De Medee.
CHAPITRE VIII.
Genealogie de Medee.MEDEE fut fille d’Æete Roy de Colchos, & d’Idyie, ſelon le teſmoignage d’Heſiode en ſa Theogonie. Aloëe & Æete furent fils du Soleil & d’Antiope : l’vn deſquels (à ſçauoir Æete) ne ſe contentant pas du domaine que ſon pere luy auoit laiſſé, s’en alla à Colchos, laiſſant à Corinthe, ſon Royaume hereditaire, Bune fils de Mercure pour Regent ou Vice-roy. Eſtant à Cyte, ville de la Colchide, il eſpousa Idyie fille de l’Ocean, de laquelle il eut fille, & fils, Medee & Abſyrte. Toutefois il y en a qui croyent Abſyrte auoir éſté l’aiſné, & qu’Æete l’eut d’Aſterodie nee en la montagne de Caucaſe, fille de l’Ocean & de Tethys. Ceux de Colchos qualifierent du ſurnom de Phaëthon ledit Abſyrte, à cauſe de ſa beauté : car le Soleil donna l’Arcadie à Aloëe, & Corinthe à Æete. Æete donc mit entre les mains de Bune la ville & le païs, à la charge & condition de le garder fidellement pour ſes hoirs s’il en procreoit quelques-vns ; puis ſe retira à Colchos où il regna. Il auoit deux ſœurs, Paſiphaé & Circe ; & (comme veulent quelques-vns) Calypſo. Ainſi donc Medee fut petite fille du Soleil & de l’Ocean, fille d’Æete, & d’Idyie, & ſœur d’Abſyrte, qu’autres nomment Egialee. Auſſi ſe vante elle en Euripide d’auoir le Soleil pour ayeul. Euphorion & Andron Teyen ont eſcrit qu’elle eſtoit fille d’Hecate : mais Heraclide de Ponte en Aſie la fait fille de Neere l’vne des Nymphes Nereïdes. Les autres luy donnent Eurylyte pour mere. D’autres luy adiouſtent encore vne ſœur, Angitie, qui apprit aux Marſes les remedes contre les poiſons. Ouide en l’epiſtre d’Helene, ſouſtient qu’elle fut fille d’Ipſee, & qu’elle eut vne ſœur nommee Chalciope. Apolloine au 3. liure de la toiſon d’or, appelle Medee du nom d’Æete, ou pource qu’elle ſe ſeruoit de l’arc de Circe, ou pluſtoſt pource qu’elle faiſoit crier à beaucoup de gents, æ, æ c’est à dire, ha, ha, voix plaintifue & dolente ; comme de faict elle fit beaucoup de maux à pluſieurs perſonnes. Meſchancetez commiſes par Medee.Car on dit qu’ayant pris Iaſon en amitié, elle trahit & ſon pere & ſon Royaume & ſa patrie. Et lors que Iaſon par le cõmandement de Pelias ſon oncle Roy de Theſſalie, qui ne demandoit qu’à le perdre, ayant apprehenſion de ſa galantiſe & valeur, ſe fut embarqué auec vne bonne troupe de ſeigneurs Grecs, pour aller en Colchos à la conqueſte de la toiſon d’or, Medee craignant la grandeur des hazards qu’elle luy voyoit encourir, à fin qu’il n’y ſuccombaſt, tira de luy promeſſe auec ſerment qu’il l’eſpouſeroit : puis fit tant par ſes arts magiques, que Iaſon surmonta ſans peine toute la violence des dangers qui luy eſtoient appreſtez, & remporta en ſeureté ſa toiſon conquiſe. Aucuns dient qu’Æete pere de Medee fut tres-malcontent de la victoire de Iaſon, & pourtant il ſe reſolut de faire bruſler de nuict le vaiſſeau de Iaſon, qui portoit le nom d’Argò, & de faire mourir tous les Argenauchers (ainſi s’appelloient ceux qui faiſoient le voyage auec Iaſon, comme qui diroit, Nauchers d’Argò) Medee ayant deſcouuert ce conſeil, s’en alla de nuict trouuer ces Seigneurs, & leur fit entendre le deſſein de ſon pere. Elle voulant courir meſme fortune, s’embarqua auec eux, qui faiſans voile paſſerent outre. Les autres veulent dire qu’Æete apres la conqueſte de ladite toiſon, inuita tous les Argonautes en vn magnifique feſtin, toutesfois en intention de les faire tous aſſaſſiner comme ils banqueteroient. Alors Medee, ſoit qu’elle eut horreur d’vne telle cruauté, ou ſoit pour l’affection & l’amitié qu’elle portoit à Iaſon, luy fit ſçauoir la mauuaiſe volonté du Roy. Les autres eſcriuent qu’elle les alla accueillir pour leur promettre de leur faire conquerir cette riche toiſon, Denys Myleſien eſcrit qu’elle la leur apporta en leur galere ; & que pour éuiter la vengeance de ſon pere, elle s’enfuit auec les Argonautes. Abſyrte deſchiré en pieces par ſa ſœur.Antimache au 3. liure du voyage de la toiſon d’or, dict que Iaſon alla ſecrettement auec Medee au parc de Mars pour happer cette toiſon : & que comme ſon frere Abſyrte la ſuiuoit, elle ſe rua ſur luy, & le mit en pieces, eſcartant les membres l’vn de l’autre, & les ſema ſur les chemins qui çà, qui là, à fin que ſi d’auenture ſon pere la ſuiuoit, il s’embeſongnaſt à ramaſſer les os eſpars cependant qu’elle tireroit pays. Cela fut fait vers les Iſles qui furent nommees Abſyrtides en la mer Adriatique. Diuers aduis ſur la mort d’Abſyrthe.Les autres dient qu’elle auoit emmené ſon frere auec elle, mais que ſentant ſon pere approcher qui la pourſuiuoit pour la r’emmener, elle trouua ce maudit expedient pour retarder sa pourſuite, où depuis fut baſtie vne ville nommee Comos, c’eſt à dire, diſſection : & qu’elle en poſa la teſte & les mains ſur vn hault eſcucil, & eſpandit les autres membres par le pays, ou (ſelon d’autres) en la mer. Denys Mileſien eſcrit qu’Æete luy meſme pourſuiuit les Argenauchers, & que les Heros deſcendans ſur le riuage combatirent à coups de traits. Et comme ceux de la compagnie d’Æete ſe battoient à cheual, Iphis enfant de Stenel, frere d’Euryſthée, fut entr’autres tué : en fin ceux de Colchos mis en route, Abſyrte fut pris & emmené dans le vaiſſeau, duquel ils eſcartellerent le corps, & en ietterent les pieces. Quelques-vns maintiennent que Medee le fit eſtrangler dedans la maiſon meſme de ſon pere, pour luy tailler de la beſongne cependant qu’elle ſe ſauueroit ; combien qu’elle ne le craigniſt guere, ſçachant bien qu’il eſtoit tardif & peſant à cause de ſa vieilleſſe. Or pour venir particulierement à Medee, il faut ſçauoir qu’elle faiſoit de merueilleuſes beſongnes, ayant appris d’Hecate tout ce qui ſe peut ſçauoir en magie, & toutes les receptes qui ſont en terre & en mer ſeruans tant és ſecrets de medecine, )quen / l’art magique. Medee grande magicienne.On la vante d’auoir la premiere trouué l’vſage d’vne fleur qui diuerſement appliquee, blanchiſſoit les cheueux noirs, & noirciſſoit les blancs. Dauantage elle inuenta l’experience d’vn bain chaud de grande efficace quant à la vertu de medecine, par le moyen duquel elle gueriſoit diuerſes maladies. Quant à ſes medicamens, elle les faiſoit en cachette, ialouſe que les medecins de ſon temps ne peuſſent deſcouurir le ſecret de ſa prattique. Entr’autres elle ſçauoit preparer vne certaine decoction, de laquelle ceux qui vſoient en peu de iours eſtoient rendus plus ſains, plus frais, & diſpoſts qu’auparauant : de maniere qu’à les voir ſi gaiz & agiles, on les euſt estimez raieunis. Et pource que pluſieurs pour lors encore rudes & groſſiers voyoient qu’en ſes preparations elle ſe ſeruoit de bois, de feu, de pots, de chaudieres, de cuues, & autres vtenſiles, ils s’imaginerent qu’elle faiſoit boüillir & cuire les hommes pour les raieunir. Quant à la magie, on ne doubte point qu’elle n’en ait ſceu ce qui s’en peut ſçauoir. Ainſi dit-on qu’elle faiſoit deſcendre les eſtoilles du Ciel, affermir le Soleil & la Lune, oſter la force au feu, arreſter le courant des eaux, remonter les riuieres à mont, & quelques autres effects eſtranges qu’Apolloine recite : mais Ouide au 7. des Metamorphoſes en fait vne bien grande liſte, deſquels elle meſme se vante :
Par vous, ô Dieux, & par voſtre secours
Quand il m’a pleu i’ay retourné le cours
Des lacs courans : par paroles puiſſantes
I’ay arreſté de mer les eaux fuyantes,
Et la mer coye & en ſilence estant
Ie rends eſmeuë à grands vagues flotant.
Quand il me plaiſt ie chaſſe au Ciel les nuës,
Quand il me plaiſt elles ſont reuenuës.
En ce ie puis ma puiſſance venter,
D’abattre vents, & de faire venter.
Ie fay creuer Serpens quand ie les charme :
Fendre ie fay pierres viues par charmes.
I’arrache außi par mes drogues & art
Arbres puiſſans, en faiſant qu’autre part
A mon vouloir ils portent leur racine.
Et qui plus eſt, tant peut ma medecine
Que de leur lieu faire les bois mouuoir.
Par moy crouler montagnes on peut voir.
Ie puis außi faire bruire la terre,
Ames ſortir de leurs tombeaux grand’erre :
Et en ſon char l’Aube du iour pallir.
Ie fais außi la Lune defaillir.
Sans que vaiſſeaux d’airin quand ils reſonnent
(Ainſi qu’on dit) empeſchement y donnent.
O puiſſans Dieux ! vous m’auez fait ſouuent
L’oblation s’éuanoüir au vent.
Combien de fois les flammes appreſtees.
Des forts Taureaux m’avez vous hebetees,
Rendu leurs cols rebelles & puiſſans
Pour labourer au ſoc obeyſſans ?
Aux corps armez, de Serpent geniture,
L’vn contre l’autre auez meu guerre dure,
Et le gardeur fort & rude ennemy,
A mon ſouhait vous auez endormy,
Lequel deceu par mon art & adreſſe
La Toiſon d’or auez tranſmiſe en Grece.
Effects de magie.Et de faict, ſelon le teſmoignage des anciens, l’art magique eſt de telle efficace, qu’on en peut tranſplanter les foreſts ; & les bleds, & faire reſuſciter les morts, mugir les pierres, & raieunir les vieilles gents, ce qu’Ouide au 14. liure parlant de Circe declare comme il s’enſuit :
Lors à ce cry & coniuration
Hors de leur lieu, par admiration
Sautent foreſts, & de ſang mainte goutte
Sur l’herbe verte horriblement degoutte.
De cet effroy la terre eſt gemiſſant,
Chaſque arbre außi en deuient palliſſant :
Les Chiens on voit, voire les pierres dures,
Ietter abois, mugiſſemens, murmures.
Terre s’eſmeut, & vient à receuoir,
Pluſieurs Serpens fort horribles à voir,
Et parmy l’air on oit voler des ames.
Ces gents ont peur de ces mõſtres infames, etc.
Pareillement en l’Epiſtre d’Hypſipyle, parlant de Medee :
Elle peut déuoyer la route couſtumiere
De la Lune, & voiler du Soleil la lumiere
Tenebrant ſes Cheuaux : elle arreſte le cours
Des eaux diuertiſſant les fleuues à cent tours.
Elle fait treſſaillir les bois de riue en riue,
Elle meut les rochers, & les cailloux auiue.
Onguent de Medee.Quant à l’onguent qu’elle compoſoit pour raieunir les corps, il deſcrit au 7. liur. des Metamorph. les drogues qui y entroient, outre vne infinité d’herbes qu’elle cueilloit, & faiſoit boüillir dans vn pot, y adiouſtant des graines, des fleurs, des pierreries tant Orientales qu’Occidentales ; de la roſee, la chair d’vn Hibou, les entrailles d’vn Loup garou, la peau d’vn ſerpent Lybique, le cœur d’vn Cerf, la teſte d’vne Corneille, & pluſieurs autres mixtions, auec leſquelles elle raieunit le corps d’Æſon pere de Iaſon. Par la vertu de cet onguent elle faiſoit reuerdir les branches ſeches, comme celle d’vn Oliuier ſec & mort, qui frotté de cet onguent reuerdit quand-& quand, & ſur le champ porta des Oliues. Meſme ſi l’eſcume ſeulement en tomboit ſur terre, elle eſtoit incontinent renouuellee, & produiſoit toutes ſortes de fleurs. Or aprés qu’elle eut quitté la maiſon de ſon pere & ſa patrie pour ſuiure Iaſon, ils arriuerent en l’Iſle de Lemnes, auiourd’huy Stalimene, où elle deuint incontinent ialouse des Dames Lemniennes, & pour les punir eſpandit ie ne ſcay quelle drogue par le pays : qui les rendit toutes punaiſes, & depuis auint qu’en certain iour de l’annee, leurs enfans & maris les trouuoient ſi puantes qu’ils n’en vouloient approcher. Voyez l. 4. ch. 13.Toutefois les autres diſent que ce fut vn effect de la vengeance de Venus, pource qu’elle trouuoit qu’elles ne luy rendoient pas l’honneur qu’elle meritoit, ains faiſoient trop peu d’eſtime d’elle. En fin comme ces bonnes Dames virent que leurs maris les auoient en deſdaing pour ceſte punaiſie, elles les tuerent tous en trahison : puis quand les Argonautes vindrent ſurgir en leur Iſle, s’abandonnerent volontairement à eux, & ceux qu’elles enfanterent, tranſmigrerent depuis à Lacedemone trouuer leurs peres, ou eſtans receus, ils machinerent contre la liberté des Lacedemoniens, & apprehendez furent faits priſonniers, mais à l’arriuee de leurs meres ils en ſortirent, & veſtus d’habits de femmes eſquiuerent le danger de mort. Quant aux cruautez de Medee, le premier indice qu’elle en donna, fut lors qu’elle deſpeça ſon frere, comme il a eſté dict, duquel les vns diſent qu’elle ietta les membres dans la mer : les autres, qu’elle les diſſipa par le païs, afin que tandis que ſon bon-homme de pere s’amuſeroit à les recueillir, elle ſe peuſt ietter à ſauueté. Medee eſpouſee par Iaſon.Ææte doncques ayant ramaſſé les os de ſon fils Abſyrte, enuoya à Colchos gens pour la pourſuiure : mais eux ayans outrepaſſé le Pau, & les golfes des Syrtes & les Serenes arriuerent en fin en l’Iſle de Corfou vers le Roy Alcinoüs, la femme duquel, Areté, fit eſpouſer Medee à Iaſon, & luy donna douze filles de chambre, leurs pourſuiuans ayans deſia ceſſé de courir aprés, dont les vns s’eſtoient habituez en Albanie vers les montagnes de Ceraune, les autres en Sclauonie, les autres és Iſles Abſyrtides. D’autrepart Timonax au 1. liur. de l’Eſtat de Sicile eſcrit qu’Ææte donna volontairement ſa fille Medee en mariage à Iaſon, lequel eut ſa compagnie en Colchos : Et voylà pourquoy au Pont on monſtroit des iar- dins en ceſte region-là qu’on appelloit les iardins de Iaſon, où la nef d’Argo fiſt ſa premiere deſcente, & y auoit des exercices à ietter la pierre & la barre : & meſmement le lict de Medee, dans lequel Iaſon coucha auec elle le iour de ſes eſpouſailles. Autels baſtis par Medee, teſmoignage de ſes eſpoüſailles.Mais Timee au 2. liure de l’Hiſtoire d’Italie dict que Iaſon eſpouſa Medee en l’iſle de Corfou, & que la couſtume dura iuſques au temps auquel il viuoit, de faire tous les ans vn ſacrifice en la Chappelle d’Apollon qui eſtoit là, en laquelle Medee fit ſa premiere offrande aprés ſes nopces, ayant là meſme faict baſtir deux Autels pour monument & teſmoignage à la poſterité de leur mariage, l’vn de ces autels s’appelloit l’Autel des Nymphes ; l’autre, des Nereïdes, la chappelle n’eſtoit pas loing de la mer, & prez de la ville. Puis-aprez les Argo-Nochers ayans nauigé outre les Syrthes, les Serenes charmees par la douceur & melodie de la lyre d’Orphee, & les eſcueils de Scylle & Charybdis, les Cyanees & les rochers errans, arriuerent finalement en Sicile, pour lors dicte Trinacrie, où eſtoient les Bœufs du Soleil : puis ſinglans laiſſerent derriere eux les iſles de Candie, & d’Eugie (alors Ægine) & la Locride, & prindrent terre à Iolcos en Theſſalie. Princes du ſang de Theſſalie maſacrez par Pelias oncle de Iaſon, ſous vn faux bruit.Or dict-on que Pelias oncle de Iaſon ſous vn faux aduis qu’il eut que tous les Argonautes eſtoient peris par naufrage, print occaſion de faire mourir tous ceux qui pouuoient pretendre quelque droit au Royaume de Theſſalie, & contraignit Æson pere de Iaſon de boire du ſang de Taureau (ce qui fut fait en ſacrifiant) & couppa la gorge à ſon frere Promache encore ieune enfant. Sa mere Amphinome s’enfuit dans la maiſon du Roy, auquel apres auoir dict pouïlles, à cauſe de ſi grande perfidie & cruauté, & qu’il auiendroit que Dieu vangeroit sur luy bien rigoureuſement ce ſang innocemment eſpandu, elle ſe tranſperça courageuſement le corps d’vne eſpee, & mourut ainsi. Iaſon arriué de nuict en vn deſtroit de Theſſalie, prés d’Iolcos, ou toutesfois on ne le pouuoit deſcouurir de la ville, ayant eu aduis de tout ce qui s’eſtoit paſſé par meſſagers & eſpions, implora le ſecours des plus honneſtes hommes de la ville, & des Argonautes, pour vanger l’enormité de ce faict. La choſe miſe en deliberation, comme les vns opinoient qu’il ſe falloit promptement ſaiſir de la ville : les autres qu’il faloit prendre de chaſque maiſon vn homme de bien pour eſcorte, & qu’il ne conuenoit point entreprendre cette guerre ſourdement ny en cachette, mais à viue force, & monſtrer là ce qu’on auoit dans le cœur, pource qu’on ne voyoit point d’apparence que cinquante trois Heros ou enuiron, peuſſent emporter vne grande & peuplee ville : voicy ſe preſenter Medee, qui promet d’en auoir raiſon ſans bruit & par le moyen de ſes drogues & artifices. Hiſtoire prodigieuſe de Medee.Que faict elle ? Vne image & ſemblance de Diane, & luy remplit le ventre de toutes les ſortes de drogues, & receptes qu’elle auoit : & s’oignant en ſuite par trois fois les cheueux, les fait blanchir, elle ſe fait auſſi rider le viſage & tout le corps afin que tout le monde la prinſt pour vne vieille edentee. Puis aprés prenant cette Deeſſe bien diſpoſee pour tenir le peuple en ſuperstition, elle, comme inſpiree & remplie de l’eſprit de ladicte Deeſſe, ſe iette dés le poinct du iour dans la ville, exhortãt le peuple qui de toutes parts accouroit à ce nouueau ſpectacle, qu’il euſt à receuoir dignemẽt & auec reuerence la Deeſſe qui venoit des Hyperborees en faueur du Roy & de la ville. Comme tout le peuple eſtoit en deuoir de l’adorer & luy faire ſacrifices, elle auec ſa Deeſſe s’en va au Palais du Roy : & pource que Pelias & ſes filles croyoient verittablement receuoir quelque bonne encontre à la venuë de Diane, & qu’elle fuſt voirement arriuee, d’autant qu’on auoit veu Diane portee par ſes Dragons en l’air, courir vne bonne partie du monde, comme choſes ſemblables auiennẽt par prodiges, elle fut accueillie en tout honneur & reuerence. En aprés Medee leur vient à dire, que la Deeſſe luy auoit enioint de deſpoüiller le Roy de ſon vieil aage, & le raieunir, & qu’elle auoit charge de leur faire beaucoup d’autres biens concernans la felicité & pieté de leur pere. Pelias trouuant ce propos de Medee inaccouſtumé & durement eſtrange, luy adiouſta foy neantmoins, & commanda qu’on fit tout ce qu’elle diroit. Or deſirant accõplir ſon deſſeing, elle ſe fiſt appreſter de l’eau nette par l’vne des filles de Pelias. Mais apres s’eſtre retiree en vne chambre, ſous ombre de ſe vouloir lauer tout le corps deuant que venir à ſon operation, elle accommoda toutes ſes drogues, & les diſpoſa par ordre, puis contrefit quelques images en telle façon qu’il sembloit de faict que Diane volant emmi l’air portee par ſes Dragons, arriuaſt des Hyberborees pour prendre logis chez le Roy Pelias, ſi que tout le peuple aſſiſtant crût tout ce qu’elle diſoit. Cette inuention ſurpaſſant la capacité de l’eſprit humain, le Roy y eut telle creance, qu’il fit derechef commandement à ſes filles d’executer elles meſmes tout ce qu’elle deſireroit, n’eſtant pas ſeant à vn Roy de receuoir vn don diuin par mains ſeruiles. Mouton cuit & raieuni par Medee.La nuict doncques comme Pelias dormoit, Medee fait entendre à ſes filles qu’il faloit boüillir le corps de Pelias dans vne chaudiere, ce que les filles trouuants de mauuais gouſt, elle fit en leur preſence l’eſſay ſur vn vieux Mouton, pour faire preuue de ſon dire, qui fut couppé en quartiers, & cuit auec certaines herbes ; puis ſoudain reuint en vie conuerty en vn ieune & tendre Aigneau bélant & ſautellant de ioye. Pelias boüilly, mais non r’animé.Cette experience veuë les filles ne doutent plus de la verité du faict ; & deuenuës ſourdes aux prieres de leur pere, ſans auoir compaſſion de ſon vieil aage, le mettẽt en quartiers. Alceſtis ſeule fut exempte de cette horrible meſchanceté. Quand Medee le vid ainſi giſant eſcartelé, elle leur dit qu’il ne le falloit pas cuire que premierement elle n’euſt accomply quelque ſeruice à la Lune : & cõmanda à ces filles de monter ſur le toict du logis auec des torches allumees, cependant qu’elle feroit ſes prieres & ſes deuotions à la Lune en langue Colchique. Or ces torches allumees eſtoiẽt le ſignal auquel les Argenauchers deuoient eſtre auertis que tout auoit bien ſuccedé. Les Heros donc s’aſſeurans que le Roy eſtoit mort, accourent à grand’haſte en la ville, & l’eſpee au poing entrans dedans renuerſerent les gardes du Roy qui leur voulurent faire teſte. &e Les filles de Pelias deſia descẽduës pour faire boüillir leur pere, apperceuans la fourbe : mais ne ſe pouuãs vanger, ny garder la maiſon Royale, deſia pleine de gens d’armes, Iaſon leur fit grace, diſant qu’il les ſçauoit bien eſtre innocentes de la mort de leur pere qu’elles auoient occis luy penſans bien faire. Il remit à Acaſte fils de Pelias la couronne & Royaume de ſon pere, & maria les Infantes à de grands Seigneurs. Andremon eſpouſa Amphinome ; Admet Roy de Theſſalie print Asceſtis ; Euadné fut mariee au Roy de Carie, ou ſelon d’autres, des Phociens. Cela faict, Iaſon, s’en alla en l’Iſthme, & dedia l’Argo à Neptun, puis Creon Roy de Corinthe le prenant en amitié, il eut tant de credit & d’authorité en ſa Cour, que iuſques à la fin de ſes iours il gouuerna auec luy l’Eſtat de Corinthe. Ligue des Argenauchers.Quelques-vns adiouſtent qu’Hercule aſſembla les Argonautes pour contracter alliance, & faire entr’eux ligue offenſiue & defenſiue contre ceux qui d’auenture voudroient faire guerre ou autrement outrager quelqu’vn de leur compagnie. L’alliance faicte & eſtablie par ſerment ſolemnel, ils auiſerent qu’en tout euenement cette plaine du territoire des Eleens la riuiere d’Alphee, eſtoit commode pour faire montre de leurs troupes, & la conſacrerent à Iupiter Olympien, en laquelle ſe firent les premiers tournois, & autres exercices corporels, tant à pied qu’à cheual, auquel ſpectacle s’aſſemblerent vne infinité de Gentils- hommes. Diuers auis ſur la mort de Pelias.D’autres auſſi diſent que Medee faiſant ſemblant d’eſtre en mauuais meſnage auec Iason, de ce qu’il ne tenoit conte d’elle, ſe retira vers les filles de Pelias, auec deſſein d’eſpier ſoubs main la commodité de vanger la mort des parens & alliez de Iason, & luy ouurir le chemin pour paruenir à la Couronne. Les autres, que le pere ne conſentit pas aux tromperies de Medee, mais que ſes filles le luy perſuaderent, & les nomment Aſteropee, Autonoë, Alceſtis. D’autres veulent dire que cela vint de leur propre mouuement & deſir qu’elles ſouffrirent que leur pere chargé d’ans, debile & caduc, retournaſt en ieuneſſe par le moyen de ſes medicamens, affin qu’il peuſt puis-apres regner longuement, & renuerſer tous les complots qu’on voudroit attenter contre ſa majesté ; que Medee pour authoriſer ſon dire, en fit l’eſpreuue ſur vn mouton eſgorgé : que les filles de Pelias deceuës vilainement par cette fourbe, decouperent en pieces leur pauure pere, & permirent qu’on le iettaſt dans vne chaudiere pleine d’eau boüillante : & qu’aprés qu’il eut long-temps bouïlly, ce miſerable corps fut tellement diſſoult, & reduit à neant par la violence des drogues, qu’elles n’en ſceurent reſeruer aucune piece pour l’enſeuelir. Peu de temps aprés Iaſon demeurant à Corinthe eſpouſa Glauque fille du Roy Creon (d’autres la nomment Creuſe) mettant en oubly tous les bons offices qu’il auoit receus de Medee. Et ce fuſt alors que ceſte ſorciere tranſportee de rage de ſe voir ainſi laſchemẽt trahie & abandonnee, diſſimula ſon mal-talent, & ſous pretexte de vouloir faire des preſens à la nouuelle mariee, luy enuoya vne couronne, qu’elle n’eut pas pluſtoſt aſſiſe ſur ſon chef, que le feu s’y mit, & la bruſla miſerablement auec ſon pere, Iason & tout le Palais. Cela faict, Medee fit mourir par glaiue les enfans qu’elle auoit euz de luy, Mormore (on le nomme auſſi Merinne & Mermyre) & Pherete. Auſquels on adiouste Mede, Polyxene ; & vne fille, Eriope. Aucuns dient qu’vne Lionne deſchira Mermyre comme il eſtoit à la chaſſe. D’autres auſſi, qu’elle n’euſt de Iason que Medee & Eriope. Les autres eſcriuent que Medee enuoya à la nouuelle eſpouſe vn voile ou robe de toile tres-fine, mais empoiſonnee : & qu’auſſi toſt qu’elle l’eut veſtuë, elle fut toute eſpriſe de feu, pour lequel eſteindre elle ſe ietta dans vne fontaine, qui fut depuis à cauſe d’elle nommee Glauca. Les autres que Medee enuoya par les mains de ſes petits enfans aux filles de Creon vn petit eſcrin ou coffret remply de feu artificiel tres-violent, & que dés qu’elles l’eurent ouuert, il en ſortit vne ſi grande quantité de flamme, que le Palais & tous ceux qui s’y trouuerent en furent embraſez. Les autres maintiennent que ce n’eſtoit pas vn coffret, mais bien vne robe ou manteau auec vne couronne d’or ointe de Naphthe : & qu’auſſi toſt qu’elles eurent ſenti le feu, elles s’embraſerent & firent bruſler tout le voiſinage, car ce qui eſt frotté de Naphthe, s’il void ou le Soleil ou le feu, il s’enflamme quand & quand, & brusle tout ce qu’il rencontre, ſans qu’on y puiſſe donner remede. Medee ayant eſté l’inuentrice de cette drogue, c’est à bon droit qu’on appelle feu de Medee ce bruuage, qui dés qu’on la beu eſpand par tout le corps vne ſi grande ardeur qu’on ne la peut en façon quelconque adoucir, on l’appelle auſſi huile de Medee. Car Medee n’eſtoit pas ſeulement ouuriere d’engraiſſer ou d’oindre les beſongnes, mais auſſi d’enfermer és bruuages vne occulte vertu de feu. On appelle auſſi ce bruuage Ephemere, c’eſt à dire, Iournal, pource que les herbes propres pour le compoſer, ſe trouuent ſeulement prés de Tanays, riuiere de Scythie, paroiſſent le matin ; à midy ſont cruës, & le ſoir ſe fleſtriſent. Quelques-vns appellent cette herbe Iris, glaieul ou flãbe, & la drogue les vns la nõment Pharicū, les autres, Naphthe, les autres diſent qu’on l’appelle auſſi Ephemere, pource que ceux qui ont beu de ce bruuage ne peuuent viure plus d’vn iour. Remede contre le bruuage de Medee.Mais ſe- lon l’auis de Diphile Siphnien, on a trouué par experience que c’eſtoit vn aſſez bon remede contre ledit bruuage, de boire du laict de Vache où auroient trempé des fueilles de cheſne, ou des branches de Polygonon (autrement Genouillee) ou ſa racine decoupee boüillie auec du laict, ou le ſuc de pommes de Coings deſtrempez, ou de Myrthes reſtreignans, ou des tendons ou vuilles de Vigne dont elle s’agrafe & ſe lie à ce qu’elle trouue prés d’elle, ou des branches de Ronces, ou des fueilles de Serpoulet, ou de Poulliot cuittes au jus des inteſtins de Ferule, ou de mouëlle de Ferule, ou de noix de Sardaigne, ou d’Origan, autrement marjolaine ſauuage. On a eſprouué que les choſes ſuſdites buës ſeruent contre cet huile, ou feu de Medee, faict de Naphthe. Deſcription du Naphthe & de ſes proprietez.Ce Naphthe (dit Plutarque en la vie d’Alexandre le Grand) eſt vne matiere qui reſſemble proprement au bitume : mais il eſt ſi prompt & ſi facile à allumer, que ſans toucher à la flamme, par la ſeule lueur qui ſort du feu il s’embraſe, & l’air auſſi qui eſt entredeux : laquelle nature les habitans du pays voulans faire veoir & cognoiſtre à Alexandre, arrouſerent de gouttes de cette liqueur la ruë par laquelle on alloit au logis d’Alexandre en Babylone, puis aux deux bouts de la ruë approcherent des flambeaux à ces gouttes de Naphthe, dont ils auoient aſpergé les deux coſtez de la ruë, qui s’allumerent ſubitement, de façon que le feu eut en moins de rien gaigné depuis vn bout de la ruë iuſqu’à l’autre. Sa proprieté fut auſſi eſprouuee en la perſonne d’vn ieune page nommé Eſtienne, à la ſuſcitation d’vn Athenien, Athenophane, qui ſeruoit le Roy au bain de luy frotter, oindre & nettoyer le corps quand il s’eſtuuoit, & de luy donner par meſme moyen quelque ioyeux entretien & honneſte paſſe-temps. Cet Athenien auiſant vn iour dedans l’eſtuue ce page auprés d’Alexandre, chetif à merueilles & laid de viſage, mais qui auoit la voix fort bonne, il dit au Roy, Vous plaiſt-il, Sire, que nous eſprouuions la vertu de cette matiere de Naphthe ſur Eſtienne ? Le page s’offrit volontiers à en ſouffrir la preuue en ſon corps : mais ainſi comme on l’en frottoit, au toucher ſeulement il ietta incontinent vne ſi grande flamme, & fut tout le corps du page en vn moment eſpris de tant de feu, qu’Alexandre s’en trouua en extreme peine & perplexité, & n’euſt eſté que de bonne auenture il ſe trouua dedans l’eſtuue pluſieurs ayans en leurs mains des vaiſſeaux pleins d’eau pour le bain, iamais on n’euſt peu ſecourir le page à temps que le feu ne l’euſt bruſlé & ſuffoqué deuant : encore eurent-ils beaucoup d’affaire à l’eſteindre, & en demeura le page fort malade. Ce n’eſt donc pas ſans apparence que quelques-vns, voulans que la Fable de Medee ait eſté choſe verittable, dient que la drogue dont elle frotta la couronne & voile qu’elle enuoya à la fille de Creon, fuſt cette liqueur de Naphthe, pource que ny la couronne ny le voile ne pouuoient conceuoir le feu qui ne s’y eſtoit non plus allumé de ſoy-meſme, mais y eſtant l’aptitude de s’enflammer appoſee par ce frottement de Naphthe, l’attrait de la flamme en fut ſi prompt & ſi ſoudain qu’on ne s’en apperceut point à l’œil : car les rayons & fluxions qui ſortent du feu venans de loing, iettent aux autres corps la lumiere & la chaleur ſeulement ; mais à ceux qui ont en eux vne ſiccité venteuſe, ou vne humeur graſſe & gluante, s’vniſſans enſemble, & ne cherchans de leur nature qu’à s’allumer & faire feu, ils alterent facilement & enflamment la matiere qu’ils y trouuẽt preparee. Source de Naphthe.Cette liqueur ſe trouue en grande abondance au pays de Babylone, en la prouince d’Ecbatane, où eſt la ſource du Naphthe iettant ſi gros boüillons de feu qu’elle en fait comme vn lac. De s’enquerir icy d’où & comment il s’engendre, c’eſt vne autre queſtion. I’ay ſeulement voulu faire cette digreſſion qui ne m’a point ſemblé hors de propos pour ſauuer de peine ceux de noſtre nation, deſirans ſçauoir la qualité, la vertu, & la proprieté de cette merueilleuſe drogue. Enfans de Medee lapidez par les Corinthiens.Or pour reprendre nos briſees, quelques-vns ont laiſſé par eſcrit que les Corinthiens lapiderent Mormore & Pherete, enfans de Medee, pour auoir eſté les porteurs de ſi beaux preſens, & Pauſanias en l’hiſtoire de Corinthe dit, qu’on voyoit leur ſepulchre en vn lieu nommé Odeon. Les autres ſouſtiennent qu’ils reuindrent ſains & ſauues retrouuer leur mere, mais qu’en deſpit & haine de Iaſon qui s’eſtoit remarié à Glauque, Medee les fit mourir. Diuers aduis touchant les enfans de Iaſon, & de Medee.D’autres nous chantent vne leçon bien contraire, diſans que Iaſon eut à Corinthe fils & fille de Medee, Theſſale & Alcimene, & pluſieurs annees aprés vn autre fils, Tiſandre : que depuis prenant en amitie Glauque fille de Creon, voyant que la beauté de Medee commençoit à ſe paſſer, il fut contraint de luy perſuader de vouloir prendre en patience s’il eſpouſoit cette Infante, parce que ce faiſant il allioit ſes enfants auec la maiſon Royale : Medee cõgediee par Iaſon.Que Medee n’y voulant condeſcendre il luy commanda de ſe retirer : laquelle demanda terme d’vn iour pour trouſſer bagage & faire ſa retraicte, & qu’entrant de nuict en la maison du Roy, elle y mit le feu, & bruſla tout. Les autres dient que par ſes enfans elle enuoya ſon preſent, par le moyen duquel cette ieune Princeſſe fut arſe, n’ayant Medee moyen de ſe venger en la perſonne de Iaſon, & qu’elle coupa la gorge aux enfans ſortis de l’vn & de l’autre, ne luy pouuant pis faire : quoy faict elle s’enfuit de Corinthe en pleine nuict, & s’en alla à Thebes trouuer Hercule caution des promeſſes que Iaſon luy auoit faictes. Theſſale, l’vn des fils de Medee, eſchappant des mains ſanglantes de ſa mere, fut nourry à Corinthe, puis ſe retira à Iolcos païs de Iaſon ; d’où ayant obtenu la couronne, nomma de ſon nom ſes ſubiects, Theſſaliens. Les autres, eſcriuent qu’apres la mort de Bune, Corinthe fils de Marathon ſucceda à la Couronne, lequel decedé, les Corinthiens firent venir Medee d’Iolchos pour regner ſur eux. Rappellee pour regner à Corinthe.Elle quitta la Couronne à Iaſon, & eut de luy quelques enfans, qu’elle cachoit dans le Temple de Iunon, eſperant les rendre immortels. Ce que Iaſon ayant appris, l’abandonnant s’en retourna en Iolchos : puis aprés elle auſſi mettant le Royaume de Corinthe entre les mains de Siſyphe, ſe mit en voyage pour ſuiure Iaſon. Voyez le chap. de Theſee, liure 7.Quelques-vns aſſeurent (entre autres Apollodore au 1. liure) que Medee ayant conſumé par feu le Palais de Creon, receut en don du Soleil vn carroſſe tiré par des Dragons ailez à trauers l’air (ce qu’elle fit pluſtoſt par le moyen de ſes charmes & ſorcelleries) & s’en alla à Athenes, où elle eſpouſa Ægee fils du Roy Pandion, deſia plein d’aage ; duquel elle eut neantmoins vn fils nommé Mede, pour lequel inſtaller au Royaume, elle prattiqua ſous main la mort de Theſee, fils aiſné d’Ægee. Mais ſon deſſein deſcouuert, force luy fut de cercher ſauueté en ſa fuite ; & ſe retira en Arie, Prouince d’Aſie, ou Mede fut depuis couronné Roy. Et d’autant qu’il ſe comporta ſagement en ſon Eſtat Royal, ſes ſubiects voulurent eſtre nommez Medes, & le pays Medie. En fin elle trouua moyen de ſe reconcilier auec Iaſon : puis s’en retournerent à Colchos, où elle fit mourir Perſe ſon Oncle, & reſtablit Ææte ſon pere en ſon Royaume qu’il auoit perdu par la trahiſon & laſcheté de ſes plus proches. Nous ne pouuõs ſçauoir où ny par quel moyen elle eſt morte, toutefois lbyque & Simonide eſcriuent qu’apres ſon treſpas arriuant és champs Elyſees elle eſpouſa Hercule. Quand à la Colchide, elle eſt maintenant diuiſee en la Zorzalie & Mengrelie, regions contiguës à Trebizonde, pleines de bois & de montagnes, habitees de gens brutaux & groſſiers, qui portent de grandes couronnes, & ne viuent que de panic, miſerables en tout le reſte de leur vie : horſmis qu’ils ſont Chreſtiens de religion Grecque, abbruuez parmy de pluſieurs opinions erronnees. Ils ſont voiſins de Cappadoce.
¶Or voyons que ſignifie tout cecy. Mythologie phyſique de Mede.Medee eſt dicte fille d’Ææte fils du Soleil, & d’Idie fille de l’Ocean, d’autant que Medee ſelon la ſignification du nom, eſt le conſeil. Car le Soleil eſtant la guide de l’Eſté & de l’Hyuer, il faut ſagement & par bon conſeil donner ordre à ce qui eſt neceſſaire, tant pour la nourriture que pour l’entretennement du corps. Cette cõsideration & preuoyance concernãt vn chaſcun en ſon particulier, fait qu’Idyie eſt mere de Medee ; car Idyie ſignifie Connoiſſance, d’autant que la cognoiſſance eſt mere de conſeil. Iaſon (qui peut ſignifier ou Medecin ou Medecine, le tirant du mot iâſthai, c’eſt à dire, medicamenter ou penſer) emmene Medee quand & ſoy. Qu’eſt-ce à dire cela ? c’eſt que celuy qui deſire penſer & medicamenter ſon eſprit ou ſon ame, & luy appliquer quelque ſalutaire medecine, qui eſt sageſſe, pour deuenir homme de bien, de bon entendement, & doüé de prudence, ne doit tenir conte de tout le reſte, tant precieux ſoit-il. Car qui ne mettra en arriere l’appetit & le deſir des voluptez, duquel il eſt né ; qui ne mettra en pieces cette desbordee concupiſcence, iamais il ne fera rien qui vaille, iamais il n’acquerra honneur ny reputation quelconque. Raiſon de la diſſection & mort des freres & enfans de Medee.C’eſt pourquoy l’on dit que Medee mit en pieces ſon frere & ſes enfans, & abandonna ſon pays pour ſuiure Iaſon. Ainſi donc que l’homme vrayement ſage domine aiſément ſur les Aſtres qui ont quelque pouuoir ſur les conuoitiſes de la chair, & modere les affections qui le peuuent porter à quelque acte deshonneſte. Et pourtant Medee (ou conſeil) a eu le bruit d’arracher du Ciel la Lune & les eſtoilles, d’arreſter les riuieres des cupiditez, & faire pluſieurs autres choſes leſquelles ſembloient bien eſtranges au commun peuple, qui certes ne furent iamais reellement faictes, comme dit Ouide :
N’adiouſtez point de foy aux ius herbeus brayez,
Et l’empeſté venin des Iumens n’eſſayez,
Quand d’vn amoureux feu leurs poitrines ſont arſes.
Ny les Serpens Medois par les chanſons des Marſes
Ne ſont acrauantez, ny le cours des ruiſſeaux
Deuers ſa ſource à-mont ne ramene ſes eaux.
Et quoy qu’auec airins & cymbales on l’huche,
Iamais de ſes cheuaux la Lune on ne déjuche.
Quelques-vns auſſi prennent Medee pour l’air & induſtrie, ſœur de Circe, c’eſt à dire, nature : pource que l’art, entant qu’elle peut, imite la nature ; & plus elle en approche, plus elle eſt loüable. Le Soleil eſt pere de l’vne & de l’autre, à cauſe que ſans l’aide diuine, qui eſt la vertu de l’ame diuinement emprainte en nous, on ne peut rien faire de bon ; car il n’y a rien de bon ny és choſes ſuſdites, ny en nous-meſmes, que nous ne les deuions aduoüer & tenir en hommage de la liberalité & magnificence de Dieu. Elle meſmes alluma des incroyables ardeurs d’enuie és courages de ſes mal-veillans, & leur cauſa d’extremes tourmens. Saincte & honneſte yengeance.Auſſi n’y a- il point de plus saincte, & plus aſſeuree, ny de plus honorable vengeance pour vn homme ſage & bienauiſé, que de ſe montrer en toutes ſes actions iuſte, prudent, & temperé. Que ſi quelqu’vn ſe laiſſe enuelopper & enréter és filez & gluaux des plaiſirs deſraiſonnables de la chair, ou d’auarice, ou de cruauté : faut-il douter que le conſeil & bon auis ne monte en carroce & ne s’enfuye grand erre auec ſes Dragons ailez ? Car Medee eſtant petite fille du Soleil, nous montre & apprend que la prudence eſt emprainte en nous, ſelon la temperie de l’air, & la qualité des rayons d’iceluy : veu que le temperament du corps qui croiſt quelquefois par l’impreſſion de l’air, quelquefois par la nourriture & inſtruction, quelquefois par les viandes, quelquefois par la nature & habitude de la region en laquelle nous habitons, a beaucoup de vertu & d’efficace pour nous rendre capables & doüez de prudence. Les Anciens ont forgé telles inuentions, les accompagnans de tant & de ſi admirables geſtes & prodiges ; & controuué les choſes que nous auons ouyes de Medee, pour nous exhorter à nous armer d’vne honneſte moderation d’eſprit, & ſuiure vne loüable maniere de viure. Mythologie morale.Les autres ont eſtimé que Medee ait eſté vne femme meſchante, luxurieuſe & desbordee, qui pour vn amour deſeſperé dont elle aymoit Iaſon, & pour aſſouuir la gloutonnie de ſes concupiſcences, ait trahy pere, mere, royaume, patrie, pour ſuiure auſſi vn homme eſtranger, inconnu, trompeur, impoſteur, & le plus ingrat du monde. Diphile en certains vers Grecs, dict qu’elle fut dicte Medee, d’autant que par tous moyens elle eſſaya d’acquerit l’amitié de Iaſon, & ſe faire aymer de luy, employant pour cet effect toutes ſortes de ſorcelleries & charmes pour venir au deſſus de ſon deſſein. On dit que par le moyen de ſes herbes, de ſes drogues, & de ſon feu elle fit raieunir quelques vieilles gens, pource que par ſes artifices elle attiroit à ſoy le cœur & l’amour meſme des plus vieux, & les fit deuenir auſſi imprudents & impudents que beaucoup de ieunes hommes. Elle s’abandonna (dit la Fable) à toutes manieres de cruauté & de laſciueté ; qui puis-aprés la plongerent en vne abyſme de difficultez & miſeres, ſe rendant odieuſe à tout le monde : parce que nul mal-viuant ne peut long-temps durer en proſperité, veu que la felicité qui ſe peut trouuer és affaires de ce monde, eſt œuure de la vertu seule : au lieu que les crimes des meſchans ont touſiours pour leur iſſuë & deſſert, vne repentance, mille pauuretez & afflictions ; car tous les meſchans, entant que tels, ſont miſerables. C’eſt pourquoy Medee tombant en fin en deſeſpoir, diſcourt ainſi à part-ſoy des enormes meſchancetez qu’elle auoit commiſes, & des dangers qui s’en enſuiuoyent : comme on void dans Seneque le Tragique :
Iray-je mal à propos
Reuoir Phaſis & Colchos ?
Ou le regne de mon pere,
Et le lieu, où de mon frere,
Eſgorgé par mon couſteau
Les os giſent ſans tumbeau ?
En quel pays m’en iray-je ?
Quelle mer nauigeray-je ?
Las ! m’en iray-je orendroit
Vers le Pontique deſtroit,
Où i’ay par grand vitupere
Suiuy ce traiſtre adultere,
D’vn trop amoureux deſſein,
Par le Boſphore Thracin,
Iray-je voir de Theſſale
Les beaux iardins, où la ſale
Du Roy d’Iolchos ? des lieux
Dont ie t’ouurois odieux !
Les ſentiers auec grande ioye,
Ie me ſuis fermé la voye.
Car (cõme nous auons deſia dit) il eſt bien mal-aiſé qu’vn meſchant homme ſoit long-temps à ſon aiſe. Mais ſoit que nous prenions Medee pour le conſeil & pour la prudence, ou pour vne tres-mauuaiſe & mal-faiſante femme, les Anciens par cette Fable auoient intention de nous dreſſer & conduire à probité & integrité de mœurs. Medee adoree.Or aprés qu’elle fut de retour en ſon pays, & qu’elle eut recouuré le Royaume que ſon pere auoit perdu, ſes subiects l’adorerent d’honneurs diuins, & luy dreſſerent vn ſeruice, auquel ſelon l’inſtitution, il n’eſtoit pas permis aux hommes d’aſſiſter, ſuiuant ce qu’en a eſcrit Staphyle, à cauſe des indignitez & outrages que Iaſon luy auoit faits ; non pas meſme d’entrer aucunement en ſon Temple. Parlons conſequemment de Iaſon.