Des Heſperides.
CHAPITRE XIII.
Race & noms des Heſperides.LES Heſperides ſurent filles d’Heſper, frere d’Atlas, leſquelles toutefois Eubule fait filles d’Atlas, non d’Heſper ; Chærecrate, de Phorque & de Ceto. Elles ſe nommoient Æglé, Arethuſe, Heſperthuſe, & auoient des iardins & vergers auprés de Lixe ville de la Mauritanie, où l’Empereur Claude Ceſar enuoya vne peuplade de Romains pour y habiter, ſituee és frontieres d’Æthiopie vers l’Occident, pays hauy & bruſlé du Soleil, couuert de ſable, & fort dangereux à cauſe d’vne grand’quantité de ſerpens qu’il produit, & n’eſt pas fort eſloigné de Meroé, iſle ſur le Nil, ny de la mer rouge. La y auoit vn Dragon qui gardoit leurs pommes d’or, empeſchant qu’on ny touchaſt : vne certaine Religieuſe des Heſperides auoit charge de le panſer & traitter, comme il appert de ce paſſage de Virgile au 4. liure :
Prés de l’extreme bord que l’Ocean termine,
Et vers où le Soleil ſon chef au ſomme encline,
Des Æthiopes noirs eſt tout le dernier lieu,
Où de ſon dos ſouſtient le grand Atlas l’eßieu
Cloüé d’aſtres ardens. Dedans cette contree
Vne ſage Princeſſe vn iour me fut montree
Du ſang Maßylien, garde du ſaint verger
Des Heſperides ſœurs, qui bailloit à manger
Au non-dormant Dragon, & les branches ſacrees
Dedans l’abre gardoit.—
Voyez le 7. cha. du 4. liur.Atlas’enferma ce iardin d’vne muraille tout-autour, parce que Themis luy auoit predit que l’vn des enfans de Iupiter y viendroit vn iour, & luy rauiroit ſes pommes d’or. Agretas en l’hiſtoire de Lybie dit que ces pommes d’or eſtoient des brebis qu’on appelloit les Dorees, pource qu’elles eſtoient rouſſes, comme nous en auons bien amplement diſcouru au chapitre d’Hercule. Et parce que le berger qui les gardoit, eſtoit homme inhumain, cela fit dire qu’vn Dragon les gardoit. Mais Pherecyde au 10. liure racontant les nopces de Iunon, dit, qu’il y auoit vne terre prés de la mer Oceane en la plage Occidentale, qui portoit des pommes rouſſes comme de l’or. Ce dragon eſtoit fils de Typhon & d’Echidne, & ſe nommoit Ladon ; ſuiuant le teſmoignage d’Apollonius au 4. liure qui l’appelle Terre-né, & dit que les Heſperides meſmes prenoient bien la peine de le panſer. Pauſanias auſſi dit que ce dragon eſtoit né de la terre, non pas de Typhon, & d’Echidne : & diſoit-on qu’il auoit cent teſtes, & chacune ſa propre & differente voix. Quand Hercule y fut enuoyé par Euryſthee il demeura long-temps en ſuſpens & perplexité, ne ſçachant où les aller chercher, & s’addreſſa aux Nymphes de Iupiter & de Themis, logees en vne grotte vers le Pau, pour s’enquerir d’elles où il pourroit recouurer ces pommes d’or, elles le renuoyerent à Neree, comme vous auez veu plus à plein cy deſſus. Toutefois il ne les eut pas toutes. Car Atalante, dont nous traitterons au chapitre ſuiuant, en eut trois, par le moyen deſquelles elle fut vaincuë à la courſe par Hippomene, à qui Venus les auoit baillees.
¶Mythologie hiſtorique. Heſperides rauies par Buſiris.C’eſt ce que les Anciens nous content touchant les Heſperides ; eſpluchons vn peu leur intention. Or pour exprimer l’hiſtoire de ce faict, voicy ce qui en eſt. Heſper & Atlas furent deux freres fort renommez & fameux en leur temps, leſquels (comme la principale cheuance des Anciens conſiſtoit au beſtail) auoient des troupeaux de brebis belles en perfection, rouſſes & de couleur d’or, deſquelles ils eſtoient extremément jaloux & curieux. Heſper auoit vne fille nommee Heſperide, qu’il donna en mariage à ſon frere Atlas, de laquelle il engendra ſept filles, nommees Atlantides de par leur pere, & Heſperides de par leur mere. Buſiris, Roy d’Egypte ayant ouy par le recit de pluſieurs haut-loüer la beauté & gentilleſſe de ces filles, deſpeſcha vne trouppe de voleurs & de corſaires pour les rauir & les luy amener, lors qu’Hercule combattit Antæe. Et de faict les trouuans vn iour comme elles s’eſgayoient en vn iardin, ils les enleuerent, & chargerent en leurs vaiſſeaux, puis firent voile. Mais Hercule en ayãt eu auis, les pourſuiuit tant que les rencontrans en fin comme ils diſnoient ſur le riuage de la mer, il les tua tous, & rendit les filles à leur pere : en recompenſe duquel bien-faict Atlas luy donna quelques oüailles, luy fit pluſieurs autres preſens, & luy enſeigna l’Aſtrologie, & la connoiſſance de la Sphere ; laquelle tranſportant en Grece, & la communiquant à pluſieurs, le bruit courut qu’il auoit francarché Atlas, ſouſtenant, pour le ſoulager, le Ciel ſur ſes eſpaules. Voyez le 7. cha. du 4. liure.Ainſi donc les Heſperides ſont filles, ou d’Heſper, ou d’Atlas, ſelon la diuerſité d’opinions, leſquelles ne ſont autre choſe que les Eſtoilles ; & leur pere eſt le Ciel ou le Veſpre, qui eſt comme frere du Ciel. On dit qu’elles auoient des iardins vers l’Occident, plantez de pommiers produiſans des pommes d’or, parce que la nature des Eſtoilles eſt de reluire comme or, & paroiſtre en forme ronde : & n’ont accouſtumé de ſe leuer que deuers la plage occidentale, pource que le Soleil ſe couchãt, les eſtoilles ſe montrent, ayans eſté le long du iour cachees à cauſe d’vne plus brillante clairté, à ſçauoir du Soleil, qui offuſque la leur. Que ſignifie le Dragon, gardien des pommes d’or.Mais qu’eſt-ce que ce dragon qui gardoit ces pommes & circuiſoit le iardin ? On eſtime qu’il repreſente le Zodiaque, qui eſt vn oblique cerueau en la ſphere contenant les douze ſignes celeſtes, ainſi nommé du mot Grec Zôon, c’eſt à dire animal, à cauſe des ſignes qu’il contient, leſquels on repreſente pour la pluſpart en figure d’animaux, comme le Belier, Taureau, Cancre, Lion, Scorpion & autres. Quelques-vns diſent que les pommes des Heſperides eſtoient brebis qu’elles nourriſſoiẽt vers l’Occident, en vne iſle encloſe d’vne riuiere courante auec autant de deſtours & ſinuoſitez qu’vn ſerpent peut auoir de replis, & parce qu’elle n’eſtoit pas gueable pour entrer dedãs l’iſle, cela fit dire qu’vn Dragon tortueux auoit la garde deſdites pommes. Ceux qui ſont de cet auis, diſent qu’Hercule eſpia la commodité de ſe ietter dedans en vne ſaiſon que l’eau eſtoit baſſe, & preſque tarie par ſechereſſe, d’où il emmena ces brebis en Grece. Et pour le regard de ceux qui tiennent que les Heſperides ne ſont autre choſe qu’eſtoilles, ils veulent dire qu’il tranſporta en Grece la connoiſſance de l’Aſtronomie, qui leur eſtoit encore inconnuë. Mythologie morale.Or pour recueillir en peu de mots l’intention de cette Fable, ceux que leur auarice empeſche d’auoir aucun repos en leur eſprit, & ne peuuent trouuer lieu de ſeureté, reſemblent à ce Dragon veillant nuict & iour à la garde de ces pommes d’or. Et pourtant c’eſt à bon droict que les ſages ont dict les richeſſes ſeruir aux hommes comme d’vne pierre de touche, à laquelle s’eſprouue leur eſprit, deſquelles les gens de bien & prudents s’aident comme de moyens & commoditez pour ſubuenir aux neceſſitez de leurs affaires, les employans à bons vſages, tant pour eux, que pour leurs amis & patrie : mais elles ſeruent comme de ſupplice aux meſchans & mal-auiſez, leur accroiſſans de iour à autre cette inſatiable cupidité dont ils bruſlent d’en auoir à quelque prix que ce ſoit. Auſſi eſt-ce principalement par le moyen des richeſſes qu’on connoiſt combien chacun eſt homme de bien & aymé de Dieu. Or acquittons nous de noſtre promeſſe d’Atalante.