Des Faunes.
CHAPITRE X.
LES Anciens ont auſſi tenu les Faunes pour Dieux des païſans ; quant à leur qualité, ou forme, ils ne nous en apprennent rien :
De Faune pere eſtoit Picus, & cettuy-meſme Son pere te diſoit, Saturne, toy ſupreme De cette race auteur.—
Or Faune, Roy des Latins eſtoit au meſme temps que Pandion regnoit à Athenes. Il apprit aux Italiens à ſeruir & craindre les Dieux immortels ; comme dit Lactance au liure de la fauſſe Religion, & deuant luy ils n’en auoient, ou point, ou bien peu de ſoucy. faueo, ſignifiant fauoriſer, d’autant qu’elle fauoriſe l’vſage & auancement de tous animaux) deïfiee par les Romains, de laquelle les Dames de Rome celebroient la feſte & ſolemnite à couuert durant lanuict : & les hommes en eſtoient tellement forclos, qu’ils n’euſſent §ſeulemẽt/§ oſé ietter la veuë ſur ſon monſtier ſans commettre crime de leze majeſté. Macrobe au 1. liure des Saturnales §cha./§ 12. nous en apprend la raiſon, diſant que Fauna fut durant ſa vie ſi chaſte & pudique, qu’elle ſe tint touſiours encloſe en ſa chambre accompagnee de pluſieurs Dames d’honneur ; & iamais n’enuiſagea homme viuant, outre ſ ſon mary. Varron eſtime que ce ſoit celle meſme que les Romains adoroient ſous les noms de Tellus & de Terre. Ils l’appelloient aussi Fatua, mot extraict du verbe Latin fari, c’eſt à dire parler, pource que les enfans ne §commencẽt/§ point à ietter aucune voix qu’ils n’ayent atteint la terre. Outre-plus on la §nõmoit/§ Bonne Deeſſe, comme fourniſſant toutes choses neceſſaires pour la vie & pour les commoditez de l’homme. Aucuns tiennent qu’elle ait autant de credit & de puiſſance que Iunon : & que pour cette cauſe on luy mettoit en main vn ſceptre Royal. On la prend auſſi pour Proſerpine ; & luy faiſoit-on offrande d’vne Truye, parce que cet animal fait grand degaſt aux bleds, qui ſont de l’inuention de Cerés. Les Bœotiens l’appelloient Semelé, & fille de Faune, diſans qu’elle reſiſta à la volonté desbordee de ſon pere, amoureux d’elle : tellement que combien qu’il la frapaſt d’vne houſſine de myrthe, & taſchaſt de la faire boire, pour plus facilement en iouyr, ſi ne peut-il amener ſon mauuais deſſein à perfection. L’on croid neantmoins que ſon pere ſe tranſforma en Serpent, & qu’il habita auec elle. Ceux qui ſont de cette opinion prouuent leur creance de ce qu’il ne loiſoit tenir du myrthe en ſon temple, & qu’au deſſus de ſa teſte l’on entortilloit vn cept de vigne, par le moyen de laquelle ſon pere s’efforca de la ſuborner : que l’on n’apportoit point de vin au Temple d’icelle en ſon nom, ains le vaiſſeau dans lequel on auoit offert du vin, s’appelloit vaisseau à miel ; & le vin miel : & qu’on y voyoit des Serpens qui ne faiſoient ny n’auoient aucune peur. Quelques-vns la prennent encore pour Medee ; d’autant qu’en ſon Temple ſe trouuoient toutes ſortes d’herbes, Sterculie, ainſi nommé d’vn mot Latin, ſignifiant fumer, pource qu’il trouua le premier la maniere de fumer les terres : & pour tel bien-faict les hommes de ſon pays en firent vn Dieu. Il ſemble neantmoins que les Poëtes (toutesfois ie n’en veux pas iuger) ayent pris les Faunes pour quelque eſpece de beſtes, attendu qu’Ouide au 2. des Faſtes les appelle Cornipedes, auſſi-bien que les Cheuaux, & cornus §cõme/§ d’autres animaux. On les couronnoit de chappeaux de Pin, croyans que cet arbre leur fuſt agreable, comme teſmoigne Ouide en l’epiſtre d’Oenone :
Et le Dieu Faune auec ſon frond cornu, D’vn Pin pointu le chef cerné, tout nu Me pourſuiuoit ſur la plus haute croupe Du mont Ida—
Quelques-vns eſtimoient que ce fuſſent Demons effroyans qu’ils rencontroient, comme il dit en l’epiſtre de Phædra :
Par fois ie vay, ie viens comme les Eleeides Que Bacchus fait rager, ou qui ſous les humides Ombrages Ideans eſclattent leurs tambours Par mainte proumenade, & mille & mille tours. Ou comme celles-là que les Demy-deeſſes Dryades és foreſts, qui de cheſneuſes treſſes Encernent leurs tortis, les Faunes encornez, Ont par leur grand pouuoir en eſprit eſtonnez.
Apres auoir donné d’vne Cheure l’offrande A Faune cornepied, vne petite bande De perſonnes ſemonds viennent de pluſieurs pars Participer deuots à ce banquet eſchars.