De Pan.
CHAPITRE VII.
Genealogie de Pan incertaine.ON n’eſt pas bien aſſeuré de la genealogie de Pan ; car il a preſque autant de parens comme d’autheurs qui font mention de luy. Homere en ſes hymnes dit qu’il fut fils de Mercure & de la Nymphe Dryops ; Ce mot de ribauld fignifie proprement celuy que nous appelons autrement Corrival, d’vn mot Latin, comme on le prend communément pour paillard ou ruffien.& l’appelle cornu cheure-pied, ayme-chanſon. Mais Duris de Samos en vn liure qu’il a fait d’Agathocle, dit qu’il naſquit de la ſemence de tous les courtiſans de Penelope, & pour ce, fut nommé Pan, c’eſt à dire Tout. Le Poëte Epimenide eſcrit que Pan & Arcas gemeaux naſquirent de Iupiter & de Calliſto. Ariſtippe maintient que ce fut de Iupiter & de la Nymphe Oeneis. Les autres veulent dire qu’il fut fils de Penelope & d’Vliſſe : le Poëte Archee dit du Ciel & de la Terre. Aucuns le font fils de Iupiter & de Hybris, c’eſt à dire d’outrage, inſolence, desbauche, pollution, & toute autre ſupercherie & mauuaiſe beſongne. Le Poëte Pronapis tient qu’il naſquit de Demogorgon auec les trois Parques. Herodote en ſon Euterpe veut que Mercure & Penelope ayent eſté ſes pere & mere. Et ceux qui ſont de meſme opinion, diſent que Mercure ſurprit vn iour Penelope, gardãt les trouppeaux de ſon pere Icare, ſur la montagne de Tayget, & s’en amoura, de laquelle voyant qu’il ne pouuoit iouyr par autre moyen, il ſe transforma en vn tresbeau Bouc : qu’elle trouua tant à ſon gré, que ſoit par amourettes, ſoit par fraude elle en conceut Pan : Image de Pan.qui participa de la forme ſous laquelle Mercure connut à pluſieurs fois Penelope : façonné cõme vne perſonne de la ceinture à mont, portant ſur la teſte vne courõne de Pin, auec vne face rouge cramoiſie, refrongnee & deſpite, des cornes au front donnans iuſques au ciel, de longs cheueux, vne barbe eſpeſſe & touffuë, qui luy battoit iuſques au deſſous de la poitrine. Il portoit en la main droite vne fluſte à ſept tuyaux, qu’il s’en alloit entonnant : en la gauche, vn baſton recourbé ; quelquefois vne faulx : les eſpaulles affublees de peaux de Pantheres & de faons de Biſche. Les parties d’embas eſtoient ſemblables à celles d’vne Cheure : les cuiſſes & les iambes veluës & heriſſees d’vn poil rude, auec vne lõgue queuë pour l’eſmoucher emmy les bois, des ticques & freſlons : les pieds de corne, fourchez & fendus entre-deux. Mais nonobstãt telle image, peinte ou taillee, Herodote en l’Euterpe dit que les Anciens n’auoient pas cette creance que Pan euſt telle forme, mais qu’ils le tenoient ſemblable aux autres Dieux. Pauſanias és Arcadiques eſcrit que les Nymphes le prindrent en leur charge quand il fut né, & le nourrirent ; notamment la Nymphe Sinoé. Et de fait eſtant venu en aage de diſcretion il ne bougeoit d’auec elles, comme dit Homere en ſon hymne :
Sautelant és hauts monts auec la trouppe gaye Des Nymphes Pan cornu deſſous l’ombre s’eſgaye.
Et meſme Platon en certains vers dit que les Nymphes prenãs vn ſingulier plaiſir à l’ouïr iouër du flageolet, s’aſſembloient autour de luy, & dançoient folaſtremẽt, à ſçauoir les Hydriades ou Nymphes aquatiques : & les Hamadriades, Nymphes foreſtieres. Les Anciens l’ont auſſi nõmé Chef ou Capitaine des Nymphes, à la pourſuitte deſquelles il eſtoit inceſſamment, laſcif & lubrique outre meſure ; tellement qu’elles auoient bien de la peine à ſe deliurer des embuſches qu’il leur dreſſoit, finalement elles le ſurprirẽt vn iour qu’il dormoit, luy lierent les mains derriere le dos, luy couperẽt la barbe auec de petits cizeaux, & luy firent mille autres algarades. Quant à ſes charges, offices & commiſſions, il a le tiltre d’Ambaſſadeur des Dieux auſſi bien que ſon pere, la iuriſdiction ſur les bois, landes, paſtis, prairies, montagnes & rochers ; enſemble ſur tous autres endroits où le beſtail peut trouuer à viure. Les paſtres & paſtourelles l’inuoquoiẽt particulierement, comme leur cõſeruateur, garde de leurs priuileges, de leurs libertez & franchiſes : & n’eſtoient ingrats de luy preſenter en offrande de belles premices de leurs fruicts, & du creu de leur beſtail, attendu qu’ils eſtimoient tous les haras & trouppeaux errans és lieux ſuſdits, eſtre en ſa garde & protection. C’eſt pourquoy Virgile au 1. des Georgiques l’appelle gardien des brebis, & Preſident des paſtres :
Et toy, des trouppeaux garde, ayant pour moy laiſſee Ta natale foreſt et les bois de Lycee ; Pan, honneur Tegean, quoy que le ſoucy tien Soit ton Menale ſeul, icy propice vien.
Auſſi prenoit-il vn ſingulier plaiſir, comme le teſmoigne Orphee en l’hymne de Pan, à voir paiſtre le beſtail, & folaſtrer auec les bergers, parmy leſquels il s’esbatoit à ioüer du flageolet ; ſi que par ſa douceur & melodie il donnoit appetit meſme aux brebis & cheures desgouſtees, tellement que leurs teſtes s’empliſſoient de laict à meſure qu’il entonnoit ſon flageolet ou doucine ; ainſi que pour cet effect l’inuoque le paſtre d’Ibyque, Poëte Grec :
O Pan, ſainct gardien des trouppes camuſettes, Approche du flageol tes leures doucelettes, Et ſonne plaiſamment, afin que ces trouppeaux Retournans chez Clymen empliſſent force ſeaux De laict chaud boüillonnant, & ie te promets faire Mourir ſur ton autel, pour offrande ordinaire, De cheures vn mary, dont le ſang eſpanché De ſon goſier velu ne ſera eſtanché.
Les veneurs auſſi le recognoiſſoient pour leur grand patron. Que s’ils faiſoient bien leurs beſongnes à la chaſſe, ils luy en rendoient graces eſtans de retour, tenans en foy & hommage de luy tout ce qu’ils auoient pris. Mais s’ils reuenoient à mains vuides, & auoient perdu leur peine, auec vne façon deſdaigneuſe ils iettoient contre ſon effigie des ſquilles ou oygnons marins ; ſelon que nous le recueillons de Theocrit en l’Idylle Thalyſie :
Pan, ſi tu fais cela, des ieunes gens la trouppe De la chaſſe venant ne te battra le crouppe, Les eſpaules ou flancs, les aines & roignons, Comme ſont couſtumiers de faire à coups d’oignons Les enfans Arcadics, quand ils viennent de courre, Et que peu de gibier dans leurs toiles ſe fourre.
Ouide auſſi en l’epiſtre de Phædra fait les Pans (car les Poëtes tiennent qu’ils ſont pluſieurs) & les Satyres preſidens auec Diane ſur la venerie :
Qu’ainsi te ſoit la Dame agile ſecourable, Et aux plus durs escarts des halliers fauorable : Que les hautes forests te donnent maint gibier, Qui ſe viennent liurer en tes lacqs prisonnier, Ainsi t’aydent tousiours les grands Dieux des campagnes, Les Satyres cornus, et les Pans des montagnes ; Et les Sangliers crochus tombent morts en maint lieu Rudement aſſenez, du ſer de ton eſpieu.
Or n’a-il pas ſeulement preſidé ſur la chaſſe, mais a eſté auſſi fort addonné à la Venerie, ſelon le teſmoignage de Theocrit au Thyrſis. Les Arcadiens l’ont plus deuotement reueré qu’aucune autre nation. Auſſi ſe vantoient-ils de l’auoir nourry ſur la montagne de Menale. Pan, infortuné enamour.Quant à ſes amours, il ayma premierement trois Nymphes, Echo, Syringue, Pitys : mais il y rencontra fort mal ; Liure 9. chap. 16.lcar Echo aymoit le beau Narciſſe : toutesfois aucuns diſent qu’il en eut vne fille, lynx, laquelle donna à Medee les receptes & medicamens pour attirer Iaſon en ſon amour. Syringue aymee de Pan, muee en roſeau.Depuis il ayma la Nymphe Syrinx, qui fut transformee en roſeau de marais, ſelon la Metamorphoſe qu’Ouide en fait au premier liure. Cette Naiade, ou Nymphe des eaux d’Arcadie, belle & agreable, mais non moins chaſte & pudique, eſtoit fort aymee des Syluains, des Satyres, & des autres Dieux foreſtiers & champeſtres, auſquels elle prenoit plaiſir à donner quelque gaillarde trouſſe & caſſade. Elle hantoit Diane, & ſe conformoit à ſa maniere de viure, tant pour la conſeruation de ſa virginité, que pour le ſingulier plaiſir qu’elle prenoit à la chaſſe : voire meſme elle auoit la façon & le maintien tel, qu’on l’euſt peu prendre pour Diane meſme, n’euſt eſté que ſon arc eſtoit de corne, & celuy de Diane d’or pur. Or Pan la rencontrant vn iour comme elle reuenoit de la montagne de Lycee, l’accoſta, l’arraiſonna, la pria d’amour, auec promeſſe de l’eſpouſer aprés le coup. Elle qui auoit faict vœu de virginité, fia ſon ſalut à la viſteſſe de ſes pieds, craignant que Pan fiſt effort à ſa pudicité, mais toute eſmuë qu’elle eſtoit, trouua ſa fuitte arreſtee par la rencõtre de la riuiere de Ladon. Ce que voyant, elle ſe mit en prieres, requerans ſes ſœurs & ſes compagnes de la vouloir tranſmuer en quelque forme eſtrange pour éuiter la violence de Pan, qui la talonnoit de bien prés ; ſi bien que ſa priere exaucee :
Pan qui faiſoit eſtat d’en iouyr prés des eaux, Embraſſe au lieu du corps quantité de roſeaux, Elle pantoiſe encor du vent de ſon haleine Inſpire ces roſeaux ; lors de la canne pleine Du ſouffle de la Nymphe ißit vn petit ſon Triſte & dolent. Luy meu de ſi douce chanſon. Deſormais (ce dit-il) auec la chalemie Ie chanteray l’amour que ie porte à m’amie.
Et deſlors il ſe prit à façonner la fluſte, liant pluſieurs chalemeaux enſemble, & les ioignant auec la cire, inuention qui fut nommee du nom de la Nymphe Syringue. Aucuns diſent qu’il inuenta la fluſte & ſes accords és montagnes de Nomie prés la ville de Lycoſure, où il y auoit vne ruë dicte Molpee, & vn Temple dedié à Pan Nomien, qui ne ſignifie autre choſe que paſtre ou berger. Pitys en Pin.Quant à Pitys, elle ſe prodigua bien aſſez volontairement à luy : mais il auoit vn puiſſant corriual, Boree ; qui de ialouſie la precipita du haut d’vn rocher, & roüant en l’air fut par la miſericorde des Dieux conuertie en Pin, arbre aymant les montagnes, où Pan la va cerchant encor pour le iourd’huy ; pour laquelle occaſion il en porte ordinairement vne belle guirlande : & voulut que cet arbre luy fuſt particulierement dedié. La Lune amoureuſe de Pan.La Lune en deuint vne fois amoureuse, comme il s’eſtoit deſguisé en Mouton blanc, duquel elle trouua la toiſon tant agreable, qu’elle ne deſdaigna point de s’en accoſter. Ainſi le teſmoigne Virgile au 3. des Georgiques. Vne autrefois il defia Cupidon à la lutte ; mais n’ayant point acquis de reputation à cet exercice, vaincu par ſon aduerſaire, il ayma mieux ſuiure l’enſeigne de Venus, & deſlors fit l’amour à Syringue. Auſſi dit-on que Cerés ayant ouy les auantures de ſa fille Proſerpine, ſe cacha dans vne grotte en Arcadie, habillee de dueil, & fuyant la lumiere, ſi que les fruits de la terre periſſoient generalement, & la peſtilence tuoit toutes creatures, cependant que toute la Cour celeſte eſtoit en queſte pour trouuer cette Deeſſe, & la pacifier. Alors Pan la deſcouurit vers Elaïe, & la decela à Iupiter : qui luy enuoya les Parques pour accoiſer les troubles de ſon esprit. Proüeſſe d’iceluy.On fait d’ailleurs pluſieurs contes des proüeſſes & vaillances de Pan ; Terreurs paniques.notamment des effrois & terreurs qu’il auoit de couſtume ſuſciter és armees & autres aſſemblees publiques, comme lors que Brenne alla faire la guerre en Grece, Pan ſema parmy l’armee Gauloiſe vne ſi eſtrange frayeur & eſpouuente, qu’ils ſe mirent en telle route à la premiere charge, que la defaite totale en fut bien aiſee. Il ſecourut auſſi les Atheniens en vne guerre nauale, & defit les Medes leurs ennemis, tels deſarois eſtoient imputez à Pan, & les appelloit-on Terreurs Paniques. Voyez liure 2. chap. 4. & liure 6. ch. 21. 22.Mais le plus memorable de ſes offices eſt celuy qu’il fit à toute la troupe des Dieux, lors que Typhon fit ſi belles haffres à tous les Dieux, que par le conseil de Pan ils s’enfuyrent en Egypte, deſguiſez en diuerſes formes d’animaux : entre leſquels, luy tranſmuë en Bouc, ayant fort bien faict ſon deuoir en cette bataille Gigantine, fut pour recompenſe d’vn tant ſignalé ſeruice tranſlaté au Ciel, & placé en ce ſigne heureux aſcendant des personnes, que l’on appelle Capricorne, & tient rang entre les Dieux de la ſeconde ttable. Et d’autant qu’il hantoit fort les lieux maritimes, les peſcheurs & les gens de marine l’adoroient auſſi comme leur ſouuerain patron : principalement és promontoires & caps de mer. Offrandes ordinaires de Pan.On luy preſentoit en offrande du laict & du miel en des pots & vaſes de bergers, ce qui ſe void és Voyagers de Theocrit :
Ie luy donray huict pots plein de laict bouillonnant, Et huict beaux gobelets pleins de miel rayonnant.
Parquoy le ſacrifice de ceux qui luy immoloiẽt des taureaux n’eſtoit pas peremptoire ; ny de ceux auſſi qui luy preſentoient du laict ou du vin en des vaiſſeaux d’or : veu que les vaſes de ce metal appartenoient aux Dieux celeſtes, non pas aux terreſtres, ny à ceux qui auoient ſoin des paſtres & choſes ruſtiques, c’eſt ce que veut dire Apollonius Smyrneen, l’introduiſant auec tel langage :
Ie ſuis vn Dieu des champs, ie ſuis vn Dieu ruſtique ; Pourquoy me verſez-vous de ce vin Italique ? Et pourquoy m’offrez vous ces riches vaſes d’or ? Que ſeruent ces Taureaux que vous attachez or’ Par la corne à l’autel ? Ceſſez tel ſacrifice : Car il ne me plaiſt point ny ne me rend propice. Ie ſuis Dieu montagnard, foreſtier ; les agneaux Me veſtent de leur peau ; ie ne boy qu’en vaiſſeaux Faits de terre, & n’ay point de breuuage où ie touche, Qu’vne douce boiſſon qui me plaiſt à la bouche.
Pan, grãd guerrier, & maiſtre de camp.Au reſte l’on tient que Pan ait eſté tres-braue Capitaine, & que Bacchus marchant à la conqueſte des Indes & autres Prouinces qu’il & maiſtre de camp auoit deſſignees, donna l’vne des principales charges en ſon armee à Pan & aux Satyres, comme à l’vn de ceux auſquels il auoit le plus de creance, tant pour la cõduite d’icelle, que pour l’aſſiette de ſon camp. La feſte qu’on ſolemniſoit à l’honneur d’iceluy, s’appelloit feſte des Lupercales, que nous decrirons amplement au dixieſme Chapitre du preſent liure.
¶Mythologie de Pan.Nous auons cy-deſſus expoſé les Fables anciennes concernans la perſonne de Pan : recherchons maintenant que c’eſt qu’ils ont entendu par telle deïté. Lucian au conſeil des Dieux, dit que Bacchus, demy-homme, couuert d’vne mitre, & preſque touſiours yure, effeminé, mollaſſe, ſentant fort ſon enfant, & qui depuis le matin iuſques au leuer des eſtoilles puoit le vin, auoit introduit cette troupe de Dieux difformes & ſauuages, Pan, Silene & les Satyres, hommes ruſtiques, & gardeurs de Cheures, addonnez aux dances ; & que les formes de leurs corps eſtoient ſi laides qu’ils en eſtoient beaux. Quant à ſon nom, qui proprement ſignifie Tout, les vns veulent qu’il ſoit ainſi nommé pource que tous ceux qui faiſoient l’amour à Penelope luy ayans paſſé ſur le ventre, elle l’engendra : mais Homere en ſon hymne dit que c’eſt d’autant qu’il donna du plaiſir à tous les Dieux, ioüant en leur preſence de la harpe ou du lut, incontinent qu’il fut né. Orphee meilleur Theologien que les autres, par ce nom de Pan entend la nature vniuerſelle, de qui les Elemens & le Ciel ſont comme les membres.
I’inuoque Pan ce Dieu qui contient tout le monde, Le Ciel aſtré, la Mer, & la Terre feconde, Et cet eternel feu, qui ſont membres de Pan.
Raiſon de ſa genealogieD’autres allegoriſans icy deſſus le prennent pour le Soleil, gouuerneur & moderateur de tout l’Vniuers, & veulent que pour ce ſuject il fut nommé Pan, c’eſt dire Tout. D’autre part ils ont dit que Pan eſtoit fils de Mercure, pource que Mercure eſtant cette vertu & volonté diuine qui ameine les choſes au poinct de leur naiſſance, & Pan, les corps naturels & ſimples, ils ſont tous conduits & gouuernez par cette volonté diuine. Et d’autãt qu’ils qualifioient quelquefois cette force & vertu du nom de Iupiter, ils ont feint que Mercure fuſt fils de Iupiter. Or Pan n’eſt autre choſe que la nature meſme, procedante & procreée de la prouidence & eſprit de Dieu. Neantmoins il ſemble que Platon en ſon Cratyle vueille prendre Pan pour le diſcours procedant de Mercure, ou bien des penſees & des raiſonnemens de l’eſprit. Et d’autant que Pan en la plus haute partie & moitié de ſon corps eſtoit de belle taille, & reſemblant à vn homme, & par embas difforme & laid, il veut inferer de là, que la diuinité & verité ſoit és Dieux ; la fauſſeté & menſonge, en la plus grande partie des hommes. De ſa nativité.Quant à ce qu’ils diſent qu’il naſquit des embraſſemens de tous les Courtiſans de Penelope, cela eſt du tout contre nature ; pource que le vaiſſeau de la femme, qui reçoit la ſemence genitale, ſe referme quand & quand, de façon qu’il ne s’ouure plus, ny pour en receuoir, ny pour en mettre hors d’autre apres qu’il en a receu de quelqu’vn, iuſqu’à ce que l’enfant ſoit formé & accomply. Auſſi ne peut aucun animal s’engendrer de diuers maſles. Mais pource que Pan contient les corps de nature, cõme le mot le ſignifie, on dit qu’il naſquit de tous ces gens-là, chacun y ayant beſongné. Ceux qui le font fils de Mercure, diſent que dés qu’il fut né, Mercure l’enuelopa dans vne peau de lieure, & l’emporta au Ciel, ainſi le veut Homere en ſes hymnes. Cela ne ſignifie autre chose, ſinon que dés que la nature des choſes de ce monde fut creée, elle commenca à ſe dilater & eſpandre par tout l’Vniuers d’vn mouuement prompt & ſoudain. De ſon educatiõDauantage ils diſent que les Nymphes le nourrirent & eſleuerent, ſuiuans l’opinion de Thalés, de Milet & autres, croyans non ſeulement que l’eau & l’humeur ait eſté la matiere de laquelle le monde a eſté creé & compoſé, comme ce Poëte qui appelle l’Ocean pere, & Tethys mere de l’Vniuers : mais auſſi qu’elle conſerue & nourrit toutes creatures : & ledit Pan ayant puis apres compris & embraſſé toutes choſes, a eſté dit chef & prince des Nymphes. Allegorie de l’image de Pan.Mais examinons maintenant la forme & taille de ſon corps, & pourquoy c’eſt qu’on l’a imaginé tel. Sa partie humaine.La partie qu’il a de forme humaine depuis la ceinture en haut, denote le Ciel, & la raiſon par meſme moyen, qui gouuerne tout cet Vniuers. Courõne.La couronne de Pin ſent ſon montagnard & ſauuage ; car il erre ordinairemẽt parmy les profondes foreſts, rochers, baricaues, montagnes, & autres lieux ſolitaires ; pour ſignifier que ce Tout, ou monde exprimé par le nom de Pan, a eſté creé ſeul, & qu’il n’y en a qu’vn. Sa face.Sa face rouge-cramoiſie repreſente la region ætheree, qui eſt de nature de feu ; mais ce qu’elle eſt ainſi renfrongnee & deſpite, tenant de la Cheure, montre les ſoudains changemens de l’air, ainſi que cet animal eſt des plus turbulents, & ne peut demeurer en vne place. Ses cornes.Ses cornes ſont la Lune, en laquelle ſe racueillent & aſſemblent toutes les influences des corps celeſtes, pour puis aprés les eſpandre & tranſmettre ça bas aux Elemens & corps compoſez d’iceux. Ses cheueux & barbe.Ses cheueux & barbe ſont les rais & la lumiere du Soleil, qui du ciel s’eſpandent par tout le monde. Sa fluſte.Les ſept chalemeaux ioints enſemble en façon de tuyaux d’orgues, montrent les ſept Planetes & leurs ſpheres : enſemble l’harmonie des ſept tons qui partent de leurs cours & tournoyemens, comme dit Ciceron au Songe de Scipion. Le ſouffler dont il les entonne, c’est l’eſprit de vie qui eſt en ces Aſtres, & la diuerſité des vents qui tracaſſent emmy l’air, engendrez par la chaleur du Soleil. Son baston ou faulx.Ce baſton courbé ſignifie l’annee ſe reuoluant ſoy-meſme : ou bien la puiſſance de nature en toutes choſes, attendu qu’il luy ſert de ſceptre. Ceux qui l’equipent d’vne faux, entendent l’induſtrie de nature à retrancher les choſes ſuperfluës ; ce qui eſt neceſſaire pour engendrer & conſeruer toutes creatures en leur eſtre ; comme en effect il ſemble qu’Orphee entre autres loüanges qu’il luy donne, le vueille faire autheur de generation & de corruption :
Tu changes par ta prudence Tout ce qui a pris naissance.
Les peaux tachetees & mouchetees dont il s’affuble, repreſentent (ſelon l’expoſition du grammairien Probus ſur les Georgiques de Virgile) le ciel parſemé d’eſtoilles ; ou bien, ſelon d’autres, la figure de la terre, qui produit tant de ſortes d’animaux & plantes, dont elle eſt diuerſement eſmaillee ; & la merueilleuſe varieté des riuieres & montagnes, & tant de mers qui l’enuironnent : & en d’autres lieux eſt ſterile, ſeche, deſerte, leſquelles choſes la bigarrent comme de pluſieurs mouchetures. Ses parties inferieures.Et de faict les parties inferieures de Pan, ainſi veluës, que nous auons dit, ne veulent dire autre chose que la quantité des foreſts, arbres, herbes & plantes dont la terre est reueſtue. Ses pieds de corne.Ses pieds de corne, en façon de cheures, teſmoignent ſelon aucuns les ſoudains mouuemens ſousterrains : & ſelon d’autres, la ſolidité de la terre, & les chãgemens des nuës qui ſe font en l’air. Fourchez & fendus.Ce qu’ils ſont fourchez & fendus montre l’inegalité de la terre, qui parfois s’esleue en montagnes, parfois s’abaiſſe en vallõs & fondrieres. D’autres eſtiment que par Pan les Anciens ayent voulu declairer le naturel du Soleil, ayãt des pieds de cheure en terre, & des cornes atteignans iuſques au Ciel ; ainſi que la vertu du Soleil à ſes pieds ou ſon ſondement en terre, & le chef au Ciel. Pan pris pour le Soleil.Quant à ceux qui donnent à Pan les tiltres & qualitez de Preſident des montagnes, ſurintendant des lieux propres à la nourriture du beſtail, de Dieu des chaſſeurs & des paſtres ; ils ne le prennent pour autre que pour le Soleil meſme, lequel, ſelon qu’il eſt diſpoſé, apporte aux creatures beaucoup, ou de proffit ou de dommage, & donne abondance ou diſette de paſture & fourrage. Et pourtant Homere en ſes Hymnes l’introduit ioüant du flageolet au milieu d’vne plaiſante & belle prairie, eſmaillee de mille iolies & ſoüefues fleurs. Pourquoi vaincu a la lutte.Il lutta vn iour auec Cupidon, & fut vaincu : d’autant que ſelõ l’auis de certains Philoſophes, l’Amour & le diſcord ont eſté les premiers principes des choſes naturelles. Car l’Amour excite la matiere genitale, & l’agence en toutes formes de generations, laquelle venant comme à lutter auec ſon ouurier qui la façonne, eſt par luy vaincuë & ſurmontee. Pourquoi amoureux d’Echo.Outre-plus Pan ayma Echo : c’est parce qu’ils cuidoient qu’Echo fuſt vne harmonie des cieux, qui ſe fit au moyen de leurs mouuemens. Et à l’imitation des ſept planetes, les inſtrumens de Muſique à ſept chordes furent premierement inuentez. Ce fut doncques Pan, qui le premier entre les hommes, ou les Dieux pluſtoſt, façonna la fluſte à ſept tuyaux proprement & gentiment agencez enſemble. C’eſt pourquoy Virgile en la 2. Eclogue dit :
Pan trouua la façon d’vnir pluſieurs tuyaux Auecque de la cire.—
Et de Syrinx.Pour cette meſme raiſon les Anciens feignent que Pan ait fait l’amour à la Nymphe Syringue, laquelle ne ſe pouuant ſauuer de luy, fut conuertie en roſeau. Car Pan s’arreſtãt quelque temps ſur le riuage de la riuiere de Ladon, comme le vent vint à donner legerement contre les roſeaux qui eſtoiẽt dans l’eau, il en ouyt quelques-vns qui percez & creux rendoient vn doux ſon & quelque harmonie. Pan les cueillant, à force de les inſpirer, peu à peu & auec le temps trouua moyen d’en faire vne fluſte : leſquels chalemeaux nez en la riuiere de Ladon, cette Syringue ou fluſte, qui raiſonnoit, fut dicte fille de Ladon, qui n’eſtoit rien autre qu’vn Chalemeau. Car Sirinx, en Grec ſignifie, ou vne fluſte, ou le chant de la fluſte. Lucrece au 5. liure teſmoigne que les roſeaux demenez par le vent commencerent à ſiffler, & que depuis les paſtres y prenans garde, & obſeruans le ſon qu’ils rendoyent, trouuerent l’inuention d’en faire & façonner vne fluſte.
Le ſoufle des roſeaux qui ſe faict au Zephire Lors que doux-grommelans leurs tuyaux il inſpire, A premier enſeigné l’artifice nouueau De fringoter vn air au ſon du chalemeau, Et minuter vn chant plein de douce complainte Tel que la fluſte rend d’vne accordante atteinte Lors que la doigt la touche en accords fredonnans Es paſtis foreſtiers, où les paſtres donnans Carriere à leur eſprit pleins de loiſir à l’airte Font paiſtre leurs troupeaux en vne plaine verte.
Pan ayant faict cette inuention, fut mis au nombre des Dieux comme les autres premiers inuenteurs des choſes profittables & plaiſantes à la vie humaine.Et de la Lune.Il fut aussi amoureux de la Lune, pource que par le benefice des aſtres, & principalement de la Lune, la matiere de toutes choſes naturelles prend forme, & ſe diſpoſe à la generation. Cette matiere eſtant appellee Pan, & contenant en ſoy la mer, à bon droit les Peſcheurs le prindrent pour leur Dieu & patron, comme Homere le montre en ſon hymne, auquel il raconte pluſieurs proprietez de Pan, & les puiſſances & facultez qu’on a de couſtume d’attribuer aux Elemens : comme auſſi les Anciens n’ont eu autre but que de cacher ſous les fictions de leurs Fables, tous les conſeils & les deſſeings de nature, rapportans celles des Dieux aux choſes naturelles ; & celles des hommes, aux mœurs. Or paſſons aux Satyres.