Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VII, 02 : De Hercule Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Hercule.

CHAPITRE II.

CE n’eſt que la gloire, & amour de vertu qui a tant annobly Hercule, ce grand dompteur de monſtres, & deſtructeur de brigands, voleurs, & autres hommes malfaiſans, en quoy il a tant acquis de reputation & de loüange enuers toutes les nations du monde, que iamais aucun aage ne pourra, ſinon par la demolition de cet Vniuers, effacer la memoire de ſon nom : à l’honneur duquel on a dreſſé & baſty pluſieurs Temples, fondé des Seruices, des Autels, des Ceremonies, & Preſtriſes, ce que, ny la Nobleſſe de ſa race, ny la ſeule force de ſon corps, ny le plus opulent Empire du monde ſans ſageſſe & grandeur de courage, ne luy euſt iamais gaigné. Genealogie d’Hercule.Hercule fut fils de Iupiter & d’Alcmene, ſelon Orphee au voyage de la toiſon d’or, ſuiuant la plus commune opinion. Alcmene fut femme d’Amphitryon, Roy de Thebes, de laquelle, comme Amphitryon faiſoit la guerre aux Teleboans, peuple d’Etolie (d’autant que par promeſſe de mariage auec elle, il s’eſtoit obligé de venger ſur eux la mort de ſon pere & de ſes freres) Iupiter deuint amoureux, & pour accomplir ſa paſſion emprunta la forme dudit Amphitryon, puis entrant deuant iour ainſi deſguiſé chez Alcmene, iouyt d’elle volontairement, ſans qu’elle en fiſt autrement refus. Or les Teleboans habitoient pour lors Taphe, l’vne des iſles Echinades, ayans autrefois tenu l’Acarnanie. C’eſtoient gens agguerris qui par frequentes courſes & deſcentes endommageoient infiniment leurs voiſins. Si deſcendirent vne fois en Argos, & emmenerent les trouppeaux d’Electryon, pere d’Alcmene, à la recouſſe deſquels allant luy-meſme auec ſes fils, ils vindrent aux mains, & furent tuez à la charge : tellement qu’ils perdirent, & la vie & leur beſtail. Car comme eſcrit Herodote en la deſcription de ceſte guerre, Perſee & Andromede eurent quatre fils, Sthenel, Meſtor, Alcee, Electryon, qui aprés le decez de Perſee regnerent enſemble d’vn commun accord. Meſtor eut vne fille, Hippothee, qui eut de Neptun vn fils, nommé Pteleras, pere de Teleboas & de Taphe. Quelques-vns diſent que la guerre ſourdit entr’eux, parce que les hoirs de Teleboas redemandoient auec main forte, & l’eſpee au poing la ſucceſſion de leurs Ayeulx, qu’ils ne pouuoient de droict obtenir des Electryonides. Ainſi doncques afin qu’Alcmene, laquelle Amphitryon auoit deſia laiſſee enceinte, conceuſt auſſi & fuſt ſur-engroſſee d’vn autre fils de la ſemence de Iupiter, il depeſcha Mercure vers le Soleil, pour luy faire arreſter ſon cours l’eſpace de trois iours continuels, & conioignit trois nuicts en vne, employant tout ledict temps à fabriquer Hercule, haut de quatre coudées & vn pied quand il naſquit ; car vne seule nuict n’euſt pas eſté baſtante pour planter vn ſi grand arbre. Là deſſus Amphytrion reuint de ſa guerre : auquel Alcmene, qui penſoit reellement & de faict auoir couché auec luy, ne fit pas tant de chere ny d’accueil comme il s’attendoit. Luy s’enquerant du ſuject, elle reſpondit, que luy, ou vn ſemblable à luy l’eſtoit venu trouuer la nuict precedente ; que meſmement il luy auoit conté toutes les particularitez de ſon voyage. Alors Amphitryon communiqua cette reſponſe au Deuin Tireſias ; qui l’aſſeura ſa femme eſtre enceinte de l’operation de Iupiter. Elle accoucha doncques à Thebes, & enfanta deux fils ; Hercule de Iupiter : Iphicle d’Amphitryon, engendrez de meſme mere, mais de diuers peres. Toutefois les Poëtes ne laiſſent pas d’appeller indifferemment Hercule fils d’Amphitryon : comme entre autres Euripide en la tragedie d’Hercule inſenſé :

Qui n’a le los ouy chanter Du corriual de Iupiter Amphytrion, le fils d’Alcee, Qui fut petit fils de Perſee, Et pere du preux Herculés ?

Au propos sacré.Il eut auſſi vne ſœur Laonome, que Polypheme eſpouſa Orphee deſcrit l’admirable viſteſſe & legereté des pieds d’Iphicle :

Le mal-faiſant iamais n’euite la vengeance Des Dieux, & d’euſt-il faire autant de diligence Q’Iphicle, qui couroit ſur la pointe des bleds, Sans les faire ployer ſous le faix de ſes pieds.

Pauſanias en l’hiſtoire Bœotique dit que Iunon ſentãt le terme d’Alcmene approcher, de haine qu’elle luy portoit, & d’vne enuieuſe jalouſie ſuborna quelques ſorcieres, & les enuoya pour l’empeſcher d’enfanter. Mais Hiſtoris, fille du Deuin Tireſias les affina : car les apperceuant venir, elle ſe print à crier d’vn lieu d’où elles pouuoient aiſément l’entendre : Alcmene a enfanté. Cette parole les effraya, ſi que deceuës de leur intention elles s’en retournerent : & peu de temps aprés Alcmene accoucha. Les autres le content diuerſement, & diſent Iunon auoir requis Iupiter, que le premier qui viendroit à ſortir hors du ventre de la mere, ſçauoir eſt, ou le fils de Iupiter & d’Alcmene, ou celuy de Sthenel, Roy de Mycene, commandaſt à l’autre. Ce que Iupiter luy ayant octroyé, la Deeſſe fit tant, par l’interceſſion de Lucine, que le fils de Sthenel, qui fut nõmé Euryſthee, naſquit au ſeptieſme mois : & Alcmene, bien que ſon terme d’enfanter fuſt accomply, ne ſe pût neantmoins deliurer, à raiſon que Lucine, au lieu de luy donner allegeance, retarda ſon accouchement iuſqu’au premier iour du dixieſme mois, ſe tenant aſſiſe les doigts croiſez & entrelaſſez à guiſe d’vne chaiſne briſee, l’vn dans l’autre contre ſes genoux ; ce que l’on dit eſtre vn charme tres-nuiſible aux femmes groſſes, & à ceux qu’on medicamente. Charme contre les femmes en geſine & les bleſſez.Eumolpe au liure des myſteres ſacrez, eſcrit que Iunon ma-voulut du cõmencement Hercule pour eſtre fils d’vne de ſes concubines, qu’elle haïſſoit à mort : mais que par les prieres de Pallas elle poſa ſon ire : ſi que meſme elle l’allaitta en ſon maillot, & le fit immortel, mais deuant que deſcharger ſon cœur, la nuict ſuiuant le iour de ſa natiuité, elle luy ſuſcita deux effroyables ſerpens ſur la minuict, afin qu’en eſtant picqué ſans que perſonne l’apperceuſt, il rendiſt l’ame ; Serpens de Iunon creuez par Hercule.mais Hercule les empoignant à deux mains, les eſtreignit ſi fort qu’ils creuerent ſans en eſtre offenſé, c’eſt ce que dit Ouide en l’epiſtre de Deianire :

Dit-on que tu creuas deux ſerpens inhumains, Eſtant en ton berceau, les ſerrant à deux mains, Fils digne de Iupin ?

Ce que Theocrite exprime plus à plein au petit Hercule

Enuiron la minuict que l’Ourſe vient du pole Trouuer ſon Orion leuant ſa grande eſpaule, Iunon induſtrieuſe enuoya deux ſerpans Noirs de peau, de maints plis hideuſement rempans.

Puis-aprés il diſcourt comme Hercule ſans vagir, ſans rien craindre, les eſtouffa tous deux. Neantmoins Apollodore au 2. liure dit que Hercule auoit deſia huict mois quand il fit ce traict. Les autres, entre leſquels eſt Pherecyde, diſent que ce ne fut pas Iunon, mais bien Amphitryon qui enuoya ces Serpens, pour verifier lequel des deux eſtoit fils de Iupiter : & qu’Iphicle tout effrayé se print à pleurer & fuyr, mais que ſaiſis par Hercule ils furent eſtouffez. Voyez le chap. de Iunon.Au reſte quand Pallas (ou Iupiter, ſelon d’autres) fit ce bon office à Hercule que de luy faire teter Iunon, il luy ſucça la mammelle plus violemment que ſon aage ne portoit ; qui fut cauſe qu’elle ſentant la douleur, le repouſſa bien rudement : & l’enfant ne pouuant retenir en ſa bouche tout le laict qu’il auoit ſuccé, en laiſſa choir parmy le Ciel, qui s’eſpandant traça cette voye qu’on appelle Voye laictee.Voye de laict. Toutefois d’autres diſent que cette voye laictee s’imprima au Ciel quand Ops arrouſa de ſon laict ce caillou qu’elle preſenta à Saturne. Liure 5. chap. 2.Quelques-vns l’attribuent à Mercure, ſelon que nous l’auons amplement deſcrit en Mercure, auec le teſmoignage de M. Manilius. Maiſtres d’Hercule.Hercule venu en aage apprit de Teutar, Scythe de nation, à tirer de l’arc, ſelon Iſace. Les autres diſent de Rhadamanth, les autres des paſtres d’Amphitryon, les autres de Chiron & Theſtias : Theocrite & Apollodore diſent d’vn nommé Euryt. Il apprint auſſi les lettres de Line fils d’Apollon, la muſique, d’Eumolpe, la lutte & tels autres exercices corporels, de Harpalyc fils de Mercure & de Phanope : d’Autolyque, à mener le chariot (notez que les anciens combatans en chariot ne ſe fioient pas du tout à leurs cochers pour la conduite de leurs cheuaux, pour les raiſons que chacun peut imaginer) Amphitryon luy meſme prit la peine de luy monſtrer à manier & picquer les cheuaux. Voicy ſelon le teſmoignage de Theocrit, les maiſtres qu’il eut en chaſcune faculté :

Line fils d’Apollon par veille & diligence Apprit à cet enfant des lettres la ſcience : Mais de bander vn arc, & d’vn traict bien viſé Atteindre iuſqu’au blanc, Euryt bien auiſé, Euryt riche en terroir & biens hereditaires Luy apprit. Eumolpus façonna ſes arteres, Sa voix, pour vn beau chant muſical entonner, Ses doigts pour ſus le lut doucement fredonner, Et pour guider l’archet ſa main droite & ſeneſtre. Quand à l’eſcrime aux poings, à la lutte ou paleſtre, Qui de force de nerfs l’homme rend attentif Ou d’vn coup de gambette, ou d’vn trait inuentif A verſer ſon riual ſur le ſable : & du cæſte Ou gands garnis de plomb, de ſangles, & du reſte Des arts pour cet effect controuuez, finement L’eſtourdir, il en eut iadis l’enſeignement Et la dexterité par la ſoigneuſe cure D’Harpalyc engendré de Phanope & Mercure.

Line tué par ſon disciple.On dit que parce que Line luy auoit vn iour donné des verges, il luy deſchargea vn ſi grand coup de ſa harpe, qu’il en mourut ; A cauſe de quoy appellé en iuſtice, il plaida ſa cauſe, en defendant comme il eſtoit encore ieune garçon. Quant à l’aſtronomie il eut pour precepteur ce tres-ſage & homme de bien, Chiron le Centaure. On dit auſſi que Caſtor luy apprit à combattre tout armé. Ainſi fut-il dreſſé par de bons & excellens maiſtres en tous les arts & facultez que peut ſçauoir vn enfant de maiſon. Heraclide de Ponte eſcrit que quand il naſquit il auoit quatre coudees & vn pied de haut, comme nous auons dict. Ion de Chio & Herodote diſent qu’il auoit trois rangs de dents, & que de ſes yeux ſortirent à ſa natiuité des flammes de feu. Or d’autant qu’il eſtoit né à tel ſi qu’Euryſtee fils de Sthenel & d’Archippe, né le premier par la fraude de Iunon, auroit commandement ſur luy, il luy enioignit d’entreprendre tous les plus horribles dangers qui ſe pouuoient imaginer, quelque part qu’ils fuſſent, & de nettoyer le monde d’vne infinité de monſtres & ribleurs qui gaſtoient le pays en diuers lieux. Premier chef d’œuvre d’HerculeMais deuãt qu’entrer à ce ſeruice il fit la premiere preuue de ſa force & valeur au combat du Lion de Cytheron. Car n’ayant encores que ſeize ans (les autres diſent XVIII.) Amphitryon ſon pere l’enuoya aux champs pour garder ſon beſtail, où ce Lion qu’on appelloit communément Inuulnerable, deſcendu (diſoit-on) du cerueau de la Lune, & faiſant ſa retraite dans la foreſt de Menee entre Phlius & Cleone en Achaïe, ſe veint impetueuſement ruer ſur ſes troupeaux. Si le combatit corps à corps, & le tua. Chryſerme au deuxieſme liure de l’hiſtoire de la Moree, dict que Iunon voulant faire mourir Hercule, fut au ſecours vers la Lune, qui par art Magique remplit d’eſcume vn bahu ou coffre, d’où naſquit ce Lion. Iris le prit en ſon giron, & le porta ſur la montagne d’Ophelte, où dés le iour meſme il deuora vn berger nommé Apeſampte. Ce Lion auoit vne peau ſi dure, qu’aucunes armes, pour bien trempees qu’elles fuſſent ne la pouuoient percer : & ce par l’ordonnance de Iunon, qui vouloit mal de mort à Hercule. Il luy tira pluſieurs fleſches, mais pour neant, & ne l’en ſceut iamais bleſſer : il eut donc recours à ſa maſſuë, bien garnie de fer, cõme dit Socrate eſcriuant à Idothee, ou biẽ toute de fer, ſelon le dire de Piſandre : de laquelle il luy delaſcha tãt de coups qu’il la rompit toute. Puis prenant ce Lion à belles mains, il le deſchira auec ſes ongles, & luy arracha cette peau inuulnerable, dõt il ſe fit vne manteline que depuis il porta en guiſe de rondache. Cela fut faict en vne petite montagne de Bœoce nommee Temeſſe ; en ſuite beaucoup de preux & vaillans hommes à ſon exemple firent des boucliers de cuirs à pluſieurs doubles. Outre ce Lion Nemeen, il en tua deux autres ; l’vn ſur la montagne d’Helicon ; l’autre à Metelin, iadis Leſbos. Theſpie Roy de Bœoce ayant ouy la renommee des vaillances & proüeſſes d’Hercule, penſa beaucoup faire pour ſa maiſon, ſi de cinquante filles qu’il auoit il en pouuoit tirer par le moyen d’Hercule autant de petits fils egalans la force & valeur de ſon corps, & la ſageſſe de ſon eſprit. Cinquãte filles depucelees en vne nuict par Hercule.Pour cét effect il inuita Hercule à vn feſtin ; & apres luy auoir fait tres-bon accueil & grand chere, l’enyura ſi bien qu’il defleura toutes les ſuſdictes cinquante filles ; horſmis vne, qui, ſelon le teſmoignage de Pauſanias és Bœotiques auoit faict vœu de perpetuelle religion. On dict que toutes eurent chaſcune vn fils, excepté l’aiſnee & puiſnee, & les deux plus ieunes, qui accoucherent de gemeaux. Aucuns diſent qu’elles coucherent auec Hercule chacune vne nuict tour à tour, ce qu’on ne trouueroit pas eſtrange, ny incroyable ; & ſeroit indigne des forces incomparables d’iceluy, veu qu’il s’en eſt trouué de ſi chauds & enclins à Venus, que de faire ſa beſongne ſoixante & dix fois pour vne nuict, ſelon le dire de Theophraſte en l’hiſtoire des plantes. Et comme la gloire de la vertu d’Hercule croiſſoit de iour à autre, pource qu’ayant receu des armes de Pallas il auoit ſecouru Creon Roy de Thebes, & par la deffaite des habitans de Minye en Theſſalie, & mort d’Ergin Roy d’Orchomene aſſiegeant la ville de Thebes, deliuré le territoire Thebain du tribut qui luy auoit eſté par outrage & violence impoſé : Megare donnee en mariage à Hercule.Creon admirant ſa valeur & vertu, luy donna en mariage ſa fille Megare. Il fit ce bel exploict n’ayant encores atteint l’aage de quinze ans. Car il eſtrilla fort bien les commiſſaires qu’on auoit enuoyez auec main forte pour leuer le tribut, & les chaſſa hors du pays. Et comme Ergin eut fait ſommer Creon, demandant qu’il luy liurast entre ſes mains l’auteur de l’outrage fait à ſes gents : Creon s’eſtonna fort de ceſte audace, & fut tout preſt de ſe rendre : mais Hercule luy remit le cœur au ventre, de ſorte que donnant courage à la ieuneſſe de prendre les armes pour la deliurance de leur patrie, il tira des ſaints Temples les armes que les anciens y auoient penduës & conſacrees aux Dieux, d’autant que les Minyens apres la priſe de Thebes auoient deſarmé les Thebains, & emporté toutes leurs armes de peur qu’ils ne leur recommençaſſent la guerre. Auec ces armes il fut au deuant d’Ergin qui s’approchoit de la ville auec ſon armee, & l’accula en vn deſtroit, le battit tres-bien, mit en route toutes ſes troupes, & le tua : puis pourſuiuãt ſa victoire prit la ville d’Orchomene, mit le feu au Palais de Minye, & raſa la ville. Et pourtant Euryſthee tenant ſa vertu pour ſuſpecte, le fit venir à ſoy, commenca d’vſer de l’autorité que fatalement il auoit ſur luy. Si luy donna beaucoup de commiſſions de combattre pluſieurs qu’hommes que monſtres : auſquelles ne voulant obeïr, Iupiter luy enuoya faire ſçauoir qu’il ne les refuſaſt, & de l’Oracle meſme de Delphe entendit que la volonté des Dieux eſtoit qu’il fit douze combats tels qu’Euryſthee les luy commanderoit, dont il commenca fort à ſonger à ſoy, & s’en affliger. Car eſtant allé vers l’Oracle s’enquerir du lieu qu’il deuoit choiſir pour faire ſa demeure, la prophetiſſe Pythie luy reſpondit qu’il allaſt à Tirynthe (qu’aucuns diſent eſtre la ville de ſa natiuité, ainſi nommee de Tiryns ſœur d’Amphitryon) faire ſeruice à Euryſthee l’eſpace de douze ans, & s’acquitter d’autant de labeurs : cela faict, qu’il ſeroit receu entre les Dieux immortels. 1. Labeur d’Hercule, par le commandement d’Euryſtee, tuer le Lion Nemeen.Or Pythie luy donna lors le nom d’Hercule ; car auparauant on ne l’appelloit qu’Alcide, du nom d’Alcee ſon ayeul. Ainſi doncques il s’en alla à Tirynthe : & le premier commandement que luy fit Euryſthee, ce fut de tuer l’inuulnerable Lion de Nemee, & le luy apporter (car quelques-vns font difference entre le Lion de Cytheron, & celuy de Nemee) Anaxagoras nous conte qu’il y auoit vne grande eſtenduë de païs dans le cercle de la Lune, d’où ce Lion de Nemee eſtoit chut : mais il ne faut s’eſtonner de ceſte reſuerie, parce qu’il appelle auſſi ſottement le Soleil, vne maſſe de fer ardent, car ce n’eſt pas petite remarque de ſottiſe, quand on ne ſçait ce qu’on dit : & que neantmoins on fait eſtat de maintenir ſes imaginatiõs & ſes fantaiſies. Apres doncques qu’il eut tant tiré de fleches contre ce Lion qu’il en vuida trouſſe & carquois, ſans neantmoins le bleſſer, il le pourſuiuit auec ſa maſſuë, mais il s’alla ietter dans vne cauerne à deux huis, deſquels il ferma l’vn ſur luy : puis l’embraſſant à deux bras par le col, l’eſtreignit ſi fort qu’il l’eſtouffa, le chargea ſur ſes eſpaules, l’emporta à Mycene, où lors eſtoit Euryſthee. 2. Labeur, l’Hydre de Lerne.Secondement, il y auoit vers le lac de Lerne, au territoire d’Argos & de Mycene vne Hydre ou Serpent d’eau, femelle : de merueilleuſe grandeur & eſtrangement eſpouuentable, qui hantoit vn marais proche du lac, & auoit pluſieurs teſtes, ſuiuant le teſmoignage de Piſandre de Camire ville de Rhodes. Euryſthee luy commanda de l’aller tuer. On la trouuoit ordinairement ſous vn grand & large plane, où elle auoit eſté nourrie, vers la fontaine d’Amymone, où elle fut tuee. Cette Hydre auoit pluſieurs teſtes, comme l’on dit, entees ſur vn ſeul corps ; ſept, ſelon Naucrate Erythreen : neuf, ſelon Zenodote Epheſien ; cinquante, ſelon Heraclide de Ponte, leſquels en leur diuerſité prennent vn nombre certain, pour vn incertain, & pour vne qu’on luy coupoit, ſept renaiſſoient, ſinon qu’auec du feu l’on luy veinſt quand-& quand bruſler le demeurant du tige qui luy reſtoit au col. Ce qu’Hercule cognoiſſant, il employa le verd & le ſec pour la deffaire. On aſſeure que le fiel & venin de ce Serpent aquatique eſtoit tres-violent, & de faict peu s’en fallut que Chiron ne mouruſt d’vne fleche d’Hercule teinte & trempee au ſang de ceſte beſte, qui luy chut ſur le pied, & luy fit tant de mal, que combien qu’il fuſt immortel, toutesfois il ſouhaitta de mourir. Voyez le 4.l. ch. 12.Quelques-vns en diſent autant du Centaure Polenor, qui bleſſé d’vne ſemblable ſleche, impatient de douleur, courut lauer ſa playe dans vne riuiere deſcendant de la montagne de Lapithe en Arcadie, laquelle bleſſure empoiſonna ſi bien cette eau, qu’elle en ſuſt long temps aprés empunaiſie. Cette Hydre eſtoit beſte mal-faiſante & peſtiſere aux hommes ; elle faiſoit vn general degaſt és lieux qu’elle aſſailloit, endommageant d’vne extreme cruauté & les terres & le beſtail. On dict qu’Hercule ſe ſeruit de l’aide d’Iolas ſon neueu fils d’Iphicle, qui le mena là en charette, ou y auoit vn gros Cancre venu au ſecours de l’Hydre, qu’Hercule eſcraza ſoubs ſes pieds. Aupres de ce meſme lieu eſtoit vne foreſt où l’on auoit mis le feu, de laquelle Iolas apporta quelques tiſons allumez à ſon oncle, auec leſquels au prix qu’il abatoit quelqu’vne des teſtes de ce Serpent, il y appliquoit le feu pour eſtancher le ſang, de peur qu’il n’en ſourdiſt quelque nouuelle. Mais quelques-vns ne content pas ce labeur entre les douze d’Hercule, commandez par Euryſthee, parce qu’en cecy Iolas l’auoit ſecondé. Or puiſque nous ſommes ſur le diſcours de l’Hydre, ie croy que perſonne ne me ſçaura mauuais gré ſi ie raconte icy l’opinion de ceux qui veulent accommoder l’origine de ceſte Fable à la verité d’v- ne hiſtoire. Ils diſent donc que Sthenel, fils de Perſee fondateur de Mycene, & d’Andromede, regnant apres le decez de ſon pere, & deſirant agrandir ſon domaine, ſe reſolut de s’aſſubiettir le Roy Lerne ſon proche voiſin (iadis preſque chaſque contree auoit ſon Roy particulier) Lerne d’autre part, quoy que plus foible, libre de condition, ne pouuant endurer ſeruitude, ſe mit ſur la defenſiue : tellement que leurs pays en furent miſerablement endommagez. Or auoit le Roy Lerne ſur les frontieres de ſon Royaume vne place forte tant d’aſſiette que de main d’homme & de munitions, defenduë par vne bonne & forte garniſon qu’il entretenoit pour la garde & ſeureté du lieu, nõmee Hydre. Il aduint qu’Euryſthee affectionné au party de Sthenel, enuoya Hercule auec vne puiſſante armee pour aſſieger & prendre ce chaſteau de l’Hydre, que les aſſiegez ne defendirent pas moins viuement qu’ils eſtoient aſſaillis, faiſans pluſieurs & diuerſes preuues de leur vaillance, ne tirans aucune fleche à coup perdu, par leſquelles pluſieurs des aſſaillans perdoient la vie, & ſe ſeruans au reſte de toutes les inuentions & vſages qu’en telle neceſſité l’aſſailly peut enuoyer pour preſent de mort à celuy qui l’enuahit ; & ſi toſt qu’aucun des leurs eſtoit en combattant, ou bleſſé, ou mis à mort, ſoudain deux pour vn ſe preſentoient en defenſe. Par ce moyen ils ſouſtindrẽt le ſiege iuſqu’à ce que Lerne eut moyen de leur venir au ſecours : toutesfois à ſon grand deſaduantage & à ſa ruïne totale. Car apres pluſieurs rudes, & neantmoins doubteuſes eſcarmouches, ſe voyant renforcé de la venuë d’vn notable & puiſſant Seigneur nommé Carcin (qui ſignifie Cancre) il hazarda vne bataille, en laquelle il fut tué, ſon armee defaicte, ſon fort pris, bruſlé & razé par Hercule aſſiſté de pluſieurs ſiens parens & amis ; entre autres d’Iolas, ſon neueu, fils d’Iphicle. Voilà le diſcours de l’Hydre, que les Anciens ont depuis embroüillé de pluſieurs contes fabuleux. 3. Labeur, la biſche au pied d’airin.Tiercement, il y auoit vne Biſche ayant les pieds d’airin & la ramure d’or, vers Oenone, ſacree à Diane, qu’homme viuant ne pouuoit prendre à la courſe, & faiſoit ſa retraitte en la montagne de Mænale. Hercule ayant eu commandement de l’amener à Mycene, & ne la voulant ny tuer ny bleſſer, comme ſanctifiee qu’elle eſtoit à Diane, il fut vn an entier à la pourſuiure à la courſe, tant que laſſee & hors d’halene elle s’enfuit en la montagne d’Artemiſe en Arcadie, & comme elle eſtoit preſte de ſe ietter dans la riuiere de Ladon, il la print, la chargea ſur ſes eſpaules, & l’emporta à Mycene. Au demeurant Euryſthee fut ſi eſtonné de la valeur d’Hercule, qu’il fit faire vn vaiſſeau de cuiure, dans lequel il ſe cachoit quand il le ſentoit approcher, & ne le voulut plus laiſſer entrer dans la ville, mais luy fit poſer à la porte tous les monſtres qu’il apportoit, & par ſon herault Copree luy fit tous ces commandemens tant effroyables. Quelques-vns diſent qu’Hercule dedia depuis ceſte Biſche à Diane. 4. Labeur, le ſanglier d’Erimãthe.Quatrieſmement, comme ſelon le commandement qu’il en auoit, il marchoit pour defaire le Sanglier d’Erimante, montagne d’Arcadie, Phole l’vn des Centaures, fils d’Ixion & de Nuee le receut en ſa maiſon, luy fit tres-bonne chere, & luy perça vne piece de tres-bon vin pour l’honneur, reuerence & amitié qu’il luy portoit, ſelon que Dionyſe luy auoit commandé. Centaures defaits.Les autres Centaures ſentans l’odeur de ce bon vin, ſe fourrerent bruſquement & à l’eſtourdie chez Phole en intention de luy enleuer ſon vin. Les vns de ces Centaures eſtoient armez de grands arbres de pins qu’ils auoient arrachez auec leurs racines : les autres portoient de gros rochers, les autres des torches allumees, les autres des grandes coignees. Eſtans donc venus aux mains, Nuee mere de Phole accourut au ſecours de ſon fils, & verſant vne grande quantité d’eau rendit le chemin gliſſant. Hercule auſſi ioüant des mains en tua grand nombre, & mit le reſte en fuite. Les plus apparens & principaux chefs qui moururent en cette charge des Centaures, furent Dupon, Theree, Hippotion, Melanchet, Orie, Iſople, Daphnis, Amphion, Argie & Phrixe, tous leſquels Phole fit enterrer parce qu’ils luy eſtoient alliez, & luy meſme comme il voulut arracher la fleche du corps de l’vn d’iceux, ſe bleſſa d’auanture de la pointe dont il ne pût iamais guerir, ains mourut. Hercule l’enſeuelit honorablement en vne montagne que de ſon nom il appella Pholoé. En ce temps-là toute la Phocide eſtoit miſerablement affligee par vn monſtre de Sanglier né en la montagne d’Erimanthe, qui par la vengeance de Diane faiſoit vn pitoyable degaſt en Arcadie, ſi fut faict commandement à Hercule de l’aller aſſaillir. Ainſi doncques la deffaite des Centaures expediee, il paſſa outre, & le rencontrant apres vne longue pourſuite en vn hallier bien las de courre à trauers la nege, qui pour lors eſtoit fort haute, il l’empoigna, le garotta tout vif, & l’emporta à Euryſthee. 5. Labeur, l’eſtable d’Augias.Cinquieſmement Augias Roy d’Elide auoit vne grande vacherie de trois mille aumailles, pleine de fients. Euryſthee commanda à Hercule de l’aller curer dans vn iour. Eſtant là arriué, Augias par marché faict luy deuoit donner la dixieſme partie de toutes ſes beſtes à corne, moyennant qu’entre deux Soleils il peuſt curer ſon eſtable, ne pouuant croire que cela luy fuſt poſſible. Ce qu’ayant faict, plus d’induſtrie que de force, attirant au trauers vn canal de la riuiere d’Alphee ; Augias fit refus de luy donner ſon ſalaire le tua à coups de fleches, & donna ſa couronne & ſa ſucceſſion à ſon fils Phylee, pource qu’il auoit blaſmé l’iniure faicte par ſon pere à Hercule, & neantmoins craignant la furie d’iceluy, s’eſtoit retiré en l’iſle de Duliche (auiourd’huy Val du compere) Augias auoit la reputation d’eſtre fils du Soleil : toutefois d’autres le faiſoient fils de Neptun, d’autres de Phorbas & d’Hirmine, d’autres de Nyctee, d’autres d’Epoche, & diſoit-on que de ſes yeux ſortoient des rais ſemblables à ceux du Soleil. Neantmoins quelques-vns maintiennent qu’Hercule apres auoir accomply tous ſes labeurs, veint faire la guerre à Augias, non pas ſi toſt apres le refus & detention de ſon loyer. Augias tué & l’Elide pillee, Hercule inſtitua les ieux Olympiques dediez à Iupiter aux deſpens du butin qu’il auoit gaigné, leſquels ſe faiſoient tous les cinq ans, & luy-meſme teint le champ, prouoquant tous ceux qui voudroient faire eſſay de leur valeur & adreſſe contre luy. Mais Euryſthee ne voulut pas cõter ce labeur entre les douze qu’il luy deuoit, parce qu’il auoit faict acte de mercenaire. 6. labeur, les oyſeaux Stymphalides, Voyez le 6. ch. de ce liur.Sixieſmement, il luy fut commandé d’aller tuer vne certaine race d’oiſeaux qui dardoient leurs pennes de loing à guiſe de iauelots, & hantoient le lac de Stymphale en Arcadie où Iunon auoit eſté nourrie, & y auoit vn Temple de Diane fort celebre. Ces oiſeaux viuoient de chair humaine, ſi gros que par où ils voloient ils obſcurciſſoient la clarté du Soleil. On les appelloit Stymphalides, non pas toutesfois (diſent quelques-vns) du lac ou riuiere ou marets de Stymphale, mais d’vn preux nommé Stymphale, les filles duquel & de ſa femme furent nommées Stymphalides. Hercule les tua, pource qu’elles ne le voulurent pas loger comme elles auoient faict les Molions. Les autres ſouſtiennent que c’eſtoient voirement oiſeaux & qu’il ne les tua pas : mais qu’ayant ſeulement charge de les chaſſer du païs, Minerue luy donna des clochettes, cymbales, & autres ſonnailleries d’airain pour faire eſclatter & retentir, ſi bien qu’elles prirent telle eſpouuente de ce chariuari, qu’elles abandonnerent l’Arcadie, & ſe retirerent en l’iſle d’Aretie, c’eſt ce qu’en diſent Piſandre de Camire, Seleuque en ſes meſlanges, & Charon de Lampſaq. Apolloine au 2. liure des Argenauchers dit qu’on les appelloit auſſi Ploïdes, & que dés qu’Hercule ſe print à remuer ſes cymbales, monté ſur le haut d’vn rocher, elles prindrent la fuite auec grand bruit & tintamarre. On dict que Vulcan auoit forgé ces cymbales qui leur firent tant de frayeur, leſquelles Pallas preſta à Hercule l’allant trouuer. Il y a eu de faict és deſerts d’Arabie des oyſeaux nommez Stymphalides non plus benins aux hommes que des Lions ou des Leopards, car ils auoient le bec ſi fort que quand ils en venoient heurter quelques-vns couuerts meſmement de harnois ou de fer ou de cuiure, ils l’entaſmoyent facilement. Mais depuis pour ſe garantir de leur violence, on trouua vne eſcorce d’arbre de laquelle on ſe couuroi le corps comme d’vn plaſtron : & quand ils leur venoient faire la guerre, & les picquer de leur bec, le fichant en cette eſcorce, elle obeïſſoit bien, mais ſe refermant quand-&-quand ils y demeuroient pris comme au glu ou autre matiere bien forte, ſelon le teſmoignage de Pauſanias és Arcadiques. Ils reſſembloient fort aux Cigognes noires dites Ibis d’Egypte, oiſeaux mangeans les ſerpens, mais d’vn bec plus droict, beaucoup plus fort, & plus gros de corps. En Arabie on les appelloit auſſi Stymphalides, ſemblables peut eſtre à ceux qui s’enuolerent vn iour en Arcadie, auſquels Hercule donna la chaſſe. Timagetas a laiſſé par eſcrit, que ces Stymphalides qu’Hercule chaſſa auoient des aiſles, des becs, & des griffes de fer, pourtant il les qualifie quelquefois Sideropteres, ayans aiſles de fer ; quelquesfois Sideronyches, ayans griffes de fer ; quelquesfois Siderorynches, ayans le bec de fer. Ce ſont (ſelon l’opinion de quelquesvns) les Harpyes meſmes. 7 labeur, le Taureau de Neptun.Septieſmement, apres la chaſſe des Stymphalides s’enſuiuit la charge de prendre & d’amener ce Taureau que Neptun pour ſe venger des Candiots leur auoit ſuſcité, & couroit l’iſle de Candie, rauageant & gaſtant tout le pays. Car beaucoup d’animaux d’eſtrange grandeur & ferocité furent par l’ire & vengeance des Dieux enuoyez en Grece à diuers temps, comme les Lions de Parnaſſe, & de Nemee, les ſangliers de Calydon, dErimanthe, & de Crommyon. On dict que Minos commandant ſur toute la mer qui eſt de la Grece, ne fit point dauantage d’honneur à Neptun qu’aux autres Dieux, ſi que Neptun indigné affligea ſon pays de ce Taureau ſoufflant par les nareaux des flammes de feu. D’autres diſent, que Minos voüa vn iour à Neptun de luy ſacrifier ce qui ſe preſenteroit le premier à luy, comme nous l’auons deſcrit en Minos : & que ce Taureau ſe preſentant il le trouua ſi beau qu’il le garda pour chef de ſon troupeau, & luy en offrit vn autre, dequoy Neptun mal content luy enuoya la rage à fin qu’il ruinaſt toute la cãpagne. Les autres rapportẽt que par la fraude de Minos ce Taureau fut tranſporté en l’Attique, qui foula aux pieds pluſieurs Atheniens, au prix qu’il les rencontroit, & entr’autres Androgee fils de Minos : lequel penſant qu’on euſt traiſtreuſement faict mourir ſon fils, dreſſa vne armee, & s’en alla faire la guerre aux Atheniẽs. Tant y a qu’Hercule prit ce Taureau, & l’emmena à Euryſthee : mais pource qu’il eſtoit ſainct & conſacré, Hercule le laiſſa depuis aller, lequel fourragea & fit grand degaſt autour de Marathon auiourd’huy Maraſon (quelque temps apres Theſee le cõbattit, print en vie, & ſacrifia à Diane de Marathon.) Plutarque dit, à Apollon Delphinien. Apollodore a opinion que ce ſoit le Taureau ſur lequel Europe trauerſa la mer quãd Iupiter deſguiſé en Taureau l’enleua. 8. labeur, Baudrier d’Hippolyte.Huictieſmemẽt, Diomede Roy de Thrace, fils de Mars & de Cyrene, auoit quatre tres-fiers, tres-fougueux & tres-cruels cheuaux, Podarge, Lampon, Xante, Dine, vomiſſans du feu par la bouche & nareaux, leſquels il nourriſſoit de chair humaine à Tyride, & leur faiſoit deuorer beaucoup de pauures paſsãs. Euryſthee luy fit cõmandement de les luy amener ; ſuiuãt lequel il s’y achemina : & premierement ſe ſaiſit du Tyran qu’il fit réciproque- ment manger à ſes Cheuaux, ſecondement des Cheuaux, qu’aucuns diſent qu’il tua, autres qu’il les mena vers Euryſthee, leſquels ayant enuoyez herber en la montagne d’Olympe, les beſtes ſauuages le deuorerent. Ie ne veux oublier à dire, qu’eſtant venu vers Epidaure en vne colline il empoigna d’vne main vn Oliuier planté ſur le chemin, auquel il fit faire le tour ſans l’arracher, & luy fit prendre telle forme que les paſſans cognoiſſoient bien qu’il auoit eſté tourné, dont ils demeuroient merueilleuſement eſtonnez ; cela fit-il prés du Temple de Diane qu’on nommoit Coryphee. 9. Labeur, le Baudrier d’HipolyteNeufieſmement Euryſthee luy enchargea de luy apporter par quelque maniere que ce fuſt le Baudrier d’Hippolyte Royne des Amazones, qu’il auoit ouy dire eſtre tres-beau, & le vouloit donner à ſa fille Admete : toutesfois il y en a qui diſent qu’il n’eſtoit pas à Hippolyte : mais bien à Diilyce. Ibyque veut qu’il fuſt à la fille de Briaree. Il paſſa doncques auec vne galiote en Scythie vers les Amazones : & trouuant en ſon chemin en Bebryce (depuis dicte Bithynie, maintenant Natolie) Mygdon & Amyc freres, le voulans empeſcher de paſſer outre, il les tua, & pilla toute la Bebryce, laquelle il donna à Lyque fils de Deiphile qu’il auoit mené quand-& luy, lequel pour l’amour d’Hercule l’appella Heraclee. Amazones defaictes.Quand il fut arriué à Themyſcire, les Amazones ſe mirent en armes pour le cõbattre, & le vindrent charger. Celle qui fit la premiere charge fut Procelle, c’eſt à dire, Tempeſte, ainſi nommee pour ſon impetuoſité & viſteſſe : La ſeconde Philippis, puis Prothoë, Eribœe, Celeno, Eurybite, & Phœbo compagnes de Diane, leſquelles toutes occiſes, il prit Deianire, Aſterie, Murpe, Tecmeſſe & Alcippe priſonnieres. Voyez l. 2.c. 8. & le l. 6. ch. 8.Melanippe qui auoit acquis la reputatiõ de tres vaillãte, perdit lors la dignité qu’elle auoit de commãder aux autres. Ayant Hercule deffait les plus braues d’entre les Amazones, & mis en route les autres, il extermina entierement ceſte nation, puis donna Hippolyte à Theſee ſon compagnon de ce voyage. Heſione deliuree. Voyez li. 5. ch. 3.En ſon retour vers Euryſthee il rencontra Heſione fille de Laomedon Roy de Troye, qu’il auoit eſté contraint par l’ire & punition de Neptun ſuiuãt l’oracle diuin, d’abandonner à la mercy d’vn Phyſetere ou Baleine qu’il luy auoit ſuſcitee, laquelle il deliura de cette angoiſſe, & la rendit à ſon pere, à la charge qu’il luy donneroit pour ſa peine les cheuaux feez que Iupiter auoit donnez à Tros en recompenſe de ſon Ganymede qu’il luy auoit rauy deſguiſé en aigle, mais quand ce vint au faict & au prendre, il n’en voulut rien faire. Ce qui irrita tant Hercule, que quelque temps apres il ſurprit Troye, ſe vẽgea fort bien de la tromperie que Laomedon luy auoit faite, le tua, donna Heſione à Telamon ſon coadiuteur en beaucoup de bons affaires, qui eſtoit le premier monté ſur la muraille, & permit à ladite Heſione de rachepter celuy qu’elle voudroit des priſõniers, ſuiuant lequel octroy elle rachepta ſon frere Podarcis qui fut de puis nommé Priam, comme qui diroit Rançonné. Tmole & Telegon tuez.Theocrite faiſant mention de l’amitié qu’Hercule portoit à Telamon, dit qu’ils eſtoient enſemble à pot & à feu. Au reſte apres qu’il eut defaict les Amazones, il veint aborder chez Tmole & Telegon fils de Protee, qui faiſoient meſtier & profeſſion de lutter auec tous les paſſans, & de faire mourir tous ceux qui ſe laiſſoient vaincre par eux, ſi voulurent lutter auec luy ; mais leur iournee n’y montra gueres, car il les eſtouffa comme petits poullets. Sarpedon occis.Cela faict il mit à mort à coups de fleches Sarpedon, homme outrageux & plus qu’inhumain. Apres ceſte victoire il s’en retourna trouuer ſon bon maiſtre Euryſthee, auquel il porta le Baudrier qu’il deſiroit auoir. 10. Labeur, les Bœufs de Geryon.Dixieſmement, Euryſthee luy enioignit de luy amener les Bœufs à poil rouge de Geryon Roy d’Eſpagne, qui deuoroient les paſſans. Il ſe mit doncques en chemin pour s’en acquitter. On dict que Geryon fils de Chryſaor & de Callirhoë auoit trois corps, vn chien à deux teſtes en Erythe iſle de la mer Gaditane qu’on appelle auiourd’huy iſle de Caliz : vn dragon à ſept teſtes engendré de Typhon & d’Echidne, qui gardoient ſes Bœufs, pour diligent & ſoigneux executeur de ſes cruautez il auoit Eurytion. Hercule arriué là combattit & tua Geryon, ſon chien Orthre, ſon dragon & miniſtre Eurytion : emmena les bœufs de l’Iſle de Caliz vers Tarteſſe, c’eſt auiourd’huy Tarife, & pour lors tres-celebre ville d’Heſpagne. Ligys tué.Mais comme il les faiſoit toucher, voicy, Ligys frere d’Alebion (de qui la Ligurie prit ſon noin Prouince auiourd’huy nommee Riuiere de Gennes) le voulut empeſcher de paſſer : mais il le renuerſa mort par terre. D’autre part le Geant Alcyonee le vint attaquer vers l’Iſthme de Corinthe cependant qu’il touchoit ſes bœufs : & ietta ſur ſa compagnie vne tres-groſſe pierre qu’il auoit peſchee dans la mer Rouge, par la cheute de laquelle il aſſomma vingt quatre hommes. Apres ce beau coup il en voulut aſſener Hercule, mais il la rechaſſa fort aiſément auec ſa maſſuë, combien que douze charrettes ne l’euſſent ſceu porter, tant elle eſtoit groſſe & peſante : puis tua ſon aggreſſeur. Ladicte pierre demeura en l’Iſthme où ſe celebroient les ieux Iſthmiens. Voyez touchant les colõnes le. 9.  c. du 3. liu.Ce fut en ces quartiers là qu’il dreſſa deux colomnes comme pour bornes de ſes trauaux, deſquelles il nomma l’vne Calpe, l’autre Abyle, & les mit és confins de Libye & d’Europe. Toutefois les autheurs ne s’accordent guere bien du lieu où elles furent poſees. Car Dicearche, Eratoſthene, Polybe, & la plus grande part des autheurs Grecs les placent vers le deſtroit d’Euripe. Les Heſpagnols & les Aphricains les poſent en l’iſle de Caliz. Denys au liure de la ſituation du monde eſt de cet aduis. Prattique des Anciens Capitaines.C’eſtoit choſe que les Anciens Capitaines practiquoient, de laiſſer quelque monument de leur voyage ſur les frontieres des lieux eſquels il abordoient auec armee ou terreſtre ou nauale ſans paſſer plus outre. Ainſi Bacchus eleua deux grãdes colomnes vers l’Orient : Alexandre paruenu iuſques au bout des Indes, y planta des Autels, pour bornes de ſon voyage des Indes, ſur leſquels il fit faire vn honorable ſeruice aux Dieux, ſelon le teſmoignage de Strabon au 3. liure. Dercyle & Alebion desfaits.Or comme Hercule emmenoit ſes bœufs d’Heſpagne en Lybie, Dercyle & Alebion fils de Neptun eſmorſez de la beauté d’iceux, les luy emblerent, & les toucherent en la Toſcane. Auint qu’vn Taureau s’enfuit de la troupe & paſſa en Sicile. Pour ceſte cauſe dict-on que l’Italie porta depuis tel nom, car en ce temps-là les Toſcans appelloient vn Taureau Italos. Hercule ſe tranſporta donc en Sicile, ou arriué les Nymphes du pays luy appreſterent vn bain vers la mer. On auoit faict preſent de ce meſme Taureau à Eryx fils de Butes Roy de Sicile & de Venus (ou pluſtoſt de Lycaſte belle courtiſane, que pour ſa beauté l’on ſurnommoit Venus) lequel il ne luy voulut rendre à ſa requeſte, donc venus aux mains : Quant au cæſte, voyez le 1. c. du 5. l.Hercule luy deſchargea vn ſi grand coup de cæſte qu’il en mourut.  Toutesfois d’autres diſent qu’il ne le tua pas d’vn cæſte : mais que ſur ceſte contention ils ſe deffierent à la lutte l’vn l’autre, & que l’vn engageaſes bœufs, l’autre ſon Royaume pour le vainqueur. Eryx tué.Eryx mort, Hercule laiſſa le païs entre les mains des habitans, iuſques à ce que quelqu’vn de ſa lignee vinſt demander ſa ſucceſſion. Dorie Lacedemonien y vit pluſieurs annees apres, & y baſtit Heraclee, que les Carthageois tenans pour ſuſpecte ; comme trop puiſſante, raſerent de fonds en comble. Il chargea pareillement quelques troupes de Siciliens qui s’eſtoient miſes aux champs pour luy voler ſes bœufs : les deffit, & en tua grand nombre, entre leſquels eſtoient les principaux chefs, Leucaſpis, Pediacrat, Buphonas, Gaugatas, Cygæe, Critidas. Cela faict, il paſſa la mer d’Ionie, & emmena ſes bœufs à Euryſthee, leſquels il ſacriſia à Iunon. On dit que Geryon pour lors Roy d’Heſpagne auoit trois ſils, braues & bien practics en faict de guerre, qui pour la protection & defenſe du Royaume de leur pere ſe comportoient auec vn loüable conſeil & admirable concorde. Candiots recompenſez de leurs ſeruices.Hercule leur voulant faire la guerre leua des trouppes entre les Candiots, gents de valeur & bons à la guerre en ce temps-là, comme ayans les premiers du monde porté les armes ſous la ſolde d’autruy. Et pour les recompenſer des bons & agreables ſeruices qu’il en auoit receu, leur fit beaucoup de biens, d’honneurs & priuileges, nettoya leur pays preſque de toute la vermine & beſtes farouſches qui y eſtoient en grande quantité, ſi qu’à peine y laiſſa-il aucune ſemence, ny de ſerpents, ny de loups, ny d’Ours, ny d’autres ſemblables animaux. Le Soleil, & l’Oceã menacez par Hercule.On conte qu’Hercule apres auoir emmené ſes bœufs à Tarife, rendit au Soleil le pot qu’il luy auoit donné pour trauerſer la mer. Car on dict que comme il alloit à l’entrepriſe de ces bœufs, les rais du Soleil l’eſchaufferent vn iour outre ſon gré : de façon que de colere il banda ſon arc contre le Soleil meſme : ſi bien qu’admirant ſon courage, il luy fit preſent d’vn pot d’or, dans lequel il ſe mit à l’ombre pour paſſer la mer Oceane iuſques en Heſpagne. C’eſt ce qu’en dict Pherecyde au troiſieſme liure de ſes hiſtoires : & que comme il nauigeoit ſur l’Ocean dans ce pot, l’Ocean voulant faire preuue de la conſtance & valeur d’Hercule, luy ſuſcita vne merueilleuſe tourmente, au moyen de laquelle ſon pot flottoit auec beaucoup de danger. Alors Hercule plein de colere & de menaces banda ſon arc contre l’Ocean ; ce qu’apprehendant, il fit ceſſer la tempeſte, & calma la mer. Theolyte au deuxieſme liure des Heures eſcrit qu’il nauigea dedans vne chaudiere. Hiſtoire des Geryons.Or puiſque nous ſommes ſur le diſcours de Geryon, il ne ſera pas mauuais de reciter ceſte hiſtoire ſelon que les Heſpagnols la racontent, leſquels rapportent tout cecy non à Hercule fils d’Alcmene, mais à Hercule Ægyptien fils d’Oſiris, comme nous entendrons. Deabos, que les anciens Heſpagnols appelloient communément Gera, puis Gerſa, item Gerſon, & finalement Geryon (lequel nom en laugue Chaldaïque ſignifioit Eſtranger : car Tubal, fils de Iaphet & petit fils de Noé, s’eſtant tranſporté & habitué en cette coſte-là y introduiſit ce langage) apres la mort de Bet Roy d’Iberie, veint d’Afrique, & s’empara dudit Royaume d’Iberie, 1793. ans deuant la venuë de noſtre Seigneur Ieſus-Chriſt. Oſiris & Dionyſe ne ſont qu’vn.Oſiris Roy d’Ægypte, ayant eu auis de la tyrannie qu’il y exerçoit, ſe mit aux champs auec vne forte & puiſſante armee pour la deliurance de l’Iberie (c’eſt celuy meſme que les Grecs & Latins ont nommé Dionyſe, que les Poëtes confondent auec Bacchus fils de Iupiter & de Semelé) en laquelle eſtant entré il combattit Geryon en la plaine de Tartaſſe, qu’on nomme maintenant Tarife, & le defit : Bataille des Geans pourquoi ainſi dite.laquelle bataille les Anciens ont chanté auoir eſté donnee entre les Dieux & les Geans, parce qu’ils reueroiẽt cet Oſiris comme vn Dieu, à cauſe de ſes hauts faits d’armes & proüeſſes qu’il auoit executees non ſeulement en Ægypte, mais auſſi en Iberie, Italie, Grece, Thrace, és Indes Orientales & pluſieurs autres endroits du monde : car il eſtoit d’vn naturel qui ne pouuoit ſouffrir regner vn tyran. Et les Geryõs d’autre coſté eſtoient d’vne famille de Geans. Oſiris ayant defait & tué Geryon, laiſſa le Royaume d’Iberie aux trois Geryõs dits Lominies, c’eſt à dire, Capitaines & gouuerneurs en chef, fils du ſuſdit Geryon 1758. ans deuant la venuë de noſtre Sauueur, leſquels mettans en oubly vn ſi grand bienfaict, ſe liguerent auec Typhon frere d’Oſiris & pluſieurs autres tyrans pour faire mourir Oſiris, Oſiris tué par ſon frere Typhon.& de fait Typhon le tua traiſtreuſement comme il s’en retournoit en Ægypte, & le mit en pluſieurs quartiers, deſquels il en enuoya vn à chacun de ſes cõplices. Oron Ly bien fils d’Oſiris (que les vns en ce tẽps-là appelloient Apollon, les autres Mars) demeurant pour lors en Scythie prouince d’Aſie outre la mer de Latana, nourriſſant en ſon ame vn deſir de venger la mort de ſon pere, ayant acquis aage competant, leua vne puiſſante armee, & paſſa en Ægypte. C’eſt cet Oton que les Anciens ont nommé Hercule Ægyptien & Lybien, & Hercule le grand, pour faire diſtinction entre luy & les autres de meſme nom. Arriué en Ægypte il tua de ſa propre main ſon oncle Typhon : puis marcha en Iberie contre les Geryons : & abordant és iſles Baleares, y laiſſa pour gouuerneur vn de ſes Capitaines nommé Balee, qui de ſon nom les appella Baleares, auiourd’huy Maillorque & Minorque. Paſſant outre il veint en l’iſle de Caliz, où il planta deux fort grandes pierres pour teſmoignages de ſes exploits. Verité des colõnes d’Hercule.Puis coſtoyant la mer, dreſſa deux très-hautes colomnes ſur le bord de la mer plus proche d’Afrique où il y a vne ville nommee Gibraltar, vis à vis de la ville de Septe en Afrique, diſtante ſeulement de trois lieües d’Africa, qui eſt la largeur de la mer entre les deux pointes d’Heſpagne & d’Afrique. Ce deſtroit s’appelle deſtroit d’Hercule, ou de Gibraltar. Au reſte Oron dict Hercule eſtant en l’iſle de Caliz, où il y auoit vne ville de meſme nom, affin d’eſpargner la vie d’vne infinité d’hommes qui l’euſſent peu prendre en vne bataille generale, appella les Geryons au combat ſeul à ſeul : & les tua l’vn apres l’autre, ayans regné quarante aus. Cela faict, il eſtablit ſon fils Hiſpale Roy d’Iberie, & paſſa en Italie, où il fit vne grande quantité de beaux exploits, & y laiſſa pour gouuerneur Atlas Italien, l’vn de ſes capitaines & compagnons, & frere d’Heſper, du nom duquel l’Italie fut nommee Heſperie ; puis retourna en Heſpagne, où apres auoir fondé & baſty pluſieurs villes, comme Lybia és monts Pyrenees, dite depuis Iulia Lybica, auiourd’huy Linca : Auſa, auiourd’huy Vicdoſona : Turiaſſo, à preſent Tarraçonne, & quelques autres, il mourut & fut enſeuely à Caliz. A Hiſpale ſucceda Hiſpan ſon fils, à cauſe duquel l’Iberie quitta ſon ancien nom, & fut appellee Hiſpania, que nous nommons Heſpagne. Voilà quant à Gerion, retournons aux labeurs d’Hercule. 11. Labeur, les pommes d’or des Heſperides.Vnzieſmement, Iunon eſpouſant Iupiter, luy donna en doüaire quantité de pommiers qui portoient des pommes d’or, qu’vn tres-vigilant Dragon gardoit chez les Nymphes Heſperides. Elles eſtoient filles d’Heſper frere d’Atlas, & ſe nommoient, Æglé, Arethuſe, Heſpertuſe, ou (comme d’autres veulent) Æglé, Erethuſe, Veſte, Erythie. Le Dragon gardien de ces pommes d’or eſtoit né de Typhon & d’Echidne. Il auoit cent teſtes, & pluſieurs ſortes de voix. Ce fut l’vnzieſme commandement qu’il eut d’Euryſtee, de luy apporter leſdites pommes d’or. Or ne sçauoit-il où les prendre. En cette perplexité, il s’addreſſe à des Nymphes qui ſe tenoient en vne cauerne prés du Pau. Elles luy firent ſçauoir qu’il en falloit auoir l’aduis de Neree, l’vn des Dieux marins. Neree le renuoye à Promethee ; lequel l’inſtruiſit à ce qu’il auoit à faire, & du moyen de tuer le Dragon. Il le fit doncques mourir ; & cueillit les pommes d’or, qu’il apporta à Euryſthee. Voyez le 7. cha. de ce liure. Des Heſperides.Les autres diſent que Promethee luy conſeilla d’y enuoyer Atlas en ſa place, & qu’il ſouſtint le Ciel cependant qu’il iroit & viendroit. Les autres veulent dire qu’il ne prit pas la charge d’Atlas pour l’enuoyer à ſes pommes, mais ſeulement de pitié qu’il eut de voir ce pauure homme porter ſi long-temps vn ſi peſant fardeau, afin qu’il euſt moyen de ſe recreer quelque peu. Mais durant ce voyage, combien d’aſſauts ſupporta-il ? combien de fois ſe fallut-il battre ? Auprés d’Echedor, riuiere de Macedoine, paſſant prés de Theſſalonique, Cygne fils de Mars le desfia à cheual ; mais Hercule lors monté ſur vn cheual nommé Arion, que Neptun transformé en eſtalon auoit engendré d’Erynne, le tua. Mars ſon pere fut tant indigné de cette mort, que pour s’en venger il eſtoit preſt de ſe battre auec Hercule, mais deuant qu’ils veinſſent à ioüer des coutteaux, Iupiter d’vn eſclat de foudre les ſepara, & les fit retirer. Aprés cela Hercule ſe ſaiſit de Neree, & combien qu’il ſe deſguiſaſt en beaucoup de formes, ſi le contraignit-il de luy dire où eſtoient ces pommiers & iardins des Heſperides. Puis comme il paſſoit des monts Pyrenees en l’Eſclauonie, & de là en Lybie, voicy ſe preſenter Antee, fils de la Terre, Roy d’Afrique, homme d’vne prodigieuſe taille, c’eſt à sçauoir, de ſoixante & quatre coudees de haut, cruel & inhumain enuers tous les eſtrangers tirans chemin, leſquels campé qu’il s’eſtoit en vn des carrefours de Lybie, au milieu des deſerts & des ſablons, où pluſieurs grands chemins ſe venoient fourcher, il contraignit de lucter auec luy, & mattez de peine, mes-aiſe & fatigue, aiſement les eſtouffoit, ayant deliberé baſtir de leurs teſtes vne chappelle à Neptun ſon pere, comme en Gece Cycnus fils de Mars. Ce compagnon vint affronter Hercule, qui par trois fois le porta par terre comme mort, mais il eſtoit de telle vertu, que toutes les fois qu’il touchoit de ſon corps la Terre, ſa mere naturelle, il ſe releuoit beaucoup plus frais, plus fort & plus robuſte qu’auparauant. Antee eſtouffé.Ce qu’Hercule apperceuant, à la vertu duquel iamais rien ne fut impoſſible, il l’empoigna par le milieu du corps, & l’eſleuant en l’air haut de terre, le tint ſi long-temps que l’halene luy dura, iuſqu’à ce qu’en fin le ſerrant de toute ſa puiſſance entre ſes bras, il luy fit rendre l’ame. Quant à moy i’eſtime que cela ne ſignifie autre choſe qu’vne maxime de medecine. Explication de la Fable d’Anthee.Qu’il faut penſer les maux par leurs contraires, comme il ſemble que le nom d’Anthee le ſignifie, toutesfois il ſe peut auſſi rapporter à beaucoup d’actions & de iugemens politiques, & au proffit de la vie humaine en general. Car attendu qu’Hercule eſt le Soleil, la terre froide de ſoy regaillardit & refait par ſa fraiſcheur ce que la trop exceſſiue chaleur auoit bruſlé par ce moyen autant de fois qu’Antee la touche, autant de fois il ſent accroiſtre & renouueller ſes forces, qui luy remettent l’ame dans le ventre comme à demy deſia enuolee. Ainſi ſçauons-nous qu’il faut appliquer aux chaudes maladies des medicamens refrigeratifs, non toutefois violens, de peur que par leur antiperiſtaſe ils n’engendrent quelque apoſtume. Pareillement en matieres ciuiles on void que les extremes rigueurs ne ſont point proffitables. Cela ſe verifie en ce qu’atteignant ſeulement la terre il reuenoit à ſoy, combien que l’ardeur du Soleil l’euſt preſque eſtouffé ; Car la force de la nature veut eſtre ſoulagee & ſecourue par ſes contraires, mais non pas aſſommee par vne trop lourde maſſe de choſes repugnantes. Or comme il aduient ordinairement qu’aprés vn long & penible exploict, lors que nous faiſons eſtat de iouyr de quelque contentement, nous mignarder en repos & plaiſir, & nous gogayer auec bon temps, comme n’ayans plus d’ennemis à combattre ; voicy tout à coup arriuer, du coſté que bien ſouuent nous craignons le moins, quelque nouuelle atteinte, pour nous apprendre que trop d’aiſe & de delices nous ſont plus nuiſibles que le continuel exercice és peines & miſeres de ce monde. Hercule fatigué, non ſeulement de la longueur du chemin, & des mes-aiſes d’iceluy, mais auſſi des combats & trauerſes que tant de prodigieux voleurs & brigands luy auoient liurez, voire ſuant encore ſang & eau pour la fraiſche defaite de cette peſte, ce loupgarou & bourreau infame d’Antee : cuidant iouyr de quelque repos pour reprendre haleine & recreer ſes forces naturelles : Pygmees desfaits.ſe vid en vn inſtant inueſty & agaſſé par vn bataillon & formiliere de Pygmees arriere parens du defunct, qui pullulans des ſablons de Lybie le viennent entourer, ainſi qu’il commençoit à s’endormir, deliberez inconſiderément de venger la querelle de l’autre. Mais tant s’en faut qu’Hercule reſueillé de ſurſaut, s’eſtonne de leurs efforts, qu’au contraire, il empoigne toute cette marmaille, & les euuelope dans ſa peau de Lion pour les emporter à Euryſthee. Buſiris & ſon train eſgorgez.En ſuitte, paſſé de Lybie en Egypte, il rencontra Buſiris, fils de Neptun, & de Lyſianaſſe, ou Lybie, Roy d’Egypte, homme ſi cruel & barbare, qu’il immoloit à Neptun ſon pere, ou (ſelon d’autres) à Iupiter, tous les eſtrangers qu’il pouuoit empoigner. La vertu d’Hercule ne peût laiſſer impunie cette horrible inhumanité, car deſcouurant le piege & embuſcade qu’il luy auoit dreſſee tout de meſme qu’aux autres paſſans, il ſe ſaiſit de Buſiris, d’Amphidamas ſon fils, & de Chalbes, Preſtre officiant ſur le maudit Autel de Buſiris, où ils ſouloient eſgorger leurs hoſtes, leſquels y furent ſemblablement par la main meſme d’Hercule ſacrifiez. Et comme il alloit à Thebes, paſſant par les montagnes de Lybie ; fit mourir, de ſon arc beaucoup de cruelles beſtes en ces deſerts-là. Emathiõ tué.Puis trauerſant l’Arabie, il trouua en ſon chemin Emathion, fils de Tithon, homme tres-dangereux, exercãt toutes ſortes de cruautez à l’endroit des paſſans, les volant & tuant, lequel il fit auſſi mourir. L’Aigle de Promethee tuee.De là paſſant aux montagnes de Caucaſe, & iuſques aux Hyperborees, il tua à coups de fleches lAigle, fille pareillement de Typhon & d’Echidne, qui rongeoit le foye de Promethee, & remit le pauure patient en liberté, rompant les liens d’Oliuier qui le tenoient garrotté contre le Caucaſe. Voyez le chapitre ſuiuant.Aprés luctant auec Achelois à Calydon ville d’Ætolie, qui s’eſtoit transformé en Taureau, il luy rompit vne corne : pour la rançon de laquelle il donna à Hercule la corne d’Amalthee fille de Harmodie, pleine de toutes ſortes de fruicts qu’il dedia à Iupiter. Or eſtant en ce pays-là il demanda à Oenee, Roy d’Ætolie, ſa fille Deianire en mariage, laquelle eſtoit promiſe à Achelois, comme nous dirons bien toſt : mais par accord faict entre-eux, le vainqueur l’emporta. Chapitre ſuivant Deianiree donee en maiage à Hercule.Comme doncques ſon beau-pere Oenee le feſtoyoit, il tua d’vn coup de poing le ſommelier d’iceluy, fils d’Architele, parce qu’en donnant à lauer il verſa par meſgarde de l’eau qui auoit ſeruy à lauer les pieds ; mais pour ce meurtre il s’abſenta auec ſa Deianire hors des terres d’Oenee. Plaiſant diſcours des enfans de Semnon.Item il prit les enfans de Semnon (femme qui ſe meſloit de dire la bonne fortune) Paſſal & Achemon, deux mauuais garçons, qui qualifioient leurs aſſaſſins, voleries, brigandages & desbauches, du nom de Recompenſe de leur valeur. Et quand leur mere les voyoit perſeuerer en leurs iniquitez & mal-verſations, les tançoit diſant : Vous n’eſtes pas encore tumbez entre les mains de Melampyge, c’eſt à dire qui a les feſſes noires, ils rioyent. Hercule donc paſſant vn iour par leur pays, ils le trouuerent endormy ſous vn arbre contre lequel il auoit appuyé ſes armes, & luy voulurent deſrober quelques hardes qu’il portoit dans vne malette : mais Hercule en oyant le bruit, s’eſueilla, & les empoignant tous deux les attacha l’vn à l’autre par les pieds, & les ietta ſur ſes eſpaules comme vne beſace, de façon que l’vn auoit le nez tourné deuers ſes parties honteuſes de deuant, & l’autre vers celles du derriere. Or n’auoit-il point de haut de chauſſes pour lors : tellement que quand ils vindrent à voir ſa vergongne & ſes parties honteuſes, ombragees de ie ne ſçay quoy fort noir, eſpais & houſſu, ſe reſſouuenans des menaces que leur mere leur auoit quelquefois faictes, ils ſe prindrent à rire de ſi grande affection, qu’Hercule en voulut ſçauoir le ſubiect, lequel ayant appris, luy qui de ſon naturel eſtoit fort facecieux, les laiſſa tous deux aller ſans leur faire autre mal. Scaure occis.Dauantage il tua Scaure prés la riuiere d’Erimante, qui faiſoit beaucoup de maux aux paſſans. Cacus aſſommé.Plus il aſſomma de ſa maſſuë Cacus à trois teſtes, fils de Vulcan, dégorgeant feu & fumee par la bouche & narines, & habitoient couſtumierement en la montagne d’Auentin, l’vne des ſept colines de Rome, où par ſes larcins & pilleries ordinaires, il endommageoit extremément ſes voiſins. Il oſa meſme s’addreſſer à Hercule : & de nuict emmena vne partie de ſon troupeau qu’il auoit laiſſé aux champs pour manger de l’herbe à la fraiſcheur de la Lune, & de peur qu’on ne peuſt deſcouurir leur trace, les tira par la queuë iuſques en ſa taſniere. Hercule ſe leuant au poinct du iour, veint cõter, ſelon ſa couſtume, ſon troupeau : & voyant qu’il en manquoit vne partie, s’en alla droit à la cauerne de Cacus pour en ſçauoir des nouuelles. Mais n’apperceuant point de veſtiges qui le peuſſent faire ſoupçonner le larcin auoir eté commis par luy, il commença à toucher le reſte deuant ſoy, bien en peine des autres. Or aduint qu’ayant outrepaſſé la grotte, les aumailles enfermees dedans, ſoit qu’elles regretaſſent la cõpagnie des autres, ou que par vn inſtinct naturel, elles les euſſent ſenties, ſe prindrent à mugler, par ce moyen Hercule deſcouurit le larcin, & s’en alla heurter à la porte de la cauerne ; laquelle Cacus ne voulant ouurir, ains ſe tenant ſur ſa defenſiue, empeſchant l’entree tant qu’il pouuoit, Hercule enfonça la porte & l’aſſomma. L’on tient que ce Cacus eſtoit vn mauuais homme, grand larron de beſtail, qui mettoit à feu & à ſang ſes voiſins pour ſe faire poſſeſſeur de leur bien : & que pour cette cauſe les Arcadiens l’appelloient Cacus, du mot Grec Kachòs, c’eſt à dire mauuais, à cauſe des maux & outrages qu’il faiſoit à ſes voiſins. Lacin mis à mort.Item il mit à mort Lacin, rauageant les frontieres d’Italie, où il commettoit de grands brigandages, & baſtit là meſme vn Temple qu’il dedia à Iunon Lacinienne. Item il pilla l’iſle de Co, & fit mourir le Roy Euripyle auec toute ſa maiſon, parce qu’ils exerçoient beaucoup de meurtres & voleries enuers tous les paſſans, Calciope rauie.& prit ſa fille Calciope, de laquelle il eut vn fils nommé Theſſale, qui donna nom à la Theſſalie. Pyrechme, Albion & Borgion tuez.Toutefois d’autres diſent qu’il ne pilla pas cette iſle pour ce ſujet-là, mais ſeulement pour iouyr de Calciope qu’il auoit priſe en amitié. Item il defit Pyrechme, Roy d’Eubœe, pource qu’à tort & ſans cauſe il ruinoit par guerre la Bœoce. Item il occit Albion & Borgion, deux grands Geans, fils de Neptun, qui le vindrent attaquer ainſi qu’il tiroit chemin vers le Roſne pour s’en aller trouuer Atlas : & tant ſe battirent enſemble que les fleſches luy manquerent, ſi qu’il ſe trouua en danger de perdre la vie, mais en tel acceſſoire il inuoqua ſon pere Iupiter : qui fit pleuuoir vne groſſe nuë de cailloux ſur ces Geans, ſous laquelle ils moururent & demeurerent enſeuelis. Depuis on appella cet endroit-là, le Champ de pierres, auiourd’huy c’eſt vn eſtang qu’on appelle l’Eſtang de Marſeillette entre Narbonne & Carcaſſonne. Cygne defaict.En ſuitte il depeſtra le pays, de Cygne, vers la riuiere de Penee, parce qu’il auoit faict mourir beaucoup de gens ſous ombre de les faire venir à quelques ieux de prix. Item il rompit la teſte à Termere, dont vint le prouerbe du mal Termerien : pource que ce Termere auoit accouſtumé de faire ainſi mourir ceux qu’il rencontroit, en choquant de ſa teſte contre la leur. Geans occis.Item il vuida le monde d’vne race de Geans que Iunon auoit nourris pour le trauerſer & luy faire la guerre, ou bien (comme dit Timarchide) qui eſtoient nez du ſang du Lion de Nemee. Polygnote en l’hiſtoire de Cyzique eſcrit que c’eſtoient des voleurs. Alcionee mis à mort.De plus il combattit & tua Alcyonee, duquel nous auons touché cy-deſſus, ce que toutefois il ne fit que premierement le Geant ne luy euſt rompu par grande outrage & vitupere douze charettes de bagage, & d’vn iect de roche tué vingt & quatre hommes & quelques aumailles, & comme il voulut derechef eſlancer cette roche contre Hercule, il la rechaſſa ſans peine auec ſa maſſuë, de laquelle il aſſomma ſon homme. Cette roche demeura en l’Iſthme de Corinthe, & diſent Theſee en l’Eſtat de Corinthe, & Theodore en la guerre des Geans, que cinquante paires de bœufs ne l’euſſent ſceu qu’à peine trainer. Au reſte, aprés auoir pacifié tout l’Eſtat d’Eſpagne, emmenant les aumailles de Geryon, Hercule en Frãceil paſſa par la Gaule Celtique (c’eſt le cœur de toute la France, & prend depuis la riuiere de Scalde, qui borne l’Alemagne & la Gaule Belgique, iuſques à la Garonne, & eſt auſſi nommee Lyonnoiſe) où il defit grande quantité de mauuais garnemens, de voleurs, larrons, & autres mal-faiſans, ſignifiez par les noms de monſtres & diuerſes ſortes de beſtes ſauuages, où tous les iours ſe iettoient parmy ſes troupes grand nombre de gens-d’armes, eſtant en ce pays d’Aulſois, en la Duché de Bourgongne, il fonda & baſtit la ville d’Alexie, non gueres loing de Langres, iadis grande & puiſſante ville, & capitalle de tout ce pays-là ; mais pour le iourd’huy reduite en forme de village, ne retenant quaſi rien de cette ancienne ſplendeur, que l’ombre de ſon nom, Alize. Puis-aprés tirant en Italie, il rendit les Alpes libres & deliures d’vn grand nombre de bandoüliers & brigands qui aſſaſſinoient & voloient les paſſans. De là trauerſant la Lombardie, le Milanois, & la Toſcane, il vint au port d’Hercule, ainſi nommé pour lors, puis coulant du long du Tibre, aborda là où depuis Rome fut baſtie, & entra dans vne petite ville nommee Palatium, encloſe depuis dans le circuit de Rome, où Potice & Pinare, principaux bourgeois de la ville, le logerent chez eux, auſquels il predit qu’il auiendroit que cette ville-là ſeroit vn iour puiſſante en biens & en proſperité. Il leur montra auſſi par quel moyen il vouloit eſtre ſeruy & adoré. Et de faict incontinent aprés la mort de Cacus, Euander Roy des Latins fit dreſſer vn grand autel pour Hercule, au lieu meſme où eſt maintenant Rome. Sacrifices de Hercule.Il ordonna donc que ſon Sacrifice ſe fiſt à matines & veſpres. Or le ſacrifice du matin accomply, reſtoit encore celuy du ſoir, auquel Potice ſe trouua de bonne heure, mais Pinare n’y vint qu’au milieu du ſeruice, les freſſures eſtans deſia mangees. Parquoy Hercule mal-content de cette tardifueté, ordonna que la famille des Pinares ſeruiroit à table cependant que celle des Potices banquetteroit. En-aprés entrant en la campagne de Cumes, qu’on appelloit la plaine de Phlegre, à cauſe du feu qui jadis y reialliſſoit hors de terre, il rencontra les ſuſdits Geans, leſquels ayans auis de ſa venuë s’eſtoient aſſemblez en gros, ſi les combattit : voire battit ſi bien, qu’auec l’ayde des Dieux la victoire luy demeura, aprés en auoir aſſommé grãd nombre, Liur. 6. chap. 12.comme nous auons dit ailleurs. D’auantage on dit qu’Hercule arriué vers Rhege en la Locride, ſe ſentant haraſſé de la fatigue du chemin, voulut repoſer vn peu, & que les cigales & les ſauterelles luy vindrent faire la guerre, ſi bien qu’il requit Iupiter que toute cette vermine s’eſuanoüyſt, comme en effect on n’en a point veu depuis en tout ce pays-là. Eryte & Cteare tuez.Item il tua Euryte & Cteare enfans de Neptun & de Molione, puis aprés il eſleua des Autels à douze Dieux, Iupiter, Neptun, Iunon, Pallas, Mercure, Apollon, aux Graces, Bacchus, Diane, Alphee, Saturne & Rhee. Les autres eſtiment neantmoins qu’Hercule ne fit point la guerre aux Geans, ſinon quand ils s’eſleuerent en armes contre Iupiter. Horace eſt de cet auis au 2. des Carmes :

Ny les Lapithes inhumains, Ny trop troublé de vin Hylee : N’encor les terre-nez germains Domptez par la main Herculee, Dont le peril fit tout trembler De Saturne le palais clair.

Aprés cette victoire obtenuë par Hercule ſur les Geans, il dedia ſa maſſuë à Mercure, ſurnommé Polygie (les autres diſent, aprés auoir accomply tous ſes labeurs & deuoirs) à Trœzene : laquelle eſtoit (ce dit-on) d’Oliuier, cueilly Vers l’eſtang de Saron, & reuerdit, bourgeonna, & print ſi bien racine, qu’elle deuint vn grand & haut arbre, ce que peut eſtre nous ne trouuerons du tout eſtrange, ſi nous conſiderons ce que Virgile dit au 2. des Georgiques, que les Oliuiers meſme ſecs & morts ſe reprennent & reuiuent :

Si meſmes (qui plus eſt) d’Oliuier vne branche Par le bout inciſee, en vn tronc ſec on anche, Racines elle y prend, & vit.—

On dit que deuant que deſcendre aux Enfers il s’en alla vers la montagne d’Oete, és frontieres de Theſſalie, & quil beut de l’eau d’vne fontaine, qui par ſa violence luy fit oublier tous ſes maux paſſez : & pour ce ſuject il la nomma fontaine de Lethé, c’eſt à dire oubly : c’eſt ce qu’eſcrit Demophat en l’hiſtoire d’Ætolie. 12. labeur, le Cerbere tiré des Enfers.Tout cecy fit Hercule deuant ſa deſcente aux Enfers. Or ſembloit-il que la terre ne fuſt baſtante pour exercer la vertu d’Hercule : ſi luy fiſt Euryſthee commandement de ſe tranſporter iuſques aux manoirs infernaux, & luy amener ce monſtreux eſpouuentable chien Cerbere. Il auoit (dit-on) cinquante teſtes de chien, le reſte, & la queuë de Dragon. Ainſi doncques aprés auoir preſenté vn ſolemnel Sacrifice aux Dieux, il ſe fourra dans vn antre, ſous le cap de Tenar, és marches de Lacedemone, par lequel il vint aborder à la riuiere d’Acheron : Voyez liure 3. chap. 5. l’expoſition de la deſcente aux Enfers par Hercule.laquelle paſſee, puis toutes les autres eaux ſouſterraines, il rencontra Theſee, aſſis ſur vn rocher, & Pirithoüs, mais parce que cettuy-cy y eſtoit venu de gayeté de cœur, il le laiſſa là, deliurant Theſee, qui n’y eſtoit deſcendu que par obligation de promeſſe. Bouuier des Enfers entouffés.Lors il tua Menœte, fils de Ceuthonyme, bouuier des Enfers, pource que comme il fut preſt d’empoigner Cerbere, il ſe vint oppoſer à luy, mais Hercule le ſaiſiſſant par le fau du corps, l’eſtreignit ſi rudemẽt qu’il luy froiſſa tous les os. Cerbere eſtoit ſur le ſueil de la porte des Enfers, qui dés qu’il eut deſcouuert Hercule, gagna le palais du Roy infernal, où le pourſuiuant, il le prit, armé ſeulement de ſa peau de Lion, & d’vne cuirace, ou plaſtron ; combien qu’il n’y euſt aucun remede à la morſure d’iceluy, attendu que la ſoudaine violence de ſon venin penetroit en moins de rien iuſques à la moëlle des os. On dit qu’Hercule deſcendant aux Enfers trouua ſur le bord de l’Acheron vn peuplier blanc, ou tremble, duquel il ſe fit vne guirlande, comme le teſmoigne Olympionique au liure des plantes ; & que le dehors de chaſque fueille deuint noir à cauſe de la fumee des Enfers, depuis on eſtima cet arbre ſacré à Hercule, & ceux qui luy ſacrifioient portoient des chapeaux de ce meſme arbre, & meſme és ieux de prix on donnoit aux vainqueurs vne couronne treſſee de rameaux de tremble, en teſmoignage & memoire des labeurs & combats qu’Hercule auoit accomplis. Et d’autant qu’il ſejourna en cette entrepriſe plus qu’il n’auoit promis, Lyque Seigneur Thebain, n’eſperant pas que iamais il en peuſt reuenir, ſain & ſauue, print occaſion de s’emparer de la Couronne, deliberé d’exterminer toute la race & l’alliance des Heraclides. Et de faict il auoit deſia maſſacré le Roy Creon, eſtant ſur le poinct de faire le meſme d’Amphitryon & de Megare auec ſes enfans : quand de bonne fortune Hercule arriua de ſon voyage, & par la mort de Lyque garantit tous les ſiens du treſpas qui leur eſtoit preſent. Il emmene doncques Cerbere à Euryſthee, paſſant par Trœzene, ville de la Moree. Deſcription de l’Aconit ou Reagal.Euphorion & Herodote diſent qu’il le traina par Heraclee, que les habitans appelloient Acheruſe : & que dés qu’il apperceut le iour, il ſe prit à vomir, duquel vomiſſement naſquit le Reagal, petite racine d’herbe reſemblant au chien-dent, d’vn gouſt fort amer, qui reſerre la bouche, poind & picque le cœur, retrenche l’haleine aprés auoir refroidy le poulmon, remplit le ventre de vents, cauſe autour des tempes vn battement continuel, & rend les perſonnes inſenſees & ſtupides, ſelon ce qu’en eſcrit Apollodore Cyrenien. Theophraſte au deuxieſme liure des plantes dit que cette racine fut nõmee Aconit, parce qu’elle fut premierement trouuee parmy des queux ou pierres à aiguiſer, que les Grecs nomment akônai, leſquelles les vns diſent croiſtre à Heraclee, les autres à Tanagre, les autres à Hermione. Les Grecs l’appellent auſſi Pardalianches & Myoctonos, d’autant qu’il fait mourir les Leopards & ſouris. Quelques-vns eſcriuent qu’auſſitoſt qu’Hercule eut emmené ce chien à Euryſthee, il luy commanda de le remmener aux Enfers. D’auantage il tua Calais & Zethés ailez enfans de la Biſe, en l’iſle de Tenos contiguë à celle de Delos ; puis fit dreſſer deux colomnes ſur leurs tumbeaux : vengeant en leurs perſonnes l’outrage, qui principalement à leur ſuſcitation luy fut faict lors que les Argo-Nauchers le quitterent en Myſie, deſcendu pour aller à la queſte de ſon Hylas. Vne fois il paſſa ſans danger à trauers la Zone torride, & par de là les ſablons ardens de Lybie. Vne autre fois il fit naufrage en la mer Lybique, & perdit ſon nauire : mais ne laiſſa neantmoins d’outrepaſſer ces perilleux golfes de Syrtes à beau pied. Il print & pilla Pyle, ville en la Moree, & fit paſſer au fil de l’eſpee le Roy Nelee, & tous ceux de ſa maiſon, horſmis Neſtor ; & par meſme defaite bleſſa d’vn traict à trois pointes, Iunon venuë au ſecours de Nelee. Finalement cette Deeſſe, capitale & coniuree ennemie d’Hercule, qui par tous moyens & ſans intermiſſion taſchoit de le perdre, irritee d’ailleurs, tant de l’affrõt qu’elle auoit receu de luy & de la mort de Lyque, que de pluſieurs autres ſujets : luy ſuſcita par l’entremiſe d’Iris, l’vne des Furies, Deeſſes de rage & forcenerie, encheuelee d’vne infinité de couleuures & ſerpenteaux, qui luy ſaiſiſſant l’eſtomach & le cerueau, le tranſporta tellement hors de ſoy, qu’au lieu de trouuer quelque repos chez luy, apres auoir circui preſque tout le rond de la terre, & mis tres-heureuſement à fin toutes les plus fortes & hazardeuſes auentures qu’Euryſthee luy auoit eniointes, il troubla tellement l’eſtat de ſa maiſon, qu’en cette alienation d’eſprit il tua ſa femme Megare, & les enfans qu’il auoit eus d’elle ; ſans eſpargner meſme ceux de ſon frere Iphicle, auquel Creon auoit auſſi baillé ſa puisnee en mariage. Reuenu qu’il fut en ſon bon ſens, il eut tant d’horreur de ſon forfaict, qu’il eſtoit preſt & reſolu de ſe defaire ſoymeſme, ainſi que Theſee arriua, lequel fit tant par ſes belles & graues remonſtrances, qu’il l’en deſtourna : & pour luy faire oublier cet ennuy, l’emmena en ſon pays ; laiſſant à ſon pere putatif Amphitryon, la charge d’enſeuelir les defuncts.

Voicy les principaux chefs-d’œuure, d’Hercule, compris en peu de vers, quoy que l’ordre ſoit aucunement changé :

Le premier des trauaux endurez triompha Du Lion Cleoné : le ſecond eſtouffa, Le monſtre Lerneen par la flamme & l’eſpee. Sa troiſieſme vertu a la fierté frappee Du Sanglier d’Erimanthe, & l’acte qui ſuiuit, Du Cerf aux-pieds d’airain les cornes d’or rauit. Les Oyſeaux de Stymphale au faict cinquieſme il chaſſe. Il deſceint du Baudrier l’Amazone de Thrace Au ſixieſme trauail. En l’eſtable d’Augé Le ſeptieſme s’employe. Au huictieſme logé Eſt le los d’auoir faict du fier Taureau la priſe. Au neufieſme combat la victoire eſt compriſe Des cheuaux carnaßiers du Roy Threïcien. De Geryon occis le champ Iberien Luy ordonne la palme & loüange dixieſme. Des Heſperides ſœurs pour le triomphe onzieſme Sont les fruicts emportez, & le labeur dernier Fut quand il entraina le Chien triple goſier.

Mais outre les douze ſuſdits commandez par Euryſthee, on adiouſte le treizieſme :

Le treizieſme eſt l’eſſay de ſes forces charnelles, D’effleurer d’vne nuict, demy cent de pucelles.

Au demeurãt les voleurs & tels autres criminels, les beſtes plus cruelles du monde, les plus hideux & eſpouuentables monſtres qui ſe puiſſent trouuer, n’ont pas ſeulement ſenty combien peſoit ſon bras : Alceſtis morte reſuſcitee pat Hercule.mais auſſi deſcendant aux Enfers il rencontra Alceſtis, femme iadis d’Admet, Roy de Theſſalie, laquelle il reſuſcita, donnant l’eſpouuente à la Mort qui la detenoit, & la rendit à ſon mary, pour lequel deliurer elle s’eſtoit volontairement expoſee à la mort. Toutefois on tient que cette Fable eſt procedee comme s’enſuit. Voyez liure 6. chap. 7.Apres que Pelias eut eſté tué par ſes propres filles, Acaſte ſon fils & ſeul heritier ſe mit en deuoir de venger ſur ſes ſœurs la mort en laquelle elles auoient inhumainement ſouillé leurs mains ; mais s’eſtans ſauuees, il ne les peut atteindre. En fin ayant auis qu’Alceſtis s’eſtoit retiree à Pheres en Theſſalie par deuers le Roy Admet ſon nepueu, il s’y achemina, requerant que ſa ſœur criminelle luy fuſt miſe entre les mains pour en faire vne iuſtice exemplaire. Admet en fit refus, tant pour la conſanguinité, que pour ne luy ſembler raiſonnable de liurer vne Princeſſe retiree chez luy à refuge & ſauueté. Acaſte indigné de ce refus, en conceut telle haine contre Admet, que ſans reſpect de parenté il prit reſolution de le guerroyer, & pour ce faire aſſembla vne puiſſante armee, auec laquelle il veint pour aſſieger Admet dedans Pheres : lequel ſortant en campagne, leur rencontre fut rude & ſanglante, au deſauantage toutefois des aſſaillis. Admet deſireux de reuanche, cuidant ſurprendre ſon ennemy las & haraſſé de la iournee precedente, luy appreſta vne camiſade pour le reſueiller le lendemain à la Diane. Mais il fut ſi rudement receu pour la ſeconde fois, qu’apres vne grande tuerie de part & d’autre, Admet fut pris, & ſon armee deffaicte. Lors Acaſte le faiſant ſerrer en eſtroitte priſon, le menaça de mort s’il ne luy mettoit Alceſtis en ſa puiſſance, laquelle aduertie du piteux eſtat & du mauuais traittement de ſon bon parent & preſeruateur de ſa vie, reduit pour l’amour d’elle és mains de ſon plus inexorable & mortel ennemy ; pouſſee d’vne magnanimité non commune au ſexe feminin, s’alla de ſon bon gré rendre à celuy qui la pourſuiuoit. Par cette volontaire dedition, Acaſte modera ſa colere, puis donna congé à ſon parent. Dés lors le bruit courut qu’Alceſtis eſtoit librement morte pour ſauuer Admet, lequel nourriſſant en ſon ame vn deſir de vengeance, & recherchant tous moyens pour recourre Alceſtis priſonniere : aduint qu’Hercule paſſant par Theſſalie fut honnorablement receu & traitté par Admet. Cette amitié fut de telle efficace enuers Hercule, bien informé de tout le faict, que ioignant ſes forces à celles qui reſtoient à Admet, il alla combattre Acaſte. Lequel ne pouuant ſouſtenir le choc de celuy ſous qui toute la hauteſſe mondaine s’abaiſſoit, & qui ne pouuoit eſtre vaincu, fut entierement deſconfit. Alceſtis morte, reſuſcitee par Hercule.Alceſtis recouuree & renduë à Admet. Voila ce qui donna ſubiect de dire qu’Hercule auoit deliuré Alceſtis des Enfers. Femmes d’Hercule, Megare.Quãt aux femmes d’Hercule, on en conte pluſieurs. La premiere fut Megare, fille de Creon Roy de Thebes, de laquelle il eut huict enfans, qu’il fit eſtant inſenſé mourir par glaiue, ſelon l’opinion d’aucuns ; par feu, ſelon le dire des autres. Aucuns maintiennent qu’Euryſthee les fit mettre à mort. Car Amphitryon demeuroit à Thebes aupres de la porte d’Electre, où Hercule demeura depuis ; & là meſme les Thebains ſouloient ſolemniſer ſes funerailles auec des ieux funebres, ſelon ce qu’eſcrit Chryſippe en l’hiſtoire de Thebes : leſquels duroient toute la nuict, & ne ceſſoient point que le Soleil ne fuſt leué. Lyſimache dit que quelques eſtrangers qu’ils auoient chez eux, les tuerent en trahiſon. Les autres aſſeurent que Lyque, Roy de Thebes les occit, celuy qui voulut auoir Megare, duquel nous auõs touché cy-deſſus. Socrate a opinion qu’ils furent tuez par la fraude & infidelité d’Augee. Ses enfãs.Il n’y a pas moins de contention quant à leur nombre & noms. Denys au premier liure des cercles, n’en nomme que deux, Deicoon & Therimache : Batte au ſecond de ſon hiſtoire Attique, en nomme ſept, Polydore, Patrocle, Meciſtophon, Acinet, Toxoclyte, Menebronte, & Cherſibe. Euripide trois, Ariſtodeme, Therimache, Deicoon. Pherecide au deuxieſme liure cinq, Antimache, Clymene, Glas, Therimache, Creontias : & dit qu’eſtant hors de ſens il les ietta dans vn feu. Ænee d’Argos en conte quatre, Therimache, Creontiades, Deicoon & Deion. Herodote dit qu’Hercule fut deux fois inſenſé, & quil les tua lors qu’on les appelloit encores Alcides, non Heraclides, car nous auons deſia dict qu’on nommoit Hercule Alcide du nom de ſon ayeul Alcee ; & que le nom d’Hercule luy fut donné aprés qu’il eut ; à l’inſtigation de Iunon accomply beaucoup de combats & d’autres proüeſſes. Augé.On dit auſſi qu’il eſpouſa Augé, que ſon pere Alcee auoit enfermé auec ſon fils Telephe, engendré d’Hercule, dans vn coffre, & ietté dans la mer, & par la miſericorde de Pallas, ſauuee, veint ſurgir où le Caïque, riuiere de Myſie, ſe deſcharge en la mer, où Teuthras Roy de Myſie la recueillit. Mais quelque temps aprés Hercule la ceda à ſon fils Hylle. Philoné.Outre-plus il depucela Philoné, fille d’vn ſeigneur d’Arcadie, nommé Alcidemont, lequel dés qu’elle eut enfanté, la fit lier & garotter, & abandonner auec ſon fils aux beſtes ſauuages, en la prochaine montagne d’Oſtracin : & que lors Hercule paſſant d’auenture par ce pays-là, ouyt la voix d’vn enfant, qui contrefaiſoit la pie, pour lequel voir il ſe deſtourna de ſon chemin, & mit en liberté la mere & l’enfant, qu’il nomma Æchmagoras, & la prochaine fontaine, Ciſſe, en perpetuelle ſouuenance de la mere & enfant, deliurez par luy, parce que les Grecs appelloient vne pie, Kiſſa. Il baſtit la ville de Tyrinthe. Il fit vn grand foſſé d’enuiron cinquante ſtades, par dedãs lequel il fit couler la riuiere d’Olbe, en Arcadie, qu’en quelques endroits du pays on appelloit Aroan, ſans qu’elle endommageaſt plus aucunes terres voiſines, & la releua de chauſſees de trente pieds de haut. Omphale.En ſuitte il s’amouracha d’Omphale fille du Roy de Lydie, laquelle luy fit beaucoup de riches preſens, pour auoir tué vn monſtrueux Serpent, qui faiſoit mourir grand nombre de perſonnes vers la riuiere de Sagar : & tant l’ayma, que pour luy complaire en toutes façons, luy faiſant l’amour, il trocqua ſon carquois, ſa maſſuë, & ſa peau de Lion, qui luy ſeruoit de cuirace, contre le panier, la quenoüille, les fuſeaux, & les autres ioyaux & beatiles de femme. Voila doncques ce iadis inuincible champion faiſant pour l’amour d’vne putain beaucoup de choſes indignes de ſa qualité. Celuy qui par maniere de dire plioit ſous le faix d’vue infinité de triomphes qu’il auoit obtenus ſur Buſyris en Egypte, ſur Antee, tres-vaillant lucteur en la Mauritanie, ſur Geryon en Eſpagne, ſur Diomede en Thrace, & tant d’autres cy-deſſus ſpecifiez : qui auoit desfaict les Lions, eſtouffé les Serpens, meſme encore en maillot, qui cap à cap auoit valeureuſement combatu & enleué de ce monde tant de bandoüliers, brigands, meurtriers, & autres mal-faiſans : celuy qui n’auoit aucunement apprehendé les tenebres des Enfers, ny toutes les teſtes de l’Hydre, ny le preſſant & mortel venin de Cerbere : celuy qu’aucun hazard, tant fuſt-il enorme, n’auoit iamnais tant ſoit peu eſmeu, le voila maintenant, aprés auoir quitté ſa peau de Lion à ſa maiſtreſſe, beſongnant à l’aiguille, ou filant, aſſis au milieu d’vn tas de filles de chambre d’Omphale, habillé luy-meſme en femme, comme il luy eſt reproché dans Ouide en l’epiſtre de Deranire :

Alcide n’as-tu point, nas-tu point de vergongne, Vainqueur de mil trauaux, à ſi laſche beſongne Aſſubiettir ta main ? on te void manier La quenoüille & fuſeau, le ploton, le pannier : Ton doigt tire vn gros fil, & faut que tu parface, A ta Dame le poids egal à ſa filace. Hé combien de fuſeaux, qu’en filant tu tordois, As-tu malduit caſſé de tes robuſtes doigts ! Tu t’és ſouuent ietté (dit-on) en grand deſtreſſe, Oyant branſler le foüet, aux pieds de ta maiſtreſſe, Quand elle te menace, eſpuré, marmiteux, Tremblottant au regard de ſon œil deſpiteux.

Toutefois on ne le rauale point, qu’encore il n’ait faict vn coup de valeur durant ſes amours ; car il defit en guerre les Cercopes Epheſiens, qui contraignoient les paſſans à trauailler en leurs vignes, comme eſclaues ſans ſalaire. Les autres content ainſi le ſujet pour lequel Hercule ſe rendit ſeruiteur d’Omphale : ils diſent qu’Eurite, Roy d’Oechalie, eſtant allé trouuer Hercule pour receuoir de luy Alceſtis qu’il auoit reſuſcitee, il ne le voulut receuoir ny loger, ains le chaſſa tout inſenſé qu’il eſtoit, hors de la ville de Tyrinthe. Là deſſus Hercule fut affligé d’vne groſſe maladie, de laquelle deſirant guerir, il s’en alla au conſeil de l’Oracle, qui luy reſpondit, qu’alors il ſeroit deliuré de ſon mal, s’il s’alloit vendre à quelqu’vn auquel il fit ſeruice l’eſpace de trois ans, & donnaſt le loyer de ſon ſeruice à Euryte. Suiuant cet auis il ſe vendit à Omphale, Royne de Lydie, c’eſt pourquoy l’on dit qu’il luy fut ſeruiteur : & qu’apres auoir accomply ſon terme de ſeruice, il s’en alla faire la guerre à Troye. Les autres diſent que par le commandement de Iupiter Mercure le vendit en ſeruitude à ladicte Omphale pour auoir tué Iphite, fils du Roy Euryte : & que cela fit croire & dire qu’il l’euſt ſeruie, ayant la charge de ſes paniers à fil, laine & ſoye, de ſes quenoüilles & fuſeaux. C’eſt cette Omphale à laquelle les Lydiens firent vne grande vergongne (car ils en auoient vilainement abuſé) & pour s’en venger elle les traitta fort tyranniquement, & fit vn iour aſſembler les Dames Lydiennes auec leurs filles aux doux-coing (ainſi nommoit-on vn lieu plaiſant, où ſe commettoient toutes ſortes de des-bordemens & pollutions) où elle les enferma, expoſees à qui en voudroit abuſer à ſa fantaiſie, leur faiſant puis aprés paſſer ſes valets meſmes ſur le ventre, auec toutes les indignitez du monde. Deianire.Il eut auſſi Deianire (qu’il obtint ayant à la lucte porté par terre Achelois) fille d’Oenee, Roy d’Ætolie. Et comme il voulut paſſer la riuiere d’Euene en Ætolie, qui par les neges fonduës & les pluyes continuelles eſtoit fort creuë, & le gué tres-perilleux, ayant auec ſoy Deianire pour le ſubiect que nous auons touché ; cy-deſſus, le Centaure Neſſe, qui depuis la defaicte des Centaures par les Lapithes, ſe retira ſur le bord de cette meſme riuiere, où il ſe mit à paſſer en crouppe au lieu de bacq, les ſuruenans, ſe preſenta volontairement pour porter Deianire au delà de l’eau, ſur laquelle offre Hercule luy commettant ſa femme, trauerſa la riuiere le premier, & ſonda le gué ſans danger. Mais Neſſe eſtant encore ſur le bord de l’eau voulut forcer Deianire. Neſſe tué.Adonc Hercule ſe retournant au contraſte d’icelle, tira contre le Centaure vne fleche enuenimee du fiel de l’Hydre, & le rendit roide mort ſur la place. Toutesfois auant que rendre l’ame il eut loiſir, pour ſe venger de ſon aduerſaire, de baigner vne chemiſe dedans ſon ſang, qui auoit deſia attiré la malignité du venin, & la ſerrer ainſi ſaigneuſe en vn petit eſcrin dont il fit preſent à Deianire, la ſuppliant de vouloir en faueur & ſouuenance de ſon amitié la garder cherement, & s’en ſeruir à la premiere commodité : d’autant qu’elle contenoit vne certaine & infaillible vertu contre l’amour, que ſi ſon mary venoit vne fois à la veſtir, il n’y auoit point de plus preſent remede pour le diuertir d’aller voir les Dames, & faire que iamais il n’aymeroit autre qu’elle. Deianire croyant cette impoſture, ſerra la chemiſe pour l’employer en temps & lieu. Et depuis la riuiere d’Euene fut nommee Centaure, à cauſe de la mort de Neſſe. Iole.En ſuitte de cela Hercule s’en alla faire la guerre à Euryte, Roy d’Oechalie, qui luy auoit autrefois promis ſa fille Iole, & depuis refuſee : conquit tout le pays, chaſſa le Roy, qui s’enfuit en Eubœe, enleua ſa bien-aymee, puis dreſſa vn autel vers le cap de Cenæé pour rendre graces à Iupiter de la victoire qu’il auoit obtenuë, cela faict, enuoya Lycas, precepteur de ſon fils, pour annoncer à ſa femme qu’il reuenoit victorieux & triomphant la trouuer. Elle qui auoit la pulce à l’oreille, & ſoupçonnant fort les amours d’Iole, luy faict vn preſent à la bonne foy, de la chemiſe de Neſſe, pour luy ſeruir comme d’vn antidote contre les flammes amoureuſes de cette concubine, priant ſon cher mary de la veſtir pour l’amour d’elle. Mais il ne leut ſi toſt miſe, vne fois qu’il ſacrifioit ſur le mont Oeta, qu’il ſe ſentit accueilly d’vne eſtrange & corroſiue demangeaiſon, d’vne ardeur bruſlante, ſon corps couuert de puſtules & ampoulles : tellement que ſa chemiſe s’agglutina ſi fort contre ſon cuir, que la penſant arracher il ſe deſchiroit la peau & la chair quant-&-quant iuſques aux os, comme teſmoigne Ouide au 9. des Metamorphoſes :

Et tant eſtoit en ſes membres fichee, Qu’elle n’auoit moyen d’eſtre arrachee.

Et plus bas :

Le feu ardant qui ce mal luy faict ore, Fort viuement ſes entrailles deuore, Et au tourment qui l’afflige ainſi fort, Noire ſueur qui de ſon corps luy ſort, Ses nerfs bruſlez font bruit, par telle flame Qui griefuement ſes moëlles enflame.

En telle paſſion il empoigna de rage & de colere Lychas, & le roüant deux ou trois fois autour de ſa teſte comme pour tirer d’vne fonde, le ietta dans vne riuiere paſſant auprés des Thermopyles, montagne de Grece de fort longue eſtenduë, que les Geographes modernes, nomment ſi diuerſement, qu’il vaut mieux luy laiſſer ſon vieil nom. Ouide dit qu’il le ietta en l’air d’vne incroyable violence ;

En le lançant en la mer Euboïque, Plus roidement que d’vn engin bellique.

Lychas mué en rocher ayant forme humaine.Que toutesfois deuant que choir en la mer il fut conuerty en vn rocher de meſme nom, ayant forme humaine. Quand à luy, le feu du Sacrifice eſtant deſia allumé par Philoctete, auquel il donna ſon arc & ſa trouſſe fatale, pour faire derechef la guerre aux Troyens, ne pouuãt plus endurer tant de tourmens, il ſe ietta dans iceluy, & mourut ainſi miſerablement. Apollodore dit que Pæan mit le feu au bucher d’Hercule, & que pourtãt il luy legua ſes fleches & ſon carquois ; mais la plus commune opinion eſt que Philoctere en demeura heritier, & qu’il enſeuelit Hercule au long de la riuiere de Dyras qui paſſe à Trachyne en Theſſalie. Tranſlatiõ d’Hercule.Mais ce feu ſeruit à Hercule pour ſeulement conſumer ce qu’il auoit de mortel & corruptible ; car laiſſant dedans les flammes ſon corps caduc & periſſable, il fut par Iupin reueſtu d’vne immortalité triomphante & glorieuſe, & enleué aux cieux auec vne majeſté & reuerence diuine, au grand contentement de toute la cour celeſte, fors que de Iunon, qui toutefois n’oſa controoler la volonté de Iupiter. Mort deſeſperee de Deianire.D’autre coſté Deianire ſçachant ce qui eſtoit aduenu, ſans attendre autre iſſuë s’alla pendre & eſtrangler. Les autres diſent qu’elle ſe tua de la maſſuë d’Hercule, laiſſant vne fille Macaire, qu’elle auoit euë de luy. Il laiſſa pluſieurs autres enfans. Car cet Afer, qui donna nom à l’Affrique, fut fils d’Hercule. Item Acele, du nom duquel fut tiltree vne ville de Lycie, fut auſſi fils d’Hercule & de Malis, fille de chambre d’Omphale. Item Bentes, duquel la ville de Benteſium ; depuis dicte Brunduſium, auiourd’huy Brindes, prit ſon nom. Dauantage il eut d’Iole Lamie & Camir. Item Lyde, qui bailla ſon nom à la Lydie, auparauant dicte Mæonie. Item ſelon quelques-vns il engendra d’Omphale, Lame : de Melite fille d’Ægæe, Hylle. Laquelle Melite donna nom à ladicte iſle & à la capitalle ville d’icelle : c’eſt auiourd’huy Malte. Item Scythes, qui donna nom à la Scythie, qu’il eut d’vne femme demy-vipere. Item Hyle de Deianire. Item Sarde, duquel la Sardaigne a eu ſon nom, qui s’appelloit auparauant Ichnuſe. Item Olynthe, qui edifia vne ville de meſme nom en Thrace : & pluſieurs autres, qu’il ſeroit trop ennuyeux de rechercher, car il rauit en ſon temps vne infinité de femmes & filles pour en tirer race, cõme entre-autres Aſtydame, aprés auoir occis ſon pere Ormen, de laquelle il engendra neuf enfans : Aſtyochie, de laquelle il eut Tlepoleme : Pyrene, dont les monts Pyrenees ont eſté nommez, où elle fut auſſi enſeuelie. Voila pour ce qui touche ſes femmes & ſes enfans. Herodote en ſon Euterpe dit qu’Hercule, Dionyſe & Pan ont eſté les derniers mis & recogneus entre les douze Dieux de la Grece. Les autres eſtiment qu’il ait eſté l’vn des Dactyles Idæes, fils ſelon les vns de Iupiter, premier de ce , & ſelon les autres du troiſieſme. Voyez liure 9. chap. 7.C’eſt parce qu’il y a eu pluſieurs Hercules, teſmoing Ciceron au 3. de la nature des Dieux, diſant : Toutesfois ie voudrois bien ſçauoir lequel c’eſt qu’il faut ſur tous autres ſeruir & adorer, car ceux qui font profeßion de recercher les plus ſecrettes & cachees eſcritures, nous en nomment pluſieurs de meſme nom. Le premier, tres-ancien, & fils du plus ancien Iupiter ; car nous trouuons és eſcrits des Grecs, que pluſieurs ont porté le nom de Iupiter. De ce Iupiter cy fut fils Hercule, celuy qui eut querelle auec Apollon touchant le tripied de Delphes. Le deuxieſme fut fils du Nil, Ægyptien de nation, qui inuenta (dit-on) les lettres Phrygiennes. Le troiſieſme fut des habitans du mont Ide, duquel ils ſolemniſent les funerailles. Le quatrieſme fut fils de Iupiter & d’Aſterie ſœur de Latone, que les Tyriens honoroiẽt auec beaucoup de deuotion, de qui l’on dit que Carthage fut fille : Le cinquieſme Indien, qu’on appelle Bel. Le ſixieſme eſt cettuy-cy fils d’Alcmene, que Iupiter engendra, ouy mais Iupiter 3. de ce nom. Et cõbien qu’il y ait pluſieurs Hercules, ſi eſt-ce que toutes les actions & les proüeſſes des autres ſont attribuees à ce dernier-cy. Ce fut luy qui querella Apollon lors qu’il s’en alla à Delphes pour auoir abſolution du meurtre par luy commis en la perſonne d’Iphite : Xenoclee qui pour lors preſidoit ſur l’Oracle, ne luy voulut point donner de reſponſe, pource qu’il eſtoit pollué dudit homicide. Alors Hercule emporta le tripied hors du Temple d’Apollon : lequel le luy venant redemander, ils ſe virent preſt de venir aux mains, n’euſt eſté que Latone & Diane appaiſerent l’ire d’Apollon, & Minerue celle d’Hercule, comme eſcrit Pauſanias és Phociques. Il y en a qui content iuſques à trente Hercules. Or aprés qu’il fut placé au rang des Dieux, Iunon fit ſon appointement auec luy, & luy donna ſa fille Hebé en mariage. Inventions de Hercule.On dit qu’Hercule trouua l’vſage des bains chauds, deſquels il ſe ſeruoit fort quand il ſe ſentoit haraſſé du chemin, & que Vulcan luy en apprit la façon. On dit auſſi que ce fut le premier qui montra aux hommes à baſtir des villes, & à les peupler, & qu’il leur inſtitua des ieux & exercices corporels, ioint qu’il eſtoit le plus robuſte homme qui fuſt au monde. VoracitéAu reſte on le qualifie pour auoir eſté le plus grand mangeur qui fut iamais. Et qu’ainſi ſoit, paſſant vn iour par la Dryopie, prouince d’Albanie, lors qu’il ſe retira de la cour d’Oenee, aprés auoir d’vn coup de poing tué le ſommelier d’iceluy, parce qu’il ne luy ſeruoit pas à boire ſelon la qualité de ſa perſonne ; ſon fils Hylle s’eſgara de luy pour aller cercher à manger, & comme Lychas ſon precepteur le cerchoit, il rencontra vn certain nommé Thiodamas qui labouroit aux champs auec vne paire de bœufs, auquel il demanda à manger ; ce que refuſant le laboureur, il deſcoupla l’vn de ſes bœufs, luy couppa la gorge, le fit cuire, & tranſi de faim qu’il eſtoit, le mangea tout entier en vn iour ſans excez, car il en auoit deſia autant fait à Lytide. Les autres diſent qu’il ſacrifia ce bœuf aux Dieux, & qu’il s’en fit vne curee. Pour raiſon de cette gloute voracité, la Fouleque, oyſeau de riuiere extremément vorace luy fut conſacré. Callimache en l’hymne de Diane dit que combien qu’il ſoit deïfié, ce neantmoins il n’a rien poſé de ſon ventre, mais l’a tout auſſi gros & grand que quãd il deuora le bœuf de Thiodamas qu’il prit à la charruë. Epicharme en Buſiris deſcrit ſa gloutonnie comme il s’enſuit : On dit qu’Hercule eſtant en Triphylie, prouince d’Elide, entra en conteſte auec Lepree fils de Pyrgeo, aqui mangeroit le plus : & que chacun fit habiller vn bœuf pour ſe traitter, mais Lepre ne fut pas moins habille à depeſcher matiere que ſon corriual. Puis quand ils furent bien ſaouls, ialoux l’vn de l’autre, ils vindrent aux priſes : toutefois Lepree ne fut ſi vaillant à ioüer des coutteaux comme des dents ; car il ſe laiſſa tuer. Or pour reuenir à Thiodamas, ayant faict perte de ſon bœuf, & degueulé contre Hercule toutes les poüilles & maudiſſons dont il ſe peut auiſer, la conſtume ſe prattiqua depuis en Lydie de prendre vn bœuf à la charruë pour le ſacrifier à Hercule Buthœne ſur vn autel, qui fut en contemplation de ce faict ſurnommé Bouzigon, c’eſt à dire, Le joug de Bœuf, auec pluſieurs execrables imprecations. Puis-aprés Thiodamas entrant en la ville, fit mutiner les Dryopiens, qui prindrent les armes contre ſon mangebœuf, & le mirent en tel acceſſoire, qu’il fut contraint de faire armer iuſques à ſa femme Deianire, laquelle fut neantmoins bleſſee en vne mammelle. Toutefois aprés pluſieurs coups ruez de part & d’autre il les defit, tua Thiodamas, & emmena ſon fils Hylas eſclaue. Et à cauſe des brigandages que ce peuple-là commettoit, il les tranſporta tous en la ville de Trachyn en Theſſalie, & en la montagne d’Oeta proche de celles de la Phocide. Il print depuis ce petit Hylas en telle amitié, qu’il n’y a perſonne qui n’en ayt aſſez ouy parler. Il le mena auec luy au voyage de Colchos, mais ayant d’auenture rõpu ſa rame, mit pied à terre pour en aller coupper vn autre és foreſts de Myſie. Et parce qu’il faiſoit vne extreme chaleur, enuoya ſon mignon à la riuiere d’Aſcagne pour luy apporter de l’eau douce auec vne cruche. Mais à cauſe que la leuee de la riuiere eſtoit ſi haute, qu’il n’en pouuoit puiſer tout debout, il ſe coucha ſur le ventre ; & comme il penſa rame- ner ſa cruche pleine d’eau, elle luy eſchappa de la main : laquelle reprenant ſoudain il ne pût ſi bien faire que la peſanteur du vaiſſeau ne luy fit faire vn ſoubre-ſaut dans l’eau, où il ſe noya. Sur quoy les Poëtes prindrent ſujet de dire que les Nymphes auoient rauy Hylas. Hercule voyant qu’il ne reuenoit point en eut tant de dueil, que quittant les Argo-Nochers il courut toute la Myſie pour en ouyr nouuelles. Ce nonobſtant Ephore au 5. liure eſcrit qu’il demeura de ſon bon gré en Lydie pour l’amour d’Omphale. Pareillement Denys de Mitylene dit qu’il ne fit point le voyage ſuſdit, & n’ayda aucunement Iaſon en ce qui ſe paſſa entre luy & Medee. Herodote auſſi ne met point Hercule entre ces preux qui firent le voyage de la Colchide. Heſiode és nopces de Ceys ſouſtient qu’Hercule ſortit pour aller querir de l’eau en la Magneſie, en des fontaines qui furent nommees Aphetes, parce qu’on le laiſſa là. Liure 6. chap. 8.Nous auons au Chapitre de Iaſon cotté quelques autres raiſons ſur ce propos, que nous deporterons de reprendre icy, pour euiter redite. Anticlide au 2. liure de l’hiſtoire de Delos, eſcrit qu’Hercule perdit ſon mignon Hylas qu’il auoit enuoyé à l’eau, & ne reuint plus à luy. Or il ne faut pas s’eſtonner ſi Hercule fit vn ſi mauuais traict à Thiodamas, comme ainſi ſoit qu’il en ait bien faict d’autres auec moindre iniuſtice : comme d’auoir ruiné toute l’Oechalie pour luy auoir refuſé Iole : s’eſtre ſeruy d’Hylas comme d’vn bardache : s’eſtre ſouuent abandonné au vin iuſqu’à s’enyurer vilainement, comme luy reproche Damagete en ces vers :

Ce braue conquerant qui de douze victoires Obteint iadis l’honneur, & qui par tant de gloires Fit retentir ſon nom emmy cet Vniuers, Chemine, ſaoul de vin, chancelant de trauers, Et ne ſçait le moyen d’aſſeurer ſon allure, Vaincu du doux boüillon de Bacchus chaſſe-cure.

Surnoms d’Hercule.Quant à ſes ſurnoms, on les luy a donnez ainſi qu’aux autres Dieux ; ſelon diuerſes rencontres & effects, comme entre autres ſe trouuant vn iour en la Phrygie où les moucherons & autres ſemblables vermines luy faiſoient dure guerre, il les fit à ſa requeſte eſuanouïr. Pour cet effect fut-il ſurnommé Conopien, parce que les Grecs appellent vn moucheron Kónops. Item Alexicaque, c’eſt à dire chaſſe-mal : Ceramynte, d’autant qu’il pourſuiuit les Parques ; & autres ſemblables que chacun luy a donnez ſelon ſa fantaiſie. On dit que les Anciens ne ſeruoient pas Hercule comme Dieu, mais ſolemniſoient ſes obſeques comme d’vn Heros. Ce que Pheſte arriué en Sicyonie apperceuant, marry qu’on ne luy faiſoit autant d’honneur que ſa valeur & vertu meritoit, il ordonna qu’on roſtiſt ſur ſon Autel les quartiers d’vn aigneau immolé ; qu’on mangeaſt vne partie de la chair d’iceux, comme on faiſoit des autres offrandes, & qu’on preſentaſt l’autre partie à Hercule comme en celebrant fes funerailles. Et de faict l’hoſtie d’vn aigneau luy conuenoit fort bien, puis qu’il auoit la reputation d’eſtranger les loups des bergeries & eſtables, comme le teſmoigne Antipater en ces vers :

Mercure eſt d’vne humeur qui de peu ſe contente, Il aime fort le laict, & ſi l’on luy preſente D’vn doux miel la liqueur, c’eſt l’vn de ſes plaiſirs, Mais on ne paiſt ainſi d’Hercule les deſirs ; Car il veut d’vn mouton ou d’vn agneau l’offrande : Vn ſacrifice gras, carnaßier il demande Außi chaſſe-il les loups. Ouy da, mais quel danger Qu’vn trouppeau ſoit mangé du loup ou du berger ?

Or par l’ordonnance de ſes Sacrifices il eſtoit defendu aux femmes de ne iurer par Hercule, ny d’entrer en ſon Temple, ny d’aſſiſter à ſeſdits ſacrifices, la raiſon eſt, que comme il emmenoit les aumailles de Geryon, paſſant par l’Italie il eut ſoif, & demanda de l’eau à vne femme, qui luy fit reſponſe qu’elle ne luy en pouuoit bailler, parce que c’eſtoit la feſte des femmes, & qu’il n’eſtoit l’oiſible aux hommes de taſter de ce qu’elles auoient appreſté ; c’eſtoit vne ceremonie qui s’obſeruoit en Italie.Liure 1. chap. 16.Et en offrant leurs Sacrifices ils auoient accouſtumé de chanter les loüanges des Dieux, auec ce qu’ils auoient inuenté pour l’vtilité de la vie humaine, & leurs proüeſſes & hauts faits : comme pour exemple eſt ce que nous auons allegué de Virgile en expliquant l’vſage des Anciens hymnes. Mais ce que Corn. Tacite eſcrit au 12. liure chap. 4. pourra ſembler eſtrange, diſant : Cependant Gotarzes, (Roy de Parthe) eſtant en la montagne de Sambul inuoquoit le nom des Dieux du pays, où ils ont vne particuliere deuotion à Hercule, qui à certain temps prefix apparoiſt en ſonges à ſes Preſtres, & les aduertit de tenir prés du Temple des cheuaux enharnachez pour aller à la chaſſe. Dés qu’on a chargé ces cheuaux de carquois bien garnis de fleches, ils ſe prennent à courre par les bois, puis reuiennent la nuict, preſque outrez, rapportans leurs trouſſes toutes vuides. Lors derechef ce Dieu leur apparoiſt en viſion de nuict, & leur enſeigne quels bois ils ont couru, dans leſquels ils trouuent force beſtes çà & là giſans abatuës. Les hiſtoriens d’Egypte eſcriuent que Line fut precepteur d’Hercule l’Egyptien, celuy qui le premier inuenta les meſures & accords de muſique, & qui fut bien entendu en l’art poëtique. Entre autres diſciples il eut trois fort habiles, Orphee, Thamyris, Hercule. Hercule auoit l’entendement vn peu groſſier & peſant, ſi bien qu’il le falloit quelquefois eſueiller à coups de verges pour luy faire apprendre ſa leçon. Mais comme Line le voulut foüeter vn iour (ainſi que nous auons dit) il luy deſchargea vn ſi rude coup de ſa harpe qu’il l’aſſomma. Puis eſtant venu en aage, doüé d’vne merueilleuſe force de corps, il ſe pourmena fort parmy le monde, & dreſſa vne colomne en Lybie. On adiouſte auſſi qu’il fit auec les Dieux la guerre aux Geans. Mais ie ne trouue pas que cela puiſſe conuenir à Hercule d’Egypte. Car les Geans naſquirent deuant le temps de la guerre de Troye ; voire meſme comme diſent les Grecs, auec la premiere generation humaine, laquelle eſpace de temps contient quelques milliers d’annees. Et cette maſſuë & peau leonine conuient fort bien à cet antique Hercule, d’autant que de ſon temps on n’auoit point encore l’vſage des armes de fer, & ne ſe battoient que d’armes de bois, ſe couurans le corps de peaux de beſtes pour ſauuer les coups. Voila preſque tout ce que les Anciens nous ont appris touchant Hercule ; leſquelles choſes eſtans communes & en la bouche d’vn chacun, ie les ay ſeulement voulu refraiſchir en peu de paroles, ſans employer beaucoup de diſcours ou de teſmoignages ſuperflus pour confirmer ce qui eſt aſſez connu. Quant à ſon capital ennemy Euryſthee, après la mort d’Hercule craignãt que ſa poſterité ne ſe liguaſt contre luy, & ſe ſouuenant des outrages qu’il luy auoit faicts, il rechercha tous ceux de ſa race, qu’on appelloit Heraclides : leſquels ſe ſauuerent à Athenes, où il les enuoya redemander par des Ambaſſadeurs deſpeſchez pour cette fin : leur denonçant meſme la guerre en cas de refus. Iolas qui eſtoit deſia mort, oyant aux Enfers vne ſi damnable requeſte que faiſoit Euryſthee, demanda permiſſion à Pluton de reuiure & retourner au monde pour venger les Heraclides ſes parens & alliez : ce qu’obtenant il tua Euryſthee, puis mourut derechef.

Mythologie & expoſition des noms d’Hercule.Employons maintenant quelque peu de temps à conſiderer ce qu’ils ont voulu dire. Les Grecs appellent Hercule Heraclés, que nous pouuons expoſer, Glorieux par la haine de Iunon. Il fut fils de Iupiter & d’Alcmene, & ne ſignifie autre choſe qu’vne bonté, grandeur de courage, & excellence de forces, tant de l’eſprit que du corps, chaſſant hors de l’entendement toutes ſortes de vices en general. Cela ſe preuue par l’interpretation de ſes noms. Il fut premierement nomme Alcidés, parce qu’Alcé ſignifie force : & fils d’Alcmene, nom compoſé d’Alcé, & de Menos ſignifiant auſſi valeur ou vaillance. Ainſi doncques Hercule (ou grandeur de courage) fils de vaillance, & de Iupiter, c’eſt à dire de la diuine bonté, s’eſt acquis vn renom & vne gloire immortelle entre les viuans. Ce qu’ayant faict à l’inſtigation & pourſuitte de Iunon, à bon droict a-il obtenu vn nom procedé de Iunon & de gloire, à ſçauoir, Heracles, autrement Hercule ; car Heré, c’eſt Iunon ; & cleos, gloire. Les autres en l’explication de ce nom ne font point mention de Iunon ; diſans qu’Hercule repreſentoit à tous hommes la gloire, comme le teſmoigne cet Oracle :

Hercule, tu viuras d’vn los incorruptible Au milieu des humains auec gloire indicible.

Et cet autre :

Apollon d’Heraclés le beau ſurnom te donne : Car ta gloire à iamais en l’vniuers reſonne.

Les autres tirent ſon nom du mot Areté, c’eſt à dire, vertu, n’eſtant Hercule autre choſe que valeur, magnanimité, prudence, & la raiſon qui eſt en nous auec conſtance, & parce que telles qualitez n’eſcheent à perſonnes ſans la bonté diuine, & bonne affection de courage : c’eſt pourquoy l’on dit Hercule eſtre fils de Iupiter, & d’Alcmene, ou conſtance : car toute probité a beſoing de s’armer de patience és aduerſitez, & pour vaincre ſes appetits & conuoitiſes de la chair, & de la bonté de Dieu, qui luy ſerue de guide & de conduite, conſideré que nulle puiſſance humaine n’eſt de ſoy ſuffiſamment puiſſante. Quand à ce qu’on nous cõte de la natiuité d’Hercule & d’Euryſthee, i’ay opinion que cela concerne la force & proprieté des aſtres, c’eſt qu’Euryſthee naſquit ſous la conionction de quelques planetes heureux & fauorables, & en quelque endroit de meſme qualité, qui luy prognoſtiquoient quelque empire & ſeigneurie : Conſideration de ſa natiuité.mais qu’à la naiſſance d’Hercule il ſe fit quelque aſſemblage & alliance de planetes qui luy promettoient bien beaucoup de proüeſſes & geſtes glorieux ; mais par l’entreuenuë de quelque autre ſigne celeſte, pleins de trauaux & dangers. Et comme ainſi ſoit que cette vertu des aſtres agit ſecrettement en nous, & nous abreuue ſelon la force & nature du premie air que nous humons en naiſſant, la Fable a pris ſuject de dire, que Iupiter iura que celuy des deux qui naiſtroit le premier, commanderoit à l’autre : & que Iunon retardant le terme d’Hercule iuſques au dixieſme mois, fit qu’il fut contraint de rendre obeïſſance au premier né, & luy fut touſiours ennemie. Car ſi quelqu’vn vient à naiſtre ſouz quelque heureux horoſcope ou aſcendant de natiuité, il hume cet air ainſi diſpoſé ; & s’abbruuant de la qualité d’iceluy, ſe rend enclin aux choſes où la vertu de tels aſtres le poulſe, que ſi telle force & conionction d’eſtoilles eſt maligne, il y a moyen de l’amander par quelque moderation d’appointement. Hercule fut inſtruit par la main de Chiron demy-homme & demy-beſte ; d’autant qu’il eſt expedient qu’vn Prince ſçache & cognoiſſe la valeur & les ſaiſons & des loix & des armes. Les autres interpretent ainſi ce que Iupiter deſguiſé en la forme d’Amphitryon engendra Hercule. Que l’homme eſt comme l’inſtrument ; mais la vertu diuine & les facultez des corps celeſtes, comme les ouuriers pour mouler la generation des preux & illuſtres perſonnages. Car ny Hercule, ny autre quelconque, ne peut acquerir dela reputation ſans l’aide de Iupiter, d’autant que toute puiſſance vient de Dieu ſeul. Et pource que c’eſt peu de cas du bien que nous font nos peres & meres, en comparaiſon des biens-faicts que nous receuons tous les jours de la ſouueraine bonté de Dieu : voila pourquoy Hercule a pluſtoſt le bruit d’eſtre fils de Iupiter que d’Amphitryon, lequel fait retentir les anciennes hiſtoires, notamment les poëſies, de ſes vaillances & proüeſſes, que celles-cy accommodent à des narrations fabuleuſes, mais enueloppees d’allegories (comme nous verrons en bref) & celles là à choſes vrayes & non feintes. Car ce fut de faict vn tres-excellent & tres-valeureux chef de guerre, lequel ayant mis aux champs vne groſſe armee de bons combattans, ſe print à circuir preſque tout le rond de la terre, pour abolir les tyrannies, & deliurer le pauure peuple des oppreſſions des plus forts : Reduire par meſme moyen les peuples brutaux à plus douce & ciuile façon de viure, les poliçant à cette fin de bonnes loix & ordonnances qu’il eſtabliſſoit par tout où il paſſoit, y laiſſant des lieutenans & gouuerneurs pour contenir ſes ſubiects en paix, concorde amitié & humanité. Ce qui donna occaſion aux Poëtes de le feindre exterminateur des monſtres nuiſibles & dommageables. Nos anciens Gaulois adoroyent d’abondant Hercule pour le Dieu de prudence & d’eloquence, en forme d’vn vieil homme quaſi tout chauue, brun de viſage, creſpu & ridé, veſtu de la deſpoüille d’vn Lion, tenant de la main droicte vne maſſuë, & de la gauche vn arc, & luy pendoit des eſpaules vn carquois. Il auoit auſſi pluſieurs chainettes d’or & d’argent au bout de la langue, auec leſquelles il trainoit apres ſoy par les oreilles vn grand nombre de gens qui le ſuiuoient fort volontiers. Pour ſignifier la force de l’eloquence que nos anceſtres attribuoient au preux Hercule, ſi d’auenture Hercule & Mercure ne leur eſtoient qu’vn. Au reſte le premier des haſars eſquels Hercule fut expoſé, fut de deux Serpens, comme il eſtoit encore au berceau. Et qu’entendrons-nous par ces Serpens ? l’emulation & glorieuſe ialouſie de la vertu d’autruy ; d’autant que toute vertu eſt aucunement froide ſi elle ne ſe mire à l’imitation & patron de celle de quelque autre. C’eſt doncques bien rencontré à Hercule, de commencer par des Serpens ; parce qu’eſtant encore enfant il ſentoit deſia des aiguillons qui l’eſpoinçonnoient, non ſeulement à atteindre la gloire & valeur du Preux & Heros qui l’auoient deuancé, mais auſſi à la ſurpaſſer ; d’autant que le commencement de vertu & de vraye nobleſſe ſe deſcouure és tendres annees des enfans, quand on y apperçoit vn ardent deſir & emulation de ſuiure la trace de leurs valeureux deuanciers. Premier monſtre à cõbattre aux ieunes gens bien nez.Et quand cette bonne volonté s’eſt emprainte au cœur d’vne ieune perſonne, le premier monſtre qu’il trouue en teſte, & qu’il luy faut combattre, c’eſt l’orgueil, c’eſt la colere & felonnie, c’eſt l’arrogance & fureur de courage qu’il faut accoiſer ; & ſont repreſentees par le Lion de Nemee, qui ſe nourrit en la foreſt de l’ignorance de noſtre eſprit, & fait vn degaſt general de ſi peu qu’il y peut auoir de bon. Si n’eſt-ce pas tout ; car aprés auoir abatu ce monſtre, c’eſt à dire, appaiſé les ſuſdits troubles d’eſprit, il ne faut pas faire eſtat de viure toute noſtre vie en repos, & tranquillité, parce que beaucoup de voluptez nous guettent & nous viennent faire la guerre. C’eſt pourquoy aprés qu’Hercule eut aſſommé ce Lyon, on luy preſenta les filles de Theſpie, leſquelles il depucela toutes en vne nuict. Expoſitiõ des tyrãs & monſtres defaicts par Hercule.Et que penſons-nous que ce ſoit des Minyes, de Lyque, des Centaures, du Sanglier d’Erimanthe, & des Cheuaux de Diomede qui deuoroient les paſſans, ſinon la cruauté & tous les autres illegitimes troubles d’eſprit qu’il dompta ? Qu’eſt-ce que Theſee, ou Promethee, ou pluſieurs autres par luy deliurez des maux & des afflictions qui les preſſoient ; ſinon que c’eſt choſe bien ſeante à vn homme d’honneur de bien faire, & exercer liberalité à l’endroit de tous ceux qui ſont iniuſtement opprimez ? Car nous auons deux parties de iuſtice, l’vne de ne faire tort à perſonne ; l’autre, de ne ſouffrir qu’aucun offenſe autruy, ſi nous en auons le moyen, & de ſoulager les affligez iniuſtement. Mais parce qu’en tous affaires la temperance eſt tres-neceſſaire, d’autant que d’vn forfaict s’en enſuiuent pluſieurs autres s’entretenans enſemble comme mailles ou chaiſnons, on dit qu’Hercule tua tout en vn meſme temps ce Serpent aquatique. La chaſſe de la Biche ayant ramure d’or & pieds d’airin, ſi chaudement pourſuiuie par Hercule, & miſe à mort en la montagne de Menale, n’eſt autre choſe, ſelon l’interpretation d’Heraclite, que la coüardiſe & legereté deſignee par le naturel de cet animal ; l’auarice par l’or, & la luxure par l’airin, attribué à Venus, dont ce metal porte le nom. Leſquels vices Hercule, qui eſt la vertu, s’efforce d’exterminer de la vie humaine, comme autant de peſtes qui la corrompent. Auſſi poſa-il deux colomnes en Eſpagne au bout de l’iſle de Calix, pource qu’il n’y a lieu ny endroit où la vertu ne puiſſe penetrer, veu qu’elle paruient iuſques aux plus lointaines nations du monde habitable. Cettuy-cy meſme ayant ſuby tant de dangers, deuoré tant de trauerſes, detrapé l’Vniuers de tant de voleurs & brigands, mis à mort tant d’hideuſes beſtes, repurgé le monde de tant d’horribles monſtres, épris de l’amour d’Omphale, vint à s’abandonner à beaucoup d’actes ſales & vilains & indignes de ſes premieres actions. Pourquoy eſt-ce que les Anciens ont inſeré cecy en leurs mémoires ? ou pourquoy l’ont-ils tranſmis à leur poſterité ? Vigilance requiſe à l’hõme ſage.C’eſt pour nous faire entendre que l’homme ſage doit eſtre vigilant, auoir touſiours (comme on dit) vn œil aux chãps l’autre à la ville : d’autãt que ſi l’œil ſe deſtourne tant ſoit peu de la vertu, & qu’il vueille conniuer, ſon appetit & volonté l’emporte comme vn ragas d’eaux aux concupiſcences de la chair & plaiſirs deſordonnez eſquels il ſe perd volontairement. Luy-meſme tumba pour l’amour des femmes en vne griefue maladie ; pource que les voluptez ſe terminent par douleur, miſere & repentir trop tardif. Pour ſes rares & ſingulieres vertus il fut premierement ſeruy & reueré comme Heros, puis comme Dieu aprés ſa mort, d’autant que toute vertu attire à ſoy l’enuie des mal-veillans ; car ceux qui voyent bien qu’il n’eſt pas en leur ſuffiſance de pouuoir atteindre à la vertu des gens d’honneur & de merite, penſent faire beaucoup pour eux, ſi pour le moins, ne pouuans pis faire, ils l’obſcurciſſent par leur fauſſe langue, & quand l’autheur de telle vertu vient à defaillir, auſſi l’enuie qu’on luy portoit ceſſe entre les hommes, & la gloire des gens de bien reluit & ſe manifeſte plus euidemment. Puis donc que l’appetit & deſir des choſes plaiſantes, mais illegitimes, ou bien l’enuie des mal-veillans eſt baſtante pour auiler & obſcurcir la valeur & proüeſſe d’autruy, à bons tiltres dit Euripide en ſon Andromache :

N’appelle point heureux vn homme Parauant que le dernier ſomme Vienne pour luy voiler les yeux, Et que tu ſçaches des bas lieux Auec quels ſuccez & manières Il peut trauerſer les riuieres.

Fable d’Augias appliquée à l’histoire.Au reſte aucuns veulent accommoder les exploits d’Hercule à l’hiſtoire, comme entre autres choſes ce qu’on dit d’Augias : à ſçauoir qu’il auoit grand’quantité de beſtes à corne, qui luy rendoient tant de fient, que la plus grand’partie des terres de ſon domaine en eſtoiẽt couuertes, & empeſchoit qu’on ne les peuſt, ny labourer, ny ſemer. Car quelques-vns eſcriuent qu’il pouuoit eſtabler dans ſa vacherie iuſques à trois mille aumailles, & que cette eſtable n’auoit iamais eſté curee. Hercule doncques moyennant quelque ſalaire dont ils tumberent d’accord, deſtourna la riuiere d’Alphee par ce pays-là, qui emporta tout le fient à val l’eau, puis aprés ces terres, auparauant inutiles & oyſeuſes, venans à porter de bon grain, on luy donna le bruit d’auoir curé les eſtables d’Augias, lequel neantmoins luy refuſa ſon ſalaire promis, parce qu’il trouuoit qu’il n’auoit pas eu beaucoup de peine à cette beſongne : car beaucoup de mal-auiſez, & gens de mauuaiſe grace meſurent les labeurs des perſonnes ſelon les forces de leurs corps, non pas de l’eſprit. De Geryon.Semblablement appellent-ils Geryon à trois corps, parce qu’ils eſtoient trois freres, viuans en telle amitié & concorde qu’il n’eſtoit poſſible de plus, ſi qu’il ſembloit que ce ne fuſt qu’vne ame habitant en trois corps, ou bien (ſelon l’aduis de quelques autres) pource qu’il regnoit ſur trois iſles adiacentes à l’Eſpagne, à ſçauoir Ebuſe, Maiorque & Minorque. Et d’autãt qu’il eſtoit puiſſant ſur terre & ſur mer, cela fit dire qu’il auoit vn chien à deux teſtes. D’Anthee.Quãt à Antee de Lybie, pour autant qu’il ſçauoit bien les eſtres de ſon pays : Il ne l’y pût vaincre, mais l’ayant par ſubtils moyens & ſtratageſmes attiré hors de ſon fumier, comme on dit, il le defit aiſément. D’autre part aucuns eſtiment auſſi que cette Hydre ne deſigne autre choſe qu’vne quantité de freres viuans en vnion & concorde, mutuelle, deſquels quand il en auoit exterminé vn, il trouuoit qu’il auoit affaire à pluſieurs autres qui ſe bandoient contre luy, & luy donnoient fort à faire, s’entreſecourans & ſe refraichiſſans l’vn l’autre. Des pommes des Heſperides.Pour le regard des pommes des Heſperides, & du labeur d’Atlas, Roy de Mauritanie, ſe trouuant vn iour en grãde perplexité pour quelque affaire auquel il ne pouuoit trouuer d’expedient pour s’en depeſtrer : Hercule par la dexterité & ſageſſe de ſon cerueau luy en ouurit le moyen ; dont s’eſtant fort bien trouué, il luy fit preſent de trois brebis, lequel preſent eſtoit ſelon la portee du temps, aſſez honorable. Mais parce que le mot Grec mélon, (dont les Latins ont extraict le leur malum) ſignifie tant vne brebis qu’vne pomme, la Fable prit ſujet de dire qu’Hercule auoit emporté les pommes d’or, gardees par vn Dragon tres-vigilant au iardin des Heſperides, tué par luy, qui eſtoient, ſelon ce qu’en diſent Pline & Solin, vn ſouſpirail ou bras de mer, encernant d’vn cours ſinueux en façon de Serpent, le iardin des filles d’Heſper frere d’Atlas, où ils diſent qu’on ne remarquoit rien de tout ce qu’on dit de ce bois portant de l’or, ſinon vn oliuier ſauuage. Quelques-vns eſcriuent que les Nymphes donnerent les ſuſdites pommes à Hercule, apres qu’il eut occis Dragon, qui eſtoit le nom d’vn paſtre, mauuais homme, & faiſant de grands outrages à beaucoup de gens. Ses brebis s’appelloient brebis d’or, pource qu’elles eſtoient rouſſes comme de l’or. Mais pourquoy le blaſme-on aprés auoir gaigné tant de victoires, encouru tant de dangers, & par terre & par mer, deuoré tant de trauaux, defaict tant de voleurs, tant de malfaiſans, tant d’outrageux hoſtes, d’auoir ſi des honneſtement ſeruy à la Royne de Lydie ? D’autant qu’il eſt bien plus à craindre que nous ne nous laiſſions emporter à nos plaiſirs deſreiglez, qu’aux peines & difficultez qui nous ſuruiennent : & que c’eſt choſe plus honorable de ſe vaincre ſoy-meſme, & gouuerner les impetuoſitez de nos courages, que de conquerir tout l’Vniuers. Et ne peut-on auſſi qualifier aucun abſoluëment homme de bien, s’il ne paſſe les iours de ſon eſtre iuſques à ſa derniere heure auec vne accomplie integrité de vie.

Autre Mythologie phiſique.Les autres croyent qu’Hercule ne ſoit autre choſe que le Soleil, que pour l’amour des douze images du Zodiaque, l’on dit auoir accomply douze labeurs : & prouuent leur dire parce que Geryon fils de Callirhoé & de Chryſaor, ou de Pegaſe, eſt l’hyuer meſme. Le Soleil chaſſe les bœufs d’iceluy des plus eſloignees parties de l’Ocean és terres habitees, parce que les tonnerres, eſclairs & foudres s’engendrent d’vne exhalaiſon d’humeur, prouenãt ſur tout de l’Ocean. Car le nom de Geryon eſt extraict du mot Grec Garyein, qui ſignifie fremir & tremblotter, qui eſt le propre de l’hyuer. Et d’autant que le Soleil ſe r’approchant de nous par le Zodiaque faict renaiſtre & reuerdir comme en puberté exprimee par le mot Hebé, ce que l’hyuer ſembloit auoir eſtouffé ; c’eſt pourquoy l’on dit que Iunon, c’eſt à dire, le temperament de l’air, luy donna ſa fille Hebé en Mariage. Les autres eſtiment que par la Fable de Geryon ayant pluſieurs cuiſſes, pluſieurs mains & yeux, qui ne ſe conduiſoient que par vn meſme aduis, & conſeil, on vueille entendre, la concorde des habitans d’vne ville, qui eſt par maniere de dire imprenable, tandis que tout le monde y eſt bien vny & aſſocié en choſes iuſtes & legitimes. En ſomme faiſons eſtat que ce qui a eſté dit d’Hercule ne tend pas ſeulement à la nature du Soleil, mais auſſi à l’inſtitution de la vie humaine ; autrement pour neant publiroit-on les loüanges d’iceluy, veu que les monſtres qu’il a le bruit d’auoir abatus, ne peuuent auoir eſté tels qu’on les deſcrit : & quand bien ils auroient eſté tels, ſi ne nous nuiroient-ils de rien, ſuiuant ce que dict Lucrece au cinquieſme liure, qui comme Epicurien ne veut iamais que l’homme embaraſſe ſon cerueau d’aucune apprehenſion :

Quel mal nous feroit or’ cette gueule aboyante Du Lion Nemeen, & du Porc d’Erimanthe La dangereuſe dent ? le Taureau Creteen Dequoy nous nuiroit-il ? le monſtre Lerneen Dégorgeant vn venin par maint repli difforme, Et le triple pouuoir de Geryon triforme ? Et dequoy les Cheuaux du Roy des Thraciens, Qui paiſſent carnaßiers és parcs Biſtoniens, Et ſur le mont d’Iſmar, qu’on void du feu reluire Qu’ils lancent par le nez, dequoy pourroient-ils nuire ? Et ces oiſeaux deſquels on craind le pied fourchu En Stymphale, dequoy par leur effort crochu Sçauroient ils dommager ? Et cette horrible gueule Du Serpent au grand corps, qui de ſon chef degueule Des rais pleins de frayeur, & garde le verger Des Heſperides ſœurs, ſans iamais héberger Chez le Somme ſes yeux, ſerrant d’vne accolade Le tige aux pommes d’or ? & de quelle algarade Nous pourroit effrayer maint golfe, maint rocher Qui gronde en l’Ocean, prés deſquels approcher On ne void d’entre nous vn ſeul, & de leur rage Le Barbare eſtonné craind d’y faire naufrage ?

Que ſi l’on veut diligemment conſiderer ce que nous auons diſcouru iuſqu’à preſent d’Hercule, on trouuera que tout ce qu’on en dit concerne les mœurs & reformation de la vie humaine, & ſe peut commodément approprier à la nature du Soleil. Mais il eſt temps de paſſer outre.