MYTHOLOGIE,
ov,
EXPLICATION DES FABLES.
LIVRE NEVFIESME.
SOMMAIRE DES CHAPITRES. I. Combien ſagement les Anciens ont introduit leur Religion, les honneurs de leurs Preſtres, & le lieu des Enfers. II. d’Vlyſſe. III. D’Oreſte. IV. De la Chimere. V. De Bellerophon. VI. De Rhee. VII. De Latone. VIII. Des Curetes ou Coribantes. IX. Des Cyclopes. X. De Lycaon. XI. De Pandion. XII. D’Erichthon. XIII. D’Achille. XIV. De Ganymede. XV. De Harmonie, & de Cadmus. XVI. De Mydas XVII. De Narciſſe. XVIII. Des Belides, ou Danaïdes. XIX. De Sphinx. XX. De Nemeſis. XXI. De Momus.
Combien ſagement les Anciens ont introduit leur Religion, les honneurs de leurs Preſtres, & le lieu des Enfers.
CHAPITRE I.
DEVANT que paſſer outre, comme ainſi ſoit que les Anciens ont inuenté pluſieurs choſes pour gouuerner ſagement la vie humaine, ie croy qu’il eſt bon de montrer que toute la Religion des Anciens a eſté controuuee pour imprimer és cœurs humains la crainte & reuerence des Dieux. Car ayans affaire à vne troupe de femmes, à vne multitude d’ignorans & idiots qui ne pouuoient comprendre les enſeignemens de Philoſophie, ny par iceux ſauourer la Religion, embraſſer la foy, & ſuiure vne ſaincteté de vie ; il fut expedient d’imprimer en eux par d’autres moyens la crainte des Dieux. Or ne trouuerent-ils point de meilleur expedient que de les abbruuer de fables & fictions ſous leſquelles ils deguiſoient les plus hauts de leurs ſecrets & myſteres. C’eſt pourquoy ils equipent Iupiter & larment de foudres & de l’ægide, donnent à Neptun le trident, les fleches à Cupidon, les flambeaux aux Erynnes ou Furies vengereſſes des forfaicts, à Pallas les dragons, & aux autres Dieux diuerſes armes. Mais parce que telles inuentions ſembloient du commencement rudes & groſſieres, & peut-eſtre invtiles pour cet effect ; & qu’il ne falloit pas que ceux qui deuoient receuoir ceſte premiere Religion encore inconnuë, fuſſent obſtinez ; on introduit depuis vne multitude & brigade de nouueaux Dieux, & par meſme moyẽ des loix nouuelles, & autres ceremonies en leurs ſeruices : joint qu’Æſchyle és Eumenides dit que les Dieux recens ont foulé aux pieds les anciennes ordonnances. Or les principaux Dieux entre les recens auſquels ils auoient plus de fiance, c’eſtoient premierement Iupiter, qui abolit tous les droits des anciens Dieux, & leurs ceremonies : puis apres Hercule & Dionyſe, & toute ceſte autre preſque infinie meſgnie de Dieux maſles & femelles iſſus la plus grande part du pere Iupin. Outre iceux l’on commenca à reuerer d’honneurs & ſeruices diuins quelques hommes apres leur mort, à aucuns deſquels on dedia des villes, comme la ville d’Eleus en la Moree, à Proteſilas ; Lebade en Bœoce, à Trophonius : le tẽple dedié à Amphiaras en Oropie. Et afin que ces Dieux fiſſent euidemment paroiſtre que telles inuentions leur eſtoient fort agreables, ils (ou pluſtoſt les diables ſeducteurs) voulurent bien les confirmer par pluſieurs miracles iſſans des choſes conſacrees à leurs noms : cõme la ſtatuë du pere Liber contemplee par gens pollus & profanes, les faiſoit inſenſez : ſi quelqu’vn par meſpris de la religion entroit dedans le parc des Eumenides lez Athenes, il deuenoit furieux : ceux qui pollus entroient en la cour de Iupiter Lycæen, mouroient infailliblement dedans vn an ; laquelle pollution ſe deſcouuroit par ce miracle, que quelque creature, humaine, ou brute, entrant là dedans en tel eſtat, ne faiſoit nulle ombre de ſon corps, à quelque heure du iour & en quelque ſaiſon de l’annee que ce fuſt. Pour ces cauſes on faiſoit grand eſtat des auſpices, augures, propheties, & autres deuinemens qui concernoient la religion, comme celuy qui ſe faiſoit en Achaie deuant le temple de Ceres : il y auoit vn miroir pendu à vne ficelle, & deualé iuſques à l’eau d’vne fontaine la ſituee, dans lequel les malades, apres auoir premierement accõply les ſacrifices ordinaires & requis pour cet effet, apperceuoient ſans faute ou leur ſanté ou leur mort, ſelon les images qui ſe preſentoient à eux dedans le miroir. Or les impurs & malins eſprits n’effectuoient telles fourbes que pour approuuer telle ſuperſtition Payenne. De là vint qu’ils portoiẽt beaucoup de reuerence à leurs Sacrifices, à la Religion de leurs Dieux, & à leurs Preſtres ou religieux ; leſquels ils ne choiſiſſoient que des plus nobles familles, & auoient ſeance en toutes les aſſemblees & conſeils publics en Grece. Car les Atheniens propoſoient leurs conſeils & leurs affaires comme en la preſence des Dieux meſmes (auſquels rien n’eſt inconnu) à leurs Preſtres : ainſi que faiſoiẽt les Lacædemoniens à leurs Augures ſeants à coſté de leurs Roys. Et n’entroient iamais en conſultation de quelque grand, ou public, ou particulier affaire, qu’ils n’euſſent eu l’auis de l’Oracle de Delphes, ou d’Ammon, ou de Dodone ; ou ſondé par autre moyen la volonté de leurs Dieux. Depuis auſſi la couſtume veint, confirmee meſme par ordonnances, que le conſeil legitimement aſſemblé ne ſe tiendroit point que dedans les Temples des Dieux, ou bien en quelques lieux ſacrez, les voulãs auoir pour teſmoins de leurs paroles, de leurs actiõs, de leur conſcience & equité. Puis aprés les plus ſages Legiſlateurs entreprenans de pollicer leurs villes de bonnes loix ciuiles, mirent en auant pluſieurs & diuers Dieux qu’ils faiſoient autheurs de leurs loix : cõme ainſi ſoit que toute loy eſt legere & de peu de valeur ſi elle n’eſt authoriſee par le conſentement des Dieux immortels. Dés lors l’ancienne Theologie commenca d’attirer à ſoy les affectiors & les eſprits des hõmes, laquelle toutefois Zenon, Cleanthe & Chryſippe Philoſophes ont creu conſiſter entierement en la conſideration des corps naturels. Mais la contemplation des Anciens n’eſtoit pourtant du tout eſloignee des choſes diuines ; combien qu’ils n’en prinſſent pas le vray & legitime chemin : & cette recherche ne leur eſtoit pas inutile. Car nous ne trouuons pas ſeulement comme quelque naturelle paſture pour nos ames & entendemens en la conſideration de la Majeſté de Dieu, & en la connoiſſance des choſes celeſtes, quand nous recherchons ſa nature & eſſence : mais auſſi nous ſommes eſleuez plus haut, & nous ſemble que ſoyons rauis au Ciel, quand nous ſongeons aux choſes celeſtes & diuines : nous negligeons les humaines cõme choſes de neant ; & deuenons gens de bien. Car quand nous aurons meſpriſé les choſes de ce monde, & mis ſous les pieds les affections & les conuoitiſes de nos ames, que nous peut-il plus reſter de meſchanceté ? & quelle entree chez nous peuuent trouuer telles eſmotions quãd nous ſommes à bon eſcient occupés à la recherche des ſecrets diuins ? Corps naturels.Or les Anciens n’ont pas ſeulement adoré en guiſe de Dieux des corps naturels, cõme le Soleil, la Lune, la terre, le feu, l’eau, les vents : tous leſquels ont eſté comme Dieux religieuſement par eux ſeruis, ſuiuant ce que nous en auons enſeigné cy deſſus : mais auſſi pour nous apprendre à temperer par certaine moderation les troubles de nos eſprits, & qu’on ne penſaſt point que rien ſe fiſt ſans la conduite & le bon plaiſir de Dieu ; Paſſions humaines, adorees pour Dieux.ils ont deuotement reueré preſque toutes les paſſions eſquelles ſont ſubiettes les creatures humaines. Ainſi les Atheniens firent vn autel à Miſericorde, leſquels honoroient ſa Majeſté par deſſus toutes autres cy-deſſous ſpecifiees, comme eſtant tres-importante à la vie humaine, & en ſi grande diuerſité d’inconueniens & rencontres qui l’accompagnent. En ſuite ils en firent à Pudeur, Renommee, Alegreſſe, Santé : plus adorerent les Songes, la Pertinacité, les Graces, la Fraude, la Miſere, Complainte, Amour, Dol, Peur, Labeur, Enuie, le Deſtin, la Vieilleſſe, la Mort, les Tenebres, la Neceſſité, que Callimache en ſes hymnes appelle grande Deeſſe ; Fortune ; à laquelle ils ont ſouſmis & aſſubietty toutes choſes. Plus Eſperance & Crainte, que Theognis qualifie du tiltre de graues Dieux. Et puis qu’ils ont attribué de la diuinité aux ſuſdites paſſions d’eſprit, & baſty des temples à l’Entendement, à la Foy, à la Pieté, à la Vertu, n’ont-ils pas aſſez euidemment faict paroiſtre que Dieu à l’œil ſur toutes les affaires de ce monde, & qu’il faut que les gens de bien ſe rengent de tout leur pouuoir à bien faire & viure en integrité de conſcience ? D’auantage croyans que l’Vniuers fuſt Dieu, ils tenoient pour maxime aſſeuree que la Majeſté & preſence de Dieu s’eſpand par tout, qu’il eſt teſmoing de toutes les penſees, paroles & actions des hommes : & que par conſequent nul ne doit preſumer de commettre aucun meffaict dont il ne ſoit chaſtié. Or entre vn ſi grand nombre de Dieux, il n’y en auoit pas vn, qui ne priſt plaiſir & n’aymaſt ceux qui s’adonnoient à ſageſſe, probité, iuſtice, integrité, loyauté, temperance. Et pourtant les Anciens ont eu raiſon de dire qu’il y auoit deux voyes par leſquelles les ames iſſoient hors des corps humains : deux baſſes, vne haute. Car ceux qui s’eſtoient polluez és vices de ce monde, & qui n’auoient ſuiuy que leurs plaiſirs charnels ; qui chez eux auoient commis toutes ſortes de vilainies & meſchancetez mortelles ; qui au regime & gouuernement des affaires publiques auoient mal verſé & faict des tromperies irremiſſibles ; L’Enfer.leurs tournoient à gauche, eſtoient forcloſes du Conſeil ou compagnie des Dieux, & bannies à perpetuité du Royaume des Cieux. Ceux qui auoiẽt bien commis beaucoup de pechez, mais remiſſibles & veniels, qui s’eſtoient ſoüillez és ordures de l’humaine corruption : aprés que leurs ames auoient accomply quelques annees de purgation : Le Purgatoire.expoſees aux vents & au feu pour les eſſorer, il leur eſtoit permis de monter au conſeil celeſte, apres auoir poſé toutes leurs immondices ; comme ainſi ſoit que rien ne peut participer à la pureté diuine qui ne ſoit auſſi pur & ſimple. Mais ceux qui tout le cours de leur vie s’eſtoient conſeruez en chaſteté, innocence & integrité, qui ne s’eſtoient point abandonnez aux ſoüillures & pollutions corporelles, qui s’eſtoient de tout leur pouuoir con- uersans au monde, rendus conformes à l’imitation de la vie celeſte ; Le Paradis des Payens.leurs ames auoient le chemin libre & ouuert pour remonter aux cieux dont elles eſtoient parties. Ainſi doncques propoſans de rigoureux ſupplices aux malfaicteurs, d’honorables & perpetuelles recompenſes à la vertu des gens de bien, & enſeignans que les Dieux eſpioient comme dignes teſmoings toutes leurs penſees & actions, cela ſuffiſoit pour induire les hommes & les occaſionner mal-gré eux à viure àſaintement & religieuſement, & les humilier en toute crainte & reuerence deuant la Majeſté diuine. Or diſcourons maintenant d’Vlyſſe.