D’Iris.
CHAPITRE XXII.
Genealogie d’Iris.IRIS fut fille de Thaumas & d’Helectre, ſœur des Harpyes, ſelon le teſmoignage d’Heſiode en ſa Theogonie. La qualité d’icelle eſtoit d’eſtre ſuiuante & porte-parole de Iunon : pour ce regard les Poëtes la tiltrent du nom de Meſſagere & la font perpetuellement aſſiſter au throne de ſa Dame ſans l’abandonner aucunement, non pas meſme quand le ſommeil luy ferme les yeux : ains diſent que pour prendre vn peu de repos elle appuye ſeulement ſa teſte contre le quarre de ſon throne ; & ne ſe deſceind ny deſchauſſe iamais, afin d’eſtre touſiours prompte & preſte d’executer ſes commandemens. Ainſi le teſmoigne Callimache au bain de Delos. Sa charge.En ſomme telle eſtoit la charge d’Iris à l’endroit de Iunon, que celle de Mercure à l’endroit de Iupin, d’appeller & chaſſer tous ceux qu’il plaiſoit à Iunon, & porter ſa parole où elle luy commandoit d’aller ; comme pour exemple quand au 4. liure des Argo-Nauchers d’Apollonius Rhodien elle l’enuoye vers Thetis :
Vien ma mignone Iris, & ſi iamais fidele
Tu as mes mandemens d’vne viſteſſe iſnele
Au monde executé : ſi iamais mon deſir
Soigneuſement parfaire il te vient à plaiſir,
Va-t’en trouuer Thetis : di-luy que ie luy mande
Que ſortant de ſes flots en terre elle deſcende.
Davantage quant en l’onzieſme des Metamorphoſes, elle l’enuoye vers le Dieu des Songes :
—ô Iris meſſagere
De mes deſirs diligente & legere,
Va au palais du Soleil promptement,
Et de par moy fay luy commandement
Que ſans tarder, ſous la forme et image
Du Roy Ceyx treſpaſſé par naufrage,
Vers Halcyon il mette vn ſonge hors
Qui faſſe au vray que repoſant ſon corps,
Son eſpoux mort à elle ſe preſente
, &c.
Elle auoit auſſi la charge de faire la chambre & le lict de ſa Dame & Maiſtreſſe, teſmoing Theocrite en la loüange de Ptolemee :
Iris oygnant ſes mains d’onguent & ſenteur bonne,
De Iupin et Iunon faire le lict s’addonne.
En vn mot Iunon ſe ſeruoit d’Iris plus que de toutes les autres Deeſſes, & n’y en auoit point qui plus s’approchaſt de ſa perſonne, veu que meſme Ouide au 4. des Metamorphoſes feint qu’Iris l’arrouſe & aſperge à ſon retour des Enfers :
Iunon reuient d’enfer toute ioyeuſe & gaye,
Et comme de rentrer au ciel elle s’eſgaye,
Iris vient l’arrouſer d’eau de purgation,
Luy lauant d’vn rameau toute pollution.
Toutefois les Poëtes la font auſſi meſſagere de Iupiter, comme Valerius Flaccus au 4. des Argo-Nochers :
Les larmes qui des yeux ruiſſeloient des Deeſſes,
Et l’honneur qu’il portoit au Dieu des blondes treſſes,
Apollo, font qu’Iris à ſon commandement
Trace emmy l’air roſin ſa courſe viſtement.
Et Homere au 8. de l’Iliade.
Iris aux ailes d’or meſſagere il enuoye.
Dauantage les Anciens ont creu que nulle ame de femme ne ſe pouuoit diſſoudre d’auec ſon corps, ſinon que par le benefice d’Iris & commandement de Iunon elle fuſt deliuree de ces faſcheux liens & ennuyeux à celles qui ſouhaitoient partir de ce monde ; ainſi comme ils croyoient que Mercure par le commandement de Iupin vinſt délier & mettre en liberté les ames des hommes detenuës comme priſonnieres en leurs corps. Et pourtant Virgile au quatrieſme de l’Æneide introduit fort bien ſelon les inſtitutions de l’ancienne Theologie, non pas Mercure, mais bien Iris rappellant l’ame de Didon hors de ſon corps, & ce non par le commandement de Iupiter, mais de Iunon :
Iris donc promptement d’vne aile enſafranee
Rouſoyante trainant contre les luiſans rais
Du Soleil oppoſé mille teints bigarrez
Par la vouſte celeſte en bas prend ſa volee,
Et ſon vol ſur ſon chef arreſte deualee :
Par le commandement (dit-elle) de Iunon,
I’emporte conſacré ce cheual à Pluton,
Et des nœuds de ce corps ie rends ton ame franche.
Car ils la feignent auoir des ailes auſſi bien que Mercure pour exprimer ſa viſteſſe. Quelques-vns auſſi la figurent auec vne teſte de bœuf humant & aualant les riuieres. Voila les principaux points que ie me ſouuiens auoir appris des Anciens touchant la Fable d’Iris. Or maintenant voyons ce que ce diſcours deſguiſé nous peut apprendre de ſingulier.
¶Mythologie d’Iris.Ils enſeignent qu’Iris fut fille de Thaumas & d’Helæctre ; d’autant que Thaumas eſt fils de la mer ; & Helæctre, du ciel, ou du Soleil. Ce mot là ſignifie ſerenité de l’air & beau temps ; car Hélios en Grec c’eſt le Soleil, aithrios, vaut autant que clair & ſerein. La cauſe d’icelle.Ainſi doncques Iris eſt fille & procede de l’eau & du beau temps. Or c’eſt ſagement dit aux Anciens qu’Iris ſoit aſſiſe ſous le throſne de Iunon, d’autant qu’elle s’engendre en la plus baſſe partie de l’air, c’eſt à dire au deſſous des nuës ; car la cauſe de cette Iris, qui n’eſt autre choſe que l’Arc en Ciel, ce ſont les raiz du Soleil eſlancez contre vne nuee creuſe, qui rechaſſant leur pointe les reflechit & renuoye encontre le Soleil meſme. On tient que les nuees font cet Arc en Ciel, pource que d’vn coſté elles ſont ſi enflees, de l’autre ſi groſſes & eſpaiſſes, que le Soleil ne peut paſſer à trauers, & de l’autre encore ſi foibles qu’elles ne le peuuent arreſter. Cette inegalité, parmy laquelle s’entremeſle l’ombre & la clairté, exprime cette varieté admirable qu’on appelle fille de Thaumas, c’eſt à dire, d’admiration (ce que le mot de Thaumas ſignifie) car tout ce que nous voyons, c’eſt par lignes, ou droites, ou recourbees, qui quelquefois ſe rompent & reployent, comme diſent les Optiques, leſquelles lignes n’ayans point de corps ne ſe comprennent qu’en l’eſprit & en la penſee. Nous iettons noſtre veuë droit en l’air, & voyons ce qui y eſt (s’il ne ſe preſente point d’empeſchement) à trauers quelques perles ou pierres claires, ou bien à trauers vne corne tranſparente (pourueu que la matiere à trauers laquelle nous regardons, ſoit bien deliee) ou autres choſes ſemblables. Nous voyons que les rames ou gaſches ſe recourbent en l’eau, pource que l’eau eſt vn corps & matiere eſpaiſſe. Pourquoi meſſagere de Iunon.Les Anciens font Iris meſſagere de Iunon, & ſœur des Harpyes, ou des Vents, comme nous auons dict : pource que l’Arc celeſte paroiſſant, nous montre des ſignes certains & indubitables, ou de vents & pluyes, ou de beau temps. Et pourtant Virgile au 1. des Georgiques conte les ſignes d’Iris entre les ſignes de pluye. Valerius Flaccus au 1. des Argonauchers dit que l’Arc en Ciel eſt ſigne de beau temps, à ſçauoir quand le Soleil ſe leue auec vn viſage clair & ſerein, & que les nuës gagnent la cime des montagnes. Car comme ie viens de dire, il ſe fait d’eau ou d’humeur, & d’vn air eſpais, ſur lequel quand le Soleil vient à donner, il cauſe cette diuerſité de couleurs : & de cet air la premiere partie ſituee vis à vis du Soleil, paroiſt rougeaſtre quand les raiz du Soleil la touchent ; l’autre partie ſe montre noiraſtre, pource que le Soleil ne peut aiſément penetrer iuſques à cet air obſcur & groſſier. D’autre coſté on y void vne verdeur plus obſcure & ſombre que la couleur rouge, à cauſe du meſlãge qui s’y fait de peu de lumiere auec vne groſſe & lourde maſſe de tenebres. Quelques-vns diſent que l’Arc en Ciel ſe faict de nuict és nuees par la clairté de la Lune : mais cela ne peut auenir que peu ſouuent ; pource que la pleine Lune n’eſt pas de longue duree, & que ſa lumiere eſt beaucoup plus foible que celle du Soleil. Au reſte les Sages ne s’accordent pas bien quant à la cauſe & ſubiect d’Iris. Contre le texte expres au 9. ch. du Geneſe.Ariſtote accommode tout ce qui ſe peut dire & obſeruer de la nature de cet Arc, à l’optique, & tient que ce n’eſt rien de faict que cet Arc, & que ces couleurs qu’on y remarque à l’œil ne peuuent conſiſter nulle part : Mais Metrodore diſcourant de l’Arc en Ciel, ſouſtient qu’il ſe faict realement & de faict, & qu’il n’apparoit pas ſeulement lors que quelque nuee eſpaiſſe s’oppoſe contre le Soleil. Car quand le Soleil donne ſur les nuees, l’Arc paroiſt bleu-pers à cauſe de ce meſlange : mais ce qui eſt directement oppoſé à la lumiere d’iceluy, deuient rougeaſtre ; ce qui eſt au deſſous ſe monſtre blanchaſtre, & c’eſt la clairté du Soleil, dit-il. Diſcours de la veuë.Or ce n’eſt d’Iris ſeulement que la plus part des Anciens ſont en diſpute, mais auſſi de la veuë, à ſçauoir comment elle ſe faict, & des lignes qui concernent la veuë, car les vns tiennent qu’elle ſe faict par les formes que les yeux eſlancent, les autres par celles qu’ils reçoiuent : & quelques-vns par les vnes & par les autres. Derechef les vns veulent que ce ſoit par la lueur qu’ils reçoiuent, les autres par celle qu’ils dardent. Heliodore de Lariſſe eſt de ce nombre, eſcriuant ainſi en ſes Optiques : Que nous eſlancions quelques formes aux choſes que nous regardons, la forme des yeux le montre, comme ainſi ſoit qu’elle n’eſt pas creuſe, ny faite pour recevoir quelque choſe, ainſi qu’il en prend des autres ſentimens ; ains circulaire et ronde. Or que ce que nous enuoyons hors de nos yeux, ſoit la lumiere, les ſplendeurs qui brillent en nos yeux le teſmoignent, et ce außi que quelques-vns voyent clair de nuict, n’ayans beſoin d’aucune lumiere, externe comme les animaux außi qui vont de nuict cherchans à brouter & paiſtre. Tel eſtoit Tibere, Empereur de Rome. Au demeurant, les yeux de quelques animaux eſclattent et brillent de nuict comme feu.
Dauantage les autres diſent que la veuë ſe faict par vne pyramide ou cone, dont la pointe eſt en l’œil, & la baſe en la choſe que l’on regarde, ſelon l’auis d’Euclide en la ſeconde hypotheſe des choſes optiques. Or cone eſt vne pyramide ronde & pointuë par le haut. D’autre part la veuë ſe termine aiſément, ſi quelque corps ſolide ſe vient ietter entre-deux, ou ſi elle ne peut paruenir iuſques à la choſe miſe au deuant d’elle : comme il auient és profonditez des foſſes obſcures, deſquelles on ne peut voir le fond : ou bien comme l’on void és riuieres viſtes & rapides, là où les raiz de la veuë paſſent en moins de rien, ou meſme ſi quelqu’vn tourne en rond dvn long & ſoudain mouuement, il ſent des eſtourdiſſemens & tourbillons de teſte, procedans d’vne exceſſiue & trop faſcheuſe agitation du cerueau, & les rayons de la veuë ſont auſſi merueilleuſement agitez, ne pouuans perſiſter fermes ny demeurer en arreſt. Outre plus, la veuë ou bien les raiz eſlancez par les yeux, s’ils tumbent en vn corps tranſparent, ou tel qu’on puiſſe aucunement voir à trauers, qui ſoit toutefois aſſez eſpais, quand ils ne peuuent paruenir tous entiers iuſques au bout, ny penetrer entierement iuſques à la choſe que nous voulons voir, ils ſe deſrompent & replient, ne pouuans voir la ſurface qui leur eſt oppoſee ſans refraction. De là vient que les images & figures redondent & ſe repreſentent à noſtre veuë, comme nous voyons és miroirs, ou bien és eaux qui ont entre-deux vne ſuperficie obſcure. Et de faict la force des choſes que nous voyons eſt quelquefois ſi grande, qu’elles ſemblent donner couleur, & à la lumiere & à la veuë, & dérompent & reflechiſſent les rais de la veuë. Car comme dit Heliodore ; Si le Soleil, ou leuant, on couchant eſclaire à trauers quelque nuë rouge, nous voyons que tout ſe montre rouge, à ſçauoir la terre, la mer, & en ſomme tout ce qu’il illumine de ſa clairté. Ainſi voyõs-nous qu’il en prend à noſtre veuë ; car telle qu’eſt la couleur de la choſe diaphane ou tranſparente, telle eſt la choſe meſme que nous voyons à trauers icelle.
Auſſi de telle couleur que ſera le miroir par lequel nous regarderons, de telle couleur ſe monſtreront toutes les choſes que nous y verrons. C’eſt ce qui fait croire à quelques-vns que l’Arc en Ciel a veritablement & de fait les couleurs telles que noſtre veuë les deſcouure, & non pas qu’elles apparoiſſent telles par raiſon optique, ou par couleurs telles ſeulement en apparence, procedantes d’vn meſlange de corps plus ou moins clair & obſcur, tel que ſemble auoir eſté l’auis d’Ariſtote és liures des Meteores. Au reſte quand l’on void deux ou pluſieurs Arcs au Ciel, c’eſt vn ſigne infaillible d’abondance d’eaux ; c’eſt pourquoy Arat és Signes des eaux & des vents met cettuy-cy,
Ou quand Iris enceint le ciel de deux courroyes.
Car s’il ſe faict quelque petite rencontre ou aſſemblee d’air humide & de vapeurs, on ne void qu’vn Arc : mais quand la matiere des pluyes ſe prepare & s’amoncelle en grande quantité, aprés le premier Arc formé nous en voyons vn autre qui ſe tient autour du premier, & enceint le ciel d’vn pareil circuit. Raiſon de la charge attribuee à Iris.Quant à la charge qu’ils attribuent à Iris de deliurer de leurs langueurs les femmes eſtans à l’article de la mort, & ce par le commandement de Iunon, ie croy que cela ne ſignifie autre choſe ſinon ce que les Phyſiciens enſeignent, que les ſaiſons pluuieuſes & trop humides nuiſent fort aux femmes, comme auſſi celles qui ſont outre meſure ſeches, endommagent la ſanté des hommes qui tirent ſur l’aage. Car toute la vie des animaux en general conſiſte en vne ſymmetrie & iuſte proportion d’elemens & de qualitez ou temperamens : les ſaiſons froides & beaucoup humides offenſent ceux qui ne ſont pas encore paruenus à la mediocrité de chaleur naturelle, & ceux auſſi auſquels elle commence à faillir, ne pouuans par la malice du temps, & par l’indiſpoſition de leur temperament, cuire ſuffiſamment ny euacuer leurs humeurs ſuperfluës. Ainſi feignent-ils que Mercure, non par le commandement de Iunon, mais bien de Iupiter, c’eſt à dire d’vne exceſſiuement grande chaleur, accompagnoit & conduiſoit aux Enfers les ames des treſpaſſez. Saine opinion des Anciens touchant le depart des Ames.Encore ne faut-il oublier à remarquer cette leur maxime : Que les ames des creatures humaines ne ſortoient de leur priſon corporelle, & n’en eſtoient affranchies, que par le commandement des Dieux, & qu’elles n’auoient point de liberal arbitre pour en deſloger à leur appetit. Cela nous apprend que puis que nous ſommes l’heritage du Seigneur, & creez à ſon image & ſemblance, nais par ſon commandement & diuine volonté pour le ſeruir & honorer, pour iouyr de ſa liberalité, pour connoiſtre ſon eſſence & ſa nature diuine ; pour orner & embellir l’Vniuers, pour faire bonnes œuures, & acquerir par pieté & crainte de Dieu auec ſa grace & miſericorde le Royaume des Cieux ; il ne nous eſt aucunement permis de nous defaire nous-meſmes (choſe trop deſplaiſante à Dieu) ains attendre iuſques à ce que de nous il faſſe ſa volonté. Car qui pourroit voir de bon œil ſes heritages & ſes terres gaſter, les arbres & les bleds qu’il auroit pris peine & plaiſir d’edifier ? ou bien qui ne ſeroit mal-content, ſi elles ſe deſpitans contre leur ſeigneur, & s’ennuyans de leur fertilité, ne vouloient plus rien rapporter, ou ſe deſtruiſoient elles meſmes ? qui eſt celuy qui, s’il en auoit le moyen, ne les chaſtieroit rigoureuſement ? Il faut donc que les ames des perſonnes demeurent en leurs corps, eſquels Dieu les a logees, tant & ſi longuement qu’il luy plaira les y retenir & arreſter ; & n’en doiuent point partir qu’auec ſa permiſſion & commandement. A tant finira le diſcours d’Iris pour commencer celuy d’Alphee.