Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - V, 14 : De Bacchus Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
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De Bacchus.

CHAPITRE XIIII.

Genealogie de Bacchus.LES Poëtes anciens ont diuers auis touchant les parens de Bacchus, autrement Dionyſe, ou Denys. Aucuns le font fils de Iupiter & de la Nymphe Argé rauie en Lycte ville de Candie, & tranſportee en la montagne d’Argille. Orphee en l’hymne de Bacchus dit qu’il eſtoit fils de Semelé, & qu’il naſquit ſur le riuage de la mer. Puis en vn autre hymne il le fait fils de Iupiter & de ladite Semelé, & l’appelle Entreſſé d’hierre. Or Semelé fut mortelle, & Voyez 1. 8. c. 24.fille de Cadme frere d’Europa que Iupiter transformé en Taureau rauit. Hiſtoire de la natiuité de Bacchus.Les Poëtes content que Iupiter épris de l’incroyable beauté de Semelé, l’embraſſa vne fois à plaiſir, & l’engroſſa ; dequoy Iunon irritee, & voyant que tous les iours le nombre des concubines de Iupin croiſſoit, deſcendit du ciel enueloppee d’vne nuë, & ſous l’habit & forme d’vne vieille nommee Beroé iadis nourrice de Semelé, à qui de prime abord elle tint pluiſeurs propos d’amour, fit tant qu’elle tira frauduleuſement de l’Infante la confeſſion que plus elle deſiroit, qu’à la verité Iupiter l’auoit conuë & cueilly la premiere fleur de ſa virginité. Ruſe de Iunon la jalouſe.Mais pour lors elle diſſimula ſi bien ce mal-talent, que pourſuiuant ſon diſcours, elle d’vn feint ſouſpir commença luy ſouhaiter tant d’heur & contentement, & luy perſuada de faire en ſorte que Iupiter luy iuraſt par le marais Stygien, de luy donner tel preſent qu’elle demanderoit, & luy fit entendre que ce ſeroit choſe merueilleuſement glorieuſe & belle à voir ſi Iupiter la venoit trouuer reluiſant en ſa grande & diuine Majeſté, en meſme eſtat & qualité qu’il ſouloit faire ſa femme Iunon ; que c’eſtoit le vray moyen d’eſteindre beaucoup de mauuais bruits que le peuple ſemoit diuerſement de ſon fait, & qu’alors elle pourroit verittablement ſe vanter d’auoir couché auec luy. Ainſi donques à la premiere entre-veuë Semelé tira de Iupiter le ſerment ſuſdit, & la promeſſe de lui octroyer tout ce qu’elle requerroit : ſans toutefois ſpecifier la faueur qu’elle deſiroit, & le ſupplia vouloir deſcendre vers elle en telle gloire & ſplendeur qu’il ſe preſentoit à Iunon. Mais elle ne s’auiſa pas de demander la vertu de ſouſtenir la violence de ſa foudre qui marchoit quand & luy, ce qu’eſtant mortelle, elle n’eſtoit capable de ſupporter. Iupiter oyant cette requeſte euſt bien voulu l’interrompre & luy clorre la bouche, affin de n’eſtre aſtreint ſelon ſon ſerment de l’octroyer : mais il ne put assez à temps. Voyez le ſerment des Dieux liu. 3. c. 2.Il ne pouuoit d’autre coſté reuoquer ſa promeſſe ratifiee par le ſerment ordinaire des Dieux nullement reuoquable. Et pourtant à la premiere approche du Dieu, qui toutefois s’eſtoit armé de la plus foible foudre qu’il euſt, l’Infante fut ſuffoquee, & la maiſon conſommee & reduite en cendres. Ouide au cinquieſme de ſes Metamorphoſes, l’exprime ainſi que s’enſuit :

Sa demande elle fait ſans nommer le preſent Que plus elle deſire auoir de ſon amant. ”Et luy dit : Iupiter plein de miſericorde ”Ie te ſuppli’ qu’vn don ta Majesté m’accorde. ”Choiſi, reſpond Iupin, ce que veut ton deſir : ”Ie ne manqueray point à faire ton plaiſir. ”Et pour mieux eſtablir ce que ie certifie ”Par cet accord promis, ie te le teſtifie ”Et iure par le Styx ſainct fleuue des bas lieux. ”C’eſt le ſacré ſerment plus redouté des Dieux. Elle s’eſiouiſſant de telle obeiſſance Que luy rend ſon Amy, ſans auoir cognoiſſance Du mal qui la talonne, oſant trop requerir, Vſe de tels propos ſur le point de perir : ”Embraſſe moy, Iupin, d’vne majeſté telle ”Comme tu fais Junon t’esbatant auec elle. Quand l’amoureux Iupin cette voix entendit, Luy baillonner, dolent, la bouche il pretendit. Mais ja le vent auoit emporté la parole. Il en iette vn ſouſpir, & triſte ſe deſole. Car Semelé ne peut s’excuſer du ſouhait, Ny Iupin reuoquer le ſerment qu’il a fait. Ainſi morne il reprend vers le Ciel ſa volee, Entouré d’vn nuage, y meſlant de guilee Et d’eſclairs vn amas, de tonnerres grondans, D’Aquilons orageux & de foudres ardans. Il taſche toutefois, & tant qu’il peut s’efforce Pour eſpargner s’amie à rafoiblir ſa force, Et ne veut point s’armer de ces feux inhumains, Deſquels il terraſſa Typhœe centimains. Car cette rude foudre a trop de violence. Vne autre foudre y a de moindre vehemence Que le bras des Cyclops arme de moins d’effort Qui n’a tant de rudeſſe & ne bruſle ſi fort. Les traits qu’il prend en main ſont par la troupe ſainte Appellez traits ſeconds, de plus legere atteinte. Or veint-il aborder d’Agenor en l’hoſtel : Mais Semelé n’ayant qu’vn ſimple corps mortel, Ne ſouſtinſt cette ardeur ; ſi que la pauure Dame, Par ce don coniugal s’enueloppa de flame. Mais l’enfant imparfaict de ſon ventre arraché, Fut (ſi croire il le faut) à la cuiſſe attaché De ſon pere acheuant le temps de ſa naiſſance. Adonc ſa tante Ino dés ſa premiere enfance Le retirant chez ſoy, le nourrit cachément : Puis le fit allaiter treſ-que ſoigneuſement Par les doüilletes mains des Nymphes Nyſeides L’abruuans de leur laict en leurs grottes humides.

D’autres alleguent vne raiſon d’aſſez mauuais gouſt, diſans que Semelé fut conſumee par le feu du Ciel, & foudroyee par l’indignation de Iupiter, ſe voyant requis de iurer par le marais Stygien, comme ſi ſa parole n’euſt esſé aſſez croyable. Les autres dient que ce fut d’autant qu’elle nia d’auoir eu affaire auec Iupiter : dont il fut ſi coleré qu’il la conſuma de fouldre. De cet aduis eſt Euripide és Bacches. Semelé iettee dãs la mer auec ſon enfant.Les autres maintiennent que Semelé engendra de Iupin le pere Liber, mais que Cadme pere d’icelle, pour punition de ſa paillardiſe, l’enferma auec ſon fils tout fraiſchement né, dans vne huche, & l’abandonna aux flots des ondes marines, qui les ietterent és confins des Oreates en la ſeigneurie de Lacedemone : & que les habitans, la huche ouuerte, trouuerent Semelé morte, qu’ils enterrerent honorablement, & firent nourrir l’enfant.Depuis les Oreates furent nommez Braſiens, du mot Braſæ, qui ſignifie les flots & les agitations de la mer, comme dit Nicandre au 1. des langues. On peignoit Semelé auec grands cheueux & plus longs que ne les euſt aucune des autres Deeſſes. En l’hymne de Miſé.D’autre-part Orphee en vn hymne de Bacchus, le fait fils de Iupiter & de Proſerpine, & ailleurs il le nomme fils d’Iſis Egyptienne, & nourriſſon des Nymphes. On l’a appellé Deux fois-né, & Bimere, non qu’il ait eu deux meres : mais pource que quand ſa mere Semelé fut bruſlee, Iupiter le ſauua du feu, & ſe faiſant faire vne inciſion à la cuiſſe, l’enferma dedans, & luy ſeruant de mere le porta iuſques à ce qu’il euſt accomply le terme auquel les femmes enfantent, comme nous auons veu cy-deſſus. Orphee en l’hymne de Sabaze, dit que Sabaze cousut Bacchus à la cuiſſe de Iupin. Neantmoins les autres rapportent que Sabaze fut fils de Bacchus ; les autres le prennent pour Bacchus meſme, les autres pour vn autre Demon. Voicy comme en parle Orphee :

Fils de Saturne, eſcoute, ô bon pere Sabaze, Dieu plein de Majeſté, contre la cuiſſe raze De Iupin qui couſis Bacchus le fremiſſant, Afin qu’auec le temps ſon aage accompliſſant, Il ſe miſt en deuoir de deſcendre du pole Pour venir s’eſgayer és ombrages de Tmole.

Bacchus pourquoi nommé Dionyſe.Or il fut nommé Dionyſe, pource que naiſſant auec des cornes il picqua la cuiſſe de Iupiter, comme dit Steſimbrote : mais Ariſtodeme ſouſtient que ce fut dautant que Iupiter enuoya de la pluye, quand il naſquit. Nonnus és Dionyſiaques veut dire que ce nom luy fut donné, parce que Iupiter fut boiteux tandis qu’il le porta couſu à ſa cuiſſe. Car la premiere partie de ce mot emporte le nom de Iupiter, & ceux de Saragoce en Sicile appelloyent vn boiteux, Nyſos, adiouſtant que Iupin luy-meſme l’attacha à ſa cuiſſe. L’auis de Meleager eſt que Bacchus ne fut point couſu à la cuiſſe de Iupin, mais que les Nymphes pitoyables voyans ſa mere reduite en cendres, ſauuerent l’enfant, le lauerent en vne fontaine d’eau vifue, & le nourrirent cherement : & que pour cette cauſe il les prit en amitié ; ſi bien qu’il prenoit grand plaiſir à conuerſer auec elles : & ſi quelqu’vn euſt entrepris de le ſeparer de leur compagnie, il luy euſt fait ſentir la rigueur du feu duquel il auoit eſté ſauué. Demarche au 9. liure des Dionyſiaques dit que les Heures l’eſleuerent, & qu’elles luy poſerent ſur la teſte vne belle guirlande d’hierre. Pourtant on le peint ordinairement auec tel equippage. Mais Euripide poëte mignard dit és Bacches, que Iupiter le couſit luy-meſme à ſa cuiſſe :

Iupin le ſauuant de la foudre Qui ſa mere auoit miſe en poudre, Contre ſa cuiſſe le couſant Luy va de tels propos vſant : Vien ça mignon ¤Comme diroit, né ou venu au monde par deux huis.¤Dithyrambe, entre Dedans ce mien maſculin ventre.

Il nous apprend auſſi que Semelé fut foudroyée vers la riuiere d’Achelois : & que Dirce, l’vne des Nymphes de cette meſme riuiere, receut le petit enfant en guiſe de ſage-femme deuant qu’il fust inſeré à la cuiſſe de Iupiter. Lucian és Dialogues des Dieux eſcript que dés que Bacchus fut né, Mercure par le commandement de Iupiter le prit en ſa charge, & l’emporta à Nyſe ville d’Arabie proche de l’Egypte, pour le faire nourrir par les Nymphes. Mais Orphee en ſes hymnes veut qu’il ait eſté nourry en Egypte. Nourrices de Bacchus.Les autres diſent que les Hyades filles d’Atlas furent nourrices de Bacchus, teſmoing Apollodore Cyrenien au 2. liure des Dieux, & Ouide au 5. des Faſtes :

La bouche du Taureau de ſept aſtres flamboye Que le Naucher Gregeois, pource que l’air ondoye En pluye à leur leuer, Hyades a nommé, Filles du preux Atlas. Les vns ont eſtimé, Que Bacchus fut nourry ſous leur garde tutrice, Par elles recueilli ſortant de la matrice.

Pausanias és Achaïques, dit que ceux de Patres ſe vantoient d’auoir eſleué Bacchus en vne ville nommee Meſatis, & qu’il faillit d’eſtre pris en vne embuſcade que les Pans luy auoyent dreſſee. Les autres diſent qu’il fut nourry en Naxe. Car les Thraciens ont habité Naxe plus de deux cents ans : puis aprés les Gariens chaſſez de Lamie par la peſtilence s’y tranſporterent : le Capitaine & chef deſquels nommé Naxie fils de Polemon, appella cette iſle-là de ſon nom. Il regna en Naxe, & aprés luy ſon fils Leucippe, puis ſon petit fils Smarde : Cy deſſous li. 7. ch. 9.durant le regne duquel Theſee emmena de Candie Ariadne, laquelle il fut en ſonge conſeillé de laiſſer à Dionyſe comme ainſi ſoit que les Naxiens ſouſtiennent que Bacchus ait eſté nourry & eſleué chez eux ; & ponr ce regard quelques-vns ont nommé leur iſle Dionyſias. Car aprés que Iupin eut couſu l’enfant à ſa cuiſſe, quand le terme de ſon enfantement fut proche, on dit qu’il s’en deſchargea en Naxe, & le donna aux Nymphes Philie, Coronis & Clyde, pour l’eſleuer. Mais Antipater de Sidon l’appelle Thebain auſſi bien que Hercule :

Tous deux Thebains, tous deux guerriers pleins de vaillance : Tous deux ayans tiré de Iupin leur naiſſance. L’vn braue ayant en main le thyrſe glorieux, L’autre de ſa maſſuë atterre ſes haineux.

Cet auis eſt confirmé de ce que l’enfant toſt aprés ſa naiſſance, fut laué par ſes nourrices en la fontaine de Ciſſuſe, comme dit Plutarque en Lyſandre. Lucian au conſeil des Dieux dit, que Bacchus fut Thebain, & ſa mere Syrophœnicienne. Or tant de diuerſité de lieux de ſa natiuité & des nourrices qu’on luy donne, vient de ce que pluſieurs ont porté le nom de Bacchus, deſquels voicy ce que dit Ciceron au 3. liure de la nature des Dieux : Pluſieurs Bacchus.Nous auons pluſieurs Dionyſes : le premier de ce nom eſt fils de Iupiter & de Proſerpine : le ſecond, du Nil, que l’on dit auoir tué Nyſa : le troiſieſme, de Caprie, qu’ils diſent auoir eſté Roy d’Aſie : lequel inſtitua les feſtes Abazee, (c’eſt à dire Taciturnes) le quatrieſme, de Iupiter & de la Lune, à l’honneur duquel ſe font les feries & ſolemnitez Orgiques : le cinquieſme, de Nyſe & de Thione, que l’on dit auoir eſtably les Trieterides, (c’eſt à dire Triennales, pource qu’elles ſe ſolemniſoient de trois en trois ans.) Neantmoins les Poëtes ne font preſque point de mention de tous ceux-cy ; mais en eſtouffent la memoire ſous le nom de celuy qui fut fils de Iupin & de Semelé. Macris nourrice de Bacchus chaſſee par Iunon.D’autres diſent que Dionyſe incõtinent aprés ſa natiuité fut par le mandement de Iupiter emporté par Mercure en l’Eubœe à Macris fille d’Ariſtee ; qui à ſon arriuee luy frotta les leures de miel, & prit la charge de le nourrir. Iunon paſſionnee de jalouſie ſelon ſa couſtume, ayant deſcouuert que Macris nourriſſoit ce fils de concubine, bannit & chaſſa la Nymphe de tout le territoire d’Eubœe, à fin qu’vn fils de putain ne fut eſleué dans vne iſle ſacree à ſa maieſté : laquelle ſe retira en la contree des Phœaques, & le nourrit en vne grotte à deux huis, comme dit Apollonius au troiſieſme liure du voyage de la toiſon d’or.

Orphee en l’hymne de Hyppa dit qu’elle fut nourrice de Bacchus : neantmoins en celuy des Nymphes il les nomme generalement nourrices de Dionyſe. De meſme en dit Homere en l’hymne qu’il a chanté à l’honneur d’iceluy. Ouide au 3. des Metamorph. dit que premierement ſa tante Ino le nourrit, puis le donna en nourrice aux Nymphes : car elle vagabonde ſous l’indignation & fureur de Iunon, le nourrit en vne cauerne, le contour de laquelle eſt appellé le Iardin de Bacchus. Oppian en ſes Cynegetiques eſcrit qu’Ino, Autonoe & Agaué furent nourrices de Bacchus. Nourrices de Bacchus muees en eſtoiles.D’auantage les Poëtes racontent que ces Nourrices auſquelles Mercure porta Dionyſe pour l’éleuer en la ville de Nyſe, furent par luy meſme en recompenſe de la nourriture qu’il auoit receu d’elles, & de la peine qu’elles auoient priſe en ſon inſtitution, tranſmuees en Eſtoilles, & nommees Hyades, du mot Grec qui ſignifie pleuuoir : mais de Bacchus meſme, qu’on ſurnommoit auſſi Hyés. Bacchus a deux natures.D’autre part Orphee en l’hymne de Myſé, dit que Bacchus auoit les deux natures, de maſle & de femelle. Son image.Et Albricus és images des Dieux le depeint en face feminine, l’eſtomac deſcouuert, des cornes en teſte, couronné de ſarmens de vigne, & monté ſur vn Tigre, ayant aupres de luy trois autres animaux, vn Singe, vn Lyon, vn Porceau, que l’on void tournoyer (ce ſemble) autour d’vn cep de vigne bien garny de raiſins, à l’ombre duquel Bacchus fait ceſte cheuauchee, vn grand hanap en la main gauche, où il eſpreind vne groſſe grappe qu’il tient en la droitte. Mais Ouide au 4. des Metamorphoſes ſouſtient qu’il eſtoit touſiours ieune : Paſſage prouuant que Bacchus & le Soleil ne ſont qu’vne meſme choſe.

Tu as vne ieuneſſe à iamais permanente. Tu és touſiours garçon & de beauté brillante Du Ciel iuſques en bas.

Les vns ont eſtimé qu’il auoit de la barbe, pource que les Anciens eſtoient curieux de nourrir de longues barbes, les autres qu’il n’en eut iamais, demeurant touſiours en aage pueril. Les autres ont voulu exprimer ſon naturel, ou pluſtoſt les complexions de ceux qui s’addonnent au vin, comme ainſi ſoit que le vin aliene les cerueaux de leur eſtre ordinaire, Vin de Singe.rend les vns gaillards & joyeux, tant en paroles, qu’en actions : & leur faict commettre des follastreries eshontees & ſans aucune vergongne, qu’eſtans ſobres ils n’oſeroient ne faire, ne dire : Vin de Lion.les autres, querelleux & pleins de courroux, furieux : Vin de Porc.d’autres auſſi, enſeuelis d’vn profond dormir, cõme ſi c’eſtoit vn corps mort. Iſace dit que Dionyſe fut ieune & vieil tout enſemble : neantmoins pource qu’il n’eſtoit aucunement barbu, Euripide és Bacches l’appelle Thelymorphe (c’eſt à dire ayant vn air de viſage feminin, vne forme feminine) laſcif, ſoüillant la couche des mariez, & donnant faſcherie aux femmes. Il dit auſſi que quand Iupiter l’emporta aux Cieux, deuant que l’auoir plaqué à ſa cuisse, Iunon le voulut ietter hors de la Cour celeſte. Maiſtreſſes de Bacchus, leurs inſolences, & noms.Or apres qu’il euſt eſté quelque temps nourri par les mains des Nymphes, il exploita des choſes merueilleuſes par le moyen des Bacches ou Bacchantes ſes Religieuſes & Miniſtreſſes, ainſi nommees à cauſe des inſolences & desbordemens qui ſe commettoient és feſtes & ſolemnitez de ce Dieu. On les appelle auſſi Menades, d’vn mot ſignifiant enrager. Quelquesfois Thyades, d’vn autre qui ſignifie ſacrifier ; & parfois, eſtre tranſporté d’vne petulance & impetuoſité d’eſprit en guiſe de furieux, ou bien de Thya, Dame qu’aucuns diſent auoir la premiere inſtitué la feſte & la ſolemnité de Bacchus. Quelquesfois Clodones & Mimallones, comme qui diroit furieuſes & agguerries, parce que ſortans ainſi hors des gonds elles contrefaiſoient Diony. Quelquesfois Baſſarides, Potſeniades, noms de meſme eſtoffe & importance que le precedens. C’eſtoient femmes dediees au ſeruice de ce Dieu, en la celebrité duquel elles vſoient de pluſieurs impudiques, voire execrables ceremonies : & tant par le vin qu’elles prenoient outre meſure, que par autres voyes extraordinaires, entroient en vne ſi furieuſe alienation d’eſprit, qu’elles deuenoient enragees, & en tel eſtat couroient les champs, grimpoient les montagnes, ſe rouloient du haut en bas, affublees de peaux de Renards, Tigres, Onces, Leopards, Loups-ceruiers, & ſemblables ; s’appliquoient de petites cornes ſur la teſte auec des guirlandes de pampre, d’hierre, & de figuier : en memoire des Nymphes Staphylé muee en vigne, Sycé én figuier, & le iouuenceau Kiſſe en hierre : & pour ceſte occaſion en bardoient leurs iauelots, comme nous verrons cy-apres, & au lieu de ceintures & rubans ſe ceignoient & treſſoient les cheueux de ſerpens & couleuures. Elles faiſoient leur demeure ordinaire és montagnes, & en amenoient à belles mains auec elles des Lions, Tigres, Ours, & autres telles beſtes furieuſes & ſauuages ; puis les deuoroient toutes cruës. Et quand la ſoif les accueilloit, frappans la terre, ou roches auec leurs iauelines, en faiſoient reiaillir des fontaines & ruiſſeaux de vin, de laict, de miel, & de pluſieurs autres liqueurs ſemblables. Ce qu’Euripide teſmoigne qu’elles faiſoient auſſi toutes les fois que Bacchus en ſon enfance auoit enuie de tetter. Prodiges exploitez par Bacchus & ſes Bacchantes.Bacchus auſſi luy-meſme exploittoit telles & meſmes œuures ou prodiges, entre leſquels on conte qu’eſtant encore enfant, vne fois il couppa la gorge à vne Brebis, laquelle ayant eſpanché tout entierement ſon ſang, il la mit en quartiers, & les ſepara l’vn d’auec l’autre : puis tout à coup ils vindrent à ſe raſſembler & rejoindre derechef ; & quand & quand la Brebis commença de broutter. En ſuite au prix quil creut en aage, il appliqua ſon eſprit à pluſieurs belles & proffittables inuentions au genre humain. Inuentions de Bacchus, bien faicteur du genre humain.Ce fut luy qui le premier apprit aux Egyptiens à labourer la terre, luy qui leur donna l’vſage & façon de la charruë, le moven de ſemer les grains, l’induſtrie de planter, anter & cultiuer les arbres de toutes ſortes, planter la vigne & l’appuyer d’eſchalas, faucher les prez, vendanger & faire le vin. Mais Iunon qui par tous moyens pourchaſſoit ſa ruyne, & non moins que celle d’Hercule, enuieuſe de ſa proſperité ; & de la reputation diuine, qu’au moyen de ſi nobles inuentions il acqueroit de iour à autre, le trouble d’vne eſtrange maladie de rage : Bacchus enrage.de façon qu’il fut long temps vagabond ; & tracaſſant, eſgaré de ſens & de pays. Et qui plus eſt, vn iour entre autres, haraſſé du chemin qu’il auoit faict, comme il ſe mit à l’ombre d’vn arbre en eſperance d’y prendre vn peu de repos ; le trauerſa malicieuſement d’vne nouuelle algarade, & luy ſuſcita vne Amphiſbene (vipere à deux teſtes, comme dit Nicandre en ſes Theriaques) qui le mordit à la iambe : mais s’eſueillant il la tua d’vn ſarment que de bon-heur il trouua là tout à poinct : car, ſelon l’aduis de quelques-vns, cet animal ne ſe peut tuer par autre choſe que par du bois de vigne. Comme doncques il rodoit l’Vniuers, outrepaſſant l’Egypte & la Syrie, Protee Roy d’Egypte le receut le premier, & logea chez ſoy, puis s’en alla à Cybelle ville de Phrygie, là où Rhea le purifia & ſanctifia, & l’accommodant d’vne robe longue, luy apprit les ceremonies de la Deeſſe Cybele. De là paſſant par la Thrace il paruint aux Indes, & par tout enrichiſſoit les humains des dons & graces ſingulieres de ſon bel eſprit. Vengeãce de Bacchus ſur Lycurge.Adonc Lycurge fils de Dryas, Roy des Edoniens en Thrace, habitans le long de la riuiere de Strymon, luy dit iniures & l’outragea, des mains duquel Dionyſe eſchappé le fit inſenſer : tellement que comme il cuidoit tailler ſa vigne, il ſe trencha luy-meſme les cuiſſes. Finalement apres s’eſtre coupé les extremitez du corps, il reuint à ſoy. Et d’autant que la famine & ſterilité trauailloit miſerablement les Edoniens, par l’aduis de l’Oracle ils l’empriſonnerent ; puis au bout de quelque temps, Bacchus finit ſa vengeance ſur luy, le faiſant deuorer à certain haras de beſtes cheualines en furie, comme eſcrit Apollodore au troiſieſme liure. Homere au ſixieſme de l’Iliade eſcrit que Lycurge pour auoir conteſté auec les celeſtes Dieux, & outragé les nourrices & miniſtreſſes de Bacchus, les pourſuiuant à trauers la montagne de Nyſe, & battant à grands coups d’aiguillons dont on picque les bœufs (dequoy Bacchus meſme eſpeuré s’alla cacher dans la mer) fut aueuglé par Iupiter, lequel n’eſtoit pas moins ialoux de ſes Sacrifices qu’aucun autre, à qui ils touchaſſent, & puniſſoit rigoureuſement ceux qui blaſmoient le ſeruice & la religion d’iceluy. Voici ce que dit Diomede en Homere touchant le ſupplice de Lycurge, au pour-parler qu’il eut auec Glauque, preſts à ſe battre en eſtoccade :

”Ie me garderay bien d’encourir le danger ”De ce fils de Dryas, Lycurge, trop leger ”A quereller les Dieux, qui pour vengeance en prendre ”Firent ſon ame en bref dans Acheron deſcendre. ”Il auint vne fois que Lycurge auiſa ”Ces femmes en fureur ſur le mont de Nyza ”Qui font l’office ſainct de Bacchus en ſes feſtes ”Se treſſans des tortis de pampres ſur leurs teſtes. ”Or ſe mit-il aprés, & leur fit tant de maux ”Qu’elles laiſſerent choir les reverends ioyaux ”Et ietterent en bas la couronne ſacree ”Dont le pere Liber gayement ſe recree. ”Car ce cruel meurtrier à grands coups les picquoit ”D’vn aiguillon à bœufs, puis aprés s’en mocquoit. ”Bacchus rempli d’effroy ſe ſauua de viſteſſe ”Recourant vers la mer à Thetis la Deeſſe ”Qui le receut chez ſoy tout tremblotant de peur ”De voir entre les mains de ce felon gripeur. ”Dés lors les Dieux viuans d’vne maniere heureuſe ”Pourſuiuirent Lycurge auec haine enuieuſe. ”Tant que Iupiter meſme en luy creuant les yeux ”Le priua des clairtez du Soleil radieux. ”Et non content punit ſon meffaict execrable, ”Iuſqu’au dernier ſouſpir d’vn eſtat miſerable.

Or Lycurge eſtoit Roy de Thrace : comme il appert en Horace au 2. liure des Carmes :

”De retrancher il m’eſt permis ”Au nombre des eſtoilles mis ”L’honneur de ton eſpouſe heuree ”Et le toict du-tout ruyné ”De Penthee, & du Thrace-né ”Lycurge la fin malheuree.

Car on dit que Bacchus, comme le touche Horace en ce paſſage, aprés la mort de ſa femme Ariadne, mit la couronne qu’elle ſouloit forter au nombre des Eſtoilles, en perpetuelle ſouuenance d’icelle, comme nous dirons cy-deſſous. Or la verité eſt, comme le teſmoigne Plutaque au traicté de la lecture des Poëtes, & en celuy de la vertu morale, que Lycurge voyant les Thraces ſiens ſubiets, extremément fort addonnez au vin, fit arracher toutes les vignes de ſon Royaume. De là les Poëtes ont pris ſujet de dire qu’il auoit eſté grand perſecuteur & mortel ennemy de Bacchus, iuſques à chaſſer ſes nourrices qui s’eſtoient cachees à Nyſe, & donner telle eſpouuente à Bacchus meſme, qu’il le contraignit de paſſer la mer, & ſe retirer à Naxe ; Que luy-meſme voulant mettre le premier la main à la vigne pour l’arracher, ſe couppa les deux iambes par vengeance de Bacchus. Sur Penthee.Pareillement Penthee fils d’Echion & d’Agaué fille de Cadme Roy de Thebes, ſe mit en deuoir d’exterminer les myſterieux ſecrets & Sacrifices des Orgies & des Bacchanales, à cauſe des enormes pollutions & desbordemens execrables qui s’y commettoient, ſous ombre de deuotion. Mais pource que c’eſt choſe haſardeuſe aux Princes & Rois d’abolir en vn instant vne diſſolution enuieillie, & vne intemperance receuë & pratiquee de longue-main, veu que la nature ne peut gayement ſouffrir aucun changement qui ſuruient tout à coup, & qu’il faut peu a peu & par ſucceſſion de temps deſraciner les mauuaiſes couſtumes : apres que Penthee eut interpoſé ſon authorité pour empeſcher la reception de ſi ſuperſtitieux myſteres (comme nous dirons en ſuite par le teſmoignage d’Ouide) & faict defenſe aux Thebains de n’y adherer en maniere quelconque, ſaiſi le Dieu meſme, ſans reſpect des miracles qu’il luy vid faire en ſa preſence, & qu’on luy rapportoit d’heure à autre de toutes parts : nonobſtant la grace qu’il auoit departie à la ville de Thebes, ayant baſty vn tres-beau & fertile vignoble au quartier d’alentour : outre pluſieurs autres biens-faicts qu’il luy auoit elargis comme à ſa patrie ; laquelle voyant ſi opiniaſtre & refractaire, il prit reſolution de luy faire ſentir quelque effect & preuue de ſa diuine puiſſance, que Penthee diſoit n’eſtre que fourbe, impoſture & piperie, tendant à fin de desbaucher les femmes de bien ſous ombre de Religion. Et de faict, Dionyſe luy oſte premierement le ſens, & deſguisé luy perſuade de veſtir vn habit de Bacchante : puis s’eſcarte quelque peu, & reuient tout court pour le faire monter ſus vn haut Pin en la montagne de Cythere (montagne funeſte au ſang de Cadme. Car Acteon y fut auſſi deſmembré par la meute de ſes chiens) duquel il pourroit aiſement deſcouurir les ſecrets myſteres de Bacchus, eſquels il n’eſtoit permis aux hommes d’aſſiſter : & pour luy faciliter la montee, prend luy-meſme la plus haute branche à belles mains, & d’vne force plus qu’humaine la ploye tout doucement en terre, ſur laquelle il le poſe à cheuauchon : puis la laiſſe remonter peu à peu en ſa premiere place. En ſuite il tranſporte de pareille forcenerie ſa mere Agaué, ſes tantes, & generalement toutes les autres de la confrairie : leſquelles aliences d’entendement, ſi toſt qu’elles l’eurent deſcouuert, ſe firent accroire que c’eſtoit vn Lyon : (Ouide au 3. des Metamorphoſes dit vn Sanglier) & ſur ceſte creance coururent arracher des branches aux arbres prochains, & le vindrent charger ſi furieuſement, que l’ayans au prealable faict cheoir à terre, elles l’aſſommerent à grands coups de perche, & le deſchirerent en pieces. Sa mere meſme luy mettant le pied ſur la gorge luy trencha la teſte auec le fer de ſon jauelot : & la porta à Cadme, pour montre & gage de ſon vaillant & magnanime courage, ſe vantant d’eſtre l’vne des plus fauorites de Diane, & inuitãt ſes ſuiuantes à luy ayder à attacher la hure au portail de l’hoſtel de Cadme ; qui n’eſtant pas tranſporté de rage reconnut incontinent le chef de ſon fils Penthee, ſur lequel aprés auoir ietté grand nombre de regrets, Bacchus mua l’entendemẽt d’Agaué & des autres Bacchantes, & la remit en ſon bon ſens, deſolee, tranſie, & toute eſploree, ſi que reuennës toutes à elles, s’en allerent de douleur & de deſplaiſir volontairement en exil de coſté & d’autre. Liure 9. c. 14.Cadme & ſa femme Harmonie eurent l’auenture que nous dirons en leur lieu. Quelques-vns diſent que les Bacchantes furent par Bacchus transformees en Leopards, & Penthee en Taureau : leſquels le deſchirerent à belles ongles & griffes. Pauſanias és Corinthiaques eſcrit, que Penthee, parmy tout plein d’inſolences & d’outrages qu’il s’ingera de faire à Bacchus, s’en alla eſpier dans le mont de Cythere les femmes qui celebroient les ſacrifices : & là monté ſur vn arbre remarqua par le menu chacune choſe qui s’y faiſoit. Mais elles l’ayans deſcouuert, & deſniché de là, le deſmembrerent tout vif. Puis aprés les Corinthiens furent admoneſtez par l’Oracle de cercher l’arbre & le reuerer auſſi religieuſement que Bacchus meſme. Et pourtant ils en firent deux images du pere Liber, qui furent poſees au marché de Corinthe, toutes dorees, hormis la face, qui eſtoit cramoiſie. L’vne fut nommee Lyſienne, l’autre Bacchee. Peu de tẽps aprés on luy fit baſtir vn Temple au meſme endroit auec telles enſeignes & marques. Aucuns veulent dire que les Bacchantes furẽt par Bacchus transformees en Leopards, & Penthee en Taureau, qui le déſchirerent à belles ongles & griffes. Euripide neantmoins és Bacchantes ne dit pas qu’elles furent tranſmuees en Leopards ; mais bien les filles de Cadme, & ſœurs de Semelé, nourrices de Bacchus, leſquelles deſpecerent ainſi le miſerable Penthee, & raconte auſſi quelle piece chacune en emporta. Sur les Dames de Lacedemone. Ælian liu. 3. de la diuerſe hiſt.Semblablement les femmes des Lacedemoniens furent vne fois eſpriſes de pareille rage (De Scio & de Bœoce.les Poëtes l’appellent œſtre ou tahon Bacchique) & celles de Scio tout de meſme, & de la Bœoce, qui deuindrent inſenſees, comme ſi elles euſſent eſté ſaiſies de quelque diuine fureur. Sur trois Dames Thebaines.Et comme ordinairement en vne ville il y a beaucoup de ialouſie, de partialitez, d’enuie & de meſpris entre les citadins, trois Dames de Thebes, ſœurs, Leucippe, Ariſtippe, Alcithe, deſplaiſantes de l’honneur diuin qu’on faiſoit à Bacchus, & du ſacrifice qu’elles luy voyoient offrir auec beaucoup de deuotion, non ſeulement n’y voulurent pas aſſiſter, mais auſſi deſdaignerent fort cette confrairie, & pour la crainte & la reuerence qu’elles portoient à leurs maris, ne voulurent point rager à l’honneur de ce Dieu : ains durãt la ſolemnité s’occuperent ; l’vne à filer, l’autre à tiſtre, l’autre à deuider, diſans que c’eſtoit crime de reputer Bacchus pour Dieu. Dequoy il s’irrita de telle ſorte, que les bonnes Dames attentiues à leurs ouurages de fil & de laine, ne ſe donnerent garde qu’elles ouyrent vn eſtrange bruit de tambours, de cors & clairons & autres inſtrumens d’airain chez elles, ſans toutefois en voir aucun : & par meſme moyen virent leur toile, quenoüilles & fuſeaux entortillez de rameaux d’hierre & de pampre, leur fil mué en ſarment, & leur eſtaim en bourjon. Mais comme toute ces merueilles ne les introduiſoient à faire hommage à ce Dieu, vne rage les ſaiſit hors de Cytheree meſme, non moins aſpre & furieuſe, que ſi c’euſt eſté en la montagne propre. Car les autres Miniades deſmembrerẽt piece à piece l’enfant de Leucippe tout tendrelet encore, le prenans pour vn Cheureul, ou pour vn faon de Biche, & ainſi deſpecé l’emportoient, Tranſmuees en oyſeaux.quand la mere & les tantes penſans courir à la recouſſe, furent conuerties en oyſeaux, la premiere en Corneille, la ſeconde en Chauue-ſouris, la troiſieſme en Choüette. Sur Diagondas.Ciceron au 2. liure des Loix, atteſte Diagondas de Thebes auoir eſté perſecuté de toutes ſortes de pauuretez, pour auoir par vne loy perpetuelle & irreuocable aboly tous ces Sacrifices nocturnes, à cauſe des diſſolutions qu’on y exerçoit auec licence. Cet enuoy de rage eſtoit aſſez ordinaire à Bacchus à l’encontre de ceux deſquels il ſe vouloit vanger. Sur Callirhoé.Pauſanias nous apprend que Coreſe, Preſtre de Bacchus, amoureux de la pucelle Callirhoé, s’efforça de gagner ſa bonne grace, mais plus il s’enflammoit de ſon amour, plus au rebours s’aigriſſoit la haine & le deſdain que la Damoiſelle auoit pour ce ſujet conceu contre luy. De ſorte que ne pouuãt, ny par prieres, ny par preſens, ny par offres ou promeſſes la faire condeſcendre à ſon vouloir, il en fit ſes plaintes à l’image de Bacchus, qui prenãt en main la cauſe de ſon Miniſtre, tout incontinent les Calydoniens commencerent à deuenir inſenſez, cõme ſi c’euſt eſté d’vne yureſſe : & fouruoyez de leur entendement, venoient là deſſus rendre l’ame. La commune deputa gens pour aller au remede vers l’Oracle de Dodone, Liure 6. chap. 12.duquel nous diſcourrons en ſon lieu, où les Colombes, les Cheſnes & les Fouteaux donnoient les reſponſes. Là leur fut declairé que ce mal prouenoit de l’indignation de Bacchus, pour le meſpris fait à ſon Sacrificateur Coreſe par Callirhoé, & qu’ils n’auoient autre moyen d’en eſtre garantis, que faiſans par Coreſe ſacrifier à Bacchus cette meſme Callirhoé, ou quelque autre qui voudroit ſubir la place d’icelle. Mais n’ayans trouué ny amy ny parent aucun qui ſe preſentaſt à la mort pour l’en deliurer, elle fut menee à l’autel pour eſtre immolee en guiſe de victime pour le ſalut du pays. Alors Coreſe, qui auoit la charge de ce Sacrifice, cedant à l’amour plus qu’à l’indignation & à la vengeance, ſe tua luy-meſme au lieu d’elle, monſtrãt aſſez d’auoir auſſi loyaument aymé qu’aucun autre dont nous ayons cognoiſſance. Callirhoé le s voyant ainſi mort à ſon occaſion, changea de vouloir, & meuë de compaſſion auec vn remords de conſcience de ſes rigueurs paſſees, ſe tua depuis de ſa propre main, prés de la fontaine du port, non loing de Calydon, qui pour cet incident porta le nom de la fille, Callirhoé. Dauantage Plutarque en ſes Paralleles, art. 19. nous apprend deux hiſtoires de meſme eſtoffe. Sur Cyanippe.L’vne de Cyanippe Syracuſain, lequel ſacrifiant à tous les autres Dieux fors qu’à Bacchus, ce Dieu par deſpit l’enyura ſi bien qu’il depucella ſa fille meſme Cyane, laquelle l’immola depuis de ſa propre main, & à l’inſtant ſe ſacrifia elle-meſme deſſus le corps d’iceluy. Sur Arunce.L’autre eſt d’vne Arunce, lequel ayant touſiours deteſté le vin, & finalement par l’indignation de Bacchus s’eſtãt enyuré, voila ſa fille Medulline, qui pour ſe venger de l’inceſte, trouua moyen de le r’enyurer derechef, & le ſacrifia tout enſeuely de vin qu’il eſtoit. En vn mot, les Poëtes nous donnent Bacchus pour auoir eſté de tres-dangereuſe offenſe, & le plus vindicatif de tous autres, rendant ſes vengeances redouttables, en les authoriſant de quelque eſtrange miracle. S’eſtant vn iour embarqué pour paſſer en Naxe, auint que ſes mattelots le voulurent tranſporter ailleurs. Sur certains mariniers.Mais incontinent leurs rames & leurs auirons cõmencerent à s’entortiller & couurir d’hierre rampant tout autour : & leur galiote, quoy qu’ils gaſchassent de toute leur force & puiſſance, ne ſe pouuoit bouger du lieu auquel il la fit arreſter. Homere en vn Hymne de Bacchus raconte qu’vne autre fois il ſe pourmenoit ſur la greue, en forme d’vn beau ieune adoleſcent, fort bien en conche, veſtu d’vn riche habillement de pourpre, & qui montroit à ſon entregent, maintien & contenance, eſtre iſſu de grãd lieu. Sur d’autres Tyrrheniens.Sur ces entrefaites, vne trouppe de Tyrrheniens, auiourd’huy Toſcans, inſignes corſaires ſur la mer Mediterranee, eſtans allez en cours pour faire quelque rafle du long des iſles & coſtes de l’Archipel, l’ayans deſcouuert, ſe perſuaderent d’abord qu’il eſtoit fils de quelque Roy, eſgaré de ſa ſuite, & ſur cette creance, ſe ſaiſirent de ſa personne, le chargerent en leur vaiſſeau, en intention (diſoient-ils) de luy faire courtoiſie, & le remertte en lieu de ſauueté la part où il ſe voudroit retirer : mais en effect, de le gehenner pour luy faire confeſſer ſa qualité, le deſualiser, & en ſuite tirer de luy quelque groſſe rançon. Et de faict, ils ſe mirent en deuoir de le garrotter & de le mettre à la chaine. Mais les liens qu’ils appoſoient à ſes mains & à ſes pieds, cheoient volontairement & d’eux-meſmes en bas, & luy ne s’en faiſoit que rire. Ce qu’aperceuant vn des Pilotes, homme de meilleur naturel & plus retenu, iugea quand & quand qu’il auoit ie ne ſcay quoy de plus auguſte qu’vne ſimple creature humaine : & remontra à ſes compagnons la faute qu’ils faisoient en leur disant, qu’au lieu d’vn homme qu’ils penſoient tenir priſonnier, ils auoient pris : ou Iupiter, ou Apollon, ou Neptun, ou bien quelque autre Dieu deſguiſé : & que leur nauire n’eſtoit pas capable de le contenir. Alors le Capitaine le rabroüant auec groſſes paroles, luy commanda de dreſſer ſeulement la voile auec tout l’equipage du vaiſſeau, & qu’il viendroit bien à bout de ſon priſonnier. Mais comme ils eſtoient preſts de deſmarer, & obſtinez en leur mauuaiſe volonté, voicy couler parmy la barque vne fontaine d’excellent vin, ſourdant de la carene : & du haut de l’antenne veint à s’eſpandre de tous coſtez vne belle grande vigne, garnie de force grappes de raiſins. Pareillement le mas s’enueloppa de brãchages & de fueillages d’hierre verdoyant, auec quantité de fleurs, produiſant vn fruict agreable. Tous les bancs iuſques aux cheuilles des rames ſe couronnoient de chappeaux & de bouquets. Ce qui donna grand effroy, non ſeulement au patron, mais auſſi au Capitaine, & à tous ſes compagnons, leſquels ſoliciterent fort le Patron nommé Mededés, de regagner terre. Mais le voila ſoudain transfiguré en vn grand Lion rugiſſant au bout du vaiſſeau, d’vne façon eſpouuenttable, & au milieu Bacchus fit naiſtre vn Ours à la hure heriſſee. Puis comme toute cette troupe eſtoit eſpanduë, l’eſprit attentif & bandé ſur le Pilote, le Dieu ſe ruant deſſus, ſaiſit le Capitaine au collet ; Muez en dauphins.Ce que voyans les autres, ils ſe ietterent à corps perdu dans la mer, pour éuiter vne mort plus cruelle : en laquelle ils furent tous transmuez en Dauphins ; horſmis le Patron, auquel il fit grace, le retint, & le fit ſon miniſtre. Or ce ne fut pas pour vne ſeule fois qu’il fit ce traict, de faire naiſtre tout en vn moment des ramees de vigne, d’hierre, & autres plantes à luy conſacrees, ſur le nauire auquel il s’eſtoit embarqué, pour teſmoignage de ſa puiſſance diuine. Sur Telephe.Car autant en fit-il comme il eſtoit encore enfant, lors que les Nymphes l’emportoient en Eubœe. Pareillement les Grecs allans au voyage de Troye, partis du port d’Aulide, furent ou par erreur ou par tourmente emportez vers la coſte de Myſie, où regnoit pour lors Telephe, fils d’Hercule. Et comme ils voulurent deſcendre dans le pays, les habitans aſſemblez en armes ſe preſenterent à eux, & les repouſſerent moult rudement, ſi qu’il y eut grande tuerie de part & d’autre. Toutefois en fin la flotte Grecque gaigna le port, & lors recommença la charge de plus fort. Le Roy Telephe y ſuruint luy-meſme accompagné d’vn ſien frere lequel aprés pluſieurs beaux faits d’armes, fut tué par Ajax. Le Roy voulant venger la mort de ſon frere, principalement ſur quelqu’vn des chefs de l’ennemy, ſe print à pourſuiure Vlyſſe, & luy fit tourner le dos. Mais d’autant qu’Agamemnon auoit auant que démarer, appaiſé Bacchus par vn riche & ſolemnel Sacrifice : comme Telephe couroit aprés Vlysse, preſt de l’enferrer de ſon eſpieu, ce bon pere Liber fit ſoudain naiſtre vn ſep de vigne deuant les pieds du meſme Telephe, qui le fit choir. Eſtant chut Achille luy donna vn grand coup de hache d’armes en la cuiſſe gauche, dont il ne peut iamais guerir que par la main d’Achille meſme, Liure 9. chap. 12.comme nous dirõs en ſon lieu. Auſſi ſe transforma-il pluſieurs autres fois outre celle en laquelle il fut pris deſguiſé en jouuenceau ; car Ouide au 6. des Metamorphoſes, dit qu’il ſe transforma en raiſin lors qu’il faiſoit l’amour à Erigonne, ſelon le contenu de la toile d’Arachné :

Et au pere Liber la figure elle donne D’vn raiſin ſuppoſé pour iouyr d’Erigonne.

Chariot & attellage de Bacchus.Quand il marchoit par pays, il eſtoit monté ſur vn chariot tiré par des Lynx, ſelon le teſmoignage d’Ouide au 4. des Metamorphoſes. Et au 3. il dit qu’il auoit couſtumierement autour de luy des Lynx, des Tigres, & des Pantheres. En tel equipage le depeint-il quand il transforma les mariniers de la Thoſcane en Daulphins. Outre ces hideux & eſpouuenttables animaux qu’il auoit à ſa trouſſe, il s’affubloit auſſi d’vne peau de Leopard, pour ſe rendre d’autant plus effroyable : quelquefois de Cerf, laquelle s’appelloit Nebride. Virgile au 6. liure dit que ſon char eſtoit attellé de Tigres, & que pour bride ou reſne il ſe ſeruoit de pampre & ſarment de vigne. D’ailleurs Ouide au 1. liure de l’art d’aymer depeind ſon chariot couuert & bardé de raiſins ; & ſes Tigres harnachez d’or. Et luy portoit ordinairement en main le Thyrſe au lieu de ſceptre ; c’eſtoit vne jaueline gentiment bardee de fueillages de vigne, & quelquefois d’hierre. Ses compagnons & ſupposts.Pour compagnons & ſuppoſts il auoit ie ne ſcay quels Demons en forme humaine qu’on appelloit Satyres & Cobales, qui luy donnoient aduis des choſes à venir, & reueloient les deſſeings de ſes ennemis. On en void encore auiourd’huy pluſieurs en la Sarmatie, que les Sarmates nomment Drulles, les Russiens Coltkes ; les Alemands, Cobaldes, qui ſe cachent és recoings des maiſons, ou dans des tas de bois : & les domeſtiques leur rendent beaucoup d’honneur & de reſpect, non pour affection qu’ils leur portent, mais parce qu’inhumains & cruels à ceux à qui ils n’ont point d’obligation, & benings & courtois à ceux dont ils ont embraſſé le ſeruice ; ils deſrobent ce qu’ils peuuent aux voiſins, & le tranſportent chez leurs maiſtres, penſent leurs cheuaux, prediſent leurs maladies & autres incommoditez. Dauantage il auoit en ſa compagnie des femmes que ces Cobales auoient pouſſees hors de leurs ſens : leſquelles enuiſagees par les ennemis, comme touchees de leur ſympathie quand les Cobales les faiſoient inſenſer, ſautelloient, chantans & contrefaiſans d’eſtranges ſingeries. Pour ce dit Penthee au 3. des Metamorphoſes.

Bacchus y vient, & par des ioyeux chants Les trouppes font gaiment fremir les champs. Le populas de Thebes s’y aſſemble, Maris, enfans, femmes, & bruz enſemble, Pour honnorer d’vn ofice inconu Du bon Liber le ſacré iour venu ; Quelle fureur, populace inſenſee, (Dict Pentheus) pouſſe voſtre penſee ? Haultbois clairons, & cornets entonnez, Ont-ils ſi fort vos eſprits eſtonnez ? Souffrirez vous que des fraudes meſchantes, Gents pleins de vin, des femmes glapiſſantes, Trouppeaux vilains, & tambours invtils Vainquent ceux-là que les guerriers outils, Glaiues tranchants, la terreur des allarmes, Dards acerez, ny l’effroy des genſdarmes, N’ont iamais peu ſeulement esbranler ? &c.

Il menoit encore des Silenes, Tityres, Cabires, Corybantes, Pans, Ægipans, Bacchantes, & toutes celles que nous auons cy-deſſus nommees : en ſomme tous autres bons compagnons & enfans ſans ſoucy : touſiours ſuiuis de ieux de fluſtes, hautsbois, ſaqueboutes, nazards, cornets à bouquin, flageolets, chalemeaux, muſettes, doucines, & autres inſtruments à vent, auec toutes ſortes de ſonailleries, campanes, cymbales, dondaines, cris & acclamations de ioye, battemens de pieds & de mains, extaſes, euanoüiſſemens, rauiſſemens d’eſprit, enthouſiaſmes. Gens occupez ſeulement à rire, chãter, danſer, baller, gambader, vireuouſter, boire d’autãt, faire l’amour, mõmer, folaſtrer, ribler, roder, batre le paué, aller en garroüage, & finalement tout ce qui peut dependre des jeux, esbatemens, & bõnes cheres, tant de iour que de nuict, à la ville & aux champs, en apert & en tapinois. Car telles choſes appartiennent proprement à Bacchus, vray pere nourriſſier de Venus, de la Volupté & des Graces. Tout cela particulariſe Strabon au 10. liure. Plantes à luy ſacrees.Quant à ceux qui luy ſacrifioient, il portoient des rameaux de ſapin, arbre deſtiné pour luy faire des chapeaux & des guirlandes : item d’hierre, d’if, de pin, de cheſne ; arbres ſacrez à Bacchus. Ils ſe treſſoient auſſi de fueillages de myrthe, de roſes & de laurier ; comme ayans connu par experience que toutes telles choſes eſtoient de fort bons preſeruatifs contre l’acrimonie & ſubtilité des vins fumeux. Ses Religieuſes auſſi ſe ceignoiẽt des fueillages deſdits arbres. Il aymoit en outre à porter vn chappeau de Narciſſe, pour ſymboliſer à la pesãteur de l’eſprit des yurognes. Mais entre autres arbres & plãtes il affectionnoit particulierement ces trois, la vigne, l’hierre, le figuier, à cauſe des deux Nymphes & de Kiſſe que cy-deuant nous auons dit auoir eſté metamorphoſees en iceux. La Pie & le Serpẽ dediez à Bacchus.Entre les oyſeaux la Pie luy eſt dediee, à cauſe du caquet & babil de la pluſpart des yurognes : & entre les reptiles, le Serpent pour la viuacité de ſa veuë, mais en tel ſens il faut prendre Bacchus pour le Soleil : & quand par luy nous entendons l’autheur du plant de la vigne, cet animal luy eſt conſacré à cauſe de ſa frigidité : pour montrer que la chaleur du vin a beſoin d’eſtre aſſaiſonnee de quelque temperament refrigeratif. Bacchus Roy de Nyſe.Au demeurant quelques Hiſtoriens nous apprennent qu’il regna à Nyſe ville de l’Arabie heureuſe, & enſeigna à ſes ſubiects toutes les exquiſes & nottables inuentions qu’il auoit faites, auec la façon & vſage du miel : outre leſquelles il leur apprit auſſi les ſacrees ceremonies du ſeruice des Dieux. Et comme ſon intention eſtoit de s’obliger toutes les nations du monde par les meilleurs offices qu’il pourroit departir au bien public ; il prit reſolution de voyager & voir le monde, pour faire part aux humains des belles ſciences que par prattique il auoit acquiſes : & laiſſa Mercure Triſmegiſte à ſa femme, pour gouuerner ſon eſtat ſuiuant le conſeil d’iceluy : fit Hercule ſon Lieutenant general en Egypte durant ſon abſence, auquel il ſubstitua Promethee. Son voyage aux Indes.En ſuite laiſſant Buſyris gouuerneur de Phœnice, & Antee de Lybie, il leua vne armee de gens du plat pays & de femmes, auec laquelle il paſſa iuſqu’aux Indes & les plus eſloignees contrecs de l’Aſie. Puis ayant ſubiugué les Indiens qui le nazardoient, & toutes les autres nations Orientales, il fit dreſſer deux piliers ſur le riuage de la mer Oceane és montagnes d’Indie emprés la riuiere du Gange, cõme ſi l’on n’euſt ſceu paſſer plus outre du coſté de l’Orient, ainſi que le grand Hercule en planta deuers l’Occident. Denys au liure de la ſituation du monde fait mention des colomnes & conqueſtes de Bacchus. Il auoit entre ſes compagnons vn nommé Luſus, qui donna nom à la Luſitanie, partie de Portugal. Au partir des Indes il paſſa en l’Iberie, la reduiſit en ſon obeyſſance, & y conſtitua Pan, ſon Lieutenant general, qui de ſon nom la nomma Panie, & depuis fut appellee Hiſpanie, nous la nommons Heſpagne. D’autrepart les Anciens nous apprennent auſſi que Sollace, riuiere d’Armenie entrant dans l’eſtang d’Araxe, fut appellee Tigre, à cauſe du Tigre, ſur lequel Dionyſe eſtoit monté, quand perſecuté de furie par Iunon il la trauerſa, tracaſſant parmy le mõde pour trouuer quelque remede & allegement à ſa paſſion. Car Iupiter à ſa requeſte luy enuoya vn Tigre au lieu de bac pour paſſer ladite riuiere : en memoire dequoy il luy donna le nom de Tigre. Ce que toutefois d’autres diſent auoir eſté faict par Medee, fils de luy & d’Alpheſibœa. Seiournant és Indes, dont il ne reuint que trois ans aprés ſon partement, il y baſtit vne ville qu’il nomma Nyſe, tres-puiſſante & tres-riche ſur la riuiere d’Inde. Puis ayant pacifié tout l’eſtat Indien, il paſſa en l’iſle de Die, autrement dicte Sicile la mineur, & Dionyſias, à cauſe du bon vin qui y croiſt : Ariadne eſpouſee par Bacchus.la où il il eſpouſa Ariadne, fille du Roy Minos, & luy fit preſent d’vne tres-precieuſe couronne d’or & de pierreries, ouurage de Vulcan ; Couronne d’Ariadne eſtoillee.laquelle depuis ſa mort fut transferee au Ciel, & miſe au nombre 476 des ſignes celeſtes, brillant de huict eſtoilles, dont trois ſont entre-autres merueilleuſemẽt luiſantes. Sommeil triennal de Bacchus.Outre plus on dit qu’il eut la cõpagnie de Proſerpine, & dormit auec elle l’eſpace de trois ans : puis reſueillé ſe prit à danſer auec les Nymphes, comme teſmoigne Orphee en ſon hymne. Il l’appelle auſſi Theſmophore, ou legiſlateur, parce que retournant du voyage des Indes, il deſcouurit la deſloyauté de ſes domeſtiques & gouuerneurs, auſquels il auoit commis le gouuernement de ſon Eſtat ; & par bonnes loix & conſtitutions reprima l’inſolence des meſchans, qui ſans crainte de punition s’eſtoient licentiez à toutes ſortes de mal-verſations & desbordemens. Il chaſſa ſes ennemis, & reſtablit tout ſon Eſtat en meilleur train. Bacchus pris & deſchité par les Titans.Cependant en la ligue & guerre des Titans contre les Dieux, il ne pût eſchapper leur inhumanité. Car eſtant prix d’eux, ils le deſchirerent en pieces, en firent boüillir vne partie dans vn chauderon, & embrocherent le reſte pour le roſtir. Minerue y accourut, mais ſi tard qu’elle n’en pût ſauuer que le cœur, lequel tout tremblottant encore elle l’emporta à Iupiter, qui ſur le champ foudroya les Titans, recueillit les membres de ſon cher fils, & les mit entre les mains d’Apollon, qui les alla enſeuelir au mont de Parnaſſe. Vergongne de Bacchus adoree.Mais les Corybantes, autrement appellez Curetes & Cabyres, en auoient ſouſtrait le membre genital, qu’ils porterent dans vn panier en la Toſcane, où ils s’habituerent, enſeignans au peuple tous ces beaux myſteres, & leur firent reuerer ce beau ioyau & relique honteuſe, auec le cofin où elle eſtoit encloſe. Bacchus r’animé.Quelque temps aprés Rhea r’aſſembla derechef en vn tas les membres de Bacchus, qui r’animé tout entier, fit encore beaucoup de biens au public, notamment par l’inuention de la vigne, dont il parſema l’Vniuers. Euripide és Bacches tient que la plus belle & la plus vtile inuention qui ſoit au monde, c’eſt le vin, diſant que Bacchus a trouué le moyen de faire oublier à l’homme tous ſes maux paſſez : de le faire dormir, de le ſoulager & reconforter en ſes afflictions. Ainſi donc Dionyſe ayant inuente le vin apprit auſſi aux Anciens à porter des chapeaux d’Hierre autour de leurs teſtes, d’autant que cette plante par ſa froideur modere & rechaſſe les vapeurs acres & chaudes du vin. Couſtume ancienne encore auiourd’huy pratiquee par pluſieurs nations.Or auoient-ils accouſtumé d’auoir en leurs feſtins vn verre ou hanap qu’ils faiſoient trotter de main en main aprés la nappe oſtee, en l’honneur de Bacchus Donne-joye, qu’ils appelloient Bon Demon, & le vin qu’ils beuuoient ainſi en deuiſant ſe nommoit le vin du Bon Demon, pource que c’eſtoit de l’inuention du Bon Denys, ou bien pource que le vin pris auec raiſon & meſure, eſt vn bon & ſalutaire bruuage : comme il eſt au contraire nuiſible à ceux qui ne l’ont pas accouſtumé, & qui en prennent plus que leur capacité n’en peut porter. Metamorphoſe d’Icar, d’Erigone, & de de Mera.Hygin au 2. liure conte qu’Icar fils d’Oebale & pere d’Erigone, ayant receu en don de Bacchus vne piece de vin, pour en communiquer 477 l’vsage aux hommes, s’en alla és marchés d’Athenes, & fit boire de ſon vin aux paſtres du pays, qu’il trouua fort alterez à cauſe de la chaleur du Soleil ; leſquels prenans gouſt à ce nouueau bruuage, en firent largeſſe à leur ventre, qui premierement les endormit d’vn tres-profond ſomme, puis les contraignit de vomir : là deſſus ſe faiſans accroire qu’il les euſt empoiſonnez, ils le tuerent & ietterent dedans vn puits. Or Icar auoit vne petite chienne qu’il appeloit Mera, laquelle s’en retournant vers Erigone, empoigna ſa robe à belle dents, & fit tãt qu’elle la mena iuſques au puits dans lequel giſoit le corps de ſon feu pere : dont elle eut tant de regret, qu’apres auoir prononcé toutes les maledictions qu’elle pût à l’encontre de ces meurtriers, elle s’alla pendre & eſtrangler. Cette pauure Mera mourut auſſi de faſcherie conceuë de la mort de ſon maiſtre & de ſa fille, puis fut par la miſericorde de Iupiter tranſportee au ciel, & muee au ſigne de la Canicule, Icar en celuy de Bootés, Erigone en ce ſigne du Zodiaque que nous appellons Vierge. Lucian au dialogue de Iunon & de Iupiter le conte autrement. Il dit doncques que ces hommes mal-auiſez firent mourir Icare, pource qu’ayant appris de Bacchus la façon de planter la vigne, & de faire le vin, ils ſe firent accroire qu’il les auoit empoiſonnez en buuant. Auſſi dés que les Indiens eurent gouſté du vin, on dit qu’ils deuindrent enragez. (peut-eſtre en prindrent-ils iuſqu’à s’enyurer, & ayans vn vin de Lion, qu’on appelle, on creut qu’ils eſtoient enragez.) Et Plutaque en ce dialogue où il diſpute, ſçauoir-mon ſi le feu eſt plus profittable que l’eau, dit que la vigne fut premierement portee des Indes en Grece. Toutesfois Pauſanias eſcrit en l’Eſtat de Bœoce, qu’elle crut premierement à Thebes, & de là fut tranſportee és Indes. Or il ne faut pas trouuer eſtrange s’ils tuerent Icare, pour l’amour du vin, veu que ſi l’on en prend outre meſure, il n’apporte pas peu de dõmage aux hommes, & leur fait dire tout, voire plus qu’ils ne ſçauent, leſquels eſtans enyurez ne ſont pas fort differents de ceux qui ont perdu l’eſprit ; car quãd le vin ſouſmet ſous ſa puiſſance & ſeigneurie les facultez de l’ame & de l’entendement, on vient à gazoüiller beaucoup de choſes qu’on ſe paſſeroit bien de dire. Mais parce que les effects du vin ſont aſſez connus à tout le monde, il n’eſt beſoin d’inſerer icy beaucoup de diſcours qui ſe trouuent en diuers autheurs qui en ont fait mention, de peur de nous trop eſgarer de noſtre train. Pauſanias és Laconiques dit, que le premier raiſin meur qu’on vid iamais fut trouué en vne montagne au deſſus de Migonie, lequel lieu ſe nommoit Laryſe : où l’on ſolemnioit quelques feſtes en l’honneur de Bacchus, ſur le commencement du printemps. Façon de tailler la vigne appriſe par le moyen d’vn Aſne.Mais on n’a pas moins d’obligation à cet Aſne que les habitans de Nauplie, ville d’Argos, firent cizeler en pierre, pour leur auoir montré qu’il eſtoit bon de tailler la vigne ; qu’à Bacchus qui ne fit que leur en donner le plant, car ſi l’on n’euſt trouué moyen de la tailler, & luy bailler toutes ſes autres façons, en peu de temps toute cette belle inuention fuſt reuenuë à neant, ou pour le moins n’euſt de rien ſeruy. Cet Aſne doncques venãt à broutter & ronger le ſarment des vignes de Nauplie, fit cognoiſtre par experience à ceux du pays qu’il eſtoit neceſſaire de les tailler, pource que cette plante eſt la plus humide qui ſoit point, & iette plus de bois ſuperflu qu’aucune autre. Dauantage Bacchus apprit aux hommes de ſon temps le commerce & traffic, ſelon le teſmoignage de Denys, en la ſituation du monde : diſant que la nauigation & connoiſſance des aſtres vint premierement de Phœnice & de la plage, voiſine de la mer Rouge, les habitans de laquelle furent les premiers qui chargerent ſur mer de la marchandiſe pour aller traffiquer és pays eſtrangers. Et bien que nous ayons dit cy-deſſus qu’il fut touſiours ieune & ſans barbe, neantmoins ceux d’Elide croyoient qu’il euſt quelque peu de barbe : teſmoin Pauſanias és Eliaques. On le pourtrayoit auſſi auec des cornes, & à ſon imitatiõ les Mimallones ſouloient attacher des cornes à leurs teſtes, durant les feſtes de Bacchus. Teſte de Taureau attribuee à Bacchus.Et ne luy faiſoient pas ſeulement porter des cornes, mais auſſi vne teſte de Taureau, ſelon le teſmoignage d’Iſace. Euripide teſmoigne auſſi qu’on le tenoit pour le Dieu des deuinailles. Ceux qui luy vouloient ſacrifier, portoient des guirlandes d’Hierre, pource que ſelon l’auis de quelques-vns, Hierre pourquoi dedié à Bacchus.Bacchus eſtant né fut caché dedans vn arbre d’Hierre, peut eſtre de peur qu’il ne tumbaſt entre les mains de Iunon, qui luy vouloit mal de mort. Les autres diſent que c’eſtoit pource que l’Hierre porte vn fruict approchant du raiſin : ou d’autant qu’il eſt touſiours verd, & ne vieillit point, ains qu’on peignoit ce Dieu touſiours ieune, ou parce que cet arbre appliqué ſur la teſte, eſtant de ſa nature & qualité froid, rembarre & rebouſche les fumees du vin, & empeſche les hommes de s’enyurer. Suject de la metamorphoſe de Kiſſe.Les autres diſent que l’Hierre fut dedié à Dionyſe, d’autant que l’vn de ſes compagnons d’entrepriſes, Kisse, qui en Grec ſignifie Hierre, ſe mit vn iour à baler & gãbader auec vn Satyre à l’enuy l’vn de l’autre, & trebucha ſi rudement qu’il en mourut ſur le champ. Bacchus qui auoit pris plaiſir à ce ſpectacle, le transforma en cet arbre, qui retint le nom de Kiſſe. Les autres veulent dire que cela ſe faiſoit à l’imitation de Bacchus, parce qu’en ſon enfance il cheminoit couronné d’Hierre & de Laurier. Dauantage les chappeaux meſmes dont les ſacrifians ſe couronnoient le chef, s’appelloient Bacches, ſelon le teſmoignage de Nicandre au liure des langues, en ce vers :

De Bacchus fleuriſſans ils couronnoient leurs teſtes.

Et Denys en ſa Coſmographie dit que les ordonnances des Sacrifices portoient que ceux qui voudroient ſacrifier à Bacchus, ſe couronnaſſent d’Hierre :

Elles vont rugiſſans, & ſuiuant l’ordonnance, Chaſcune autour ſon chef vne couronne ageance, Treſſans à pluſieurs plis des rameaux gentiment D’Hierre au bon Denys conſacré ſaintement, Et vont de nuict hurlans d’vne voix eſpanduë, Si que leur clameur meſme eſt du Ciel entenduë.

Les Camarites, nation voiſine des Indes, pource qu’ils auoient auec beaucoup de courtoiſie receu & logé Bacchus à ſon retour du voyage des Indes, l’adoroient en toute reuerence, & portoient autour leurs poitrines des ceintures & peaux de faons, de beſtes fauues, comme le meſme Denys le teſmoigne : Nymphes Lenes.parce que les Nymphes dictes Lenes qui vindrent alors dancer auec Bachus eſtoient ainſi equipees. Or ces Lenes eſtoient celles qu’on eſtimoit preſider ſur les preſſoirs. Et d’autant que les ſacrifices de Bacchus ne ſe faiſoient point ſans dancer à bon eſcient, on le nomma Demon Enorches, c’eſt à dire Dieu des dances, item Phigalee, pource qu’il eſtoit principalement adoré en Arcadie, & Plauſtere, parce qu’il falloit auoir des torches & des luminaires en celebrant ſa feſte & ſolemnité. Mais ſur tous autres ceux d’Andros, l’vne des iſles Cyclades en l’Archipel, en ont faict leur Patron, recognoiſſans tenir de luy vn tres-bon & tres-fertil vignoble, & auoient en leur isle (ſelon le teſmoignage de Pline, liure 2. chap. 6.) vne fontaine de laquelle l’eau ne failloit point au 5. iour de Ianuier d’auoir gouſt de vin. Pauſanias auſſi és Eliaques nous veut faire croire que de deux en deux ans ſurdoit du Temple de Bacchus en la meſme isle durant les Sacrifices d’iceluy, vn ruiſſeau de vin. Horace au 2. liure de ſes Epiſtres dit qu’il fut mis au nombre des autres Dieux à cauſe des biens qu’il auoit faits au publie, & en conſideration de ſa valeur & de ſes hauts faits d’armes, des noiſes & querelles qu’il auoit accordees & pacifiees, des villes par luy baſties, & des loix qu’il y auoit eſtablies :

Romul, Bacche le pere, & les fils d’œuf gemeaux, Receus, aprés avoir acheué maints faits beaux, Dans les Temples des Dieux, tandis que dans ces terres Les hommes ils hantoient, appaiſoient aſpres guerres, Diſtribuoient les champs, & des villes fondoient.

Bacches religieuſes de Bacchus.Nous auons deſia dict que le ſeruice de ce Dieu ſe faisoit par des femmes, qui meſmes le ſuiuirẽt en la guerre des Indes : & les appelloit-on Bacches, à cauſe du bruit & tintamarre qu’elles menoient comme enragees. Car elles courroyent nuictamment auec des torches & flambeaux allumez, & portans les cheueux eſparpillez crioyent en courant, Euhœ, mots dont vſoient ceux qui vouloient ſouhaitter heur & proſperité à quelqu’vn. Depuis ces deux mots furent ioints & aſſemblez en vn, & commença-on de l’appeller Euhœë, Bacche, puis aprés Euhyie, c’eſt à dire, Bon fils ; Bacchus pourquoi ſurnommé par Iupiter Bon-fils.pource que quand les Geans firent la guerre à Iupiter, Bacchus ſe transformant en Lion, en deſchira le premier vn de leur troupe. Iupiter luy ſceut ſi bon gré de ce bon office, que dés lors il commença de le qualifier ſon bon fils, mais en la guerre des Titans il ne fut pas ſi heureux, comme nous auons appris. Nous auons auſſi deſia dict que luy & Hercule eſtoient compatriotes, & portoient preſque meſmes armes, ce que Sidonius Antipater confirme, faiſant vne gentille conference de leurs auentures :

Tous deux par deux piliers ont limité leur route ; Tous deux armez de meſme ont faict mainte deſroute, Tous deux veſtus de peau : l’vn de cerf, de lion L’autre, tous deux vexez par l’ire de Iunon. Tous deux ſauuez du feu leur qualité mortelle Ont merité changer en eſſence immortelle.

Ce vaillant Dieu eſtoit par beaucoup de ſacrifices adoré en pluſieurs endroits differends de noms & de ceremonies. Phœniciens premiers fõdateurs des ſacrifices de Bacchus. Feſtes ordinaires de ce Dieu. Les Oſchophores.Les premiers qui inſtituerent les feſtes & ſolemnitez de Bacchus, furent les Phœniciens. Orphee les tranſporta depuis à Thebes aux deſpens de ſa vie, car durant icelles il fut maſſacré par les citadines. Les Atheniens chommoient le iour auquel ils receurent de Pegaſe d’Eleuthere par l’ordonnance de l’Oracle Delphien, le commandement de fonder vn ſeruice diuin à Bacchus, & l’appelloient feſte des Oſchophores, où la couſtume eſtoit que les ieunes gens portans en main du pampre & des rameaux de vigne, couroient par familles & lignees depuis le Temple de Dionyſe, iuſqu’à la chapelle de Minerue, ſurnommee Scirrhas, prononçans certaines prieres. Bacchanales.Les plus ſignalees feſtes de ce Dieu s’appelloient Bacchanales, Liberales, Dionyſiennes ou Orgies : leſquelles encore que l’on confonde ordinairement, eſtoient neantmoins toutes differentes en ceremonies & ſolemnitez. Les Bacchanales furent anciennement en grande vogue & deuotion parmy les Payens, à Rome notamment ; celebrees par Sacrifices & deuinailles auec vne ſuperſtition de certains occultes vſages & ceremonies, dont les myſteres ne furent pour le commencement enſeignez qu’à peu de gens, & n’eſtoit qu’vne confrairie de femmes, en vn oratoire ſecret, ſans qu’aucun homme y fuſt admis. Perſonne n’eſtoit receu en cette confraire qui ne fuſt initié & profez en ces ſacrez myſteres : tellement qu’à l’entree l’on auoit accouſtumé de faire crier tout haut :

Loing loing d’icy tous ceux qui ſont prophanes.

Les profeſſes ne s’aſſembloient que trois iours en toute l’annee, leſquels on aſſigne au 18. Feburier ; & ce de plein iour, & les miniſtreſſes de cette profeſſion eſtoient femmes mariees, creées chacune à ſon tour. Mais comme vne inſtitution ne demeure guere longuement en ſon entier, vne certaine Capouane nommee Paculle Minie, y eſtãt paruenuë à ſon rang, peruertit & gaſta tout. Car elle y introduiſit la premiere de toutes, des hommes, deux de ſes enfans, Minius & Herennius Circiniens ; & les autres confreres induites à ſon exemple en voulurent faire de meſme, tellement que l’vne y donna accez à ſon pere, l’autre à ſon mary, qui à ſes freres, qui à ſes parens, qui à ſes amis & voisins. Ainſi en peu de temps tels myſteres furent indifferemment communiquez aux deux ſexes, & au lieu qu’on les celebroit de iour, elle les remit à la nuict, & pour les trois iours de l’annee, en ordonna cinq tous les mois : de maniere qu’en peu de temps le nombre des confreres fut extrémement grand, d’autant plus aiſez à allecher à telle confrairie, qu’aucuns appaſts & amorces de voluptez delicieuſes de vins & de viandes n’y eſtoient point eſpargnees, au moyen deſquelles ils vindrent à ſe desborder en telles diſſolutions, que l’yurognerie & la nuict leur troublans l’entendement, ils commencerent à ſe peſle-meſler, hommes & femmes, & en ſuitte banniſſans d’eux toute honte & vergongne, les auancez en aage paſſerent iuſques aux accouplemens maſculins de ieunes gens, voire ſelon que le plaiſir charnel de tous ces confreres enclinoit à quelque particuliere eſpece de lubricité, prattiquoient toutes manieres de meſchancetez & de paillardiſes, qu’ils exerçoient indifferemment : enuers femmes, filles, garçons. Dauantage ils y faiſoient des monopoles, ſubornoient de faux teſmoins & depoſitions, des ſignatures contrefaites, & iugemens falſifiez : machinoient force empoiſonnemens & aſſaſſins, qui puis-aprés ſe perpetroient. Toutes leſquelles choſes s’executoient que de ruſe & cautelle, que de violence & force ouuerte, laquelle ils celoient par leurs hullemens & tintamarres de cimbales & tambours, leſquelles empeſchoient qu’on pût ouyr les piteux cris & lamentations de ceux ou celles qui demandoient ſecours pendant qu’on les forçoit, ou les maſſacroit. En fin cette deteſttable & diabolique aſſemblee fut aneantie à Rome par la diligence des Conſuls Sp. Poſthumius Albinus & Cn. Martius Philippus l’an 567. de la fondation de la ville, & meſme par toute l’Italie, ou en fut faite vne tres-eſtoitte perquiſition, & pluſieurs milliers de perſonnes executez à mort pour les execrables abus & forfaits qui s’y commettoient. Liberales.Les Liberales ſe celebroient tous les ans le dix-ſeptieſme de Mars, où les ieunes gens de 16. à 17. ans ſouloient laiſſer leur pretexte, & prendre la togue, qui eſtoit vne robe virile, autremẽt appellee libre, & l’ayans receuë de la main du Preteur en plein auditoire, auec leur ſurnom, eſtoient à l’aduenir capables d’eſtre enroolez és legions, & parueuenir aux charges & dignitez de la Republique. Les Orgies (ainſi nommees) peut eſtre du mot orgé, ſignifiant ire, qui bien ſouuent rend les coleres comme furieux & inſenſez, tels qu’eſtoient ou contrefaiſoient d’eſtre tous ces gens-là cependant qu’ils les celebroient, & ce de trois en trois ans, dont elles furent auſſi nommees Trieteriques ou Triennales (toutefois quelques-vns les ſouſtiennent ainſi appellees en contemplation du voyage de Bacchus aux Indes, qui fut de trois ans) ſe faisoient en hyuer, Voyez liure 7. chap. 10.ſelon le teſmoignage d’Ouide au premier des Faſtes : & au 6. des Metamorphoſes il deſcrit les ſacrifices qu’on luy offroit, leur ſaiſon, les inſtrumens & l’habit des Bacches, en la perſonne de Progné, ſe preparant à vanger l’iniure faitte à ſa ſœur :

Ia de retour estoit de trois ans l’interual Qu’on ſouloit celebrer le Sacré Triennal Du Dieu porte-raiſin les femmes Thraciennes Eſtoient de nuict vacquans à ces loix anciennes Des cymbales, clairons & cors qu’on y ſonnoit, Le baut mont Rodophé tout autour reſonnoit. En cette meſme nuict la Royne fait ſortie De ſon palais royal, apres eſtre auertie Des myſteres diuins dont il faloit vſer Pour le iour de Bacchus deu’ement ſolemniſer. Progné s’equippe donc des armes furiales, Et couuronnant ſon chef & ſes treſſes Royales De rameaux emparez, au coſté gauche appant La deſpoüille d’vn Cerf, & de la main branſlant Vn jauelot leger, ſur l’eſpaule l’appuye, Faiſant aſſez paroir l’ire qui la manie.

Les peuples du Breſil prattiquent encore auiourd’huy ſemblables façons de faire. Car les Caraibes, faux prophetes des Toupinamboults, aſſemblent le peuple tous les trois ans, le ſeparent en trois compagnies, d’hommes, de femmes, & d’enfan ; puis les font retirer en diuerſes loges. Eux en occupent vne auec les hommes, & ſur le champ s’eſcrient à gorge deſployee, Hé, he, hé, hé, &c. Les femmes l’imitent en ſuite d’vne voix forte & tremblante, hurlans d’vne horrible façon, & ſautelants auec grand effort, ſe coingnent les mammelles, eſcument de la bouche : de maniere qu’aucunes ne pouuants ſupporter ceſte demoniaque violence (car elles en deuiennent enragees) ſe laiſſent choir comme du haut-mal.

On croyoit que ces Bacchantes garnies de telles armes, courans de coſté & d’autre auec grand bruit, les cheueux eſpars, prediſoient les choſes à venir. Epilenes. Lenes eſtoient nymphes des vandanges.Les Acharnaniens aprés auoir (comme dit l’expoſiteur d’Aristophane) inuenté le preſſoir pour eſpurer le vin de la vandange, ſolemniſoient la feſte des Epilenes, en temps de vandange, auec quelques ieux & chanſons publiques ; gageans en foulant les raiſins, à qui pluſtoſt tireroit le plus de vin : & les foulant ils chan- toient les loüanges de Bacchus, le prioient de vouloir benir leur vandange, & d’en faire couler force vin doux. Or quand cette feſte ſe faiſoit aux champs, ils l’appelloient ſimplement la feſte de Dionyſe. La ſolemnité des Lenæs, ſe faiſoit auſſi à Athenes au primtemps lors qu’ils oſtoient le vin de deſſus ſa lie, & que les forains leur alloient payer le tribut : où l’on voyoit ordinairement de braues beuueurs, qui chantoient des airs en l’honueur de Bacchus donne-joye, tels que ſont ces vers d’Euripide :

Il a planté ce gentil bois, Oubly de dueil & de triſteſſe. Sans le vin ſource de lieſſe, Les plaiſirs de Venus ſont frois, Et ne reſte à la vie humaine Choſe qui plaiſir luy amene.

Phallique Feſte ſales & diſſoluës de Bacchus.Il y auoit encore vne autre feſte à Athenes inſtituee en l’honneur de Bacchus qu’ils appelloient la feſte Phallique, en laquelle ils chantoient comme il auoit deliuré les Atheniens d’vne griefue maladie, & comme il auoit faict beaucoup de biens au public. Car on dit que comme Pegaſe emportoit d’Eleuthere ville de la Bœoce les images de Dionyſe à Athenes, les Atheniens n’en tiendrent conte, & ne le receurent point auec aucune ſolemnité, dont il fut ſi mal-content, qu’il frappa les parties honteuſes des habitans de certaine maladie qui les affligea fort. Et comme ils eurent enuoyé vers l’Oracle enquerir le moyen de ſe garantir de ce mal, ils eurent reſponſe qu’ils ne fuſſent pas tumbez en tel inconuenient s’ils euſſent accueilly ce Dieu auec pompe & reuerence, & qu’il n’y auoit point d’autre remede, ce qu’ils firent, reparans la faute par eux commiſe. Et depuis ils porterent touſiours en cette feſte-là des membres virils faicts de bois, attachez à des thyrſes, qui eſtoient (comme nous auons dit) jauelines ornees de fueillages de vigne & d’Hierre : & ne les portoient pas ſeulement en public, mais auſſi chacun en particulier en auoit chez ſoy, & les gardoit comme en reliques. Telle feſte fut nommee Phallique, de Phallos, ſignifiant membre viril. Les autres penſent que le Phalle ait eſté dedié à Bacchus, pource qu’on le croyoit eſtre autheur de generation. Canefores, ou feſtes des paniers.Outre-plus les Atheniens celebroient à ſon hõneur la feſte des Canefores, comme qui diroit Porte-paniers, en laquelle les filles qui commençoient d’entrer en l’aage de puberté, portoient des paniers d’or fin, pleins de premices de toutes ſortes de fruicts. Toutefois d’autres veulent dire que les Canefors ne furent pas eſtablies à l’honneur de Bacchus, mais bien de Diane, diſans que durant cette ſolemnité les filles de maiſon noble conſacroient à Diane des paniers pleins des plus beaux ouurages qu’elles euſſent faits à l’eſguille : & que ce faiſans elles donnoient à entendre qu’elles s’ennuyoient d’eſtre ſi long temps pucelles, & requeroient d’eſtre abſoultes du vœu qu’elles auoient faict, remiſes en pleine liberté de ſe marier, comme dict Dorothee de Sidon. Cette ſolemnité ſe celebroit ſur la fin du mois d’Auril. Cependant on faict mention d’vn ttableau d’Athenion, peintre de Maronee (auiourd’ huy Maragno en Thrace) auquel il repreſentoit les femmes d’Athenes portans ſur leurs teſtes tels paniers au Temple de Cerés, ſuiuant lequel on pourroit coniecturer que telle feſte ſe celebraſt auſſi ſous le nom de Cerés. Apaturies, ou Feſte trompereſſe.Dauantage ils obſeruoient vne autre feſte de Bacchus, dicte Apaturie, ou Trompereſſe, de laquelle Charicles en ſa Chaine dit le commencement & le ſubiect auoir eſté tel. Comine guerre fut eſmeuë entre les Atheniens & les Bœociens, Xanthe Bœocien fit appeller eu duel Timœthe Colonnel des Atheniens, auquel tué, Melanthe Meſſenien ſucceda, lequel eſtoit eſtranger, iſſu de Periclimene fils de Nelee. Comme donc les deux Chefs ſuſdits ſe battoient cap à cap, voicy venir par derriere Timœthe vn certain homme affublé d’vne peau de Cheure noire, diſant qu’il luy faiſoit tort de ſe battre auec ſon compagnon, & comme il ſe voulut retourner pour le voir en face, ſon aduerſe partie Xanthe luy paſſa ſon eſpee à trauers le corps, & le tua. Et d’autant qu’on tient pour tout aſſeuré que c’eſtoit Bacchus qui leur eſtoit apparu ſous tel equipage, les Atheniens firent chommer quelques iours au mois d’Octobre, leſquels ils conſacrerent à Dionyſe pour ſe le rendre propice & fauorable. Ces iour-là s’appelloient feſte Apaturie, d’vn mot ſignifiant Tromper ou deceuoir, dont la premiere ferie ſe nommoit Dorpie, du mot Grec dorpon ou dorpos, c’eſt à dire ſoupper ou banquet : parce que tous ceux d’vne meſme lignee & tribu s’aſſembloient ſur le ſoir en vn lieu, & banquetoient enſemble ; la ſeconde, Anarrhyſis, d’autant qu’en ce iour-là ſe faiſoient les Sacrifices auquel ils immoloient auſſi à Iupiter, ſurnommé pour ce regard Tribule, & à Pallas : & le mot Anarrhyein ſignifie ſacrifier, & tirer à mont, parce que ceux qui faiſoiẽt l’office tournoient contre-mont la gorge des beſtes qu’ils immoloient. La 3. Cureotis, de kóros, garçon, auquel iour les ieunes garçõs & filles ſe faiſoient enrooller pour eſtre receus & enregiſtrez en leur tribu, ou lignee. On adiouſte encore la 4. qu’on nommoit Epibde. Feſte d’Ambroſie.Dauantage ils celebroient la feſte d’Ambroſie, en Ianuier, mois ſacré à Bacchus, lequel mois ils nommoient auſſi Lenæon, pource qu’en cette ſaiſon là ils auoient accouſtumé de voiturer leurs vins à la ville, & le nommerent ainſi, pource que Dionyſe eſtoit commis ſur les preſſoirs, & pour ce ſuject il fut auſſi ſurnommé Lenæen. Pitœges, ou feſtes des poinſſons.Et quand ils relioient leurs poinſſons & vaiſſeaux de vandanges, ils faiſoient la feſte des Pitœges, où tous les amis s’aſſembloient enſemble, & en l’honneur de Bacchus buuoient d’autant. Les Romains en faiſoient de meſme, & appelloiẽt tel- les feſtes Brumales, ou feſtes d’hyuer, de Bacchus qu’ils nommoient auſſi Brumus. Aſcolie, ou Feſte des ouyres.Finalement ils chomoient la feſte Aſcolie, qui ſe faiſoit en cette maniere, ſelon le recit de Zezes en ſes Commentaires ſur Heſiode. Ils mettoient à terre au milieu de la place des ouyres, oints & remplis de vent, puis d’vn pied ſautoient deſſus, tenans l’autre en l’air, & faiſoient vn tour ſur ledit ouyre, mais pource qu’il eſtoit gliſſant, ils appreſtoient a rire à l’aßiſtance, cheans en terre, ce qu’ils faiſoient en l’honneur de Bacchus, car ils appelloient, Aſcoùs (d’où la feſte fut nommee Aſcolie) ces ouyres ou peaux de Cheure, ou de Bouc, animaux qui brouttans la vigne, luy font beaucoup de dommage. Toutefois les autres nous apprennent que telles peaux eſtoient ordinairement pleines de vin, comme Menandre entre autres au liure des myſteres, & le plus habille de tous, les auoit pour loyer de ſon adreſſe ou galantiſe. Les Latins obſeruoient auſſi fort religieuſement ceſte feſte, eſtimans que l’vſage & l’obſeruation d’icelle apportaſt beaucoup de proffit aux vignes. Virgile au 2. des Georgiques, en deſcrit ainſi les ceremonies, apres auoir diſcouru du dommage que les Cheures font aux vignes.

Et n’ont accouſtumé tant nuiſible luy eſtre Les froids d’vn chenu glas durement congelez, Et l’eſté chaud donnant ſur les rochers bruſlez, Que nuit de ces troupeaux la dent enuenimee, Et ſur le cep mordu la bleſſure imprimee. Non pour autre raiſon que pour s’eſtre ſaoulé De ſon bourgeon pampré n’eſt à Bacche immolé Sur les autels le Bouc, ny pour le peuple eſbatre Ore les anciens ieux n’entrent ſur le theatre, Et ne l’ont pour loyer les enfans de Theſé Autour des carrefours & des bourgs propoſé. Ny n’ont dans les prez mols ioyeux entre les taſſes, Sauté pour le plaiſir par deſſus les peaux graſſes. Meſme les villageois d’Auſone, ſang tiré D’Ilion, s’esbatans d’vn ris deſmeſuré, Ioüent vn chant ruſtic, & d’eſcorces creuſees Portans hideuſement des maſques deſguiſees, Vont par vn vers gaillard, ô Bacche te huchant, Et molles à vn pin des feintes t’attachant. D’où vient que le vignoble en abondance large Floriſſant vigoureux, tout de raiſin ſe charge, Les vaux et bois profonds foiſonnent & tout lieu Où l’honneur de ſa teſte a contourné ce Dieu. Doncques nous chanterons à Bacche ſa loüange Saintement par vn vers au pays non eſtrange. Nous offrirons encor deuant ſa majeſté Des plats & des gaſteaux, & debout arreſté Amené par la corne attendra, ſainte hoſtie, Le Bouc prés de l’autel, & graſſe au feu roſtie En ſera la freſſure en broches de coudrier.

Or il y auoit certains prix propoſez à ceux qui ſauteroient le plus gentiment & de meilleure grace ſur ces ouyres : puis-aprés ils portoient autour des vignes la ſtatuë de Bacchus, prononçans ie ne ſcay quels vers faits de mauuaiſe grace comme en façon d’yurongnes, que chaſque nation chantoit en ſon propre langage, ce qu’on penſoit ſeruir beaucoup pour auoir bonne vinee. Les confreres de telle feſte ſe faiſoient des maſques d’eſcorce d’arbres, & ſe barboüilloient quelquefois le viſage de lie & de vin pour n’eſtre reconnus, pource que durant telles buuettes, dances & mommeries ils deſgorgeoient beaucoup de choſes ſottes, ridicules, deshonneſtes, vilaines & pleines d’ordure, qu’ils euſſent eu honte de proferer à face deſcouuerte. Puis ayant fait la proceſſion autour des vignes, retournoient à l’autel de Bacchus, d’où ils eſtoient partis, & luy preſentoient leurs offrandres en des eſcuelles plattes ou baſſins, & les bruſloient. En ſuitte ils pendoient à des hauts arbres quelques images, ou de terre, ou de bois, ſacrees à Bacchus, & faites à ſa ſemblãce, leſquelles ils appelloient Bouchettes, parce qu’elles auoient la bouche fort petite ; les pendoient, di-je, afin qu’elles peuſſent deſcouurir de loing, croyans qu’elles euſſent la garde des vignes. Cela fait ils s’alloient traitter & feſtoyer enſemble, puis chacun s’en retournoit chez ſoy. Toutes ces ceremonies ſont preſque contenuës és vers ſuſdits. Bouc ſacrifie à Bacchus.La beſte qu’on eſgorgeoit ordinairement és ſacrifices de Bacchus eſtoit vn bouc : neantmoins Herodote en ſon Euterpe eſcrit que, tous les Egyptiens ſouloient en vne ſolemnité qu’ils appelloient Dorpie, eſgorger chaſcun vn porc en l’honneur de Bacchus deuant la porte de leurs maiſons, puis le faiſoient emporter par le porcher qui l’auoit apporté, & qu’ils celebroient vne autre feſte à l’honneur de Bacchus, ſans tuer aucun porc, obſeruans preſque les meſmes ceremonies que faiſoient les Grecs : mais au lieu des phalles ſuſdits ils inuenterent autre choſe, à ſçauoir, des images de la hauteur d’vne couldee, que les femmes portoignt autour des champs, ayans vn membre viril branſlant, preſque außi grand que tout le reſte du corps, et au deuant marchoit vn meneſtrier, puis les femmes ſuiuoient, chantans les loüanges de Dionyſe. Or on voyoit auenir de grandes merueilles, & des choſes prodigieuſes és Sacrifices de ces Dieux, qui ſuperſtitieuſement retenoient les hõmes en ceruelle, & les induiſoient à les auoir en crainte & reuerence. Pauſanias és Achaïques dit que l’image du Pere Liber (qui en partageant le butin de Troye eſcheut à Euripide) qu’on tenoit enfermee dans vn coffre, faiſoit fols ceux qui la voyoient. Et ce qui ſe faiſoit en Elide n’eſtoit pas de peu d’eſtime. Impoſture couſtumiere aux Preſtres.Trois Preſtres poſoient vn iour de feſte de Bacchus trois bouteilles vuides dans ſon temple, en preſence des citadins & des eſtrangers qui deſiroient en eſtre teſmoings oculaires, puis-apres, ou eux, ou d’autres qui vouloient, fermoent les portes, & meſmes les ſeelloient de leurs ſeaux : & le lendemain venans recognoiſtre leurs cachets, les portes ouuertes on trouuoit les bouteilles pleines de tres-excellent vin. Dan. 4.Mais ils pouuoient auſſi aiſément tramer cette fourbe que les Preſtres de Bel, deſquels Daniel deſcouurit l’impoſture. Enfans de Bacchus.On dit que Staphyle fut fils de Bacchus, les arriere-petites filles duquel eurent beaucoup de graces & dons de nature. Car apres qu’Apollon eut embraſſé & connu Rhio, fille dudit Staphyle, & que cela fut venu à ſa connoiſſance, voyant qu’elle eſtoit enceinte, il l’enferma dans vn coffre, & la ietta dans la mer : ledit coffre fut par les ondes ietté en Eubœe, d’où la fille deliuree, accoucha dans vne grotte, & enfanta vn fils, qui pour l’affliction & faſcherie qu’elle auoit enduré, fut nommé Anie, du mot anía, triſteſſe. Apollon emmena la mere en Delos : & Anie deuenu en aage d’homme eut de la Nymphe Dorype, trois filles, Spermo, Oeno, Elaïs, auſquels Apollon donna cette faueur & prerogatiue, que toutesfois & quantes qu’elles ſouhaitteroient d’auoir ou du grain, ou du vin, ou de l’huile, elles en receuroient, ſelon que la ſignification de leurs noms comprend leſdites trois eſpeces. Bacchus eut encore deux autres fils, Hymenæe & Thionee : & eut d’Ariadne Ceranaue, Tauropolis, Euanthe, Latramys, Thoas, Oenopion : & d’Alexirhee, Carmon, qui fut à la chaſſe tué par vn Sanglier : de Chthonophyle, Phlias, qui fit le voyage auec les autres Argenauchers : de Phyſcoa, Narcæe, qui le premier eſtablit & dreſſa le ſeruice diuin de Bacchus en Elide. Herodote en ſon Euterpe eſcrit qu’Apollon & Diane naſquirent d’Iſis & d’Oſiris, que nous auons dict n’eſtre autre que Bacchus. Ses ſurnoms.Il a eu pluſieurs ſurnoms auſſi-bien que les autres Dieux : car il a eſté nommé Hederee, de hedera, Hierre, par les Acharnaniens, pource que l’Hierre auoit premierement eſté trouué chez eux : Chantre, pource qu’il hantoit auec les Muſes : Sauueur, pour auoir deliuré les Atheniens & autres nations de quelques maladies qui les affligeoient : & eut pluſieurs autres noms, deſquels la cognoiſſance eſt de peu de proffit. Ses plus communs ſurnoms ſont Dionyſe, que quelques-vns, outre les etymologies cy deſſus alleguees, diſent venir de Dia, l’vne des iſles Cyclades, autrement dicte Naxe, qui luy fut conſacree apres qu’il eut eſpouſé Ariadne : & de la ville de Nyſe, en laquelle il regna. Les autres ayment meux dire que ce nom ſoit venu de ce qu’il eſueille l’eſprit, prenãs la premiere partie de ce mot pour l’eſprit où l’ame, & tirans le reſte du mot Grec Nyſſo, qui ſignifie picquer ou poindre. Il fut nommé Bacchus d’vn mot ſignifiant yurongner, tenir contenance & faire les actes d’vn yurongne, comme courir follement, battre, frapper, rompre, briſer, tempeſter, & faire en ſomme le furieux & l’enragé : Bromie, à cauſe du bruit & tumulte que font les yurognes : Pere Liber, ou Lyæe, pource que quãd on a trop beu on n’a ſoucy de rien, & eſt-on libre de tout penſer ; pource auſſi qu’il reſiouyt l’homme : Lenæe, à cauſe des preſſoirs : Niſæe, pource qu’il ſeruoit d’aiguillon à faire tempeſter & enrager les hommes : Dithyrambe, pource qu’il ſortit de deux huis, ou (ſelon l’auis des autres) parce qu’il fut nourry dedans vne cauerne ayant deux iſſuës : Bimere, d’autant que ſa mere Semelé le porta dedans ſon ventre, puis Iupin le couſant contre ſa cuiſſe, le porta iuſqu’à ce qu’il euſt paracheué ſon terme pour venir au monde. Pourquoi les anciẽs ont dit Bacchus auoir eſté couſu à la cuiſſe de Iupiter.Ce qui donna ſujet aux Anciens de conter cette belle Fable qu’il ait eſté couſu à la cuiſſe de Iupiter, c’eſt pource qu’il fut nourry dans vne grotte de la montagne de Neros, prés de Nyſe, iadis bonne & fleuriſſante ville des Indes, laquelle montagne eſtoit conſacree à Iupiter, peut eſtre auſſi que ladite grotte ſe nõmoit de quelque nom en langage de ce pays-là, qui ſignifioit la cuiſſe. Ignigene, pource qu’il naſquit apres que ſa mere fut bruſlee : Baſaree, de Baſſara, ville aux Indes, en laquelle il eſtoit tres-religieuſement adoré ; ou bien à cauſe que les Bacchantes, ou les Religieuſes de Baſſare portoient en faiſant ſon ſeruice vne longue robbe qu’on nommoit Baſſaride : Briſæe, du cap de Briſe en Lesbos où l’on l’adoroit ; ou du mot Briſa ſignifiant le marc de vandange  ; ou de Briméein, c’eſt à dire, fremir & bruire : Iacche, de Iacchein, c’eſt à dire, crier & tempeſter ; Elelee, pource qu’il eſt bien ſouuent autheur de fureur & de guerres : car és hymnes & pæans qu’ils chantoient pour encourager les hommes à prendre les armes, ils ſe ſeruoient de cette diction Eleleu : Thyonæe, de ſa mere Semelé, qui fut auſſi dite Thyone : Nyctelie, pource qu’il les faiſoit huller & braire durant la nuict : Euchie, pource qu’il verſe abondamment, ou dans les hanaps és feſtins, ou bien és preſſoirs en vandanges. Voila les principales choſes que les Anciens nous ont laiſſé quant à Bacchus.

Mythologie de Bacchus.Or s’il eſt vray qu’il a eſté Thebain, & allié de Penthee, Acteon, & Learche, homme de tres-malheureuſe fortune, comme dit Lucian au Conſeil des Dieux, il faut de neceſſité, que comme mortel, il n’ait pû s’exempter des afflictions & des miſeres communes aux humains : combien que Plutarque en la vie de Pelopidas, die que luy & Hercule par merite de leur valeur poſerent ce qu’il y auoit en eux de ſuject à paſſion : Ie laiſſe (dit-il) pluſieurs autres indices qui ſe rapportent à cela, pource que nous ne tenons pas en noſtre pays qu’Apollon ſoit du nombre de ceux qui par tranſmutation ayent eſté faits d’hommes mortels, Dieux immortels, comme ſont Hercule & Bacchus, qui par l’excellence de leur vertu deſpoüillerent ce qu’il y auoit de mortel & de paßible en eux : ains les croyons eſtre de ceux qui eternellement ont eſté ſans principe de generation, au moins ſi nous deuons adiouſter foy a ce que les plus ſçauans et les plus anciens ont laiſſé par eſcrit touchant choſes ſi grãdes & ſi ſainctes. Bacchus eſt dit fils de Semelé.Ils feignent Bacchus eſtre fils de Semelé, pource que le vin eſt fils de la vigne : & le nom de Semelé vient de ſeiein tà melé, mots ſignifians branſler ou demener les membres : ou parce que la vigne a plus que tout autre arbre ou plante les membres, c’eſt à dire, les branches molles, tendres & aiſees à eſtre demenees au gré du vent : ou d’autant que la vigne par le moyen du vin flechit & gouuerne les membres des hommes. Auſſi portoit-il le Thyrſe, pour denoter que les perſonnes yures ont beſoin de quelque appuy & ſouſtenement pour guider leurs pas. On le faiſoit auſſi fils de Iupin, à cauſe que la nature a engendré au vin vne certaine qualité chaude, & qu’il ne peut croiſtre ſinon en lieux expoſez au Soleil, ou pour le moins moyennement chauds. Il naſquit (diſent-ils) des cendres de Semelé bruſlee, parce que la nature des cendres contient ie ne ſçay qu’elle chaleur enfermee en ſoy, & quelque choſe de gras qui eſt fort bon aux vignes. Pourquoy de Proſerpine.Les autres ont dict Bacchus fils de Iupiter & de Proſerpine, d’autant qu’ils tenoient que la terre fuſt le principe & matiere dont la vigne auoit eſté creée, ainſi que toutes autres choſes, & la chaleur, l’ouurier qui leur donnaſt forme. On dit qu’il fut couſu à la cuiſſe de Iupin, pource que la vigne ayme fort la chaleur, & ne peut viure ny porter fruict ſans elle. Auſſi beaucoup de vignes meurent durant les gelees. Suiet hiſtorique de la couſture de Bacchus à la cuiſſe de Iupin.Mais Diodore au 2.liure de ſes Antiquitez, traitte hiſtoriquement ce poinct, & dict que Bacchus arriuant des parties Occidentales és Indes auec vne groſſe armee, ſans trouuer beaucoup de reſiſtance, au moyen que les humains eſtoient eſpars çà & là par petits hameaux, & qu’il n’y auoit point encores de groſſes villes qui le puſſent acculer ; les chaleurs exceſſiues & non accouſtumees à ſes ſoldats engendrerent vne grãde peſte en ſon armee, qui luy conſuma partie de ſes gens. Alors comme ſage & bien auiſé Capitaine, il les retira de la plaine és montagnes de Tricoryphe, où refraiſchis de vents gracieux & frais, auec vne commodité de bõnes & belles eaux qui rejalliſſoient de pluſieurs ſources, ils furent garantis de cette contagion. Et nõma du nom de Cuiſſe, cet endroit de montagne où il mit à ſauueté ſes troupes : Ce qui donna ſujet aux Grecs de dire qu’il auoit eſté nourry dans la cuiſſe de Iupiter, & par ce moyen deux fois né. Bacchus pourquoy nourry par les Nymphes.Les Nymphes le nourrirent & eſleuerent, d’autant que la vigne eſt la plus humide plante qui ſoit point : & ſi elle eſt moyennement arrouſee d’eau, s’en porte beaucoup mieux, & croiſt plus aiſément. Dailleurs le vin a beſoin de pluſieurs parts d’eau pour le dõpter, & corriger ſes impetueuſes fumees. Il fut emporté en Egypte, à cauſe de la chaleur du pays & fertilité de la region telle que la vigne la requiert. Raiſons de ſon ſexe ambigu, de ſon image, & de ſes cõpagnons.Ce meſme Dieu fait les vns de ceux qui font profeſſion de boire auec largeſſe, hardis & courageux, les autres babillards & cauſeurs, les autres craintifs & coüards comme femmes, ſelon la diuerſité des complexions : c’eſt pourquoy l’on croyoit qu’il fuſt maſle & femelle. Ils diſent qu’il auoit ordinairement les Muſes en ſa compagnie, parce que la chaleur du vin reſueille l’eſprit, & rend les hommes diſerts & vaillans. On le pourtrayoit nud & touſiours ieune, d’autant qu’il reuele les ſecrets. Il eſtoit accompagné de certains demons mal-faiſans & frauduleux, nommez Cobales, entre leſquels Acrat, c’eſt à dire vin pur, tenoit le premier rang ; pource que beaucoup de choſes ſuiuoient ordinairement l’yureſſe & le boire deſmeſuré, ſçauoir eſt, babil, temerité, deſpenſe ſuperfluë, impudence, inimitiez, & pluſieurs autres incommoditez : auec cry & bruit, que les Anciens ont appellé mauuais Demons, Cobales & trompeurs. Les hommes reiettent ordinairemẽt ſu autruy les cauſes de leurs imperfections & vices.Car la plus grand part des hommes ont attribué leurs vices aux Dieux meſmes, comme Æſchyle eſtant yure fit iouët à Bacchus le perſonnage d’vn homme enyuré, ce que toutefois d’autres imputent à Epicharme : auſſi ceux qui eſtoient ſubiets à l’amour, introduiſoient Venus commettant touſiours quelque adultere : les gens-d’armes rapportoient à Mars la cruauté des guerres : & les fils qui chaſſoient leurs peres hors de leurs Royaumes, les deſpoüillants de leur Couronne, ſe fondoient ſur l’exemple de Iupiter, & le prenoient à garant, luy qui en auoit fait de meſme. Or ayans eſgard au naturel & complexion des yurognes, ils diſoient que les Lynx, les Tygres, les Leopards & Pantheres le ſuyuoient, & tiroient meſme ſon chariot ; car le vin imprime, à ceux qui boiuent outrageuſement, la cruelle qualité de ces beſtes, & les rend furieux. On le feignoit habillé de peaux de Cerfs, & de Cheures, deſquels animaux l’vn ſignifie l’effeminee nature des yurognes, & l’autre eſt fort dommageable aux vignes. Pourquoy le ſeruice de Bacchus ſe faiſoit par femmes.C’eſt auſſi pourquoy les femmes faiſoient ordinairement ſon ſeruice, d’autant que la nature des yurognes eſt plus ſemblable à celle des femmes que des hommes. Elles portoient durant leurs Sacrifices des jauelines entortillees de fueillages de vigne & d’hierre, dont elles ſe faiſoient meſme des chapeaux, auſſi-bien que d’If, de Sapin, & de Cheſne, parce que tels arbres ont quelque ſympathie auec la vigne, & ne luy ſont pas ennemis. Raiſon des Colomnes de Bacchus.Quant à ce qu’il borna ſes auantures & voyages deuers le Leuant par deux colomnes, il y a apparence de verité en cela ; mais il ſe peut auſſi entendre du chemin qu’on a faict faire à la vigne, qui premierement naſquit en Egypte, & fut depuis tranſportee és quartiers d’Orient. Ie croy que chacun peut aiſément comprendre le ſujet qui le fit transformer en Lion. De ſa reſurrection & ſommeil triennal.Mais pourquoy fut-il deſmembré par les Titans, & eſtant enſeuely reſuſcita tout entier ? Cela ne ſignifie autre choſe que le plant : Car des prouins & rameaux de vigne qu’on aura taillez, on en peut peupler vne grande campagne de vignoble ; & ſous tels voiles ils ont auſſi voulu preſuppoſer que les laboureurs & les vignerons, qui ſont comme enfans de la terre deſignee par Rhea, ont aſſemblé & confondu peſle-meſle les grappes de raiſins, dont eſt prouenuë cette precieuſe liqueur de vin reduite en vn corps, qui auparauant eſtoit eſpanduë en pluſieurs parties ſeparees l’vne de l’autre. Bacchus dormit l’eſpace de trois ans auec Proſerpine, d’autant qu’il faut ce terme-là aux vignes nouuellement plantees, deuãt qu’elles rapportent du fruict, & durant cette eſpace de temps elles ſe repoſent chez Proſerpine, c’eſt à dire ſous terre, prenans bonne & ferme racine : pour puis-aprés ietter force bois. Pourquoy on luy donne vne teſte de Taureau.On luy faiſoit porter vne teſte de Taureau, voire l’equippoit-on d’vne teſte cornuë ; parce que le vin nuit à ceux qui en prennent outre raiſon, & les aliene quelquefois tellement de leur ſens, qu’ils reſſemblent pluſtoſt à des beſtes cornuës & furieuſes, qu’à des creatures humaines ; ſi ce n’eſt pource qu’il montra le premier le moyen d’accoupler les bœufs à la charruë, Bacchus pris pour le Soleil.ou (ſuiuant l’auis de ceux qui le prennent pour le Soleil) pource que tout ainſi que la principale force du Taureau conſiſte en ſes cornes ; auſſi le Soleil fait ſentir ſa vertu par les rais qu’il eſlance çà bas. Les Anciens le ſouloient adorer auec force ballets, dances & chanſons, pour repreſenter la façon de faire des yurongnes, qui vont touſiours chancelans, & donnans de la teſte & de tout leur corps contre ce qu’ils rencontrent, preſts de choir à chaſque pas. Les autres ont penſé que Bacchus ne fuſt autre que le Soleil meſme, ainſi que Cerés & la Lune ne ſont qu’vn. Virgile eſt de cet auis au 1. des Georgiques :

Vous qui dans l’vniuers d’vne clairté maiſtreſſe, Lumieres ſainctement flamboyantes luiſez, Qui l’an tumbant du Ciel au galop conduiſez, Bacche, et alme Cerés.—

Et Orphee en ſes hymnes :

Il veint premier au monde, & fut dit Dionyſe, Parce qu’au Ciel rodant ſon flambeau il attiſe Pour ça bas eſclairer.—

Mais cet autre vers du meſme Poëte le montre plus clairement :

Le Soleil radieux ſurnommé Dionyſe.

Et Eumolpe és carmes Bacchiques :

Dionyſe brillant parmy les feux aſtrez.

Et de faict, il portoit cette peau mouchettee, dicte Nebride, à cauſe de la diuerſité des eſtoilles. C’eſtoit donc pour imiter le mouuement du Soleil qu’ils dançoient ſi affectionnément en celebrant la ſolemnité des Sacrifices de Bacchus, donnans à entendre que ſans ceſſe il attiroit en haut des vapeurs de la terre, qui puis-aprés renuoyees çà-bas par la pluye, nourriſſent toutes ſortes de plantes & d’animaux. Raiſon de ſa genealogie.Pour cette meſme raiſon ils portoient auec ſi grand pompe le Phalle de Dionyſe durant ſa feſte, comme le reconnoiſſans pere de generation. Il naſquit, ſelon leur dire de Iupiter & de Semelé bruſlee, parce qu’ils tenoient que les eſtoilles fuſſent ignees, & que Dieu les euſt creées d’vne nature de feu. Les autres le font fils de Proſerpine, parce qu’vne partie du temps il ſemble eſtre caché ſous terre, puis en reſortir pour nous venir eſclairer. Quant aux autres choſes qu’ils ont attribuees à Bacchus, c’eſt parce que le Soleil ſelon qu’il s’approche & reculle de nous, eſt tantoſt chaud, tantoſt froid, & tantoſt temperé ; veu que par ſon moyen toutes choſes s’engendrent. Autre raiſon de ſa reſurrection.Aprés qu’on l’eut enterré il reſuſcita tout entier : c’eſt à cauſe des changemens & des reuolutions que nous voyons tous les ans en ſa chaleur, car il a par fois fort peu de vigueur, puis que petit à petit il ſe renforce iuſqu’à ce qu’il ait entierement r’acueilly/ toutes ſes forces.

Auis des Egyptiẽs touchant Bacchus.Neantmoins les Egyptiens nous ont laiſſé par leurs Memoires choſes bien contraires à ce que les Grecs ont eſcrit touchant Bacchus. Car ils diſent que Bacchus (qu’ils ont auſſi nommé Oſiris, Soleil, Phœbus, Apollon, Pluton, Apis, Anubis, & d’autres infinis tiltres & qualitez, contenans ſous cette eſcorce les plus grands ſecrets & myſteres de nature) fut nourry à Nyſe ville d’Arabie l’heureuſe, lequel eſtant fils de Iupiter, obtint le nom de Dionyſe, compoſé de Dios, cas oblique de Zeùs, fignifiant Iupiter, & de la ſuſdite ville de Nyſe, en laquelle on dit qu’il trouua la vigne, & qu’il enſeigna aux habitans du lieu le moyen de la cultiuer, & d’en tirer du vin pour leur vſage. Ils adiouſtent qu’Oſiris, qui regna en Egypte aprés Vulcan, ayant mis bon ordre en ſon Royaume, prit reſolution de voir le monde, & d’employer ſes moyens, voire ſa vie pour le bien de tous hommes, non ſeulement viuans pour lors, mais auſſi de leur poſterité : & leur montrer comment il faloit labourer la terre, ſemer le froment, l’orge, & autres grains ; & cultiuer la vigne, cuidant que peu-eſtre par ce moyen ils ſe deporteroient de cette barbare & inciuile façon de viure qu’ils auoient iuſques à lors ſuiuie, & que ceux qu’il auroit ramenez à vne vie plus humaine & courtoiſe, l’honoreroient comme leur Dieu. Ces conſiderations luy firent auancer ſon deſſein, ſuiuant lequel il diſpoſa de tout l’Eſtat d’Egypte, laiſſant ſa femme Iſis Regente du Royaume, & luy donna Mercure Triſmegiſte, c’eſt à dire, Trois fois tres-grand, pour Conſeiller d’Eſtat, & fit Hercule ſon Lieutenant general en tout le pays, qui pour ſa valeur & force corporelle auoit acquis beaucoup de reputation, & luy eſtoit parent & allié. Il donna le gouuernement de Phœnice à Buſiris, celuy d’Æthiopie & de Lybie à Antee. Il emmena force troupes quand & luy, & vn ſien frere que les Grecs nommoient Apollon, inuenteur de l’Oliuier, comme luy auoit eſté de l’Hierre, leſquelles plantes les Grecs leur conſacrerent. Oſiris auoit deux fils, Anubis & Macedon, qui firent le voyage auec luy, leſquels pour montrer & faire cognoiſtre leur valeur & magnanimité, tymbroient leurs armes d’enſeignes & marques d’animaux courageux & hardis. Macedon en ſes armes portoit le deuant d’vn loup ; & Anubis vn bonnet faict de meſme forme. Pan le ſuiuit auſſi, de qui les Grecs faiſoient beaucoup d’eſtat ; & Triptoleme, & Maron, Capitaines & compagnons de Bacchus en ſes entrepriſes, auec commiſſion de luy, d’apprendre aux hommes chez leſquels ils paſſeroient, le labourage des champs, & le plant de la vigne. Vœu de Bacchus pratiqué par les Anciens.Ainſi doncques Oſiris ſe mettant en chemin fit vœu de ne faire point ſes cheueux qu’il ne fuſt de retour en ſon pays, & de là vint depuis la couſtume aux Voyageurs, de nourrir leur poil iuſqu’à tant qu’ils fuſſent de retour chez eux. Ils diſent auſſi qu’eſtant arriué en l’Arabie, les Satyres ioignirent ſes troupes, & force chantres & muſiciens hommes & femmes, entre leſquelles y auoit neuf pucelles, qui chantoient excellemment bien, que les Grecs appellerent Muſes. Au reſte Oſiris print premierement la route d’Ethiopie, puis paſſant par l’Arabie vint és Indes, & courut tout le pays tant qu’il trouua de terre ferme, où il baſtit pluſieurs villes, entre autres Nyſe, & y planta l’Hierre pour teſmoignage de ſa peregrination, faiſant dreſſer des colomnes, pour montrer que c’eſtoit là le bout & le terme de ſon voyage. Apres il vint en la Moree, en Europe, & Thrace, où il tua Lycurge qui s’oppoſoit à ſes deſſeings. A quoy tendẽt les vindictes de Bacchus.Les vengeances de Bacchus exercees à l’encontre de tant de perſonnes, tendent à nous faire cognoiſtre que l’irreligion & meſpris de la Diuinité, eſt le plus enorme & plus deteſttable forfaict de tous autres qui puiſſent tumber en l’eſprit de l’homme, & lequel a touſiours accouſtumé d’eſtre le plus aigrement vangé. Quant à la Fable diſant que Bacchus outragé par Lycurge s’enfuyt vers la mer, on eſtime que cela ſignifie l’aſſaiſonnement & meſlange du vin, qui deſia ſe prattiquoit dés long-temps : d’autant que (dit Athenee) le vin trempé d’eau marine deuient plus doux. Aprés la defaite de Lycurge, Bacchus fit ſon fils Macedon Roy de cette region, qui depuis fut dite Macedoine. Il laiſſa auſſi Triptoleme en la contree d’Athenes, pour apprendre aux habitans du pays à labourer la terre & edifier la vigne. Enfin pour tant de biens qu’il faiſoit aux hommes, on prit auis de luy en faire digne reconnoiſſance, & pourtant on le mit au rang des Dieux immortels. Les Egyptiens ſe mocquent des Grecs, diſans que Bacchus naſquit à Thebes, de Iupiter & de Semelé, ce qu’ils diſent auoir éſté creu, parce qu’Orphee venu en Egypte, ayant appris leurs myſteres, & eſtant bon amy des Cadmeens, deſquels il auoit receu beaucoup d’honneur, pour gratifier & complaire aux Thebains, controuua ces contes là touchant la natiuité de Bacchus : & la populace, partie par ignorance, partie auſſi bien aiſe de voir qu’vn de leurs bourgeois fuſt deïfié, creut aiſément, & embraſſa volontiers ce que chantoit Orphee touchant la naiſſance d’iceluy, & donna cette croyance aux autres nations circonuoiſines, qui comme de main en main la ſemerent par tout le monde. Suiect de la fabuleuſe natiuité de Bacchus.On dit que le ſujet de ce beau conte là, diſant que Bacchus naſquit des cendres de ſa mere Semelé & de la cuiſſe de Iupiter, vint d’vn enfant que Semelé fit en cachette & à la deſrobee, qu’on diſoit eſtre fils de Iupiter. Or voyant qu’il eſtoit beau & de bon entendement, Orphee qui ſçauoit tous les myſteres deſquels les Egyptiens ſeruoient Oſiris, inſtitua entre les Grecs les meſmes ceremonies & façons de faire qu’il auoit appris & veu prattiquer en Egypte, & de là les Mythologues ou eſcriuains de Fables, & les Poëtes depuis, prindrent ſujet & argument d’en faire de beaux contes, & imprimerent és cerueaux des hommes vne opinion touchant ſa diuinité, qu’on ne leur pût faire deſmordre. D’autre part on dit que Dionyſe n’inuenta pas ſeulement le vin, mais auſſi la biere ou ceruoiſe, laquelle il apprit à faire aux nations habitans vn pays impropre à porter vigne. Bacchus premier triomphant.Ce fut le premier entre les Roys & les ſouuerains Seigneurs qui voulut faire triomphe des peuples par luy ſubiuguez : & parce qu’il porta vne mitre ſur ſa teſte, les autres Roys prindrent la couſtume de porter le diademe à ſon imitation & exemple. Or d’autant qu’il auoit eſté trois ans en voyage, en ſouuenance de ce terme-là, les Bœociens, les Thraces & autres nations Grecques luy inſtituerent la ſuſdite feſte Triennale. Seneque en ſon Oedipe expoſe toutes les auantures, proüeſſes & honneurs qui furent deferez à Bacchus, & les recueille en vn meſlange de toutes façons de vers Latins, qui nous eſt ſeul demeuré de pluſieurs autres dont nous ne pouuons aſſez regretter la perte. Nous les auons exprimez comme il s’enſuit :

Toy qui te ceinds le poil de balvotant hierre, Armé de jauelots que maint feuillard enſerre : Claire eſtoille du Ciel, vien t’en, Bacche, à ces vœux Que tes concitoyens, humbles deuotieux, Te preſentent à Thebe encernez de branchages, Et ſacre-ſaincts rameaux autour de leurs viſages. Sois-nous propice ô Dieu : tourne deça, benin Ta teſte virginale & que ton front ſerein Nous donne vn ciel ouuert, & chaſſe les nuages, Les menaces d’Erebe & tous haineux preſages. Il faut que ton poil blond ſoit des fleurs entreſſé Que produit le primtemps, & ton chef empreſſé D’vn turban Tyrien : qu’vn bien grené feuillage D’hierre cordonné enceigne ton viſage. Eſparpille ton poil alentour de ton chef, Sans loy, ſans ornement, ſans ordre, & derechef Fay le gentiment joindre en haut d’vn nœud iaunaſtre, Comme tu le portois lors que de ta maraſtre Craignant l’œil courroucé ton ſexe deſguiſas Prenant l’eſcoffion, & que tu t’auiſas De trouſſer ton habit d’vne iaune ceinture, Fier d’eſtre enjoliué de ſi molle parure, Auec la gorge ouuerte, & la queuë trainant De ton vertugadin. La plage du Leuant Te vid alors aßis en ton doré carroce Gouuerner tes Lions pleins de courroux atroce. Celuy t’a veu qui boit l’eau du Gange Indien, Quiconque boit außi l’Araxe Armenien. Le vieil Silen te ſuit, l’vn des chefs de tes bandes, Le front enflé couuert en façon de guirlandes De bouquets empamprez, & d’vn aller laſcif, Ayant pour ſa monture vn aſne bien chetif, Fait marcher ſes ſquadrons au branſle des Orgies. Tes ſuiuants Baſſarins rangez en compagnies Batoient ore du pied le Pange Edonien, Ore le chef cornu du Pind Theſſalien. Ore t’accompagnoient les Bacches plebeennes, Iointes en meſme dance aux Dames Thebeennes, Ayant pour ſainct habit à l’entour de leurs reins De grandes peaux de Cerfs, de Cheureuls & de Dains. Et parſemans leur poil tout le long du viſage, Branſloient des jauelots tortillez de feuillage, Contrefaiſants la rage, ainſi que de Penthé Quand deffaict en quartiers fut le corps eſpanté. Mais leur courroux ceſſa lors que la connoiſſance Elles eurent du faict commis par ignorance. La Tente de Bacchus tient le regne azuré En ſa main et pouuoir, les filles de Neré Sont ſuiuantes d’Ino. Le petit Melicerte Commande ſur les mers, couſin de Bacche & certe La puiſſance qu’il a n’eſt point à deſpriſer. Quand les Tyrrheniens oferent meſpriſer Et rauir Bacche enfant alors le vieil Neree Fit ſoudain accoiſer les flots de la maree. La mer ſe change en prez, & d’vn verd primtannier Le plane refleurit, & le Delphic laurier. Maint oyſeau bigarré ſautellant és branchages, D’vn babillard gazoüil deſgoiſe les ramages. L’hierre ceind le mas : le pampre verdiſſant Entortille la hune. Vn Lion fremiſſant Paroiſt deuers la prouë. Vn Tigre Gangetique Sur la pouppe eſtourdit la trouppe piratique. Ces brigands effroyez s’eſlancent dans les eaux, Et ſe changent noyez en viſages nouueaux. Ils pendent les deux bras, leur poitrine s’aſſemble Au ventre en vn tenant, & leur pend tout enſemble Vne petite main qui deſcend des coſtez, Et vont ainſi trainans en mer leurs dos vouſtez, Qui (choſe monſtrueuſe !) aboutiſſent en queuës A guiſe d’vn croiſſant, pour fendre les eaux bleuës : Et muez deſormais en Daufins courbe-nez, Vont ſuiuans les vaiſſeaux chez Neptun proumenez. Du Pactol Lydien la riue vagabonde Trainant l’or auec ſoy t’a porté ſur ſon onde. Et le Maſſagetan, qui meſlange inhumain Pour ſon boire du laict auec le ſang humain, Impuny ne laſcha ſur luy ſon dard Getique. Les peuples indiſcrets de ce Lycurge inique, Les Zedaces hautains ont ſenty de Bacchus Le courage vangeur : & ceux qui ſont battus Des Aquilons glacez, ceux qui du froid Mæote Habitent le riuage, & ceux qui du Boote Sont deſſous le climat, & deuers le quartier, De l’eſtoille Arcadique ou du gemeau Chartier. Il a dompté vaillant les face-peincts Gelones, Et faict prendre ſon joug aux fieres Amazones. Il a faict mettre bas & l’arc & le carquois A ceux de Thermodon, & leur peſant harnois En leur faiſant poſer ce qu’ils auoient de fere Pour deuenir courtois. Le ſainct mont de Cythere A regorgé de ſang pour le ſang Cadmean, Les filles de Prœtus ont auec gros ahan Couru et bois & champs ; mais cette Belle-mere Plus ſage luy rendit l’honneur qu’on luy defere. Ariadne d’ailleurs qu’à Naxos ou Dia Iſle de l’Archipel Theſé congedia, Recompenſa fort bien le precedent dommage, Quand Bacchus l’eſpouſa d’vn meilleur mariage. Il ſceut bien conuertir le fleuue Nyctilé En pierre-ponce ayant ſon honneur auilé. Maint ruiſſeau fauche l’herbe où iadis enfermee Couloit vne belle onde au long de ſa leuee. La terre a beu des eaux dont le gouſt ſauoureux Et couleur reſembloit à du laict doucereux. Mais quand on luy mena ſa nouuelle eſpouſee Là-haut au ciel d’odeurs bien-flairants arrouſee, Apollon eſpandant ſes cheueux blond-dorez Sur ſon col y chanta des airs bien meſurez. Ces deux exprimẽt l’amitié réciproque qui doit eſtre entre le mary & la femme.Amour & Contr’amour portoient emmy les ſales Comme pages d’honneur des torches nuptiales. Quand Bacchus approcha, Iupin ſerra ſes feux, Ses foudres, la terreur des hommes & des Dieux. TANT que les clous aſtrez eſclaireront au monde, Que la mer enceindra cette machine ronde, Diane reprendra ſon plein rond argentin. Lucifer predira le retour du matin : Tant qu’au lambry vouſté continu’ront leur courſe, Vers le pol d’Aquilon la grande & petite Ourſe, Nous chanterons touſiours l’honneur & nom diuin Icy-bas à l’enuy du Pere donne-vin.

Autre auis des Egyptiens touchant la natiuité de Bacchus.Toutefois quelques Egyptiens nous ont laiſſé par eſcrit des diſcours bien differents de ce que deſſus quant à la natiuité de Bacchus. Car ils diſent qu’Ammon, Roy d’vne partie de Lybie, qui auoit eſpouſé la fille du Ciel, & ſœur de Saturne, nommee Rhee, comme il viſitoit le pays, rencontra vers les monts Cerauniens vne tres-belle fille nommee Amalthee, laquelle induiſant à luy complaire en amour, il en eut vn fils, lequel eſtant beau & puiſſant fut appellé Dionyſe, & fit Amalthee Royne d’vn petit pays prés de là, dont la ſituation eſtãt en forme d’vne corne de Bœuf, on le nomma la corne des Heſperides : & à cauſe de la fertilité du pays, peuplé d’vne grande quantité d’arbres fruitiers & domeſtiques, on l’appella Corne d’Amalthee. Au reſte Ammon craignant la jalouſie de Rhee ſa femme, fit emporter l’enfant en vne ville nommee Niſe, bien loing du lieu où il auoit fait le coup, qui eſtoit en vn Iſle ſur la riuiere de Triton, en vne fondriere où il y auoit vn paſſage qu’on appelloit les portes de Nyſe. Le pays eſtoit fort plaiſant, entouré de belles prairies, & arrouſé de pluſieurs gentilles fontaines & clairs ruiſſeaux, qui d’vn doux murmure grommelans abruuoient tout le voiſinage. On y trouuoit de toutes ſortes d’arbres fruitiers, la vigne y venoit naturellement, qui produiſoit d’excellent vin, ſans qu’homme viuant y miſt la main : les vents les plus doux, les plus gracieux, & les plus ſalubres du monde eſpurgeoient & refraichiſſoient cette contree ; à cauſe dequoy les habitans eſtoient de tres-longue vie : les entrees & yſſuës couuertes & ombragees de deux rangs de hauts arbres dru plantez, auec des vallees aſſez profondes & baſſes, de façon que le Soleil ne les eſchauffoit point trop : de toutes parts on rencontroit de belles fontaines d’eau douce, ombragees d’arbres touſiours verdoyans & de ſouëfue odeur : grande quantité de fleurs qui parfumoient le lieu d’vn air ſuaue : toutes ſortes d’oiſeaux y chantoient leur ramage, & voltigeans de branche en branche faiſoient vn gazoüillis plaiſant à merueilles. En vn mot il n’y a plaiſir au monde qu’on puiſſe ſouhaiter pour auoir en vn lieu de demeure vne parfaicte & accomplie volupté, qui ne ſe trouuaſt en ce quartier-là. Ammon y arriuant bailla (comme l’on dit) ſon fils à Nyſe l’vne des filles d’Ariſtæe, pour le nourrir, & luy dõna pour gouuerneur ledit Ariſtæe, homme ſage & bien entendu en toutes ſortes de ſciences ; & pour gouuernante Pallas, afin de preuoir & éuiter les embuſches de ſa belle-mere : laquelle Pallas ayant eſté peu auparauant apperceuë le long de la riuiere de Triton, fut dicte Tritonienne. Or depuis que Rhee eut apperceu que la gloire & la renommee de Dionyſe ſon beau-fils s’eſpandoit par tout le monde, elle entra en mauuais meſnage auec Ammon ſon mary, & fit tout ce qu’elle pût pour empoigner Dionyſe, ce que ne pouuant executer, elle quitta Ammon, & ſe retira chez ſes freres les Titans, reſoluë de demeurer auec ſon frere Saturne, auquel elle perſuada de faire la guerre à Ammon, ce qu’il fit. Ammon ſe voyant en neceſſité de viures & autres choſes neceſſaires pour ſubuenir aux frais de la guerre, fut contraint de s’enfuyr en Candie, où il eſpouſa la fille de l’vn des Curetes regnans pour lors, qui ſe nommoit Crete, de laquelle il fit porter le nom à l’Iſle qui auparauant s’appelloit ldee, auiourd’huy Candie. Saturne s’eſtant ſaiſi des places & de l’Eſtat d’Ammon, commença à rudoyer par trop ſes ſubiects, ſi bien qu’il fut incontinent mal-voulu d’eux : & peu de temps aprés ayant battu aux champs ſe prit à marcher contre Nyſe & Dionyſe, accompagné d’vne bonne & groſſe armee. Guerre de Bacchus contre Saturne.Dionyſe ayant eu auis de la fuitte de ſon pere Ammon, & de la guerre que les Titans ſe preparoient de luy faire, leua nombre de ſoldats à Nyſe, & entre autres deux cens bons garçons forts & robuſtes, & qui luy portoient ſi bonne affection qu’il s’aſſeuroit fort d’en tirer de bons ſeruices. Il leua auſſi des troupes en Lybie, & quelques compagnies & enſeignes d’Amazones, qui s’enroollerent d’autant plus volontiers qu’elles entendoient d’auoir pour compagne de cette guerre Pallas, grande & braue guerriere. Ainſi doncques Dionyſe fut chef des hommes, & Pallas des femmes. Quand ce vint à la charge, il en mourut beaucoup de part & d’autre. Saturne y fut bleſſé, & Dionyſe emporta la victoire, qui fit ſur tous autres en cette iournee là, preuue de ſa valeur. Les Titans mis en rou- te ſe ſauuerent és places d’Ammon, leſquels aſſiegeant il contraignit de ſe rendre à ſa mercy, & leur donna le choix, ou de porter les armes pour luy, ou de ſe retirer. Ils ſe rangerent donc tous à ſon party, & l’honnorerent comme vn Dieu ſalutaire. On dit qu’en cette guerre contre Saturne il auoit auec luy les Silenes, ſortis de la plus illuſtre famille de Nyſe ; joint que le premier Roy de Nyſe s’appelloit Silene. En ce voyage il defit beaucoup de monſtres, & peupla d’habitans les pays qui eſtoient deſerts. Saturne oyant que Dionyſe le venoit aſſieger, bruſla la ville, & emmenant quand & ſoy Rhee ſa ſœur & quelques ſiens amis, ſortit à la faueur de la nuict. Saturne priſonnier de Bacchus.Mais il y auoit tant de corps de garde poſez ſur toutes les auenuës, qu’il ne pût eſchapper ſans eſtre pris, & mené par deuant Dionyſe, non ſeulement ne receut aucun outrage, mais auſſi le pria de vouloir à l’auenir, à cauſe de leur alliance, & de l’honneur & obeyſſance qu’il deſiroit luy porter comme à ſon beau-frere, viure en paix & amitié auec luy, promettant de luy faire toute ſa vie office de bon frere & meilleur amy. Titans exterminez par Bacchus.Mais comme les Titans voulurent ſecrettement reprendre les armes contre luy, il les defit en bataille, & les fit tous iuſques au dernier paſſer au fil de l’eſpee. C’eſt ce que les hiſtoriens d’Egypte racontent de Bacchus. Autres diuers auis touchant Bacchus. Allegorie ſur le deſmembrement de Bacchus.Quelques-vns ont dict auſſi qu’il eſtoit fils de Iupin & de Cerés, & que les Terrigenes le deſmembrerent & firent cuire : mais que Cerés ralliant ſes membres il reſuſcita tout ieune. Cela ſans doute n’a eſté feint pour autre ſuject, que pour exprimer le labourage de la vigne & la façon du vin ; car ils diſent que cela denote la croiſſance & nourriture que les grains & fruits tirent de la terre & de la pluye ſignifiez par Cerés & Iupin, & que les raiſins coupez & deſmembrez de leurs ceps, eſtans preſſurez rendent le vin qui y eſtoit contenu. Eſtre deſchiré par les Terrigenes, c’eſt à dire, engendrez de la terre, n’eſt autre choſe qu’eſtre tranſplanté par les laboureurs, veu que Cerés eſt la terre, qui fait en ſa ſaiſon reuerdir & reuiure le bois de la vigne qui ſembloit eſtre mort & ſec. Ils le firẽt cuire, pource que beaucoup de nations font cuire & boüillir leur vin, afin qu’il ſoit de meilleure garde, comme teſmoigne Diodore Sicilien au 3. liure de ſon hiſtoire. Les autres eſcriuent qu’il naſquit par deux fois, penſans que deuant le deluge vniuerſel cette plante fuſt en vſage, mais que par le deluge de Deucalion elle ſembla eſtre eſteinte & morte, qui puis aprés vint à renaiſtre & à bourgeõner. Les autres qu’il y a eu trois Dionyſes en diuers temps, à chacun deſquels ils attribuẽt vn nombre infiny de merueilles & proüeſſes. Les autres veulẽt qu’il n’y en ait eu qu’vn qui fit tout, qui trouua la façon de la vigne, & du vin, & le figuier auſſi ; lequel eſtoit barbu, & Indien de nation, & le ſecond, fils de Iupin & de Proſerpine, ou Cerés, qui le premier accoupla les Bœufs à la charruë, au lieu qu’auparauãt ils labouroient la terre à force de mains ; & que pour cette raiſon ſes ſtatuës auoient des cornes à l’imitation des charuës. Pour la fin nous inſererons icy ce qu’Homere en ſes hymnes chante de cette natiuité :

O grand Dieu qui plantas la vigne doucereuſe, L’vn dit que tu naſquis d’Icare la venteuſe, L’vn te fait Dracanois, & l’autre Naxien, L’autre naiſtre te fait ſur le fleuue Alphient ! Mais ceux qui te font prendre à Thebes ta naiſſance, Mentent impudemment, ſans doute ton eſſence Vient du ſouuerain Roy des hommes et des Dieux ; Qui celant à Iunon & maint autre enuieux Le part de Semelé, non ſans labeur penible Te cacha ſur le mont de Nyſe inacceßible Es plus eſpais halliers qui fuſſent dans le bois Loing de Phœnice, & prés du riuage Nilois.

Quant à ſa mort, rapportons nous-en à Lucian, qui dit en ſes Dialogues, que comme le bon Lievre il alla mourir en Egypte, où les Bybliens peuples du pays l’enſeuelirent en leur territoire, inſtituerent vn dueil anniuerſaire ; et de ſainctes ceremonies d’vne ſolemnité qu’on celebroit tous les ans à ſon honneur. Voila doncques quant à Dionyſe : paſſons à Cerés.