Transcription Transcription des fichiers de la notice - Ceux qui ne sont pas bacheliers Hutin, Marcel 1897-02-01 chargé d'édition/chercheur Macke, Jean-Sébastien (édition scientifique) PARIS
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1897-02-01 Fiche : Gabrielle Hirchwald (Atilf) & Jean-Sébastien Macke (ITEM), projet Entretiens d'écrivains dans la presse (1850-1914) 
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5297818
<div style="text-align: justify;">Dans l'interview suivante accordée à <persname key="#MARCEL_HUTIN.">Marcel Hutin, Daudet et </persname><persname key="#ÉMILE_ZOLA" type="auteur">Zola </persname>se trouvent tous deux associés dans l'échec au baccalauréat comme dans le succès littéraire. L'auteur de <em>L'Assommoir</em> se concentre davantage sur l'examen qu'il a présenté deux fois alors que Daudet n'a jamais terminé le lycée.</div> <div style="text-align: justify;">Ces interviews croisées permettent de connaître le point de vue de deux écrivains à l'occasion d'une énième réforme du baccalauréat relative à la composition du jury et au livret scolaire, proposée par Rambaud, ministre de l'instruction publique. Daudet et Zola critiquent le baccalauréat dont l'organisation ne permet pas de reconnaître la valeur des candidats.<br />La remise en cause de l'examen lui-même, remplacé par un contrôle continu des connaissances acquises au cours de l'année, fait écho à nos interrogations modernes en matière d'éducation.</div> Français <div style="text-align: justify;">Dans l'interview suivante accordée à <persname key="#MARCEL_HUTIN.">Marcel Hutin, Daudet et </persname><persname key="#ÉMILE_ZOLA" type="auteur">Zola </persname>se trouvent tous deux associés dans l'échec au baccalauréat comme dans le succès littéraire. L'auteur de <em>L'Assommoir</em> se concentre davantage sur l'examen qu'il a présenté deux fois alors que Daudet n'a jamais terminé le lycée.</div> <div style="text-align: justify;">Ces interviews croisées permettent de connaître le point de vue de deux écrivains à l'occasion d'une énième réforme du baccalauréat relative à la composition du jury et au livret scolaire, proposée par Rambaud, ministre de l'instruction publique. Daudet et Zola critiquent le baccalauréat dont l'organisation ne permet pas de reconnaître la valeur des candidats.<br />La remise en cause de l'examen lui-même, remplacé par un contrôle continu des connaissances acquises au cours de l'année, fait écho à nos interrogations modernes en matière d'éducation.</div>
CEUX QUI NE SONT PAS BACHELIERS
Pourquoi M. Alphonse Daudet ne s’est pas présenté

— ... Parfaitement, me dit en souriant, l’auteur du Trésor d’Arlatan, je suis un des rares « pistolets » qui osent avouer ouvertement qu’ils ne sont pas bacheliers. Demander à un monsieur s’il est bachelier, mais c’est s’exposer à une réponse analogue à celle que vous recevriez d’une femme à qui vous demanderiez son âge ! Horreur !

Tenez ! je vais vous citer un exemple frappant : il existe à l’heure actuelle en France un très gros personnage, un homme tout à fait éminent, un garçon qui a fait une carrière superbe, qui a été un représentant remarquable de la France à l’étranger, mais il n’est pas bachelier.

J’eus l’occasion de le connaître à ses débuts et c’est moi qui, sous l’Empire, le présentai à un ministre des affaires étrangères.

— Il est bachelier, au moins ? dit le ministre.

— Comment donc, monsieur le ministre, répondis-je avec un fier aplomb. Qui est-ce qui n’est pas bachelier ? Certainement, il l’est !

Le jeune homme ne sourcilla pas. Et cependant, il ne l’était pas.

— Et le nom de cet ancien ambassadeur, de ce gros personnage qui n’est pas bachelier ?

— Ah ! non. Je ne puis vous le dire. Je suis persuadé qu’il serait fâché qu’on sût la vérité. Non, cherchez si vous voulez, moi je n’en dirai pas plus. Je voulais simplement préciser le cas qu’on fait encore du parchemin.

— Et vous, pourquoi n’êtes-vous pas bachelier ?

— Vous me demandez de compléter l’histoire du Petit Chose. C’est bien simple. J’ai été au collège de Nîmes jusqu’à la classe de sixième. De la sixième jusqu’à la philosophie, je restai au lycée de Lyon. À cette époque, le baccalauréat n’était pas scindé en deux parties et on le passait à la fin de la philosophie.

Je finissais donc ma philosophie lorsque la détresse s’abattit sur ma famille si cruelle, si grande que chacun de nous dut se séparer. Il y avait une place de pion vacante dans un collège du Midi. On y connaissait ma famille, et grâce à quelques protections on me prit comme pion. Je me dis en quittant, avec le regret que vous devinez, mes camarades du lycée de Lyon : « Je vais pouvoir économiser les cent francs nécessaires pour payer les frais de l’examen ! »

Je restai pion un an. Durant cette année, passée comme maître-répétiteur, je déclare n’avoir pas pu arriver à mettre de côté les cent francs qui m’auraient permis d’aller à Montpellier subir les épreuves du baccalauréat. J’étais bien jeune alors, n’ayant pas encore atteint l’âge de seize ans, et j’avoue sans honte que, mal nourri, je portais de fréquentes brèches aux quarante-cinq francs en faisant des stations chez le concierge, détenteur de petits gâteaux et friandises beaucoup plus convoités que le sacro-saint diplôme. Quand j’eus enfin les fameux cent francs, ma résolution fut vite prise : je partis pour Paris.

Cette fois, c’est bien décidé, me jurai-je à moi-même. Je vais passer mon bachot à Paris et me préparerai ensuite à Normale où brillèrent Prévost-Paradol, Taine, About, Sarcey et tant d’autres. Le professorat me tentait.

En débarquant à Paris j’avais dix-sept ans, dont une passée comme pion, et j’apportais un petit volume, Les Amoureuses, qui fut imprimé tout de suite. Cela se passait en 1857, il y a juste quarante ans !

Pourquoi ai-je encore retardé mon examen à Paris ? Dame ! c’est que si j’avais les quarante-cinq francs comme pion, en province, je ne les avais plus, hélas à Paris. Vous raconter comment j’ai vécu à Paris me paraît, encore aujourd’hui, douloureux.

C’est mon frère aîné Ernest qui payait mes repas à seize sous, c’est lui qui subvenait à mes besoins et demandait le crédit dans notre pauvre hôtel. J’avais tous les trois mois un article au Figaro de Villemessant, qu’on me payait à raison de quinze centimes la ligne, un autre au Monde illustré, deux sous la ligne, et enfin au Musée des familles, tarifié à peu près de la même façon. Le reportage n’existait pas alors ! Et avec ces ressources il s’agissait de vivre...

Ah ! il était loin le bachot.

— Et qu’ont dit de tout cela vos professeurs de Lyon ? Vous ont-ils oublié ? Étiez-vous mauvais élève ?

— Si peu que mon professeur de rhétorique, M. Hignard, a fait l’année dernière, comme professeur de Faculté en retraite, une conférence sur moi, à Cannes : quant à mon professeur de philosophie qui s’appelait Gunet — le père Gunet, avec sa grosse figure, ressemblait à Socrate — il vint m’offrir, deux ou trois ans après mon arrivée à Paris, un dîner superbe chez Véfour.

— Votre opinion sur le bachot alors ?

— Eh bien ! On devrait être bachelier de droit quand on a été bon élève. Vous connaissez mes navrants commencements. Malgré les efforts de mes parents, malgré l’estime de mes professeurs, j’ai dû renoncer au diplôme, à cause de la taxe. Quand on a fait des études sérieuses dans des écoles estampillées par le gouvernement, le certificat d’études devrait remplacer le baccalauréat. Voilà mon avis !

Pourquoi M. Émile Zola a été « retoqué »

M. Zola n’est pas bachelier.

— Oui, j’ai été « retoqué » : on ne sait pas en général cette histoire. Elle est vieille, en somme, et remonte à près de quarante ans. La voici, si elle vous paraît amusante.

C’était en 1859. J’avais dix-neuf ans. Après avoir fait de bonnes études au collège d’Aix-en-Provence, j’étais venu à Paris pour les achever, au lycée Saint-Louis.

Après deux années passées en seconde et en rhétorique-sciences, je me suis présenté au baccalauréat en Sorbonne.

Eh bien ! j’avais été reçu a l’écrit. Mes compositions n’avaient pas paru trop mauvaises. Mais à l’oral, va te faire lanlaire ! Boule noire en histoire, boule noire en allemand, boule noire en littérature française. Il n’en fallait pas davantage pour être impitoyablement refusé.

— D’où provenaient ces mauvaises notes ?

— Mon Dieu ! j’étais tout simplement devenu à Paris un élève très indépendant, je dirai même carrément un mauvais élève : oui, un mauvais élève, beaucoup plus versé dans la lecture de Rabelais, de Victor Hugo, que soucieux de mes examens.

Je me rappelle qu’en histoire, au baccalauréat, j’ai fait naître Charlemagne dans les environs de 1548 ; l’allemand, je ne savais même pas le lire ; quant à la littérature, mes examinateurs m’avaient « collé » sur les fables du bon La Fontaine, et je n’étais pas fichu de commenter proprement Les Animaux malades de la peste.

Dame ! que voulez-vous ? Je ne reçus que de mauvaises notes. Il faut vous dire également qu’il existait à cette époque entre les professeurs de lettres et les professeurs de sciences une certaine rivalité, une animosité réelle.

La partie littéraire exigée des candidats au baccalauréat ès sciences — dont j’étais — n’était pas bien considérable ; eh bien ! Les examinateurs se montrèrent beaucoup plus difficiles, beaucoup plus exigeants vis-à-vis de nous que vis-à-vis des candidats bacheliers ès lettres.

Aussi, voyant qu’avec mes boules noires j’allais être infailliblement perdu, après avoir eu de bonnes notes en sciences, mes professeurs allèrent-ils trouver leurs collègues qui m’avaient octroyé un trio de boules noires pour les supplier de changer une noire en rouge. Avec deux noires et une rouge j’étais sauvé ! Eh bien ! Rien n’y fit. Les examinateurs restèrent irréductibles, et je fus ajourné !

— Cela dut vous faire une peine énorme !

— Pas du tout ! Qu’est-ce que ça pouvait bien me faire ! À ce moment-là, j’étais pauvre, obligé de soutenir par mon travail ma vieille mère et je ne me souciais pas de m’ouvrir une carrière à l’aide d’un diplôme. Je ne me représentai plus, du reste, au baccalauréat.

— Alors que pensez-vous de la réforme projetée actuellement par le grand-maître de l’Université ?

— Que voulez-vous ? Nous les poètes, les auteurs dramatiques, les romanciers, nous n’avons pas besoin de bachot, pas besoin de parchemin officiel. Alphonse Daudet, François Coppée ne sont pas, que je sache, bacheliers. Cela les empêche-t-il d’être de grands écrivains ? Eh bien, alors...

Je vous répondrai donc, sans entrer dans des discussions pédagogiques, que toutes les réformes propres à éliminer la « veine » des examens doivent être approuvées et soutenues. Mais je trouve un peu exagérée la prétention d’examinateurs, quelque indépendants et érudits qu’ils puissent être, de connaître après deux heures d’examen écrit et un quart d’heure d’oral les aptitudes et les connaissances d’un candidat qui a huit ans d’études scolaires derrière lui... Et puis, entre nous, ce n’est pas le diplôme qui fait l’homme.

MARCEL HUTIN