Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Le Matin</em>, 4 février 1887 Non signé 1887-02-04 chargé d'édition/chercheur Hirchwald, Gabrielle (édition scientifique) Gabrielle Hirchwald (ATILF-CNRS) ; projet Entretiens d'écrivains dans la presse (1850-1914) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1887-02-04 Fiche et transcription : Gabrielle Hirchwald (ATILF-CNRS) ; projet Entretiens d'écrivains dans la presse (1850-1914) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
<div style="text-align: justify;"><span class="uit-field ">Durant l'année 1886-1887, Daudet conçoit <em>Nord et Midi</em> qui deviendra <em>Numa Roumestan</em> comme le roman éponyme dont est tirée la pièce.<br /><span jsname="r4nke" class="JCzEY tNxQIb" style="transform: translate3d(0px, 0px, 0px);"><span class="CSkcDe">L'œuvre est représentée à l'Odéon le 15 février 1887.</span></span></span></div> Français <div style="text-align: justify;"><span class="uit-field ">Durant l'année 1886-1887, Daudet conçoit <em>Nord et Midi</em> qui deviendra <em>Numa Roumestan</em> comme le roman éponyme dont est tirée la pièce.<br /><span jsname="r4nke" class="JCzEY tNxQIb" style="transform: translate3d(0px, 0px, 0px);"><span class="CSkcDe">L'œuvre est représentée à l'Odéon le 15 février 1887.</span></span></span></div>
NUMA ROUMESTAN

Conversations avec M. Alphonse Daudet et M. Porel Changements de noms Les Roumestan et les Valmajour Une nouvelle œuvre annoncée Les types de M. Daudet

La pièce de M. Alphonse Daudet devant être représentée dans une dizaine de jours au théâtre de l’Odéon, nous nous sommes rendu chez l’auteur de Numa Roumestan pour lui demander quelques détails sur sa nouvelle comédie.

— Vous arrivez bien, nous a dit M. Alphonse Daudet, quand nous sommes entré dans son cabinet de travail ; voyez cette volumineuse correspondance que je n’ai fait encore que parcourir ; toutes ces lettres me viennent de gens de la province, de Paris même, qui me signifient, d’une façon plus ou moins courtoise, d’avoir à changer quelques noms de mes personnages. Le Matin a été le seul journal qui ait parlé de la protestation de M. Bachellery. J’ai hâte de vous dire que, sur la prière de M. Kaempfen, directeur des Beaux-Arts, j’ai changé le nom de M. Bachellery en Dachellery. L’incident est clos, comme on dirait à la Chambre ; mais je ne puis m’expliquer que M. Bachellery ait attendu si longtemps pour faire sa réclamation. Aux autres réclamants, je n’ai pas répondu ; j’ai reçu des lettres de plus de six Roumestan, de je ne sais combien d’Espinassous et de Valmajour. C’est à en perdre la tête ; à chaque nouvelle édition de mes romans, vous trouverez des noms changés, et quand je tire une pièce d’un de mes ouvrages, les réclamations recommencent de plus belle. Au fond, tout cela, croyez-le bien, n’est que du cabotinage.

Mais parlons de Numa Roumestan. Je sais combien le public est friand de ces racontars autour d’une pièce de théâtre ; j’appellerai cette curiosité : la folie française.

Les suites d’une répétition

— J’étais bien décidé, l’année dernière, à prendre un repos absolu, — je souffre encore de douleurs atroces, surtout par ces temps brumeux, et j’alterne avec les douches et la morphine ; voilà mon lot, — lorsqu’un jour on me pria d’assister à une répétition de Renée Mauperin, je vis Porel, avec qui je suis intimement lié ; il me parla du succès qu’il avait eu avec mon Arlésienne, et me demanda une autre pièce pour son théâtre, où j’avais été si bien accueilli ; bref, Porel m’enjôla, j’avais respiré l’air du théâtre, j’étais perdu. Le lendemain, je me mis au travail, et, vingt-quatre jours après, Numa Roumestan était terminé.

Ce qu’est devenu le roman

Nous avons demandé au maître si sa pièce diffère beaucoup du roman.

— J’ai donné à ma comédie, a répondu M. Daudet, une tendance plus parisienne ; j’ai modifié également les passages un peu tristes qui étaient dans le roman, non pas pour que le public se retire tranquillisé sur le sort de mes personnages, mais pour qu’il y ait plus d’unité de ton et d’action. Ainsi, j’ai supprimé Bompard, qui aurait détonné ; le rôle de Valmajour est considérablement écourté, mais, par contre, j’ai beaucoup développé celui de la tante Portal, qu’interprétera l’excellente Mme Crosnier.

Maintenant, je vous dirai que si Bompard ne figure pas dans Numa Roumestan, on le reverra plus tard, dans une pièce que je commencerai bientôt, et qui aura pour titre : Bompard et Tartarin.

Une clé

Nous avons également demandé à M. Daudet si, en écrivant Numa Roumestan, il n’avait pas pris Gambetta pour modèle.

— Mais non, je vous assure ; qu’il y ait une certaine ressemblance physique entre Gambetta et Roumestan, qu’il ait la même exubérance de parole, je ne puis le cacher ; mais Roumestan est un Méridional, et dans le Midi ils sont tous ainsi. Au reste, je compte écrire une préface sur ce sujet, et relever aussi quelques erreurs que le public a commises en mettant des noms sur un certain nombre de mes personnages. Ainsi n’avait-on pas dit, et je l’ai beaucoup regretté, que Cardailhac était le portrait de Carvalho , tandis que j’ai voulu plutôt reproduire Roqueplan. Comme je ne fais mes types que d’après nature, toujours, je ne comprends guère qu’on puisse s’y tromper, d’autant plus que je crois les faire assez ressemblants.

M. Alphonse Daudet nous a dit être enchanté de la bonne volonté et du zèle de ses interprètes.

— Certes, a-t-il ajouté, si Adolphe Dupuis avait quinze ans de moins, c’est lui que j’aurais choisi pour jouer Roumestan, ou bien Porel, si la grandeur ne le retenait pas dans la coulisse, car l’interprétation compte beaucoup dans le succès d’une pièce et les auteurs sont souvent fort embarrassés pour choisir ; mais, en somme, je suis tranquille pour le résultat final : chacun de nous a fait son devoir, le public jugera selon son opinion, ou plutôt, selon celle des autres, comme cela arrive la plupart du temps.

« <placeName>Nord</placeName> et <placeName>Midi</placeName> »

Il avait été question un moment de changer la titre de la pièce, et nous l’avons rappelé à M. Daudet.

— C’est vrai, nous a-t-il répondu, je voulais d’abord intituler mon roman : <placeName>Nord</placeName> et <placeName>Midi</placeName>, comme je voulais nommer mon héros Marestin ; mais Roumestan m’a paru sonner mieux, et, le roman ayant été publié sous ce titre, Porel et moi avons été d’avis de le laisser à la pièce.

M. Alphonse Daudet nous a dit encore avoir fait beaucoup de becquets pendant les répétitions et s’en être bien trouvé, car ce n’est que sur la scène qu’on peut se rendre compte de certains effets.

— Le théâtre, a-t-il dit, est la littérature debout, et le roman, la littérature assise ; je crois cette comparaison juste, je m’en suis rendu compte en travaillant à ces deux genres de littérature.

M. Alphonse Daudet nous a tenu pendant plus d’une heure sous le charme de sa parole chaude et vibrante. En prenant congé de lui, nous nous sommes rendu à l’Odéon.

Les décors

Le directeur de l’Odéon est aux anges : il est enthousiasmé de la pièce et ravi de ses interprètes : aussi s’est-il mis en frais pour monter la comédie de son ami Daudet avec le plus de luxe possible.

Il y a cinq décors nouveaux brossés par MM. Rubé, Chaperon, Jambon et Lemeunier.

Au premier acte, la scène se passe à Aps. Le décor (de M. Lemeunier) représente l’entrée de l’arène.

Au fond, une grande tente cache l’arène ; quand on soulève cette tente, on aperçoit les spectateurs, on entend les cris des marchands d’orange, d’aqua fresca, etc. Tableau très animé et tout ensoleillé.

Le second acte se passe dans le cabinet de Roumestan, décor de MM. Rubé, Chaperon et Jambon. Dans cet acte M. Mounet (Roumestan) chantera le duo de Mireille, avec Mlle Cerny (la petite Dachellery).

Troisième acte, le bal, décor de MM. Rubé,Chaperon et Jambon ; salon resplendissant de lumière. M. Porel a exigé que les invités de cette fête fussent représentés par tout le personnel masculin et féminin du théâtre. Ces demoiselles ont quelque peu protesté et pleuré ; l’une d’elles a même préféré se retirer que de paraître en scène sans avoir rien à dire ; mais, en somme, le calme s’est rétabli assez vite, surtout quand Porel a promis que chacune de ses pensionnaires aurait une superbe toilette.

À ce tableau, le directeur de l’Odéon va tenter un essai : il voudrait ne pas baisser la toile quand Roumestan et les invités ont quitté le bal : les lumières s’éteindraient peu à peu, la scène resterait dans une demi-obscurité, et le jour poindrait ensuite au retour de Roumestan qui aurait été absent pendant trois heures. Si cet essai ne réussit pas, Porel ajoutera un tableau.

La mise en scène

Le quatrième acte se passe chez le président Le Quesnoy. Salon style Louis XIII, à l’aspect sévère ; deux invités sont à une table de jeu ; grande fenêtre, au fond, ornée de riches tentures. Dans cet acte a lieu la belle scène entre Rosalie Roumestan (Mlle Sisos), Mme Le Quesnoy (Mme Favart) et le président Le Quesnoy (M. Talien).

Au cinquième acte, nous sommes de nouveau dans le Midi, chez la tante Portal. Grande pièce avec un balcon, sur lequel Roumestan haranguera la foule. Une chaise longue, à gauche, sur laquelle est étendue Hortense Le Quesnoy (Mlle Lainé), et le berceau du petit Roumestan. C’est l’acte de la réconciliation et du triomphe de Roumestan devenu ministre. Ce tribun, qui ne pense pas quand il ne parle pas, est accueilli avec un enthousiasme tout méridional par ses compatriotes ; la foule lui fait une ovation et l’appelle à grands cris : Zou, zou, zou, avant, avant, Roumestan, au balcon. Roumestan s’avance au balcon et prononce une courte allocution.

Daudet n’a pas manqué une seule répétition, nous a dit Porel, et l’assiduité, le zèle de mon personnel est vraiment exemplaire. Sauf le petit incident pour la figuration dans le troisième acte, tout a marché avec une entente, un ensemble parfait. Je tiens à répéter ce mot d’ensemble, parce que dans la pièce il n’y a pas de rôle qui en écrase un autre ; aucun n’a été écrit pour tel ou telle artiste, Daudet ne s’est occupé que de l’unité, de l’« ensemble » de son œuvre, dans laquelle les scènes gaies ne manquent pas et d’où l’amertume a été abolie.

Nous pouvons ajouter, pour finir, et en même temps pour confirmer les paroles de M. Porel, que l’intéressante Hortense Le Quesnoy ne meurt pas, dans la pièce.

NON SIGNÉ