De Protee.
DAuantage remontrans que la vertu de prudence eſt neceſſaire pour la conſeruation des eſtats & pour l’entretien d’amitié, ils ont introduit Protee, non ſeulement homme de bien, mais auſſi ſe tranſmuant en telle forme qu’il vouloit, auſſi bien que Neree. Et de faict, il eſt bien requis que le ſage modere non ſeulement les troubles & mouuemens de ſon courage par raiſon & bon conſeil, mais auſſi qu’il accommode ſon eſprit à tous euenemens & à tous rencontres, tant de ſaiſons comme de perſonnes. Qui le peut faire, principalement en ce temps-cy, eſt habille homme. Mais quant à moy, iamais on ne m’eſtimera (telle eſt mon humeur) ſage en cette eſpece de prudence, pource que mon genie ne me permet point de flatter perſonne, & ne puis pâtir ne ſymboliſer auec vne quantité de marauts, garnemens & larrons, deſquels le nombre n’eſt que trop grand. Toutefois ie ne blaſme point celuy qui le peut faire lors que le temps & la ſaiſon le requiert, car il faut quelquefois rire auec les fols. I’eſtime que cette prudence eſt plus neceſſaire aux gouuerneurs des places, & autres eſtablis en charges publiques, qu’aux particuliers : parce qui les premiers s’y doiuent accommoder pour ſeruir d’exemple ; & les derniers, ſeulement entant que l’honneſteté le requiert. Ainſi doncques ils vouloient enſeigner qu’il faut ſagement ceder au temps, & s’accommoder aux rencontres & aux perſonnes ſelon leur dignité.