Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 06 : De Pasiphaé Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Paſiphaé.

CHAPITRE VI.

Genealogie de Paſiphaé.PASIPHAÉ fut fille du Soleil & de Perſeïs (teſmoin Ciceron au 3. liure de la nature des Dieux) & femme de Minos, duquel elle engendra la belle Ariadne, que Theſee partant de Candie emmena quand & ſoy, & l’ayant depuis abandõnee en l’iſle de Naxe (qu’on appelle auſſi Sicile la mineur) Bacchus l’eſpouſa. Voyez liure 7. chap. 9.On dit que Venus, aprés que le Soleil eut decelé ſon adultere auec Mars, ſe rendit ennemie mortelle de toute la race du Soleil : & pourtant Ariadne, qui en eſtoit ſortie, trouua que Theſee luy fit vn trait d’homme tres-ingrat & mal courtois ; ſa mere Paſiphaé s’amouracha deſeſperément d’vn Taureau ; ſi bien que par l’aide de Dædale elle s’abandonna à luy, & de leur accouplement monſtrueux naſquit le Minotaure, my-homme, & my-taureau, comme on void en Ouide és reproches d’Ariadne à Theſee :

Ta maſſuë, Theſé, de gros nœuds bien garnie N’eut point de l’homme-bœuf terminee la vie. Aprés que ce mõstre fut né, on fit par l’inuention de Dædale vn labyrinthe auec tant de tours & deſtours, tant de vireuouſtes, tant de chemins entrecoupez, que quand on penſoit en auoir trouué l’iſſuë l’on ſe trouuoit embaraſſé en d’autres nouuelles entrees, & beaucoup plus difficiles que la premiere. Ce monſtre fut mis là dedans. Voyez liure 7. chap. 9.Toutefois Dædale, inuenteur de ces fallaces, les deſcouurit à Ariadne, pour ſatisfaire à l’amour qu’elle portoit à Theſee, à celle fin d’en pouuoir retirer ſon bien-ayme, enclos dedans ce labyrinthe, auec d’autres que les Atheniens eſtoient tenus d’enuoyer pour tribut à Minos l’eſpace de neuf ans durant, pour eſtre deuorez par le Minotaure ; ou bien finir leur vie dans cette geole, ſans iamais en pouuoir ſortir : & ce pour ſeruir d’expiation de la mort du Prince Androgee. Virgile au ſixiesme de l’Æneide declare cette histoire aſſez ouuertement en ces vers :

Là le cruel amour du Taureau, là ſouſmiſe Paſiphe à ſes ardeurs par vn dol recelé. La race double-forme & le genre meſlé, S’y peint le Minotaur’, memoire eſpouuenttable D’vn ſale accouplement & flame deteſttable. Là celuy grand labeur de l’aveuglé ſejour, Indepeſtrable erreur. Mais Dædal, que l’amour Violent de la Royne à compassion ploye, Les ruſes & deſtours de la maiſon deſploye, Conduiſant par vn fil l’aueuglement des pas.

Les enfans de Paſiphaé furent Androgee & Ariadne : quelques-vns adiouſtent Phædra. Aucuns disent que quand Minos faiſoit la guerre aux Atheniens, elle eut ſecrettement affaire auec vn des Capitaines de Minos, nommé Taure, dont elle eut vn fils, tiltre du nom meſme de ſon pere, & pource qu’eſtant fils de Taure, il ſembloit neantmoins appartenir à Minos, ayant beaucoup de traits de viſage ſemblables aux propres enfans du Roy Minos, il fut nommé Minotaure. Les autres diſent que ce Taure eſtoit vn tres-cruel Capitaine de Minos alencontre des Atheniens qu’on enuoyoit là pour tribut & pour ſatisfaction de la mort d’Androgee, fils de Minos & de Paſiphaé ; les Atheniens & Megariens le firent mourir par enuie, pource qu’il gaignoit à la lutte tous ceux qui s’affrontoient à luy. Minos pour vengeance tua Nyſe, Roy des Megariens, & raſa leur ville ; ſubiugua les Atheniens apres leur auoir faict forte guerre, & les contraignit de luy enuoyer en Candie, dont il eſtoit Roy, ſept ieunes hommes neuf ans durans, & autant de filles, pour les faire deuorer au Minotaure. Vn fils ne peut naiſtre de deux peres.Quelques-vns auſſi ſont d’opinion que Paſiphaé accoucha d’vn meſme part de deux gemeaux ; à ſçauoir, d’Androgee, fils de Minos, & de Taure, fils de Taure ; mais pource qu’on ne ſçauoit pas qu’elle eut eu la compagnie de ce Capitaine, l’vn des deux porta les noms des deux peres. Ce n’eſt pas ſeulement choſe fabuleuſe, mais auſſi du tout repugnante à la verité, d’autant que le vaiſſeau de la femme qui reçoit la ſemence, après l’auoir auidemment imbuë & serree, vient à ſe clorre, & ne s’ouure plus, iuſques à ce qu’il ait amené l’enfant à ſa natiuité. Cauſe des amours de Paſiphaé.On allegue vne cauſe fabuleuſe de l’adultere de Paſiphaé, qu’il ne faut pas trouuer eſtrange, veu qu’elle auoit bien eu le courage de s’accoupler auec vn bœuf. Car Minos eſtant preſt de ſortir pour aller à la guerre, pria Iupiter, ſon pere (autres diſent Neptun ſon oncle) qu’il peuſt recouurer quelque oblation digne d’vn ſi meritoire ſacrifice, alors il luy fit apparoir vn Taureau merueilleuſement beau ; mais Minos au lieu de l’immoler, le fit chef de ſes troupeaux, & en ſacrifia vn autre. Et pourtant il apperceut bien depuis que Iupiter irrité de cette fraude, auoit coiffé ſa femme de l’amour de ce Taureau. Les autres maintiennent que comme les Candiots empeſchoient Minos de ſucceder à la couronne de ſon pere, il leur fit entendre que les Dieux immortels luy donnoient le Royaume : que s’ils ne le vouloient croire, les Dieux le confirmeroient par miracle, ou bien par augure. Là deſſus il fit à part ſoy vœu à Neptun de luy offrir en ſacrifice ce qui ſe preſenteroit à luy le premier. Tout incontinent apparut vn Taureau d’excellente beauté, qu’il donna à ſes bouuiers pour l’emmener aux troupeaux, & en offrit vn autre. Dont Neptun mal-content, rendit la femme de Minos extremément amoureuſe de ce meſme Taureau, Plutaque en la vie d’Agis & de Cleomene, eſcrit qu’à Thalame, iadis ville du reſſort de Meſſine en Sicile, y auoit vn riche & magnifique Temple & Oracle de Paſiphaé, où l’on la tenoit pour l’vne des Nymphes Atlantides, non pour fille du Soleil, mais bien de Iupiter, ainſi dicte de mots ſignifians que ſon Oracle eſtoit ouuert à tout le monde, c’eſt à dire que chaſcun y auoit libre accez & entree.

Mythologie hiſtorique. Voyez le 7. cha. du 3. liure.Zezés en la 19. hiſtoire de la 1. Chiliade, rapporte cette Fable à l’hiſtoire, eſcriuant que l’Augure enuoyé par Neptun à Minos, fut le Capitaine Taure, lequel arriuant en Candie auec vne belle armee de mer, pour le ſecours de Minos contre ſes ſubjets reuoltez, les Candiots l’apperceuans, ſans attendre la charge, declarerent & ſalüerent Minos, leur Roy, lequel auparauant ils n’auoient voulu recognoiſtre. Paſiphaé, femme de Minos, ayant trouué ce Taureau bien à ſa fantaiſie, l’ayma, & par l’entremiſe de Dædale coucha auec luy dans vne maiſonnette de bois, appartenant à quelque particulier ; dont naſquit vn fils qui porta le nom de l’adultere & du legitime mary de Paſiphaé. Mais ie croy que cette Fable contient quelque plus haut & plus vtile ſens : d’autant que les Anciens ne couchoient pas en leurs eſcrits les Fables pour en faire vne narration hiſtorique : mais principalement pour eſplucher les choſes naturelles, & reformer les mœurs des hommes, comme nous auons dict pluſieurs fois. Mythologie phyſique, & morale.Que signifie donc Paſiphaé fille du Soleil & de Perſeïs, ſinon l’ame des hommes, qui a plus de raiſon & de conſeil, lors que le corps, par la vertu du Soleil digerant fort bien la matiere du corps, deuient plus pur ? Et qu’eſt-ce que Perſeïs, ſinon la matiere humide de laquelle le corps s’engendre ? Cette ame eſtant femme de Minos, tres-iuſte & tres-homme de bien, ſi elle s’adonne à des voluptez qui ſentent la brutalité, on dit qu’elle ſe deſtourne de ſon legitime mary, & s’en court embraſſer vn adultere, Taureau tres-felon. Car dés que l’eſprit quittant la raiſon condeſcend à la cholere, ou bien aux conuoitiſes charnelles, il quitte quãd & quand ſon luſtre & ſa beauté, & reçoit la forme d’vn Taureau, c’eſt à dire reſſemble aux beſtes. Et pourtant ſi quelqu’vn penſe que cette fabuloſité ſoit pleine d’ordure & de ſaleté, & tient Paſiphaé pour vne maudite femme, d’auoir appeté & deſiré ſi deſordonnees & illegitimes amours ; comment ne croyra-il que ce luy ſoit choſe tres-deshonneſte de ſe laiſſer tranſporter ſoy-meſme à paillardiſe, à colere, ou autres vilains troubles d’eſprit indigne de tout honneſte homme ? Il eſt bien requis de conceder au corps les plaiſirs que nature requiert neceſſairement ; car ce n’eſt pas ſans cauſe que Dieu a donne à l’homme de la colere & de l’appetit de volupté : mais il n’en faut prendre qu’autant que Iupiter ou Neptun en permettent (ce qui eſt ſignifié par le ſuſdit Taureau) à ſçauoir pour regaillardir & refaire les forces du corps, & pour engendrer lignee legitime. Nous en auons vne grande preuue en ce que la colere pour l’execution des affaires de ce monde, ou la volupté pour engendrer ſon ſemblable, ou les autres eſmotions d’eſprit ſont expedientes au corps, pourueu que l’on n’en prenne qu’auec moderation & iuste meſure : autrement elles ſont tres-dãgereuses. Et de l’vſage illicite de tels plaiſirs & eſmotions, faut que neceſſairement prouiennent pluſieurs monſtres, non pas ſeulement vn Minautore : leſquelles choſes les hommes enueloppent & embroüillent tellement, que quiconque ſe fouruoye vne fois du chemin d’equité, & vient à mettre les loix à nonchaloir, à peine le peut-on puis aprés retenir qu’il ne commette toutes ſortes de meſchancetez : comme ainſi ſoit qu’vne longue accouſtumance ſe tourne en habitude & naturel. Auſſi cette circuition inexplicable, tant de tours & deſtours deſquels on ne ſe pouuoit deſpetrer en ce Labyrinthe, ne vouloient ſignifier autre choſe, ſinon que celuy qui ſe ſeroit vne fois addonné à choſes irraiſonnables & deſreiglees, ne s’en pourroit puis aprés qu’auec beaucoup de difficulté deſuelopper deuãt le dernier iour de ſa vie, ſinon que Dedale, tres-ingenieux ouurier & conſeiller, c’eſt à dire Dieu, y beſongne. Voila quant à Paſiphaé. Voyons deſormais Circe.