De Tellus, Deeſſe & Genie de la Terre.

CHAPITRE XXI.

Genealogie de la Terre, douteuſe.IL eſt mal-aiſé de deuiner les parens de cette creature, que les vns diſent eſtre nee de Diſcorde, les autres de Demogorgon ; non fondez toutefois d’aucun teſmoignage d’auteur ancien que i’aye veu. Heſiode en ſa Theogonie dit qu’elle naſquit incontinent aprés le Chaos ; cependant il ne luy aſſigne aucuns certains parens :

Muſes qui deduiſez voſtre diuine eſſence Du celeſte manoir, dites moy la naiſſance Qui premiere eut ſon eſtre. Apres ce gros amas Confus d’obſcurité, ce lourd & peſant tas Que l’on nomme Chaos en matiere difforme De corps entre-meſlez, la Terre prit ſa forme, La terre aux larges-flancs aßiſe en ferme pied, Pour ſeruir aux grands Dieux d’aſſeuré marchepied.

Pareillement Ouide au premier liure de ſes Metamorphoſes :

Or qui que ſoit des Dieux qui ſi bien les parties Agença du Chaos, les ayant aſſorties En membres diuiſez ; à la terre il donna Sa forme en premier lieu : voire & la façonna Comme vne grande boule, afin qu’en ſa ſeance Elle euſt de toutes parts vne egale diſtance.

Les vns ont cuidé qu’elle ait eſté femme de Titan, les autres du Ciel comme Homere en l’hymne de la Terre, qui l’appelle meſmement Mere des Dieux :

Bien te ſoit à iamais, mere des Dieux, ô Terre, Ayant pour ton mary le Celeſte parterre.

Toutesfois Herodote en ſa Melpomene dict que les Scythiens ne tenoient conte d’autres Dieux que de Veſte principalement, puis aprés de Iupiter & de Tellus, qu’ils croyoient & eſtimoient eſtre ſa femme. Mais Heſiode ne l’appelle pas femme, mais mere du Ciel :

La Terre fit iadis le Palais port’-eſtoille, Afin que ſon pourpris de tous coſtez la voile.

Or comme ainſi ſoit que tous les corps naturels, & tous les Elemens ſont mutuellement engendrez l’vn de l’autre, & que la Terre eſt le ſiege preſque de tous, à bon droit l’appellent-ils mere des Dieux & des hommes, comme fait Orphee en ſes hymnes, & Apollonius au 3. liure des Argo-Nochers. Æſchyle és Perſes teſmoigne que Tellus eſtoit eſtimee entre les Dieux terreſtres & des bas lieux :

Vous ſaincts Demons qui voſtre erre Faites icy bas toy Terre, Toy Mercure & le Roy noir De cet infernal manoir Venez remettre cette ame En lumiere qui ſe paſme.

Euripide en ſon Electre la qualifie du titre de Royne. Elle a pluſieurs autres noms, ſelon le teſmoignage d’Æſchyle au Promethee, qui l’appelle auſſi fatidique ou deuinereſſe. Et Pauſanias és Phociques dit que Tellus tint & preſida la premiere en l’Oracle de Delphes, & qu’elle prit Daphné pour ſa religieuſe ; puis-apres quitta la place & en fit preſent à Themis, qui conſequemment en laiſſa poſſeſſeur Apollon, & pour ce ſubiect on l’appelloit Grande Deeſſe, comme il dit luy-meſme en l’Eſtat d’Attique. Monſtreuſe natiuité de Diophore.L’on tient qu’elle eut vn fils, nommé Diophore, qui deſdaignant les femmes, & fuyant leur compagnie, eſchauffa ſi bien vne pierre, qu’elle deuint enceinte, & au bout du terme ordinaire luy fit vn fils nommé Diophore ; lequel ayant atteint l’aage d’homme, défia Mercure & l’appella au combat : mais il y fut tué, & par le conſeil des Dieux tranſmué en vne montagne de meſme nom que luy. Euripide és Bacches dit qu’elle s’appelle auſſi Cerés ; & que ſoit qu’on la nomme Cerés, ſoit qu’on luy donne le nom de Terre, elle eſt Deeſſe. Animaux ſacrez à la Terre.Homere au troiſieſme de l’Iliade teſmoigne que les Anciens luy ſacrifioient vne Agnette noire

Apportez deux agneaux, l’Aigneau ſoit blanc, l’Agnette Noire, pour appaiſer d’vne oblation nette La Terre et le Soleil.—

Et Horace, qu’on luy offroit auſſi vn Porc :

—ils ſe rendoient propice La Terre en luy offrant vn Porc en ſacrifice.

Ils la peignoient auec quantité de tetins ; pour ſignifier que la terre nourrit toutes ſortes d’animaux, & l’inuoquoient ordinairement és contracts d’amitié. Chaſcun doncques peut aiſément voir que c’eſt que la Terre, ſelon les fictions des Anciens. Mais qui voudra prendre garde aux effects que le Soleil produit ordinairement en elle, & qu’elle eſt par le moyen de la chaleur qu’il luy diſtribuë, preparee & renduë capable d’engendrer (ainſi que fait la femme jointe auec ſon mary) & qu’elle reçoit en ſoy vne force & qualité compoſee & comme ramaſſee de tous les Elemens, qui luy ſert comme de ſemence pour receuoir ; cettuy-là connoiſtra aiſément pourquoy c’eſt qu’ils l’ont feinte eſtre femme du Soleil ou du Ciel. Cela ſuffiſe quant à la Terre.