Transcription Transcription des fichiers de la notice - M. Zola décoré Alexandre, Arsène 1884-07-11 chargé d'édition/chercheur Macke, Jean-Sébastien PARIS
http://eman-archives.org
1884-07-11
https://www.retronews.fr/journal/l-evenement-1872-1956/11-juillet-1884/1787/3140921/1
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M. Zola décoré

Il faut avoir absolument envie d’être fixé sur la grave question de savoir si M. Zola sera ou non décoré, ou tout au moins d’échapper quelques heures au vent de la fournaise qui souffle par les rues, pour faire une visite à Médan.

Bien que je n’aie eu que le plaisir de voir M. Zola, sans l’attendre beaucoup, je puis affirmer en tous les cas, à ceux de mes confrères qui cherchent la note fraîche, qu’elle existe sur la route de Médan à Poissy. On ne se figure pas assez qu’il y a des arbres aux environs de Paris, et que dans ces arbres il y a des oiseaux.

C’est à peu près ce que j’ai découvert de plus intéressant en allant voir le grand-prêtre du naturalisme.

Si la mode des sous-titres n’était pas un peu vieillotte, il faudrait intituler ceci : M. Zola décoré, ou Attendons le 14 juillet. C’est du moins le conseil que nous a donné le romancier. Nous attendrons. Mais comme ce sera long !

Toutefois, comme il est assez admis maintenant de rédiger, sous le nom d’interviews, des récits qui se bornent à ceci bien développé : — Monsieur, que pensez-vous de telle chose ? — Monsieur, je n’en pense rien, ou — monsieur, je ne veux pas vous le dire. — Bien, monsieur, je rapporterai vos paroles.

Exécutons-nous.

Pour ceux de nos lecteurs qui n’ont pas vu M. Zola chez lui ou qui n’ont pas lu de description de sa retraite, cela peut se faire un peu de mots.

Il est impossible en entrant là de se figurer qu’on va se trouver chez un romancier, et naturaliste encore. C’est plutôt la maison d’un bonnetier misanthrope et admirateur du grand siècle. — Ainsi nommait-on le siècle de Louis XIV quand nous étions en rhétorique.

Nous prenons bonnetier comme nous aurions pris n’importe quel type de bourgeois, ne voulant dire aucun mal de ce sexe à qui nous devons le gilet de tricot.

C’est en effet une maison carrée, avec des arêtes en briques, surmontée, si nous avons bonne mémoire, d’une balustrade en pierre. On s’étonne de ne pas découvrir dans le jardin une ou des statues en plâtre de Galants Jardiniers qui iraient avec le reste. Quant à l’épithète de « misanthrope », elle est justifiée par la difficulté d’accéder à cette retraite. Il n’y a pas de station à Médan, il faut descendre à Villennes. Comme il existe à la gare Saint-Lazare un bureau spécial de renseignements, on vous recommande de prendre votre billet pour Poissy, ce qui vous force à faire une heure de chemin en campagne. Mais, je le répète, il faisait frais et il n’y avait que demi-mal.

Pour l’admiration professée par M. Zola à l’égard du siècle de Louis XIV, elle éclate absolument dans la disposition d’un grand jardin, qu’on dirait dessiné par un Le Nôtre quelconque. Pourquoi seulement n’y a-t-il point d’ifs ?

Les habitants de Médan peuvent se diviser en deux partis : ceux qui connaissent M. Zola et ceux qui ne le connaissent pas. C’est à ces derniers que je me suis adressé tout d’abord, aussi n’ai-je trouvé qu’à grand’peine.

Enfin, à travers une grille, il m’a fallu d’abord interviewer la cuisinière de M. Zola.

— Monsieur ne pourra sans doute pas vous recevoir, il a quelqu’un.

Cependant je suis introduit dans une salle de billard pseudo-japonais. Aux murs un portrait de Flaubert, une sanguine de Watteau, un cadre réunissant les principaux interprètes de l’Assommoir, la Gueule d’Or en tête, puis des fusils et encore des fusils.

Au bout de quelques instants, j’entends siffler une fanfare de chasse, la porte s’ouvre, et M. Zola, en veston de coutil et en espadrilles, l’heureux homme ! me demande le but de ma visite.

C’est sur ces mots pleins de mystère que j’ai quitté M. Émile Zola, qui a continué, en s’en allant, à siffler sa fanfare de chasse.

Puis, lorsque, après cette bonne promenade, j’ai vu au retour la gare Saint-Lazare avec ses portefaix, ses cochers, ses filles… et sa poussière brûlante, j’ai pensé : « Qu’est-ce que cela peut donc nous faire, après tout, et à M. Zola lui-même, qu’il soit décoré ou non, quand les merles de Poissy chantent si bien, et qu’il y a tant de coquelicots dans les champs qui jaunissent ? »

Arsène Alexandre