De Pelops.
CHAPITRE XVIII.
Genealogie de Pelops.PELOPS, celuy duquel Cerés mangea vne eſpaule, fut fils de Tantale & de Taygete, fille d’Atlas, ſelon le teſmoignage d’Euripide en ſon Oreſte, parlant de Tantale :
De luy naſquit Pelops, Atree.
Voyez liu. 6. chap. 18.Les autres le diſent natif de Lydie ; & d’autres, de Paphlagonie. De quelque pays qu’il ayt eſté, voicy ſa legende, ſelon que les Anciens la content. Oenomas Roy d’Elide & de Piſe, ayant eu aduis de l’Oracle qu’il mourroit par les mains de ſon gendre, fit tout ce qu’il pût pour empeſcher qu’aucun eſpouſaſt vne tres-belle vnique fille qu’il auoit, & ſeule heritiere de ſa couronne. Elle ſe nommoit Hippodame. Amours de Hippodame.Et combien que pluſieurs Princes deſiraſſent d’auoir cet honneur d’entrer en telle alliance, toutefois il ne la voulut accorder à perſonne. Tournoy cruel, & ſes conditions.Et pour deſtourner de cet amour les ſeruiteurs recerchans ſa fille, il leur propoſa vn tournoy à courſe de chariot, (or auoit-il quatre tres-viſtes cheuaux de la race de ceux qui ſont engendrez par l’haleine du vent, attellez de front en vn chariot le plus leger & maniable qu’il eſtoit poſſible) dont les conditions eſtoient telles : Que quiconque le pourroit vaincre, auroit ſa fille en mariage, & l’Iſtheme ou deſtroit de la terre auquel eſt ſituee Corinthe : & le vaincu mourroit de mort. Le premier des ſeruiteurs d’Hippodame, qui entra en lice, fut Marmaz, aux deſpẽs de ſa vie : prés du tumbeau duquel Oenomas eſgorgea & fit enſeuelir deux belles & bonnes iumens du defunct, nommees Parthenie & Euripide, & donna le nom de Parthenie à la riuiere qui coule auprés. En ſuitte de cetty-cy ſe preſenterent les ſuſnommez, qui tous vaincus moururent par la main d’Oenomas : Alcathe, Eurymache, Crotale, Acrias, Porthaon, Capet, Lycurge, Chalcodon, Laſie, Tricolon, Ariſtomache, Prias, Crone Æole ; & le dernier, Erythre : leſquels Oenomas fit enterrer bien ſimplement, & aſſez prés l’vn de l’autre. Mais Pelops leur fit à tous en commun baſtir vn honnorable monument, tant pour eterniſer la memoire des defuncts, que pour honorer & complaire à Hippodame : & tandis qu’il regna, fit dire pour leurs ames chaſque bout de l’an vn ſeruice, leur ſacrifiant ainſi qu’à Demidieux. Toutefois d’autres diſent qu’Oenomas meſme aymoit ſi parfaitement ſa fille, qu’il ne voulut iamais la perdre de veuë : que pour cette cauſe il feignit d’auoir eu cet aduertiſſement de l’Oracle. Iceluy toutes & quantesfois qu’il propoſoit ce tournoy à quelque amoureux d’Hippodame, faiſoit vn ſolemnel ſacrifice à Iupiter Martial. Myrtile fils de Mercure & de Cleobule (autres diſent de Phaëthuſe ; autres de Mantò) eſcuyer d’Oenomas, eſtoit du nombre de ces amans. Il en eut doncques ſon paſſe-temps aprés la mort de treze autres qu’Epimenide nomme ainſi : Mermne, Hippoſtrate, Æolopee, Piras, Acarnan, Hippomedon, Alcathe, Chalcon, Laſie, Scopele, Lycurge, Acrocome, Crocale, Euryache Euryale : d’autres ſouſtrayent quelques-vns des ſuſnommez, & leur ſuppleent Æole & Tricoron. Ceux-cy ne furent pas ſeuls : car on leur adiouſte pour compagnons en meſme aduenture ; vn autre Ariſtomache, Hippothe, Euryloche, Automedon, Pelagunte, Cyrianonte, Opunce : du crane deſquels Oenomas auoit faict voœu de baſtir vne chapelle à Mars. Cranon fut auſſi tué en ces tournois : en l’honneur duquel les Theſſaliens appellerent de ſon nom la ville qui premierement ſe nommoit Ephyre. Pelops vainqueur d’Oenomas.Finalement ſe preſenta Pelops, grand amy de Neptun, qui pour ce tournoy luy auoit faict preſent d’vn chariot attelé de cheuaux ailez & feez, par le moyen deſquels il obtint cette belle Princeſſe. Dés qu’Hippodame l’eut enuiſagé, elle le trouua tant à ſon gré, ſi beau, & de bonne grace, qu’elle fut eſpriſe de ſon amour : & traitta cachément auec Myrtile qui auoit la charge du chariot du Roy Oenomas (aucuns eſcriuent que Pelops luy-meſme le corrompit par argent) à ce qu’il laiſſaſt emporter la victoire à Pelops, ſans toutefois entendre que cela ſe fiſt par la mort du Roy ſon pere comme il aduint. Ainſi Myrtile ne mit point de clauetes aux moyeux des rouës du chariot, ſi que dés le commencement de la courſe, les rouës ſe desboiſtans, le chariot fut renuerſé par terre, & Oenomas non ſeulemẽt vaincu, mais acrauanté ſous le faix. Les autres diſent qu’Oenomas fut vaincu par Pelops, d’autant que Myrtile au lieu des clauettes de fer en mit de cire. Or il permettoit aux champions d’auoir leurs maiſtreſſes auec eux en leur chariot (& le commencemẽt de la carriere eſtoit depuis la riuiere de Clade iuſqu’a l’Iſthme de Corinthe) leſquels il ſuiuoit à toute bride tiré par ſes cheuaux, Pſille & Harpin (Pauſanias és premieres Eliaques en met quatre) auec vne lance en main, de laquelle les acconſuiuant il les lardoit à trauers le corps. Ainſi doncques Oenomas mourant requit à Pelops de venger ſa mort par celle de ſon Eſcuyer, auquel il dõna pluſieurs maledictions, qui ne tarderent gueres à ſortir leur effect. Car comme Pelops emmenoit ſa maiſtreſſe, aduint qu’elle eut ſoif ſur le chemin : & pour luy gratifier il ſe voulut deſtracquer luy-meſme quelque peu pour aller au plus proche lieu querir de l’eau fraiſche. Myrtile empoignant cette occaſion aux cheueux, ſe mit en deuoir durant l’abſence de Pelops de forcer Hippodame. Dequoy Pelops auerty par elle à ſon retour, ſaiſit l’Eſcuyer, & le precipita dans la mer, du haut du cap de Gæraſte. Quelques-vns tiennent que Pelops aprés auoir occis Myrtile luy baſtit vne chappelle vuide, & y ſacrifia, pour appaiſer ſon indignation, & expier le meurtre par luy commis en ſa perſonne, le ſurnommant Taraxippe, comme qui diroit effroy de cheuaux ; à cauſe que par ſon artifice ceux d’Oenomas auoient eſté eſpouuantez & mis en deſordre. Quelques Ægyptiens aſſeurent que Pelops receut ie ne ſcay quel charme d’Amphion de Thebain, qu’il enterra en cet endroit, qu’on nommoit Taraxippe ; dont les cheuaux d’Oenomas receurent leſpouuante, & tous les autres qui y coururent depuis. Aucuns referent cet effroy à Alcathe fils de Porthaon, qui pourchaſſant le mariage d’Hippodame, fut là mis à mort par Oenomas, & enſeuely ſur la place : tellement que pour n’auoir peu obtenir ſon deſir en ce Cirque, il ſe rendit par deſpit vn eſprit ennuyeux & moleſte à tous ceux qui y couroient. Cependant Iſtre au douzieſme liure de l’hiſtoire Attique dit que Myrtile fut tres-valeureux perſonnage, qui ſe battit auec Pelops, d’autant qu’il luy refuſoit l’accompliſſement de la promeſſe qu’il luy auoit iuree, de le faire coucher la premiere nuict auec Hippodame ; toutefois il fut tué en ce duel. Xanthe en l’hiſtoire Lydienne, & Herodote au traitté qu’il a faict de Perſee & d’Andromede, (leſquels nomment les cheuaux d’Oenomas, Pſille, Arpin, Ocyon, Aorat) diſent que comme Myrtile redemandoit aſſez importunément à Pelops le loyer qu’il luy auoit promis par ſerment, il le ietta du tillac dans la mer. Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie en dit autant. Son corps fut par les vagues de la mer ietté vers Phenee en Arcadie, où il fut recueilly par les citadins, & enſeuely honorablement, auec vn ſeruice annuel qui luy fut fondé. L’endroit de la mer où il chût fut à cauſe de luy nommé Mer de Myrtee, faiſant partie de l’Archipel : combien que Duris Samien ſouſtienne qu’il eut ce nom d’vne ieune fille dicte Myrto, qui ſe noya là meſmes. Pline au quatrieſme liure chapitre vnze, dit que ce nom luy fut donné d’vne petite iſle nommee Myrte, qui eſt prés de Cariſte, ville d’Eubœe, que l’on void de Geraſte, tirant en Macedoine. Après la mort de Myrtile on dit quel Vulcan donna abſolution à Pelops, & le purifia : puis approchant de la mer il prit ſaiſine de Piſe Palais Royal d’Oenomas, & de toute la prouince nommee Apie Pelaſgienne, laquelle de ſon nom il appella Peloponeſe, c’eſt à dire iſle de Pelops : à preſent la Moree. Nous auons diſcouru au chapitre de Tantale comme il auoit eſté par ſon pere mis en quartiers ; boüilly, roſty, & preſenté aux Dieux en feſtin : puis recuit & reſuſcité par Iupiter auec vne eſpaule d’yuoire au lieu de celle que Cerés luy auoit mangee : aprés cela on dit que Neptun le prit en amitié. Ce que d’autres rapportent à l’hiſtoire, diſans cela ſignifier que Pelops deuant qu’eſtre paruenu à l’accompliſſement de ſa chaleur naturelle, & d’auoir bien cuit ou euacué ſes humeurs ſuperfſuës, fut fort valetudinaire : mais qu’ayant atteint l’aage de puberté, il eut le bruit d’eſtre aymé de Neptun, duquel on diſoit les plus agguerris & plus vaillans perſonnages eſtre fils. Femmes de Pelops.Ce qui ne manque pas de raiſon naturelle, veu qu’Ariſtote eſcrit en l’hiſtoire des animaux, que beaucoup de perſonnes ont eſté fort maladifs, iuſques en leur puberté, qui puis-aprés venans à exercer les beſongnes de Venus, ſe porterent bien : Ses enfans.& au contraire Pelops eut pluſieurs enfans, comme Cleon, Letree, Alcathe, Lyſidice, Pliſthene, Thieſte : les autres luy donnent pour fils Pithee, Chryſippe, Dias, Hippaleme : mais on n’en nomme point les meres. Plus vn certain Argæe, non pas celuy qu’Hercule ayant faict bruſler amena la couſtume à la poſterité de bruſler les corps morts. Item Corinthe, qui donna ſon nom à la ville de Corinthe, auparauant appellee Ephyre. Il fut enſeuely à Letrin, ville d’Elide, où il ne fut pas moins reueré entre les Heros, que Iupiter entre les Dieux. Os de Pelops fatal.Au demeurant, comme la guerre de Troye tiroit en longueur, les Deuins ſuiuant l’auis de l’Oracle annoncerent aux Grecs ; que la ville ne ſe prendroit point iuſqu’à tant que Neoptoleme, fils d’Achille, l’os de Pelops & l’arc d’Hercule, que Philoctete auoit, fuſſent apportez en leur camp. Parquoy ils les firent venir. Mais comme apres le ſac de Troye l’on remportoit à Piſe cet os, qui eſtoit de l’vne des eſpaules d’iceluy, il ſe perdit par naufrage auec le nauire en la coſte d’Eubœe prés l’iſle de Negrepont. Long-temps aprés vn certain peſcheur Erythrien, nommé Damarmene, ayant ietté ſes filets en la mer, peſcha cet os : & s’eſtonnant de la grandeur & groſſeur d’iceluy, l’enſabla ſur le riuage pendãt qu’il feroit le voyage de Delphe, pour s’enquerir de l’Oracle de qui il eſtoit, & à quoy il pourroit ſeruir. Sur ces entrefaites arriuerent les deputez des Eleens, demandans au Dieu quelque remede contre la peſte qui les affligeoit extremément. Ainſi par vn meſme moyen la Pythie donna reſponſe à tous les deux : Aux Eleens, qu’ils recouuraſſent l’os de Pelops : à Damarmene, de leur deliurer ce qu’il auoit trouué. Cela faict les Eleens recompenſerent Damarmene, & entre-autres bien-faits firent, & luy & ſa poſterité gardiens de cette relique ; laquelle pour auoir longtemps demeuré enſeuelie au fonds de la mer, eſtoit fort intereſſee. Voila les plus memorables choſes qui ſe trouuent de Pelops.
¶Mythologie du Pelops.Mais à quel propos font les Poëtes tels contes touchant Pelops & Hippodame, qui ne ſont pas fort eſloignez de l’hiſtoire ? D’autant que la vie humaine n’eſt autre choſe qu’vn combat reſſemblant à ce tournoy : veu que nous auons inceſſamment des dangers & voluptez à combattre, auſquelles ſi nous nous laiſſons terraſſer, nous-meſmes nous cauſons noſtre propre ruine : mais ſi nous en venons à bout, l’on nous eſtimera preux & conſtans, & ſerons en tout le cours de noſtre vie accompagnez de vaillance & de magnanimité cõme d’vne Hippodame ; joint que l’accouſtumance ſe tourne comme en nature. Or que l’eſprit & le naturel des hommes ſoit fort enclin aux plaiſirs de la chair, les noms des cheuaux ſuſdits le montrent ; car Harpin ſignifie rauiſſant ; Ocys, & Pſille, viſtes & légers ; Aorat, qui ne void point. Voulans donc donner à entendre que la vie de l’homme eſt pleine de contention, pleine de miſeres, pleine de hazards, ils ont touſiours accompagné les voluptez de perils ; comme de faict il n’y en a point qui ne ſoit calamiteuſe. Et pour nous en eſloigner, & nous rendre gens de bien entant qu’en eux eſtoit, ils nous ont faict voir quels ſupplices doiuent attendre ceux qui ſe laiſſent vaincre à leurs plaiſirs deſordonnez. Voila le ſubiect pour lequel ils ont mis en auant & celebré tels contes. Quant à l’iniure que ſon pere Tantale luy fit de le mettre en piece, & le ſeruir deuant les Dieux pour le manger ; puis qu’il fut r’animé auec vne eſpaule d’yuoire au lieu de celle que Cerés auoit deuoree ; on veut dire que Dieu vange & recompenſe d’vne ſinguliere liberalité l’iniure faicte à l’innocent, comme par vne benediction de biens, d’honneurs, & de puiſſance. Car l’yuoire repreſente les richeſſes ; & l’eſpaule la force & la puiſſance. C’eſt pourquoy Homere voulant priſer la valeur de quelque choſe, la dit eſtre d’yuoire ou d’or. Que Pelops ait eſté merueilleuſemẽt riche, cet ancien prouerbe le teſmoigne, Les talens de Pelops. Ce que l’on vſurpe communément pour ſignifier vne grande affluence de richeſſes. D’auantage il paroiſt auoir été de grand renom, & de notable qualité & puiſſance, par la conqueſte qu’il fit du Peloponneſſe, où il trouua force mines d’or qui l’enrichirent. A tant laiſſerons nous Pelops pour prendre Perſee.