D’Ion ou d’Iſis.
CHAPITRE XX.
Genealogie d’Ion.ION, qui par la jalouſie de Iunon fut tranſmuee en vache blanche, fut fille d’Argus & d’Iſmene fille d’Aſope, ſelon Cecrops ; mais ſelon Aceſidore, de Neptun & de Hallirhoë : toutefois Acuſilas l’eſtime fille de Pyrené, & religieuſe de Iunon : mais la plus commune opinion la tient pour fille d’Inache, ſelon le teſmoignage d’Ouide au 1. des Metamorphoſes, diſcourant des riuieres qui vindrent conſoler Inache aprés la transfiguration de ſa fille :
—Inache ſeul n’y entre,
Qui muſſé dans ſa grotte enfle à ſes eaux le ventre
A force de pleurer & de gemir, helas !
Penſant auoir perdu ſa fille ſon ſoulas,
Ion, qu’il ne ſçait pas s’elle eſt encor’ en vie,
Ou bien ſi chez Pluton Atropos l’a rauie ;
Mais celle-là qu’il cherche, & ne la trouue pas,
Il croid qu’elle n’eſt plus, & craind fort le treſpas.
Ceux qui diſent Ion auoir eſté religieuſe de Iunon, eſcriuent qu’elle la conuertit en vache ayant deſcouuert que Iupiter auoit habité auec elle, combien qu’il ſouſtint auec ſerment le contraire. Andretas Tenedien en la nauigation de la Propontide, qu’on appelle Canal de Conſtantinople, maintient qu’Ion ne fut iamais appellee à la charge de Preſtriſe pour le ſeruice de Iunon : Ion femme impudique.qu’au contraire ce n’eſtoit qu’vne courtiſane qui par charmes s’efforçoit de rendre Iupiter amoureux de ſa perſonne : & pour ce faire, ſe ſeruoit de l’ayde d’Iynx fille d’Echo (ou pluſtoſt de Suadele) & de Pan. Dequoy Iunon ayant auis, tranſmua cette Iynx en oyſeau de meſme nom qu’elle, que l’on dict ſeruir aux ſorcelleries & enchantemens : & pource qu’il remuë & hoche touſiours la queuë, on l’appelle communement Hochequeuë, & Lauandiere, à cauſe qu’il tient ordinairement compagnie à telle maniere de femmes. C’eſt vn petit oyſeau, ayant le plumage de couleur, le col long pour la groſſeur de ſon corps ; il tire la langue aſſez ſouuent, & retourne à tous propos ou le col, ou le corps. Les ſorcieres l’attachent à vne roüe de cire, puis auec quelques paroles & coniurations le rotiſſent & bruſlent sur les charbons : quelques-vnes n’en prennent que les parties de dedans. Voila ce qu’en dit Andretas. On dit que Venus donna vn de ces oyſeaux à Iaſon lors qu’il fit le voyage de la Colchide, à fin d’attirer Medee à ſon amitié. Ainſi donc Iupiter enſorcelé par l’artifice d’Iynx, s’enueloppa d’vne nuee, & veint embraſſer Ion. Mais Iunon qui auoit touſiours la pulce à l’oreille, & l’œil à l’erte, s’apperceuant que cette nuee auoit obſcurcy la clarté du iour deuant que l’heure de la nuict fuſt venuë (ce que Iupiter auoit faict pour n’eſtre decouuert) ietta les yeux incontinent par tout le Ciel, & n’y voyant point ſon Iupiter, ſe prit à dire,
Certes ſi ie ne ſuis grandement abuſee,
Iupin ioüe d’vn trait à ſa chaſte eſpouſee.
Et ſur ce martel deſcendit promptement en terre. Muee en genice.Iupiter ſentant ſa venuë, transfigura Ion en genice blanche, penſant par ce moyen oſter tout ſoupçon à ſa femme : laquelle diſſimulant pour lors ſon mal-talent, le pria de luy faire vn preſent de ceſte vache, qu’elle trouuoit excellemment belle. Donnee à Iunon.Luy ne voulant d’vn coſté abandõner ſes amours, & de l’autre, honteux de refuſer à Iunon vn preſent de ſi petite valeur, & craignant que le refus ne fiſt deſcouurir la ruſe, la luy donna : non toutesfois de bon cœur. Et par elle à ArgusIunon ayant ceſte vache en ſa poſſeſſiõ, la donna en garde à Argus fils d’Areſtor (d’autres dient d’Actor) qui l’emmena en la montagne de Mycæne, & l’attacha contre vn oliuier, affin qu’elle ne s’eſgaraſt plus loing que ſa longe. Cet Argus auoit cẽt yeux à la teſte, leſquels ne dormoient iamais tous enſemble, ains vne partie veilloit cependant que les autres repoſoient. Ouide dict que deux ſeulement ſommeilloient tandis que tous les autres eſpioient ſoigneuſement ceſte vache tout le long du iour : la nuict venuë, il l’enfermoit auec le ioug au col. Or apres qu’elle eut longuement eſté priſonniere d’Argus, Iupiter eut pitié de ſes auantures, & de luy voir ſi miſerablement brouter l’herbe, paſture indigne de ſa qualité. Il fit donc venir à ſoy Mercure, & luy commanda qu’il emmenaſt Io, & la remit en liberté, à quelque prix que ce fuſt, voire aux deſpens de la vie d’Argus. Mercure deſcendu en terre prit la forme d’vn berger, & s’en vint trouuer Argus auec vne fluſte, de laquelle il ſe prit à ioüer doucement deuant luy pour l’endormir par la douceur de ſon harmonie. Il aſſopit bien vne partie de ſes yeux, mais l’autre partie faiſoit bon guet : Liure 5. chap. 6. ſur la fin.& là deſſus s’enquit de Mercure qui auoit eſté le premier inuenteur de la fluſte : qui pour le contenter, entama le diſcours de la Nymphe Syrinx muee en roſeaux, deſquels Pan ſon amoureux façonna la fluſte ; & comme il pourſuiuoit le fil de cette transfiguration, il apperceut que tous les yeux d’Argus eſtoient aſſopis, & pour renforcer leur ſommeil, les toucha de ſa verge charmee : puis ſe mit en deuoir d’emmener ſa vache. Mais vn ieune garçon malauiſé, nommé Hierax, reſueilla Argus. Tué par Mercure.Mercure n’y pouuant plus proceder à l’emblee, aſſomma d’vne pierre Argus (Ouide dit qu’il luy coupa la teſte pendant qu’il dormoit) & transforma Hierax en oyſeau de meſme nom que luy, lequel nous appellons Sacre. Iunon extremément choleree pour cette iniure à elle faicte, deſcendit à grand’haſte, & premierement mua Argus en vn Paon, garny d’autant d’yeux en ſon plumage qu’Argus en auoit en la teſte, & quand & quand enuoya quantité de tahons à cette vache, qui la perſecuterent de telle façon qu’elle en deuint toute furieuſe, ce que touchant Virgile au 3. des Georgiques :
Iadis pour exercer l’horreur de ſon courroux,
De ce monſtre s’aida par vn martel ialoux
Iunon ayant braſſé vne cruelle peſte
Contre Io ſang d’Inache auec haine funeſte.
Auentures de Ion furieuſe.Ainſi doncques cette geniſſe furieuſe eſchappant à Mercure, ſe ietta premierement dedans la mer, qui de ſon nom fut appellee mer d’Ionie, faiſant partie de la mer Mediterranee au deſſus de l’embouchure de la mer Adriatique entre la Sicile & la Candie, qu’elle trauerſa à nage (toutefois Theopompe dit que cette mer ne porte pas le nom d’Io, mais bien d’Ionius Sclauon. Archidame dit qu’elle fut ainſi dicte de l’inconuenient d’vne trouppe d’Ioniens, peuples d’Aſie la mineur qui perirent là par naufrage) Puis aprés trauerſant la Sclauonie, elle paſſa la montagne d’Hæme, & le canal de Conſtantinople, qui de ſon nom fut nommee Boſphore, comme qui diroit Paſſage du bœuf (ou de la vache ; car le mot ſignifie l’vn & l’autre ſexe) Puis paſſant en Scythie elle trauerſa pluſieurs mers en Europe & Aſie, tant qu’elle paruint finalement en Ægypte, comme dit Ouide au 1. des Metamorphoſes, Or quand elle fut ſur le bord du Nil, elle ſe ſentit fort haraſſee & pleine d’apprehenſion d’outrepaſſer encore ce grand fleuue : ſi que s’agenoüillant ſur le riuage, & hauſſant le col & les yeux en haut auec vn meuglement piteux, elle faiſoit contenance de ſupplier Iupiter de mettre fin à ſes ennuis. C’eſt pourquoy Æſchyle en ſon Promethee introduit Ion ſe deſeſperant à part ſoy, connoiſſant les eſtranges auentures & faſcheux trauaux qu’il luy conuenoit ſouffrir, ſelon que Promethee les luy auoit prophetiſez :
Quel profit ay-ie en cette vie ?
Mais que ne me prend-il enuie
Pluſtoſt me perdre et abyſmer,
Du haut d’vne roche en la mer
Pour mettre fin à mes miſeres ?
Mieux vaut gouſter les eaux ameres
D’Acheron qu’auoir en trauaux
Tous les iours martyres nouueaux.
Iupiter meu de compaſſion s’en alla trouuer Iunon, & l’embraſſant d’vne amoureuſe careſſe, la pria de poſer l’ire qu’elle auoit conceuë contre cette pauure malheureuſe :
Laiſſe ta peur (dit-il) ie te promets
Que cette-cy ne te fera iamais
Souffrir douleur, & pour preuue certaine,
J’en fay ſerment par l’onde Stygienne.
Ion reſtablie en forme humaine.Par ce moyẽ il appaiſa la cholere de Iunon, puis reſtablit Ion en ſa premiere forme, dont elle fut pour le commencement ſi fort eſtonnee, qu’elle n’oſoit ouurir la bouche pour parler, de peur qu’au lieu de voix & parole humaine il luy ſortiſt encore quelque meuglement comme n’agueres. Æſchyle en la ſuſdite Tragedie dit que Iupiter amadoüant cette geniſſe, & luy paſſant la main tout le long du dos, elle reprit ſa premiere figure humaine. Apollodore au liure des Dieux eſcrit que cela auint auprés de la ville d’Iope, qui fut ainſi nommee pource qu’Ion par l’aide diuine auoit vaincu Argus, & eſtoit là deuenuë femme cõme iadis. Apollodore dit qu’Ion ayant vers le Nil recouuré ſon ancienne forme, accoucha d’vn fils qu’elle auoit eu de Iupiter, & fut nommé Epaphe, qui depuis eut querelle auec Phaëton, Liure 6. chap. 1.comme nous l’auons deſcrite ailleurs. Iunon prit cet enfant & le donna aux Curetes pour le cacher : dequoy Iupiter leur ſceut ſi mauuais gré, qu’il les fit mourir, cependant qu’Ion fit le voyage de Syrie cherchant ſon fils, lequel ayant trouué elle retourna en Egypte. Strabon au 10. liure eſcrit qu’il y auoit en Eubœe ſur le riuage de l’Archipel vne grotte qu’on appelloit la ſale du bœuf, où l’on diſoit qu’Ion auoit enfanté Epaphe. Depuis ſes couches elle eſpouſa Oſiris, & les Egyptiens la mirent au rang de leurs Dieux, en faueur des bienfaits qu’ils auoient receus d’elle, comme nous expoſerons tantoſt ; l’adorans ſous le nom d’Iſis (les autres diſent que ce ne fut qu’aprés ſa mort) croyans qu’elle preſidaſt ſur les tempeſtes & voyages de la mer. Ils luy dreſſerent des ſeruices & religieux qui de ſon nom ils appelloient Iſiaques. Suidas eſcrit, que Iupiter rauit Iſis d’entre les mains d’Argus, & que craignant d’eſtre ſurpris par Iunon, il la tranſmua tantoſt en genice blanche, tantoſt noire, tantoſt violete, & qu’allant ça & là tracaſſant auec elle, il vint en Egypte. Voila les contes que les Anciens font touchant Ion fille d’Inache.
¶Herodote en ſa Clio dit que quelques Phœniciens enleuerent cette Ion, & l’emmenerent en Egypte : Ephore l’a ainſi eſcrit, & les Phœniciens le tenoient iadis pour choſe veritable. Mais les Perſes chantent bien vne autre note, & maintiennent qu’Ion ayant eſté violee en la ville d’Argos par le patron d’vne galere de Phœnice, comme elle ſe ſentit enceinte, craignant ſes parens ſuiuit volontairement ces Phœniciens en Egypte. Mais de dire que transformee en genice elle ait iamais trauerſé la mer, c’eſt choſe du tout fauſſe : & la ſource de cette Fable eſt venuë de ce qu’elle s’eſtoit embarquee en vne carraque qui portoit pour enſeigne la partie enterieure d’vne vache peinte en la prouë : dedans laquelle ayant paſſé cette mer qui ſepare l’Aſie d’auec l’Europe, ſur le bord de laquelle eſt baſtie la ville de Conſtantinople, ce canal fut nommé Boſpore, parce que ce bœuf ou vache (c’eſt à dire ce vaiſſeau ainſi nommé) auoit paſſé par là. Les autres veulent dire que ce paſſage fut nommé Boſpore, pource que le Roy d’Egypte enuoya vn bœuf à Inache au lieu de ſa fille Ion : lequel eſtãt mort ils le porterent en montre en Grece, où cet animal n’eſtoit encore connu, ſelon le dire de Soſiphane en ſon Meleager. Et dautant qu’à ceux qui le voyoient de loing il ſembloit nager ſur l’eau, combien qu’il fuſt ſus vn plancher, ce deſtroit fut nommé Boſpore, parce qu’ils cuidoient que ce bœuf euſt cheminé par deſſus. Son effigie.Quant à l’effigie d’Iſis, on la faiſoit cornuë, chauſſee de ſouliers faits de fueilles de palme, pource que la Lune eſt cauſe de la fertilité des palmiers. Les genices luy eſtoient conſacrees, ſelon le teſmoignage d’Herodote en ſon Euterpe. Quant à ſon fils Epaphe, on tient qu’ayant acquis le Royaume & courõne d’Egypte, il fonda & baſtit la ville de Memphis (c’eſt le grand Caire) & cõmanda que l’on euſt à adorer ſa mere defuncte ſous le nom d’Iſis. Voyla pour l’explication hiſtorique. Mythologie phyſique.Touchant la Phyſique, il faut ſçauoir qu’on appelle Ion, tantoſt la Lune, tantoſt la terre. Car on dit Ion auoir eſté fille d’Argus & d’Iſmene, ou de Neptun, ou de la riuiere d’Inache, ou bien en ſomme de l’eau, prenant Ion pour le ſolage de la terre. Car quand on regarde la terre à l’oppoſite de la mer, il ſemble qu’elle ſorte de dedans la mer. Iupiter la vient embraſſer enueloppé d’vne nuee, c’eſt à dire, la chaleur de l’air qui continuellement eſleue des vapeurs de la terre. En aprés Ion fut conuertie en vache, animal deſireux du bien de la terre, & qui n’eſpargne point ſa peine pour la rendre fertile & de bon rapport, ſelon qu’en beaucoup de pays on ne laboure qu’à bœufs & vaches, qui eſt le plus vtile labourage. Puis quand Iunon s’approche, c’eſt à dire, d’vne douce & temperee chaleur de l’air, alors Iupin luy donne cette vache, comme ainſi ſoit que la terre ne puiſſe porter ſon fruict ſi elle eſt par trop eſchauffee d’vne continuelle chaleur, ny trop refroidie d’vn froid aſſiduel. Iunon la donne en garde à Argus, garny de cent yeux ; dautant que le ciel qui treluit de pluſieurs eſtoilles comme d’yeux, regarde touſiours la terre, & par ſon cours changeant perpetuellement les ſaiſons, leur ſert de beaucoup pour les rendre fructueuſes. De ces eſtoilles ou de ces yeux, vne partie dort cependant que l’autre veille ; pource que nous voyons le Soleil eſclairer touſiours la moitié du ciel, tandis que l’autre moitié durant la nuict faict monſtre de ſes eſtoilles : & celles qui ſont obſcurcies par la clairté du Soleil, on dit qu’elles dorment. Mais pourquoy eſt-ce que Iupiter commande de tuer Argus pluſtoſt que de luy laiſſer dauantage gourmander Ion ? pource que la raiſon ſert de beaucoup aux laboureurs, qui doiuent apprendre à traiter humainement les animaux qui leur ſont les plus neceſſaires pour leur vacation. Cette genice fut par la mort d’Argus miſe en liberté, & courut quaſi tout le monde, voire trauerſa preſque toutes les mers ; d’autant que l’induſtrie des laboureurs ſemble ſurpaſſer meſme la bonté de l’air, & la malice de fortune : comme ainſi ſoit que la terre ſe puiſſe merueilleuſement amender par l’induſtrie des laboureurs. Cette façon de labourage s’eſpandant parmy tout le monde, vint auſſi en Egypte. Et pource que ce pays-là par la fertilité & bonté du terroir deſcouure fort la force de la nature, & la vertu qu’elle a pour rendre les terres fertiles voila pourquoy c’eſt que l’on dit cette genice auoit recouuré là meſme ſa premiere forme. Iſis eſpouſe d’Apis.Iſis qui eſtoit la plus belle femme de ſon temps, ſe trouuant en Egypte (par quel moyen, on ne ſçait bonnement) Apis Roy d’Egypte l’eſpouſa, laquelle quelques-vns diſent que Mercure (ayant occis Argus, tres-ſage, clair-voyant & plein d’ans, Roy d’Argos, pour s’emparer de ſon Royaume, luy qui eſtoit chaſſé & bãny de la Grece, n’ayant toutesfois peu faire bien ſes affaires à Argos) l’accompagna iuſques là. Pourquoi reueree par les Ægyptiens.Elle ayant appris aux Egyptiens le moyen de labourer la terre, & pluſieurs autres choſes fort duiſibles à la vie humaine, fut reueree comme Deeſſe auec des ſeruices diuins fondez à ſon honneur. Or pour dire ce qui m’en ſemble, i’eſtime qu’il vaut mieux accommoder tout ce conte au cours de la Lune. Ils diſent qu’Ion fut fille d’Inache ou de Neptun, d’autant que la Lune par ſa clairté nocturne humecte peu à peu, & quaſi ſans qu’on s’en apperçoiue. Iupiter enuelopé d’vne nuee l’engroſſa, ſuiuant ce que Iupiter ſignifie quelquefois le Soleil : car les conionctions de ces deux planetes s’engendrent ordinairement des nuees ou des broüillas. Conſequemment à cauſe de la ſuruenuë de Iunon, Ion ſe transforme en genice, pource que la Lune ſe montre ordinairement cornuë au troiſieſme iour pour le moins aprés ſa conionction, repreſentant les cornes d’vne vache. Car ſi elle ne ſe deuelope des nuees deuant ſon quatrieſme iour, & ne ſe faict voir d’vn air pur & ſerein, c’eſt ſigne que preſque tout le reſte du mois ſera pluuieux. Quand elle ſort en veuë aprés ſon renouuellement, & qu’elle s’eſt depeſtree des Nuees, Iunon la reçoit, & la donne en garde à Argus ; d’autant qu’elle eſt plus baſſe que toutes les autres Eſtoilles qui la regardent au deſſous d’elle : c’eſt pourquoy elle paroiſt à nos yeux d’vne plus groſſe forme que les autres, qui neantmoins ſont preſque toutes plus groſſes qu’elle. Argus par le commandement de Iupiter eſt mis à mort, & la vache en liberté, parce que le Soleil illuminant par ſa clairté le corps de la Lune, de ſoy-meſme aſſez tenebreux, & luy donnant force & vigueur, elle ſurpaſſe les forces & facultez de toutes les autrs eſtoilles, & plus opere par ſes effects à l’endroit des corps humains, eſquels elle exerce plus d’action, quand elle eſt vn peu renforcee, que tout le reſte des feux celeſtes. Cette Ion court preſque tout le monde, & ſe trouue tantoſt en Scythie, region ſituee vers les Septentrion, tantoſt en Egypte vers le Midy : d’autant que la Lune qui eſt fort viſte & d’vn cours merueilleuſement ſoudain, tirant auec ſoy toutes les mers, & conduiſant leur flux & reflux, elle decline tantoſt vers les Septentrion, tantoſt vers le Midy. Les Egyptiens l’ont faicte cornuë, aprés qu’elle eut recouuré ſa premiere forme : c’eſt à dire qu’iceux ayans les premiers de tout le monde eſleué les yeux aux cieux ; & remarqué le Soleil, la Lune & les Eſtoilles ſe mouuoir d’vn perpetuel mouuement, & proufiter infiniment aux choſes humaines, à cauſe de leur continuel mouuement, ils les ont appellez Dieux, & ont ſur tous autres adoré & ſeruy comme Dieux le Soleil & la Lune, ſelon le teſmoignage d’Euſebe au deuxieſme liure de la preparation Euangelique, & Platon en ſon Cratyle. Mythologie morale.Les autres accommodent cette Fable à la vie humaine, pour exprimer les humeurs & complexions des hommes, & diſent que Iupiter ſoit les ames des hommes peu ſages & auiſez, leſquelles ſe conioignans auec Ion ſous la faueur d’vne eſpaiſſe nuee, & tranſmiſes du ciel en ces corps-là pleins de tenebres & d’ignorance, ſe transforment en beſtes, & ne ſe ſoucient point de contempler la diuinité de Dieu, ny l’immortalité de laquelle il a gratifié leurs ames. Ainſi transformees on les donne à Iunon ; parce que l’auarice & le comble de toutes voluptez & diſſolutions ſaiſiſſent le cœur des ieunes gens, en plus grande quantité que ne ſont les yeux d’Argus. Et quand l’aage leur a quelque peu meury l’eſprit, Iupiter enuoye Mercure pour tuer Argus : dautant que la raiſon gourme & refrene finalement leurs appetits dereglez, & lors ils perdent le gouſt de leurs anciennes diſſolutions & desbordemens. Puis aprés Iunon enuoye les tahons, qui ſont les aiguillons & les remors de la conſcience, auec vn triſte reſouuenir des choſes paſſees, des maluerſations commiſes, & du temps mal & trop folaſtrement employé. C’eſt celle qui nous fait ſentir que nous eſtions bien eſgarez du chemin celeſte, & lourdement abuſez ; & que deuenans plus ſages & mieux auiſez nous reprenons forme d’hommes, & ſommes faicts Dieux immortels par ſaincteté & innocence de vie exerçans iuſtice & humanité enuers nos prochains. Or cela ſuffiſe quant à Ion ou Iſis : s’enſuit Veſte.