Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - V, 15 : De Cerés Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
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De Cerés.

CHAPITRE XV.

Genealogie de Cerés.HESIODE en ſa Theogonie dit que Cerés fut fille de Saturne & d’Ops, & ſœur de Pluton, de Iupiter & de Iunon. Amours inceſtueuſes enuers Cerés.Cette Deeſſe eſtant belle en perfection, Iupiter, qui ne pût iamais s’abſtenir d’aucune paillardiſe ny inceſte, en deuint amoureux, & de faict coucha auec elle, & l’engroſſit de Proſerpine, ſelon le teſmoignage du Poëte ſuſdit :

Monté deſſus le lict de Cerés il engendre Proſerpine la belle afin d’auoir vn gendre. Ce gendre fut Pluton, qui depuis la rauit, Mais Iupin entre mains de Cerés la remit.

D’autre coſté Neptune l’vn de ſes freres en voulut auoir auſſi ſa part, & s’en amoura, ainſi qu’elle alloit rodant à la queſte de ſa fille Proſerpine enleuee par Pluton, car ce fut alors qu’il la ſuiuiſt. Mais s’en eſtant apperceuë elle ſe transforma en Iument, & ſe mit à paiſtre parmy celles du haras d’Oncius. Le Dieu ſe voyant fruſtré de ſon attente, ſe mua reciproquement en Eſtalon ; & ſous cette ſemblance ſaillit de force ſa ſœur Cerés : & en naſquit vne fille nommee Hera, dont la religion Grecque ne permettoit de reueler le nom aux profanes. Toutefois quelques-vns ſous cette appellation comprenoient, & la mere & la fille. Elle eut auſſi d’vne meſme portee vn cheual (ſelon quelques-vns) qui fut nommé Arion. Cholere & deſpit de Cerés.Or elle eut tant de dueil d’auoir engendré cet animal, & en ſceut ſi mauuais gré à ſon Eſcuyer, que partie de cholere, partie de honte, elle s’habilla de noir, & fuyant la lumiere & la compagnie des Dieux, s’alla cacher dans vne cauerne fort obſcure. Puis-aprés comme tous les fruicts de la terre vindrent à ſe gaſter & corrompre, & la peſte à deſerter le pays & faire mourir hommes & beſtes, perſonne de tous les Dieux ne ſçachant le lieu de la retraitte de Cerés : Pan eſtant à la chaſſe en Arcadie l’apperceut, & le fit ſçauoir à Iupiter, qui luy enuoya les Parques pour la conſoler, & prier de vouloir appaiſer ſon ire : ce qu’elle fit. Les autres diſent qu’elle ne ſe retira pas pour cette occaſion, mais bien aprés qu’elle eut eu auis de l’inconuenient auenu à ſa fille Proſerpine. Cerés impudique & inceſtueuse.Or ne ſe contentaelle pas de ſouffrir ſa pudicité polluee par deux de ſes freres, mais comme font femmes de tel meſtier, pourſuiuant ſon train commencé, & ſçachant que (comme l’on dit) changement de viande engendre appetit, elle fit l’amour à Iaſion, fils de Iupin & d’Electre, teſmoin Homere au 5. de l’Odyſſee : mais le pauure ieune homme n’eut pas beaucoup de joye de ſes amours ; car Iupiter ialoux de voir qu’il euſt vn fils pour riual, & qui peſchaſt en meſme plat que luy, ne le pût ſouffrir, & d’impatience le frappa de ſa foudre, qui le reduiſit en cendres. Erreurs populaires.Cerés enceinte de ce Iaſion, enfanta Plute, que les Anciens (comme il a eſté dict en ſon Chapitre) feignoient mal-à-propos eſtre aueugle, veu que cette imperfection cõuient pluſtoſt à pauureté qu’à vn Dieu des richeſſes : d’autant que les plus ſages & les plus ſçauans hommes du monde, s’ils ſont pauures, ſont neantmoins reputez, ſots, malauiſez, ſans conſeil, ſans iugement, ſans prudence, ſans entendement : mais ceux qui ont beaucoup de moyens, ſelon l’opinion des hommes ne manquent point des qualitez qu’on peut requerir en vn honneſte homme, & tous les propos d’vn homme ayant la bourſe bien ferree, ſont eſtimez ſortir d’vne bouche doree. Les autres ne diſent pas que Iaſion fut fils de Iupiter & d’Electre, mais bien de Minos & de Phronie, lequel Iaſion Cerés rencontrant endormy dans vn pré, reſueilla ſi bien qu’il luy remplit le ventre de ce qu’elle deſiroit de luy, & engendra Plute. Cerés habita quelque temps à Corcyre, ainſi dite de Corcyre, fille d’Aſope, qui y fut enſeuelie, comme eſcrit Apollonide en la nauigation d’Europe, laquelle Iſle s’appelloit auparauant Drepan, à cauſe de la faux de Saturne qui chût dedans, ſelon le teſmoignage d’Apollonius, au 4. des Argo-Nochers. Les autres veulent dire que cette Iſle fut nommee Drepan, non pas à cauſe de la faux de Saturne, mais bien d’vne autre, qu’elle pria Vulcan de luy forger pour apprendre aux Titans à moiſſonner, ou bien pour en trauailler elle-meſme. Cette iſle ſe nomme auiourd’huy Corfou. Or Drepan eſtoit vne ville en Sicile, prés de la montagne d’Eryce : & toute la Sicile eſtoit conſacree à Cerés, comme meſme le teſmoigne Ciceron en la 6. action contre Verés : C’eſt vne vieille opinion prouenuë des anciens eſcrits & memoires des Grecs, que l’iſle de Sicile eſt toute ſanctifiee à Cerés & Libera. Pour cette cauſe diſent-ils que ſa fille fut par Pluton rauie en Sicile, & emmenee aux Enfers, comme il a eſté dict en ſon lieu, d’où elle ne pût eſtre rachetee, Voyez liure 3. chap. 16.pource qu’elle auoit mangé quelques grains de grenade. Les Eleuſiens celebroient à l’honneur de Cerés la feſte des Theſmophores, que Triptoleme inſtitua le premier, en recompenſe du bien qu’il auoit receu d’elle, luy apprenãt à ſemer les grains & fruits. Triptoleme nourry miraculeuſement par Cerés.Car on dit que Cerés rodant parmy le monde pour trouuer ſa fille, arriua en la ville d’Eleuſe, & s’adreſſa chez le Prince de la ville, nommé Eleuſius, la femme duquel, Hyone, comme dit Lactance, eſtoit accouchee du petit Triptoleme : & comme on luy cerchoit vne nourrice pour le nourrir, Cerés ſe preſenta pour ce faire, qui nourriſſant du laict diuin ſon nourriſſon durant le iour, le cachoit de nuict ſous le feu, au deceu de tous les domeſtiques. Le pere voyant que ſon fils proffitoit à veuë d’œil, & ſingulierement de nuict, & qu’il eſtoit bien nourry, voulut voir comment cela ſe faiſoit ; ce qu’ayant deſcouuert, & connu qu’il y auoit de la Diuinité, il en fut tellement rauy, qu’il ſe voulut eſcrier : mais Cerés ne voulant eſtre reconnuë, fit mourir Eleuſius ſur le champ, & donna à Triptoleme vn chariot attelé de Dragons, afin qu’allant par pays il appriſt à tout le monde à ſemer les grains & les fruits de la terre. Les autres content que Cerés nourrit quelque temps Celee, Roy d’Eleuſis, comme ſon fils, & que le voulant immortaliſer, elle le couurit ordinairement ſous le feu. Mais aprés qu’elle l’eut ainſi faict long temps, quelqu’vn la deſcouurit : cauſe qu’elle ſe deſiſta de ſon entrepriſe, & ne ſe ſoucia plus de l’immortaliſer, ains luy apprit ſeulement à labourer la terre & ſemer le bled. Les autres ont dit que Celee eſtoit pere de Triptoleme, & que Cerés leur apprit à tous deux ce que deſſus. Les autres maintiennent que Triptoleme eſtoit fils de l’Ocean & de la Terre ; toutefois Orphee veut qu’il ait eſté fils de Diſaulés, & dit qu’il auoit vn frere nommé Eubule. Les autres diſent que Triptoleme enſeigna à Eumele le moyen de ſemer les grains, & qu’il en emporta l’vſage en la ville de Patres en Achaïe, qui depuis s’eſpandit par les autres quartiers & regions du monde. Il luy apprit auſſi la façon de fonder & baſtir des villes. Quelques-vns adiouſtent à ce conte, qu’Anthee, fils d’Eumele entreprit d’atteller les Dragons ailez de Triptoleme à ſon chariot ; mais ils l’en deſiucherent ſi bien qu’il en mourut. Feſtes des Theſmophores.Or pour reuenir à la feſte des Theſmophores, il faut noter qu’on n’y appliquoit point de vin, & les Atheniens receuoient en cette confrairie là les bonnes Dames qui auoient faict veu de perpetuelle & inuiolable pudicité, leſquelles portoient des guirlandes faictes d’Agnus caſtus. Ceſte feſte ſe ſolemniſoit tous les ans par les vierges, de quelque aage qu’elles fuſſent, menans vne vie honneſte & ſans reproche : leſquelles en tel iour portoient ſur leur teſte certains liures contenans les myſteres & ſecrets de ce ſainct ſeruice. Du commencement les Eleuſiens ſans autres ſolemniſoient tels ſacrifices : mais Eumolpe, fils de Triptoleme & de Deiopé l’introduiſit à Athenes, ou bien ſelon l’aduis de quelques autres, Eumolpe cinquieſme aprés luy, comme il a eſté dict au 10. chap. du premier liure. Les Preſtres officians en ceſte ſolemnité s’appelloient Eumolpides, à cauſe du fondateur de ce myſtere. Toutefois Herodote en ſon Euterpe ne dit pas que les Theſmophores ayent pris leur ſource de Triptoleme, n’y d’aucun autre Grec : mais que les filles de Danaüs en apporterent d’Egypte en Grece les ceremonies & vſages, & les apprindrẽt aux femmes de leurs pays. Au reſte és Sacrifices de Cerés on ne portoit point en Sicile de chapeaux de fleurs, ny en toutes ſes autres ſolemnitez ; car ils furent defendus, pource que ſa fille Proſerpine fut enleuee cueillãt des fleurs : mais ils faiſoient des guirlandes & tortis de Myrthe, d’If, de Narciſſe, d’Agnus caſtus, & de Safran. Et pource que Cerés allant à la queſte de ſa fille, auoit circuy tout le monde, & allumé ſa torche au Montgibel en Sicile pour cheminer nuict & iour, les hommes & femmes Siciliennes ſuiuans cet exemple alloient nuitamment courans, bruyans, portans des flambeaux en leurs mains, & appellans à haute voix Proſerpine. Voyez liure 3. chap. 16.Ayant dõcques receu fort bon accueil de Metanire & d’Hippothoon fils de Neptun & d’Alope, on dit qu’elle apprit à Triptoleme à ſemer les bleds, lequel les vns diſent auoir eſté fils d’Eleuſie, les autres de Celee, les autres de l’Ocean, les autres de Dyſaulés. Quelques-vns diſent que Cerés apprit cette ſcience à Triptoleme & Eubule freres, pource qu’ils luy donnerent le premier auis du rauiſſement de ſa fille. Metamorphoſe d’Abas.Or Metanire ayant logé Cerés en ſa maiſon, ſe mit en deuoir de l’adorer & luy faire ſacrifice : mais elle auoit vn fils nommé Abas, qui mal-content de ce que ſa mere la logeoit & luy faiſoit tant d’honneur, commença à ſe mocquer de ſon ſacrifice, & meſme luy eſchappa de dire quelque choſe mal à propos, voire paroles iniurieuſes contre cette Deeſſe : leſquelles ne pouuant ouyr ſans vengeance, ainſi comme elle tenoit en main vne taſſe pleine de certaine mixtion, faite d’eau & de farine d’orge, qu’elle eſtoit preſte d’aualler pour eſtancher ſa ſoif, elle la ietta contre ce garçon, par laquelle il fut ſoudainement transformé en Lezarde  ; & le ſon qui ſe trouua en ce breuuage s’eſpandant en diuers endroits de ſon corps, luy imprima ces taches que nous voyons encor auiourd’huy en tels animaux. Ouide au 5. des Metamorphoſes, deſcriuant les auentures de Cerés, cerchant ſa fille Proſerpine, diuerſifie aucunement le cours de cette hiſtoire fabuleuſe, neantmoins la transformation eſt ſemblable. Il dit donc que la bonne Dame :

Laſſe de cheminer, la ſoif luy faiſant peine, Sans pouuoir deſcouurir aucune eau de fontaine, Elle apperçoit en fin vn pauure & petit toit Couuert de chaume auquel vne vieille habitoit. Elle frappe à la porte, & la vieille d’adreſſe Prompte luy vient ouurir, elle void la Deeſſe Luy demandant de l’eau : à qui d’vn libre cœur Elle donna ſa part d’vne orgeuſe liqueur Qu’elle venoit de faire. Ainſi tenant la taſſe Encores en ſa bouche, vn garçon plein d’audace, Impudent deuant elle alors ſe preſenta, Et gloute l’appeller s’en mocquant attenta. Il offenſe Cerés qui n’auoit que partie De ſa taſſe auallee : & deuant que partie Fuſt toute ſon iniure hors l’enceint de ſes dens, Elle iette au garçon ce qui reſtoit dedans. Sa face en fut tachee, & celuy qui n’aguieres Auoit des bras, n’a plus que des cuiſſes trainieres. Vne queuë ſe joint à ſes membres changez, En courte taille & corps toutesfois abregez, Afin que raccourcis il euſt peu de puiſſance D’endommager aucun, ou luy faire nuiſance.

Autres inuentiõs de Cerés.Les Latins appellent ce petit animal Stellio, à cauſe des taches & marques qu’il a ſur le corps faites en façon d’eſtoilles. Au reſte Cerés a montré aux hommes de ſon temps à accoupler les Bœufs ſous le joug, & à labourer la terre, comme teſmoigne Orphee en l’hymne de Ceres :

Cerés a la premiere enſeigné l’accouplage Des Bœufs à la charruë, & coupper le ſolage Au coutre fend-gueret, dont à elle tenus Les hommes ſont long-temps en vie ſouſtenus.

Ouide en dit de meſme au liure ſuſdit. On eſcrit auſſi que logeant vne fois chez vn honneſte homme nommé Phytal, pour payement de ſon eſcot elle luy donna vn plant de figuier, luy montrant le moyen de le planter. Pauſanias le teſmoigne, & l’epitaphe qui fut graué ſur la tumbe dudit Phytal :

Cy repoſent les os du bon homme Phytale, Qui pour auoir logé de faueur hoſpitale Cerés chez ſoy, receut pour merité loyer, Le plant d’vn arbre ſaint qu’on appelle figuier.

Or l’on n’attribuë pas ſeulement à Cerés l’inuention des figues & des bleds, mais auſſi de tous grains & legumes, excepté des febues, car elle recompenſoit tous ceux qui luy faiſoyent cette amitié & courtoiſie de la loger quand elle rodoit cerchant ſa fille, de l’inuention de quelque fruit nouueau. Auſſi ne ſe contenta-elle pas de donner aux humains la ſcience de planter les arbres & ſemer les grains, qui ne leur euſt pas de beaucoup ſeruy, s’ils n’euſſent quand-&-quand ſceu le moyen de les couper, de les battre & ſeparer d’auec leur bale ou paille ; de les mouldre, paiſtrir, & d’en faire du pain. Callimache en l’hymne de Cerés dit, qu’apres auoir monſtré cõme il falloit ſeyer les bleds, les agencer en jauelles & gerbes ; elle leur apprit à fouler le grain à force de Bœufs, comme encores auiourd’huy pluſieurs nations gardent cette façon, au lieu que nous nous ſeruons du fleau. Il adiouſte qu’elle leur apprit auſſi à mouldre le grain : combien que d’autres diſent que l’vſage des moulins veint d’vn village nommé Aleſe ſitué pres de la montagne de Taygete, au reſſort de Lacedemone : & que Milet fils de Lelex fut le premier inuenteur de Moulins. Les premiers bleds furent ſemez & crurent du long de la riuiere de Cephiſe, qui eſtoit beaucoup plus forte & rapide en la terre d’Eleuſe qu’ailleurs, en vn chantier de terre qu’on appelloit Rare, ſelon le dire de Pauſanias en l’eſtat d’Attique ; & là meſme on monſtroit vne place où l’on diſoit que Proſerpine auoit eſté enleuee : ou les Dames d’Eleuſe auoient faict la premiere aſſemblee à l’honneur de Cerés, pres d’vne roche dicte Agelaſte, ſur laquelle s’aſſit Cerés ayant ouy l’accident de ſa fille Proſerpine. Le 5. des Metamorphoſes d’Ouide deſcrit ſi elegamment les auentures de Cerés, qu’il n’eſt beſoin d’en alleguer icy le teſmoignage d’aucun autre Poëtique. Et parce que cet œuure ſe trouue en noſtre langue tant en proſe qu’en rythme, on en peut emprunter ce qui ſert pour ce paſſage. Bacchus cõpagnõ de Cerés.Or quelques-vn luy donnent pour compagnon és inuentions ſuſdictes ſon frere Oſiris & ſa femme Ifis (que d’autres diſent auoir eſté ſa ſœur) c’eſt à ſçauoir Bacchus : car on dit qu’ils ſe ſont promenez par tout le monde auec vne groſſe armee, & grande quantité de joüeurs d’inſtrumens, enſeignans aux hommes à labourer la terre & ſemer le bled. Cet Oſiris, ſecond fils de Cam, premier Roy d’Egypte, que Moyſe au 10. de Geneſe appelle Meſrain (comme aucuns ſouſtiennent) trouua en Afrique l’vſage de ſemer & cueillir le froment ; puis s’en veint en Egypte, où il inuenta la charruë, & tout ce qui appartient au labourage. De là il ſe print à voyager par toutes contrees, monſtrant aux rudes gents, qui pour lors ne viuoient que de glands & autres fruitages, tout ce qui eſtoit de ſon inuention, ſi qu’en recompenſe de tel benefice, ils le laiſſerent aiſement regner ſur eux, & par ce moyen ſe rendit ſeigneur & monarque preſque de tout le monde ; excepté de ceux qui eſtoient ſous l’Empire des Babyloniens. Ainſi doncques l’inuention de ſemer les bleds, les ſeyer, anter arbres & planter vignes, luy eſt principalement attribuee. Et là où le terroir n’en eſtoit capable, il enſeigna la façon d’vn bruuage d’orge, que du nom de ſa ſœur Cerés il nomma Ceruoiſe. Depuis à la requeſte des peuples d’Italie, il deſconfit les Geans nommez Titans, qui tyranniſoient au pays. Déſlors il tint le Royaume de Toſcane, & regna ſur les Italiens l’eſpace de dix ans, reſidant pour la plus-part à Viterbe, dicte pour lors Vetulonia, de là paſſa en Grece, c’eſt à ſçauoir, au Peloponeſe (maintenant la Moree) & regna trente cinq ans en la ville d’Argor. Et finalement s’en retournant en Egypte, ou ſon frere Typhon, qui en la malice de Cam eſtoit reſſuſcitee, l’occit en trahiſon, & le deſpeça en vingt-cinq pieces, deſquelles il en enuoya vne à chaſcun de ſes aſſociez. Aprés ſa mort les Egyptiens l’adorerent ſous le nom de Serapis : les Grecs de Bacchus, & autres ſpecifiez en ſon lieu : les Latins du Pere Liber. Les autres diſent que le froment croiſſoit de luy-meſme en Sicile ; mais pource que perſonne ne prenoit la peine de le cueillir, pour n’en ſçauoir pas l’vſage, il recheoit en terre ; dequoy Cecrops Roy d’Athenes ayant eu aduis par quelqu’vn, il l’enuoya cueillir, & ſe le fit apporter. Triptoleme fut le premier qui le ſerra, qui labourra la terre, & qui le ſema vers Patres la neufue : & ſelon le dire des autres, en la terre d’Eleuſe ; & l’ayant depuis moiſſonné, il eſcriuit des memoires & des commentaires du labeur des terres, qui vindrent és mains de tout le monde : ce qui donna ſubjet de dire que Triptoleme auoit couru tout l’Vniuers enſeignant aux hommes le moyen de cultiuer la terre & ſemer le bled. Inuentions des Cãdiots.Ceux de Gnoſe en Candie auoient diſpute auec les Atheniens pour l’inuention des grains, ſouſtenans qu’ils l’auoient euë les premiers, comme de faict les Candiots auoient les premiers inuenté tout-plein de belles choſes ; comme de dreſſer vne armee en bataille, de faire des longues nauires, de ſe battre de loing à coups de traicts, & les tons & accords de muſique qu’ils remarquerent oyans battre le fer & l’airin aux Dactyles Idæens. Ils auoyent auſſi inuenté l’vſage de l’eſcriture, & tranſporterent en Italie les lettres venans de leur inuention : ce que toutesfois beaucoup de gents n’ont creu qu’auec peine, pource que pluſieurs s’attribuent ordinairement l’inuention d’vne meſme choſe, comme nous auons dict cy-deſſus du feu, dont les vns aſſignent l’inuention à Bacchus, les autres à Promethee, les autres à Vulcan, les autres à la foudre, les autres à vn certain Pyrade fils de Cilix, qui le tira premierement d’vn caillou. Or que Cerés & Bacchus ayent tous deux couru le monde ayans vne meſme intention, les Sacrifices que les Eleuſiniens faiſoient cõmuns à l’vn & à l’autre en font foy. Quant à Cerés, elle n’auoit pas ſeulement des temples & chappelles, mais auſſi des bois & parcs qui luy eſtoient dediez. Et pourtant les Anciens ont dict qu’Eriſichthon Theſſalien fut puny par Cerés d’vne perpetuelle faim & enuie de manger ſans ſe pouuoir ſaouler ny raſſaſier, cõbien que iour & nuict il ne fiſt autre choſe que maſcher, pour auoir mis en couppe vn bois taillis à elle conſacré. Il auoit vne fille nommee Mæſtra, grande Magicienne & ſorciere, laquelle il vendoit & reuendoit ſouuent transformee, tantoſt en vne beſte, tantoſt en vne autre ; voire meſme en pluſieurs autres ſemblãces inanimees, puis s’enfuyoit de chez ſon maiſtre ou poſſeſſeur apres que ſon pere auoit receu l’argent, & reprenoit ſa premiere figure ; puis derechef ſon pere la reuendoit à d’autres par diuerſes fois : au moyen deſquelles transfigurations elle ſubuenoit du mieux qu’elle pouuoit à la faim & gloutonnie de ſon pere. Sacrifices & feſtes de Cerés.On faiſoit auſſi quelques Sacrifices particuliers à cette Deeſſe, à laquelle aprés les moiſſons faictes ils preſentoient les premices de leurs grains ſelon que l’annee rapportoit : cette feſte s’appelloit Thalyſie, & ceux qui eſtoient parens & alliez banquetoient enſemble ; teſmoing Theocrite és Cereales. Les laboureurs auſſi ſolemniſoient vne feſte nommee Ambaruales ; c’eſtoient (ſelon que le mot le montre) certaines proceſſions qu’ils faiſoient autour des champs pour la beniſſon des biens de la terre, croyans que par ce moyen les terres fuſſent bien ſanctifiees, & que cette deuotion les rendiſt plus fertiles. En telle feſte chaſque pere de famille choiſiſſoit vne hoſtie pour Cerés, à laquelle il mettoit autour du col vn chappeau faict de tortis de Cheſne, & luy faiſoit faire trois tours autour de ſes bleds, accompagnee de tous ceux de ſa maiſon couronnés comme elle, qui danſans & ſautants chantoient les loüanges de Cerés, & la prioient de leur donner en moiſſon force jaueles & gerbes bien grenees. Cela ſe faiſoit au commencement du Prin-temps. Aprés telles proceſſions on luy offroit du vin miellé & du laict : car le vin ne ſe pouuoit ſeul & ſimple appliquer aux ſacrifices de Cerés. Virgile au premier des Georgiques nous apprend quaſi toutes les ceremonies de cette feſte :

Aſſemblee à ta voix la ieune agreſte bande Humble adore Cerés, & luy meſle en offande Des rais de miel diſſouts de laict & de doux vin, Et la feconde hoſtie en ſon honneur diuin Autour des fruicts nouueaux iuſqu’à trois fois tournoie, Que toute la brigade à cris ioyeux enuoie, Et Cerés dans les toicts huche par ſes clameurs, Et deuant ne ſouſmette aucun les eſpics meurs Aux dents du faucillon, que d’vne treſſe faite D’vn verd tortis de Cheſne encerné par la teſte, Au nom de la Deeſſe en rustiques façons Sans art il ne gambade & die des chanſons.

Les Arcardiens adoroient Cerés ſous le nom de Hera, & ne luy ſacrifioient pas à la façon des autres qui eſgorgeoient les beſtes du Sacrifice : mais tel membre qu’vn chaſcun pouuoit empoigner, il le couppoit, & l’offroit à la Deeſſe. Ciceron au reſte en la 7. Action contre Verrés, parlant de Cerés & de Proſerpine, dit que les hommes apprirent d’elles à viure ciuilement, qu’elles leur donnerent les viures neceſſaires pour les ſubſtanter, qu’elles les inſtruiſirent és loix & bonnes mœurs, & leur apprirent à eſtre courtois & humains. Ouide au 5. des Metamorphoſes, dit auſſi que Cerés donna la premiere les loix, par leſquelles on poſa toute la barbarie & inhumanité qui auoit regné iuſqu’alors. Lucrece eſt de meſme opinion, au 6. liure, & dit que les commencemens des grains & des loix vindrent des Atheniens, & furent diſtribuez par tout le monde. Et de faict le nom des Theſmophores montre que Cerés poliça les villes de loix & ordonnances. Le mot vaut autant comme la feſte Legifere ou Donne-loix. Frugalité des anciens.Car aprés l’inuention des grains, les hommes de ce temps-là, qui auparauant n’auoient eu que faire des loix pour borner leurs terres, ne mangeoient que du gland pour leur ordinaire aliment, & auoient tous leurs biens en commun, voulurent auoir chaſcun ſa portion à part, & prierent Cerés de leur preſcrire quelques ordonnances, ſuiuant leſquelles chaſcun euſt ſon heritage, & ſceuſt ce qui luy appartiendroit. Ainſi doncques elle leur en donna vn formulaire reduit en trois tiltres, Des fins ou bornes des terres, Des teſtamens, Des achapts. Voicy comme en parle Ouide au paſſage ſuſdit :

Cerés a la premiere auec le ſoc ouuert Les ſeillons de la terre, & l’a de grains couuert, Et repeu les humains de douce nourriture. Cerés a la premiere inuenté la droiture, Les loix & les edicts : & ce que nous auons, En hommage tenir d’elle nous l’auoüons.

Chariot & attellage de Cerés.Les Poëtes dient qu’elle faiſoit tirer ſon chariot par deux Serpens, & qu’elle le donna à Triptoleme, afin de ſe mettre aux champs, & apprendre par tout le monde l’vſage des bleds, comme il dit au meſme liure :

La Deeſſe des bleds ſes deux Serpens arrange A ſon char, & par mors à la raiſon les range. Ils vont d’vn cours ailé parmy l’air galopans, Et viennent és quartiers d’Athenes en bref temps. C’eſt là qu’à Triptoleme elle donne la charge, De prendre ſon caroſſe, & luy meſme elle encharge D’aller ſemant les grains tant és champs labourez, Qu’és terroirs en deſert & friche demourez.

Or Triptoleme voyant vn iour vne truie dans vn bled qui foüillant y faiſoit du dommage, ſe fit acroire qu’il feroit choſe agreable à Cerés s’il luy ſacrifioit cet animal tant nuiſible à ſes inuentions : ſi bien qu’il l’amena à l’autel de ceſte Deeſſe, & luy ſemant du bled ſur la teſte, afin qu’on cognuſt le forfaict qu’elle auoit commis, l’immola à Cerés, comme dit Ouide au 2. liure des Faſtes :

Cerés a pris en gré l’offrande d’vne truie : Et par le ſang d’icelle a le prix demandé De ſon grain que gloutonne elle auoit gourmandé ; Si que ſon groin fouïlleux aux guerets plus n’ennuie.

On luy offroit auſſi vn Mouton ſous le nom de Verte, en vn Temple qu’elle auoit aupres de la citadelle d’Athenes. Eupolis en eſt teſmoing en ces vers :

Il me faut à la ville aller, Afin d’vn Mouton eſtaller Sur l’Autel de Cerés la Verte.

Les iardiniers principalement luy ſacrifioient ſous tel tiltre le 6. d’Auril à fin d’auoir de bonne-heure des nouueautez en leur iardin. On luy preſentoit des chappeaux d’eſpis de bled qu’on pendoit aux portes de ſon Temple, comme entre autres le montre Tibulle ;

Vueille, blonde Cerés, ce chapeau d’eſpis pendre. Qu’aux portes de ton Temple humblement ie viens prendre.

Le pauot luy eſtoit auſſi agreable, à cauſe de la quantité des grains qu’il rapporte, ou (ſelon l’opinion de quelques autres) pour ce qu’il croiſt volontiers parmy les bleds, & aime leur ſolage. Dercyle dit que c’eſtoit d’autant qu’elle ne pouuoit dormir, pour le dueil qu’elle auoit de ſa ſille, & que pour auoir quelque repos elle ſe ſeruit du pauot, que quelques-vns approprient à Lucine. Quant à ſes ſurnoms, il n’eſt pas beſoing de nous y arreſter : car les Poëtes les luy accommodent ſelon les occurrences, & le ſubiect qu’ils traittent. Les Grecs l’ont nommee Deò, d’autant qu’elle a eſté diſtribuee par tout le monde, veu que Cerés n’eſt autre choſe que le bled meſme ; teſmoing ce vers :

Les Nymphes ſont les eaux ; Cerés, bled : Vulcain, feu,

Et d’vn mot compoſé, Démétér, dont la derniere partie ſignifie mere, comme eſtant la mere nourriciere de tout l’vniuers. Ciceron toutefois au 1. de la nature des Dieux dit que Cerés eſt la terre, ainſi que Iupiter eſt l’air, & Neptun l’air qui s’eſpand ſur les eaux, & approuue l’etymologie que Platon en donne, la tirant de deux mots ſignifians terre-mere. Voila ce que les Anciens nous ont appris quant à Cerés Deeſſe des bleds.

¶Examinons deſormais ce qu’ils ont caché ſous telles fictions. Mythologie de Cerés.Les hiſtoriens d’Egypte ont eſcrit, qu’Iſis, ou Cerés, deſtourna les hommes de ſon temps de cette maudite couſtume qu’ils auoient de s’entremanger, leur enſeignãt le moyen de ſemer du bled & de l’horge, & faire du pain, leſquels grains croiſſent en Egypte parmy les autres herbes, dont l’ignorance de ce ſiecle-là ne ſçauoit encore l’vſage. Ayans doncques embraſſé de toute affection cette braue inuention, ils deſiſterent de manger la chair humaine : & pourtant és feſtes de Cerés ils portoient des vaſes pleins de froment & d’orge. Elle leur preſcriuit auſſi des loix pour les empeſcher de s’entretuer & commettre aucun meurtre illegitime ; c’eſt pourquoy elle fut ſurnommee Donne-loix, parce qu’auparauant ils n’en auoient point ouy parler. Oſiris & Iſis propoſerent certains pris à ceux qui pourroient excogiter quelque choſe ſeruant à la vie humaine. Ainſi fut inuenté (comme on dit) au païs de Thebes le moyen de fondre l’airain, l’or, le fer, & forger des armes pour tuer les beſtes ſauuages, & fendre la terre à la charruë. Ils croyoient que Cerés fuſt fille de Saturne & d’Ops, Saturne n’eſtant autre choſe que le temps, & cuidoient que Cerés fuſt la vertu de toutes les deſtinees, laquelle pour ce regard ils ont feint eſtre fille des ſuſdits parens. Car ceſte force & vigueur qui eſt és chofes naturelles, a beſoing de temps & de lieu. Les autres qui ont pris Cerés pour les bleds, ont eſtimé qu’elle fuſt fille de Saturne & d’Ops, pour ce que les ſemences des autres herbes n’ont pas tant de beſoing de croupir tout le long de l’hyuer pour ſe fortifier en racines, veu qu’encore qu’on ne les ſeme en ſaiſon, elles ne laiſſent pas de rapporter aſſez de fruict, & puis que Proſerpine, c’eſt à dire la racine des arbres (ainſi dite d’vn mot Latin qui ſignifie ramper) eſt fille de Cerés ; à bons tiltres & iuſte raiſon eſt elle dicte fille de Iupiter, c’eſt à dire de la benignité de l’air, & de la ſemẽce ; deſquelles choſes ſi l’vne où l’autre manque, pour neant attend-on que la terre rende ſon fruict auec vberté. Raiſon des Creatures engendrees par Cerés.Ceux qui feignent que Cerés engendra de Neptun vn Cheual, ou cette Hera qu’il n’eſtoit loiſible de nommer, ont eſtimé que la fertilité des eaux & de ce meſlange qui ſe fait d’elles auec la terre, fuſt ſi grande, qu’il en naiſſoit meſme des monſtres, à cauſe de l’abondance ſuperfluë de la matiere ; ou bien qu’il fuſt tres-malaiſé de nommer toutes choſes de noms propres, à cauſe de la diuerſité des creatures. Pourquoy elle ſe ſouſtrahit de la preſence des autres Dieux.On dit qu’elle ſe teint quelque temps cachee en vne cauerne, ayant eu auis du rauiſſement de ſa fille par Pluton, & que Pan la monſtra à Iupiter, parce que la ſemence iettee en terre demeure cachee quelques iours, durant leſquels elle pourrit & prend racines deuant que de poindre & ſortir : puis-apres Pan, c’eſt à dire la nature meſme, la fait voir à Iupin, c’eſt à dire à l’air ; pour ce que la nature & la chaleur contraignẽt les herbes & les ſemences de venir en lumiere. Soit donc que nous prenions Cerés pour la terre, de qui Proſerpine ou la moiſſon ſoit fille ; ou que Cerés ſoit la ſemence meſme, de qui la racine ſoit fille, elle a Iupiter pour pere  : auſſi peut-on entendre cecy en toutes les deux façons ; veu que tout reuient à vn. Quelques vns neantmoins prennent le rauiſſement pour vne grande cherté de viures qui auint en ce temps là en Sicile, pour ce que par la corruption & inclemence de l’air les ſemences ſe corrompirent de telle façon que preſque tous les grains furent perdus. Explication de ſon attelage, & de ſes amours.On luy donne le bruit de s’eſtre fait trainer ſur vn chariot tiré par des Dragons ou des Serpens, à cauſe de l’obliquité du Zodiaque : car quãd le Soleil vient à paſſer ſous luy, non ſeulement il reſueille les ſemences croupiſſans en terre, mais auſſi les ameine à maturité. Cerés fit l’amour a Iaſiõ fils de Iupin & d’Electre, auec lequel elle prit ſon plaiſir en vn gueret, l’ayant trouué endormy. Qu’eſt-ce à dire tout cela ? C’eſt que puis que Iupiter eſt la chaleur de l’air, ou l’air meſme ; & Electre, diligence (car les Grecs appellent auſſi le Soleil Elector, pour ce qu’à ſon leuer il faict ſortir du lict les hommes pour aller à leur beſongne) il eſt euident que Iaſion fils de tous les deux n’eſt autre choſe que la chaleur de l’Eſté : duquel Cerés fut amoureuſe, & le ſurprit en vn gueret pluſtoſt qu’ailleurs, parce que la terre a beſoing, pour mieux rapporter, de ſe repoſer du moins de trois ans l’vn ; aprés lequel repos, ſi elle eſt entre les mains d’vn bon & diligent laboureur, elle ſe renforce & diſpoſe à rendre auec grande vſure la ſemence qu’on luy aura commiſe. Les autres diſent qu’elle aima le fils de Minos, perſonnage tres-iuſte, & de Phronie, c’eſt à dire prudẽce ; d’autant que ces vertus entretiẽnent les païſans en repos & à leur aiſe, attendu que de la iuſtice & de la paix des villes toutes choſes reçoiuent vn grand aduantage & ſplendeur. Pourquoy Plute eſt fils de Cerés & de Iaſion.Ils engendrent doncques tous deux Plute Dieu des richeſſes, pour ce que la benignité du Ciel & la diligence des hommes font que la terre produit ſes fruits auec grande vberté : combien que quelques-vns veulent dire que ce Plute fut eſtimé Dieu des richeſſes, pour ce qu’il fut le premier qui en fit grand amas, au lieu qu’auparauãt perſonne ne tenoit cõte d’en amaſſer. La Sicile fut dediee à Cerés pour ce que cette Iſle là eſt fort fertile en froment. On dit qu’elle courut tout le monde, pour ce qu’à cauſe de l’obliquité du Zodiaque l’Eſté ſe rencontre en diuerſes ſaiſons ſelon que les lieux ſont diuerſement ſituez : & les bleds ne peuuent meurir qu’en Eſté. Raiſon de l’education de Triptoleme & de la torche de Cerés.Elle cachoit Triptoleme (auquel elle apprit à labourer la terre & ſemer le bled) durant la nuict ſous le feu, où il ſe nourriſſoit merueilleuſement bien : mais qu’eſt cela autre choſe que l’eſtat des ſemences tandis qu’elles ſont cachees és entrailles de la terre ? Car quand les nuicts viennent à s’allonger aprés l’Equinocce, à ſçauoir au commencement de l’hyuer, le froid qui commence à gourmãder la chaleur, la contraint peu à peu de ſe cacher ſous terre ; d’où vient que les racines des fruits y trouuent l’aliment & nourriture qui leur eſt neceſſaire, de laquelle la terre eſt pleine à cauſe des pluies de l’Automne. Et pourtant s’il arriue que le froid ne ſoit pas trop doux durant l’hyuer, auquel les racines croiſſent & ſe fortifiẽt ſous la terre, il faut eſperer de faire l’eſté ſuiuant vne bonne & riche cueillette ; ſi ce n’eſt que par la permiſſion de Dieu quelque tempeſte ou iniure de l’air la diuertiſſe pour reprimer l’orgueil & l’inſolence des meſchans, le plus ſouuent inſupporttable quand ils voyent apparence de bonne annee. Ainſi doncques les Anciens ont gentiment rencontré quand ils ont feint que Cerés cherchant ſa fille auoit allumé ſa torche au feu du Montgibel, pour ce que tandis que la chaleur eſt encloſe ſous terre, cependant que le froid occupe l’air, les baſſes parties des fruits ſe nourriſſent : & quand la chaleur vient à regaigner le deſſus, & chaſſer le froid à ſon tour : alors leur deſſus, c’eſt à dire leurs ſuperieures parties recueillent la nourriture qui leur eſt neceſſaire pour les amener à maturité. Ils ordonnerent pluſieurs Sacrifices à Cerés, ſoit que ç’ait eſté vne femme ainſi nommee, inuentrice des bleds, ſoit qu’ils l’ayent priſe pour la terre meſme, puis qu’appellant non ſeulement les Eſtoilles, mais auſſi les Elemens ou partie d’iceux par diuers noms de Dieux, ils les adoroient comme Dieux, leur inſtituans des Temples, des Autels, des Preſtres, des offrandes, & ceremonies particulieres. Mythologie de la fille d’Eriſichthon.Quant à ce qu’ils ont dit de la fille d’Eriſichthon, quelques vns l’interpretent en ſorte qu’Eriſichthon fut vn malauiſé qui mangea tout ſon bien & gourmanda tout ce qu’il auoit vallant : puis apres ſe voyant reduit à l’extremité & indigence de toutes commoditez, il proſtitua ſa propre fille, qui tantoſt receuoit vne beſte à corne, tantoſt vne beſte à laine, ou quelque autre danree pour paſſer amoureuſement la nuict auec quelque bon compagnon, & ſubuenoit par ce moyen à la neceſſité de ſon pere. Mais ie ne voy point qu’il y ait d’apparence en cette explication, ny digne ſujet de l’alleguer : & croi qu’il y a là deſſous quelque plus illuſtre myſtere caché, joint que par la vengeance de Cerés il receut la punition que nous auons ci-deſſus declaree, pour auoir meſpriſé ce qui luy eſtoit ſanctifié. Il faut donc croire qu’ils ont voulu donner à entendre par cette Fable, que tout homme qui aura mis à nonchaloir la religion & ſeruice de Dieu, ne faudra iamais d’en eſtre puny ou en ſes biens, ou en ſa perſonne, ou en ſa famille. D’auantage on peut recueillir de cette fiction, qu’il faut neceſſairement qu’vn malauiſé tumbe par ſa faute en beaucoup d’incommoditez & de crimes ; puis qu’Eriſichthon apres auoir mangé tout ſon bien, eſt reduit à tel poinct que de ſubſtanter ſa vie en ſouillant la pudicité de ſa fille, & l’expoſant au premier qui moyennant quelque leger ſalaire en voudroit joüir. Et pourtant il eſt expedient à vn homme de bien d’auoir la crainte de Dieu, de ſe bien comporter en ſes affaires, & de gentiment meſnager les moyens que Dieu luy a donné pour ne les deſpendre que bien à propos. C’eſt ce qu’enſeignoit la Fable d’Eriſichthon. Mais quant aux contes qu’on a fait de Cerés, ils ne contenoient autre choſe que le moyen du labourage, des ſemailles, de montrer cõme le bled croiſt & vient à maturité, & auec quel ſoing & diligence il le faut cueillir, puis qu’il eſt ſi commode à la vie humaine. Suffiſe donc quant à Cerés : s’enſuit à traiter de Priape.