- Où en est la fameuse Académie
- Les parents font les morts
- Avenir gros d’orages
- À l’Hôtel Drouot
- La maison d’un artiste
Les principaux journaux américains, à New-York et à Chicago notamment, vont recevoir la notification qui leur est faite, par les soins de M. Georges Duchesne, commissaire-priseur à Paris, des ventes prochaines qui auront lieu à l’Hôtel Drouot, pour la réalisation de l’actif de la succession Goncourt.
M. Georges Duchesne, en effet, envoyait, la semaine passée, d’assez nombreuses insertions dans le nouveau monde et la vente qui se prépare sera d’un éclat tout particulier. Elle produira, pense-t-on, d’importants bénéfices.
Mais que devenaient, en attendant, les projets qu’Edmond de Goncourt établissait dans son testament ; où en étaient, et la nouvelle Académie dans sa constitution encore embryonnaire, et les terribles parents que Marseille déchaînait contre elle avec leur escorte de papier timbré, d’hommes de loi et d’oppositions ?
Alphonse Daudet voulut bien répondre hier, pour nous, à ces questions et nous apporter quelques éclaircissements sur une situation qui, précisément, n’est pas des plus claires.
Avant l’orage
Il est assez vraisemblable qu’en inscrivant, en tête de ses volontés suprêmes, le désir de fonder une Académie qui le tenaillait si puissamment et l’étreignit dans son cœur et dans son cerveau jusqu’à la mort, Edmond de Goncourt ne pouvait penser que l’avenir fût si gros de menaces pour les amis pieusement fidèles qui continueraient l’œuvre et la réaliseraient peut-être ; que tant d’orages, aussi, fussent amoncelés, dès son aurore, au ciel encore incertain d’une Académie plus facile à concevoir qu’à solidement établir.
Et cependant Alphonse Daudet et Léon Hennique se sont attachés, courageusement, à la réalisation de cette difficile tâche. Ils parviendront, sans nul doute, à constituer la future Académie ; mais fonctionnera-t-elle ? Ne sera-t-elle qu’une banale association réduite à un dîner mensuel de dix hommes de talent et d’esprit ? Bien audacieux celui qui se pourrait prononcer là-dessus.
— Nous n’avons, jusqu’ici, reçu notification d’aucun des procès dont nous menacent divers prétendus héritiers d’Edmond de Goncourt, nous dit M. Alphonse Daudet. Nous savons les lenteurs incalculables de toutes les formalités judiciaires, et peut-être réservent-ils leurs oppositions pour la période où la succession sera réalisable, après que nous y aurons mis quelque ordre en suivant les prescriptions testamentaires de notre ami :
quoi qu’il en soit, l’avenir est gros d’orages. Il ne faut pas nous dissimuler que les difficultés à vaincre avant d’aboutir à la réalisation des vœux d’Edmond de Goncourt, seront considérables. Mais la chose réalisée ne vaut que par l’effort qu’elle nécessita, et le triomphe n’est pas là où la lutte fut inutile. Donc, nous continuons à attendre et à espérer.
Me Raymond Poincaré
— Notre avocat est choisi déjà ; c’est M. Raymond Poincaré, l’ancien ministre de l’instruction publique qui fit preuve d’un si bel esprit et d’un si grand cœur lors du banquet de Goncourt. Il a bien voulu prendre en mains la défense des volontés de notre ami, expliquées si nettement et de façon si précise dans un testament auquel nous obéissons scrupuleusement et où tout, absolument tout, était si bien prévu.
Quant aux ventes, elles auront lieu, en février, par les soins de M. Georges Duchesne, commissaire-priseur. Il assurera certainement à ces ventes un éclat et un succès bien mérités d’ailleurs par les superbes collections que contient le petit hôtel du boulevard Montmorency.
Pour le reste, à la grâce de Dieu ! Avant même que l’actif de la succession soit réalisé, nous devons nous réunir, nous qu’Edmond de Goncourt voulut bien désigner pour servir de base à son Académie, et nous nommerons les deux membres qui restent à choisir... Ne me demandez pas des pronostics ou des noms ; chacun a le candidat élu de son cœur, et nous ne pouvons savoir aujourd’hui qui l’emportera demain.
Tout cela, encore une fois, n’ira pas sans obstacles à surmonter. Qui sait quels ennuis nous réservent les parents obscurs et incertains qui surgirent de l’ombre, sitôt mort Edmond de Goncourt ?
Détails sur les ventes
Voici maintenant les détails complets des ventes qui se préparent pour la réalisation de la fortune d’Edmond de Goncourt.
La première vente aura lieu le 13 février et sera précédée d’une exposition qui durera deux jours. Déjà sont louées, à cet effet, à l’Hôtel Drouot, les trois salles 8, 9 et 10, qui seront réunies pour la circonstance. Cette vente, ainsi que le maître l’indiquait dans son testament, comprendra la collection de dessins, qui est de toute beauté. Certains avaient craint qu’Edmond de Goncourt ne se fût abusé sur la valeur réelle de ses collections et qu’il n’y eût des déceptions, plus tard ; nous croyons qu’au contraire M. Georges Duchesne, le commissaire de la vente, est à peu près certain que le chiffre réalisé sera presque exactement celui marqué par Goncourt lui-même.
La deuxième vente aura lieu le 20 février et comprendra les objets d’art. Puis viendront, au début de mars, les ventes d’objets de Chine et du Japon qui prendront probablement une semaine entière. Connaisseur merveilleux, Goncourt, nous assurait un de ceux qui s’occupent activement de ces ventes, ne s’était entouré que de bibelots d’une valeur réelle. Il était, avec M. de Chennevières, le plus compétent de nos amateurs pour l’art du dix-huitième siècle, et le Louvre a recouru souvent à ses conseils. Un riche collectionneur offrait 40000 francs, il y a peu de mois, d’un de ses dessins, et on pourra admirer, à l’Hôtel Drouot, des tapisseries d’Aubusson merveilleuses.
MM. Roger Marx et Bracquemond, suivant les vœux de Goncourt, surveilleront bientôt le classement et l’exposition de tous ces objets. Un superbe catalogue sera dressé, avec une double préface de M. de Chennevières et de M. Roger Marx. Ce catalogue, qui contiendra quarante-deux reproductions des œuvres exposées, sera vendu quarante francs au public ; un autre catalogue résumé sera distribué gratuitement.
Bref, avant juin, l’actif de la succession Goncourt sera réalisé, car, en avril, seront enfin vendus et les droits d’auteur et le petit hôtel d’Auteuil. Cet actif sera, pense-t-on, aussi considérable que le maître l’avait cru ; mais si les gens d’affaires et les hommes de loi passent par là, plaignons les futurs académiciens, car ils dépouilleront jusqu’à Pélagie elle-même !
NON SIGNÉ