De l’Ocean.
CHAPITRE II.
Genealogie de l’Ocean pere de l’Vniuers.L’OCEAN que les Anciens ont qualifié Pere des riuieres, de toute choſe ayant vie, & des Dieux meſme, eſt appellé Fils du Ciel & de Veſte, que quelque-vns appellẽt Terre : teſmoing en eſt Heſiode en ſa Theogonie, nommant ainſi les fils de la Terre :
La Terre en premier lieu fit le Ciel port’-eſtoile,
Afin que ſon pourpris de tous ceſtez la voile
Pour ſeruir d’habitacle aux viuans à iamais,
Elle engendra les monts pour eſtre le palais
Des Nymphes aggreable habitans és montagnes.
Elle meſme forma les ſalees campagnes,
Leurs rochers eſcumeux, leurs bourſoufflans eſpris,
Sans d’aucun maſle auoir l’ame ou poulmons épris.
Mais pour creer les eaux de l’Ocean immenſe,
Auec celle du Ciel elle vnit ſon eſſence.
Homere au 14. de l’Iliade teſmoigne que Iunon fut nourrie chez eux :
Ie m’en vay voir les fins de ma nourrice Terre,
Et l’Ocean chenu qui de ſes bras l’enſerre,
Origine des Dieux, et la mere Tethys,
Qui m’ont nourry chez eux dés mes ans plus petits.
Les Poëtes anciens ont cuidé que les Dieux, voire tout ce qui eſt en ce monde, ayent pris leur eſtre de cet Ocean : pource que toutes les creatures deuant que de naiſtre, ou mourir, ont faute d’humeur, ſans laquelle rien ne peut auoir generation, ny ſentir corruption, ſuiuant l’aduis de Thalés. Orphee eſt de meſme opinion en ſes hymnes :
I’inuoque l’Ocean, le pere incorruptible,
Qui touſiours eſt ; de qui la brigade infallible
Des habitans du Ciel, & de ceux que Pluton
Peut faire trauerſer en ſon palais, glouton,
A pris ſon origine : & qui, ſans qu’il l’inonde,
Enueloppe les fins de l’habitable monde.
C’eſt de luy que prouient cette quantité d’eaux
Qui boult en chaſque mer, & qui coule en ruiſſeaux.
D’auantage, ils luy attribuent vne teſte de taureau, & ſuiuant ce Euripide en ſon Oreſte l’appelle teſte de Taureau. Æſchyle dit qu’il fut fort bon amy de Promethee. Femmes & enfans de l’Ocean.Quant aux femmes qu’ils luy donnent, elles ſont trois, Tethys, Parthenope, & Pampholyge. De cette derniere il eut Aſie & Lybie ; de Parthenope, Europe, & Thrace, du nom deſquelles certaines regions furent depuis appellees. Il eut auſſi les filles deſquelles s’enſuiuent les noms, Philyre, Callirhoé, Perſeïs, Xanthe, Daire, Ephyre, Lucippe, Meloboſis, Ianthe, Electre, Phœno, Tyche, Ocyrhoé, Eurynome, Æthre, Pleione, Clymene, Doris, Triton. Et pour n’eſtre trop ennuyeux à les nommer toutes, Heſiode en ſa Theogonie dit qu’il eut trois mille filles auec Tethys, eſparſes çà & là par l’Vniuers, & és eaux tant des riuieres, qu’eſtangs & marais : & les appelle Engeance des Dieux, non pas qu’elles ſoient proprement engendrees d’eux, mais pource que l’Ocean & les riuieres qui naiſſent de luy, ont vn cours perpetuel & courant touſiours à val : pour meſme regard auſſi le Soleil & la Lune & les Aſtres touſiours courans ſont par les Anciens nommez Dieux, deduiſans le mot Theòs, c’eſt à dire, Dieu, du Verbe Théein, qui ſignifie Courir. Il ne faut donc pas eſtimer que les riuieres ſoient qualifiees de ce nom de Race diuine, pour auoir en elles quelque diuinité plus ſpeciale que les autres parties du monde : car nous voyons à l’œil le cours & le mouuement preſque de tous les corps naturels, principalement des eaux : & entre icelles, celuy des riuieres. Et combien que quelques vns des Anciens ayent reuocqué en doubte ſi les Cieux ſe mouuoient, ſouſtenans non que les Cieux, mais bien la terre ſe mouuoit, teſmoins Ptolemæe, & Ariſtote au troiſieſme liure du Ciel : on ſçait bien que perſonne n’a eu ſubiet de doubter ſi les riuieres & cette maſſe vniuerſelle d’eaux ſe peut mouuoir. Car le mouuement de l’Ocean n’eſt pas moins perpetuel que celuy des riuieres, eſtant vray qu’il a ſon flux & ſon reflux ; ce qu’aucuns eſtiment ſe faire ſelon le cours de la Lune, de façon que quand la Lune monte de l’Ocean iuſqu’à tant qu’elle arriue au milieu du Ciel, Flux & reflux de la mer.les eaux de la mer fluent, & refluent quand elle deſcend. Or ce mouuement n’eſt pas touſiours eſgal : car la mer refluë plus abondamment en pleine Lune : au lieu qu’en ſon renouuel on ne ſent comme point ſon mouuement : & quand le Ciel eſt ſerein, il accroiſt. A cecy ſeruent auſſi les conionctions & oppoſitions des autres Planetes, leſquelles ſelon les ſaiſons de l’annee ſe font, ou plus, ou moins : car enuiron le tropique de l’Eſté elles s’approchent & reculent plus ; & iuſques à l’Equinoxe, moins : puis derechef ce mouuement vient à croiſtre iuſques au tropique de l’Hyuer ; & de là iuſqu’à l’Equinoxe du Prim-temps, decroiſt. Cela croiſt auſſi par la force des ſignes eſquels la Lune ſe trouue quand elle change : car ſi elle ſe rencontre en quelque ſigne paiſible & bening, les mouuemens ſont de meſme : comme auſſi ſi elle eſt en quelqu’vn qui ſoit plus rigoureux & reueſche, les mouuemens ſont de ſemblable qualité. D’auantage la force des pluyes & l’impetuoſité des vens les augmentent. Tant de cauſes ſi differentes qu’on allegue du mouuement des eaux de l’Ocean, font que les plus habiles & expers mariniers n’en peuuent rendre aucune certaine raiſon. Or l’Ocean eſt toute ceſte maſſe vniuerſelle d’eaux, qui de tous coſtez enuironne la terre : car de quelque part du monde qu’on approche, la mer ſpacieuſe ſe preſente, laquelle du coſté d’Orient on appelle mer de Leuant, ou Indique : de vers l’Occident, Atlantique, là où elle ſepare l’Heſpagne & la Mauritanie : vers le Septentrion, & vers la region qui luy eſt oppoſee, mer Pontique & glacee, & mer Rouge, ou Æthiopique. Pluſieurs ont entrepris de paſſer en des batteaux iuſques au plus eſloigné bord de l’Ocean, où ils ont employé beaucoup de iours : mais leurs prouiſions & neceſſitez leur ont pluſtoſt manqué que l’eſtendüe des eaux, ny la campagne nauigeable, comme teſmoignent Strabon & Rhian en la nauigation du Capitaine Hannon Carthaginien.
¶Mythologie phyſique de l’Ocean.Voyons maintenant à quoy tendent telles fictions. Ils font l’Ocean fils du Ciel & de la Terre, pource que ſuiuant le dire d’Ariſtophane és Oiſeaux, Amour eſtant le premier iſſu & creé de ceſte matiere informe qu’on appelle Chaos, apres qu’il eut meſlé tout cet amas vniuerſel, le Ciel, la Mer, la Terre, toute la race des Dieux tira de luy ſa naiſſance. Ainſi doncques l’Ocean naſquit apres le Ciel. Car quand le ſouuerain Createur en baſtiſſant ce monde vniuerſel eut prononcé cette parole, Que la lumiere ſoit
, dés l’heure meſme les inſtrumens de la lumiere, aſſauoir les corps du Ciel & des Eſtoilles, naſquirent : & pourtant le ciel fut creé le premier ; en ſuite Dieu ſepara la nature vniuerſelle des eaux d’auec les eaux qui ſont ſur le Ciel, & leur commanda de ſe retirer d’auec la terre, & faire quartier à part. Par ce moyen, Amour qui eſt la bonté diuine, meſla toutes choſes les vnes auec les autres, & les excita pour engendrer ; voila comment l’Ocean naſquit du Ciel & de la Terre. Iunon fut nourrie (dit la Fable) prés de l’Ocean, parce que l’eau ſe ſubtiliant ſe reſout en l’air qui luy eſt voiſin ; & l’air s’eſpaiſſiſſant deſcend ſur l’Ocean ſon nourricier, ſe tranſmuant en eau, ſelon que les elemens s’entr’engendrent l’vn l’autre. Orphee & tous les Theologiens des Payens enſeignent que l’Ocean donna commencement & eſtre aux Dieux & à toutes choſes qui ſont en ce monde : d’autant que ſelon l’opinion de Thales, rien ne ſe crée ny ne ſe putrefie qu’il n’ait de l’humeur ; & toutes les qualitez des elemens, qu’ils ont tiltrees des noms de Dieux, ſont engendrees d’humeur. Pourquoy l’on attribuë à l’Ocean vne teſte de Taureau.Quant à ce que les Anciens attribuent à l’Ocean vne teſte de Taureau, c’eſt à cauſe de la violence des vents qui l’eſleuent & l’agitent par leur bourſoufflante haleine : ou bien d’autant qu’il eſlance vn fremiſſement ſemblable au mugiſſement des Taureaux : ou bien pource qu’il ſe ruë contre les riuages en guiſe d’vn Taureau furieux, ſelon ce qu’on deſcrit auſſi les riuieres. Ce qu’ils diſent qu’il fut ſi bon amy de Promethee, c’eſt pource que ceux qui ont vn voyage à faire ſur mer, ont beſoin d’eſtre munis de ſinguliere ſageſſe & experience, non ſeulement pour paruenir où ils pretendent par la guide des Aſtres : mais principalement auſſi pour remarquer & fuyr les eſcueils, preuoir les orages, les tempeſtes & les ſignes des vents ; en ſomme pour éuiter tout ce qui peut mettre en danger les nauigeans, toutes leſquelles choſes combien qu’elles ſoient vtiles ſur la mer Mediterranee, toutefois il ſemble qu’elles ne ſoient pas ſi neceſſaires. Tethys fut ſa femme, de laquelle nous deuiſerons tantoſt. Il eut ſi grande quantité d’enfans, pource que des vapeurs que le Soleil par ſa chaleur attire en haut, s’engendrent les eaux des riuieres, & les fontaines, ſelon l’opinion de quelques Anciens. Car bien qu’Ariſtote ait voulu que les fontaines prouiẽnent de l’air és lieux cauerneux & ſouſterrains tranſmué en eau : toutefois ſi la ſeichereſſe de l’air dure long-temps ſans pleuuoir ; nous voyons par experience que les riuieres & les fontaines tariſſent ou s’abaiſſent ſi fort que leur courſe eſt bien petite. C’eſt donc ainſi que les riuieres & les fontaines ſe font ; ſinon toutes, pour le moins la plus grande partie, comme il appert. Entre les enfans de l’Ocean on conte Tyché, c’eſt à dire, Fortune : pource qu’il faut que les Nochers, & tous ceux qui ſe commettent à la mercy des vents, courent beaucoup de riſques. En ſomme, par cet Ocean fabuleux ils ont voulu donner à conoiſtre la generation des choſes naturelles, & qu’il eſt neceſſaire à ceux qui veulent nauiger d’eſtre prudents & bien auiſez. S’enſuiuent Tethys.