De Syluain.
CHAPITRE XI.
Genealogie de Siluain incertaine.LA race & extraction de ce Syluain, Dieu champeſtre, n’eſt pas moins obſcure que celle des ſuſdits : auſſi ne ſcait-on, ny quels ont eſté ſes parens, ny en quel lieu il naſquit. Toutesfois aucuns cuident qu’il fut fils de Faune : d’autres de Saturne, engendré de luy quand il ſe retira en Italie. Vne choſe eſt bien certaine, que Syluain fut Dieu des foreſts, des paſtres, & des bornes des terres, ainſi qu’en eſt teſmoing Horace en la 2. Ode du liure des Epodes :
Dont, ô Priape, humble il te recompenſe, Et toy Syluain, des bornes la defenſe.
Les anciens Latins adoroient ce Dieu comme doüé des ſuſdites qualitez : mais les Grecs ne l’ont aucunement connu, horſmis les Pelaſgiens, qui s’habituerent iadis en Italie, ſelon le teſmoignage de Virgile au 8. liure :
—La gent Pelaſgienne, Qui premiere iadis la terre Latienne D’ancien nom habita, ſacra cette foreſt, Et vn iour ſolemnel, ainſi que le bruit eſt A Syluain Dieu des champs & du beſtail champeſtre.
On luy offroit auſſi du laict ; comme l’enſeigne Horace au 2. liure des Epiſtres :
La terre , luy offrant vn porc en ſacrifice, Et du laict à Siluain, ils ſe rendoient propice.
Metamorphoſe de Cypariſſe. Voyez liure 4. chap. 10.On dit que Syluain fut fort amoureux d’vn ieune garçon nommé Cypariſſe, c’eſt à dire Cyprez : lequel eſtant par Apollon tranſmuë en vn arbre de meſme nom, il porta touſiours du Cyprez en ſa main : c’est ce que touche Virgile au 1. des Georgiques :
Vien portant vn Cyprez tendre encor, ô Syluain.
Qu’il ait eſté de complexion fort amoureuſe nous le verrons tantoſt.
¶Mythologie de Syluain.Voilà ce qu’il me ſouuient auoir appris des Anciens touchant Syluain, leſquels l’ont introduit & mis en auant auſſi-bien que les ſuſdits de meſme eſtoffe, pour faire entendre aux hommes qu’il n’y a lieu ny place aucune qui ſe puiſſe cacher de la preſence de Dieu : qu’on ne ſçauroit rien faire, ſoit aux champs, ſoit és bois, que quelque Dieu ne le voye : & que les haras ou troupeaux, ny les arbres, ny les biens de la terre ne pouuoient croiſtre ny ſe conſeruer ſans la bonté d’iceluy. Toutefois quelques-vns ont pris Syluain pour la plus groſſiere matiere des elemens compoſez, & l’ont reputé Dieu des champs, des bois, & des paſtres, pource que de là depend tout le ſalut & conſeruation des animaux & plantes. Les autres ont entendu par Syluain la vie des hommes, qui donnent matiere & ſuiect à beaucoup de calamitez & d’erreurs. Et pourtant Palladas faiſant vne gentille alluſion à ce propos, dit que ceux qui ſont addonnez à l’yurongnerie & faineantiſe, enfans de Syluain, ne font iamais rien qui vaille :
Ores que Syluain à deux fils, le Vin & Somme, Les Muſes il meſpriſe, et plus n’ayme aucun homme.
Pan, Faune & Siluain, meſme diuinité.Or il m’a ſemblé bon d’adiouſter icy ce que nous en apprennent quelques autheurs Latins, traittans de l’Antiquité Romaine, pour le proffit que ie trouue qu’on en peut recueillir. Feneſtelle au liure qu’il a faict du Sacerdoce ou Preſtriſe des Romains, nous montre que Pan, ſurnommé Lycee, Faune & Syluain n’ont eſté qu’vne meſme Diuinité, voire la plus ancienne que les Romains ayent eu en leur Religion. Feſtes des Lupercales.Leurs Preſtres, & ceux de leur confrairie s’appelloient Luperques, qui non ſeulement faiſoient leur ſeruice, mais aſſiſtoient auſſi & preſidoient aux feſtes Lupercales, qu’on celebroit en leur hõneur. Ces ſolemnitez là furent inſtituees & miſes en vſage par le Roy Euander, qui fugitif d’Arcadie ſe retira és quartiers où depuis Rome fut baſtie. Les Luperques, & paſtres, deſquels il eſtoit particulierement Dieu, eſtoient tous nuds quand ils ſolemniſoient tels myſteres & Sacrifices, & ceignoient ſeulement leurs reins de certaines peaux de Cheures, portans en main des courroyes ou cengles de cuyr, auec leſquelles courans & maſquez ils frappoient tous ceux qu’ils rencontroient, les femmes y couroyent volontairement, cuidans que cela leur ſeruist pour faciliter leur accouchement, ou pour les faire conceuoir. On allegue diuerſes raiſons de telle nudité ; & ne ſçait-on ſi c’eſtoit que ce Dieu qu’on repreſente ordinairement tout nud, eſtant par ce moyen plus agile & mieux diſpoſé à courir, deſirãt auſſi d’auoir des miniſtres nuds : ou bien que les Arcadiens, peuples plus anciens de tous ceux qui ont habité en Grece, vſaſſent de telle ceremonie, en memoire de ce qu’auparauant ils viuoient cõme beſtes errans emmy les foreſts & montagnes, ſe retirãs en de malotruës loges & cabanes, ſans loix, ſans arts, ſans ciuilité ny courtoiſie quelconque. On dit auſſi, que Syluain vid vn iour Iole, femme d’Hercule, & qu’il conuoita fort ſa beauté. Hiſtoire plaiſante des amours de Syluain.Car Hercule ſe pourmenoit d’auenture par les bois, cherchant la fraiſcheur, auec ſa bien-aymee : & ce vieux Dieu monté pour lors ſur vne haute roche, deſcouurit cette femme, belle tout ce qui ſe peut. Il ſe mit donc à eſpier de loing quel chemin ils tireroient : & comme la nuict ſuruint, ils entrerent en vne grotte qu’ils trouuerent propre pour y attendre le leuer du Soleil. Cependãt cette femme voulant repoſer, s’affubla comme elle auoit accouſtumé, de la peau du Lyon de ſon mary, & prit auſſi ſa maſſuë en main. Ainſi eſquippee le ſomme la ſurprit. Or chacund eux auoit ſon lict à part, pource que le lendemain ils deuoient faire vn Sacrifice au pere Liber, durant laquelle ſolemnité il ſe falloit abſtenir de la beſongne de Venus. Syluain arriua là, fretilloit deſia d’aiſe, penſant faire quelque beau coup : & de bonne rencontre il arriua droict au lict d’Iole, & taſtonnant de la main, comme on faict la nuict, vint à la couler par deſſus cette rude couuerture de Lion. Penſant doncques que ce fuſt là le lict d’Hercule, il s’en alla tout doucement trouuer l’autre couché, laquelle ſentant plus mole & plus doüillette, & plus propre aux delices de ieuneſſe, ayant deſia tout-bellement tiré la couuerture, ainſi qu’il couloit la main tout le long du corps d’Hercule, n’ayant encore preſque ſenty ſon gros & rude poil, Hercule ſe reſueilla ; qui l’empoignant par la main, l’eſlanca comme vne cheneuote hors de l’antre. A ce bruit la ieune femme ſe leuant alluma du feu, Syluain reconnu, fut mocqué par ce moyen, & giſant par terre à demy rompu & briſé, ne ſe pouuant qu’à peine trainer, s’alla cacher dans le bois. Pourquoi ſolemnité de Syluain ſe celebroit par perſonnes nuës.Cet affront luy fit ſi grãd dueil & deſpit, qu’ayant en abomination les habits qui l’auoient ſi vilainement deceu, il ſe delibera dés lors de les interdire & les bannir entierement de ſes Sacrifices. Les autres en attribuent la cauſe à Romulus, pource qu’vn iour celebrant cette ſolemnité, & s’exerçant à la lutte en plein midy, on luy vint rapporter que quelques voleurs paſſans emmenoyent vn beau butin, après leſquels il courut ainſi nund qu’il eſtoit, & les ſurprenant, leur oſta les aumailles & autres beſtes qu’ils touchoient deuant eux. Quelques-vns veulent dire que le beſtail eſtoit ſien, ou pour le moins commis à ſa garde. Et pour memoire d’vn acte ſi valeureux qu’il auoit exploité tout nud, on ordonna que ceux qui celebreroient telle feſte ſeroient à l’auenir nuds. Les ieunes Gentils-hommes qui aſſiſtoient és Lupercales, auoient accouſtumé de s’enſanglanter le viſage, & d’autres accouroient vers eux auec des floquets de laine, trempee en du laict, pour leur eſſuyer le ſang ; ce qu’ils faiſoient en memoire de ce que Romulus & Remus ayans tué leur grand oncle Amulius, qui meſchamment & mal-heureuſement auoit non ſeulement deſpoüillé ſon frere aiſné, Numitor, de ſon Royaume d’Albanie, mais auſſi fait mourit ſa race maſculine pour luy tollir entierement la ſucceſſion de la couronne, ayans le viſage ſoüillé de ſang, l’eſpee nuë au poing, & leurs habits trouſſez, prindrent leur courſe depuis Albe iuſqu’au figuier Ruminal, ainſi dit, pource que les paſtres ſerrans en eſté leurs brebis ſous ſon ombre, elles ruminoient ce qu’elles auoient broutté, ſous leſquels on dit auſſi que Romulus & Remus tetterẽt vne louue. Quant au nom des Luperques & Lupercales, on n’en eſt pas bien d’accord non plus. Car les vns diſent qu’il vient de ce que par l’inuocation de ſon nom les Loups n’approchent point des eſttables & des bergeries. Les autres appellent le Temple où ce Dieu eſt adoré ; Lupercal, diſans qu’il fut ainſi nommé à cauſe de la Louue qu’on trouua en cet endroit allaittant Romulus & Remus. D’autres auſſi tirent ce nom de Lycee, montagne d’Arcadie, pource que Pan, que les Romains (comme dit Pomponius Lætus) appellent Ianus, & croyent que luy & Faune ne ſont qu’vn, eſtoit plus qu’ailleurs ſeruy & adoré religieuſement en ce lieu-là. Il y a de l’apparence en la premiere etymologie, d’autant que ce que les Grecs appellent Lycos, les Latins le nomment Lupus, c’eſt à dire Loup. Sacrifices des Dieux champeſtres.Outre les Cheures qu’on ſacrifioit à ces Dieux, on leur offroit auſſi vn Chien, pource qu’il eſt naturellement ennemy des Loups. Or apres la deſcription des Dieux ſuſdits gardiens des champs, montagnes & foreſts, nous paſſerons aux Nymphes.