Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Le Matin</em>, 27 avril 1885 Non signé 1885-04-27 chargé d'édition/chercheur Hirchwald, Gabrielle (édition scientifique) Gabrielle Hirchwald (ATILF-CNRS) ; projet Entretiens d'écrivains dans la presse (1850-1914) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1885-04-27 Fiche et transcription : Gabrielle Hirchwald (ATILF-CNRS) ; projet Entretiens d'écrivains dans la presse (1850-1914) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
<span class="mgAbYb RES9jf pb3iw OSrXXb">À</span> la veille de la reprise de <em>L'Arlésienne</em> à l'Odéon, 13 ans après sa première représentation, cette interview de Daudet est l'occasion de faire le point sur la carrière du romancier. Français <span class="mgAbYb RES9jf pb3iw OSrXXb">À</span> la veille de la reprise de <em>L'Arlésienne</em> à l'Odéon, 13 ans après sa première représentation, cette interview de Daudet est l'occasion de faire le point sur la carrière du romancier.
ALPHONSE DAUDET
UNE CONVERSATION AVEC L’AUTEUR DE SAPHO

Le mouvement littéraire Le nouveau logis de Daudet À propos de L’Arlésienne Souvenirs du Vaudeville Le nouvel ouvrage de Daudet Résurrection de Tartarin

On reprend à l’Odéon, cette semaine, L’Arlésienne, d’Alphonse Daudet, et ce sera une véritable curiosité littéraire que la résurrection de cette pièce, dont la chute, en 1871, sans être aussi tapageuse que celle d’Henriette Maréchal, donna lieu à de vives controverses.

Après la reprise si heureuse du drame des frères de Goncourt, il est tout naturel que M. Porel, le nouveau directeur de l’Odéon, dont les tentatives littéraires sont vraiment intéressantes, ait songé à L’Arlésienne, qui ne méritait certes pas la destinée que lui fit jadis l’indifférence du public.

Pensant qu’à la veille de cette première, nos lecteurs seraient heureux d’avoir, de la bouche même de Daudet, quelques détails intéressants sur le passé de son œuvre, un rédacteur du Matin est allé trouver hier l’auteur de Sapho.

Alphonse Daudet, depuis deux mois, a abandonné son appartement de l’avenue de l’Observatoire, — où il habita si longtemps. Il occupe maintenant, 31, rue de Bellechasse, dans la même maison que le duc de La Rochefoucauld, un grand appartement situé au troisième étage. Des fenêtres, le regard embrasse les vastes jardins qui s’étendent derrière les hôtels du vieux faubourg. Daudet peut se croire là bien loin de Paris, et travailler avec de la verdure à perte de vue, et des oiseaux qui viennent gazouiller jusque sur son balcon.

Le poète des Amoureuses a été très malade cet hiver, il a beaucoup souffert d’une maladie nerveuse assez grave, compliquée de rhumatismes, et son visage est fort amaigri.

Mais il va beaucoup mieux maintenant, et, déjà presque tout à fait guéri, s’est remis avec ardeur à une œuvre nouvelle.

Alphonse Daudet, quittant pour un instant sa table de travail, nous a reçu dans son cabinet, immense pièce, avec une haute cheminée, quelques tapisseries, et des rayons de livres qui vont du plancher au plafond.

L’Arlésienne au Vaudeville

— Vous venez me parler de la reprise de ma pièce, nous dit-il, tout d’abord. Je vous avoue que je n’ai fait que l’autoriser, et que je n’ai encore assisté à aucune répétition. J’ai même, à l’égard de mon œuvre, une peur bizarre : c’est pour moi comme un être qu’on a beaucoup chéri, et qu’au moment de revoir on craint de ne plus aimer tout à fait autant.

Car L’Arlésienne est une œuvre que j’ai longtemps caressée, pour laquelle je me suis vivement passionné, et qui m’a donné de cruelles désillusions.

Quand Carvalho, alors directeur du Vaudeville, joua mon drame, et qu’il le monta avec ce soin artistique qu’il sait mettre dans tout, j’avoue que j’eus les plus douces espérances.

Ma pièce, d’ailleurs, fut merveilleusement jouée ; entre autres souvenirs qui me sont restés de ces jours de lutte, je me rappelle que c’est un peu moi qui ai donné à Mlle Bartet la première occasion de se produire.

On avait fait défiler devant moi bien des jeunes filles, et toujours je disais : — Non, pas celle-là !

Mlle Bartet parut, elle dit quelques mots, je fus charmé, et je la voulus.

On eut beau m’objecter qu’elle était maigre, qu’elle manquait de bras, je la voulus obstinément, car j’avais compris le charme de sa voix. Bien m’en prit, d’ailleurs, car elle fut parfaite.

Bizet écrivit la musique.

— Tout d’abord il ne devait y avoir dans L’Arlésienne qu’un air provençal. Bizet fut chargé de l’orchestrer, puis, peu à peu, il en vint à faire cette musique charmante, qui sera certainement un des grands attraits de la reprise.

Mais jadis, malgré la musique, malgré l’interprétation, ma pauvre Arlésienne n’eut pas la faveur du public. Vingt mauvaises représentations, et ce fut tout. C’était, pour moi, la moisson espérée s’en allant en fumée.

Accablé, n’ayant plus ni force ni courage, je restai à la campagne jusqu’au mois de décembre.

Et cela eut une influence décisive sur toute ma vie. Je venais d’avoir un échec à L’Ambigu avec un grand drame en sept tableaux, Lise Tavernier, je n’eus plus l’énergie de continuer à me donner presque exclusivement au théâtre. C’est ainsi que Fromont jeune, qui dans ma pensée ne devait être qu’une pièce dont j’avais même conçu le plan pendant les répétitions de L’Arlésienne, devint un roman.

Je ne sais quel accueil le public fera cette fois à mon œuvre. Tout ce que je sais, par exemple, c’est que Porel fera tout pour la faire réussir. Car il vient de nous prouver dans Henriette Maréchal qu’il est un des premiers, sinon le premier, entre tous les metteurs en scène de ce temps.

En contant tous ses déboires, toutes ses désespérances de naguère, l’écrivain si fêté aujourd’hui par le public avait un accent de profonde mélancolie. C’est qu’elles laissent au cœur des cicatrices que rien ne peut effacer, ni les joies ni les triomphes, ces heures douloureuses de la jeunesse, où l’on a souffert des injustices et des lâchetés jalouses.

Les nouvelles œuvres

Puis la conversation s’engagea entre le rédacteur du Matin et le célèbre romancier, sur les œuvres qu’il prépare, sur ses travaux actuels.

Cet hiver, je n’ai pu travailler beaucoup ; cependant j’ai déjà presque terminé un nouvel ouvrage ; encore une semaine de travail et j’aurai fini.

— Ce nouvel ouvrage est sans doute votre roman sur l’Académie, dont vous m’avez parlé dans une conversation publiée dans Le Matin, au moment où vous veniez de déclarer que jamais vous n’iriez vous asseoir sous la coupole de l’Institut ?

— Non, j’ai interrompu ce livre. Une Société d’éditeurs est venue me trouver et m’a demandé un ouvrage. J’ai cédé, et j’ai ressuscité Tartarin de Tarascon. Et c’est comme cela qu’au moment même où je souffrais d’atroces douleurs, j’ai écrit un livre de rire. Sera-t-il bon ? Je ne sais, malgré tout le soin que j’y ai mis. On ne rit plus d’aussi bon cœur quand on a passé la quarantaine.

— Nous allons donc revoir Tartarin ?

— Oui, Tartarin en Suisse, où une délégation de Tarasconnais ira solennellement le chercher. J’ai fait même une charge assez vive contre la Suisse.

— Et le roman sur l’Académie ?

— Je vais m’y remettre bientôt. Déjà j’ai fait tout le plan du livre, car je ne saurais travailler sans avoir d’abord conçu, agencé, non seulement les grandes lignes, mais encore les détails mêmes d’une œuvre, et cela chapitre par chapitre, presque page par page.

Daudet nous montra alors un épais cahier dont les pages couvertes de son écriture droite et fine contenaient le scénario détaillé, minutieux, du livre qu’il écrit en ce moment. Quelle somme de travail, de recherches, représente un roman de Daudet !

En lisant ces pages où les mots chantent comme une musique, où ce millionnaire prodigue dépense sans compter son esprit ou son cœur, le lecteur ne sait pas ce qu’a coûté de dur labeur ce livre qui charme son ennui un jour ou deux !

La vérité dans l’art

Des œuvres futures de Daudet, nous en vînmes à parler des derniers volumes parus et du mouvement de la littérature de ce temps.

Avec quelle verve ce brillant écrivain, qui sait être aussi un fin critique, mais un critique bienveillant, parlait des livres des autres ! Depuis Germinal, que Daudet appelle un beau et grand livre, jusqu’à la dernière œuvre de Maupassant, il passait tout en revue, affirmant seulement ce qui est sa foi : la vérité dans l’art.

Pour Daudet, comme pour Zola, comme pour Goncourt, cette trinité de grands esprits et de maîtres écrivains qui a rénové le roman moderne, l’idéal c’est la vérité.

Mais il faut s’entendre sur le sens de ce mot, la vérité. Pour chercher le vrai, pour le trouver, il ne suffit pas de photographier les choses sans leur donner la couleur de la vie, il faut encore que le scalpel de l’artiste ou de l’écrivain sache fouiller le cœur et le cerveau pour y prendre toute la brutalité des passions humaines, sans doute, mais aussi toute leur grandeur idéale.

Daudet a peur des œuvres trop savamment construites, dont la charpente est trop parfaite, trop régulière, dont la logique est trop serrée, trop vigoureuse.

— C’est, dit-il, un écueil sur lequel les meilleurs, parfois, viennent échouer, car la vie n’a pas cette régularité architecturale ; les événements ne suivent pas toujours la logique d’Aristote.

Il constate avec satisfaction que l’art moderne, réellement, a suivi l’impulsion que lui ont donné les passionnés de vérité ; que les préventions passent et que les fausses pudeurs ne se voilent pas trop longtemps la face.

— Bientôt, nous disait-il en riant, on sera obligé de convenir que Sapho est un livre très chaste.

NON SIGNÉ