D’Ixion.
D’Autre part ils ont ſagement mis en auant pluſieurs fictions pour la tranquillité de nos eſprits, car ils n’ont ſeulement repris ceux leſquels enorgueillis de leur felicité preſente s’abandonnent à cruauté & vaine gloire, ny ſeulement incité les hommes à liberalité : mais auſſi pour dechaſſer & bannir de nos ames l’ambition & l’enuie, tres-poignans & dangereux aiguillons pour nous induire à mal-faire, & pour reprimer cette cõuoitiſe charnelle à laquelle nous ſommes tant enclins, ils ont dit qu’Ixion pour auoir attenté contre l’honneur de ſa Dame fut precipité du Ciel aux Enfers, ce que quelques-vns rapportent à l’hiſtoire. Mais ce qu’il fut garrotté contre vne rouë qui le tourneboule continuellement, cela ne ſe peut accõmoder à l’hiſtoire. Car Ixion chaſſé de la Cour du Roy duquel il voulut ſuborner la femme, deuint le plus miſerable homme du monde, d’autant qu’vne perpetuelle ambition & enuie le bourreloient ſans ceſſe. Car ceux qui bruſlent de vaine gloire, comme épris d’vne image de vertu, ne font iamais rien ny de beau ny de loüable, mais il faut que par neceſſité ils s’abandõnent à pluſieurs actes illegitimes & indignes de gens d’honneur, & qu’ils obeyſſent à beaucoup de concupiſcences, & à toutes les affections qui leur chatoüillent l’ame. Dauantage cette Fable tend à nous faire apprendre, que ceux qui par moyens illegitimes ont acquis des honneurs & grades, tant ſoient-ils ſublims, n’en iouyſſent iamais longuement, car ce n’eſt que par vertu que l’on peut garder ſes eſtats & dignitez.