De Veſte.

CHAPITRE XXI.

Genealogie de Veſte.CE n’eſt pas Iſis ſeulement, mais auſſi Veſte, que les Anciens ont priſe pour la terre, laquelle ils ont creu auoir eſté fille de Saturne & de Rhee auec Iunon & Cerés ſes ſœurs aiſnees. Deux Veſtes.Quelques-vns (entre-autres Poſidoine és liures qu’il auoit eſcrit des heros & dæmons) enſeignent qu’il y a eu deux Veſtes ; l’vne, mere de Saturne, qu’ils ont auſſi appellee Palé ; l’autre, fille dudit Saturne, qui a eu la reputation d’auoir touſiours eſté vierge. Mais pource qu’ils rapportent le tout à vne ſeule, ſans mettre aucune diſtinction entre leurs noms, expoſons briefuement ce qu’ils en ont eſcrit. Veſte ſelon leur croyance eſtoit la gardienne de chaſque maiſon en particulier, & luy offroient les premices de toutes choſes, l’eſtimans auſſi preſider ſur les feſtins, eſquels le premier vin verſé luy eſtoit conſacré, comme il appert en l’hymne de Veſte par Homere. Veſte architectrice.Car Veſte fille de Saturne ayant la premiere trouué la façon de baſtir des maiſons, chaſque meſnager & pere de famille la peignoient dedans la ſienne, afin qu’elle la priſt en ſa protection auec toute ſa famille, ſuiuant le teſmoignage de Poſidoine : & pour cette cauſe les Poëtes appellent quelquefois la maiſon & famille du nom de Veſte, comme faict Euripide en ſa Medee :

Sur toute autre Hecaté i’honore, Afin qu’elle m’aide & l’adore ; Car de ma Veſte elle ſe tient Au dedans et me l’entretient.

Pourquoi les premices lui eſtoient dediees.Quand à la dedicace des premices qu’on luy faiſoit és Sacrifices, Ariſtocrite au 2. liure nous en apprend le ſubiect, diſant : Aprés que les Titans furẽt beboutez de leur empire, & deſpoüillez, de leur couronne, Iupin s’en eſtant emparé, donna le choix à Veſte de demander & prendre ce qu’il luy plairoit. Suiuant cet offre elle requit en premier lieu de demeurer perpetuellement Vierge ; en-aprés que les hommes luy preſentaſſent les premices de leurs oblations et Sacrifices. Et depuis la couſtume fut és ſeruices diuins, que les premices de toutes choſes ſacrifiees ſe preſentoient premierement à Veſte. Son effigie.Son image repreſentoit vne femme aſſiſe, à laquelle on poſoit vne couronne ſur la teſte, ayãt autour d’elle pluſieurs eſpeces de plantes & d’animaux qui luy faiſoient careſſe. Quelles ſont les deux Veſtes.Or comme ainſi ſoit qu’il y euſt deux Veſtes, que les Poëtes confondent ſouuent l’vne pour l’autre, il faut noter que par la plus ancienne, qui fut mere de Saturne, ils entendent la terre, laquelle ils qualifient auſſi du tiltre de Mere des Dieux : mais par la plus ieune, qu’ils appellent Vierge perpetuelle, ils denotent le feu de l’air, lequel eſtant pur & eternel, c’eſt à bons tiltres qu’ils l’appellent Veſte eternelle, comme faict Horace au 3. liure des Carmes. Homere auſſi en ſes hymnes dit qu’elle ſe tient és hautes maiſons des Dieux, & que ſon ſiege eſt perpetuel : & Orphee, qu’elle demeure au milieu du feu en la region ætheree. Pareillement Ouide au 6. des Faſtes enſeigne que par le nom de Veſte il ne faut entendre autre choſe qu’vne flamme vifue, le prouuant de ce que l’on ne void point naiſtre aucun corps de la flãme. Que cette Deeſſe fuſt le feu, & qu’elle ait eſté dés le commencement de la ville de Rome fort deuotement reueree, cela ſe verifie des ordonnances qui concernoient la perpetuelle virginité des Veſtales, religieuſes de Veſte. Ænee fondateur du ſeruice de Veſte.Le commencement des ceremonies obſeruees au ſeruice de Veſte veint d’Ænee par la retraite qu’il fit en Italie, portant auec ſoy ſes Penates & Dieux familiers, & le ſainct feu de Veſte. Quand il eut fondé la ville de Lauinium, il y fit baſtir vn Temple duquel il fit la dedicace à Veſte : puis aprés ſon fils Aſcanius ayant baſty Albe la longue, y edifia vn autre Temple à Veſte, ſur vne montagne de ladite ville, où il y auoit vn boſcage dans lequel Mars habita depuis auec Ilia mere de Romulus : Continué par Romule.cettuy-cy durant ſon Regne continua ces ceremonies tant deuotes, & ordonna 60. preſtres, pour officier deuãt cette Deeſſe, leſquels il choiſit d’entre les plus apparens de chaſque tribu & quartier, vertueux & nobles ; auec defenſe de n’y en admettre point de pauures ny defectueux en aucune partie du corps : en chaque quartier il y auoit vne Veſte cõmune pour tout le quartier. Le Roy Numa Pompilius accomplit les ceremonies du ſeruice de Veſte, inſtituees par ſes deuanciers, & luy fit vn Temple general en forme ronde, entre le Capitole & le Palais ; dãs lequel on gardoit du feu ſans le laiſſer eſteindre, conſacré à la Deeſſe. Conditions requiſes aux Veſtales.La garde de ce feu fut par luy commiſe à des filles, qui du nom de leur Deeſſe furent nommees Veſtales : leſquelles pour eſtre receuës en cette Religion-là, ne deuoient auoir moins de ſix ans, ny plus de dix. Dauantage, il falloit qu’elles euſſent pere & mere encore viuans : qu’elles ne fuſſent ny begues, ny ſourdes, ny entachees d’aucune autre tare : Que ny leur pere ny leur mere n’euſſent point eſté de condition ſeruile, ny employez à ſordides affaires : Que leurs parens euſſent domicile en Italie. Celle qui y auoit vne ſœur, ne pouuoit eſtre contraincte à ce vœu. Leur charge.Ces Religieuſes auoient la charge du feu de Veſte. Que ſi par leur negligence il venoit à s’eſteindre, le grand Pontife les faiſoit feſſer de verges. Elles gardoient leur Virginité fort exacement iuſques à l’aage de trente ans : & les dix premieres annees elles apprenoient ; les autres dix, ſeruoient ; les dix dernieres enſeignoient : au bout du terme il leur eſtoit permis de ſe marier. Punition des impudiques.S’il leur auenoit de proſtituer aucunement leur honneur durant leur vœu, elles en eſtoient quittes pour auoir le foüet : mais ſi quelqu’vne commettoit inceſte, on la garrotoit dans vne biere, & la portoit-on à trauers la place publique iuſqu’à la porte qu’on appelloit du Coutau ; où eſtoit la foſſe des Veſtales impudiques, en laquelle y auoit vne petite cauerne ſouſterraine, où l’on deſcendoit par vn trou auec vne eſchelle : là eſtoit vn lict dreſſé, & vne lanterne allumee, du pain, du laict & de l’huile pour manger ſi elle vouloit. On la poſoit là, aprés l’auoir deſliee, ayant la teſte affeublee d’vn voile : puis le Pontife auec ſes Religieux, quelques baſſes & ſecrettes paroles prononcees, tournoient le dos ; & quand & quand on la deualoit en cette cauerne ; puis aprés on rempliſſoit de terre la foſſe iuſques au couuercle de la biere : ainſi mouroit elle auec beaucoup de tourment. Cette iournee-là eſtoit chomee auec dueil, par toute la ville & ſilence general. Or eſpluchons plus particulierement ce que les Anciens ont entendu par Veſte.

¶Mythologie de Veſte.Plutarque teſmoigne euidemment qu’elle n’eſt autre choſe que la terre meſme, diſant que les tables des Anciens eſtoient rondes à la ſimilitude de la terre : leſquelles nous fourniſſans des viures, comme faict la terre, on les appella Veſtes. Mais ie croy que Platon le declare encore plus ouuertement au Timæe, faiſant tous les Dieux, à ſçauoir les Elemens & les forces des Cieux ſe mouuoir, & la terre conſiſtant ſeule immobile au milieu d’iceluy. Voicy ce qu’il en dict : Ce grand Capitaine Iupiter proumenant ſon chariot ailé parmy le ciel, marche le premier, diſpoſant & ſoignãt toutes choſes, Aprés luy ſuit vne armee de Dieux & Dæmons diſtribuee en douze bandes, il n’y a que Veſte qui garde la maiſon des Dieux. Car puis que Iupiter eſt le ſouuerain Dieu, les autres Dieux ce ſont les Elemens, les Planetes & les corps celeſtes, qui ſont tous cõpris au dedans des douze parties du Zodiaque. Et parce que le premier corps mobile tire quant & ſoy tous les autres, voila pourquoy l’on dit que les Dieux & dæmons ſuiuent ſon chariot ailé. Veſte pour la terre.Mais entre tous ceux qu’on eſtime Dieux, il n’y a que Veſte qui demeure & ne bouge de la maiſon : c’eſt la terre. Car la terre eſtant ſeule entre les corps naturels immobile, haut eſleuee au beau milieu de l’Vniuers, & comme penduë en l’air, ſe tient coye ſans groüiller, & ne panche point plus d’vn coſté que d’autre. Et pourtant Ouide au 6. des Faſtes dit que,

La terre ſans appuy reſemblant vne plote, Demeure ſouſpenduë en l’air ſans qu’elle flote, Quoy que le faix en ſoit aſſez lourd & peſant ; Sa volubilité ſouſtient contrepeſant Cette machine ronde, & cette grande boule N’a point d’angle ou recoing qui ſes parties foule.

Car pource qu’elle eſt autant eſloignee du ciel d’vn coſté que d’autre, on dit qu’elle eſt ſiſe en l’air & ſouſtenuë ſans aucun appuy ny eſtançon. Encens & ſenteurs pourquoi bruſlez en l’honneur de Veſte.Es Sacrifices on luy bruſloit de l’encens & des ſenteurs comme au dæmon cõmis ſur la plus haute partie du feu. Mais d’autant qu’ils prenoient la plus ancienne Veſte pour la terre, on luy preſentoit des fleurs, comme à celle qui les produit, & de la farine, comme nous voyons dans Virgile au 5. de l’Æneide :

Diſant cecy, la cendre et les feux qu’elle enclot Aſſopis il reſueille, & honore deuot Le Lar Pergamien, & de Veſte chenuë Les ſecrets plus ſacrez de farine menuë Aux offrandes ſacree, & d’vn encenſoir plein.

Veſte pour l’ame de la terre.Plotin & pluſieurs autres veulent que Veſte ſoit l’ame de la terre, qu’ils ont auſſi quelquefois nommee Cerés. La plus ancienne des deux eſt eſtimee mere de Saturne, c’eſt à dire du temps ; pource que deuant que le temps fuſt creé, la terre ſe tenoit enueloppee de cette confuſe maſſe du mõde : la plus ieune eſt fille d’iceluy ; pource qu’aprés le ciel & le temps le grand ouurier crea les corps des Elemens. Et d’autant que la terre eſt le fondement preſque de tous les corps naturels ; c’eſt à bons tiltres que les Anciens l’ont qualifiee mere des Dieux, comme dit Strabon au 10. liureI Premices pourquoi offertes à Veſte.lls tenoient qu’elle preſidoit ſur les banquets, & luy offroient les premices de leurs oblations ; parce que ſans les bien-faits & les faueurs de la terre, & ſans la chaleur du ciel, il ne peut rien naiſtre de tout ce qui eſt requis pour noſtre nourriture : & puis qu’ainſi eſt qu’elle produit ce qui eſtoit propre pour les Sacrifices, ils croyoient qu’elle euſt iuſte raiſon & ſubiect de prendre pour elle tous les premices d’iceux. Cela ſuffiſe pour l’explication de Veſte, & de l’honneur & ſeruice que les Anciens luy ont rendu, comme ainſi ſoit qu’ils nommaſſent de noms diuins tous les elemens & leurs vertus & facultez, croyans fermement que rien ne peut ſubſiſter ſans diuinité, ny ſe cacher de la preſence de Dieu. S’enſuit à traitter d’Iris.