- L’indiscrétion du Matin
- La lecture du testament
- Ordonnancement des obsèques
- Les orateurs désignés
Nous nous sommes rendu hier chez M. Alphonse Daudet qui, en nous recevant, s’est déclaré un peu surpris de la publication que
Le Matin a faite du testament d’
Edmond de Goncourt et s’est demandé d’où venait l’indiscrétion.
— Je ne connais pas encore textuellement les dernières volontés de mon pauvre ami ; seul, mon fils Léon a pu avoir hier chez le notaire communication de l’acte qui, d’après mes renseignements, est bien tel que vous l’avez publié.
Il y a longtemps qu’Edmond de Goncourt m’avait nommé son exécuteur testamentaire. Depuis, à plusieurs reprises, il m’avait assuré m’avoir adjoint en ces fonctions mon fils aîné, Léon. Voici qu’aujourd’hui Léon n’y figure plus, remplacé par Hennique, qui devient le coadjuteur amical, jeune et vaillant de l’évêque mal portant et déjà âgé que je suis. Les dispositions prises, relativement aux obsèques et à la cérémonie n’étaient que provisoires. J’étais perplexe de savoir la pensée et les désirs du défunt. Rien.
— Quels sont, à votre avis, les deux noms laissés en blanc sur la liste des membres de l’Académie des Goncourt ?
— Edmond de Goncourt se montrait très réservé à ce sujet. L’idée de cette académie est ancienne, vous le savez : à l’origine, Vallès, Taine, Renan, Flaubert, Veuillot, Barbey d’Aurevilly, etc., étaient désignés pour en faire partie ; bien qu’il eût décidé d’en exclure les poètes, il avait admis Banville, qu’il adorait et admirait comme homme et comme artiste. La liste fut remaniée plusieurs fois et composée de noms nouveaux, tels que Zola, Coppée, Loti, Bourget, Anatole France, etc., pour en arriver aux huit titulaires d’aujourd’hui ; quant aux deux membres omis, quels sont-ils ? Je risquerais de me tromper en mettant en avant un tel ou un tel, comme ayant été choisi par de Goncourt, mais non inscrit par oubli peut-être au testament qui est l’acte officiel de la fondation de l’Académie.
— Le testament n’a-t-il pas d’autres clauses ?
— Vous les connaissez et les avez dites, sauf celle-ci, toutefois, que si, par indisposition ou tout autre empêchement, je ne pouvais jouer un rôle actif dans mes fonctions de légataire, mon fils Léon me suppléerait.
Nous quittons M. Alphonse Daudet au moment où Me Duplan arrive à la villa de l’auteur du
Nabab.
M. Hennique présent, le notaire a lu le testament dont il a remis minute et copie aux deux légataires. M
e Duplan, son devoir rempli, est rentré à sa propriété de
Savigny-sur-Orge.
À la maison d’Auteuil
Dans l’après-midi, le défilé des pieux visiteurs a continué avec MM. José Maria de Heredia, Catulle Mendès, Frantz Jourdain, Roger Marx, Jean Lorrain, Octave Mirbeau et d’autres qui jusqu’à l’heure de la levée du corps, ce matin, se seront remplacés pour veiller près du cercueil.
On a discuté longtemps la question des discours à prononcer sur la tombe d’Edmond de Goncourt. Après un échange de télégrammes entre M. Alphonse Daudet et les amis du Grenier, voici le texte de la dernière dépêche qu’on nous a communiquée, hier, à onze heures :
En somme, rien n’est réglé, comme on peut le voir. MM. Jean Lorrain, Mirbeau, Hennique étaient d’avis qu’il ne fût prononcé aucun discours ; seul, M. Léon Daudet aurait lu devant la tombe ouverte quelques lignes d’adieu suprême écrites par son père.
— Dites bien que c’est contre le désir du Grenier que MM. Émile Zola, Raffaëlli ou autres parleront, ajoute M. Octave Mirbeau.
Voilà qui est fait.
Et tandis que s’agite aussi le cas des personnes à requérir pour tenir les cordons du poêle, M. Octave Mirbeau, que ce désarroi, cet abandon où la vanité de chacun semble primer, demande à Pélagie :
— Enfin, vous êtes bien sûre qu’il y avait un autre testament ?
— Oui, affirme la bonne servante, je ne l’ai pas vu, mais je sais qu’il existe. Monsieur m’en a parlé plusieurs fois. Pourtant, le notaire et moi nous avons fouillé en vain partout, à moins qu’il ne soit entre les feuillets d’un livre, ou dans un carton entre deux estampes...
— C’est très curieux ! conclut M. Hennique. Cet homme, dont la vie fut si claire, si ordonnée, s’entoure de mystère et de complications dans la mort. Pénétrerons-nous jamais le secret, je ne dis pas de la fin elle-même, qui est le résultat d’une maladie subitement mortelle, mais des circonstances qui ont accompagné le départ de notre pauvre ami ?
Il avait été un moment question de mettre les scellés sur tous les meubles, vitrines, collections et papiers de la villa d’Auteuil. Mais quelqu’un a fait remarquer fort justement combien ce serait là manquer de confiance en Pélagie. De sorte que tout restera comme autrefois sous la garde de ce modèle des servantes.
Au dernier moment, on nous cite comme devant tenir les cordons du poêle MM. Bracquemond, le maître peintre-graveur du portrait célèbre d’Edmond de Goncourt ; Roger Marx, Gavarni fils, en souvenir de l’artiste son père, grand ami du défunt ; Eugène Carrière, Rodenbach, Gustave Toudouze, etc.
NON SIGNÉ