Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VIII, 04 : De Triton Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Triton

CHAPITRE IV.

Genealogie de Triton incertaine.LES auteurs ne ſont pas bien d’accord touchant la genealogie de Triton. Heſiode le faict fils de Neptun & d’Amphitrite, mais Aceſander eſcrit qu’Eurypile & Triton furent fils de Neptun & de Celæno, & que Sterope fille du Soleil fut mariee à Eurypile, auquel elle engendra Leucon & Leucippe. Numenie au liure de la peſcherie dit qu’il naſquit de l’Ocean & de Tethys. Lycophron le tient pour fils de Neree, comme le demonſtrent les vers où il dit que Medee donna vn hanap à Triton pour auoir conduit en ſeureté les Argonauchers lors qu’ils cheurent en ces dangereux eſcueils des Syrtes. Ouide au 1. des Metamorph. le fait trõpette de l’Ocean & de Neptun, deſcriuant par meſme moyen la forme de ſa trompette :

Il appelle Triton, qui de naïfue pourpre, Emmi les eaux nageant, ſes eſpaules empourpre : Et ſa conque bruyant luy commande inſpirer, Sous le ban de laquelle il face retirer, En donnant le ſignal, la courſe impeteuſe Des eaux en leur canal. Sa trompe tortueuſe Il prend en bas eſtroitte, en haut s’eſlargiſſant, Et du milieu des flots s’en va l’air empliſſant D’vn ſon, don retentit la plage Orientale, Et s’eſtendant ferit la plage Occidentale.

La partie ſuperieure de ſon corps iuſqu’au nõbril auoit figure d’homme ; & le bas finiſſant en queuë de Dauphin. Dauantage il auoit les deux pieds de deuant, de cheual, & vne grand-double queuë en forme de Croiſſant, ſelon le teſmoignage d’Apollonius au quatrieſme liure des Argonauchers :

Le deſſus de ſon corps, ſa teſte, ſes eſpaules, Ses coſtez reſſembloient aux habitans des poles. Mais d’vn monſtre marin par le bas luy pendoit Vne queuë à fourchons, laquelle ſe ſendoit En deux comme feroient les cornes de la Lune ; Ses ailerons picquans diuiſoient de Neptune Les flots en deux coſtez—

Voicy comme Virgile au 10. de l’Æneide deſcrit la forme de Triton.

Le grand Triton le porte, & d’vne conque creuſe Les perſes mers effroye : il montre iuſqu’aux flancs Comme il nage velus ſes membres reſemblans A vn homme, & le ventre aboutit en balaine : Sous le ſauuage ſein bruit l’eſcumeuſe plaine.

Neantmoins Ouide en l’epiſtre de Dido le qualifie comme ayant accouſtumé d’eſtre porté ſur vn chariot attellé de cheuaux bleus :

Les vents cherront tantoſt, l’onde ſe calmera, Triton ſes bleus cheuaux en mer proumenera.

On dit qu’il auoit les eſpaules empourprees, comme nous auons veu cy-deſſus, au paſſage allegué du 1. liure des Metamorphoſes d’Ouide. Pauſanias en l’hiſtoire d’Arcadie dit, qu’on l’a quelquesfois oüy ietter vne voix humaine, & qu’il reſpiroit à trauers de grandes coquilles troüees. On dit auſſi qu’il s’en vint auec ſa conque à la guerre des Dieux contre les Geans ; laquelle ayant enflee, & d’icelle eſclaté vn ſon non accouſtumé, eux croyans que ce fuſt quelque énorme & eſpouuenttable beſte qu’on euſt ſuſcitee contre eux, prindrent l’eſpouuente, & ſe mirent en fuitte, & par ce moyen les Dieux n’eurent bas beaucoup de peine à les deffaire. Le meſme Pauſanias en l’hiſtoire d’Achaïe fait mention de Tritie fille de Triton, laquelle eſtãt Vierge fut Religieuſe de Minerue : mais depuis Mars luy fit vn enfant nommé Melanippe. Diuers teſmoignages touchant les TritõsLuy meſme és Bœotiques teſmoigne que Triton auoit accouſtumé de ſe ruer impetueuſement ſur tout le beſtail qu’on menoit paiſtre vers la mer prés de Tanagre riche ville de la Bœoce, lequel auſſi aſſailloit les eſquifs & les Mariniers : & que pour le pacifier les habitans luy appreſterent vn iour vn vaſe plein de vin ſur le bord de la mer, duquel ſentant l’odeur il vint à bord & aualla le vin, puis s’endormit ſur vn tertre, d’où s’eſtant laiſſé cheoir, vn Tanagrien accourut deuant qu’il peuſt regagner l’eau, & d’vne coignee luy couppa la teſte. Toutefois d’autres maintiennent que ce fut Bacchus qui le tua. Pline au liure 9. chap. 5. parlant des Tritons, dit qu’vne Ambaſſade enuoyee pour cet effect par l’Empereur Tibere à Lisbonne en Portugal, luy rapporta qu’on auoit veu & ouy vn Triton en vne cauerne ſonnant de ſa conque. Liu. 7. chap. 13.P. Giral. és additions ſur Ælian dit ce qui s’enſuit : Lors que i’eſtois en Grece, en la prouince d’Albanie, les femmes & filles auoyent accouſtumé de venir tous les iours à vne fontaine d’eau viue prés du bord de la mer, où les habitans hantoyent fort, pour y puiſer de l’eau : vn Triton les voyant ſe cachoit au riuage de la mer, puis tout bellement s’approchoit de terre, & s’eſlançant tout à coup hors de l’eau en rauiſſoit vne d’entr’elles, & la violoit. En fin il fut pris auec des lacs courans, & empriſonné, où il mourut de regret, & de faim, ne l’ayans peu induire à manger. Ce pouuoit bien eſtre quelqu’vn de ces monſtres marins deſquels nous auons diſcouru au chap. des Serenes. Ceux qui ont voulu exprimer plus diligemment la figure des Tritons, ont dit que les Tritons auoient la cheuelure reſſemblant à de l’aſche ſauuage, & le reſte du corps couuert de petites eſcailles, auſſi dures qu’vne lime ; les ouyes vn peu plus baſſes que les oreilles ; les nareaux comme vn homme, mais la bouche vn peu plus fenduë ; les dents ſemblables à celles des Pantheres ; les yeux pers ; les mains, ongles & doigts ſemblables à la coquille des eſcailles ; les nageoires ſous le ventre & ſous l’eſtomach, comme on les void aux Dauphins. Neptun, ou la mer, ſont auſſi nommez Triton ; Hercule trois iours au ventre d’vne Baleine.meſme Lycophron appelle Chien de Triton la Balaine au ventre de laquelle Hercule fut trois iours : lequel Hercule il nomme auſſi Lion, diſant :

Le Lion de trois nuits glouton Qu’aualla le chien de Triton

Car Hercule ayant entrepris de mettre en liberté Heſione abandonnee à la mercy d’vne Balaine auec vn accouſtrement Royal, moyennant les promeſſes que Laomedon, Roy de Troye, & pere de la fille luy auoit faites, eſleua vne chauſſee (d’autres diſent vne muraille) de laquelle il ſe rempara auec ſes armes ordinaires : & comme la Baleine s’approchoit la gueule bee pour engloutir Heſione, Hercule ſe ietta dans ſa gueule, où ayant ſejourné trois iours, aprés auoir deſchiré & mis en pieces ce monſtre, il ſaillit dehors la teſte toute pelee, ſelon ce qu’en eſcrit Andretas de Tenede. Le Nil d’Ægypte a pareillement eſté nommé Triton, pource qu’il y parut vne fois vn Triton mort, lequel combien que les Anciens le tinſſent en qualité de Dieu, ne pût toutefois éuiter la violence de la mort, non plus que les fils des autres qu’on tenoit pour Dieux. Cette meſme riuiere a trois fois changé de nom : car premierement elle fut nommee Ocean, puis Egypte, & finalement Nil. Il y a eu au reſte vne riuiere en Afrique nommee Triton, ſortant du marais Tritonide, du nom de laquelle Pallas fut ſurnommee Tritonnis & Tritonienne, pource que ce fut le premier endroit où elle parut. Plus, quelques villes de la Bœoce, Theſſalie, & Libye ont auſſi porté le nom de Triton.

Mythologie de Triton.En ſomme on eſtimoit anciennement que les Tritons fuſſent Dieux appareillez au ſecours & protection des nauigeans, afin qu’on ne penſaſt point qu’il y euſt aucun lieu ny aucun forfaict qui ſe peuſt ſouſtraire de la veuë ou de la preſence de Dieu. Quant à ſa biformité, ou double nature, d’homme & de poiſſon, Phurnut la rapporte aux deux facultez de l’eau marine : l’vne douce, propre & duiſible pour l’vſage & maintenement des vegetaux & animaux : l’autre ſalee, nuiſible & pernicieuſe, qui feroit mourir les animaux de la terre & de l’air, & les vegetaux auſſi, comme leur eſtant du tout contraire. Quant à ce qu’ils diſent que Triton fut fils de Neptun & d’Amphitrite, ou de Neptun & de Celæno, ou de l’Ocean & de Tethys, ou de Neree : ie croy que cela ne ſignifie autre choſe qu’vn monſtre marin, eſtant verittable que la mer eſt l’element le plus fertile à procreer pluſieurs eſpeces de monſtres. Et d’autant que le commun & groſſier peuple admire fort aiſément les choſes qui luy ſont incogneuës : voila pourquoy il cuide ce qui ne paroiſt que peu ſouuent, eſtre quelque choſe de diuin, ou pour le moins qu’il n’aduienne ſans quelque diuin & remarquable ſuject. Ainſi s’engendre & croiſt la ſuperſtition idolatrique.Ce qu’eſtant ainſi il ne fut pas mal-aiſé de faire accroire aux hommes de ce temps-là, que les Tritons fuſſent creatures diuines, voire Dieux, ayans les mariniers en leur protection & ſauuegarde, à laquelle creance ils eſtoiẽt quelquefois induits par la grãdeur des dangers qui ſe preſentoient, (car les eſprits de ceux qui ſont eſtonnez de crainte & d’apprehenſion du peril s’abbruuent aiſement de ſuperſtition.) Or eſtant auenu à quelqu’vn autre, vne grande multitude de perſonnes inuoquans le nom des Tritons, de ſe ſauuer du danger qui les auoit menaſſez, ils eurent depuis la reputation d’exaucer les prieres de ceux qui les ſupplioient d’eſtre prompts à les ſecourir. Ie ne veux oublier à dire, que les Romains mirent ſur le temple de Saturne vn Triton d’vne extreme grandeur, qui ſonnoit de ſa trompe toutes les fois que le vent ſe leuoit, & cachoit ſa queuë dedans terre. Quelques-vns ont opinion que cela demontroit les proüeſſes & les vaillances des hommes illuſtres auoir eſté enuelopees ſous ſilence iuſques au temps de Saturne : mais que depuis l’empire d’iceluy elles ont eſté celebrees par la tres-claire voix des hiſtoriographes. On peut auſſi dire que cela ſignifioit, que la vraye Religion a eſté cachee deuant la venuë de noſtre Seigneur Ieſus-Chriſt : mais que depuis ſon Incarnation, la vraye, ſainte, & ſalutaire loy ſeroit par la predication des ſaints Apoſtres preſchee à tous ceux qui croiroient au Chriſt fils vnique de Dieu. Car autrement c’euſt eſté choſe ridicule à ces anciens, d’auoir des Dieux à queuë. Paſſons à Inon & Palæmon.