Guise, Familistère 1 mars 1886
Pardonnez-moi de vous avoir involontairement laissé ignorer dans ma première lettre que je suis une femme.
M. Godin, le fondateur du Familistère est mon parent ; je suis, en outre, attachée à lui par la plus complète affection et je collabore à une partie de ses travaux.
Je vous remercie beaucoup de votre lettre du 26 février. Vous me dîtes que vous avez lu les documents que je vous ai envoyés ; mais votre lettre semble ne viser que l’expérience sociale réalisée à Guise par l’association du capital et du travail.
Veuillez me permettre un mot concernant cette lettre, malgré le précieux emploi que vous devez donner à tous vos instants.
Monsieur E. Zola.
Un observateur aussi exact et précis que vous l’êtes dans la peinture des maux de notre société est certainement capable de saisir profondément la valeur des remèdes.
Or, dans les documents que j’ai eu l’honneur de vous envoyer, deux objets différents étaient traités :
1° L’association du capital et du travail réalisée ici dans le Familistère, fait que vous déclarez (et cela est évident vu son caractère local) impuissant à éviter la catastrophe sociale imminente ;
2° L’institution d’un droit d’hérédité de l’Etat dans les successions.
Cette mesure mettrait au moins des pouvoirs législatifs les ressources qu’on ne sait où prendre aujourd’hui et qui permettraient non-seule-
ment de donner à tous les membres du corps social les garanties du lendemain, mais aussi de réaliser toutes les réformes sociales jugées utiles.
Ce plan ne vous semblera-t-il pas de nature à mériter un instant de votre attention ?
Et si vous reconnaissiez là un suprême moyen d’éviter la catastrophe, ne vous sentiriez-vous pas plus puissant encore pour découvrir à la société ses propres ulcères et lui crier : Guéris-toi donc.
Du reste, après les commotions et les écroulements il faut reconstruire ; or, l’institution du droit d’hérédité nationale et l’organisation de la prévoyance et de la
protection mutuelles entre tous les citoyens, si elles ne précèdent la révolution, seront forcément un des premiers éléments de la reconstruction sociale.
Je serais heureuse, Monsieur, d’avoir attiré votre attention sur ce grave et fécond sujet, s’il arrive à vous intéresser.
Au nom du sujet traité, pardonnez-moi cette trop longue lettre et agréez je vous prie, Monsieur, l’assurance de ma plus haute considération.