LA MORT D’
EDMOND DE GONCOURT
Le corps d’Edmond de Goncourt est resté jusqu’à hier dans la villa de Champrosay où la mort est venue le surprendre.
Mme Daudet avait disposé partout des roses, la fleur préférée de l’écrivain.
La mise en bière a eu lieu à trois heures et demie.
Avant cette formalité, le cadavre avait été photographié.
Le cercueil placé dans un fourgon des pompes funèbres a été transporté à cinq heures à la villa d’Auteuil où il demeurera jusqu’à l’heure des obsèques. On sait que le corps du célèbre romancier sera inhumé au cimetière de Montmartre, dans le caveau où reposent déjà, depuis 1870, les restes de son frère.
Edmond de Goncourt n’avait plus que de rares parents. M. Lefebvre de Béhaine, notre ancien ambassadeur au Vatican, était de tous le plus proche. Il a été prévenu par dépêche de la mort de son cousin. Les amis, par contre, étaient nombreux, et les télégrammes affluent à Champrosay. Voici celui d’Émile Zola, un des premiers reçus :
Le testament d’Edmond de Goncourt sera ouvert avant les obsèques, qui n’auront pas lieu probablement avant lundi. Les exécuteurs testamentaires seraient MM. Alphonse et Léon Daudet.
Voici d’ailleurs ce qu’a dit à ce sujet M. Alphonse Daudet :
— Edmond de Goncourt m’avait désigné déjà, il y a quatre ans, comme exécuteur testamentaire avec un autre de ses amis. Mais il se brouilla depuis avec ce dernier, et il m’avertit dernièrement qu’il l’avait remplacé par mon fils aîné.
Revenant sur le projet qu’avaient conçu les Goncourt de fonder leur académie :
— Maintes fois, dit M. Alphonse Daudet, j’essayai de dissuader Edmond de donner suite à ce projet, au moins comme il le comprenait. Vous voulez, lui disais-je, élever votre académie comme une adversaire de l’Académie française. Pourquoi ne créez-vous pas plutôt une sorte de Table Ronde, un dîner des Goncourt, dont les convives, choisis comme vous le désirez, discuteront les mérites de l’écrivain qu’on voudra récompenser chaque année ?
Mais Goncourt résistait.
— Je veux, répliquait-il, que cette maison soit telle que mon frère et moi l’avions rêvée. C’est ainsi qu’elle sera.
— De ceux qu’il choisit, je connais au moins quelques-uns. Veuillot y figura, puis Zola, Cladel, Pierre Loti.
Chaque fois qu’un de ceux qu’il m’avait désignés l’abandonnait en quelque sorte pour se présenter à l’Académie française, sa tristesse s’augmentait. Ainsi, pour Loti, dont je rédigeai moi-même la demande, adressée à Camille Doucet.
Et il y a quelques jours encore, sur la foi de ce que racontaient les journaux, ne crut-il pas que j’allais, moi aussi, suivre le même chemin ?
— Mais, mon ami, lui répondis-je, n’êtes-vous pas le premier à qui j’aurais parlé d’un projet de ce genre, si j’y avais pu songer ? N’est-ce pas à vous d’abord que j’aurais demandé conseil ?
Cela le tranquillisa un peu.
Toujours sa préoccupation maîtresse fut d’assurer à la fondation les ressources qui lui seraient nécessaires.
— Je n’ai pas le sou, disait-il souvent.
— Mais chaque fois qu’il lui survenait quelque argent, il l’employait aussitôt à enrichir ses collections, à grossir la dot de la future académie.
Rien n’aurait pu l’empêcher de collectionner toujours. Son goût infaillible d’amateur de bibelots anciens lui permit, d’ailleurs, d’acquérir des merveilles pour des sommes souvent dérisoires.
Qu’était auprès de cela le souci de s’assurer une vieillesse tranquille ? L’idée même de mariage, que nous lui suggérâmes, ne l’attira pas ; il refusa toujours de s’en occuper, malgré tous nos efforts.
La villa de Champrosay, où a succombé Edmond de Goncourt, est la même qu’a décrite Alphonse Daudet dans ses ouvrages.
Une grande fête devait y réunir avant-hier les amis de la famille Daudet. Edmond de Goncourt, quoique souffrant, se proposait d’y assister.
La mort, on le voit, en a décidé autrement.
NON SIGNÉ