Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VIII, 24 : D’Inache Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

D’Inache.

CHAPITRE XXIIII.

Genealogie d’Inache.INACHE fut fils d’Eurydamas & de la Nymphe Doricle, toutesfois d’autres nomment ſa mere Iphinoé ; & ſon pere Oenee. Suiuant cet auis Heſiode l’appelle Oeneide, c’eſt à dire fils d’Oenee. L’on dit qu’il a eſté le premier Roy d’Argos, & prit à femme Antiope : ou bien ſelon les autres, Colaxe : de laquelle il eut Phoronee, & vne fille Mycalé, qui depuis eſpouſa Areſtor, teſmoing Pauſanias en l’Eſtat de Corinthe. Il eut encor vne autre fille Philodice, qui de Lucippe engendra Phœbé & Ilaire, filles, ſelon le dire de Timaget. Dauantage il eſt aſſez euident qu’Ion muee premierement en vache, puis-aprés faicte Deeſſe ſous le nom d’Iſis, eſtoit fille dudict Inache ; car on dit que luy regnant à Argos, eſlargit le conduit & canal de la riuiere que pour lors on appelloit Amphiloche, laquelle ſuruenant quelque groſſe pluye, ſe desbordoit ordinairement & s’eſpanchoit emmy les champs, trop eſtroittement enſerree en ſa leuee : cauſe que bien ſouuent elle emmenoit & entraiſnoit quand & ſoy beaucoup d’edifices, voire les bleds des Argiens ; mais depuis qu’elle eut moyen de s’eſtendre plus au large, ayant (comme l’on dit) ſes couldees franches, elle ne leur porta plus aucun dommage, & fut nommee Inache pour l’amour de leur Prince & ſeigneur, qui leur auoit faict tant de bien : lequel la conſacra à Iunon, ſuiuant le teſmoignage de Pauſanias. Car il n’y a point d’apparence de dire qu’Ion fuſt pluſtoſt fille d’vne riuiere que d’vn homme ainſi nommé. Sa ſource venoit de la montagne d’Artemiſe en Arcadie, d’vne fontaine qu’on appelloit Lyrce : de telle nature qu’il n’abondoit guere en eau, mais les pluyes le faiſoient aiſément enfler de telle façon qu’il inondoit la meilleure partie de toute la Prouince d’Argos, combien, qu’en æſté il ſechaſt preſque tout à faict. Inache pourquoy ſterile en eaux.Or voicy le ſuject pour lequel on dit qu’il eſtoit ſi ſterile en eau. Vn iour Neptun & Iunon entrerent en queſtion pour le domaine & ſeigneurie d’Argos : Iunon maintenoit que la dedicace luy en auoit eſté faicte, d’autre coſté Neptun alleguoit pour ſes raiſons que c’eſtoit luy qui fourniſſoit les eaux qui abbreuuoient le pays, & le rendoient gras & fertile : & que pourtant il en eſtoit à bons tiltres ſeigneur. En fin ils conuindrent d’arbitres, & s’en rapporterent à ce qu’en iugeroient Inache, Phoronee, Cephiſe & Aſterion. Aprés qu’ils eurent longuement balancé les raiſons des deux parties, en fin ils donnerent ſentence en faueur de Iunon. Neptun en fut ſi mal-content qu’il oſta toute l’eau à ces quatre riuieres qui l’auoient ſentencié : & pourtant ſans le ſecours des pluyes, en æſté principalement, elles eſtoient en danger de perdre leur eau, leur nom & reputation. D’autre part afin que l’on viſt par experience lequel des deux, de luy ou de Iunon auoit plus de moyen d’endommager le païs, Neptun deſgorgea ſi grande quantité d’eaux, quand il vid cette Prouince adiugee à Iunon, qu’il luy fit noyer la plus grande partie d’icelle. Toutefois Iunon l’importuna tellement par ſes prieres, qu’à la fin il en retira l’eau : & là meſme par où l’eau s’eſcoula, ceux d’Argos baſtirent aux deſpens du public vn magnifique Temple à Neptun, ſurnommé Ondoyant ou Desbordé, auec vne belle image de marbre, ayant ledict Temple vingt-huict colomnes, dont les chapiteaux eſtoient, l’vn d’ouurage Dorique ; l’autre, d’ouurage Corinthiaque. Hecatæe a laiſſé par eſcrit qu’Inache eſtoit vne riuiere paſſant par le pays des Amphilochiens, iſſus d’Argos, differente d’auec Inache, qui paſſoit par Argos. Or elle fut nommee Amphiloche du nom d’Amphiloche, Roy d’Argos : & dit-on qu’elle ſourdoit de Lachme, & tirant vers le Midy entroit dedans Argos ; au lieu que celle d’Æas, qui auoit auſſi ſa ſource à Lachme, deſcendoit vers l’Occident, & ſe deſgorgeoit en la mer Adriatique. Ie ſçay bien que quelques-vns appellent la ville d’Argos du nom d’Amphiloche, pour le ſubiect que ie vay dire. Aprés la ſeconde guerre contre les Thebains ſous la charge & conduite d’Alcmæon, Diomede le pria de le ſecourir de ſes troupes, auec l’aide duquel il conquit aiſément l’Ætolie & l’Acarnanie. Sur ces entrefaites il aduint qu’Agamemnon appella Diomede pour aller à la guerre de Troye, deuant la fondation d’Argos : & Alcmæon demeura en l’Acarnanie, où il baſtit ladite ville, que du nom de ſon frere il appella Amphiloche, ſur la teſte duquel cheut vn quartier de pierre comme il eſtoit en vn coſté de la ville ſolicitant la beſongne, dont il mourut quatre iours aprés. Inache ſucceda audit Alcmæon, & pource que la ville n’eſtoit pas encore fort peuplee, il n’aquiſt pas beaucoup de reputation, d’autãt qu’on aymoit mieux demeurer aux champs, que de s’enfermer entre des murailles. Mais ſon fils Phoronee s’employa fort à enrichir & peupler ſa ville, contraignant ceux qui eſtoient eſpars qui çà qui là en ſon territoire, de ſe ranger en corps de ville, & viure ſous meſmes loix & police : puis il baſtit vne autre ville, que de ſon nom il nomma Phoronique. Or la ville de Amphiloche eſtant en peu de temps remplie de multitude de citadins, & prenant le train d’vne ville tres-riche & tres-floriſſante à l’auenir, il luy fit changer de nom, & du nom d’vn ſien petit fils né de ſa fille, la nomma Argos. Car Inache decedé peu auparauant fut enſeuely du long de cette riuiere, qui depuis porta ſon nom, s’eſtant fait dreſſer vn magnifique tumbeau ſous les eaux d’icelle. Et ne ſe faut esbahir ſi les riuieres ont ſouuent changé de nom & de route, veu que leur eau meſme s’eſt quelquefois ſi bien tarie qu’il n’y reſtoit que bien peu d’apparence de riuiere. Lucian teſmoigne au Dialogue de Charon, que de ſon temps on ne voyoit plus à Argos aucun monument ny veſtige de la riuiere d’Inache : ainſi changent les temps & les ſaiſons. Voila quant à cette hiſtoire, partie veritable partie Fabuleuſe.

¶Quant à moy ie ne puis deuiner que c’eſt que les Anciens ont voulu dire par icelle, ſinon que leur intention ait eſté d’exprimer la qualité naturelle des riuieres & de l’air. Car que ſignifie la querelle de Iunon auec Neptun pour ce pays-là, ſinon que les eaux & l’air d’vne contree la peuuent tant amender & rendre fertile qu’il eſt malaiſé de iuger lequel des deux elemens y confere le plus ? La reſolution de ce differend ſe remet à quatre riuieres ; pource qu’il n’eſt pas aiſé à perſonne d’en pouuoir iuger qu’aux riuieres meſmes, qui ſçauent quelle eſt la bonté de leurs eaux ; c’eſt à dire aux eſprits qui ont connoiſſance des choſes naturelles. Mais comme il en prend ordinairement és choſes de ce monde, leſquelles on eſtime bonnes, cette meſme choſe, à ſçauoir l’eau, qui a couſtume de porter amendement & fertilité aux terres, ſi elle les abreuue hors de ſaiſon, ou bien outre meſure elle les gaſte & ruine. Voila pourquoy l’on dit que Neptun indigné noya ce pays-là, puis apres oſta preſque toute l’eau de ces riuieres, car l’vſage des eaux eſt tel à l’endroit des riuieres, que celuy du vin & des autres viandes aux hommes. Car comme ainſi ſoit que le vin eſt proufitable à ceux qui le boiuent auec meſure & raiſon, auſſi ne ſçauroit-on croire le dommage & detriment qu’apporte vne exceſſiue priſe d’iceluy, qui noye & eſtouffe les parties interieures du corps, & bruſle ou eſteint la force naturelle. Et pourtant comme les riuieres abruuans le pays, & ſe meſlans auec la terre, la font foiſonner en toutes eſpeces de ſemences, ſi la chaleur ſuruient aprés moderee, comme dit Theophraſte au 3. liure des plantes : ainſi ceux qui ſe noyent la freſſure d’vne plus grande quantité de vin que leur chaleur naturelle n’en puiſſe cuire ou digerer, ſe cauſent vne infinité de maladies & regrets. Mais le plus difficile poinct de cette queſtion, eſt de ſçauoir ſi le bon air rapporte plus de profit aux contrees, qu’vne abondance de bonnes eaux. I’eſtime que d’autant que l’vſage de l’air eſt ſi perpetuel, ſi profitable, ſi neceſſaire, que ſans luy nous ne pouuons viure tant ſoit peu, ç’à eſté fort bien auiſé aux Anciens de dire que Iunon (laquelle nous auõs enſeigné n’eſtre autre choſe que l’air) fut preferee à Neptun en l’adiudication de la Prouince d’Argos. Et de fait les terres ſe peuuẽt bien paſſer de l’inondation des riuieres, & ſe cõtenter de la pluye pour rendre auec vſure la ſemence : mais ſi l’air n’eſt bon & ſain, il n’y a place, ne ville, ny region, qu’on puiſſe habiter, ny que ceux qui auroit la ceruelle bien faicte vueillent choiſir pour leur retraicte. Cela ſe verifie en ceux qui demeurent és paluds, & terres proches d’icelles, dont les habitans ou voiſins ne peuuent long temps garder leur ſanté, encore que s’habituans en tels endroits ils ſe portent le mieux du monde, & ſoient d’vn tres-bon temperament de nature, veu que l’ordinaire des animaux nourris en tels lieux eſt d’eſtre ſujets à beaucoupe de maladies. Ie croy que pour cette cauſe Iunon eut beaucoup de peine d’impetrer de Neptun qu’il retiraſt ſes eaux aprés auoir inondé le terroir d’Argos ; car aprés tels ragas & lauaſſes d’eaux qui emportent ordinairement la graiſſe des terres, le païs ne recouure pas ſi toſt ſon embonpoint, principalement quand pluſieurs riuieres ſe desbondent en vne meſme contree. Mais ponrce que les hommes ne ſont que bien peu capables de iuger des choſes diuines, ce n’eſt pas pour vne ſeule fois que leur arrogance a eſté punie quand ils ſe ſont voulu meſler trop auant des affaires des Dieux, auſquels il conuient obeyr ſeulement, non pas eſpier leurs actions, ny prononcer ſentence entre-eux. Voila pourquoy les Anciens feignent que Neptun fit tarit les riuieres qui l’auoient condamné. Ainſi Pâris iuge temeraire fut cauſe de la deſtruction de ſa patrie & du Royaume de ſon pere. Voyez liure & chap. 15.Ainſi Midas perdit ſes oreilles : ainſi pluſieurs autres furent pour leur temerité les vne transformez en montagnes, les autres en riuieres, les autres en beſtes, rochers, arbres & diuerſes formes. Quant aux autres poincts adiouſtez pour embellir & orner le conte, on ne les peut tous accommoder à des raiſons naturelles ou philoſophiques, d’autãt que l’on a de couſtume controuuer quelque entremets pour donner couleur & rendre vray-ſemblable ſon deſſeing ; car comme le laboureur ne peut ſi bien faire que ſa terre ne rapporte quelque mauuaiſe herbe parmy le bon grain : auſſi tout ce qui ſe trouue és plus belles & plus excellentes fictions anciennes ne ſe peut tout approprier à l’vtilité de la vie humaine : ains faut faire eſtat qu’vne partie y eſt inſeree pour donner du plaiſir, & l’autre pour colorer d’apparence le diſcours. Si quelqu’vn en peut tirer plus de fruict, & y trouuer quelque meilleure explication, il ne doit eſtre chiche de le communiquer à la poſterité ; car nous ſommes tous nez pour nous entr’ayder les vns les autres, ſuiuant le commandement que nous auons de Dieu, de faire profiter le talent que ſa diuine clemence nous a commis. C’eſt doncques aſſez diſcouru d’Inache : paſſons à la belle Europe.