Cher M. Matsukata,

J’ai bien reçu votre dernier câble et je vais tâcher en effet d’avoir des maîerts qui vous intéressent leurs tableaux les plus représentatifs bien que certainement tout ce que j’ai pu recueillir à ce jour a une très belle tenue et ce sera digne de votre musée. Je fais des tentatives qui jusqu’à présent m’ont pas abouti pour avoir la pièce capitale de Cottet, la répétition avec modifications de son admirable tableau, de l’Homme noyé. Il désire le garder pour lui-même, peut-être parviendrai-je à le tenter pour le prix. Je n’ai pas du tout réussi auprès de Claude Monet directement, il a l’intention de donner toute son œuvre à l’État pour en constituer un musée spécial et il n’a voulu se défaire à aucun prix des tableaux qui sont chez lui. Il faut donc guetter les occasions dans les ventes ou chez les marchands, mais les prix en sont très élevés. Il en est de même des Renoir, je suis allé voir spécialement M. Durand-Ruel de qui je suis lié depuis longtemps, pour tâcher d’en tirer quelque chose. J’ai vu chez lui quelques beaux Renoir mais à des prix qui vont entre 200 et 300 000 fr. J’y suis allé voir en particulier un tableau de Puvis de Chavannes que j’aurais bien voulu vous acheter. C’est une très belle répétition en hauteur de changeant (illisible) du pauvre pêcheur, qui est au Luxembourg. J’aurais l’intention de proposer une 60 de 1000 fr mais c’est environ 6000 dollars qu’il aurait fallu dire. Durand-Ruel estime ce tableau à environ 300 000 fr. Je me félicite donc de vous avoir eu à des prix vraiment exceptionnels de bon marché ces 2 échantillons si intéressants très rares de Puvis de Chavannes que ne vous ai signalés.

Je n’ai pas eu la visite que vous aviez annoncée de Hioki. Quant au marbre dont il s’agit Pygmalion Galatée qui avait été mis en vente à Londres, il a été au dernier moment retiré de la vente par les propriétaires qui ne sont semble-t-il que des marchands. A ce propos, je me permets de vous mettre en garde contre certains intermédiaires qui ont su soit du côté de Londres, soit du côté de Paris, que l’on recrutent [illisible] une collection pour votre musée. J’ai été avisé entre autres tout récemment qu’un marchand qui a la plus fâcheuse réputation et que je soupçonne d’avoir été l’organisateur de cette vente de Londres, avait fait des propositions très importantes au sculpteur Bourdelle pour un amateur japonais. J’ai craint que ce ne fût vous dont il s’agit et je trouverais scandaleux qu’on exploitât les sentiments auxquels vous avez obéis en formant cette magnifique collection française, tandis que j’ai obtenu des artistes de sensibles réductions nouvelles dans le dessin ou l’estampe pour vous remercier du but que vous poursuivez ; il ne faudrait pas que des marchands interlopes abusassent de vus comme il semble qu’on voulait faire pour ce marbre de Pygmalion et Galathée.

Il y a un sculpteur qui vient d’avoir un succès formidable au Salon ; les échos ont dû en parvenir sûrement jusqu’au Japon. C’est Paul Dardé, qui a obtenu pour un faune le prix national. L’UAT lui a acquis pour le Luxembourg un morceau extraordinaire inspiré de l’Enfer de Dante : une tête de femme dans un enchevêtrement de serpents qu’il a appelée l’Eternelle Douleur. Dardé en a exécuté 2 exemplaires en bronze qui sont uniques. Il en a vendu un au Victoria et Albert Museum de Londres au prix de 30 000 fr, il en a cédé l’autre pour vous au prix de 15 000. Voyez desquels sentiments sont animés à votre égard les artistes français.