Porto-Vecchio
Tournant de la Marine
12 février 1913
Mon cher ami,
Excusez-moi d’avoir mis tant de temps à répondre à votre aimable lettre dont ma femme et moi vous remercions beaucoup. J’ai passé mon temps à tousser, à cracher, à jouer trop bien mon rôle de bronchiteux, car il a fait, par ici, une humidité des plus
déplorables. Tout semble se remettre à présent. Les oiseaux et les banditi chantent dans les buissons. Tutto va bene. Il n’y a que les gendarmes qui s’affligent, particulièrement ceux qu’on envoie du côté de Borgo. Dans cette actuelle Corse à la Mérimée, je ne reconnais plus l’île de tout repos, où je fus le seul bandit pendant plus de deux ans. Je n’aime pas la concurrence.
Ce qui est dégoûtant, c’est que je ne fais aucun progrès en corse ; mais c’est quelquefois bien agréable de ne pas savoir la langue d’un pays.
Quand un brave homme de la campagne ignorant du français, me parle des exploits de feu Balesi, je n’entends guère que le nom du glorieux défunt et suis désespéré de comprendre les anecdotes où notre Balesi joua un rôle si… bizarre. Je réponds par de belles phrases espagnoles que mon type n’écoute pas, continuant à chanter les louanges du « Lion de Roccapina » et pendant une demi-heure, parfois, nous causons, lui et moi de ce qui nous intéresse, chacun de notre côté. Nous nous quittons fort satisfaits de notre mutuelle société, et après cela on s’adresse des signes amicaux du plus loin qu’on se voit !Si parlais corse, je l’eng…attraperais et
nous ne serions plus copains. Encore un bienfait de l’ignorance !Ne viendrez-vous jamais dans votre île ? Quand vous consentirez à faire connaissance avec notre étrange petite boite, située à 300 mètres environ de Porto-Vecchio, sur un fort joli cap tout vert, je vous assure qu’on vous recevra avec enthousiasme.Au plus tôt possible, mon cher ami. Ma femme vous dit mille choses cordiales et je vous serre très affectueusement la main.
Votre ami,
John-Antoine Nau