Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Le Matin</em>, 20 décembre 1895 Non signé 1895-12-20 chargé d'édition/chercheur Hirchwald, Gabrielle (édition scientifique) Gabrielle Hirchwald (ATILF-CNRS) ; projet Entretiens d'écrivains dans la presse (1850-1914) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1895-12-20 Fiche et transcription : Gabrielle Hirchwald (ATILF-CNRS) ; projet Entretiens d'écrivains dans la presse (1850-1914) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
<div style="text-align: justify;">Alexandre Dumas fils meurt le 27 novembre 1895. <em>Le Journal</em> lui consacre deux pleines pages. En outre, plusieurs artistes sont sollicités à cette occasion dont Zola, Alphonse Daudet, Jules Claretie, Catulle Mendès, Edmond Got, ex-doyen de la Comédie-Française et Eugénie Doche, actrice ayant joué à de multiples reprises <em>La Dame aux camélias</em>.</div> <div style="text-align: justify;">Se pose aussi la question de la succession de Dumas à l'Académie française. </div> Français <div style="text-align: justify;">Alexandre Dumas fils meurt le 27 novembre 1895. <em>Le Journal</em> lui consacre deux pleines pages. En outre, plusieurs artistes sont sollicités à cette occasion dont Zola, Alphonse Daudet, Jules Claretie, Catulle Mendès, Edmond Got, ex-doyen de la Comédie-Française et Eugénie Doche, actrice ayant joué à de multiples reprises <em>La Dame aux camélias</em>.</div> <div style="text-align: justify;">Se pose aussi la question de la succession de Dumas à l'Académie française. </div>
À QUI LE FAUTEUIL ?
LA SUCCESSION D’ALEXANDRE DUMAS À L’ACADÉMIE

À la recherche d’un homme Becque ne puis, Zola daigne, Goncourt suis, Daudet refuse Cet excellent Doucet La croix du pauvre

Pendant qu’au Palais-Bourbon on cherche à savoir quel est le ministre qui sincèrement, voulut arrêter Arton, au Palais Mazarin on cherche un candidat qui puisse faire figure dans le fauteuil d’Alexandre Dumas et qui ne soit pas trop en dehors des traditions.

Le clan des Burgraves s’est beaucoup démené. Il sentait bien qu’il serait ridicule de faire d’un Georges Ohnet quelconque le successeur de l’auteur du Demi-Monde et de L’Ami des Femmes. Néanmoins, il ne voulait à aucun prix d’un candidat trop accentué, qui pût faire croire au public que l’Académie sortait de ses traditions.

Mais qui ? Dans la littérature on ne trouvait point. La politique en ce moment a bien mauvaise réputation. Alors on a cherché dans la musique et la peinture. Les candidats qu’on désirait ont eu le bon esprit de se récuser — du moins jusqu’ici — et Puvis de Chavannes a même fait spirituellement répondre aux interviewers qui sont venus lui demander s’il postulait les palmes vertes.

Malgré cet échec, on n’a point désespéré dans les salons académiques, et les douairières continuent à chercher avec dévouement un homme de génie. On est même allé jusqu’au Jockey-Club pour chercher cet oiseau rare. On a bien trouvé un gentilhomme aux prétentions littéraires, mais on a eu peur du ridicule.

Le parti des jeunes — ne riez pas, il y a des jeunes à l’Académie — lui aussi, a cherché son candidat. Il y en avait un tout indiqué, celui que Dumas, lui-même, avait avec un courage persistant toujours défendu, Émile Zola, le grand romancier, l’écrivain honoré partout, sauf peut-être à l’Académie.

Mais on a réfléchi qu’on irait encore à un échec honorable, mais à un échec, et qu’il était impossible de détacher les quatre ou cinq voix nécessaires à la majorité. Or, on veut, cette fois, non une manifestation platonique, mais un succès.

M. Becque

M. Becque a posé sa candidature. Il est impossible de nier son talent, disait hier un académicien, intime ami de Victorien Sardou, mais franchement, ce serait en quelque sorte une méchante niche à la mémoire de Dumas, que lui donner pour successeur l’homme avec lequel il s’entendait le moins et qui fut le plus amer contre le grand écrivain qui vient de disparaître. M. Becque écarté, Zola impossible, il fallait chercher dans l’école moderne un homme d’un talent incontesté et contre lequel il n’y eût point, dès l’abord, un non possumus de Mgr Perraud. Goncourt n’en voulant à aucun prix, des chefs de file, des hommes dont la valeur, le talent et l’esprit ne pouvaient être contestés, il ne restait que Alphonse Daudet.

Mais Daudet a écrit L’Immortel et ce livre l’a quelque peu brouillé avec l’auguste assemblée.

Jusqu’ici, on croyait que l’auteur du Nabab, au fond de son cœur, désirait ardemment une réconciliation. Quelques interviews, dans lesquelles l’éminent écrivain se montra très poli pour l’Académie, témoignant même d’un certain regret pour quelques violences anciennes, contribuèrent à donner à tous cette pensée.

Les académiciens qui désirent que le niveau littéraire de l’immortelle assemblée ne baisse pas ont alors pensé qu’il était possible d’avoir Daudet. Dernièrement, M. Victorien Sardou disait très nettement : — Puisque nous ne pouvons encore faire nommer Zola, il nous faut nommer Daudet. Seulement, que diable ! nous ne pouvons lui demander pardon d’avoir écrit L’Immortel !

Toute la question semblait en être là. De quelle façon, honorable pour tous les deux, Daudet ferait-il une sorte d’amende honorable, dont se contenterait l’Académie ?

Il n’y a pas d’erreur, à cet égard, les littéraires de l’Académie désiraient à ce point l’avoir, que quelques-uns avaient trouvé la formule.

Nous vous savons malade, ont-ils fait dire à Daudet, nous vous dispensons des visites. Mais, pour Dieu ! écrivez !

Chez M. Alphonse Daudet

Daudet écrirait-il ? Voilà ce qu’il fallait savoir, et ce que nous sommes allé lui demander.

— Vous pouvez dire nettement, nous répond-il, que je n’écrirai pas ! Je ne me suis jamais présenté, je ne me présente pas, et je ne me présenterai jamais à l’Académie. Du reste, il est temps que ce quiproquo finisse. Depuis quelques semaines, parce que j’ai montré une grande politesse pour l’Académie, on a dit : — Quel malin ! C’est son évolution qu’il prépare ! Cela prouve simplement que ceux qui ont écrit ces choses me connaissent mal. On peut renier dans la vie, et la mienne est déjà longue, un moment d’emportement, un, deux, trois articles écrits dans la fièvre d’une inspiration hâtive. On n’a pas le droit de renier un volume de 500 pages, mûrement pesé, mûrement étudié, et écrit dans la calme volonté de son esprit. Je n’ai pas le droit de renier L’Immortel, je n’ai pas le droit d’écrire pour poser ma candidature à l’Académie. Si je le faisais, je perdrais ma propre estime. Je vous prie de le dire aussi nettement qu’il est possible. Je crois bien que c’est à vous-même, qu’en 1884, j’ai déclaré que je ne serais jamais de l’Académie. S’il m’en souvient, c’est dans Le Matin que vous avez transcrit mon engagement. Aujourd’hui, je renouvelle mon billet.

Notez qu’il n’y a, dans cette décision, aucun mépris pour l’Académie. Depuis 1884, elle s’est d’ailleurs beaucoup renouvelée ; elle compte maintenant des hommes d’un grand talent, pour lesquels j’ai la plus profonde estime ; et il est très exact aujourd’hui que je suis plus vieux, que je juge les choses de plus loin, et peut-être avec plus de calme, que je regrette quelques-unes de mes ironies anciennes qui ont, paraît-il, fait un gros chagrin à ce pauvre Camille Doucet. Mais je ne regrette pas l’ensemble de l’œuvre. J’ai jugé, en 1884, qu’il n’était pas de ma dignité d’accepter les formalités humiliantes qu’on voulait m’imposer ; il est encore moins de ma dignité aujourd’hui d’accepter une sorte d’amende honorable.

Une visite

— Vraiment, ils me prennent pour eux, ceux qui s’imaginent que la coupole m’hypnotise. J’avais à peine quarante-deux ans quand il me fut possible d’être de l’Académie. Jules Sandeau était venu à moi, en m’embrassant et me disant : — C’est l’honneur de l’Académie d’ouvrir ses portes aux hommes qui, comme Flaubert, Goncourt, Zola et vous, êtes les rénovateurs du roman moderne. Vous êtes, pour l’instant, le plus facilement académisable. Il faut que nous vous nommions. De son côté, Caro m’écrivait qu’il répondait de 23 voix pour ma candidature. Je consultai mes amis, Goncourt et Zola, dans un déjeuner que je leur offris chez Ledoyen. Goncourt ne m’encouragea pas, mais ne protesta pas.

Vous pouvez être même académicien, mon amitié pour vous n’en sera pas moins grande.

Zola, au contraire — il faut lui rendre cette justice — il a toujours été conséquent avec lui-même. Zola me dit : — Mon cher ami, il faut être de tout, il faut être de l’Académie. C’est non seulement votre intérêt, mais encore l’intérêt de toute la révolution littéraire, dont alors vous porterez le drapeau. Le jour de votre réception, au moins, nous irons entendre un discours ou l’on parlera de nous, sans en dire du mal.

Je me rendis au conseil de Zola et me décidai à faire les démarches indispensables. J’allai d’abord, comme il était nécessaire, rendre visite à Camille Doucet — une visite préliminaire amicale — pas même une visite de candidat. Il me reçut fort aimablement, mais il me fit immédiatement, avec un grand luxe de détails, le saisissant tableau des épreuves douloureuses qu’il fallait traverser avant d’être digne d’entrer dans ce paradis mystérieux qu’on appelle l’Académie. Il me raconta qu’il avait dû, lui-même, frapper onze fois à la porte de M. Dufaure, avant que ce vieil ours daignât le recevoir. Je me vis tout de suite gravissant le même calvaire, et, en une seconde, ma résolution fut prise. Jamais je ne serai de l’Académie et j’écrirai L’Immortel. Alors, très cyniquement, je l’avoue, afin de pouvoir mieux les révéler, je me fis faire par ce brave Camille Doucet l’exposé précis des supplices cochinchinois que l’Académie réserve à ses néophytes.

Quelques anecdotes

— Vous savez le reste. Mon duel avec Delpit ; l’apparition de mon livre. Il me semble que, si aujourd’hui je consentais à être candidat, je ne pourrais conserver l’estime des honnêtes gens ; toujours est-il, je vous le répète, que je n’aurais plus la mienne, et c’est certainement celle à laquelle je tiens le plus. Alors, du reste comme aujourd’hui, beaucoup de gens, qui me connaissaient bien pourtant, se faisaient d’étranges illusions sur mon caractère, et s’imaginaient, avec ce pauvre Delpit, que très réellement je subissais l’hypnotisme particulier des jeunes littérateurs de ce siècle, dont les yeux ne peuvent perdre de vue la coupole de l’Institut. Ils s’imaginent, les pauvres, qu’on n’est rien si on n’est pas décoré d’abord, et académicien ensuite.

Aussi ai-je été assez condamné quand parut L’Immortel ! On essaya même la conspiration du silence. Je ne connais guère que Jules Lemaître qui eut assez de haute indépendance pour parler de mon œuvre comme il fallait. Leconte de Lisle lui-même, qui jadis avait été plein de mépris pour l’Académie, fut féroce quand il s’agit de défendre son futur fauteuil...

Moi, j’avoue que je n’ai point la moindre faiblesse pour tous ces hochets. Peut-être vous étonnerai-je, mais ce fut une désillusion pour moi quand je fus décoré. Nous étions à la fin de l’empire, Weiss m’aimait beaucoup et Maurice Richard, le ministre des Beaux-Arts, était un esprit très libéral. Je désirais avant tout ne pas être condamné, pour manger, aux labeurs hâtifs, et je sollicitai une place de sous-inspecteur des Beaux-Arts qui pouvait me garantir le pain quotidien. Un juif, très protégé, fut nommé à ma place, et, comme compensation, on me décora — ce qui pour moi n’était pas du tout la même chose.

Pauvre croix ! Je me souviens encore du premier jour où je l’accrochai sur mon uniforme de garde national ! Je faisais partie des compagnies de marche du 96e bataillon de la garde nationale, et nous défilions près de Saint-Denis devant le front de bandière du 5e régiment de ligne, qui revenait avec Vinoy du désastre de Sedan. Je levai mon képi et criai : « Vive la République ! » Tous mes camarades firent de même. Alors sur tout le front des lignards retentit ce cri, qui eut un écho lugubre dans nos cœurs : — Vive la paix ! Mais je me laisse aller à conter des souvenirs... Dites, et c’est assez, que je ne me suis jamais présenté, que je ne me présente pas, et que je ne me présenterai jamais à l’Académie.

NON SIGNÉ