Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VIII, 13 : De Scylle Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Scylle.

CHAPITRE XIII.

Scylle, femme prodigieuſe.SCYLLE & Charybdis, monſtres coniurez contre les mariniers, & fort à craindre aux voyageans ſur mer, furent (comme l’on dit) iadis femmes. Scylle fut fille de Phorcys & d’Hecate, ſuiuant le dire d’Acuſilaüs. Homere dit que Cretæis fut ſa mere, qui toutefois ſelon l’auis d’Apolloine au 4. liure n’eſt autre qu’Hecate meſme. Chariclide la faict fille de Phorbas & d’Hecate ; Steſichore, de Lamie. Timæe au vingt-&-vnieſme liure de ſes hiſtoires, maintient qu’elle fut fille, non de Phorſis, mais de Typhon. D’autres eſcriuent que Scylle fut fille de Niſe, Roy de Megare, laquelle amourachee de Minos, ennemy de ſon pere afin de s’obliger ſon mieux aymé par quelque ſuject, couppa cachément les cheueux pourprins de ſon pere, contenans toute la deſtinee de ſon Royaume, voire de ſa perfonne meſme, ne pouuant mourir tandis que ſes cheueux demeureroient en leur entier, ſelon que l’Oracle luy auoit predit ; puis en fit preſent à Minos, eſperant par ce moyen l’attirer à ſon amour, luy liurant, & ſon pere & ſa ville de Niſæe. Car aprés que les ceux de Megare corrompus à force d’argent par les Atheniens, ſe furent joints auec eux pour faire mourir Androgee, fils de Minos, braue lutteur, Minos leur fit la guerre, durant laquelle cette Scylle deuint amoureuſe de luy, & luy liura par ſa ſuſdite deſloyauté & ſon pere & ſa patrie. Toutefois Pauſanias en l’hiſtoire Attique, & Strabon au 8. liure diſent que les Atheniens deſcendirent vne fois en armes ſur les frontieres du Roy Niſe, & luy prindrent d’arriuee quelques places, refermerent Niſe en la ville de Niſæe, & l’aſſiegerent ; & qu’alors ſa fille Scylle le liura entre les mains des Atheniens aprés luy auoir couppé ſes cheueux fataux. Digne ſalaire d’inſigne meſchãt.Mais Minos au lieu de luy ſçauoir gré de ſa trahiſon, la precipita dedans la mer, abhorrant ſa perfide meſchanceté ; lors elle fut tranſmuee en vn monſtre marin, qu’on appelle encore auiourdhuy Scillo. Les autres eſcriuent que voyant Minos ne tenir conte de ſon amour, elle deſeſperee ſe noya, & que les Dieux par iuſte vengeance la muerent en monſtre, & l’accompagnerent de chiens pour la deſchirer continuellement. Deux Scylles.D’autres qu’il y a eu deux Scylles, l’vne fille de Phorcys, l’autre de Niſe : & que cette derniere pourſuiuie par ſon pere auquel elle auoit coupé les cheueux, fut transformee en cocheuis, & Niſe en faulcon, oyſeaux ennemis entre-eux, comme teſmoigne Virgile au 1. des Georgiques :

Niſe haut apparoiſt en la liquide plaine, Et pour ſon crin pourpré Scylle porte la peine : Par où prompte fuyant le courroux paternel, Elle va ſillonnant l’air d’vn pennage iſnel, Voicy Niſe ſoudain qui d’vne ſifflante aile Vole ennemy cruel par les vents aprés elle : Par où Niſe volant par les vents la pourſuit, L’air d’vn pennage iſnel ſillonnant elle fuit.

Pauſanias és Corinthiaques dit que Scylle fille de Niſe, & qui le trahit, ne fut ny changee en oyſeau, ny en monſtre marin, ny femme de Minos, comme il luy auoit promis : ains que par le commandement de Minos meſme elle fut iettee dans la mer, & les vagues la demenerent tant qu’en fin elle fut portee iuſques en la Moree, en vn endroit qui fut nommé Cap de Scylle, où ſon corps demeura ſi long temps ſans ſepulture, que les oyſeaux marins le deuorerent. Zenodote au troiſieſme liure de ſes abregez, dit que Scylle fut penduë à la prouë de la galiote de Minos, & ainſi trainee par la mer iuſqu’à ce ce qu’elle euſt rendu l’ame. Scylle concubine de Neptun empoiſonnee par Amphitrite.Quant à Scylle fille de Phorcys, on dit qu’elle fut de tres-belle taille, & que Neptun coucha auec elle : ce qu’Amphitrite femme de Neptun ayant deſcouuert, empoiſonna la fontaine où Scylle auoit accouſtumé de s’aller baigner : dont deuenuë furieuſe elle ſe precipita dans la mer, & fut ainſi conuertie en monſtre marin. Les autres content que Scylle eut affaire auec Glauque, dequoy Circe ialouſe & mal-contente, laquelle l’aymoit, empoiſonna la fontaine où Scylle s’alloit ordinairement lauer : & que par ce moyen elle fut depuis le haut de la teſte iuſques au nombril transformee en diuerſes figures. Scylle donc eſtonnee de ſa difformité, ſe ietta dans la mer, : de là veint la Fable, comme dit Zenodore Cyrenien. Voicy comme Iſace deſcrit la forme de Scylle ; ayant ſix teſtes de chenille, de chien, de lion, de Gorgone, de baleine, & de femme. Les autres diſent qu’elle auoit vn air de viſage de tres-belle femme iuſques aux yeux ; mais que le deſſus eſtoit tres-laid, comme aboutiſſant en ſix teſtes de chiens : le reſte de ſon corps en forme de ſerpens. Homere au 12. de l’Odyſſee dit qu’elle auoit ſix teſtes & douze pieds ; & que chaſque teſte auoit trois rangs de dents :

En ce deſtroit gouffreux ſon ſiege & domicile Semblable à chiens hullans tient l’aboyante Scylle. C’eſt vne male peſte & monſtre dangereux. Nul ne la ſçauroit voir, fuſt-ce des bien-heureux, Qu’il n’en ſoit eſpuré, que d’horreur il ne tremble. Elle a deux fois ſix pieds ; elle conioint enſemble Six cols à longs tuyaux, & ſix teſtes ſur eux, Teſtes d’eſtrange mine & viſages hideux. Vn triple rang de dents ſes bouches gabionne, Et d’engloutir quelqu’vn ſans ceſſe elle eſpionne.

Virgile au 3. de l’Æneide deſcrit autrement la forme d’icelle :

Mais dans profonds cachots vne foſſe renclot La rauiſſante Scylle hors ſes gueules tirante, Et contre les rochers les vaiſſeaux attirante. Par haut elle reſſemble en forme vn corps humain. Et iuſques au nombril vne vierge au beau ſein. Par bas elle a le corps d’vne balaine enorme, Et au ventre de loups elle attache difforme Des queuës de Daulphins.—

On dit dauantage, qu’elle auoit des yeux flamboyans, & des cols ſi longs qu’elle pouuoit attirer à elle les vaiſſeaux meſme bien eſloignez d’elle : auſſi tous ceux qui en approchoient, faiſoient naufrage ; & les chiens qu’elle auoit autour de ſes parties honteuſes deuoroient les perſonnes, ſelon le teſmoignage de Virgile au Silene :

A quoy reciteray-ie ou la Scylle de Niſe, Ou bien celle qu’on bruit des monſtres aboyans Ceinte en l’eine eſcumeuſe, és gouffres ondoyans, Fiere auoir tourmenté les naufs Dulychiennes, Et, las ! faict deſchirer aux Rages gueules-chiennes Les timides nauchers ?

Charybdis femme larronneſſe.Charybdis fut auſſi vne gloute & rauiſſante femme, laquelle ayant deſrobé à Hercule quelques beſtes à corne lors quil touchoit les aumailles de Gerion, fut foudroyee par Iupiter, & transformee en vn goufre marin, (on l’appelle auiourd’huy Galofaro) ſcitué en vn deſtroit de la coſte de Scylle, à l’oppoſite de Scylle, de tres-dangereux accez, s’eſlançant d’vn abyſme creux en l’air, & deuorant tout ce qu’il rencontre, puis à certaines ſaiſons le deſgorgeant. Toutesfois les autres ſouſtiennent que Hercule l’occit, & que Iupiter la transforma comme deſſus. Iſace ſuiuant l’auis de Mnaſias de Patres eſcrit qu’Hercule la tua pour le ſuſdit larcin : mais que puis-apres ſon pere Phorcys la fit boüillir dans vne chaudiere, puis la reſuſcita. Voila en vn mot ce que les Anciens eſcriuent de ces deux dangereux eſcueils en la coſte de Sicile. Homere les dechiffre de ceſte ſorte au douzieſme de l’Odyſſee :

L’vn de ces deux eſcueils d’vne eſcumeuſe rage Eſlance iuſqu’aux cieux ſes boüillons, vn nuage Noiraſtre l’enuironne, & iamais n’eſt ſerein, Ny quand l’Eſté permet de recueillir le grain, Ny lors que la vendange & liqueur on entonne Du pere Bromien en la ſaiſon d’Autonne. Que ſi quelque naucher à cent pieds, à cent mains, Vouloit paſſer deſſus, ſes efforts ſeroient vains.

Et vn peu plus bas il deſcrit ainſi l’autre eſcueil :

Tu verras l’autre eſcueil plus affaißé, Vlyſſe. Ils ne ſont ſi loingtains que d’vn trait tu ne puiſſe Tirer de l’vn à l’autre : il y a vn figuier Ample que tu verras en fueilles verdoyer, Sous l’ombrage duquel la diuine Charybde Hume l’eau de la mer, & d’vne pance auide Trois fois le iour l’aualle, & trois fois la met hors. Garde bien d’approcher, quand ell’hume, à ſes bords.

Virgile au 3. de l’Æneide la dépeint comme il s’enſuit :

—La Scylleenne rage Le coſté droit aßiege, & au goſier gouffreux Charybde tient la gauche, & dans l’abyſme creux De ſon gouffre trois fois engloutiſſant deuore Les vaſtes flots briſez, & tour à tour encore Es airs les lance, & bat les aſtres de ſon flot.

Puis ſuit la deſcription de Scylle cy-deſſus alleguee. Sujet des chiens deuorans Scylle.Strabon au 1. liu. eſtime (& ſemble qu’Homere ait eſté de cet auis) qu’il ſe faſſe en la mer de Sicile vn grand flux & reflux autour de ces eſcueils ; & d’autant que les vagues y menent vn bruit effroyable, à cauſe des concauitez des rochers, cela donna ſujet aux anciens de dire que Scylle auoit autour de ſes flancs & eines des chiens qui la deuorent. Voicy comme Iſace deſcrit cela : Scylle eſt vn promontoire auprés de Rhege en Sicile, éminent en la mer, au deſſous duquel y a pluſieurs & gros rochers creuſez & cauerneux, eſquels ſe retirent les monſtres marins. Les vaiſſeaux qui eſchouënt contre ces rochers font bris & periſſent és eaux de Charybdis : puis ces monſtres deuorent les perſonnes. Or Charybdis & Scylle ſont proches l’vn de l’autre ; Charybdis eſt prés de Meßine, Scylle prés de Rhege. Scylle et Charybdis reputees femmes.On dit qu’elles furent iadis femmes : d’autant que ces eſcueils eſtoient de telle forme, qu’à les voir de loin ils auoient forme de femmes. Car (comme l’optique nous apprend) ſelon que ceux qui regardent ſont ou prés, ou loin, & ſelõ que la choſe qu’on contemple eſt placee, beaucoup de choſes repreſentent vne forme, ou de plante, ou d’animal, ou d’autre creature. Qu’ainſi ſoit l’enarrateur d’Apollonius Rhodien le nous enſeigne, comme auſſi Agatharchide le teſmoigne au 7. de l’hiſtoire de l’Europe. Scylle eſt vn promontoire s’auançant en la mer, ayant forme & face de femme. Au deſſous il y a pluſieurs & gros rochers creux par dedans & cauerneux, où ſe logent les beſtes marines. Tous les vaiſſeaux doncques que les vagues, ou la tourmente iette dedans Charybdis, periſſent là, & ſont engloutis par ce gouffre : mais ceux qui longuement cõbatus et demenez par les ondes de Charybdis viennent à heurter contre les rudes & cachez rochers de Scylle ſe briſent & caſſent en pieces : en ſuite ces mõſtres marins de pluſieurs eſpeces ſortent de l’embuſcade, & deuorent les hommes. Quelques-vns expoſans cecy plus ſoigneuſement, enſeignent que le bras de mer qui eſt en l’Italie & la Sicile a ſept ſtade (375. pieds) de large ; & que trois promontoires de Sicile, Libyæe, Pachin & Pelore, le dernier regarde vers l’Italie, au deſſous duquel on dit qu’eſtoit ce gouffre de Charybdis ; vis à vis d’iceluy eſtoit Scylle en Italie, au deſſous d’vn autre promontoire qui s’auançoit en la mer de cette coſte-là, repreſentant la ſemblance & forme d’vne femme. Les Poëtes diſent que Scylle auoit des chiens à ſes coſtez & eines qui deuoroient les paſſans, d’autant que ces monſtres ſortant d’vn lieu bas, à ſçauoir de la cõcauité des rochers où ils eſtoient muſſez, & s’eſlançans en haut, ſembloient iſſir comme hors de la poitrine de Scylle. C’eſt doncques l’eſcueil, & la profondeur des eaux, & la forme d’iceluy qui a donné ſubiect à cette Fable. Quand Hercule veint à paſſer par là, où il perdit vne partie des beſtes à cornes qu’il menoit, le bruit courut qu’il auoit tué Charybdis, pource qu’à force d’engins il applanit ce mauuais paſſage, & le rendit nauigeable à l’auenir ; de façon qu’il ne laiſſa à la poſterité aucune apparence ny remarque, ny de Scylle, ny de Charybdis. Quant à la denomination des mots, on tire celuy de Scylle du Grec ſylân, c’eſt à dire deſpoüiller & voler : ou de ſcyllein, vexer : item de ſcylax, petit chien, celuy de Charybdis de chaskhein baailler ; & roibdoûn, engloutir.

Mythologie de Scylle & de Charybdis.Quant à moy i’eſtime que cette Fable cõtient la nature des vertus & des vices : pource que comme ainſi ſoit que le marinier ayant d’vn coſté Scylle, & de l’autre Charybde, nauige entre deux grands dangers ; & que celuy ſeul eſchappe ſain & ſauf qui n’eſchouë non plus à l’vn qu’à l’autre de ces deux tres-dangereux eſcueils. Que veut dire cela, ſinon ce que dit Ariſtote és Ethiques, que la vertu eſt le mileu des deux extremitez, deſquelles il faut euiter l’vne & l’autre ? Or afin de nous faire fuir les extremes vices, les Anciens leur ont donné des formes partie de femmes, & belles, pour nous attraire à elles, partie d’eſpouuenttables monſtres : propoſans à ceux qui en approchoient les calamitez qu’ils encouroient auec la perte de leurs vies ; & de leurs biens, accompagnans ces rochers & ces gouffres, de chiẽs & autres monſtres deuorans ceux qui s’y arreſtoient. Car qu’eſt ce autre choſe de la vie humaine qu’vne aſſiduelle nauigation au milieu de toutes ſortes d’afflictions & plaiſirs illegitimes ? Or celuy ſeul qui aura veſcu en ſaincteté & pieté, ſe deſtournant des vices quelque part qu’ils ſoient, pourra paruenir en ſa patrie, qui eſt la retraitte & aſſemblee des ames bien-heureuſes apres l’iſſuë de cette vie ſur leſquelles Dieu preſide. Mais pource qu’il n’y a celuy qui ne puiſſe aiſement tumber en faute, s’il auient à quelqu’vn d’approcher de tels eſcueils, il faut que de toute ſa puiſſance il taſche à s’en eſcarter : car il n’y a homme viuant que nature meſme n’incite quelquesfois à volupté, ne qui ne ſente par fois les aiguillons de la chair. C’eſt pourquoy le plus ſage de tous les Poëtes, Homere, introduit ſon Vlyſſe n’eſchappant de là qu’auec beaucoup d’ahan & de peine, apres la perte de pluſieurs de ſes compagnons : parce que peu de perſonnes ſe comportent vaillamment quand ils ſe trouuent en danger : encore moins y en a-il qui ſoient ſages, depuis qu’ils ſe ſont vne fois captiuez ſoubs les voluptez de leur chair, deſquelles à peine ſe peuuent-ils affranchir. Scylle pourquoi trãſmuee en mõſtre marin.On dit que Circe transforma Scylle en ce monſtre, laquelle eſtoit tres-belle femme : d’autant que tous ceux qui ſe deſtournent de la raiſon & de la droite maniere de viure, ſe deſaiſiſſent de l’eſprit humain pour reueſtir celuy des beſtes brutes. Car n’auons nous pas dict que Circe eſt vn chatouïllement de nature qui nous aiguillonne & induit à ſuiure les appetits & les volontez de noſtre chair ? Or doncques (pour faire court) les anciens voulans monſtrer que la vie humaine eſt remplie de difficultez & perils, & ſemblable à celuy qui nauige entre deux dangereux gouffres, ou rochers, laquelle eſtãt mal gouuernee & auec peu de ſageſſe, les hommes allechez par leurs voluptez, tomberont en tres-grandes miſeres. Voila ce qu’ils ont conté de Scylle & Charybdis qu’ils ont reueſtu de plaiſans contes fabuleux, afin que ceux qui autrement n’auoient pas beaucoup de ſoin de leur ſalut, fuſſent pour le moins par la douceur de telles feintes attraits à eſcouter le vray moyen de bien & honneſtement viure. Les autres tirent de ceſte fable vne inſtruction pour les exceſſifs dépenſiers, d’autant que ſans y penſer ils demeurent en arrerages, deſquels ils ne ſe peuuent liberer non plus que du golfe de Scylle : & finalement viennent à perdre en vn moment toute leur richeſſe. Paſſons à Orion.