De Neree & des Nereïdes.
CHAPITRE VII.
Leur genealogie.NEREE fut fils de l’Ocean & de Tethys, ſuiuant le teſmoignage d’Heſiode en ſa Theogonie, qui le qualifie comme s’enſuit :
Neree non menteur de bouche prophetique
Prediſant l’auenir, le fils le plus antique
Que la bleuë Tethis ait iamais engendré
A l’Ocean chenu : außi l’a-on titré
De ce nom de Vieillard, pour eſtre veritable,
Doux, gracieux, courtois, de bonté venerable,
Et qui ſçachant le droit, en aucune ſaiſon
Ne met point en oubly ce que veut la raiſon.
Pareillement Orphee és Argo-Nochers l’appelle tres-ancien :
I’inuoque en premier lieu le bon vieillard Neree,
Paſſant en nombre d’ans toute race engendree,
Virgile au 4. des Georgiques le qualifie de meſme nom. Toutefois Apollodore au 1. liure de ſa Bibliotheque le faict fils de l’Ocean & de la Terre, auec Phorque, Thaumas, Eurybie, Ceto. Il a doncques eu la reputation d’eſtre prophete & veritable en ſes diſcours, comme de faict il predit fort bien à Pâris les aduerſitez & les miſeres qui aduiendroient aux Troyens, ſelon qu’Horace le touche au premier liure des Carmes :
Quand par les flots le pariure paſteur
Sur les nefs d’Ide Helene ſon hoſteſſe
Auecque luy emmenoit rauiſſeur,
Des vents Neree arreſta la viſteſſe
Par le frain coy d’vn calme non-plaiſant,
Pour d’Ilion dire en prophetiſant
Le ſort piteux : Tu vas à la maiſon
Celle menant ſous vn mauuais preſage,
Que viendra Grece auec vn grand ſcadron
Redemander, ſe liguant d’vn courare,
Pour renuerſer le mariage tien,
Et de Priam le Royaume ancien.
Voyez en l’onzieſme labeur d’Hercule, le trait qu’il fit à Neree allant aux pommes d’or.Apolloine au 4. liure dit qu’il ſe tenoit communément en l’Archipel : & Orphee en vn hymne eſcrit qu’il preſidoit à la mer, où il ſouloit demeurer, s’esbattant à dancer auec les ieunes filles, & qu’il eſtoit le commencement & la fin des eaux : en ſomme voicy comme il deſchifre toutes ſes qualitez :
Toy qui te ſieds en mer en vn ſiege azuré,
Qui tiens les fondemens de l’Ocean Neré,
Flanqué d’vn gentil chœur de cinquante pucelles,
Venerable demon, dançant au milieu d’elles,
Toy qui bornes Neptun, des eaux le fondateur,
Toy que tout animant recognoiſt pour auteur.
Euripide en ſon Iphigenie l’appelle nourriſſon des ondes, pere de Thetis & des cinquantes Nereïdes, leſquelles il engendra de ſa femme & de ſa ſœur Doris, fille auſſi de l’Ocean ; elles auoient ſelon le dire des Poëtes, vne perruque verde ; & ſuiuant cet auis Horace au 3. des Carmes dit ainſi :
Nous irons chantant tour à tour
Le Dieu Neptun & la verte criniere
Des Nymphes du marin ſejour.
Ils eſtimoient auſſi que les Halcions (Chap. 16. du preſent liure.oyſeaux deſquels nous traitterons en bref) leur fuſſent fort agreables, teſmoing Theocrite és Thaleſes, les appellant :
Oiſeaux des mieux aimez des perſes Nereïdes.
Orphee en vn hymne des Nereïdes dit qu’elles paſſent leur temps en la mer à dancer, folaſtrer, & voltiger çà & là comme poiſſons bien gais autour du chariot de Triton. Homere au ſixieſme de l’Iliade nomme vne bonne partie de ces Nereïdes : mais Heſiode en ſa Theogonie, beaucoup plus, à ſçauoir : Proto, Eucrate, Sao, Amphitrite, Eudore, Thetis, Galene, Glauce, Cymothoë, Spio, Thalie, Melite, Eulimene, Agaue, Paſithee, Erato, Eunice, Doto, Pheruſe, Dynamene, Neſæe, Actæe, Protomedee, Doris, Panope, Galathee, Hippothoë, Hipponoë, Cymodoce, Cymatolege, Cymo, Eione, Halymede, Glauconome, Pontoporie, Liagore, Euagore, Laomedee, Polynome, Autonoë, Lyſianaſſe, Euarne, Pſamathe, Menippe, Neſo, Eupompe, Themiſto, Pronoë, Nemerte. Apollodore Athenien au 1. liu. adiouſte celles-cy outre les ſuſnommees ; Glaucothoë, Nauſithoë, Halie, Pione, Pleſaure, Calypſo, Cranto, Neomeris, Deianire, Polynoë, Melie, Dione, Iſæe, Dero, Eumolpe, Ione, Ceto, Limnoree, Ligee. Outrecuidance de Caſſiope.Elles eſtoient toutes belles en perfection ; & de faict Caſſiope femme de Cephee Roy d’Æthiopie, ſe vantant de ſurpaſſer en beauté toutes les femmes de ſon temps, oſa bien meſme ſe preferer aux Nereïdes. Quoy faiſant elle attira ſur ſoy leur indignation. Voyez le dernier chap. du 7. liur. & le 26 du preſent liure.Ces Nymphes doncques irritees de l’arrogance de cette femme, & ne pouuans ſupporter vne ſi grande temerité, ſuſciterent vne prodigieuſe balaine, qui fit vn eſtrange degaſt en tout le pays : puis aprés Caſſiope eut commandement de l’Oracle d’expoſer & lier contre vn rocher ſa fille vnique Andromede pour eſtre deuoree par ladicte balaine, mais Perſee par ſa vertu la deliura, & par le merite d’iceluy Andromede fut logee entre les Eſtoilles (ce qui ſert d’exemple pour apprendre à n’eſtre iamais ſi outrecuidé ne ſi temeraire) où elle ſouffre encore vne partie de ſa punition, comme le teſmoigne Arat :
Cette Caßiope va roulant, & pleureuſe
Cerche ſa fille : encore dit-on que tout-honteuſe
On la pouſſe du ciel d’vn deſdain peu courtois ;
Car deſcendant en bas on la void quelquefois
Les pieds encontre mont, la teſte renuerſee.
Ainſi l’a chaſtié la brigade offenſee
Des Nereïdes ſœurs, pour auoir entrepris
Sur leur digne beauté ſe preualoir du prix.
Voila ce qui ſe trouue de Neree, & des Nereïdes : voyons maintenant quel en eſt le ſens.
¶Mythologie de Neree.Neree fut fils de l’Ocean & de Tethys, qui certes n’eſt autre choſe que le conſeil & experience à bien gouuerner les vaiſſeaux cinglans en mer, veu que cette experience procede de l’Ocean & de ſes ondes. Il engendra beaucoup de filles, qui ſont les inuentions & les changemens de conſeil appartenans à la nauigation. Ils ont qualifié cette experience du nom du Vieillard Neree, à cauſe de l’ancienneté de la nauigation : & luy ont attribué le don de prophetie, pource que l’experience qu’on acquiert en chaque ſcience, faict qu’on deuine & preuoid de loing beaucoup de choſes à venir. Et ne faut pas eſtimer qu’aucun ſoit expert en la nauigation, s’il ne ſçait preuoir de loing comme d’vne tres-haute guerite les changemens des vents & les ſignes des tempeſtes. Les Anciens ont feint que ce Dieu ſe tranſmuoit en diuerſes formes pour eſchapper à Hercule : pource que le deuoir du Sage eſt de s’accommoder à tous changemens & diuerſitez, & aux rencontres des affaires qui ſe preſentent. Ils ont donc voulu montrer que perſonne ne doit penſer que la clemence des Dieux immortels luy manque, qu’aucun ne perit ſi ce n’eſt par ſa propre folie, ſe fourrant és plus orageuſes tempeſtes de la mer ſans auoir eſgard
Aux arreſts du grand Pere, à ce que preſagiſſent
Les Lunes tous les mois, ny quels ſignes agiſſent
Pour appaiſer les vents.—
En ſomme c’eſt autant que s’ils nous chantoient encore à preſent cette leçon : Comporte toy ſagement au maniement de tes affaires ; & quand par imprudence ou temerité tu te ſeras precité en quelque danger, n’en impute point la faute à Dieu, veu qu’il aſſiſte fort benignement à tout homme ſage & diligent. Neree pris pour l’eau marine.Toutefois les autres appellent l’eau marine Neree, comme Ouide en l’epiſtre de Deianire :
Regarde l’Vniuers d’vne main vengereſſe
Mis en paix quelque part que Neree l’empreſſe.
Voyla quant à Neree : s’enſuit Phorcys :