Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de John-Antoine Nau à Toussaint Luca, 10 octobre 1912 Nau, John-Antoine<br /> 1912-10-12 chargé d'édition/chercheur Petroni, Kévin (Doctorant) Laboratoire LISA ; EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1912-10-12 Texte de Nau : collection privée
Eugène F-X. Gherardi, Tournant de la Marine, La Corse de John-Antoine Nau, Ajaccio, Albiana, 2016, p. 82-83.
Datée du 10 octobre 1912, cette lettre de John-Antoine Nau est adressée à Ange-Toussaint Luca, probablement à Privas, dans la mesure où il s'agit de son premier statut connu dans la haute-fonction publique de l'époque.<br /> <br /> Comme le souligne le Professeur Eugène Gherardi, la venue du premier Prix Goncourt dans l'île doit beaucoup à ce préfet, originaire de Campile, ami de Guillaume Apollinaire, lui-même admirateur de Nau. Luca est "chef du secrétariat particulier du Président de la Chambre des députés. Successivement fonctionnaire dans les Postes monégasques, avoué puis avocat à Paris, conseiller à la préfecture de Privas, chef de cabinet du préfet de l'Yonne, puis de la Vienne [...] sous-préfet de Loudun en 1914, puis de Loudève en 1915, [...] chef de cabinet du garde des Sceaux" (Gherardi, 2016 ; 27). En 1909, alors que Luca est encore avocat à Paris, Nau lui fait part de son intérêt pour l'île, puis lui demande des informations quant à la possibilité de s'installer en Corse. La correspondance entre Luca et Nau nous renseigne sur la perception de "la patrie de Bellacoscia et de Toussaint Luca" par l'écrivain ; il la décrit comme "moins virgilienne" qu'il ne l'imaginait, mais admirable (Lettre du 21 mars 1910).<br /> <br /> Dans sa lettre du 10 octobre 1912, Nau évoque son retour à Porto-Vecchio à la suite d'un voyage sur le continent. La lettre nous renseigne quant à l'évolution de la situation professionnelle du destinataire de la lettre, Ange-Toussaint Luca. Ce dernier vient d'intégrer l'administration préfectorale. Cette indication nous renseigne sur la pensée politique de Nau, proche de ses "frères", "bons réacs" de droite, opposé au radical-socialisme, sans pour autant marquer la moindre radicalité. Au contraire, dans ce texte, c'est la tonalité comique du propos, et sa portée affective, qu'il convient de retenir. Pour attester de cela, Nau insiste tout particulièrement sur la vanité des passions politiques, et son attachement à la solidarité, la paix et la fraternité. La référence au mariage de Guy Lavaud, poète symboliste, étant lui-même dans l'administration, nous permet d'avoir accès au réseau d'amitiés de John-Antoine Nau aussi bien d'un point de vue littéraire, la sympathie des symbolistes comme Apollinaire ou Lavaud à son égard, que du point de vue social, les relations avec l'appareil d'Etat. La référence de Nau nous renseigne enfin sur la dimension psychologique de l'auteur : son goût pour la nature, son besoin d'être éloigné des mondanités, son intérêt pour la nature et son attachement à ce qu'il nomme son caractère d' "incivilité". Français Datée du 10 octobre 1912, cette lettre de John-Antoine Nau est adressée à Ange-Toussaint Luca, probablement à Privas, dans la mesure où il s'agit de son premier statut connu dans la haute-fonction publique de l'époque.<br /> <br /> Comme le souligne le Professeur Eugène Gherardi, la venue du premier Prix Goncourt dans l'île doit beaucoup à ce préfet, originaire de Campile, ami de Guillaume Apollinaire, lui-même admirateur de Nau. Luca est "chef du secrétariat particulier du Président de la Chambre des députés. Successivement fonctionnaire dans les Postes monégasques, avoué puis avocat à Paris, conseiller à la préfecture de Privas, chef de cabinet du préfet de l'Yonne, puis de la Vienne [...] sous-préfet de Loudun en 1914, puis de Loudève en 1915, [...] chef de cabinet du garde des Sceaux" (Gherardi, 2016 ; 27). En 1909, alors que Luca est encore avocat à Paris, Nau lui fait part de son intérêt pour l'île, puis lui demande des informations quant à la possibilité de s'installer en Corse. La correspondance entre Luca et Nau nous renseigne sur la perception de "la patrie de Bellacoscia et de Toussaint Luca" par l'écrivain ; il la décrit comme "moins virgilienne" qu'il ne l'imaginait, mais admirable (Lettre du 21 mars 1910).<br /> <br /> Dans sa lettre du 10 octobre 1912, Nau évoque son retour à Porto-Vecchio à la suite d'un voyage sur le continent. La lettre nous renseigne quant à l'évolution de la situation professionnelle du destinataire de la lettre, Ange-Toussaint Luca. Ce dernier vient d'intégrer l'administration préfectorale. Cette indication nous renseigne sur la pensée politique de Nau, proche de ses "frères", "bons réacs" de droite, opposé au radical-socialisme, sans pour autant marquer la moindre radicalité. Au contraire, dans ce texte, c'est la tonalité comique du propos, et sa portée affective, qu'il convient de retenir. Pour attester de cela, Nau insiste tout particulièrement sur la vanité des passions politiques, et son attachement à la solidarité, la paix et la fraternité. La référence au mariage de Guy Lavaud, poète symboliste, étant lui-même dans l'administration, nous permet d'avoir accès au réseau d'amitiés de John-Antoine Nau aussi bien d'un point de vue littéraire, la sympathie des symbolistes comme Apollinaire ou Lavaud à son égard, que du point de vue social, les relations avec l'appareil d'Etat. La référence de Nau nous renseigne enfin sur la dimension psychologique de l'auteur : son goût pour la nature, son besoin d'être éloigné des mondanités, son intérêt pour la nature et son attachement à ce qu'il nomme son caractère d' "incivilité".

Porto-Vecchio, 10 octobre 1912

Tournant de la Marine

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Mon cher ami,

Votre affectueuse lettre m’a fait le plus grand plaisir. Je rentrais, justement, d’un voyage assez fatigant chez les Pinzuti et j’ai eu, dans l’île qui me devient chère, la joie de trouver tout de suite la poignée de main épistolaire d’un Corse pour lequel j’éprouve la plus vive sympathie.

C’est un beau pays, votre Corse.

Malheureusement, l’admirable baie de Porto-Vecchio, si saine malgré les calomnies continentales, si vertement boisée, si exquise, est actuellement sous des nuages que l’on croirait fabriqués en Seine-et-Oise (Made in Germany, si l’on veut).

Alors, vous voilà dans l’Administration !

Ne soyez pas trop dur pour mes frères, les bons réacs, qui sont d’excellents bougres, je vous l’assure. Je sais que vous êtes un terrible extrême-gaucher mais cela ne retire rien à mon amitié pour vous, si gentil quoique radical-socialiste.

Du reste, les hommes politiques, c’est de la blague. Dans notre pays, nous sommes tous des frères, pas si ennemis qu’on le croit, - malgré les imprécations dont les vaincus chargent les vainqueurs. Il y aura une réconciliation nationale plus tôt qu’on ne croit.

Je vous envie de pouvoir aller assister au mariage du cher ami Guy Lavaud. J'aurais eu bien du plaisir à m'y trouver, mais je suis si sauvage, si Caraïbe et au besoin Canaque et Zoulou, - (tout cela ensemble malgré toutes les lois de l'Anthropologie) - qu'il est préférable que je demeure dans mon île. J'aurais

dégoûté la noce avec ma tête d’homme « qui cherche toujours la porte de sortie ».           

Il est triste d’être incivilisé à ce point, mais je n’y puis plus rien : je suis trop vieux !            En vous remerciant encore de votre lettre si cordiale, je vous serre bien affectueusement la main.

Votre ami,

JOHN-ANTOINE NAU

Je vais écrire au copain Lavaud.