L'AMANTL'amant.
SISi ieje ne m'abuſeabuse, ma Dame, il y àa tantoſttantost trois ans, que laiſſantlaissant celle liberté, à laquelle tout amant eſtest naturellement enclin, ieje choiſychoisy pour tout mon heur la ſeruitudeservitude, qui du depuis par ſucceßionsuccession de tems, àa gaigné telle puißãcepuissance ſussus moy, qu'oubliãtoubliant tout autre plaiſirplaisir, n'ay receu aucun cõtentementcontentement en mõmon eſpritesprit, ſinonsinon celuy qu'il vous àa pleu m'octroyer. En quoy toutesfois ieje m'eſtimeroisestimerois tresheureuxtres heureux, ſisi ieje pouuoispouvois ſeulementseulement aperceuoirapercevoir vneune eſtincelleestincelle de voſtrevostre affection, eſtreestre correſpondãtecorrespondante au grãdgrand feu, qui me cõſommeconsomme et embraſeembrase. DADame . VoſtreVostre affection eſtest bien grande mon grand amy, ſisirenforcement de toutefois me ſemblezsemblez vous toutesfois à tresgrandtres grand tord vous complaindre de la part de celle, qui n'eut iamaisjamais autre eſtudeestude, ſi nonsinon par tous agreables officesservices trouuertrouver moyen de contenter &et ſatisfairesatisfaire à voſtrevostre eſpritesprit : &et m'ebahy beaucoup plus qui vous fait entrer en ces termes, d'eſtimerestimer que l'amitié que nature voulut baſtirbastir entre nous deux, ſoitsoit pour voſtrevostre regard ſeruitudeservitude, pour m'eſtreestre ſisi auantageuſeavantageuse comme penſezpensez. Si tel mot vous vient
à plaiſirplaisir, ieje puis en contr'eſchangeeschange dire, que au lieu d'vneune claire lumiere, en laquelle au parauantparavant ieje viuoysvivoys, ij'entray par vostre moyen en vneune obſcureobscure priſonprison, de laquelle auezavez ſisi ſubtilemẽtsubtilement embrouillée la ſerrureserrure, qu'il m'est à preſentpresent impoßibleimpossible en auoiravoir aucune yſſueyssue, voire &et le voulußiezvoulussiez vous. AMAmant . Vous auezavez toute puiſſancepuissance de dire ce qu'il vous plaira, &et ne puis mieux en moy remarquer celle ſeruitudeservitude, qui tant m'occupe les eſpritsesprits, ſi nonsinon d'autant que ieje ſçaysçay bien qu'auezavez toute iuſticejustice ſussus moy, &et neantmoins ſisirenforcement de néanmoins fault il pour crainte de vous contreuenircontrevenir, que maintenant contre mon ſceusceusu, savoir &et volunté, ieje vous accorde voſtrevostre dire : c'eſtest la captiuitécaptivité qu'alleguezinvoquez. De laquelle eſtesestes autant eſlongnéeeslongnée par effectdans la réalité, comme faictes ſemblantsemblant vous en approcher par paroles. DADame . IaJàDéjà à Dieu ne plaiſeplaise mon amy, que le coeur en ceſtcest endroit ne s'acorde auecquesavecques la langue. Vous meſmesmesmes qui par tant de paroles publiez vneune ſeruitudeservitude, donnez aſſezassez grand teſmoignagetesmoignage, du peu d'amour qu'auezavez en moy : Et au contraire combien eſtest grande l'affection qui me tranſportetransporte: Veu que iamaisjamais ieje n'euſſeeusse ozé tant entreprendre, de vous deſdiredesdire en la ſeruitudeservitude, qu'oresà présent auezavez mis ſursur les rangs, &et toutesfois contre vostre conſcienceconscience ne voulez permettre, que ieje ſoyssoys reputée voſtrevostre eſclaueesclave,ou priſonniereprisonniere. AMAmant . Ne vous en eſmerueillezesmerveillez ma dame : le traictement que de vous (depuis ma ieuneſſejeunesse) ij'ay receu, me donne occaſionoccasion de le dire. DA. Comment traictement mon amy ? voulez vous meilleur traictement, qu'vneune entiere deuotiondevotion, de celle qui depuis ſixsix ans, vous dedia coeur &et penſée?pensée AM. Pleust or à Dieu ma dame, pleust or à Dieu : Car ſisi ainſiainsi comme vous dictes eſtoitestoit, iajà ne me ſeroientseroient tant familieres les trauerſestraverses, qu'en vostre faueurfaveur ieje ſupportesupporte. DA. Ha moy &et moy miſerable!miserable maintenant voy-ieje fort bien, que le tems que ij'ay employé à me vouloir rendre vostre, & et vous en porter ſeureseure foy, par toutes manieres d'effects, est veritablement employé, mais employé ſanssans recompenſerecompense. AM. IeJe vous ſuplysuply ma dame, n'alleguer point recompenſerecompense: car vous ſeulleseulle, ſanssans autre, vous rendez en ceſteceste part deffectueuſedeffectueuse, qui depuis tant d'ans en ça, n'auezavez voulu prendre à mercy celuy, qui pour n'eſtreestre plus ſiensien, ne deſiroitdesiroit autre choſechose que de vous donner à cognoiſtrecognoistre de combien il eſtoitestoit plus voſtrevostre,ſanssans que iamaisjamais en ayez tenu aucun comte. DA. Quel mercy pẽſezpensez vous trouuertrouver en celle, qui d'elle meſmemesme n'àa eu mercy, ains s'eſtest tellement pour l'amour de vous animée encõtreencontre ſoysoy, que du meilleur qui fut en elle, c'eſtest de ſonson coeur, elle vous àa fait ſacrificesacrifice ? AM. D'autant vous en demouré-ieje plus redeuableredevable, ma dame. Mais ſisi eſtest-ce bien peu ducoeur, s'il n'eſtest accompaigné du corps, ny plus ny moins que ce n'est pas grand choſechose du corps, s'il n'àa pour ſasa guide &et compagnie le coeur. DA. Quoy ? qu'elle partie de mon corps (au moins qui ſoitsoit en ma puiſſancepuissance) vous feut iamaisjamais denyée ? Vous fut oncques le baiſerbaiser, vous fut oncques la parole, ou tout honneſtehonneste atouchement interdit ? Gardez ieje vous pry mon amy, que (comme les enfans d'IſraëlIsraël) non content de voſtrevostre manne, vouliez prendre voſtrevostre nourriture &et refection, en ce, qui pourroit &et à l'vnun &et à l'autre, cauſercauser noſtrenostre totale ruine. AM. IeJe reçoy vostre auertiſſementavertissement en payement : mais penſezpensez vous que pour cueillir l'vnun de l'autre ce fruict, que tout amãtamant ſese pourchaſſepourchasse, noſtrenostre amitié reciproque vint en quelque alteration, ou decadence ? DA. Ouy certes, mon grand amy, &et vous meſmesmesmes ſanssans y penſerpenser, m'auezavez par voſtrevostre parole apris, que ce point, ouoù pretendez, ne deuoitdevoit entrer en amour. Parce que ſisi par vnun inſtinctinstinct naturel, vous ſussus ce champ, l'auezavez couuertcouvert &et pallyé, ſoubssoubs vneune honneste parole : Combien, de grace, deuonsdevons nous abhorrer l'effect d'vneune telle choſechose, dont le mot eſtest de ſoysoy honteux ? AM. Que ceſtcest argument ne vous deſtournedestourne d'vneune bonne volunté, ma dame. D'autant que nous ne voulons ceste operation naturelle, ſoubssoubs vnun deſguiſementdesguisement de langage, ſi nonsinon pour monſtrermonstrer, non qu'il faille abhorrer telle œuureœuvre, ainſiainsi que ſemblezsemblez preſumerpresumer, ains qu'aux lieux ſeulementseulement plus couuertscouverts &et cachez, fault donner lieu &et contentement à nous meſmesmesmes. DA. Tant mieux monſeigneurmonseigneur &et amy : mais pourquoy aux lieux plus couuertscouverts, ſisi c'estoit choſechose raiſonnable?raisonnable Car le bon, comme vous ſçauezsçavez, ne demande point l'obſcurobscur, ains veult entrer en lumiere, &et cognoiſſancecognoissance d'vnun chacun : au contraire, ce qui eſtest par nature mauuaismauvais, comme rougißantrougissant de ſoysoy meſmemesme, ne demande l'œil des perſonnespersonnes. AM. IeJe ne vous puis reſpondrerespondre &et ſatisfairesatisfaire ſursur ce point, ſanssans grandement accuſeraccuser la commune ſottiesottie de nous autres, qui ainſiainsi doubtons aplicquer noſtrenostre eſpritesprit es choſeschoses, qui de leur nature ſontsont bonnes, &et aux mauuaiſesmauvaises nous accommodons librement. Voire que nous voyons la plus grand' partie des hommes, eſtimerestimer dreſſerdresser grand trophée, pour estre veuz enuersenvers le peuple grand batteurs &et blasphemateurs. DA. Voila encores qui va bien : Car ſisi tels actes que vous dictes, ſontsont de leur nature mauuaismauvais, &et neantmoins nous ne doutons les practiquer deuantdevant le peuple : Combien doncques eſtest abhominable ce point, duquel eſtimezestimez dependre le fruict de nostre amitié ? Par ceParce que ſisi vous voyez vnun homme blaſphemerblasphemer deuantdevant l'œil du monde, parauanturepar avanture le fait il, ou pour eſtreestre induict de colere, ou bien qu'il eſtimeestime en raporter quelque louange. Ce neãtmoinsneantmoins ſisi ne veiſtesveistes vous iamaisjamais homme (hors mishorsmis vnun brutal Diogene) qui entreprit ſese donner contentement en telle ſortesorte, en la preſencepresence des gents, ains que touſiourstousjours n'ait cherché les courtines de la nuit, ou de la ſolitudesolitude, pour vacquer à cette operation terreſtreterrestre : TerreſtreTerrestre puis ieje la nommer, dautantd'autant quellequ'elle n'àa rien du commun auecquesavecques celle diuinitedivinité, qui àa vnyzunyz noz eſpritsesprits. AM. Si voſtrevostre raiſonraison auoitavoit lieu, qu'vneune choſechose, pour en vſeruser en ſolitudesolitude, fut de nature mauuaiſemauvaise, ne ſeroitseroit par meſmemesme moyen cette extremité d'amitié q̃que nous nous portõsportons l'vnun à l'autre, vicieuſevicieuse, veu que n'auõsavons aucun moyen de nous y entretenir ſeuremẽtseurement, ſinonsinon par dißimulationdissimulation, de laquelle pour noſtrenostre auãtageavantage et faueurfaveur eſtudiõsestudions à trõpertromper ce peuple ? DA. Voyez ieje vous pry, quel tort nous nous ſommessommes tous porchaſſezporchassez, de vouloir aſſeoirasseoir noſtrenostre amour ſussus ce fondement dont parlez, lequel eſtantestant vicieux, àa quant &et ſoysoy aporté ce preiudiceprejudice à tous amants, de tenir ſesses amours couuertscouverts, pour cacher par vnun meſmemesme accord, la deſordonnéedesordonnée volunté, qui induit les hommes d'aimer. N'euſteust il pas esté meilleur et plus expediant, s'entretenir d'vneune honneſtehonneste affection, l'vnun et l'autre, que ſese commettre au hazard du parler du peuple ? Lequel voyant que de toute ancienneté, s'est inueteréeinveterée celle impreßionimpression dedans nous, d'aimer ſeulementseulement pour iouirjouir, entre tout ſousou- dain en ſoupçonsoupçon, de quelque anguille ſoussous roche, pour veoir tant ſoitsoit peu vnun ieunejeune homme conuerſerconverser auecavec vneune dame. AM. PenſezPensez vous ce nonobſtantnonobstant, que pour vneune telle conduite lonl'on eut à la longue peu empeſcherempescher les langues venimeuſesvenimeuses des hõmeshommes ? DA. En doutez vous mon amy ? Les euenementsevenements qui ſontsont ſuruenussurvenus à l'amour ont apporté occaſionoccasion pour en meſdiremesdire. Et toutefois ne penſezpensez mon grand amy, qu'estant ma conſcienceconscience ſainesaine, ieje pretende couurircouvrir la perfection d'amitié que ij'ay en vous, voire et en parle qui vouldra.. Adam pendant ſonson innocence, alloit tout nud, ſanssans doute ou aucune honte : mais lors qulorsqu'il ſese feut par ſonson peché abaſtardyabastardy, n'ayãtayant qu'vneune perſonnepersonne pour obietobjet, ſisi cõmençacommença il de rougir, &et quaſiquasi ſese deffier de ſoy-meſmesoy-mesme : &et la Nymphe violée par IupiterJupiter, deſcouuritdescouvrit ſasa forfaiture, quand toute honteuſehonteuse n'oſaosa auecavec la chaſtechaste Diane, entrer nue dans le baing. AinſiAinsi ne me reſentantresentant de ce damnable aiguillon, dont ieje voy les autres estre à leur grand dõmagedommage poings, &et en deuſtdeust cauſercauser tout le monde, ſisi fauldra il, &et qu'au iourjour, et à la nuict, vous ſeulseul ſoyezsoyez le flambeau pour eſclarciresclarcir en mon cœur, voire ce flambeau ſanssans lequel ieje n'aurois aucune lumiere. AM. Ne vous ſeroitseroit il pas plus ſeantseant, mettant fin tout d'vneune main à mes grandes complaintes, &et à ce parler du peuple, me donner contẽtementcontentement au point que tant et tant ieje reclame, que mal aſſeurantasseurant voſtrevostre renommée, tromper par vnun meſmemesme effect, &et moy qui me repais de cornées, &et tout ce commun peuple qui penſepense que ij'aye en vous plus grande part que ieje n'ay ? DA. Quelle plus grande part demandez vous en moy, qu’vneune ſinceresincere affection, &et non pollue ? AM. Ce n'eſtest pas comme ieje l’enten. IeJe dy ſeulementseulement qu'il vaudroit mieux deuantdevant le peuple taire l’amour que me portez, &et demourer en bonne opinion enuersenvers luy, m’accordant le poinct ouoù ieje preten, que d’encourir tant ſoitsoit peu de mauuaiſemauvaise opinion, &et neantmoins eſtreestre entiere et non coulpable. Parce que ceſtcest honneur eſtest la choſechose en tout le monde, que deuonsdevons tenir en plus grande recommendation. DA. Si ceſtcest honneur est tel comme vous dictes, ieje m’esbahy doncq' grandement, pourquoy auecq'avecq' ſisi grandes prieres et inſtancesinstances me ſolicitezsolicitez en choſechose, que ſçauezsçavez m'eſtreestre tant deſauẽtageuſedesaventageuse. AM. LeffectL'effect ne tombe point tant en voſtrevostre deſauẽtagedesaventage, comme l’opinion qu'on en reçoit. Et pource, eſtreestre ſecretsecret &et couuertcouvert eſtest fort requis &et neceſſairenecessaire en telles choſeschoses. DA. Il n'y àa choſechose tant ſecrettesecrette, qui à la longue ne ſese deſcouuredescouvre. AM. Au contraire, il n'y àa choſechose ſisi ouuerteouverte, qui à la fin ne ſese cele &et oublye. DA. Mais Dieu le ſçaitsçait. AM. Dieu ſçaitsçait veritablemẽtveritablement &et voit en quelle langueur vous me nourriſſeznourrissez, dheured'heure à autre. DA. Vous ſeulseul vous la pourchaſpourchas ſezsez. AM. Mais bien vous ſeuleseule ma dame, qui ſemblezsemblez prendre voſtrevostre plaiſirplaisir au tourment que ij''endure en voſtrevostre faueurfaveur. DA. IJ''en appelle Dieu à teſmoingtesmoing, &et vous meſmemesme vneune autrefois, estans retourné à vous. AM. IaJà dieu ne me face ce bien ma dame, de retourner iamaisjamais à moy. Car plus m'eſtest agreable la ſeruitudeservitude que pour lamourl'amour de vous ieje ſupportesupporte, que toute autre liberté. DA. Veritablement ſeruitudeservitude pouuezpouvez vous bien appeller celle en laquelle ores vous viuezvivez, accompaignant voſtrevostre amitié de cette apetence lubrique, et m'appeller tout d’vneune ſuitesuite maistreſſemaistresse. D’autant qu'en ce point cy domine en moy la raiſonraison, &et en vous vneune ſottesotte &et deſordonnéedesordonnée paßionpassion. En quoy vous rendez d’autant plus ſerfserf &et bas, que moy que la paßionpassion ſemblesemble tirer ſussus le charnel, &et la raiſonraison ne s'extraict &et depend que de l’eſpritesprit. AM. Si ſçauezsçavez vous bien ma dame, l’amour eſtreestre choſechose inparfaite, ſanssans cette copulation mutuelle, &et de cors, et de l'esprit. Pour le moins ſese deſcouuriradescouvrira à ce coup, que plus grande eſtest celle amitié que ieje vous porte, que non celle qu'à present vous vantiez me porter malgré tout le monde. Parce que ne repoſantreposant voſtrevostre amour qu'à l'eſpritesprit, le mien s'est embraßéembrassé de l’vnun &et l’autre : ij'enten du cors &et de l'eſpritesprit. DA. Vostre amitié ſeroitseroit diuinedivine &et monteroit iuſquesjusques aux cieux, n'estoit qu'elle eſtest apeſantieapesantie par ce terreſtreterrestre, qui l'empeſcheempesche voler à ſonson vray manoir : lá ouoù la miẽnemienne n'eſtantestant embrouillée de cette paste, ains ſeulementseulement s’amuſantamusant à la contemplation de voz perfections, ſese rend en ce point immortelle. AM. Mais ma dame, ſisi voſtrevostre affection eſtest ſisi grande comme maintenant publiez, que ne vous oubliez vous au moins pour vnun coup, pour donner ſi nonsi à vous, au fort contentement à celuy, auquel vous vantez eſtreestre deſtinéedestinée ? DA. AußiAussi eſtest ce pour voſtrevostre contentement ce que ij'en fay, &et ne diſcordonsdiscordons l’vnun de l'autre en rien, ains vous meſmesmesmes procurez l’eſlongnementeslongnement de voſtrevostre bien, par ce que ieje ſuissuis aſſeuréeasseurée, que vous accordant ce point, &et n'y trouuanttrouvant telle ſatisfactionsatisfaction comme peut eſtreestre vous promettez, cõmenceroitcommenceroit à diminuer noſtrenostre amitié : choſechose toutesfois, que ieje croy que ne ſouhaitezsouhaitez. AM. Mais au contraire le plaiſirplaisir me rauiroitraviroit tellement, que d’vneune amitié temporelle entreroit en eternité. DA. Vous meſmesmesmes vous abuſezabusez vous. Ce plaiſirplaisir que tant eſtimezestimez, eſtest tout loingtain du temporel, ieje ne diray de l’eternel, qu’au contraire desdès ſasa naiſſancenaissance il ſese meurt. AM. D'autant qu’il eſtest plus brief, d’autant ſese trouuetrouve il plus extreme. DA. Mais d'autant qu’il est plus brief, &et extreme, d'autant attire il quant &et ſoysoy plus de faſcheriefascherie et moleſtemoleste. AM. Faignez qu'il ſoitsoit tel que vous di-ctes, ſisi me ſerasera ce par ce moyen, voye de trouuertrouver aſſouuiſſementassouvissement à vnun treſardenttres ardent deſirdesir. DA. Si ſeulementseulement ſussus vnun appetit vain &et fraiſlefraisle, eſtabliſſezestablissez voſtrevostre amitié, ne trouueztrouvez ieje vous pry, eſtrãgeestrange, puis quepuisque vous dictes mon ſeruiteurserviteur, ſisi comme dame et maiſtreſſemaistresse, ieje vous commande vous deporter de ce point, à la charge qu’en tout autre choſechose emporterez ſussus moy maiſtriſemaistrise. AM. Ma dame, gardez ieje vous pry que me commandant cette choſechose, ne vous eſlongniezeslongniez de l’authorité de maiſtreſſemaistresse, pour entrer aux termes d’vneune tirannie. Parce que lors quelorsque ieje me rendy à vous, bien q̃que mon intention feuſtfeust me ſoubmettresoubmettre du tout à voſtrevostre puiſſancepuissance, vous laiſſantlaissant toute loy de me commander, ſisi me reſeruayreservay-ieje celle liberté, encore que ne le voulſißiezvoulsissiez, de vous ſemondresemondre du point, auquel l’amour ſeulseul, et nature me donnent acheminement. Et pource encor' que voz forces ſoientsoient grandes, &et telles que ieje les penſepense ſuffiſantessuffisantes pour renger à ſoysoy les dieux, toutefois n'eſtimezestimez pouuoirpouvoir commander à celuy qui domine ſussus tous eſpritsesprits, &et eſtablirestablir à vnun voſtrevostre amant, autres loix, que celles que l’amour luy dicte : autremẽtautrement preſumeriezpresumeriez me brider d'vneune impoßibilitéimpossibilité. DA. Comment ? eſtesestes vous encore à ſçauoirsçavoir, que les miracles de l’amour ſese trouuenttrouvent à ceux, qui n'aiment point, impoßiblesimpossibles ? AM. IeJe le ſçaysçay trop bien ma dame, &et à mes propres couſtscousts &et deſpensdespens, dont ieje louë dieu : Toutefois ſisi bien prenez garde, tels miracles ne ſese practiquent, ſinonsinon en faueurfaveur de l'amour. Car ſisi contre ſasa maieſtémajesté eſtimezestimez les pouuoirpouvoir en moy exercer, ne ſeroitseroit ce à voſtrevostre aduisadvis ſese trauaillertravailler &et parforcer en vain ? Vue que toute telle puiſſancepuissance que vous autres vſurpezusurpez ſussus nous, ne ſese fait que ſoubssoubs le tiltre de l'amour. Parquoy ma dame, puiſquepuisque la force d'aimer n'eſtest autrement moiennéemoyennée, que ſoubssoubs vneune eternelle attente, de paruenirparvenir vnun iourjour à cette extremité de iouirjouir : Il fault de deux choſeschoses l’vneune, au commandement que me faictes ou que ieje ne vous obeiſſeobeisse en ceſtcest endroit, comme choſechose du tout incompatible auecqueavecque l’amour : Ou bien que ieje vous obeiſſeobeisse. Mais voyez en quel deſarroydesarroy nous tomberons. Car ſisi vneune fois permettez s'eſtaindreestaindre en moy la grande ardeur, qui s'eſtest dedans mes entrailles allumée, par cette estincelle de coniunctionconjunction mutuelle, c'est à dire que me fermiez du tout la porte à l’apetence de l’vnionunion, ouoù tendent tous vrais amants : Certes il ſemblesemble que vous voulez que tout d’vneune meſmemesme traite, ieje m'exempte de l’amour que ieje vous porte, &et conſequemmentconsequemment de la loy de ſeruitudeservitude, que ij'ay en vous. AinſiAinsi deſirantdesirant vneune mienne obeiſſanceobeissance,ſisi de bien presprès y aduiſezadvisez, voulez doreſnanantdoresnavant ne receuoirrecevoir aucune miẽnemienne obeiſſanceobeissance. Que doutez vous doncq' ma dame, accorder cette faueurfaveur à celuy qui vous aime, qui vous cherit, plus que ſoysoy meſmemesme ? Puis qupuisqu'en telle operation giſtgist la fin de tous ceux qui aiment. DA. Fin veritablement la pouuezpouvez vous bien appeller : car cõdeſcendantcondescendant à ce dont m’importunez, toſttost prendroit fin celle cõmunecommune amitié, que nature àa forgée entre nous deux, pour ſeruirservir aux autres d’exemple. AM. LaiſſonsLaissons pour dieu les equiuoquesequivoques, qu'amour ne peut ſupportersupporter. Car ſisi telle estoit voſtrevostre affection enuersenvers moy, comme est celle ardeur qui m'embraſeembraseembrase, vous ne prendriez à contrepoil les paroles que ieje tiens. Mais n'eſtest ce le commun malheur de tous amants, que qui pretend eſtreestre payé d’ingratitude, il fault qu’il aime extremement ? A la mienne volunté ma dame, &et à la mienne volunté, qu'en ſatisfactionsatisfaction du peché, qu’ores, ſanssans aucun mien demerite, commettez encõtreencontre moy, vnun iourjour rencontriez perſonnagepersonnage, lequel estant de vous ainſiainsi aymé, comme maintenant ieje vous ayme, vous face reparer le tort, &et iniureinjure que me tenez, par tel payement, que celuy que de vous à preſentpresent ieje reçoy. DA. IeJe n'euſſeeusse iamaisjamais eſtiméestimé que vous feußiezfeussiez ainſiainsi opiniaſtréopiniastré, pour choſechose de ſisi peu de merite. Ce neantmoins plus toſtplustost permette le ciel que ij'acquieſſeacquiesse à voſtrevostre volunté, bien que contre la raiſonraison, que de vous voir ainſiainsi deconforter à tout heure. Pourtant ieje vous ſupplysupply mon amy, ne vous donner plus faſcheriefascherie : le tems &et le lieu deſormaisdesormais nous y donneront bon conſeilconseil : aimant trop mieux vous contenter, que de me contenter moymeſmemoy mesme. AM. Ha ma dame, de quelle maniere pourroy-ieje iamaisjamais acquiter vneune telle obligation ? ô combien ſerasera grand le fruit, que nous recueillerons de ce paradis bien heureux ! DA. Quel fruit ij'en raporteray, ieje ne ſçaysçay : bien ſçaysçay-ieje que encor' que contre mon vouloir me cõmandißiezcommandissiez quelque choſechose, m'auezavez tellement rendue voſtrevostre, que plus toſtplustost pretendrois à ma totale ruine, que de vous deſobeirdesobeir.