Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Le Matin</em>, 7 septembre 1893 Non signé 1893-09-07 chargé d'édition/chercheur Hirchwald, Gabrielle (édition scientifique) Gabrielle Hirchwald (ATILF-CNRS) ; projet Entretiens d'écrivains dans la presse (1850-1914) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1893-09-07 Fiche et transcription : Gabrielle Hirchwald (ATILF-CNRS) ; projet Entretiens d'écrivains dans la presse (1850-1914) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
<div style="text-align: justify;">Cet entretien permet à Alphonse Daudet d'expliquer sa méthode de travail en tant que romancier.</div> Français <div style="text-align: justify;">Cet entretien permet à Alphonse Daudet d'expliquer sa méthode de travail en tant que romancier.</div>
CHEZ M. A. DAUDET

La santé de l’écrivain Pièce faite Livre promis Autres travaux

— Pardon de vous recevoir ainsi, dans cette sorte d’antichambre, nous dit Alphonse Daudet en nous montrant les murs tendus d’andrinople et le mobilier très simple de la pièce où il attend, assis derrière un primitif bureau d’acajou. La raison, c’est qu’à Champrosay je n’ai pas de cabinet de travail proprement dit, j’en ai des tas... Partout où une idée me vient, où une phrase que je crois bonne me grimpe au cerveau, je m’arrête et, sur un coin de table, je m’installe à griffonner. Vous verrez, tout à l’heure, si l’envie vous en prend, le pavillon, au bord de la Seine, dans lequel j’ai écrit pas mal de pages de L’ Immortel, et la maisonnette russe, blottie sous les arbres du petit parc, qui m’a entendu essayer devant un auditoire — composé de moi tout seul — les scènes à effet de La Lutte pour la vie.

Comme nous le félicitons de sa bonne mine...

— Oui, je vais mieux, poursuit-il. Ces maudits rhumatismes, qui, l’année dernière ne me quittaient pas... d’une semelle, me jouent maintenant de moins fréquentes farces. On m’autorise à recevoir, à causer tant que je veux. Zola, mon fils Léon, ma belle-fille et leur bébé sortent d’ici ; Edmond de Goncourt a été notre hôte pendant plus d’un mois. Il en a même profité pour tirer déjà trois actes de son roman La Faustin . Le sentier ombragé qu’il arpentait à grands pas, en parlant les principales tirades de son drame, ainsi qu’un prêtre psalmodiant son bréviaire, nous l’avons surnommée l’allée du Curé.

Méthode de travail

— Et... et le travail ?

— Je n’en suis pas encore (ô jeunesse passée !) à tracer des pattes de mouche, assis au fond de mon canot, le papier posé sur les rames en croix. Mais j’ai la permission de prendre, à droite, à gauche, des feuillets, un encrier, une plume, et, le matin, dans la journée, le soir, au hasard de la fantaisie, d’écraser du noir sur du blanc.

Vous connaissez ma façon de travailler :

le premier manuscrit de mes livres, dont le point de départ est généralement une histoire vraie, s’élabore sous l’influence d’une griserie cérébrale que j’entretiens en contant mon roman aux gens de mon entourage, en essayant sur eux l’effet des incidents et des mots. Ajoutez que je possède de précieux auxiliaires en de petits cahiers que j’appelle « Ma Mémoire », et où j’ai consigné tout ce qui m’est passé par la tête. Une fois le tiret de la fin aligné au bas de ce texte enlevé de verve, la raison survient et m’ordonne de recopier des chapitres, parfois l’ouvrage en entier. C’est, selon moi, le seul moyen de s’apercevoir des imperfections du style ou des lenteurs de l’action.

— Pareille tâche exige un temps énorme ?

— Quand un volume ne m’a demandé que dix-huit mois de composition — et de corrections — je me déclare satisfait.

— Nous ne lirons donc pas de sitôt le nom d’Alphonse Daudet sur la couverture d’une première édition ?

— Eh ! mon Dieu ! avant peut-être que vous ne semblez le croire. Lorsque la maladie m’a surpris, j’avais terminé le premier jet de Soutien de Famille, étude de la jeunesse du « dernier bateau » ; j’en avais, en même temps, extrait une pièce, actuellement entre les mains de Koning, qui m’a prié de la lui laisser en vue de son nouveau théâtre. Le livre sera prêt au commencement de janvier. J’ai d’autres travaux en train, mais pas encore assez avancés pour en nommer les titres, en conter les sujets.

NON SIGNÉ