Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VII, 14 : Des Serenes Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
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Des Serenes.

CHAPITRE XIV.

LES Serenes auſſi, monſtres pernicieux aux hommes à cauſe de la ſuauité & douce reſonnance de leurs chanſons, tant vocales qu’inſtrumentales, amadoüoient ſi bien les Nochers & paſſans en leurs quartiers, qu’elles les enſeueliſſoient en vn profond ſommeil : puis les voyans aſſopis, les tuoient & abyſmoient dedans la mer. Elles choiſiſſoient entre tous airs ceux qui le mieux plaiſoient aux paſſans, & les accommodoient ſelon qu’elles pouuoient iuger qu’ils fuſſent plaiſans & conuenables à l’humeur & qualité de ceux qui faiſoient voile en leur coſte. Origine des Serenes.Elles eſtoient filles, ſelon la fiction des Anciens, de la riuiere d’Achelois (qui faict ſeparation de l’Ætolie d’auec l’Acarnanie, & paſſe par Nicopolis, que Cæſar Auguſte, aprés la defaicte de Marc Anthoine, fonda pour marque de ſa victoire, auſſi la tiltra-il de ce nom ſignifiant Ville de victoire) & de Terpſichore. Nicander au 3. liu. de ſes transformations, dit que Melpomene fut mere des Serenes : les autres diſent Sterope : les autres Calliope. Ouide au cinquieſme des Metamorphoſes dit qu’elles eſtoient en la compagnie de Proſerpine lors que Pluton l’enleua, & que l’ayans perduë elles ſe mirent en deuoir de la chercher par toute la terre vniuerſelle : mais n’en pouuant auoir nouuelles, afin que la mer peuſt auſſi rendre teſmoignage de leur diligence & bonne volonté, elles ſupplierent les Dieux de leur donner des aiſles pour voler tout autour de la grand’mer. Leur priere fut exaucee, & leurs coſtez garnis d’ailes. Mais ne la trouuans non-plus en mer qu’en terre, d’impatience, de douleur & faſcherie le bas de leur corps fut mué en forme d’oiſeaux : Toutefois afin que leur belle voix ne perdiſt l’efficace de chanter, elles retindrent leur face & la parole humaine. Serenes vaincuës & plumees par les Muſes.Elles eſtoient trois, qui à la ſuſcitation de Iunon oferent bien vn iour prouoquer les Muſes, & gager à qui chanteroit le mieux : leſquelles vaincuës furent plumees par les Muſes, qui leur arracherent leurs ailes, & s’en firent des chapeaux qu’elles poferent ſur leurs teſtes en ſigne de victoire. Ce fut en Candie, prés de la ville nommee pour ce ſuject Aptere, c’eſt à dire, Sans-ailes, comme l’eſcrit Crobile au premier liure. Pour cette cauſe on donna depuis le bruit aux Muſes d’auoir des ailes à la teſte, horſmis vne qui eſtoit leur mere. Elles demeuroienr auprés du cap de Pelore en Sicile, ou (ſelon le dire des autres) és iſles dites des Serenes, qui ſont és dernieres marches d’Italie, ſuiuant l’auis de Strabon au premier liure, diſant que les iſles des Serenes eſtoient pierreuſes & deſertes, prés de l’iſle de Caprees. On dit qu’elles auoient le haut du corps en façon de filles, & le bas aboutiſſant en queue d’oiſeaux (autres diſent, de poiſſons.) Et pourtant Ouide au troiſieſme liure de l’art d’aimer les appelle monſtres, qui d’vne voix clair-ſonnante arreſtoient les nauires. Elles chantoient d’vne voix ſi melodieuſement amoureuſe, & pinſoient ſi mignardement leurs inſtrumens de muſique, qu’elles endormoient les paſſans, les noyoient endormis, & noyez les deuoroient. Noms des Serenes.Voicy leurs noms, Aglaope, Piſinoé, Thelxiope : ſelon Cherile ; Thelxiope, Molpe, Aglaophone : & ſelon Clearche en ſes Amours ; Leucoſe, Ligee, Parthenope. Places nommees de noms de Serenes.Strabon au 1. liure de ſa Geographie dit que cette fameuſe ville de Naples fut iadis tiltree du nom de Parthenope à cauſe de cette Serene ainſi nommee, qui mourut en cette coſte-là. Puis Phalaris, Roy de Sicile la redifia, deſtruite pour la pluſpart par la longueur des guerres, & la nomma Neapolis, c’eſt à dire Neuf-ville, ou Ville-neufue, auiourd’huy Naples. Toutefois Diodore Sicilien & Oppian ont opinion qu’Hercule l’ait fondee & qualifiee de ce nom. Strabon auſſi au 6. liure eſcrit que l’iſle de Leucoſe obtint ce nom de cette autre Serene qui en cet endroit-là ſe precipita dans la mer, & y mourut. L’vne ſouloit chanter (ce dit-on) de la voix ; l’autre de la fluſte & du flageol ; la derniere, de la harpe & du luth, afin que toutes perſonnes de quelque humeur qu’elles fuſſent ; trouuaſſent en elles dequoy contenter leurs paſſions : comme ces vers le demonſtrent :

Tout ce que peut chanter le clairon, la trompette, Et le cor enroüé, des chalemeaux le ton, Et la fluſte à cent trous, & la douce Aëdon, La harpe, lyre ou luth, & l’air piteux que iette L’oyſeau qui chante-mort, du celeſte flambeau Fuyant encor le feu, ſe tient autour de l’eau.

Effets du chant des Serenes.Il faut bien que la douceur de leurs chanſons fuſt merueilleuſement gracieuſe, puis qu’elles attiroient les hommes à leur propre ruine, & faiſoient en ſorte que s’oublians eux-meſmes, ils ſe laiſſoient manifeſtement piper & ſeduire. C’eſt pourquoy quand les Argo-Nochers paſſerent par cette coſte-là, ayans Ancæe pour pilote, Orphee dit en la deſcription de leur voyage qu’il recourut à ſon luth : & que par ſon chant il contrequarra & rebouſcha celuy des Serenes ; ſi que chantant les batailles des Dieux ſes compagnons ne peurent ouyr l’air des Serenes. Voicy comme il en parle :

Là des filles ſe void la trouppe chantereſſe, Qui d’vn air doucereux, d’vne voix charmereſſe Engeollent ceux qui vont à rames ſeillonnant Vn chemin ſur le dos de Neptun boüillonnant. Ia, ja, ce chant auoit eſmeu de ſon eſmorſe Les preux Argo-Nochers & nul n’auoit la force De voguer au deſſus des emmiellez appas Des Serenes ; deſia leur eſtoient chuts à bas Les rames de la main, & leur nef arreſtee Penſoit voir en ce lieu ſa courſe limitee.

Deſpitees de n’auoir riẽ gaigné ſur les Argonauchers.Puis ſe voyans decheuës de leur intention & deſſeing, perdans toute eſperance & deuenuës muettes, de deſpit elles ietterent leurs inſtrumens de muſique en la mer, ſelon le teſmoignage du ſuſdit Poëte :

Comme il pinſoit ſon Luth, deſſus vn haut rocher Cette troupe ceſſa de plus les allecher Par leur chant plein d’attraits, & d’vne main dépite Ietta harpes & luts és flots de l’Amphitrite.

Toutes leſquelles choſes Apollonius diſcourt au 4. des Argonauchers, diſant qu’Orphee commençant à chanter, ſurpaſſa par l’harmonie de ſon luth, la mignardiſe & delicateſſe du chant des Serenes :

Vne iſle au beau regard de loing ont deſcouuerte, De verdure, de fleurs & d’arbriſſeaux couuerte. C’eſtoit le domicil des trois Serenes ſœurs, Et filles d’Achelois ; deſquelles les douceurs Ont fort endommagé ceux qui ſur les riuages, Trop credules Nochers, ont ietté leurs cordages. Achelois les conceut, & en fut decoré Par l’vne des neuf ſœurs dite Terpſichoré. Elles chantoient alors la belle Proſerpine Fille à Cerés la blonde, & de Pluton rapine. La moytié de leur tout eſtoit corps virginal, Et l’autre finiſſoit en volage animal, Et touſiours aux aguets de deſſus vne roche Eſpioient ſi quelqu’vn leur venoit faire approche. Que par elles maint homme a perdu le plaiſir De reuoir ſon païs ! Si cuida bien ſaiſir Les preux Argenauchers cette engeolleuſe trouppe, Dégoiſaut vn doux air, & ja tournoient la pouppe Vers le bord enſablé : mais Orphé Thracien, Orphé d’Oeagre fils, ſage muſicien, Veint les chordes pinſer de ſon luth Biſtonique, Deſtournant leur eſprit par ſa douce replique De leur chant encharmé : ſi que l’air de ſon luth Plus que l’enſorcelé des Serenes valut.

Ruſe des Serenes pour attraper les paſſans.Elles eſtoient ſi ruſees que de chanter ce qui le plus chatoüilloit les oreilles des eſcoutans : comme pour exemple, les ambitieux & conuoiteux de gloire, elles loüoient leur valeur & hauts faicts d’armes : pour amadoüer les voluptueux & les paillards, elles diſoient quelque chanſon d’amour ; & ſe ſouuenoient fort bien de tout ce qui s’eſtoit paſſé. Ainſi taſcherent elles d’attirer Vlyſſe, luy tenans tels propos en l’onzieſme de l’Odyſſee d’Homere :

Vien-çà, vien grand honneur de la Gregeoiſe trouppe, Vlyſſe genereux, vueilles icy la pouppe De ta nef pour ouyr noſtre voix approcher. Car de paſſer iamais il n’auint à nocher Son empoiſſé vaiſſeau, qu’il n’ayt premier ouye De nos fredons mielleux la douce melodie, Puis ioyeux, & ayant de nous beaucoup appris, Il va paracheuer ſon voyage entrepris. Nous ſçauons ce qu’à faict la gent Argiuienne, Et le ſort impiteux de la ville Ilienne, Sous le plaiſir diuin : nous ſçauons, grace aux Dieux Ce qui ſe fait & dit ſous la vouſte des cieux.

Et d’autant que beaucoup de perſonnes arriuees la, & engeolees par le gentil artifice de leur muſique, ne ſe pouuoient retirer, ains mouroient ſans ſepulture en des iſles inhabitees, couuertes & blanchies d’os de treſpaſſez eſpars cà & là : il falloit auoir beaucoup de prudence & donner vn grand combat contre ſoy meſme pour eſchapper de ces dãgers. Auis & prudence d’Vlyſſe contre les charmes des Serenes.Voila pourquoy Circe, fille du Soleil apprit à Vlyſſe le moyen de s’en défaire : & ſuiuant ſon auis Vlyſſe boucha les oreilles de ſes compagnons & matelots auec de la cire ; puis eſtans preſts de coſtoyer leur iſle, il ſe fit attacher contre le mas de ſon nauire auec de bonnes & fortes cordes par le milieu du corps, auec defenſes de le deſlier, encore qu’il le commandaſt expreſſément, de peur que la douceur de leur voix ne le charmaſt, tellement qu’enuie luy prit de faire ſejour parmy ces Nymphes. Car toute leur coſte eſtoit blanche d’os de pauures gens decedez ſans trouuer perſonne qui leur donnaſt ſepulture ; ce que teſmoigne Virgile au cinquieſme liure :

—& ja dans les eſcueils Des Serenes entroit, autrefois perilleux, Et couuerts d’os de maints qui blanchiſſoient la coſte.

Autrefois perilleux, dit-il ; car Vlyſſe ayant bouché de cire les oreilles de ſes compagnons, & s’eſtant fait eſtroittement lier au mas de ſon vaiſſeau, preuint les fallaces des Serenes ; leſquelles de dueil & de regret de ſe voir ainſi brauees ſe precipiterent en la mer, & ne furent iamais plus ouyes. Serenes diſparues & conuerties en eſcueils.Or ſoit cela aduenu, ou par l’artifice d’Orphee, ou par celuy d’Vlyſſe, on dit qu’elles furent conuerties en rochers & eſcueils, ſelon le teſmoignage d’Orphee au voyage de la toiſon d’or : & d’Homere au 12. de l’Odyſſee.

Diſcours des Sereres & autres monſtres marins.Voila ce que les Anciens content quant aux Serenes. Quelques-vns eſtiment que ce ſoient contes entierement fabuleux & ridicules, & qui ne puiſſent aucunement eſtre en nature, n’eſtant poſſible (diſent-ils) que iamais ſe ſoient trouuez animaux compoſez de deux formes ſi diuerſes, que l’vne fuſt d’homme ou femme, & l’autre de poiſſon, veu que ny l’vn ny l’autre ne peut viure en l’eau & ſur terre. Mais oyons premierement l’authoriré de l’autheur du liure de la nature des choſes. Deſcription des Serenes monſtres marins.Les Serenes (dit-il) ſont animaux mortiferes, qui depuis la teſte iuſques au nombril ont forme de femme de fort grande taille, vn viſage hideux, de longs cheueux & craſſeux. Elles ſe montrent auec leurs petits qu’elles tiennent entre leurs bras. Car elles les allaictent de leurs mammelles, qu’elles ont fort groſſes à la poictrine. Quand les mariniers les voyent, ils en ont grand’peur, & leur iettent vne bouteille vuide, de laquelle elles ſe ioüent cependant que le vaiſſeau tire chemin. Le reſte de leurs corps reſſemble à vn aigle, & ont des griffes aux pieds qui ſont fort propres pour deſchirer. Au reſte au bout de leurs corps elles ont des queuës de poiſſons eſcailleuſes qui leur ſeruent de nageoires. Elles ont auſſi ie ne ſçay qu’elle douce reſonance en leur voix, de laquelle les paſſans allechez & charmez s’endorment, & endormis, ſont par leurs griffes mis en pieces. Mais quelques-vns bien auiſez & ioüans au plus fin, s’eſtoupent bien fort les oreilles, & paſſent ainſi en ſaufueté, de peur que le pernicieux chant des Serenes ne les endorme. Ces beſtes ſe tiennent en de profonds gouffres, en des iſles, & quelquefois noüent parmy les flots des eaux. Quant à ce qui a eſté dict de la bouteille, ceux qui maintiennent l’auoir veu le teſmoignent. Serenes putains vers la mer.Toutefois Iſidore eſcrit que les Serenes n’eſtoient pas veritablement beſtes, mais bien de belles courtiſanes, qui ſe logeans ſur le bord de la mer attiroient à elles les paſſans par la douce melodie de leurs chanſons, & les ayans vne fois attrapez, les retenoient ſi long temps qu’en fin ils tumboient en grande neceſſité de toutes leurs commoditez. Voila pourquoy l’on diſoit que tous ceux qui approchoient de leur coſté faiſoient naufrage ; Etymologie de leur nõ.car on les a nommees Serenes du mot Grec Serià, c’eſt à dire, chaine, pource qu’elles enchainoient en leur folle amour ceux qui s’amuſoient à elles. Dorion au liure des poiſſons en dit tout de meſme. Neantmoins les Philoſophes & quelques-vns entre les expoſiteurs des choſes ſainctes, ſont d’vn autre auis, ſouſtenans que c’eſtoient voirement monſtres marins. Serenes ſerpens en Arabie.Il y a auſſi vne eſpece de ſerpens en Arabie nommez Serenes, plus viſte à la courſe qu’vn cheual : deſquels meſmes les vns ayans ailes peuuent voler. Leur venin eſt de telle efficace pour malfaire ; que ceux qu’ils mordent ſentent pluſtoſt la mort que le mal. D’autres auſſi diſent qu’il y auoit des oyſeaux en Indie nommez Serenes, qui par la ſuauité de leur harmonie arreſtoient les paſſans, les endormoient, puis les deuoroient. Mais parce qu’en ce teſmoignage il y a quelques poincts qui tiennent de l’ancienne vanité & menſonge, nous auons outre ce que les Anciens Naturaliſtes ont eſcrit touchant ces monſtres, l’approbation de nos modernes, & de pluſieurs qui en ont veu, & de vifs & de morts. Serene veuë en Zelande.On a veu quelquefois en Zelande vn monſtre marin ayant viſage de fille, & le bas du corps de poiſſon, de la groſſeur d’vne brebis, qui paroiſſoit aſſez ſouuent le temps eſtant beau & ſerein, & la mer calme ; & durant la tempeſte ſe cachoit en des gouffres vers le riuage, ou bien entre des eſcueils. Et en Saxe.Quelques-vns teſmoignent en auoir auſſi veu en la coſte de Saxe, qu’ils appellent en leur langue Meermæd, c’eſt à dire filles marines. A Gennes Satyres veus en vie.Philippe Archiduc d’Auſtriche porta quand & luy à Gennes, l’an 1548. vne Serene morte pour en faire montre : & deux Satyres en vie, l’vn en aage d’vn ieune garçon, l’autre en aage viril. Poiſſons marins, de chaſque ſexe, approchans forme humaine.En la nauigation d’vn certain de Hambourg, faite l’an 1549. de Portugal vers le Midy aux terres neuues, on lit qu’il ſe treuue des poiſſons ayans forme approchant de l’humaine, & de chaſque ſexe, auec vne longue queuë couuerte d’eſcailles de poiſſons, & de courtes cuiſſes qui s’auancent auprés de leur queuë. De noſtre temps auſſi l’on a veu en l’iſle de Merſebic, ſituee vers le Leuant, vis à vis d’Arabie la noire, de la religion de Mahomet, ſubiecte au Roy de Portugal, deux animaux de cette forme là, dont vn Orfeure enuoya les pourtraits en Portugal. Mais ceux qui en ont veu ne diſent mot de ce chant que les Poëtes celebrent ſi hautement : ſinon que quelques vns pris au filé auec d’autres poiſſons iettoient vne voix dolente & lamentable, comme procedant de pluſieurs perſonnes malades d’vne meſme maladie, & que le lendemain au matin on les trouua morts ſur le riuage ſec : ce que quelques Allemans maintiennent auoir veu & ouy. Hommes marins.Quant au ſexe male, il s’en eſt prix entre-autres en la coſte de Nordvegue, ayant face d’homme, mais ruſtique & ſauuage, la teſte raſe & douce à manier, & vn froc ſemblable à ceux que les Moines portent. Au lieu de bras il auoit deux longues nageoires, vne de chaſque coſté. Le bas ſe finiſſoit en vne large queuë : le milieu de ſon corps eſtoit gros & large en forme d’vne caſaque de gendarme. Veus à Elepoch.Ceux qui le veirent le nõmerent ſur le champ Moine marin. Il fut ietté à bord par vne longue & groſſe tourmente, & pris pres de la ville d’Elepoch. En Eſpagne.On a veu en la coſte de Caliz en Esſpagne vn monſtre marin, ayant le corps tout comme vn homme. Il ſe iettoit de nuict ſur les nauires, & enfonçoit la part où il s’agraffoit : que ſi l’on luy donnoit loiſir, il noyoit tout le vaiſſeau. En Pologne.L’an 1531. fut pris en Pologne vn monſtre marin en habit d’Eueſque mitré, & enuoyé au Roy de Pologne : auquel il faiſoit par ſignes entendre qu’il auoit belle enuie de retourner en la mer ; & l’y ayant faict reconduire, il s’eſlança ſoudain dedans. En Nordvegue.En Nordvegue s’eſt auſſi vn poiſſon armé d’eſcailles, ayant face humaine : lequel ſe pourmena long-tẽps le long du riuage, puis ſe voyãt deſcouuert par vne infinie multitude de gens qui accouroient à ce ſpectacle, il ſe retira incontinent dans la mer. A Spalate.En la ville de Spalate en Eſclauonie, on a veu vn homme marin ſaillir en terre pour rauir vne femme, qui d’auenture ſe pourmenoit ſur la greve : mais comme il vid qu’elle gaignoit au pied, il s’en retourna plonger en la mer. Les Rochelois allans aux Moluques ons pris depuis quelques annees vn homme marin, qu’vn nombre infiny de perſonnes ont veu, ayãt les mains diſtinguees en doigts comme nous auons, garnies de dures & fortes ongles, & differentes en ce qu’à la plus prochaine iointure des ongles luy ſortoient à chaſque doigt par le dedans de la main de fortes & puiſſantes griffes, deſquelles il s’agraffa à leur vaiſſeau ſans le vouloir deſmordre qu’il ne ſe ſentiſt bleſſé au frond d’vn coup de hallebarde. Il s’en eſt pris ailleurs de meſme forme, mais plus petite. I’ay veu vne main de chacun de ces deux derniers, qui ſentoient fort la ſauuagine. Et d’autant que les Anciens n’ont pas eu ſi certaine ne ſi expreſſe connoiſſance de telles creatures que l’aage l’a depuis deſcouuerte à leurs ſucceſſeurs, & que la pluſpart des autheurs des Fables, n’en ont parlé que par ouy dire : voila d’où vient que leurs eſcrits ſont entrelardez de contes plus fabuleux que veritables. Suiect de la Fable des Serenes ſelon Archippe.Archippe au 5. liure des poiſſons dit qu’il y a quelques deſtroits en la mer enclos entre des hautes mõtages, contre leſquelles les flots & les ondes venans à choquer rendent vn ſon accompagné d’vne ſi plaiſante harmonie ; que pluſieurs mariniers épris d’enuie de connoiſtre la cauſe de cette douce reſonance s’en approchoient pour voir : mais la vehemence & impetuoſité des vagues les enueloppoiẽt incontinent, & les engloutiſſoient. De là eſt venuë (dit-il) cette Fable des Serenes. Mais ie croy volontiers que les Poëtes ont eu quelque conſideration plus particuliere en racontant telles Fables, comme en toutes les autres ils ne ſe ſont arreſtés à l’eſcorce ny au ſens exterieur d’icelles. Auis d’Horace touchant les Serenes.Horace au 2. des ſes Sermons, dit que les Serenes neſtoient ny rochers, ny putains, ny oyſeaux des Indes : mais bien pareſſe & nonchalance, le plus vilain & dangereux vice qui ſoit entre tous autres :

On ne fera de toy nul conte, ô miſerable ; La pareſſe il te faut, Serene dommageable, Efforcer de fuyr.—

Mythologie morale.Quant à moy i’ay bien opinion que le chant des Serenes, voire les Serenes meſmes ne ſont autre choſe que les voluptez & leurs chatoüillemens ; leſquelles on dit eſtre filles de l’vne des Muſes & de la riuiere Achelois, ayans vn taureau de pere, fort enclin aux plaiſirs voluptueux ; Voyez cy-deſſus, chap. 12.& la Muſe eſt cette amorce, ou ce leurre qui nous y conuie. Et finalement elles nous pouſſent à noſtre ruïne, d’autant qu’elles naiſſent de cette partie de l’ame qui eſt deſpourueuë de raiſon. Elles eſtoient moitié filles, moitié beſtes, pour exprimer le naturel & l’inclination des hommes : d’autant que celuy qui n’obeyt ny à raiſon, ny à conſeil, mais bien à ſes plaiſirs & concupiſcences, eſt ſemblable à vn monſtre, eſtant partie homme partie beſte. Car les facultez de noſtre ame eſtant partie capables, partie incapables de raiſon, comment ſe pourroit-il faire que nous n’euſſions chacun des Serenes encloſes & cachees dans nous-meſmes ? & celuy qui n’a rien de bon qu’vne forme de corps commune à tous autres ; & ne ſçait que c’eſt que de raiſon : mais ſe laiſſe emporter deçà delà aux impetuoſitez de ſon courage, à l’appetit de ſes paſſions deſreiglees, de ſes conuoitiſes & lubricitez : comment ſe peut-il faire qu’il n’ait dedans ſon ventre vne Serene, ou pluſtoſt vn eſtrange & tres-dangereux monſtre ? Et pource que tous les hommes du monde ſe laiſſent chacun en ſon particulier tranſporter aiſément à quelque affection, & que tous ne ſont pas agitez des aiguillons de Venus, ny d’auarice, ny d’ambition : elles ſe vantoient de ſçauoir par cœur & comme ſur le doigt tout ce qui ſe paſſoit au monde, & amadoüoient vn chacun par gentilles chanſons propres & accommodees à l’humeur d’vn chacun. Mouuemens & paſsions de l’eſprit exprimez par les Serenes.Les noms meſmes des Serenes donnent teſmoignage qu’elles ne ſont autre choſe que les mouuemẽs & paſſions de l’eſprit. Qu’eſt-ce que Piſinoé, ſinon qu’vne vertu qui perſuade facilement l’eſprit ? car peithein, ſignifie perſuader ; nóos c’eſt l’entendement ; Aglaope vaut autant à dire cõme ayant le regard doux & amiable : Thelxiope eſt celle qui d’vn ſeul clein d’œil reſioüit. Car thelgein ſignifie delecter, ops c’eſt le regard. En ſomme Thelxiope amadoüe l’eſprit, Aglaophone a la voix plaiſante & agreable, Ligee l’a claire & nette, Leucoſie a le teint blanc, Parthenope a vn air de viſage de fille : tous leſquels noms ſe peuuent accommoder, ou bien aux impetuoſitez de l’eſprit, ou bien à des laſciues putains. Si donc nous voulons euiter beaucoup de calamitez & miſeres, il faut qu’à l’exemple d’Vlyſſe nous eſtouppiõs nos oreilles pour eſtre ſourds aux voluptez illegitimes, & aux ſales & deshõneſtes allechemens de la vie humaine, & que nous obeyſſions aux enſeignemens d’Orphee, & d’autres ſages perſonnages, ſans preſter l’oreille à perſonne autre. Si neantmoins quelqu’vn dreſſe les oreilles pour ouyr les chanſons des Serenes ; & veut conduire les actions de ſa vie à ſa fantaiſie, ſi faut-il qu’il s’attache à la raiſon, ainſi qu’Vlyſſe ſe fit lier contre le mas de ſa galere : veu que dés qu’aucun s’eſt vne fois embaboüiné de ces Serenes, il a beſoin d’vne ſinguliere & preſque diuine prudence pour s’en pouuoir retirer à ſon honneur. Il eſt doncques bien requis qu’vn Orphee ou autre prudent & bien affectionné perſonnage ſurmonte par tres-ſages conſeils les voix des Serenes, ſi nous n’aymons mieux par les amadoüemens de tres-pernicieuſes voluptez croupir en toutes ſortes de vergongnes & miſeres. Autre explication des Serenes, propre pour l’inſtruction des Grands.Les autres ont opinion que les Serenes repreſentent les paroles des flatteurs, qui eſt la plus douce, & neãtmoins la plus maudite peſte, qui afflige les Princes & les Grands de ce monde, & ceux qui ont le cœur bouffi d’ambition. Ce ſont elles qui aſſopiſſent les Souuerains d’vn tres-profond ſommeil, d’autant que comme s’ils eſtoient endormis, la plus grand’part d’entre-eux ne peut diſcerner vn bon amy d’auec vn flatteur : & parce que le babil d’vn adulateur chatoüille & contente plus l’oreille des Grands que les bons & ſages diſcours d’vn amy, ils acceptent volontiers ce qui leur plaiſt le plus. Au contraire, les flatteurs connoiſſans l’humeur du Prince, ſe peinent à faire prouiſion de propos qui luy ſoient agreables : & s’il oyt volontiers diſcourir de ſa valeur, s’il ayme amaſſer des biens, s’il eſt d’vne complexion amoureuſe. En vn mot de quelque humeur qu’il ſoit, ils y accommodent leur langue venale, loüans leurs deportemens tout ce qui ſe peut. Ce diſcours eſtant agreable à qui luy preſte l’oreille, faict qu’on dit les Serenes eſtre filles de l’vne des Muſes. Mais quoy que ſoit, elles ruynoient en fin leurs auditeurs. La raiſon eſt, que là où la flaterie a lieu, il faut dire, Fi d’amitié, fi de ſincerité, fi de iuſtice ; car quand en ce qui nous concerne, nous croyons pluſtoſt que nous-meſmes ceux qui de leur caquet nous chatoüillent les oreilles : il eſt bien force que nous conniuions & faſſions la ſourde oreille à ce qui concerne le ſalut & la felicité tant de nous que des noſtres, & que nous deuenions laſches & negligens en nos affaires. Voila la principale cauſe qui faict que l’on void tant de changemens en beaucoup d’eſtats, & qu’vn ſeigneur bien ſouuent ne dure gueres en vne pays : au lieu qu’il n’y a rien de ſi ferme ne ſi ſtable qu’vn Royaume ou Eſtat gouuerné par vn ſage Prince. Car celuy qui n’aura point par violence ny outrage offenſé Dieu ny les hommes ; comment ſera-il affligé, veu qu’on a beaucoup de peine à deſtruire meſme vn meſchant Prince ? ou bien comment ſe peut-il faire qu’on ne tienne pour homme de bien, prudent & ſage le Prince qui ſçaura fort bien chaſſer & bannir de ſa Cour toute cette trouppe de flatteurs, peſte trop commune en la ſuite des Grands ? Or c’eſt aſſez diſcouru des Serenes : Paſſons à Orphee.