi bien apperçûë, D’ailleurs, ce qu’il m’a dit tout bas. ... Tous les hommes n'ont point cet air tendre & timide.

LA

12Zénéïde,

LA FEE.

A nous tromper ils trouvent tant d’appas, Que ce plaisir est le seul qui les guide.

ZENEIDE vivement.

Tenez, s’il en est un qui ne soit point perfide, gagerois qu’Olinde ne l'est pas.

LA FEE.

Eh bien, éprouvons sa tendresse. Gardez-vous de lui découvrir Combien pour lui votre cœur s'interesse. Et cependant pour obéïr Aux ordres absolus d'Urgande, A votre amant cachez votre beauté. Tâchez de l’enflammer comme elle. le commande. Que le masque avec fermeté Dérobe à ses regards. . . ..

SCENE II.

GNIDIE, en habit négligé. LA FEE,

ZENEIDE.

GNIDIE.

la Fée).

ZEnéide... Ah ! Madame, Pardonnez-moi. .... Je ne vous voyois pas.

LA FEE.

Qu'avez-vous donc ? D'où naît cet embarras ?

GNI-

Comédie.13

GNIDIE.

Rien n'est égal au trouble de mon ame. J'ai vû dans les Jardins... Son air est enchan- teur... Dieux ! Que sa figure est sa jolie ! Vous m'accusez peut-être de folie, .. Mais je l'ai vû, vous dis-je, & j'en crois bien mon cœur.

LA FEE.

Qui donc avez-vous vù, Gnidie ?

GNIDIE.

Un jeune homme charmant. Faut-il le répéter?

ZENEIDE à la Fée.

Ah ! C'est lui : je n'en pûis douter.

LA FEEà Gnidie.

Et vous auroit-il apperçûë ?

GNIDIE.

Je me flatte bien qu'il m'a vûë ; Mais je n'oserois l'assurer. Il étoit encor loin... j'étois si négligée.... J'ai fui pour aller me parer. Si j'eusse été mieux arrangée...

LA FEE.

J'entens ; vous auriez pris grand soin de vous montrer ?

GNIDIE vivement.

Pour le revoir je vais me préparer,

Zénéïde .)

Si je prenois l'habit & la coëffure Que je portois lorsqu'on me fit mon portrait ?

Je

14Zénéïde, Je préfére cette parure.

(à la Fée.)

Elle est de votre goût, &  me sied tout-à-fait. Adieu ; je vole àama Toilette.

SCENE III.

LA FEE, ZENEIDE.

ZENEIDE très-vivement.

AH! Madame, elle lui plaira. Deffendez lui. ...

LA FEE.

Quoi, ma fille, déjà Un soin jaloux vous inquiéte ? Rassurez-vous.

ZENEIDE avec dépit.

Sans ce masque importun ... Ou si Gnidie en avait un Je ne la redouterois guére : Mais elle est belle : elle voudra lui plaire ; Olinde verra ses appas. ...

LA FEE.

Qu'importe s’il vous aime ?

ZENEIDE

Il peut changer pour elle.

LA FEE.

Aux ordres d'Urgande, en ce cas, Il est aisé d'être fidelle. Vous serez belle, au moins.

ZE-

Comédie.15

ZENEIDE.

Et s’il ne m’aimoit pas, Que m'importeroit d’être belle ?

LA FEE.

J'entens du bruit.

ZENEIDE.

Le cœur me bat. C'est lui.

la Fée)

Quoi ! Vous m'abandonnez ;

LA FEE.

 Il vient. Soyez prudente. Vous m’entendez.

SCENE IV.

ZENEIDE seule, en remettant son masque.

HElas ! Je craignois auj'ourd’hui De le revoir trop tard au gré de mon attente ; Et maintenant inquiéte, tremblante. ...

SCE.

16Zénéïde,

SCENE V.

OLINDE, ZENEIDE.

OLINDE.

JE la revois !... Zénéïde, c'est vous ? Que ce moment est flatteur pour ma flâme ! Je soupirois après un bonheur ausi doux ; Et je sentois vers vous voler mon ame.

ZENEIDE à part.

Tout ce qu'il dit, je le ressens.

OLINDE.

Mais quoi ! Pour prix d'une ardeur aussi tendre Vous détournez de moi ces regards si touchans ; Vous paroissez ne pas m'entendre.

ZENEIDE en se retournant.

Pardonnez-moi, je vous entens.

OLINDE.

Que vois-je ? O ciel ! ce masque insupporta- ble A mon amour encor dérobe vos attraits ! Eh ! Ne dois-je vous voir jamais Que sous un voile impénétrable ?

ZENEIDE.

Hélas,! j'en suis fâchée ; & je desirerois Vous voir avec moins de mystére ; Mais....

OLINDE.

Eh bien ?

ZE-

Comédie.17

ZENEIDE.

Oh ! Je sçai me taire.

(à part, faisant un mouvement pour sortir.)

Il faut le fuïr ; je me perdrois. Avec trop de plaisir je sens que je l'écoute

Olinde.)

Olinde, laissez moi. Par une feinte ardeur. Vous voulez me tromper, sans doute.

OLINDE.

Moi vous tromper ;

ZENEIDE.

La Fée a, par bonheur, Eu l'attention de m'instruire. Ce désir curieux, ce langage flatteur, Sans elle auroient pû me sëduire... Encore un coup, Olinde, laissez-moi. Je sçai que l'homme le plus sage, Est ingrat, perfide, ou volage ; Et vous me manqueriez de foi.

OLINDE.

Ah, Zénéïde quel langage ! Un tel soupçon m'accable de douleur. On connoît peu les hommes à mon âge ; Mais croyez-en mon témoignage, Ils vous ont été peints avec trop de rigueur. Les vices ne sont point leur unique appanage : Quelques vertus parlent en leur faveur ; Et la confiance au moins doit être leur partage,. Si je juge d'eux par mon cœur. Daignez donc me rendre justice ; Arrachez ce masque odieux ;

BA mes

18Zénéïde, A mes désirs soyez enfin propice. Zénéïde, ces traits qui combleroient mes vœux, S'ils étoient offerts à mes yeux, Par vos refus font mon supplice. Est-ce par haine, ou par caprice, Que vous me rendez malheureux ?

ZENEIDE portant la maenmain à son masque.      (à part.)

Je céde à son ardeur extrême.

(retirant sa main avec précipitation.)

S'il me trompoit ! ... S'il se trompoit lui-mê- me ! ...

OLINDE.

Que vois je ? Ce trouble flatteur Vous parle-t-il en ma faveur ?

ZENEIDE.

(à part les deux premiers vers.)

Je ne sçais où j'en suis, & ma raison s'oublie. Ah, s'il s'apperçevoit ! .. . Me serois-je trahie ?

Olinde.)

Je ne vous aime pas, au moins.

OLINDE.

Je ne le vois que trop, ingrate, Je vous déplais ; vous rejettez mes soins ! ...

ZENEIDE.

Que dites, vous?

OLINDE.

Mon désespoir vous flatte, Vous me le faites trop sentir. Ouï, vous me haïssez.... Et bien, il faut vous fuïr.

ZE-

Comédie.19

ZENEIDE.

Mais je ne vous haïs point ; je le sçai bien, peut- être.

OLINDE.

Par mon amour laissez-vous donc fléchir.

ZENEIDE à part.

De mon secret mon cœur n'est plus le maî- tre.

Olinde.)

Olinde, vous m'aimez ?

OLINDE.

Pouvez vous en douter ?

ZENEIDE.

Prouvez-le moi par votre obéïssance.

OLINDE.

Commandez, je puis tout tenter.

ZENEIDE.

Je dois chachercacher mes traits ,& garder le silence.

OLINDE.

Ah Zénéïde, voulez-vous Désespérer un cœur qui vous adore ? Pourquoi voiler vos appas les plus doux ? Pourquoi ce masque que j'abhorre, Quand l'Amour seul est en tiers avec nous ?

(Il se met à genoux.)

Je vais mourir à vos genoux, Si je n'obtiens la faveur que j'implore.

ZENEIDE.

Ah !

B 2OLIN.

20Zénéïde,

OLINDE.

Ce soupir est-il favorable à mes feux ? Montrez-vous, & je suis heureux ; Cedez à mon impatience.

ZENEIDE.

(à part.)

Hélas ! S'ils sont tous si pressans, Contr'eux de quel secours peut-être la pru- dence ?

OLINDE

Ma chére Zénéïde ! ...

ZENEIDE.

Olinde !... Ah, quels momens !

OLINDE

Qu' ils seroient doux pour moi sans votre rési- stance !

( Il se leve pour lui oter son masque.)

Ah ! Permettez....

ZENEIDE

Non, je vous le défends.

OLINDE continuant.

O Ciel ! Quelle injuste défense !

ZENEIDE en se défendant.

Olinde, finissez

OLINDE avec plus d'ardeur.

Mes feux sont trop ardens Pour cet effort d'obéissance. Je meurs des transports que je sens.

ZENEIDE vivement.

C'en est trop ; arrêtez, ou craignez ma colère.

OLIN-

Comédie.21

OLINDE

Quoi ? Ne peut il m'être permis ? ...

ZENEIDE.

J'ai le courage nécessaire Pour me cacher, & pour me taire, Quand vous cessez d'être soumis.

OLINDE.

Vous le voulez ; malgré moi j'obéïs : Mais j'entrevois le fonds de ce mystére.

ZENEIDE.

Eh ! Qu'entrevoyez-vous ?

OLINDE à part.

Piquons sa vanité.

ZENEIDE.

Parlez.

OLINDE.

Puisque je suis forcé d'être sincère... On ne se cache point quand on a de quoi plaire.

ZENEIDE piquée.

Ainsi vous augurez fort mal de ma beauté.

OLINDE.

Mais sans le croire ... Je soupçonne...

ZENEIDE.

Fort bien ; j'entens cette sincérité.

(à part.)

Ah, si j'osois ! ... Mais non : du moyen qu'il me donne Profitons pour sonder les replis de son cœur.

(haut.)

Votre soupçon n'est que trop vérittable.

B 3OLIN.

23Zénéïde. Olinde, à cet aveu vous forcez ma candeur. Il est trop vrai, pour mon malheur, Que mes traits n'ont rien d'agréable. Voila tout mon secret.

OLINDE

Non je ne vous crois pas. Mon cœur me parle, il me peint vos appas ; Et c'est lui seul que j'en veux croire.

ZENEIDE.

Vos soupçons. ...

OLINDE.

J'espérois de vaincre vos refus, En intéressant votre gloire.

ZENEIDE.

Ils sont fondez.

OLINDE.

N'en parlons plus ; Ils étaient feints ; perdez en la mémoire.

ZENEIDE.

Ils n'ont pour moi rien d'offensant. La beauté me rendroit peu vaine : C'est une fleur qui flatte, & qui plaît un instant, Mais qui périt presque en naissant ; Et ma laideur ne me fait point de peine.

OLINDD.

Ah ! Vous avez beau dire, & je ne vous crois point ; Non la femme la plus sincère Ne le fût jamais sur ce point. La plus laide croit le contraire.

Vous

Comédie.22

Vous êtes belle, & très-sûre de plaire; Votre miroir vous l'a dit trop souvent : J'en jurerois, s'il étoit nécessaire, Sur votre discours seulement.

ZENEIDE.

Votre obstination m'éxcéde. Je me connois, apparemment, Et je vous dis que je suis laide. Plus de dispute, ou ... Je me fâcherai.

OLINDE.

Vous m'y forcez ; eh bien, je vous croirai.

ZENEIDE.

(à  part.)

Vous me croirez ! Il le pense, le traitre ?

Olinde, timidement.)

Et cet amour, qu'avoit fait naître Un vain phantôme de beauté, Dont votre cœur s'étoit flaté Avant que de me bien connoître, Apparemment va disparoître Avec l'erreur qui l'avoit enchanté ?

OLINDE.

Non. Mon amour sera toujours le même. Vous voulez en vain m'allarmer. Fussiez-vous laide.... Je vous aime, Et je ne cesserai jamais de vous aimer.

ZENEIDE.

Quoi ? Si j'étois d'une laideur extrême...

OLINDE.

Mais vous ne l'êtes point.

ZENEIDE.

Enfin si je l'étois !

B 4OLIN-

24Zénéïde.

OLINDE

Je sens que je vous aimerois,

ZENEIDE.

(à  part.)

Je jouis d'un bonheur suprême.

Olinde.)

Olinde, est - il bien vrai ? Ne vous trompez- vous pas ? D'un tel effort un homme est-il capable ?

OLINDE.

Soit que le masque favorable Vous préte à mes yeux des appas, Soit qu'il couvre un visage aimable, Par un penchant insurmonttable Auprès de vous je me sens arrêté, Ce son de voix, cette ingénuité, Vos grâces, votre esprit, ce soûrire agréable, Ces regards qui, malgré ce masque qui m'ac- cable, Portent le sentiment jusqu'au fond de mon cœur, Me font trop éprouver que leur appas vain- queur, Même sans la beauté vous rendroit adorable,

ZENEIDE.

C'en est assez ; je suis dans un ravissement. ... Olinde !... O Ciel ! Quelle est ma joie ! ... Je vais trouver la Fée ; il faut que je la voie. ... Olinde, attendez un moment.

OLINDE.

Ah ! Permettez-moi de vous suivre.

ZE-

Comédie.25

ZENEIDE.

Non demeurez ; je reviens à l'insant.

(Elle sort.)

(Au fond du Théatre, avant de sortir.)

Ne vous en allez pas, au moins.

SCENE VI.

OLINDE seul.

AH quel tourment ! Dans cet état je ne sçaurois plus vivre. Est-il bien vrai qu'elle ait dit son secret ? Seroit-elle laide en effet ? Qu'importe après tout ? je l'adore.... Pourvu qu'elle m'aime à son tour. ... Je lui ferai garder le masque tout le jour. ... Mais quelqu'un vient. ... Est-ce Venus, ou Flore ?

SCENE VII.

GNIDIE, OLINDE.

GNIDIE à part. C'Est lui-même ; approchons, qu'il puisse voir mes traits.

OLINDE à part.

Quelle parure, & quels attraits ! Que cet ajustement sied bien à son visage !...

B 5Zé-

26Zénéïde. Zénéïde sans ces aprêts Me plaît cependant davantage.

Gnidie)

On doit goûter ici le bonheur le plus doux, On doit y rencontrer tous les plaisirs ensemble, Si les objets divers que la Fée y rassemble, Sont tous aussi charmans que vous.

GNIDIE. Vous me trouvez donc bien ? Ah, qu'un homme est aimable ! Croiriez-vous que dans ce séjour Personne ne m'a dit encor rien de semblable ?

OLINDE.

On est donc peu galant.

GNIDIE. Et fort peu vérittable. La Fée a seulement des Femmes à sa Cour : Elles me controllent sans cesse. Venus viendroit qu'elles se croiroient mieux. Un rien aigrit leur esprit envieux, Et quelque chose en moi toûjours les blesse. Je leurs rends bien aussi tendresse pour tendresse, Et je les juge à la rigueur ; Sur ce point-la je n'ai point de scrupules. Par leur figure, ou leur humeur, Je les vois toutes, par bonheur, Sotes, laides, ou ridicules ; Et je les haïs de tout mon cœur.

OLINDE.

(à part.)

Le charmant naturel ! Elle ressemble aux autres ;

Elle

Comédie.27

Elle est, de plus, de bonne-foi.

Gnidie.)

Mais dans ce Palais, dites-moi, Ne voyez-vous de charmes que les vôtres ? N'est - il point quelque objet que vous puissiez louer ?

GNIDIE. Mais j'y vois tant de monde ; & d'ailleurs je suis bonne, ... Je suis pourtant contrainte d'avouër Que je n'y rencontre personne Dont les défauts ne frappent mes regards, La Fée est, par exemple, injuste, impérieuse ; Pour nous à tous momens elle manque d'égards. Floride que l'on vante, est belle, généreuse ; Et la taille majestueuse Au premier abord éblouït: Mais la voit-on de près, bien tôt le charme fuit. Un dehors aprêté cache une ame orguëilleuse ; Son ton rebute, choque, aigrit ; Elle est méchante, ingrate, dédaigneuse ; L'impertinence, en un mot, l'enlaidit. Ainsi des autres. La Nature De mille attraits en vain les embellit : Elles déparent leur figure Par les travers de leur esprit.

OLINDE.

Votre pinceau ne flatte guère.

GNIDIE. Il est moins malin que sincère. Je peins d'après l'original.

OLIN.

28Zénéïde.

OLINDE avec timidité.

Et Zénéïde ?

GNIDIE.

Eh mais ... elle est en droit de plaire, Je le trouve assez bien; son esprit est égal ; Elle a d'ailleurs un fort bon caractère.

OLINDE .

(à part,)

Elle est laide ; la chose est claire, Puisqu elle n'en dit point de mal.

Gnidie.)

Vous l'aimez donc beaucoup ?

GNIDIE.

Ouï, tout le monde l'aime.

OLINDE.

(à part.)

Voilà du moins mon goût justifïé.

GNIDIE.

La Fée a pour nous deux des momens d'amitié. Sa bonté pour lors est extrême. Peindre & broder font ses amusemens. Elle a voulu dans un de ses momens Faire mon Portrait elle même. Il est vraiment joli. Les Ornemens sur tout.... Je vous le ferai voir. Je vous crois de bon goût. Eh bien, dans ce Palais, soit basse jalousie, Ou défaut de discernement, La seule Zénéïde, ouï, seule exactement, Fut assez juste. ou bien assez polie, Pour me trouver encore plus jolie Que ce Portrait qu'on vantoit tant.

OLIN-

Comédie.29

OLINDE.

Sans doute elle fut juste autant que bonne amie : Et pour peu qu'il soit ressemblant....

GNIDIE.

Oh ! ce n'est pas en beau qu'il me ressemble. Je vous l'ai dit, vous le verrez ; Comme elle vous en jugerez. Nous nous retrouverons quelqu'autrefois ensem- ble. Mais, je vous prie, êtes-vous seul ici ? Nous n'allons que par compagnie : Apparemment les hommes vont ainsi ?

(à part.)

Où sont vos Compagnons ? Il me trouve jolie. Ils auront de bons yeux aussi.

OLINDE à part.

Ah, quel fonds de conquetterie !

Gnidie.)

Je suis arrivé seul.

GNIDIE.

Quoi, seul dans ce Palais ?

OLINDE.

Ouï, seul. Cela vous mortifie ? Pour la gloire de vos attraits C'est trop peu que de mon suffrage ?

GNIDIE.

Je ne dis pas cela ; mais enfin, je voudrois. ...

OLINDE.

Forcer tout à vous rendre hommage ?

GNI.

30Zénéïde.

GNIDIE.

La Fée approche ; adieu. Je vous quitte à regret.

(à part )

Je vois qu'il me trouve charmante. Courrons à Zénéïde apprendre ce secret ; J'en veux faire ma confidente.

SCENE VIII.

OLINDE seul.

Que Zénéïde est différente ! Les qualités du cœur sont les seuls vrais tré- sors : Sans elles, la beauté cesse d'être piquante.

SCENE IX.

LA FEE, OLINDE.

LA FEE en entrant.

J'Ai pour un tems retenu ses transports, Je veux le voir moi-même, avant qu'elle s'ex- pose...

OLINDE.

De mes chagrins vous connoissez la cause. Le pouvoir de votre Art sans doute dans mon cœur

VOUS

Comédie.31

Vous fait lire comme moi-même. Vous voyez mon amour extrême. J'attends de Zénéïde & de vous mon bonheur.

LA FEE.

Je vous ai transporté dans ce séjour aimable Dans le dessein de vous unir tous deux. Espérez tout, si d'un amour durable Vous tentez les sincères feux.

OLINDE.

Quoi ! je pourrois me flatter d'être heureux...

LA FEE.

J'ignore si pour vous son ame s'intéresse. Il me suffit, pour vous unir, De connoître votre tendresse. Zénéïde est bien née, & sçaura m'obéïr.

OLINDE.

Ah ! Madame, qu'osez-vous dire ? Sa main est le seul bien que mon ame désire, Mais de votre Pouvoir (en dussai-je périr) Je n'attens point le bonheur où j'aspire Ce n'est que de son cœur que je veux l'obtenir.

LA FEE.

J'aime à trouver en vous cette délicatesse. Mais examinez-vous. Parlez-moi franchement. Zénéïde a de la jeunesse, Des grâces, de l'esprit, beaucoup de sentiment ? Mais voilà tout: & sa laideur est telle. .... .

OLINDE.

Elle est donc laide, absolument ?

LA

32Zénéïde.

LA FEE.

Ouï : je vous en ferois un Portrait infidelle Si je la peignois autrement.

OLINDE.

Avec de si beaux yeux peut-on n'être pas belle !

LA FEE.

Mais d'où naît cet étonnement ? Sur ce point elle a dù vous parler sans mystère.

OLINDE.

Ah ! je ne sçai. Mon amour se flattoit. ... J'espérois qu'elle me trompoit. Sur sa laideur, êtes-vous bien sincère ?

LA FEE.

Vous en serez sans doute révolté.

OLINDE.

Non. Ses grâces, son caractère, M'ont séduit ; j-en suis enchanté. Et dans le fonds, la solide Beauté N'est autre que le Don de plaire. Qu'elle paroisse donc ; & je vais à vos yeux Lui consacrer mon amour & ma vie.

LA FEE.

Si vous voyez avant !... Oui...ce seroit bien mieux. J'ai sur moi son Portrait.

OLINDE avec empressement.

Madame, je vous prie, Permettez-moi de la voir un instant.

LA.

Comédie.33

LA FEE.

(à part.)

Tenez. II va subir une épreuve cruelle ; Mais le bonheur de tous deux en dépend.

OLINDE presque effrayé.

Que vois-je ? O Ciel ! Est ce bien elle ?

LA FEE malignement.

Elle est flattée un peu ; mais un Peintre prudent Doit quelquefois embellir son Modelle.

OLINDE.

Et ce Portrait, dites-vous ; est flatté ?

LA FEE.

Sans doute. Eh quoi ? Déjà vous voilà rebuté ? A vos transports un froid mortel succéde ?

OLINDE.

Il faut en convenir, je la croyois moins laide.

LA FEE.

Je vous l'avois bien dit ; ses traits sont odieux.. Avouez maintenant que cette ardeur si tendre Est déja loin...

OLINDE.

Ce sont pourtant ses yeux ; Et tous ses traits, à le bien prendre, Ne sont point mal.

LA FEE.

Mais l'ensemble est affreux.

C OLIN-

34Zénéïde.

OLINDE.

Affreux ? C'est trop. Sa laideur....

LA FEE.

OLINDE.

Elle n'a rien dans le fonds de choquant.

LA FEE.

> Quoi ? Vous trouvez...

OLINDE.

Et j'y remarque même Quelque chose d'assez piquant. Examinez, Madame, cette bouche.

LA FEE.

La bouche est assez bien.

OLINDE.

Mais je vous dis fort bien. Elle a ce sourire qui touche Qu'on ne peut comparer qu'au sien.

SCE.

Comédie.35

SCENE X.

ZENEIDE, GNIDIE, LA FEE, OLINDE,

ZENEIDE toujours masquée.

MAdame, il me trompoit ; il adore Gnidie.

Olinde. )

Ah, vous voilà ?

GNIDIE à Olinde.

Vous me trouvez jolie ? N'est-il pas vrai que vous me l'avez dit?

OLINDE froidement.

Je vous l'ai dit, & je vous le répéte.

ZENEIDE à la fée.

Même à mes yeux il me trahit !

OLINDE à Gnidie.

Votre figure est sans doute parfaite ; Pour la trouver ainsi le seul bon goût suffit.

GNIDIE à Zènéïde.

Eh bien, vous trompoïs-je, ma chère ? Allez, je fuis sûre de plaire; Et j'en crois mes attraits moins que votre dépit.

LA FEE.à Zénéïde.

Quoi, vous pleurez?

ZENEIDE.

Je fuis désespérée.

C 2OLIN-

36Zénéïde,

OLINDE.

Zénéïde !

ZENEIDE.

Que je la haïs !

LA FEE.

Ici toutes vivoient en paix ; Un jeune homme survient, la guerre est déclarée.

OLINDE.

Vous pouvez soupçonner ? ...

ZENEIDE.

Oh ! je vous connois bien. N 'esperez pas de me tromper encore. Mais quel est ce Portrait : C'est sans doute le sien ?

OLINDE.

C'est le Portrait de celle que j'adore.

GNIDIE d'un air reservé.

Quoi ! Madame, si-tôt vous a donné le mien ?

OLINDE.

Vous vous trompez ; & c'est celui d'une autre.

GNIDIE.

Il extravague ; & je n'y comprends rien.

ZENEIDE.

Mais ce Portrait, quel est-il ?

OLINDE.

C'est le vôtre.

ZE.

Comédie.37

ZENEIDE.

(Elle prend le Portrait.)

Le mien ? Je veux le voir,

LA FEE.

Il va lui faire peur.

ZENEIDE en jettant le Portrait.

O Ciel ! quelle est cette imposture ? C'est un vrai monstre de laideur.

OLINDE.

Mais point du tout.

ZENEIDE.

C'est elle, j'en suis sûre, Qui m'a joüé ce rout sanglant, Elle trouve son compte à m'avoîr enlaidie.

GNIDIE.

Je lui plais sans supercherie, Et je triomphe en me montrant.

OLINDE.

Enfin ce Portrait, je vous prie, Qu'a-t-il donc de si déplaisant ?

(Tendrement.)

Il est le vôtre ; & mon ame ravie...

ZENEIDE.

Finissez la plaisanterie.

OLINDE.

Je ne plaisante point.

ZENEIDE.

Quel procédé choquant !

C 3OLIN.

38Zénéïde,

OLINDE à la Fée.

Madame, expliquez donc...

LA FEE en riant.

Sur ce point important Nous n'entendons point raillerie.

ZENEIDE.

Je suis outrée ; & mon dépit. ...

LA FEE.

Zénéïde.)(à part.)

Calmez vous donc. Sa colére est plaisante.

GNIDIE ironiquement.

De quoi se fâche -t - elle ? On la trouve char- mante.

OLINDE fâché, en montrant le Portrait.

Mais elle l'est sans contredit.

ZENEIDE.

Il me fait un outrage à chaque mot qu'il dit.

Olinde.)

C'en est trop. Je t'aimois...

LA FEE.

Souvenez vous d'Urgande.

ZENEIDE.

Il n'est plus rien que j'appréhende. Ouï, je t'aimois....

OLINDE.

Est-ce vous que j'entends ?

ZE.

Comédie.39

ZENEIDE.

Mais son orgueil, ta perfidie Change en haine pour toi mes tendres sentimens.

OLINDE.

Plutôt arrachez-moi la vie.

ZENEIDE.

Pour me venger en même tems De ta legéréte, de sa conquetterie, Regarde, ingrat; vois si Gnidie Auroit dù l'emporter sur moi.

(Elle se démasque.)

OLINDE reculant d'étonnement.

Que vois-je ? O Ciel !

ZENEIDE.

Sans doute Urgande m'a punie ; Je suis horrible, il recule d'effroi.

(à la Fée.)

Madame, suis-je bien affreuse?

LA FEEen riant

Un peu moins que votre Portrait,

OLINDE.

Est-ce une illusion flatteuse? Je n'ai rien vû de si parfait,

GNIDIE.

Le sot ! En ma présence il vante Zénéïde.

ZENEIDE.

Quoi, je ne suis point laide ?

C 4OLIN.

40Zèneïde,

OLINDE.

Ah ! Le jour est moins beau, Mais ces attraits, à l'Amour qui me guide, Ne prêtent point un feu nouveau.

ZENEIDE à la Fée.

Je l'aime, je l'ai dit, & je suis encor belle ! Il n'est donc point perfide.

LA FEE en riant.

Eh mais ... il le soûtient.

GNIDIE.

C'est maintenant qu'il le devient.

OLINDE à Zénéïde.

Madame est le témoin de mon ardeur fidèle.

ZENEIDE.

Mais Gnidie! ...

OLINDE.

Il est sûr que je n'aime que vous. Je vous le jure à vos genoux.

GNIDIE.

Quoi, vous changez ainsi ? Car vous m'avez ai- mée.

OLINDE.

Sans que l'ame foit enflâmée, On peut loüer de bonne foi.

GNIDIE en sortant.

Ah, le volage !

SCE-

Comédie.41

SCENE XI.

LA FEE, ZENEIDE, OLINDE.

ZENEIDE.

ET le Portrait ?

LA FEE.

C'est moi Qui voulois l'eprouver. Cessez d'être allarmée. Heureusement, mes soins ont réüssi.

OLINDE.

Eh pourquoi m'éprouver ainsi ? Quoi ! Votre art dans les cœurs ne vous fait - il pas lire ?

LA FEE.

Mon art est soumis à l'Amour. Mais ne songeons plus en ce jour Qu'à couronner les feux qu'il vous inspire,

ZENElDE.

Je puis donc, sans trembler, vous aimer, vous le dire ?

OLINDE.

Je vous adore ; & vos divins appas Sont de nouveaux biens que j'admire : Mais je ne les desirois pas.

LA FEE à Olinde.

Votre ame s'est rendue à des charmes durables : Ceux qu' offre la beauté sont bien moins dési- rables, Et s'envolent avec les ans.

DUN

42Zénéide, Un solide bonheur sera votre partage ; Et l'Amour, de vos cœurs guidant les sentimens, Triomphera jusqu'au déclin de l'âge Et de l'habitude & du tems.

LA FEE continue.

Qu'à ma voix ces Lieux s'embellissent ! Vous, qui vivez heureux sous mes commande- mens, Venez, rassemblez-vous ; que vos chants applau- dissent A la félicité de ces tendres Amans !

SCENE XII. & DERNIERE.

LA FEE, ZENEIDE, OLINDE, LES GENIES , la Troupe de jeunes Filles éle- vées dans le Palais, accourent & dansent

UNE SUIVANTE DE LA FEE.

Cantatille.

L' Amour anime ces retraites. Déjà le son de nos Musettes Se relient des plaisirs dont jouït votre cœur. Ce Dieu charmant, dans les airs va répandre Une aimable & douce langueur Le souffle des Zéphirs embellit chaque fleur, Des Rossignols le ramage est plus tendre ; Tout exprime votre bonheur.

(On danse.)

UNE

Comédie.43

UNE SUIVANTE DE LA FEE.

Jeunes beautés, tout s'empresse à vous plaire ; Mais prévenez les ravages du tems. L'esprit, le cœur, le charme des talens Suspendent sa course légére, Et peuvent seuls prolonger vos beaux ans.

(On danse.)

VAUDEVILLE.

Quand la beauté seule séduit, On s'aime un jour, puis on languît ; L'Amour s'envole, on se déteste. Mais quand le cœur cède aux talens, Au caractére, aux sentimens, Le tems seul fuït, & l'Amour reste. Contre ses parens révolté, Damon, d'une Idole enchanté, Va prononcer un oui funeste. Mais les charmes qui l'ont séduit, Bien-tôt se fanent, l'Amour fuït, Et par malheur la Femme reste. „ A la Cour j'ai de bons amis, „ Je suis sûr du Seigneur Damis ; Disoit un Financier modeste. Damis épuise le crédit, L'argent s'eéclipse l'ami fuït, Et par malheur la dette reste.

On

44Zénéide, Comédie.

On croit triompher d'un Amant ; On lui résiste, on se défend : Mais c'est en vain que l'on conteste ; L'Amour de ces combats sourit, Le moment vient ; la raison fuït, Et le Galant obstiné reste. Quand le Parterre s'assoupit, La Piéce tombe, l'Auteur fuït, L'envieux rit, & l'Acteur peste. Mais quand le Public applaudit, L'Auteur se montre, l'Acteur rit, L'Envieux fuït, la Piéce reste.

(Contre-Danse.)

   
                                   

F I N.