De Priape.
CHAPITRE XVI.
Genealogie de Priape douteuſe.LES Anciens auteurs ne s’accordent pas bien touchant la genealogie de Priape, qu’ils ont adoré comme Dieu des iardins. Les vns eſcripuent qu’il fut fils de Dionyſe, & d’vne Nymphe Naïade ; ou ſelon les autres de Chione. Ils diſent qu’il naſquit à Lampſac, ville de Phrygie la mineur, & qu’il baſtit là aupres vne ville qu’il nomma de ſon nom. Apollonius eſcript que Venus ayant par pluſieurs fois eu la compagnie d’Adonis, engendra Priape, cependant que Bacchus eſtoit és Indes ; auquel elle s’eſtoit auparauant abandonnee : & que ſçauant ſon retour, elle l’alla bien venir couronnee d’vn chappeau de roſes rouges nouuellement engendrees du ſang de ſon Adonis tué par vn Sanglier ; & le luy poſa ſur la teſte : mais qu’elles ne le voulut pas ſuiure, retenuë de quelque vergongne, d’autant qu’elle auoit eſpouſé Vulcan ; & ſe retira à Lampſac, reſoluë d’attendre là le terme de ſon enfantement. Lors Iunon ialouſe à l’accouſtumee, la viſita ſous ombre de la ſecourir, & d’vne main charmee luy mania le ventre, qui luy fit enfanter vn enfant difforme, garny entre autres laideurs d’vn membre deſmeſurément long, & le nomma Priape. Ce que Venus apperceuant, ne le voulut pas receuoir à cauſe de l’outrageuſe grandeur de ſa partie genitale : mais le laiſſa en ladite ville de Lampſac en la Moree. Ce bon compagnon venu en aage, commença à hanter les Dames de Lampſac qui le trouuoient fort agreable, & le receuoient volontiers : mais par arreſt du conſeil de la ville il fut banny. Les Anciens diſent que la Nymphe Lotis fuyant la conuoitiſe de Priape fut transformee en vn Aliſier. Aſne pourquoy ſacrifié à Priape.Euſebe au liure de la fauſſe religion dit, que Priape entra quelquesfois en contention auec vn de ſes Aſnes qui trauerſerent Bacchus & ſon bagage au delà d’vne riuiere qu’il rencontra faiſant le voyage des Indes, à qui d’eux deux ſeroit mieux fourny de membre (or l’on fit tant d’eſtat du ſeruice que ces Aſnes auoient faict à Bacchus, qu’ils furent mis au rang des Eſtoilles, & l’vn des deux eut cette prerogatiue de pouuoir parler) mais l’Aſne ſe voyant vaincu, en eut tant de dueil qu’il ſe rua ſur ſon vainqueur, & le tua. Depuis on prit couſtume de ſacrifier vn Aſne à Priape, comme animal qui luy auoit eſté funeſte & trop enuieux. Effects de l’yureſſe.Ouide au 1. liure des Faſtes eſcript, que durant la ſolemnité de la mere des Dieux, ou tous les Dieux s’eſtoient aſſemblez, Priape apres auoir faict tres-bonne chere voulut attenter contre la pudicité de Veſte. Car tandis que les autres Dieux s’amuſoient à paſſer le temps, Veſte s’eſtoit endormie ſur l’herbe molle à cru. Mais comme il eſtoit preſt de venir aux priſes, cet Aſne importun que Silene montoit ordinairement, l’eſueilla de peur que Priape la forçaſt. Adonc la Deeſſe le repouſſa de la main ainſi qu’il eſtoit preſt de laſcher ſa luxure, & appreſta fort à rire à toute la Cour celeſte. Ainſi fut rompu ſon deſſeing ; & deſlors la couſtume ſe prattiqua de luy ſacrifier vn Aſne. Les anciens hiſtoriens d’Egypte eſcriuent que les Titans ſurprenans Oſiris le mirent à mort, & que chaſcun en emporta ſecrettement ſa piece ſans en perdre aucune, excepté ſa vergogne, dont perſonne ne ſe voulut charger, ains la ietterent dans la riuiere. Deification de Priape, & ſes offices.Depuis les Titans furent pris en guerre, d’entre les mains deſquels Iſis retira les membres de ſon mary, & les r’aſſemblant les donna à ſes Religieux pour les enſeuelir, horſmis ledict membre qu’elle ne ſceut recouurer : & fit commandement qu’on euſt à l’adorer comme Dieu. Ainſi doncques fut-il non ſeulement deïfié, mais auſſi tenu pour gardien des iardins, des vignes & de tous les fruicts de la terre, & vangeur des ſorciers. Quelques-vns ont eſcript que Priape fut natif de Lampſac, lequel eſtant bien garny de la partie neceſſaire pour la generation, les Dames de la ville le prindrent en amitié ; ce qui fut cauſe que les autres bons compagnons ialoux de la faueur qu’il auoit enuers elles, ne ceſſerent iuſqu’à ce qu’ils l’euſſent fait chaſſer de l’Iſle. Les femmes en furent tres-marries, & en demanderent vengeance aux Dieux : tellement que peu de temps apres les habitans de la ville furent affligez de certaine maladie en leur nature ; pour à quoy pouruoir, ils allerent au conſeil à l’Oracle de Dodone s’enquerir quel remede ils y pourroient appliquer : lequel leur donna auis que leur mal ne ceſſeroit point que premierement ils n’euſſent reuoqué Priape en ſon païs ; ce qu’ayans faict, ils luy dedierent des Temples & des Sacrifices, commandans qu’on euſt à le recognoiſtre pour Dieu des iardins ; & poſoient ſes images és iardins & vergers pour ſeruir d’eſpouuentail aux oyſeaux & larrons.
¶Mythogie de Priape.Voila ce que les Anciens en ont eſcript. Or il eſt dict fils de Dionyſe & d’vne Nymphe Naïade, pource qu’on le prend pour la ſemence des choſes naturelles. Car Dionyſe eſt le Soleil ou la chaleur ; & la Nymphe Naïades repreſente l’eau ou humeur, deſquels toutes creatures tirent leur ſemence. Les autres le font fils de Chione, qui ſignifie la nege ; pource que la ſemence preſque de toutes choſes eſt blanche, & reſſemble au laict ou à la nege. Ceux qui ont creu qu’il fut fils d’Adonis & de Venus, en reuiennent là, & ne ſont differents qu’és noms. Les autres ont voulu qu’il ſoit né de Bacchus & de Venus, pource que le vin à cauſe de ſa chaleur engendre vn appetit charnel : & l’ont appellé Dieu de Lampſac, à cauſe des bons vins qui y croiſſent. Image de Priape.Son image tenoit de la main gauche vn membre viril, & de la droicte vne faulx ; dautant que tout ce qui naiſt au monde eſt circonſcript & borné de certains limites, auſquels quand on eſt arriué, la vie ſe termine & prend fin. Quelques-vns ont eſtimé que Priape ne fuſt autre que Pan : mais l’etymologie meſme du nom montre que Priape eſt la ſemence. Ce que Venus le laiſſa à Lampſac à cauſe de ſa laideur, ne ſignifie autre choſe, ſinon qu’il y a beaucoup de choſes en la nature qui ſont bien neceſſaires, leſquelles neantmoins elle a voulu eſtre cachees pour leur laideur, comme ſont les parties par leſquelles nature deſcharge les excremens, des animaux tant raiſonnables qu’irraiſonnables, qu’elle a couuert és vns de poil, & placé en la plus cachee partie du corps, és autres d’vne queuë, és autres les a ſi bien muſſees, qu’elles ne paroiſſent qu’à peine, cõme és poiſſons : és autres ne paroiſſent aucunement, comme en ceux qui ſont couuerts d’eſcailles. Car attendu que tels membres ſont laids à voir, que nature les a expreſſement recelez, & que les offices & fonctions en ſont ſales ; ſi ſont-ils neceſſaires, & ne s’en peut-on paſſer. C’eſt dõcques à bon droit qu’on feint ce Priape diforme & vilain, pource que cette action de Venus eſt ſale & deshonneſte, & que perſonne n’en ſeroit friand, ſi nature ne l’auoit accompagnee de ie ne ſçay quel plaiſir aueugle. Voyons maintenant ce mignon Adonis.