Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VIII, 25 : D’Europe Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

D’Europe.

CHAPITRE XXV.

Genealogie d’Europe.EUROPE fut fille d’Agenor Roy de Phœnice, & de la Nymple Melie, ayant pour freres Cademe, Thaſe, Cilix, duquel la Cilice print le nom : & Phœnix qui donna le ſien à la Phœnice : Electre & Taygete pour ſœurs. On dit qu’Europe fut ſi belle, & d’vne taille tant agreable, qu’elle ſurpaſſoit aiſément toutes les femmes de ſon temps. Son rauiſſement par Iupiter.Iupiter amouraché d’elle ſe transforma en vn Taureau blanc & beau par excellence, & deſcendit ſur le riuage de la mer, où il ſçauoit qu’Europe auec ſes cõpagnes s’alloit quelquefois esbatre. Elle s’eſtonnant de la beauté de cet animal, qui montroit auoir ie ne ſçay quoy de plus ſingulier que les autres de ſon eſpece, quitta ſa compagnie pour le voir de prés ; puis le trouuant fort gracieux & priué, ſe print à le manier & luy paſſer mignardemẽt la main tout du long du dos ; & finalement elle monta deſſus, ne penſant que ſe iouër comme elle euſt peu faire ſur vn cheual. Ce Taureau voyant ſur ſon dos la charge qu’il deſiroit, s’en va le petit pas gagner le bord de l’eau, où pour mieux aſſeurer ſa proye il moüilloit le pied, puis le retiroit ; & peu à peu s’y fourra ſi auant qu’il luy fit perdre terre, de ſorte que n’ayãt l’Infante moyen de ſe ietter à bas, aſſez empeſchee de tenir ſa monture par les cornes cependant qu’il trauerſoit la mer à nage, il l’emporta en Candie, là où reprenãt ſa forme ordinaire il ſe fit connoiſtre, & iouyt de ſes amours : & pour eterniſer la memoire d’vn acte tant ſignalé, logea le Taureau parmy les autres eſtoilles. Agenor ces nouuelles ouyes receut vn extreme deſplaiſir, & fit toutes les diligences à luy poſſibles pour la faire chercher, ſans qu’il en peuſt auoir nouuelles : puis croyãt que quelques voleurs ou corſaires l’euſſent enleuee, il fit venir à ſoy ſes deux fils, Cadme & Thaſe, & leur dõna chacun quantité de galiotes bien equipees, leur enioignant le chemin & la route qu’ils deuoient tenir. Il cõmanda à Thaſe de courir ſoigneuſement toutes les coſtes & les Prouinces voiſines de Phœnice, & faire vne exacte recherche en tous les ports & havres d’icelle : & à Cadme de ſe trãſporter iuſques aux plus eſloignés quartiers de la mer de Syrie, ſe ſaiſir de ceux qu’ils trouueroient emmenans Europe, auec defenſes de reuenir qu’ils ne la ramenaſſent. Or aprés que Thaſe ſe fut diligemment acquitté de ſa charge ſans pouuoir deſcouurir aucunes nouuelles de ſa ſœur, on dit qu’il aborda en vne iſle de l’Archipelago iadis nõmee Plate, proche de Thrace, & baſtit là vne ville que de ſon nom il appella Thaſe, & toute l’iſle porta ce nom. Si ſe reſolut de demeurer là auec les Phœniciens qui l’auoient ſuiuy à la queſte d’Europe ſa ſœur. D’autre coſté Cadme en ayant fait la plus diligente recherche qui luy fut poſſible, tant par mer que par terre, mais en vain, voyant qu’il n’y auoit moyen de la recouurer s’en alla par deuers l’Oracle pour apprendre par quel moyen il la pourroit trouuer, & prẽdre auis de ce qu’il luy eſtoit expediẽt de faire en tel acceſſoire ; l’Oracle luy fit telle reſponſe :

—Cadme point ne te faſche, Tu trouueras en la voye vne vache Qui ne porta iamais le joug preſſant Deſſus ſon col au faix obeyſſant ; Suy cette vache où git ton auenture ; Puis où verras qu’elle prendra paſture, Tu baſtiras ville de grand renom, Et luy donnant de Bœoce le nom, Quant à ta ſœur il n’eſt en la puiſſance D’aucun humain d’en auoir connoiſſance.

Là deſſus apparut à Cadme vne vache auprés de la fontaine de Thuerie (ainſi nommee de Thur, qui en langue Phœnicienne ſignifie vne vache) vers la riuiere de Cephiſe ; où elle s’arreſtant ſe coucha par terre. Cadme prit reſolution de faire là ſa demeure ; & pour cet effect y baſtit vne belle & forte ville, qu’il nomma Bœoce. Or deuant que de poſer les fondemens de la ville, comme il ſe diſpoſoit, ſelon la couſtume, de ſaluër les Dieux tutelaires & protecteurs dudit pays, & leur faire vn deuot ſacrifice, afin de les auoir propices & fauorables à l’auenir, il enuoya ſes gens querir de l’eau en vne fontaine qui eſt prés de là, nommee Aretias. Auint qu’ils rencontrerent vn dragon de prodigieuſe grandeur, fils de Mars & de Venus, (comme diſent entre autres Apollodore Cyrenien au liure des Dieux, & Lyſimache, qui a eſcrit beaucoup de choſes d’Europe au quatrieſme liure de l’Eſtat de Thebes, & du voyage de Cadme à Thebes) muſſé en vne Cauerne, ou ſelon les autres, au fond de l’eau : lequel ſe ruant ſur eux les deuora tous. Cadme ayant longuement attendu ſes gens, qu’il auoit enuoyez à l’eau, s’ennuyant de leur longue demeure, s’achemina luy-meſme vers la fontaine, où trouuant le dragon qui acheuoit de deuorer les corps de ſes ſeruiteurs, encore tremblotans, il le combatit & tua prés de la porte de Thebes qui fut dicte Homoloïs. Cela faict, Mars, ou pluſtoſt (comme d’autres veulent dire) Minerue luy commanda d’arracher les dents à ce ſerpent, & les ſemer en terre en guiſe de grain ; deſquelles ſemees naſquit ſur le champ vne moiſſon & troupe d’hommes armez, leſquels par l’induſtrie & artifice de Cadme s’entretuerent tous. Pherecydes a laiſſé par eſcrit au 5. liure de ſes hiſtoires, que Mars & Pallas donnerent à Cadme la moitié des dents dudit Dragon, & l’autre moitié fut gardee pour Æete, Roy de Colchos : & que Mars luy commãda de les ſemer comme on fait le bled ; deſquelles il ſuſcita vne engeance d’hommes armez pour combattre Cadme, & vanger l’iniure qu’il luy auoit faite, mettant à mort le Dragon ſon fils. Pallas voyant Cadme en danger eut pitié de luy, & luy dõna auis de ruer cachément vne pierre contre l’vn d’iceux, & l’aſſener. Le bleſſé croyant que le coup ne vint point d’ailleurs que de l’vn de ſes freres (ſelon que les gens de guerre ſont prompts & ſoudains à vanger à la pointe de l’eſpee l’iniure qu’on leur aura faite, ſans reſpect, ny d’humanité, ny d’affinité) ſe rua ſur celuy qu’il penſa l’auoir outragé, & le tua chaudement : en ſuitte tous les autres mirent la main à l’eſpee, partie pour auoir raiſon de cet iniuſte meurtre, partie pour la defenſe de celuy qu’ils maintenoient auoir eſté à tort & ſans cauſe offenſé : & tant ſe chamaillerent qu’ils s’entretuerent tous, excepté cinq, Vdæe, Pelor, Chthonie, Echion, & Hyperenor, qui ſeuls reſterent de toute cette brigade auſſi-toſt eſteinte que nee, & peuplerent le pays auec Cadme ; qui faiſant accord auec eux s’en ſeruit en beaucoup de bons affaires ; notamment à baſtir la ville de Thebes. Cela s’eſtãt ainſi paſſé, comme Agenor vid qu’il n’oyoit aucunes nouuelles, ny de ſa fille, ny de ſes fils, il fit courir le bruit qu’Europe auoit eſté enleuee aux cieux, & miſe au nombre des Dieux. Suiuant cette croyance, les Phœniciens pour la conſolation d’Agenor, luy dreſſerent Temples, Autels, ſeruices & Preſtres officians, & ſemerent par le monde cette parole, qu’on eſtimoit ſacree, que Iupiter mué en Taureau l’auoit emportee en Candie. Dauantage les Sidoniens firent en l’honneur d’icelle battre de la monnoye marquee d’vne femme aſſiſe ſur le dos d’vn Taureau paſſant la mer. On dit que Carnee fut fils de Iupiter & de cette Europe, nourry par Apollon & Latone. On luy donne auſſi vn frere Leotychide, & trois ſœurs, Cydarnis, Limere, & Alagenie, tous leſquels donnerent leur nom à des villes, comme dit Eudoxe au circuit de la terre. Voila ſommairement ce que les Anciens content touchant les auentures d’Europe & ſes freres. Reſte à examiner ce qu’ils ont voulu dire.

¶Herodote au premier de ſes hiſtoires eſcrit qu’vne troupe de Candiots ayans eu auis de l’extreme beauté d’Europe, fille du Roy de Phœnice, vindrent à Tyr, & la rauirent pour leur Roy. Quant à ce que l’on conte du Taureau, c’eſt vne feinte tiree de ce que leur carraque dedans laquelle ils emmenerent cette belle Princeſſe, auoit vn Taureau peint en la prouë, comme l’a teſmoigné Agatharchide de Gnide en l’hiſtoire de l’Europe ; car les Anciens auoient accouſtumé de peindre en leurs nauires les animaux deſquels ils portoient le nom, comme Centaure, Chimere, Dauphin, & autres. Au reſte ie croy que cette Fable ainſi deſguiſee cõtient quelque doctrine pour la moderation & l’amendement de l’eſprit humain, outre ce qui tient de l’hiſtoire, puis que les Anciens ont voulu faire acroire à leur poſterité, que Iupiter, ſouuerain Roy des Dieux, ſe transforma en vn ſale animal pour aſſouuir ſa laſcheté. Car ils ont voulu montrer qu’il n’y a vilainie au monde à laquelle ne s’abandonnent ceux qui ſuiuent leurs appetits & concupiſcences charnelles, & qui par prudence & raiſon ne les ſçauent tenir en bride. Pour cette cauſe Euripide en ſa Medee s’eſcrie que l’Amour eſt vn extréme mal aux hommes : & Ariſtophon a fort bonne raiſon de dire en ſon Pythagoriſte, que l’Amour fut vn iour banny du Ciel en terre pour conuerſer parmy les hommes, parce qu’il ne faiſoit que troubler leur Eſtat, & ſemer entre-eux mille noiſes & querelles :

N’eſt-ce point par iuſte ſentence Qu’eſt banny par les douze Dieux Ce Cupidon de leur preſence ? Car quand il eſtoit parmy eux, Il n’y ſemoit ſinon matiere De troubles, noiſes & debas, Tant eſtoit de nature altiere ! Ses ailes ils luy mirent bas, Afin qu’en la voûte eſtoilee, D’où l’inſolent ſe fit bannir, Il ne peuſt prendre ſa volee, Contraint parmy uous ſe tenir. Ils l’auoient flancqué de double aiſle Pour plus facilement dompter Quiconque luy ſeroit rebelle, Et ſur luy victoire emporter.

Car il y a deux fort dangereux eſcueils, eſquels l’homme ſe doit donner de garde d’eſchoüer, à ſçauoir la cholere & l’extreme conuoitiſe de quelque choſe que ce ſoit, attendu que l’vn & l’autre n’eſt pas moins dangereux à l’ame que les deux eſcueils de Scylle & de Charibde aux mariniers. Et comme la violence de la cholere eſt ſi grande qu’elle nous excite meſme contre les choſes deſpourueuës d’ames & de ſens, nous enflammant meſme à l’encontre des engins & inſtrumens de fer, quand par noſtre grande ignorance ou lourdiſe ils n’executent pas ſelon noſtre appetit nos mauuaiſes volontez, & nous induiſent à dire poüilles à la pierre, au fer, au bois ; en quoy nous faiſons paroiſtre que nous n’auons non plus de ſens qu’eux : auſſi l’amour exceſſif, qui comme vne rage d’eſprit, fait que beaucoup de perſonnes ne tiennent conte, ny de la nobleſſe de leurs anceſtres, ny de la majeſté de leur empire, & ne peuuent comprendre qu’ayans l’eſprit embroüillé de telle paſſion, ils s’expoſent en riſee & mocquerie à tout le monde ; c’eſt ainſi que la vertu, & cette diuinite de l’ame, la plus pre- cieuſe & plus agreable choſe à Dieu qui ſoit au mõde, eſt contaminee & foulee aux pieds, & le laiſſe mener comme priſonniere quelque part qu’amour la vueille entrainer. Car l’amour faict que les choſes plus ſales, difformes, faſcheuſes & dommageables, paroiſſent honneſtes, belles, plaiſantes & profitables. Or les Anciens voulans faire connoiſtre l’inſolence & vilainie de l’amour impudic, feignent Iupiter s’eſtre transformé en Taureau, animal laſcif & furieux, & de fait la plus grande partie des guerres, des deſolations de villes, pertes & ruines de Royaumes, embraſemens de Prouinces, deſcrits par les Poëtes, toutes reſueries & malefices humains, ont eſté ſuſcitez par cet amour laſcif & concupiſcence desbordee. Mais il n’en faut pas tant imputer la faute aux femmes, que les hommes n’en ayent auſſi leur part. La raiſon eſt, que les femmes ne ſçauroient en cela pecher toutes ſeules, ains les hommes leur ſeruent ordinairement de coadiuteurs, compagnons & conſeillers en tous leurs malefices & forfaits. Il ne faut donc pas que les hommes reiettent toute la faute ſur le ſexe feminin ; car appellans (comme font quelques-vns) les femmes animaux imparfaits, eux qui ſe veulent par cõſequent qualifier parfaits, ne les doiuent pas induire ny ſoliciter à telles laſchetez : mais pluſtoſt par bonnes remonſtrances & ſalutaires conſeils les deſtourner des fautes qu’elles pourroient conceuoir en leurs courages. Nature leur a empraint vne certaine vergongne plus qu’aux hommes, auec vne imbecillité d’eſprit & de corps, qui les retirent d’autant plus de toute acte deſhonneſte. Et certes il eſt plus aiſé de contenir les femmes dedans les bornes d’honneſteté, que les hommes. Au demeurant on tient que Cadme, paſſant de Phœnice en Grece, leur donna la connoiſſance de ſeize lettres de leur alphabet, au lieu qu’auparauant ils ne traittoient les points de la Philoſophie ſinon par contes fabuleux. Il fut auſſi le premier qui commença à coucher par eſcrit l’hiſtoire, en proſe : toutesfois les autres attribuent cecy à Cadme Mileſien, qui veſquit vn peu de temps aprés Orphee. On dit qu’il trouua les mines de metaux, & le moyen de les forger, les purifiant & cuiſant auec du charbon de pierre, qu’on appelloit pierre de Cadme, au lieu que deuant luy les artiſans les mettoient en œuure, meſlez encore de beaucoup de choſes inutiles. Metamorphoſe de Cadme & de ſa femme.Finalement les Poëtes diſent que Cadme chaſſé de ſon Royaume par Amphion & Zete, ſe retira en Sclauonie ; là où par la miſericorde des Dieux ayans compaſſion de ſes auentures, il fut auec ſa femme Hermione, qu’Ouide nomme Harmonie, mué en ſerpent, comme il luy auoit eſté predict par vne voix ouye en l’air, aprés la defaicte du ſuſdit ſerpent. Pour le regard de Europe, elle obtint de Iupiter que la tierce partie du monde porteroit ſon nom, laquelle eſt ſcituee en ſorte, que ſon coſté Septentrional & Occidental eſt borné par la mer Oceane : le Meridional eſt ſeparé d’auec l’Afrique par la mer Mediterranee : vers l’Orient l’Archipelago, la mer Majour, la Palud Mæotide qu’on appelle communément Mare delle Zabacche, le fleuue de Tanaïs nommé vulgairement Don, & l’Iſthme, qui tire de ſa ſource droit au Septentrion, la diuiſent de l’Aſie. C’eſt vne region fertile tout ce qui ſe peut, bien temperee de ſa nature, ſcituee ſous vn air aſſez doux & gracieux : qui ne cede point aux autres en rapport de toutes ſortes de grains, ny en bonté de vins & fruits d’arbres : fort plaiſante, & embellie de villes, bourgs & autres places tant peuplees, qu’elle a la reputation de ſurpaſſer non en eſtenduë de pays, mais neantmoins en valeur & proüeſſe les autres peuples & nations de la terre, comme l’on peut voir plus à plein és eſcrits des Geographes. Elle eſt toute habitable, excepté vn petit quartier de terre vers la Palud Mæotide & le Tanaïs, qui pour l’extreme froid qui regne là ne ſe peut bonnement habiter. Quant à Thaſe, eſtant venu és ieux Olympiques il ſouſtint qu’Hercule eſtoit natif de Tyr, & comme à ſon citadin luy fit faire vne ſtatuë de cuiure de dix coudees de haut, aſſiſe ſur vne baſe de cuiure, tenant en la main gauche vn arc, & en la droite vne maſſuë. Cela ſuffiſe pour le preſent diſcours : diſons conſequemment de Penelopé.

De Penelopé.

1055

CHAPITRE XXVI.

Genealogie de Penelopé.PENELOPÉ fut fille d’Icare Lacedæmonien, & de Peribœe Naiade ; & eut cinq freres, Caune, Phalere, Nopſope, Philemon & Holore. L’on dit qu’Icare, ſa femme eſtant enceinte, s’en alla vers l’Oracle à cauſe de quelques viſions qu’il auoit euës de nuict, pour auoir auis de ce que ſa femme deuoit enfanter : lequel luy reſpondit :

Peribœe a la gloire & vergongne des femmes.

Cette reſponſe ouye, & mal entenduë, cuidant que celle qui naiſtroit de ſa femme, deſhonoreroit & feroit quelque notable vergongne à ſa famille, dés que cette fille fut nee, il la mit dans vn coffre, & le ietta bien auãt en la mer, luy laiſſant courir telle riſque que ſon deſtin permettoit. Cette fille fut dicte Arnæe, pource qu’ils ne la voulurent pas nourrir, comme qui diroit, reiettee ou deſauoüee. Son auenture.Au reſte ce coffre ayant de bon-heur rencontré la mer fort calme, tellement qu’il ne bougea du lieu où il auoit eſté mis, ſinon qu’autant que le reflux ordinaire des eaux marines l’auoit peu à peu emmené ; certains oyſeaux oyans le vagiſſement de la fille, volerent vers elle : Voyez liure 7. chap. 8.on les appelloit Meleagrides, eſquels furent tranſmuees les ſœurs de Meleager aprés pluſieurs larmes eſpanduës pour la mort de leur frere, quand ſa mere eut par cholere & vengeance ietté au feu le tiſon fatal auec lequel il deuoit viure & mourir. Ces oyſeaux firent tant qu’ils tirerent à bord le coffre, qui n’eſtoit plus gueres loing de la riue, & nourrirent cet enfant l’eſpace de quelques iours. Les habitans du lieu voyans ce miracle en firent le recit à Icare, qui en eut tant de pitié, que ſolicité principalement par ſa femme, il ſe tranſporta ſur le riuage de la mer, & trouua ledit coffre (autres l’appellent baſſin) auec les oyſeaux nourriſſiers de ſon enfant, lequel auec eux il emmena chez luy. Les Grecs appelloient alors ces oyſeaux là Penelopes, qui ſont ceux que nous appellons auiourd’huy Poulles d’Inde : & pour cette cauſe la fille quittant ſon premier nom d’Arnæe fut dicte Penelopé, ſelon le teſmoignage d’Herodote en ce qu’il a eſcrit de Perſee & d’Andromede. Quand elle fut mariable, tout le monde la voyoit tant belle, de ſi gentiſſe taille, tant bien nourrie & complexionnee qu’il n’y auoit ieune homme de maiſon qu’il ne la vouluſt auoir pour ſa maiſtreſſe : meſmement pluſieurs Princes & Seigneurs de la Grece la demanderent en mariage. Mais le pere ayant encore quelque ſcrupule pour la reſponſe qu’il auoit euë de l’Oracle, ne la vouloit accorder à perſonne, ſinon à quelque galand homme, qui par ſa prudence & vertu peuſt moderer les concupiſcences de ſa fille, laquelle auoit iuſques alors veſcu en tout honneur & integrité. Si fit vn tournoy prés du Temple d’Apollon Carneen, promettant de bailler ſa fille à celuy qui demeureroit vainqueur. Pauſanias en l’Eſtat de Lacedæmone dit qu’Vlyſſe emporta le prix de la courſe ; & pourtant il eſpouſa Penelopé. Depuis Icare tenta le courage d’Vlyſſe par beaucoup de prieres & promeſſes pour le faire demeurer auec luy pluſtoſt que de s’en retourner à Itaque. Mais ſe voyant decheu de ſon eſperance, & ne pouuant par aucun moyen induire ſon gendre à luy complaire en ce poinct ; il voulut gagner le cœur de ſa fille, & ſe print à la ſupplier inſtamment de ne le vouloir laiſſer ſeul en ſa maiſon, accablé de vieilleſſe, ayant deſia perdu ſa femme Peribœe, pour finir le reſte de ſes iours en dueil & amertume d’eſprit. Ses prieres n’eurent non plus d’efficace enuers elle. Toutesfois on dit qu’Vlyſſe meu de compaſſion, ou de laiſſer le bon homme ſans compagnie, ou bien importuné par luy, donna le choix à Penelopé, ou de demeurer à Lacedæmone chez ſon pere, ou le laiſſant, venir auec luy à Itaque. Surquoy elle ne reſpondit mot, ny à ſon pere, ny à ſon mary : ains ſe voilant la teſte, ne bougea du carroſſe ſur lequel elle eſtoit ja mõtee. Icare connoiſſant qu’elle aymoit mieux ſuiure ſon mary, mais qu’elle auoit honte de le dire, luy donna congé de s’en aller auec luy. Liure 9. chap. 1.Aprés qu’Vlyſſe eut engendré d’elle ſon fils Telemache, il fut appellé à la guerre de Troye, comme nous dirons au chapitre d’Vlyſſe : & fut abſent de ſa maiſon l’eſpace de vingt ans ; durant leſquels on dit que Penelopé veſquit en toute chaſteté ſans dõner aucun ſujet de la pouuoir iuſtement blaſmer d’impudicité ; & tous ces Seigneurs & heros de l’armee Grecque eſtant de retour chez eux aprés la priſe & la deſtruction de Troye (car la guerre ayant duré dix ans Vlyſſe fut errant çà & là dix autres annees deuant que de regagner Ithaque) pluſieurs Princes Grecs la vindrent courtiſer, la ſolicitans de ſe remarier, croyans qu’Vlyſſe fuſt pery par naufrage. A cela pouuoit ſur toutes choſes induire l’extreme deſpenſe qu’elle faiſoit nourriſſant ſi grande quantité de mignons qui luy venoient offrir leur ſeruice, leſquels ne viuoient qu’aux deſpens de ſon reuenu. Il ſembloit donc que ce fuſt le plus expedient pour elle d’en eſpouſer quelqu’vn. Mais elle trompoit cauteleuſement leur eſperance, promettant que dés qu’elle auroit acheué la piece d’ouurage qu’elle auoit entre mains, elle n’attendroit plus Vlyſſe, ains qu’elle prẽdroit pour mary l’vn d’entre-eux. Or les entretenoit elle de cette eſperance, connoiſſant la petulance & temerité de ces ieunes Seigneurs, leſquels ſi elle ne les euſt engeolé par telles paroles, euſſent en peu de temps diſſipé tous ſes moyens, ou meſme luy euſſent peu faire de la vergongne. Mais pource qu’elle tiſſoit d’ouurage durant le iour, autant en defaiſoit-elle la nuict ; & par cet artifice prolongea leur attente iuſques à la venuë d’Vlyſſe : lequel entrant chez luy habillé en gueux les paſſa tous au fil de l’eſpee. On dit auſſi qu’elle eut d’Vlyſſe, aprés ſon retour de Troye, vn fils duquel elle accoucha au territoire des Orchomeniens en Theſſalie, auprés d’vne place qu’on appelloit ſtade de Ladas, lequel à cauſe des hauts faits d’armes que ſon pere auoit exploitez en ce voyage, fut nommé Poliporte, c’eſt à dire, deſtructeur de villes. D’autre part Pauſanias eſcrit és Arcadiques, que ceux de Mantinee tenoient pour certain qu’Vlyſſe chaſſa de ſa maiſon Penelopé, comme ayant de ſon propre mouuement attraits & inuitez tous les mignons ſuſdits : laquelle ſe retira à Sparte ; mais n’eſtant receuë en la maiſon de ſon pere deſia mort, ny reconnuë par ſes parens & alliez, elle fut contrainte d’aller faire ſa reſidence à Mantinee, où elle deceda ? & fut enſeuelie auprés du ſtade de Ladas vers le temple de Diane. Voila les principaux poincts que les anciens racontent touchant Penelopé.

¶L’on dit qu’Icare ietta ſa fille dans la mer croyant que l’Oracle vouluſt dire qu’elle feroit vn iour quelque inſigne deſhonneur & infamie au ſexe feminin ; combien qu’il entendiſt tout le contraire, à ſçauoir que cette pudeur & vergongne honorable requiſe aux Dames d’honneur, ſe trouueroit en celle dont Peribœe eſtoit enceinte, voire qu’elle reluiroit comme vne perle entre les femmes. Neantmoins les autres maintiennent que Penelopé fut femme impudique, s’abandonnant à tous ceux qui luy faiſoient l’amour, & qu’elle engendra Pan : comme au contraire ils veulent dire que Dido fut Princeſſe tres-vertueuſe & chaſte : mais ſelon les affections particulieres d’vn chacun elles ont eu la reputation ou de pudiques ou d’impudiques. Quoy qu’il en ſoit, la plus commune opinion a fauoriſé la bonne renommee de Penelopé, de laquelle Eubule en ſa Cryſille rend ce teſmoignage :

Sage Iupin, dois-ie meſdire Du ſexe feminin ? ton ire Me perde pluſtoſt à iamais ; La femme eſt la meilleure choſe Que nature à l’homme propoſe. Si Medee eut le cœur mauuais, Penelopé la recompenſe En vertu, chaſteté, prudence.

Or il ne faut trouuer eſtrãge ſi Penelopé toſt aprés ſa natiuité ſe trouua embarraſſee de telles calamitez, cõme ainſi ſoit qu’à peine void-on aucun ſage ou vaillant qui ſoit accompagné d’vne perpetuelle felicité ; car la vertu & la fortune ſe ſont de tous temps iuré haine & guerre mortelle. C’eſt pourquoy les Anciens feignent Hercule & les autres heros remarquez pour leur ſinguliere vertu & bonté, auoir eſté calamiteux, & certes les aduerſitez ſont vn don de Dieu, peut-eſtre plus grand que toutes autres commoditez ; voire vne expreſſe opportunité & inſtrument par lequel Dieu ſonde & exerce noſtre patience. Ainſi Semiramis, la plus excellente femme de toutes celles que nous ſçauons auoir eſté remarquees pour vn ſingulier eſprit, prudence & valeur incomparable, courut preſque vne ſemblable fortune que Penelopé nourrie par deux oyſeaux : item Danaé encloſe en vne arche de bois auec ſon fils, & iettee en la mer, fut par l’aide de Dieu ſauuee, veu que quoy que ſoit il n’abandonne iamais l’homme de bien en ſa neceſſité, pourueu qu’il ſe retourne à luy auec vne affection pure & ſincere. Pluſieurs autres qu’il ſeroit trop long de reciter, en leur enfance expoſez à l’abandon des beſtes ſauuages, n’ont pas trompé les reſponſes que l’Oracle en auoit donné ; mais au contraire ont eſté non ſeulement deliurez, ains auſſi nourris par elles. On dit que Penelopé fut promiſe en mariage à celuy qui emporteroit le prix de la courſe au tournoy : choſe aſſez ordinaire entre les Anciens qui auoient de belles filles, ſoit que par ce moyen ſuiuans l’auis de l’Oracle ils vouluſſent diuertir quelques ieunes muguets de faire l’amour à leurs filles, les effrayans par l’apprehenſion des dangers propoſez aux vaincus, comme és nopces d’Atalante & d’Hippodame : ſoit qu’ils fiſſent eſtat que creatures ſi rares & ſi parfaictes en beauté ne deuſſent eſtre preſentees ſinon qu’à gens accomplis en toutes vertus, attendu que les coüarts, caſaniers & poltrons ne doiuent attendre que honte, confuſion & vitupere entre les gens d’honneur. Et comme ainſi ſoit que Vlyſſe repreſente par tout vn perſonnage doüé d’vne ſinguliere prudence, à bon droit luy fut donnee Penelopé, ſi renommee pour ſa continence & pudicité, ſi admirable que la ville de Troye ſecouruë par beaucoup de nations d’Aſie, ayant ſouſtenu par l’eſpace de dix ans le ſiege d’vne armee generale de toute la Grece, les vns & les autres aſſiſtez par quelques Dieux particuliers ; Vlyſſe d’autre coſté ayant eſté vagabond dix autres annees aprés la priſe de ladite ville, elle ne peut eſtre esbranlee, ny par prieres, ny par menaces, ny par importunité d’aucuns ſiens amoureux ; ains les teint (comme on dit communément) le bec en l’eau, non ſans vn gentil eſchapatoire. Car il eſt plus malaiſé d’induire vn courage bien muny de vertu & temperance à quelque vergongneux acte, que de prendre la ville de Troye, ou contraindre quelque autre place forte à ſe rendre, veu qu’il n’y a piece de batterie qui puiſſe faire breche à la vertu. Et n’eſt pas vray-ſemblable que les Anciens euſſent ſi haut chanté la continence de Penelopé, ſi ſa maniere de viure n’euſt eſté digne d’eſtre propoſee comme vn notable exemple & miroir de vertu. Quant à ce que les autres veulent dire que Penelopé ayant couché auec tous ceux qui luy faiſoient l’amour, engendra Pan, ainſi nommé pour tel ſujet, qui vaut autant à dire que Tout ; ce ſont des fictiõs fort eſloignees de la verité, tant pour auoir peu de ſuffragans à leur dire, que pour n’eſtre conuenable à la raiſon, que la femme puiſſe conceuoir de la ſemence de pluſieurs, pource que dés que la matrice a conceu, elle ſe cloſt de telle façon, que rien n’en peut ny ſortir ny entrer. Or doncques par le recit que les Anciens ont faict de Penelopé, ils ont voulu exhorter les autres femmes à temperance, continence & chaſteté, afin qu’elles gardent foy & loyauté à leurs maris, ſans l’enfraindre aucunement, ne ſe laiſſans amadouër par les amorſes & mignardiſes de ceux qui les courtiſent, & qu’elles facent eſtat qu’il n’y a choſe tant honneſte que de perſiſter inuincibles à l’encontre de tous allechemens. En ce qu’ils diſent qu’elle les entretint en quelque eſperance par ſa piece d’ouurage, ils ont voulu montrer qu’il n’y a rien ſi dangereux que d’eſtre oyſif, comme ainſi ſoit que ceux qui negocient ou s’appliquent à quelque honneſte exercice, ne ſont pas ſi facilement ſurpris par mauuaiſes penſees, ny par les faux attraits des plaiſirs de ce monde : car l’oiſiueté eſt, ſinon la mere, pour le moins la nourrice de toute volupté & inſolence. Voila quant à Penelopé : Parlons d’Andromede.