On discute en ce moment la question de savoir s’il est bon d’admettre les femmes comme internes dans les hôpitaux. Cette question ne passionne pas seulement le monde médical : elle a été portée devant le grand public par un certain nombre de chroniqueurs qui ont pris feu pour ou contre l’internat.
Nous devons donc la traiter à notre tour. Mais nous avons pensé qu’avant tout, il fallait consulter les hommes qui se sont toujours préoccupés du sort des femmes et donc l’opinion en ces matières fait autorité.
Voici les différentes réponses qui nous sont parvenues :
Monsieur,
Enfermer les femmes ou les laisser libres ; tel est le dilemme.
Je songe. La femme enfermée — Mystère.
La femme libre - Espoir.
Allez !
Je serre votre main loyale.
Monsieur et cher confrère,
Vous me demandez si l'on doit admettre les femmes au concours de l'internat dans les hôpitaux.
Oui, cent fois oui.
Pourquoi exclurait-on ce sexe charmant à qui nous devons, je ne dirai pas seulement notre mère, — ce mot a été répété bien des fois, — mais encore nos femmes, nos sœurs, et j'ajouterai… — puisque je m'adresse à un journal que la galanterie n'effraye pas outre mesure, — j'ajouterai : nos maîtresses !
Pourquoi ne pas associer les femmes à nos devoirs comme nous les associons à nos plaisirs ?
Je suis donc pour les internes-femmes ; mais à une condition :
C'est qu'elles sauront lire.
Les femmes ne savent pas lire, pas plus que les hommes, encore moins que les hommes.
Et savez-vous pourquoi ?
C'est parce qu'elles ne savent pas ponctuer. Les femmes ne ponctuent jamais ; pour elles, les mots écrits se suivent comme les paroles dites : sans une interruption, sans un soupir !
Permettez-moi de vous raconter, à ce propos, une petite anecdote qui vous édifiera mieux que toutes les dissertation possibles.
C'était en 1849. Je faisais répéter
— Eh bien, me dit-il, vous avez vu ma protégée ?
— Non, répondis-je, mais je crois bien qu'elle ne fera pas l'affaire.
— Pourquoi ?
— Parce qu'elle ne sait pas lire.
— Elle ne sait pas lire ?
— Non, pas du tout !
— Mais vous me dites que vous ne l'avez pas vue !
— Je n'ai pas eu besoin de la voir.
Eh bien, il faut que les femmes sachent lire, surtout lorsqu’elles se vouent comme les sœurs de charité, les gardes-malades et les femmes-médecins, au soulagement et à la consolation des malades. Il faut qu'aux heures où ceux-ci souffrent le plus cruellement elles puissent leur faire la lecture. La lecture ! Mais c'est le remède à tous les maux, le pansement le plus sûr et le plus facile, c'est l'oubli, c'est le rêve, c'est presque le bonheur !
Donc, prenez des femmes comme externes ou comme internes, pour n'importe quoi et n'importe comment, - mais apprenez-leur à lire !
Compliments sympathiques,
Cher confrère,
Des femmes-internes, dites-vous ? Des femmes qu'on relèguerait dans les hôpitaux, au milieu de toutes les pourritures, dans le sang et dans la sanie ? Ah ! fi !... fi donc !
Ce n'est pas un bistouri qu'il faut aux femmes, c'est la baguette d'or des fées, c'est une écharpe de soie et de gaze, ce sont des perles et des roses, des jasmins et des saphirs, des lilas et des rubis !
Je le dis en prose ; je pourrais aussi bien le dire en vers. Mais on m'assure que vous n'aimez pas les vers. C'est dommage. J'ai fait beaucoup de sonnets dans ma jeunesse, j'en fais encore ; j'adore les sonnets comme j'adore les femmes, comme j'adore les fleurs. Les femmes, les fleurs et les parfums ! Ah ! les parfums !... Avez-vous lu mon meilleur livre : Les mains pleines de roses, pleines d'or et pleines de sang ? C'est moi-même — moins le sang. J'ai horreur du sang. C'est pour cela que votre proposition me révolte. Des femmes-chirurgiennes !... Quelle profanation ! Qu'on me cache cet horrible ttableau ; qu'il disparaisse sous les fleurs ; apportez des fleurs, beaucoup de fleurs, toutes les fleurs !
Je vous baise les mains, cher confrère,
Monsieur,
Comment pourrais-je me prononcer sur la question si délicate que vous me faites l'honneur de me soumettre, quand tant d'hommes plus compétents que moi hésitent à donner leur avis ?
Ceux qui n'hésitent pas sont divisés. Ne lisais-je pas ce matin même dans l'excellente
Et j'interviendrais entre ces deux savants, moi pauvre homme de lettres, simple sénateur ? Je me ferais de nouveaux ennemis, quand j'ai déjà à lutter contre les champions qu'on m'oppose chaque jour dans la presse et ailleurs ?
En vérité, monsieur, vous vous faites une trop haute idée de mon influence et de mes forces. Je ne puis plus mettre au service de la liberté que les restes d'une ardeur qui ne s'est pas encore tout à fait éteinte et les vœux d'une conscience qui n'a jamais faibli ! Croyez-le bien, et croyez-moi aussi, monsieur,
Votre serviteur tout dévoué,
Mon cher confrère,
Vous pouvez dire hardiment que j'approuve l'internat. Quels inconvénients y voit-on ? Veut-on encore cacher la vérité ? Craint-on d'apprendre aux femmes ce qu’elles devraient savoir mieux que nous ?
Elles le savent d'ailleurs ou elles le devinent. Qu'on ne fasse donc pas semblant de ménager leur prétendue pudeur. Cette hypocrisie m'écœure et m'enrage.
Il faut tout dire. Je l'ai prouvé en écrivant la
À vous,
Très drôle, mon vieux, votre idée des femmes-internes. Il y a une pièce là-dedans. Si vous voulez, nous la ferons ensemble.
Pas maintenant ! Oh ! non !... En ce moment je suis trop occupé : je fais répéter les trois actes du petit
Voilà comment l'affaire s'est emmanchée. Elle réussira, j'en réponds. Je ne veux pas dire du mal de
Donc, c'est convenu, hein ? Nous faisons les Femmes internes. Voyez-vous cela aux
Poignée de main,
Nous avons reçu encore d'autres lettres non moins intéressantes et signées de noms tout aussi illustres.
Mais la place nous manque. Nous les publierons ultérieurement, s'il y a lieu.