De Harmonie et de Cadmus.

CHAPITRE XV.

On doute fort de qui fut fille Harmonie. Diodore au 6. liu. dit qu’elle fut fille de Iupiter, & d’Electre : mais Heſiode en ſa Theogonie ſouſtient qu’elle naſquit de l’adultere de Mars & de Venus :

Venus conceut de Mars, qui d’vne rude atteinte Fend lances et boucliers, la Palleur & la Crainte, Dieux qui ioints auec Mars donnant tout à trauers Des eſcadrons armez les portent à l’enuers, Et font tourner le dos à la trouppe ennemie. Puis celle que Cadmus eſpouſa, Harmonie.

Preſens des Dieux aux nopces de Harmonie.Elle doncques paruenuë en aage fut par Iupiter donnee en mariage à Cadmus Roy de Thebes, Prince illuſtre, & tres-renommé pour beaucoup de hauts faicts d’armes, & autres difficultez qu’il ſurmonta, deſquelles nous en allons reciter les plus ſignalees. Les Dieux honorans de leur preſence les nopces d’iceluy firent chacun leur preſent à ſon eſpouſee ; Cerés luy donna des fruicts de ſon inuention, à ſçauoir du bled, Mercure vn luth, Pallas vne belle bague, ou lie-teſte, vn voile (les autres diſent vn beau carquant de l’ouurage de Vulcan) & des fluſtes ; Electre luy donna des cymbales & tambours dediez pour la feſte & ſolemnité de la Grand-mere des Dieux. Eſdites nopces Apollon ioüa du ciſtre, les Muſes du fifre, & les autres Dieux apporterent beaucoup de beaux & riches dons. Voyez liu. 8. cha. 24. touchant Europe & ſon rauiſſement.Mais pour reprendre le faict vn peu plus haut, il faut ſçauoir que Iupiter ayant rauy la ſœur de Cadme, Europe, de laquelle emportee en Candie il engendra Sarpedon, Minos & Rhadamanthe, Agenor Roy de Phœnicie, pere de Cadme, luy commanda d’aller cercher ſa ſœur, auec defenſes de reuenir ſans l’amener. Or aprés qu’il eut tournoyé beaucoup de Prouinces, long-temps tracaſſé parmy le monde ſans en apprendre aucunes nouuelles ; ſçachant le decez de ſa mere Telephaſſe, il ſe reſolut de faire vn voyage en Delphes, pour auoir l’auis de l’Oracle, qui luy fit telle reſponſe :

—Cadme point ne te chaille, Tu trouueras en ta voye vne aumaille Qui ne porta iamais le ioux preſſant Deſſus ſon col au faix obeiſſant. Suy cette aumaille où giſt ton auenture. Puis où verras qu’elle prendra paſture, Tu baſtiras ville de grand renom, En luy donnant de Bœoce le nom. Quant à ta ſœur il n’eſt en la puiſſance D’aucun humain d’en auoir conoiſſance.

Comme doncques il paſſoit ſur les terres des Phociens, il rencontra vn bœuf qui marcha touſiours deuant luy : iuſqu’à ce qu’eſtant en la Bœoce, le bœuf s’arreſta, là où fut baſtie la ville de Thebes. Alors ſe diſpoſant de ſacrifier ce bœuf à Minerue, il enuoya ſes compagnons à la fontaine de Dirce pour auoir de l’eau, gardee par vn Dragon fils de Mars, qui luy deuora ſiriphe & Daileon, ſes meilleurs amis, deſquels Cadme vengea la mort par celle de l’animal. Quelques-vns nous content (entre autres Archelaus au neufieſme liure des riuieres) que Cadme aprés la mort du Dragon trouua cette eau toute empoiſonnee de l’infection de cette beſte, & que force luy fut d’aller plus loing chercher de l’eau. Or comme il approcha prés de la grotte de Corfou, il auint que par le conſeil de Pallas il imprima ſon pied dans vn bourbier, d’où rejalit vn ruiſſeau qui fut nommé Pied de Cadme. Au reſte, comme nous auons amplement traitté en Europe, il fallut qu’il arrachaſt les dents à ce dragon ou ſerpent, leſquelles il ſema en guiſe de grain par l’auis de Minerue, dont naſquit ſur le champ vne moiſſon & engeance de gens-d’armes preſts à ſe battre auec luy pour venger l’iniure par luy faicte à leur pere : mais Cadme ruant à trauers cette trouppe vne pierre que Minerue luy auoit baillee, deſtourna de ſa perſonne les armes qu’ils auoient en main pour l’occire, leſquelles ils employerent à s’entretuer eux meſmes, croyans que quelqu’vn de leur trouppe fuſt autheur de leur ſedition, ſi qu’il n’en reſta que cinq, qui repeuplerent auec luy ce territoire. Pour cette cauſe Cadme fut contraint d’eſtre vn an au ſeruice de Mars en eſtat de mercenaire ; auquel temps l’annee valoit autant que huict des noſtres. Depuis ce temps-là Minerue enrichit & para la Cour de Cadme de pluſieurs ornemens, & Iupiter luy fit eſpouſer la fille de Mars & de Venus, Harmonie ; aux nopces deſquels aſſiſterent tous les Dieux, & leur firent les preſens cy-deſſus ſpecifiez. De la conſommation de ce mariage naſquit Polydore, qui fut pere de Labdaque, pere de Lajus, pere d’Oedipus : & quatre filles, qui toutes terminerent tragiquement leurs iours auſſi bien que les maſles, Ino, Semelé, Agaué, Autonoé. Puis-aprés ayant paſſé par vne infinité de trauerſes, & ſouffert grand nombre d’afflictions à l’occaſion de ces filles, & autres deſcendans, il inſtalla Penthee fils d’Agaué & d’Echion en ſon throſne Royal, & quittant Thebes ſe retira à Encheles en Sclauonie auec ſa femme Harmonie. Ce peuple là perſecuté par leurs voiſins, furent auertis par l’Oracle, qu’ils emporteroient la victoire ſur leurs ennemis s’ils auoient Cadme & Harmonie pour leurs chefs, leſquels faiſoient leur reſidence ſur le bord de la riuiere de Drilon, qui ſepare les Sclauons & Croaciens, ſubiets auiourd’huy de la maiſon d’Auſtriche. Iceux ſuiuans l’authorité de l’Oracle les eſleurent pour chefs de leur armee ; & par ce moyen il conquit le Royaume de Sclauonie, & en iouyt quelque temps auec beaucoup de proſperité : puis comme ils diſcouroient vn iour de leurs auantures, & ſe remettoient en memoire leurs ennuis paſſez auec beaucoup de dueil & de melancholie, furent tous deux conuertis en ſerpens ; & par Iupiter enuoyez aux champs Elyſiens auec les ames bien-heureuſes.

¶Or la plus grande partie de ce que deſſus ſe doit rapporter à l’hiſtoire ; & ne faut pas eſtimer qu’Europe ait eſté tranſportee en Candie par vn taureau ; mais les Candiots l’ayans emblee l’emmenerent de Phœnice en leur pays en quelque vaiſſeau qui portoit le nom de taureau, ou qui pour le moins en auoit vn peint en la prouë. Les autres diſent que le patron du nauire eſtoit Gnoſien, & ſe nommoit Taureau, lequel l’enleua de Sarape, ville de Phœnice, ſcituee entre Tyr & Sidon, ce qui fit communément croire qu’vn taureau l’auoit emportee en Candie, ſuiuant le teſmoignage d’Echemenés en l’hiſtoire de Candie. Quant à ce que Cadme enuoyé à la queſte de ſa ſœur tua le Dragon en la fontaine de Dirce, ce ſont bayes ; la verité eſt, que Cadme tua vn daugereux voleur nommé Dragon, qui deſtrouſſoit & faiſoit beaucoup d’outrages aux paſſans eſtrangers ; & meſme auoit deſia couppé la gorge à quelques-vns de ſa ſuitte & compagnie. L’on dit qu’il ſema les dents de ce Dragon, pource que les complices & alliez de ce voleur s’eſcarterent qui çà qui là voyans leur chef abatu. Tout cela ſe fit par le conſeil de Miuerue : d’autant que la prudence de l’homme & l’aide du bon Dieu eſt tres-neceſſaire en toutes nos actions & entrepriſes : mais plus qu’ailleurs en faict de guerre. Ce qu’il rua vne pierre à trauers cette trouppe de gens armez, nouuellement ſortis de la terre, & deſdites dents ſemees, dont ſourdit entre-eux la guerre par laquelle ils ſe defirent eux-meſmes de leur propres armes, penſans que le coup fuſt procedé de quelqu’vn d’entre-eux ; cela ſignifioit les querelles & contentions qui trauailleroient les Thebains à l’auenir, aprés la fondation de la ville : car l’Empire & ſeigneurie de ladite ville excita depuis vne grande guerre entre les citadins ; ioint que de peu de ſuject, & d’vne bien petite iniure s’enſuiuent bien ſouuent des pernicieuſes ſeditions & troubles ciuils. Harmonie eſt dicte fille de Mars & de Venus ; parce que l’energie de la Muſique non ſeulement redreſſe les eſprits languiſſans & oppreſſez d’vn monde de calamitez & de miſeres, & les abreuue d’vne douceur & ſuauité ; mais auſſi enflamme les courages virils à la guerre, & de faict pluſieurs nations s’aiguillonnoient par le ſon & ouye de la Muſique deuant que d’aller à la charge ; comme encores à preſent ont garde l’vſage de quelques inſtrumens pour reſueiller la valeur des genſd’armes. Voila pourquoy l’on donne tels parens à Harmonie. Ceux qui l’ont faite fille de Iupiter & d’Electre, ont eſtimé qu’elle fuſt cette conſonance & concert que les Pythagoriciens ont cuidé ſe faire és mouuemens des ſpheres & corps celeſtes. Quant à ce qui touche la moralité, les Anciens ont voulu faire entendre que tandis que nous conuerſons en cette miſerable vie pleine de trauaux & faſcheries, nous nous deuons armer de vaillance & ſageſſe, d’autant que toutes les actions de l’homme ſont bornees de certains limites, & que Dieu n’abandonne iamais les gens de bien & de valeur, puis que Iupiter enuoya Cadme & Harmonie aux champs Elyſiens, aprés auoir paracheué le cours de leur vie. Diſcourons deſormais de Midas.