À
PARIS L’
ACADÉMIE DE GONCOURT
- Quatre années de procès
- Batailles judiciaires et polémiques littéraires
- Ce qu’on ne réalisera probablement jamais
On ne parle plus de l’académie qui devait porter le nom des Goncourt, ses fondateurs et certains affirment même que l’œuvre rêvée par l’auteur de
La Faustin semble aujourd’hui bien compromise. Il est exact que sa réalisation n’apparaît possible que dans un très lointain avenir : quatre années peut-être, c’est-à-dire jamais sans doute.
Les deux exécuteurs testamentaires d’Edmond de Goncourt sont eux-mêmes dans l’incertitude la plus absolue en ce qui concerne la fondation de l’académie. Alphonse Daudet et Léon Hennique, plongés dans les procès jusqu’au cou, se demandent avec terreur quand donc toutes ces histoires finiront. Et Me Poincaré, leur éminent avocat, a des hochements de tête qui ne présagent rien de bon lorsque les amis de Goncourt s’impatientent, trouvant que l’œuvre tarde, et souvent il doit se demander, aussi bien qu’eux, si jamais on en sortira.
— Nous avions un moment espéré, nous disait M. Alphonse Daudet, que des accommodements seraient possibles et qu’un accord interviendrait entre les parents d’Edmond de Goncourt, qui réclament chacun une partie de l’héritage, et nous-mêmes, exécuteurs de ses formelles volontés.
Mais l’accord n’a pu se faire. D’autant plus que, pour mener à bien l’œuvre que notre ami remit en nos mains, nous avons besoin de tous les capitaux qui nous reviendront lorsque l’avoir sera complètement liquidé. Nous ne pouvions donc abandonner sans risquer de compromettre l’avenir de la future académie des sommes dont notre ami avait lui-même nettement désigné l’affectation pour des prix ou des secours à des confrères pauvres dignes d’intérêt.
Nous sommes donc de nouveau plongés dans les procès. Surtout, nous avons à compter avec un parent d’Edmond de Goncourt qui fait de cette question affaire d’amour-propre plutôt que d’intérêt. Ce parent croyait que le grand écrivain l’avait choisi comme exécuteur testamentaire, et ce lui fut une cruelle désillusion lorsqu’il apprit, à la mort de notre ami, que le soin d’instituer la nouvelle académie selon les vœux des Goncourt ne lui était pas dévolu.
Je savais bien, moi, depuis quinze ans, qu’Edmond de Goncourt m’avait désigné pour exécuter ses volontés dernières. Mais le parent de province pensait, au contraire, que l’honneur, si périlleux cependant, de défendre l’académie future lui reviendrait de droit, et il était fier déjà de la gloire qui s’attacherait à son nom. Blessé cruellement dans son amour-propre, il soulève d’innombrables difficultés, auxquelles nous nous heurtons.
Donc nous ne pouvons, Léon Hennique ni moi, rien dire, rien prévoir. Ce sera fort long, voilà qui est certain. Les hommes d’affaires règnent encore en maîtres sur l’héritage de notre grand ami, administrent ses biens, et, pendant ce temps, les innombrables formalités de la procédure en appel suivent leur cours...! Nous nous demandons bien des fois avec inquiétude à quand la fin.
Il est, malheureusement, trop probable qu’après quatre ou cinq années de procès et les frais si multiples et si coûteux de tous ces débats judiciaires le capital sera déjà bien amoindri, et l’institution bien compromise. Pourvu encore que les tribunaux donnent raison aux exécuteurs testamentaires contre les parents coalisés ! Et, alors, après avoir subi tant de difficultés pour gagner leur cause, Alphonse Daudet et Léon Hennique devront encore recommencer la lutte pour assurer le fonctionnement littéraire de l’académie et procéder aussitôt aux élections. Mais ce jour-là viendra-t-il jamais ? Il apparaît de plus en plus problématique.
Les listes
Cependant, Alphonse Daudet n’embrasse pas sans inquiétude cet avenir d’incessantes querelles. Le maître éminent nous le disait hier encore :
— Je suis, en principe, l’ennemi de toutes les académies, quelles qu’elles soient.
N’eût été sa grande affection pour les Goncourt, la piété qu’il garde à leur souvenir, certainement il eut refusé l’honneur que lui faisait par son choix le grand écrivain, tant il redoutait ces complications judiciaires d’abord, ces querelles littéraires ensuite. Élire deux membres encore ! Combien d’ennemis se feraient les huit autres par cette élection, si jamais elle avait lieu ! La dernière liste, qui est la quatrième, comporte, on le sait, les noms de Huysmans, Octave Mirbeau, des deux Rosny, de Paul Margueritte, Gustave Geffroy, en dehors des deux écrivains qui se dévouent à l’organisation de l’académie. Mais on n’a jamais donné de façon exacte et complète les trois autres listes, qu’Edmond de Goncourt modifiait à mesure que ses élus disparaissaient, cessaient de plaire, ou... entraient dans l’autre Académie.
Sur la première liste se trouvaient : Flaubert, Paul de Saint-Victor, Barbey d’Aurevilly, Louis Veuillot, Fromentin, Cladel, Alphonse Daudet, Zola, de Chennevières et Théodore de Banville.
Sur la deuxième, Vallès a remplacé Cladel et Théophile Gautier succède à de Chennevières.
Enfin, voici la troisième : Alphonse Daudet, Huysmans (seuls maintenus dans la quatrième et dernière), Guy de Maupassant, Henry Céard, Julien Viaud, Paul Bourget, Émile Zola, Barbey d’Aurevilly, Vallès, Théodore de Banville.
Tous ces beaux rêves d’un bel esprit se réaliseront-ils jamais maintenant ? On en peut douter sérieusement et, certes, on ne saurait assez le regretter.
F. RAOUL-AUBRY